JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 8 novembre 2001
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte. Les membres du comité remarqueront que j'ai perdu mon maillet.
Je déclare ouverte la 48e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme.
Ce matin, le premier groupe se compose de l'honorable Warren Allmand, président de Droits et démocratie. C'est bien cela, Warren?
M. Warren Allmand (président, Droits et démocratie): Oui.
Le président: Nous accueillons également à titre personnel M. Reg Whitaker, du Département de science politique de l'Université de Victoria et professeur distingué et émérite de l'Université de York; M. Stuart Farson, du Département de science politique et agrégé de recherche à l'Institute for Governance Studies de l'université Simon Fraser. En outre, pour l'Alliance évangélique du Canada, nous recevons Bruce Clemenger, directeur du Centre for Faith and Public Life, et Janet Epp Buckingham, conseillère juridique.
Bienvenue à tous. Nous avons constaté que nos délibérations accaparent tout le temps qui nous est alloué et je vais couper court aux formalités. Conformément à la liste, nous allons tout d'abord écouter M. Warren Allmand.
Il m'en voudrait de ne pas préciser que les exposés doivent se limiter à une dizaine de minutes. J'ai reçu quelques mises en garde ce matin. J'indiquerai d'une façon ou d'une autre—à défaut de mon maillet, je trouverai bien quelque chose—le moment où les dix minutes seront passées et je ne tomberai dans le mode agressif qu'au bout d'une douzaine de minutes.
Monsieur Allmand, vous avez la parole.
M. Warren Allmand: Merci, monsieur le président.
Je comparais devant ce comité en tant que président de Droits et démocratie, qui s'appelait autrefois Centre national des droits de la personne et du développement démocratique. Il s'agit d'une institution canadienne dotée d'un mandat international.
Nous avons pour mission de défendre et de promouvoir la démocratie et les droits de la personne sur la scène internationale. En conséquence, je vais faire référence aux textes pertinents en matière de droits de la personne qui ont été ratifiés par le Canada, pour voir dans quelle mesure ces textes sont respectés ou enfreints par le projet de loi C-36. J'invoquerai également ce projet de loi en fonction de mon expérience de solliciteur général pendant quatre ans au cours des années 70.
• 0935
Je peux dire d'emblée que l'analyse de ce projet de loi
représente une tâche énorme, et je n'entrerai pas dans les détails.
Mais comme il s'agit d'une tâche énorme, il faudrait que le comité
y ajoute une clause de temporarisation, comme l'ont demandé
l'Association du Barreau canadien et le comité du Sénat. Il
faudrait aussi appliquer les recommandations du Sénat concernant la
surveillance et le fonctionnaire du Parlement.
Ce sont là des choses importantes, car il est impossible d'étudier sérieusement ce projet de loi dans le court délai qui vous êtes imparti. La clause de temporarisation est indispensable, non seulement parce qu'il va falloir attendre un certain temps avant d'avoir une idée précise de toutes les conséquences du projet de loi, mais également parce que ce sont là des mesures exceptionnelles visant à faire face à des menaces exceptionnelles.
Une fois que les menaces exceptionnelles seront neutralisées, il faudrait en revenir à la législation normale. Si, à la date prévue dans la clause de temporarisation, il existe toujours une menace exceptionnelle, les mesures pourront être partiellement ou intégralement remises en vigueur. Je préfère une échéance de trois ans, comme l'a proposée l'Association du Barreau canadien.
J'ai dit que je ferais référence aux grandes conventions sur les droits de la personne qui sont visées par ce projet de loi. Il s'agit de la Charte des Nations Unies proprement dite, de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La ministre de la Justice a déclaré, je crois, qu'on avait vérifié la conformité du projet de loi C-36 à la charte, et qu'à son avis, il respectait le critère de la charte. Je n'ai pas eu l'occasion de prendre connaissance de son témoignage devant ce comité, et je ne sais pas si elle voulait dire que le projet de loi répond aux exigences de la charte grâce à l'invocation de l'article 1, c'est-à-dire de la disposition d'exemption, ou sans qu'il faille invoquer cet article 1.
Je vous le signale, car il y a aussi des dispositions d'exemption dans la déclaration universelle et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Comme le Canada est signataire de ces deux textes, le comité devrait vérifier si les dispositions exceptionnelles du projet de loi C-36 respectent également les conditions de ces dispositions d'exemption.
Les dispositions d'exemption du Pacte international relatif aux droits civils et politiques figurent à l'article 4 de ce pacte. J'allais vous le lire, mais je n'ai pas le temps. Vous pourrez en prendre connaissance. Si vous le faites, vous verrez qu'on ne peut déroger au pacte international que dans des conditions très précises. Il me semble que le projet de loi C-36 risque de déroger aux articles 9, 14, 17 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Si tel est le cas, les exigences de la disposition d'exemption de l'article 4 devront être respectées. Vous remarquerez en le lisant que le gouvernement qui déroge à ce pacte international doit déclarer l'État d'urgence; les dérogations doivent être strictement limitées aux exigences de la situation; elles ne doivent pas être conformes à d'autres obligations internationales; il ne peut y avoir dérogation à certains articles du pacte international; et enfin, l'État qui déroge au pacte doit en informer tous les autres États signataires ainsi que le Secrétaire général des Nations Unies.
En outre, l'article 4 précise que l'État signataire doit informer le secrétaire général de la date à laquelle la dérogation prendra fin. À défaut, ce pacte que nous avons ratifié exige une clause de temporarisation.
Lorsque nous avons ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1977—et j'étais au cabinet à l'époque—, nous l'avons fait avec les intentions les plus sérieuses. Lorsqu'on ratifie un traité international, ce geste doit avoir une certaine signification, certaines conséquences, ou sinon, ce n'est qu'un exercice de relations publiques, des propos en l'air, voire de l'hypocrisie. Le pacte international doit signifier quelque chose pour notre pays, et mérite son respect. La déclaration universelle comporte elle aussi une disposition d'exemption au paragraphe 29(2), mais elle est d'ordre plus général et ne comporte pas autant de conditions.
Je ne voudrais pas donner l'impression qu'à mon avis, le gouvernement n'a pas raison de prendre des mesures pour combattre le terrorisme. Les attentats cruels et horribles du 11 septembre contre des milliers de civils innocents étaient une atteinte fragrante à la déclaration universelle, article 3, où il est question de droit à la vie, de liberté, et de sécurité de la personne. Ils ont également violé le pacte international, article 6, sur le droit inhérent à la vie.
Les gouvernements ont la responsabilité de protéger ces droits, mais ce faisant, ils doivent veiller soigneusement à protéger d'autres droits. Comme l'ont déclaré le Barreau canadien et le Comité sénatorial, le gouvernement doit parvenir à un subtil équilibre entre la sécurité collective et les libertés individuelles.
Je voudrais maintenant aborder certaines dispositions du projet de loi qui me préoccupent. Pour commencer, j'ai bien du mal à accepter le principe de l'inscription des terroristes énoncé au paragraphe 83.01(1) et à l'article 83.05, où le solliciteur général peut demander que certaines personnes ou certains groupes, appelés «entités», soient inscrits sur la liste des terroristes sans audience ni procès. Évidemment, il peut y avoir un procès par la suite pour obtenir la radiation du nom, mais la difficulté persiste malgré tout.
• 0940
J'ai une certaine expérience de ces questions, d'une part en
tant que président de Droits et démocratie, et d'autre part en tant
que vérificateur général. Vous vous souvenez qu'en août dernier—la
Chambre était ajournée à l'époque—le 18 et 20 août, on a constaté
que la GRC et le SCRS avaient constitué une liste d'évaluation des
menaces qui comprenait notamment Amnistie internationale,
Greenpeace, le Conseil des Canadiens, plusieurs syndicats canadiens
ainsi que notre centre, Droits et démocratie, et de nombreux
autres.
J'ai écrit au solliciteur général M. MacAulay le 21 août pour lui dire que j'étais indigné de l'existence de cette liste où figurait mon centre, et pour lui demander une explication. J'ai ici des copies de ma lettre et des articles que je pourrais transmettre au greffier pour qu'il vous les distribue. Mais je dois vous dire que j'attends toujours un accusé réception ou une réponse à ma lettre, où on m'expliquerait ce que signifie cette liste, pourquoi nous y figurons et pourquoi d'autres groupes y figurent aussi.
Au fait, tout cela se passait avant le 11 septembre et avant le projet de loi C-36.
Il y a eu aussi un cas—et je ne vais pas entrer dans les détails—où on l'a dit lors d'un témoignage à la Commission MacDonald durant les années 80 que la GRC m'avait mis sur écoute sur les instructions qu'un caporal avait données à un agent secret en lui disant, d'après ce témoignage entendu par la commission MacDonald, que j'étais un «salopard de communiste».
Des voix: Oh, oh!
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Personnellement, j'aurais dit libéral.
M. Warren Allmand: Quoi qu'il en soit, il se trouve que bien que cette évaluation n'ait pas été acceptée par le commissaire ou les autorités supérieures, cela montre bien le genre d'évaluation qu'on fait aux échelons inférieurs de la GRC. Une autre fois, quand j'étais solliciteur général, un de mes collègues du cabinet est venu un jour pour se plaindre parce que la GRC avait émis un avis défavorable au recrutement d'une jeune femme dans son service sous prétexte qu'elle était, d'après la GRC, lesbienne et communiste. Quand elle a appris ces accusations, cette jeune femme les a niées et le ministre, qui connaissait personnellement cette femme depuis un certain temps, a insisté pour que je fasse une enquête, ce que j'ai fait.
L'enquête a révélé que ces informations avaient été recueillies auprès de voisins dans un grand immeuble où vivait cette jeune femme, voisins qui pensaient que, comme elle habitait là avec trois autres jeunes filles, elle était probablement lesbienne, et c'est ce qui avait été noté à son dossier. Des enquêtes analogues avaient été effectuées à l'Université de Toronto où elle avait été étudiante, et on avait ainsi appris qu'elle avait appartenu à un club gauchissant, par conséquent on l'avait cataloguée comme communiste.
Elle a finalement été engagée, mais je vous signale ces exemples simplement pour vous donner une idée de la façon dont on recueille les informations et on établit ce genre de listes. Je pourrais vous donner bien d'autres exemples, mais je n'en ai pas le temps ce matin.
Monsieur le président, si toutes les personnes qui administrent cette loi étaient sans exception sages, intelligentes, correctement formées et équitables, nous pourrions peut-être nous satisfaire de ces dispositions. Mais ce n'est pas le cas, même avec les améliorations apportées ces dernières années, et je soutiens que les dispositions de ce projet de loi sont extrêmement dangereuses.
Ce qui me préoccupe, naturellement, c'est la définition «d'activité terroriste» et de «groupe terroriste», car on risque d'englober des personnes innocentes en vertu de plusieurs autres articles, notamment ce dont je viens de parler: le financement du terrorisme; le blocage des biens; le fait de participer, de faciliter, d'instruire et d'abriter; les audiences d'enquête et l'arrestation à titre préventif.
Je suis particulièrement préoccupé par le point b) de la définition d'activité terroriste, qui risque de criminaliser certaines de nos activités à Droits et démocratie lorsque nous aidons des groupes de défense des droits de la personne et des groupes prodémocratie dans des pays comme la Birmanie—où, à mon avis, c'est au gouvernement qu'on trouve les terroristes. Dans bien d'autres cas, ce sont les autorités gouvernementales qui sont les terroristes et qui terrorisent les populations innocentes qui réclament simplement leurs droits.
Par exemple, en Birmanie, le simple fait de posséder un modem ou un télécopieur entraîne une peine de 15 ans de prison. En Chine, tout récemment—il y a trois semaines—trois individus innocents ont été inculpés pour avoir discuté de démocratie sur l'Internet. J'abrège, mais nous avons eu d'autres situations où l'on pourrait nous accuser en vertu de cette définition d'avoir aidé des groupes étrangers en Tunisie, au Pakistan, au Nigeria, au Rwanda, au Congo et en Colombie.
Par exemple, à l'époque de la dictature militaire au Nigeria, nous avons contribué à financer une station de radio clandestine en mer qui diffusait des informations prodémocratie au Nigeria. Je suis donc très inquiet de voir qu'on parle ici de faciliter directement ou indirectement des groupes qui sont dans l'opposition et dont l'action pourrait déboucher sous une forme de violence. Cela m'inquiète beaucoup.
• 0945
Toujours à propos à cette définition, je me demande ce que
deviendraient certains présidents des États-Unis compte tenu de
leur participation aux activités de la CIA lorsqu'on a aidé les
contras à s'opposer au gouvernement du Nicaragua dans les
années 80, ou compte tenu encore de ce qu'ils ont fait pour faire
tomber le gouvernement élu d'Allende au Chili, pour le remplacer
par la dictature de Pinochet; sans parler du kidnapping de Noriega
au Panama. Peut-être tomberaient-ils tous aussi sous le coup de
cette définition. Après tout, ce serait peut-être une bonne chose.
Le problème actuel dans ce contexte, c'est que la coalition de lutte contre le terrorisme englobe de nombreux pays qui n'ont pas le moindre respect pour la démocratie et les droits de la personne. Évidemment, dans ces conditions, nous aboutissons à des positions contradictoires sur nos valeurs et nos droits de la personne.
Je voudrais aussi dire que ce projet de loi comporte d'autres lacunes. Dans le préambule, on énonce le but de cette loi et on dit qu'il comprend des mesures exhaustives pour protéger les Canadiens contre les activités terroristes, mais il n'est question ni dans ce préambule, ni dans le projet de loi lui-même, de s'attaquer aux causes de ce terrorisme, au contexte de pauvreté, d'injustice et de désespoir qui nourrit l'instabilité, l'amertume, l'hostilité, la révolution, la violence et même le terrorisme.
Enfin, je dois préciser que ce projet de loi a d'autres retombées graves sur les droits humains internationaux. Dans la déclaration universelle et dans le préambule de cette déclaration universelle, et toujours à l'article 28—que je ne lirai pas—, on dit que les États ont le devoir d'oeuvrer à l'avancement de tous les droits énoncés dans ce document.
Je me dois donc de poser cette question: Quel genre de modèle présentons-nous à nos frères et nos soeurs qui souffrent des méfaits de gouvernements terroristes dans le monde entier? En quoi le projet de loi C-36 est-il conforme aux obligations du pacte international et de la déclaration universelle que je viens de mentionner? Dans quelle mesure le projet de loi C-36 sape-t-il le système des droits humains internationaux? Les attentats du 11 septembre ont été une violation massive des droits de l'homme. Mais ne sommes-nous pas en train d'affaiblir encore plus le système international des droits de la personne avec ce projet de loi C-36? À long terme, comment ces mesures, par lesquelles nous dérogeons aux obligations que nous avons à l'égard des droits humains, peuvent-elles accroître la sécurité de nos concitoyens?
En conclusion, je dirais: oui, il faut capturer les auteurs de ces atrocités du 11 septembre et les traîner en justice, mais faisons-le dans le cadre des paramètres de nos idéaux et de nos valeurs démocratiques.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Allmand.
M. Warren Allmand: Je ne savais pas où j'en étais pour mon temps. Cela a été une sorte de course contre la montre.
Le président: Vous l'avez légèrement dépassé, mais nous savons bien que vous avez coupé de moitié votre discours, et nous vous en sommes donc très reconnaissants.
Comme M. Allmand et moi-même partageons la distinction d'être probablement les deux seuls au pays à avoir été d'anciens solliciteurs généraux et présidents du Comité de la justice, je vois ce que l'avenir me réserve. Oh, oh, mon Dieu.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Merci beaucoup, monsieur Allmand.
J'ai maintenant M. Whitaker sur ma liste.
M. Reg Whitaker (témoignage à titre personnel): Je souhaiterais parler à votre comité d'un aspect du projet de loi auquel on n'a peut-être pas apporté toute l'attention voulue.
Je pense qu'il y a en fait deux projets distincts dans ce projet de loi. Celui qui a attiré le plus l'attention, c'est d'ailleurs comme cela que le projet de loi a été présenté par le gouvernement, c'est le projet de réaction d'urgence à une menace terroriste urgente, le recours à des pouvoirs extraordinaires face à un défi extraordinaire, celui du terrorisme. J'y reviendrai. Mais il y a aussi autre chose dans ce projet de loi, il y a une nouvelle loi sur la sécurité nationale. Et comme ce projet n'est ni admis ni présenté publiquement, je dirais qu'il s'agit pratiquement d'une loi cachée sur la sécurité nationale. Permettez-moi de vous parler très brièvement de ces deux faces du projet de loi.
Tout d'abord, je vais vous parler du projet de loi en tant que mesure législative antiterroriste d'urgence. Naturellement, il est déjà arrivé dans le passé que notre pays recoure à des mesures d'urgence face à des situations d'urgence—durant les deux guerres mondiales, durant la guerre froide et lors de la crise d'octobre 1970. Mais j'aimerais me concentrer plus particulièrement sur ce qui s'est passé après que la Loi sur les mesures de guerre ait été invoquée en octobre 1970 pour contrer une insurrection «appréhendée», bien qu'on n'en ait jamais présenté la preuve.
• 0950
Un gouvernement ultérieur a remplacé la Loi sur les mesures de
guerre par la Loi sur les mesures d'urgence qui, au lieu de
permettre l'invocation d'un pouvoir d'urgence maximal dans une
situation donnée, précisait quatre niveaux d'urgence en ordre
croissant de gravité et indiquait les pouvoirs spéciaux
correspondant à chaque niveau d'urgence. En outre, la Loi sur les
mesures d'urgence indique clairement qu'elle ne s'applique que tant
que l'urgence dure. Voilà, à mon sens, une indication importante
dont le Parlement devrait s'inspirer dans la situation actuelle.
Lorsque des pouvoirs d'urgence sont invoqués, il faudrait leur appliquer deux tests. Le premier est celui que j'appelle le test de proportionnalité, c'est-à-dire que le remède proposé doit être proportionnel à la menace invoquée. Le deuxième est le test de l'expiration: les pouvoirs extraordinaires doivent disparaître à la fin de l'urgence.
Parlons tout d'abord du dernier: on a beaucoup parlé, récemment, des clauses de temporarisation. Je voudrais ajouter ma pierre à l'édifice, mais je ne veux pas y consacrer trop de temps, car je crains qu'on ait déjà porté trop d'attention à cette question et qu'on s'imagine que l'ajout de clauses de temporarisation aux endroits appropriés résoudrait les problèmes que pose le projet de loi. Je considère que ce n'est nullement le cas.
Sur des questions comme l'arrestation à titre préventif, l'investigation et l'inscription des terroristes, il incombe au gouvernement d'imposer une sorte de clause de temporarisation, car il s'agit là de pouvoirs extraordinaires qui transcendent le pouvoir de l'État et remettent en question les droits des individus et de la société civile selon des modalités qui ne peuvent se justifier à long terme.
Si l'on applique le test de la proportionnalité au projet de loi C-36 et aux dispositions antiterroristes, on obtient des résultats mitigés. Je reconnais que sur la question des arrestations à titre préventif et des investigations, des motifs suffisants doivent être démontrés et il existe des protections suffisantes pour que ces mesures extraordinaires passent avec succès le test de proportionnalité. Mais pour l'instant, évidemment, elles ne réussissent pas le test de l'expiration.
La définition du terrorisme pose le problème le plus important en ce qui concerne l'inscription des organisations terroristes. Cette inscription me pose bien des difficultés. Pour moi, le principe même d'une liste gouvernementale officielle d'organismes de la société civile constitue un très dangereux précédent, et si ce principe est retenu, il faudrait absolument l'assujettir à une clause de temporarisation. Quant à la définition du terrorisme, je dirais simplement que dans l'ensemble, elle est raisonnable dans le contexte et bien qu'elle ne soit pas satisfaisante d'un point de vue académique, elle l'est sans doute d'un point de vue juridique.
Je voudrais ajouter quelques mots concernant une disposition qui a suscité une certaine attention, celle où il est question d'activités licites de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, ou d'un arrêt de travail licite. Je ne doute pas des bonnes intentions du gouvernement à cet égard, mais on peut légitimement s'inquiéter de l'application de ces dispositions à certains comportements qui ne seraient pas terroristes mais qui ne seraient pas licites, qui relèveraient de la notion de désobéissance civile, etc. La simple suppression du mot «licite» dans cette définition atténuerait sensiblement ce problème.
Les dernières remarques d'ordre général que je voudrais faire concernent la preuve. J'en dirais deux choses. Tout d'abord, il n'y a là rien de nouveau. Je suis intervenu à maintes occasions comme témoin expert dans d'importantes affaires d'expulsion pour des raisons de sécurité et je peux témoigner du fait qu'il n'y a rien de nouveau dans ce domaine. Nous sommes en terrain connu. Pour autant que je puisse voir, le gouvernement tente en réalité de se prémunir contre l'arrêt Stinchcombe, d'empêcher l'application des principes de cet arrêt dans les affaires de sécurité. Je ne pense même pas qu'il ait été fondé d'agir ainsi, mais c'est ce qu'il a fait.
• 0955
Je voudrais vous soumettre un argument, quitte à ce qu'on en
débatte plus tard, concernant les graves problèmes auxquels
s'expose la personne qui fait l'objet de procédures d'expulsion
alors qu'on ne l'informe pas des preuves retenues contre elle, et
de la difficulté qu'aura son avocat à la défendre. Certaines
décisions rendues dans de telles conditions ont été cassées par la
Cour fédérale. Le gouvernement n'obtient pas toujours gain de
cause, mais il fait pencher fortement la balance en sa faveur au
détriment de l'individu, et cette loi n'aura nullement pour effet
de rétablir l'équilibre.
J'en viens maintenant à mon principal argument, à savoir les éléments de ce qu'on pourrait qualifier de pseudo loi sur la sécurité nationale. Comme je connais le genre de loi sur la sécurité nationale que divers organismes et ministères d'Ottawa souhaitent faire adopter depuis des années, j'ai eu l'impression, en voyant ce projet de loi, qu'on avait envoyé une circulaire dans toute la fonction publique pour demander à chacun ce qu'il souhaitait, et que toutes les réponses avaient été intégrées au projet de loi.
On y trouve en effet un certain nombre d'éléments. Le CST, le Centre de la sécurité des télécommunications, reçoit pour la première fois un mandat législatif. La Loi sur les secrets officiels est remplacée par une nouvelle loi qui est mise à jour et porte un autre nom. Enfin, on apporte de profonds changements à la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Sur le CST, disons brièvement que nous sommes nombreux à réclamer depuis un certain temps qu'il ait un mandat précis, et je suis très heureux de voir qu'on lui en donne un. Mais sur le problème particulier qui a attiré le plus d'attention, à savoir le mandat d'intercepter des communications au Canada, on peut s'interroger sérieusement sur la nature de l'autorisation et sur le contrôle auquel elle est soumise, malgré les garanties selon lesquelles l'information qui ne concerne pas le terrorisme ne sera pas conservée. Les mécanismes de reddition de comptes qui remontent à l'époque du CST sans mandat, c'est-à-dire du commissaire du CST, ne me semblent pas suffisants. Si nous voulons une nouvelle loi sur la sécurité nationale, il faut y prévoir un mécanisme efficace de surveillance et de contrôle qui couvre tout le domaine de la sécurité et du renseignement au niveau du gouvernement du Canada, et non pas certains organismes en particulier.
En ce qui concerne la modification de la Loi sur les secrets officiels, j'attire en particulier votre attention sur l'article 19 de la nouvelle loi, où il est question d'espionnage économique. Voilà un sujet controversé qui, à mon avis, mérite qu'on en débatte. Il n'a rien à voir avec le terrorisme. Il n'a aucun rapport avec le terrorisme, mais il soulève plusieurs questions, au même titre que l'ensemble de la nouvelle Loi sur les secrets officiels, qu'il convient d'étudier et de discuter. On ne peut pas y appliquer de clause de temporarisation, car ces dispositions sont conçues comme un élément durable de la structure législative du gouvernement en matière de sécurité nationale. Mais on ne pourra pas y consacrer de débat public puisque ces mesures sont imposées discrètement sous le couvert d'une loi d'urgence de lutte antiterroriste.
J'en viens maintenant à mon dernier argument qui me tient le plus à coeur, et qui concerne les modifications apportées à la Loi sur l'accès à l'information, à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la nouvelle Loi sur les renseignements personnels et les documents électroniques, en particulier l'article 87 du projet de loi, qui modifie la Loi sur l'accès à l'information de façon à en exclure tout document réputé, de l'avis du gouvernement ou du ministre, avoir un rapport avec la sécurité nationale, les relations internationales ou la défense. Cette exclusion est encore plus draconienne que celle dont font l'objet les documents confidentiels du Cabinet, car cette dernière expire au bout de 20 ans, après quoi les documents sont assujettis à la loi.
• 1000
À mon avis, rien ne justifie une telle exclusion. Le
gouvernement n'a jamais pu faire état du moindre exemple d'atteinte
à la confidentialité qui résulterait d'une tentative d'invocation
de la Loi sur l'accès à l'information. En revanche, on peut
procéder par une instance ex parte, notamment en appel, de façon
qu'il ne puisse y avoir aucune fuite d'information.
Le plus grave, c'est que si ces dispositions restent dans le projet de loi, elles vont vider la Loi sur l'accès à l'information de sa substance, et j'insiste particulièrement sur ce point. Je sais que le commissaire à l'information, qui a comparu devant vous, a dit à peu près la même chose.
C'est une question très grave. Si l'on se souvient de l'objet initial de la Loi sur l'accès à l'information, qui était d'empêcher les gouvernements de dissimuler les preuves de malversation politique, d'incompétence, de corruption ou autre, la latitude que leur laisse désormais cette loi nous réduit à espérer que les gouvernements n'abuseront pas de leur pouvoir, et c'est très grave.
En conclusion, je dirais simplement que cette démarche qui vise à intégrer dans une loi d'urgence les éléments d'une nouvelle loi sur la sécurité nationale constitue une procédure contestable. Le Parlement doit prendre son temps, porter un second regard serein sur les autres éléments, les soumettre à des opinions expertes, ce qu'ils ne peuvent faire à cause de la gravité de la crise actuelle.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Farson, vous avez la parole.
M. Stuart Farson (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.
Je voudrais remercier le comité de me permettre de m'exprimer aujourd'hui sur ce projet de loi.
Mon point de vue repose sur deux perspectives: celle d'un universitaire qui s'intéresse à ce domaine depuis une vingtaine d'années, et celle d'un homme d'expérience qui a travaillé en tant que directeur de la recherche pour le comité spécial de la Chambre des communes chargé en 1989 et 1990 de réviser la Loi sur le SCRS et la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Je pense donc avoir, grâce à cette expérience, un point de vue intéressant sur toute la question du contrôle, de la surveillance et de la reddition de comptes.
Cela étant dit, il me semble que nous avons ici un projet de loi omnibus très volumineux, que le comité doit étudier dans des délais très serrés sans avoir une idée bien précise de la nature de ce qui menace le Canada et les intérêts canadiens. Dans une telle situation, je pense que les Canadiens ont tout lieu de se préoccuper d'un projet de loi d'une telle ampleur pour deux raisons: tout d'abord, il est d'une portée excessive et deuxièmement, cette portée risque fort de s'étendre encore dans les années à venir.
Je considère que dans les circonstances actuelles, la prudence exige que le gouvernement prenne d'importantes mesures pour contrer plus énergiquement le terrorisme, mais il reste qu'on doit néanmoins répondre sans ambages par l'affirmative aux deux questions qui me préoccupent.
Si vous me le permettez, j'aimerais rappeler au comité—et je sais que M. Lee, en tout cas, s'en souvient très bien—qu'il y a environ 11 ans, à la fin de la guerre froide, le Parlement a révisé la Loi sur le SCRS et la Loi sur les infractions en matière de sécurité, sur lesquelles il a fait 117 recommandations dont le gouvernement de l'époque n'a tenu aucun compte, sauf dans trois ou quatre cas, ce qui montre bien l'importance que peut avoir l'étude d'un comité, même lorsqu'il fonctionne de façon non partisane, comme c'était manifestement le cas.
La dernière de ces recommandations concernait la création d'une loi sur la sécurité nationale qui aurait englobé non seulement la Loi sur le SCRS et la Loi sur les infractions en matière de sécurité, mais également la loi habilitante du Centre de la sécurité des télécommunications, qui aurait modifié la Loi sur la preuve au Canada et qui aurait opéré une refonte complète de la Loi sur les secrets officiels.
J'affirme, comme M. Whitaker, que ce projet de loi C-36 est une nouvelle version ou un prolongement de la Loi sur la sécurité nationale, qui ne comprend pas la Loi sur le SCRS ni la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Et c'est une mesure législative dont les Canadiens vont devoir s'accommoder pendant plusieurs décennies.
• 1005
Si tel est le cas, je considère que le comité devrait au moins
se poser trois Questions: quelles en seront les conséquences à long
terme? Est-ce que la loi prévoit un mécanisme d'examen, de
surveillance et de reddition de comptes? Et, enfin, le projet de
loi comporte-t-il des omissions importantes? À cette dernière
question, je répondrai par l'affirmative.
En ce qui concerne les détails du projet de loi dont le comité devrait s'occuper et qu'il devrait étudier avec attention, je voudrais signaler, comme d'autres l'ont déjà fait, les thèmes de l'arrestation à titre préventif et de l'audience d'enquête qui bousculent l'image que se font les Canadiens du droit pénal. De ce point de vue, il faudrait non seulement une clause de temporarisation, mais si la loi est reconduite, il faudrait que cette clause de temporarisation s'applique de façon régulière.
En ce qui concerne la définition d'une activité terroriste et d'un groupe terroriste, je crains particulièrement—et je crois qu'on vous l'a déjà dit—la possibilité que la contestation de certaines réunions politiques tombe sous le coup de la loi. J'aimerais que l'on en précise les dispositions pour que, par exemple, ceux qui participent à une manifestation antimondialisation puissent le faire sans être qualifiés de terroristes.
Comme vous l'a dit M. Whitaker, le comité devrait se préoccuper de la question des preuves secrètes. Je propose simplement au comité de veiller soigneusement à ce que les personnes auxquelles l'État s'intéresse bénéficient de protections suffisantes et soient à l'abri des abus.
Je voudrais également me joindre à ceux qui dénoncent les changements apportés à Loi sur l'accès à l'information. Je trouve que la formulation du projet de loi est très inquiétante. Sa portée est trop générale. Tout cela me semble inutile. À mon avis, le gouvernement dispose déjà des pouvoirs nécessaires pour exclure certains renseignements de l'application de la loi. Je ne vois pas la nécessité des nouvelles dispositions et je vous invite à recommander leur suppression.
En ce qui concerne l'interception de communications privées par le Centre de la sécurité des télécommunications, je ne sais pas si le comité a reçu un exemplaire de mon mémoire, mais c'est un sujet dont je parle en détail. Je dirai simplement qu'il s'agit de savoir si le CST devrait être obligé d'obtenir un mandat lorsqu'il envisage d'inclure des Canadiens à ses activités d'interception.
Je terminerai mon exposé en évoquant les questions de contrôle, de surveillance et de reddition de comptes. Est-ce que celles-ci font l'objet d'un régime approprié dans nos projets de loi? Le contrôle, la surveillance et la reddition de comptes ne sont pas des notions interchangeables dans le régime canadien. Ils sont confiés à trois institutions différentes.
Le contrôle est essentiellement confié à des organismes indépendants comme le CSARS ou le commissaire du CST. Selon le principe de la reddition de comptes, les ministres responsables doivent rendre des comptes à la Chambre des communes. Nous sommes censés avoir—et je pense que c'est là une des faiblesses actuelles du système—un mécanisme de surveillance qui donne véritablement un pouvoir de contrôle à la branche législative et grâce auquel les ministres sont obligés de rendre des comptes au Parlement.
Je considère également que la surveillance n'est pas simplement une question de conformité. Si l'on s'imagine qu'il s'agit simplement de conformité, on ne voit que la moitié du problème. Il s'agit également de savoir si les institutions sont efficaces et efficientes, et si elles ont la capacité d'accomplir les tâches que les Canadiens leur assignent.
L'article 145 du projet de loi C-36 exige que les dispositions l'application de loi fassent l'objet d'un examen dans un délai de trois ans. Cet examen peut être entrepris par le Sénat, par la Chambre des communes ou par un comité mixte. J'estime qu'un comité qui serait constitué conformément à la loi serait dans l'impossibilité de faire son travail à moins que vous et les autres parlementaires prenez des mesures pour que certaines choses se produisent au préalable.
• 1010
Il faudrait mettre en place une structure qui vous permette
d'assermenter le membres du comité, de vérifier la cote de sécurité
du personnel du comité et de travailler en toute sécurité lorsque
vous étudiez des documents secrets, notamment en siégeant à huis
clos. De telles mesures devraient figurer dans la loi. À défaut,
vous risquez de vous heurter aux difficultés qu'a connues le comité
spécial en 1989. Il s'est fait dire: «Désolé, vous ne pouvez pas
voir ce document» ou «on ne peut pas vous le dire pour des raisons
de sécurité nationale». Je crois que le comité a déjà reçu ce genre
de réponse d'un ministre.
Voilà certains problèmes particuliers que posent les mécanismes de révision prévus dans la loi. Tout d'abord, la nomination du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications est facultative, et non obligatoire. Je pense qu'il faudrait constituer un bureau du commissaire.
Je signale également que la nomination de juges surnuméraires risque de poser des problèmes au Parlement. Je vous rappelle encore une fois l'expérience du comité spécial, qui a entrepris de déterminer s'il pouvait examiner les affaires de la Cour fédérale. Le Parlement a considéré qu'il ne pouvait pas l'accepter, car il craignait de porter atteinte à la séparation du législatif et du judiciaire. Je vous le signale.
Je vous signale aussi que certains éléments font défaut dans le projet de loi. Il n'y est pas question du renseignement recueilli à l'étranger ni des évaluations du renseignement d'origine étrangère, alors qu'il aurait fallu y faire référence. Quant à la surveillance du Parlement avant le contrôle, elle devrait être prévue dans le projet de loi. Comme l'ont dit les sénateurs, il faudrait qu'un fonctionnaire ou un comité du Parlement puisse considérer les éléments du projet de loi auxquels les Canadiens veulent appliquer une clause de temporarisation.
Enfin et surtout, il faudrait y inclure—puisque cette loi va s'appliquer pendant plusieurs décennies—une disposition indiquant que la surveillance du Parlement se poursuivra au-delà de la période de trois ans. Autrement dit, le Parlement devrait examiner régulièrement non seulement cette loi, mais l'ensemble des paramètres du domaine de la sécurité et du renseignement.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à Mme Buckingham et à M. Clemenger, pour dix minutes.
M. Bruce Clemenger (directeur, Centre for Faith and Public Life, Alliance évangélique du Canada): Nous tenons à remercier le comité de nous avoir invités aujourd'hui.
Nous sommes bien conscients de la nécessité, pour le Canada, de se conformer à ses obligations internationales en matière de terrorisme. Considérant que les gouvernements sont constitués pour faire le bien, pour rechercher la justice, pour punir les malfrats et pour défendre les plus vulnérables, nous sommes en principe favorables à des lois justes qui assurent la paix, l'ordre et le bon gouvernement.
Le gouvernement et le comité ont pour difficile mission d'adopter des mesures législatives qui feront échec à l'activité terroriste et qui vont renforcer la sécurité des Canadiens. Dans cet exercice, le gouvernement doit parvenir à un équilibre entre nos libertés fondamentales et nos principes de justice, d'une part, et d'autre part, les limites imposées à ces mêmes libertés aux fins de notre sécurité collective et de la protection des innocents. Nous prions pour que Dieu accorde la sagesse à chacun d'entre vous.
L'Alliance évangélique du Canada est une association nationale d'églises et d'organismes évangéliques. Nos membres comprennent des églises et des organismes de secours et de développement qui s'occupent d'oeuvres religieuses et humanitaires dans le monde entier.
Ce matin, nous tenterons d'analyser le projet de loi du point de vue des organismes de bienfaisance enregistrés qui font de l'action humanitaire internationale. Plusieurs autres aspects du projet de loi nous préoccupent, mais la plupart d'entre eux ont déjà été évoqués par d'autres témoins.
Mme Janet Epp Buckhingham (conseillère juridique, Alliance évangélique du Canada): Je sais que vous avez déjà entendu de vigoureuses critiques concernant ce projet de loi, et je vais poursuivre un peu dans la même veine, car il a pour les organismes de bienfaisance enregistrés des conséquences extrêmement sérieuses. Du point de vue d'un organisme de bienfaisance qui travaille au niveau international, je vous demande d'envisager le scénario suivant.
• 1015
Imaginez une situation dans laquelle un juge ne peut imposer
que deux peines, soit la mort par la chaise électrique ou la mort
par pendaison. Dans le projet de loi C-36, partie 6, la perte de
l'enregistrement pour un organisme de bienfaisance équivaut à la
mort par la chaise électrique, tandis que les sanctions pénales
équivalent pour lui à la mort par pendaison
Deuxièmement, imaginez une situation dans laquelle les infractions sont peu nombreuses, mais définies de façon très large. Ces infractions comprennent à peu près tout, du financement à la facilitation en passant par l'association avec un groupe terroriste. La facilitation est définie de façon si vague que l'intention criminelle n'est pas nécessaire. Quant au terrorisme, il englobe à peu près tout, de la désobéissance civile non violente au meurtre de victimes innocentes. Néanmoins, pour un organisme de bienfaisance, il n'existe que deux pénalités, soit la mort par la chaise électrique ou la mort par pendaison.
Troisièmement, imaginez une situation dans laquelle il n'y a pas vraiment de procès avant l'imposition de la sentence. C'est la situation dans laquelle pourrait se retrouver un organisme de bienfaisance si la preuve est considérée comme étant de la nature d'un secret d'État.
Nous craignons que même si les organismes de bienfaisance chrétiens qui oeuvrent à l'étranger ne sont pas exposés à ces sanctions ultimes—c'est-à-dire la mort de l'organisme de charité—, leurs activités à l'étranger ne s'en trouvent sérieusement ralenties. Mais, me direz-vous, de telles oeuvres à l'étranger est-il ici question?
M. Bruce Clemenger: Il y a plusieurs années, j'ai visité un camp de réfugiés du HCR en Thaïlande, près de la frontière du Cambodge—ou du Kampuchea, comme on disait à l'époque—et dans lequel se trouvaient 30 000 réfugiés khmers rouges dont certains effectuaient parfois des raids au Cambodge. L'ONU avait confié par contrat à deux organismes, dont un religieux, la tâche de fournir une aide médicale et alimentaire aux réfugiés.
Voici une autre situation. Un organisme chrétien de bienfaisance assure des soins médicaux et dentaires et fournit une aide humanitaire dans un village éloigné d'Amérique centrale, situé dans une région contrôlée par des milices rebelles. Les cliniques fonctionnent avec l'autorisation des milices, dont les membres se prévalent périodiquement des services médicaux et dentaires ou de l'aide alimentaire proposés aux habitants de la région.
Aucun de ces cas ne correspond à la définition de conflit armé. Compte tenu des définitions très vastes du projet de loi, l'aide humanitaire peut être considérée comme une participation ou une contribution au terrorisme, notamment aux termes du nouvel article 83.18 du Code criminel. Les définitions d'activité terroriste, de groupe terroriste et de facilitation sont importantes car dans ce projet de loi, la facilitation constitue une nouvelle infraction criminelle.
Nous considérons que la portée de ces dispositions est trop vaste et que celles-ci risquent d'englober des activités légitimes de protestation ou de dissidence. Les chrétiens soumis à des régimes répressifs peuvent participer à des actes collectifs de protestation ou de dissidence qui sont considérés comme illégaux dans les pays en question. Nous craignons que des chrétiens du Canada qui s'associent à des églises et des organisations chrétiennes étrangères—et c'est aussi vrai pour des mouvements musulmans, sikh ou autres—puissent se faire reprocher de faciliter le terrorisme, selon les définitions du projet de loi C-36.
Mme Janet Epp Buckingham: Pour être plus précis, j'aimerais vous indiquer diverses préoccupations et recommandations que nous inspire le projet de loi C-36.
Tout d'abord, la définition de l'activité terroriste comporte l'exigence d'une motivation de nature politique, religieuse ou idéologique. Nous demandons la suppression de la référence à la motivation, car nous estimons que le terrorisme doit être considéré en tant que tel, non pas en fonction d'une motivation.
Deuxièmement, la définition de l'activité terroriste risque d'englober la désobéissance civile, notamment l'interruption d'un service essentiel, comme le réseau routier ou les hôpitaux. Bien que le projet de loi comporte une exemption pour les activités licites de revendication ou de manifestation d'un désaccord face à des régimes répressifs qui ne respectent pas les droits de la personne, la dissidence licite n'est pas autorisée. Si des chrétiens organisent une manifestation, celle-ci peut être jugée illégale.
Nous demandons la suppression de cette partie de la définition. Ainsi, l'activité terroriste serait définie comme étant une activité violente ou comportant une menace de violence.
Troisièmement, la définition du groupe terroriste comprend les entités inscrites, dont vous avez beaucoup entendu parler, qui sont désignées par le gouvernement, ainsi que les organismes qui se livrent à des activités terroristes ou qui les facilitent. À l'alinéa 83.05(1)a), on peut se demander qui peut être considéré comme une entité terroriste; un organisme canadien pourrait s'exposer à des sanctions même s'il n'est pas considéré dans l'immédiat comme une entité terroriste. Il faudrait donner dans la loi une définition commune utilisable au plan internationale et comportant une procédure qui permette aux autorités canadiennes de vérifier les accusations et de garantir le respect de la procédure aux groupes inscrits sur la liste.
• 1020
Quatrièmement, la définition de facilitation du terrorisme
comprend toute forme d'aide, même si l'intéressé ne sait pas que
l'organisme qu'il aide envisage une activité terroriste, que
l'activité soit réalisée ou non. Il faudrait que la facilitation
soit obligatoirement intentionnelle et que l'intéressé ait
préalablement connaissance de la situation.
Tous ces points sont liés à l'article sur les définitions et il est évident que c'est un élément clé parce qu'énormément de choses en découlent.
La deuxième chose qui nous préoccupe c'est la participation ou la contribution à une activité d'un groupe terroriste. C'est une nouvelle infraction criminelle. La définition de participation ou contribution à une activité d'un groupe terroriste est très vague. Il s'agit essentiellement du projet d'alinéa 83.18(3)d). Je cite:
-
du fait d'entrer ou de demeurer dans un pays au profit ou sous la
direction d'un groupe terroriste, ou en association avec lui;
Il y a d'autres articles qui portent également là-dessus. Nous craignons ainsi qu'une assistance humanitaire légitime soit considérée comme un acte criminel aux termes de ce projet de loi. Je vous renvoie aux exemples qu'a donnés Bruce tout à l'heure.
Nous demandons que ces articles et d'autres qui peuvent avoir une incidence sur des activités de bienfaisance légitimes soient supprimés ou modifiés afin qu'il soit clair qu'une telle assistance de bienfaisance ou humanitaire n'est pas incluse dans la définition de «la participation ou la contribution à une activité d'un groupe terroriste».
Un autre article qui nous inquiète est celui qui permet au gouvernement fédéral d'intercepter des communications entre des Canadiens et des étrangers. Nous craignons que cela ait un effet négatif sur les communications confidentielles entre missionnaires travaillant dans des situations délicates et leur maison mère. Nous demandons que ce genre d'interception fasse l'objet d'un mandat donné par le gouvernement canadien pour la justifier.
Ensuite, il y a évidemment la partie 6 du projet de loi C-36, qui est une loi entièrement distincte dans le cadre de ce projet de loi... Nous nous inquiétons des dispositions qui permettront au gouvernement canadien d'émettre un certificat qui empêchera un organisme de bienfaisance d'être enregistré comme tel pendant une période de sept ans. Étant donné les définitions assez floues qui sont données, beaucoup d'organismes de bienfaisance risquent de faire l'objet d'un tel certificat.
Il n'y a pas suffisamment de recours possibles ni de moyens de se défendre si l'on vous émet un tel certificat. Beaucoup des éléments de preuve seront supprimés au nom de la sécurité nationale. Cela ne laisse pas tellement de moyens de défense à ces organismes. D'autre part, il n'est pas prévu de procédure d'appel ou de révision. Nous nous associons à l'ABC pour recommander que la partie 6 du projet de loi C-36 soit supprimée.
M. Bruce Clemenger: En conclusion, nous craignons que la portée et le flou de ces définitions de «terrorisme», «groupe terroriste» et «facilitation d'une activité terroriste» empêcher ont certaines organisations d'apporter une assistance humanitaire internationale. Ce projet de loi a une portée très large: il s'applique à des particuliers, à des groupes, à des gouvernements au Canada et à l'extérieur du pays. Il va au-delà des conventions internationales et inclut des activités interprétées au niveau des intérêts économiques, des relations internationales ou de ce qui touche à la sécurité d'un individu.
Les organisations chrétiennes sont prêtes à rendre publiquement des comptes; c'est d'ailleurs ce que devraient faire tous les organismes de bienfaisance. Toutefois, le projet de loi C-36 crée une situation dans laquelle on ne sait pas très bien si l'on agit selon la loi. Ainsi les organisations religieuses qui financent des travaux à l'étranger se trouvent-elles dans une situation intenable. Elles essaient d'aider, souvent dans des situations de conflit important, ceux qui sont le plus dans le besoin mais elles ne sauront jamais si elles agissent légalement ou non.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant donner sept minutes à M. Toews.
M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci beaucoup.
Je vous remercie tous de vos exposés très intéressants. Je les ai tous trouvés très équilibrés et éclairés.
On nous a dit aujourd'hui—cela confirme beaucoup de ce que nous avons déjà entendu—que toute cette loi doit être débattue et qu'il est très difficile de le faire dans le contexte de ce projet de loi omnibus. Il y a des éléments de ce projet de loi qui n'ont en effet rien à voir avec le terrorisme. C'est un ensemble de mesures législatives que souhaitaient les ministères et je trouve cela un peu inquiétant.
• 1025
Le Parlement a de toute évidence besoin de temps. Toutefois,
le gouvernement savait qu'il devait agir rapidement dans ce domaine
depuis 1995 et n'a rien fait à propos de conventions concernant la
suppression du terrorisme ou du financement d'activités
terroristes. C'est la raison pour laquelle le gouvernement est
maintenant tenu d'agir promptement dans le contexte de la situation
internationale et des problèmes de sécurité.
Je comprends qu'il faille agir mais il faut que nous nous assurions que l'objectif du gouvernement est vraiment de s'attaquer au problème du terrorisme. Nous devons pour cela prévoir un processus d'examen permanent qui permette au gouvernement de rendre des comptes à la population.
Des experts nous ont dit que nous ne nous trouvons pas dans une situation exceptionnelle. Qu'en fait, le 11 septembre est l'aboutissement de nombreuses années, voire décennies. La réaction d'un pays libre et démocratique—et de tous les pays libres et démocratiques—s'étendra sur de nombreuses années et ne doit pas se limiter à une situation d'urgence. Je crois que l'expert britannique en matière de terrorisme, M. Wilkinson, nous a dit que cela prendrait des décennies.
Les forces de police et de sécurité s'inquiètent de la clause de temporarisation parce qu'elles doivent canaliser leurs maigres ressources pour s'attaquer au problème. S'il doit y avoir une telle clause dans trois ans, elles risquent d'hésiter à entreprendre des activités à long terme qui pourraient finalement mener à suspendre l'enquête et à perdre tout le bénéfice des ressources qu'elles ont affectées à celle-ci.
Nous parlementaires, voulons nous assurer que des mesures de sécurité appropriées seront prises. Beaucoup de parlementaires ont préconisé une clause de temporarisation parce qu'ils craignent que le système de révision ne donne pas les garanties voulues. Nous avons vu ce que donnent les révisions et dates limites. Pas grand-chose. Alors comment concilier les exigences de part et d'autre, celles du gouvernement pour qu'il puisse entreprendre une action rapide et à long terme face au terrorisme, et celles dont nous devons tenir compte en réaction aux préoccupations très légitimes que vous avez soulevées aujourd'hui?
Il est évident qu'il faut que la loi prévoie un examen efficace et obligatoire régulier de ces dispositions, le dépôt périodique de rapports, tous les trois, six mois, un examen mené par un organe indépendant. J'approuve les recommandations du Sénat à cet égard.
Toutefois, si le gouvernement choisit de renoncer à la clause de temporarisation, existe-t-il une autre solution—un examen de la loi qui serait efficace si en était saisi non pas un comité comme celui-ci, où les ministres et députés pourraient enterrer la chose, comme cela s'est déjà fait dans d'autres situations, mais directement le Parlement qui serait appelé à en débattre et à décider? Je me demande si l'on ne pourrait pas trouver un compromis qui permettrait de satisfaire tout le monde.
M. Warren Allmand: Pour ce qui est de la suggestion du Sénat au sujet d'un haut fonctionnaire du Parlement, je pense à un genre d'ombudsman qui serait responsable non pas devant le gouvernement mais devant le Parlement—comme le vérificateur général ou le commissaire aux langues officielles—qui suivrait cela et présenterait un rapport régulièrement, au moins une fois par an, sur la façon dont est appliquée la loi. Il est évident que ce haut fonctionnaire aurait besoin de personnel pour ce faire.
Ainsi, tout comme cela se passe pour le vérificateur général ou pour le commissaire aux langues officielles, ou encore pour l'enquêteur correctionnel, qui a déposé un rapport la semaine dernière, quelqu'un fait l'enquête, surveille et présente un rapport. Ce n'est pas fait de façon partisane mais par un haut fonctionnaire, responsable devant le Parlement et non pas le gouvernement, comme le vérificateur général.
• 1030
Je pense que ce serait une bonne façon de régler le problème.
M. Vic Toews: Est-ce que ce serait une solution satisfaisante qui pourrait remplacer une clause de temporarisation? J'essaie d'examiner ces possibilités.
M. Warren Allmand: J'aimerais que l'on envisage les deux.
Le président: Monsieur Whitaker, allez-y.
M. Reg Whitaker: Vous avez soulevé là des questions importantes et je pense qu'il faut comprendre ce que l'on entend par clause de temporarisation.
Tout d'abord, il ne peut s'agir d'une clause de temporarisation visant l'ensemble du projet de loi C-36. Toutefois, je pense que l'on pourrait en envisager une pour certains articles qui représentent un revirement important dans l'équilibre entre les droits individuels et les pouvoirs du gouvernement. Je pense particulièrement à l'audience d'enquête, à l'arrestation à titre préventif et à la liste des terroristes.
M. Vic Toews: Et que faites-vous de la question du commissaire à l'information qui me semble fondamentale dans une société démocratique? La responsabilité ministérielle et l'information du Parlement me semblent fondamentales.
M. Reg Whitaker: Oui, certainement. Je crois que c'est encore plus évident dans ce cas. Ces articles devraient être complètement supprimés. Une clause de temporarisation serait une solution s'ils ne sont pas supprimés car ils peuvent être considérés comme des mesures d'urgence et non pas comme quelque chose de permanent.
Une chose à propos de la temporarisation c'est que ce qui est important, c'est l'aspect symbolique. Cela dit simplement que le Parlement n'accepte pas la notion que notre société sera changée de façon permanente à cause de la menace de terrorisme, que nous n'allons pas assurer ce genre de victoire aux terroristes, que nous ne sommes pas prêts à changer de façon permanente notre façon de faire les choses et que notre société refuse de devenir moins libre à la longue simplement parce qu'ils nous ont infligé ce genre de menace.
Par contre, pour ce qui est de l'examen, c'est tout à fait ce que j'essayais de dire. Dans la mesure où il s'agit d'une loi sur la sécurité nationale, comme la Loi sur le SCRS et quelques autres lois que nous avons déjà, ce qui est vraiment important c'est d'avoir un pouvoir d'examen et l'obligation de rendre des comptes, et cela s'appliquerait à l'ensemble, et pas seulement à certaines institutions ou agences particulières.
On pourrait peut-être envisager d'élargir les responsabilités du CSARS, de lui donner la responsabilité de tout ce domaine, en même temps qu'un comité parlementaire—ce qui ne se faisait pas par le passé et qui n'a jamais été un partenariat efficace mais qui pourrait le devenir.
M. Stuart Farson: Je pense qu'une clause de temporarisation ne pourrait s'appliquer qu'aux aspects du projet de loi C-36 qui modifient radicalement notre concept du droit pénal. Pour moi, les problèmes sont les arrestations à titre préventif et les audiences d'enquête et je n'accepte pas ce que disent les responsables de la police et des services de renseignement, à savoir que cela risquerait de limiter leurs activités d'enquête. La temporarisation est essentielle dans ce cas et je suis tout à fait d'accord avec le professeur Whitaker à ce sujet.
Le président: Monsieur Bellehumeur, sept minutes.
[Français]
M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Je voudrais d'abord vous remercier de vos remarques. Depuis le début, tout comme vous, monsieur Allmand, je pense qu'il faut s'attarder aux deux aspects. Il y a la question de la révision et il faut peut-être se pencher sur la mécanique, comme dans le cas du Sénat. Il faut des pouvoirs de révision et des pouvoirs de faire enquête. L'organisme ne doit pas être lié au gouvernement. Il faut vraiment qu'il soit indépendant, et qu'il y ait une clause crépusculaire.
J'aimerais faire écho à un témoignage qui a été entendu à deux ou trois reprises. Il est vrai qu'on a consacré beaucoup de temps à la clause crépusculaire. Il est vrai qu'on a passé beaucoup trop de temps sur ce sujet, mais il faut comprendre qu'on partait de très, très loin. En effet, la ministre de la Justice disait, au tout début, qu'il n'en fallait pas. Le seul outil que nous avions pour faire entendre raison à la ministre était de faire répéter cette opinion par les témoins.
• 1035
Il semble que la ministre ait compris le message. On
pourra s'en assurer mardi, le 20, lorsqu'elle
viendra témoigner.
Plus j'entends les témoins, plus je me demande si nous ne faisons pas fausse route, si notre approche ne constitue pas une erreur. Je m'explique. Le Code criminel du Canada contient des dispositions qui auraient dû être bien appliquées. Il aurait fallu investir correctement dans leur mise en oeuvre. Nous possédons déjà des outils pour lutter contre le terrorisme ou des gestes semblables. On ne l'a pas fait par le passé et maintenant, pour des raisons d'urgence—je ne veux pas sous-estimer ce qui s'est passé le 11 septembre, c'était terrible—, on utilise cet événement pour passer à toute vitesse une loi qu'il faudrait prendre le temps de travailler pour ne pas faire d'erreurs, comme je pense que l'on s'apprête à en faire.
Plus j'entends de témoins et plus je constate qu'il y a toujours une partie de la loi qui fait problème. Ce n'est jamais la même d'un témoin à l'autre. Cela varie selon leur spécialisation ou leur champ d'intérêt. Sans aller jusqu'à dire que la loi est mal faite, on voit qu'elle a été rédigée très rapidement, et que l'étude qui en est faite est aussi très rapide.
Il y a eu un signal d'alarme en 1995 et le gouvernement n'a pas semblé vouloir agir. On sait fort bien, depuis bien des années, que les douanes et la frontière sont une véritable passoire. On sait qu'au Canada, on blanchissait beaucoup d'argent et on sait que le Canada a signé des conventions internationales qu'il n'a pas cru bon de mettre en vigueur. On veut donc rattraper le temps perdu et le faire très rapidement.
Je me demande aujourd'hui si nous ne faisons pas erreur et si le comité ne devrait pas plutôt rédiger un rapport semblable à celui du Sénat, en émettant des recommandations générales, plutôt que d'adopter le projet de loi, article par article. Ne faudrait-il pas faire rapport à la ministre de la Justice pour qu'elle et ses spécialistes reformulent un autre projet de loi qu'elle représenterait au comité qui l'étudierait de nouveau afin d'être sûr de ne pas faire d'erreur. Même si on y inclut une clause crépusculaire de trois ans ou de cinq ans, pendant ces années, ces erreurs seront en vigueur.
Pendant ces trois années, il se commettra des erreurs. Beaucoup de gens nous ont parlé des années 70 et je peux, étant Québécois, vous en parler aussi. On peut aussi commettre des erreurs face aux réfugiés ou aux organismes de charité qui seront inscrits sur la liste. M. Allmand, votre organisation figurait sur la liste des terroristes avant l'adoption de cette loi. Si elle est adoptée, on fera cela en cachette. Qui retrouvera-t-on sur cette liste? Peut-être le Bloc québécois, éventuellement.
Ne sommes-nous pas en train de faire erreur et ne devrait-on pas plutôt prendre le temps et donner des indications générales à la ministre pour qu'elle retourne faire ses devoirs? Elle subira peut-être moins de pression qu'elle n'en a ressenti depuis le 11 septembre, et elle pourra revenir avec un projet de loi qui sera plus conforme à notre Code criminel et plus compatible avec nos institutions et notre savoir-faire, qui est différent de celui des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. Cela sera ma seule et unique question, mais je pense qu'elle est d'une grande importance.
[Traduction]
Le président: Excusez-moi, on nous demande d'aller voter. Normalement, je pense qu'il s'agit d'une question de procédure et que le timbre devrait retentir pendant une demi-heure, mais on essaie de réunir tout le monde pour voir si l'on ne pourrait pas accélérer les choses. Donc...
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Puis-je terminer mon intervention? [Note de la rédaction: inaudible] ...une demi heure. On pourrait peut-être laisser les témoins répondre à cette question et partir ensuite.
[Traduction]
Le président: D'accord, nous allons continuer et voir si on peut obtenir des éclaircissements. Allez-y, monsieur Allmand.
M. Warren Allmand: Il est évident que le comité peut faire ce qu'il veut. S'il a la volonté politique de le faire, il peut présenter plusieurs rapports. Vous pouvez présenter un rapport provisoire comme l'a fait le Sénat, adopter un certain nombre d'articles du projet de loi et demander que les autres soient débattus plus longuement. Je vous réponds donc que c'est en effet possible.
• 1040
J'ai personnellement essayé d'analyser ce projet de loi. J'ai
analysé beaucoup d'autres projets de loi en tant que député,
qu'avocat et que ministre et je me trouvais là sur une grande table
avec 17 lois et 11 conventions internationales à essayer de voir où
s'appliquaient les articles du projet de loi. Il faudrait un an
pour comprendre exactement tout... Il faut tout relire de
nombreuses fois avant de saisir toutes les ramifications. C'est une
tâche très ardue que l'on vous a demandé d'accomplir en très peu de
temps. Je dirais que certains des éléments du projet de loi
nécessiteraient beaucoup plus de temps.
Le président: Monsieur Farson, vous avez la parole.
M. Stuart Farson: Le projet de loi contient des dispositions qui, si elles étaient adoptées sous leur forme actuelle, me seraient totalement inacceptables. Le mécanisme de surveillance et de reddition de comptes qui est prévu ne me satisfait pas. Je suis cependant favorable à l'adoption d'une loi nationale sur la sécurité. Comme d'autres témoins, je pense cependant que le projet de loi mérite d'être étudié plus à fond.
L'idée de M. Allmand est peut-être bonne, à savoir que le comité recommande l'adoption de certaines parties du projet de loi et propose au gouvernement de confier à un sous-comité de votre comité le mandat d'étudier plus à fond les parties qui font problème.
Le président: Monsieur Blaikie, vous avez sept minutes.
M. Bill Blaikie: Monsieur le président, c'est apparemment l'Alliance qui veut faire des siennes.
Une voix: On nous attribue tous les torts. Nous voulons simplement obliger le gouvernement à rendre des comptes à la population.
M. Bill Blaikie: J'aimerais aborder deux ou trois points, monsieur le président. J'aimerais d'abord faire remarquer que tant M. Allmand que l'Alliance évangélique ont souligné, à l'instar d'autres témoins, que des organismes canadiens pourraient faire l'objet d'accusations criminelles parce qu'ils soutiennent des organismes étrangers qui s'opposent par divers moyens à des régimes dictatoriaux ou qui luttent contre l'oppression sous une forme ou une autre.
Je pourrais donner en exemple le cas, que connaissent sans doute les représentants de l'Alliance, des églises chrétiennes qui viennent en aide à des habitants du Soudan qui sont terrorisés par leur gouvernement. Si l'église entretient des liens avec des gens du sud du Soudan qui sont considérés comme des terroristes par leur gouvernement, lequel est celui qui s'adonne véritablement au terrorisme avec l'appui financier des pétrolières canadiennes... Voilà un autre exemple des problèmes que peut poser ce projet de loi.
Vous voudrez peut-être nous donner votre avis sur le cas que je viens de donner en exemple. J'aimerais cependant accorder le temps qu'il me reste à M. Allmand qui a dit ne pas avoir eu suffisamment de temps pour dire tout ce qu'il voulait dire. Le gouvernement allègue que certaines parties du projet de loi sont nécessaires pour permettre au Canada de respecter les engagements qu'il a pris à l'ONU. Nous ratifions donc et mettons en oeuvre certains de ces protocoles, mais si j'ai bien compris M. Allmand, certains aspects du projet de loi seraient en fait contraires à certains protocoles auxquels nous avons souscrit.
Pourriez-vous donc nous dire ce que vous en pensez. J'invite aussi l'Alliance évangélique à dire quelques mots au sujet de la situation au Soudan.
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Allmand, vous avez la parole.
M. Warren Allmand: Comme je le faisais remarquer, il n'est possible de déroger au Pacte international relatif aux droits civils et politiques que dans certaines circonstances très limitées qui sont précisées à l'article 4. À mon sens, le projet de loi C-36 constitue une dérogation à ce pacte international.
Je ne pense pas que jusqu'ici les circonstances justifiant une dérogation au pacte international en vertu de cet article s'appliquent. Aux termes de cet article, un gouvernement doit avoir déclaré l'état d'urgence, doit avoir avisé du fait qu'il compte déroger au protocole les parties signataires au sein du pays, les autres États signataires, ainsi que le secrétaire général des Nations Unies. Le gouvernement visé doit aussi limiter très rigoureusement les cas où il peut y avoir dérogation au protocole.
• 1045
Il appartient au comité de demander à ses attachés de
recherche d'étudier la question. Je ne sais pas si la question a
déjà été soulevée. Le Canada a ratifié un protocole international
très important qui est considéré comme le fondement de la
démocratie dans beaucoup de pays du monde, et si nous ne nous
conformons même pas nous-mêmes aux normes qu'il contient en ce qui
touche les droits de la personne, comment pouvons-nous nous
attendre à ce que d'autres pays le fassent?
À mon sens, le projet de loi porte atteinte aux articles 14, 9, 17 et 19 du protocole qui portent sur la liberté d'expression et la liberté d'information. Tant M. Whitaker que M. Farson ont mentionné comment le projet de loi porte atteinte à l'accès à l'information, et le protocole international comporte des dispositions portant exactement sur cette question, soit l'article 14 en particulier.
À mon avis, le projet de loi déroge à certains égards au protocole et si nous prenons vraiment au sérieux les instruments internationaux visant à protéger les droits de la personne—ce que le Canada a toujours dit faire—, nous devons dans ce cas respecter les obligations qui en découlent. J'invite encore le comité à examiner cette question puisque je n'ai pas pu moi-même terminer mes recherches, mais je suis convaincu que nous ne respectons par l'article 4 du protocole qui porte sur les circonstances dans lesquelles on peut y déroger.
M. Cotler pourrait aussi vous renseigner sur la question.
Le président: L'attaché de recherche suivra dans ce cas-ci aussi vos conseils.
J'accorde la parole à l'Alliance évangélique.
Mme Janet Epp Buckingham: Je vous remercie d'avoir soulevé le cas du Soudan. Plusieurs organismes qui appartiennent à notre mouvement nous ont exprimé leurs inquiétudes à ce sujet.
Cette inquiétude est double et le Soudan n'est qu'un des exemples qu'on pourrait fournir. En Indonésie, au Vietnam et dans bon nombre d'autres régions du monde, les organismes humanitaires ne peuvent intervenir auprès de la population qu'avec l'accord d'un organisme qui peut être considéré comme un organisme terroriste. Ceux qui dispensent de l'aide humanitaire dans le sud du Soudan doivent certainement signer un protocole d'entente avec le SPLA, l'Armée de libération du peuple soudanais.
Le cas du sud du Soudan serait difficile à trancher en vertu du projet de loi parce qu'on peut dire qu'il y a conflit armé dans cette région du monde. Dans d'autres régions du monde, cependant, on ne peut pas soutenir qu'il y a conflit armé. Le problème qui se pose, c'est de savoir la portée exacte du projet de loi.
Un autre problème que soulève le projet de loi, c'est que l'information qui est accordée au gouvernement par des États étrangers doit demeurer secrète. Si le gouvernement canadien reçoit de l'information du gouvernement soudanais et qu'il se fonde sur cette information pour décréter qu'un organisme de bienfaisance est un organisme terroriste, il est fort probable que cette information soit mise en doute par de nombreux organismes qui sont sur le terrain. Or, si le gouvernement invoque l'argument de la sécurité nationale, on ne saura jamais sur quoi reposait la décision du gouvernement. On ne pourra jamais contester la véracité de l'information qui a été transmise.
Des organismes humanitaires fort louables risquent d'être visés par le projet de loi, et la décision de les considérer comme des organismes terroristes risque de reposer sur de l'information peu crédible. La situation sera empirée du fait que le Soudan est l'un de nos alliés dans la guerre contre le terrorisme et qu'il faudra peut-être pour cela être prêt à faire certaines concessions politiques. Ce qui préoccupe beaucoup les organismes humanitaires sur le terrain est que l'aide humanitaire deviendra une monnaie d'échange dans le processus des relations internationales.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Whitaker, vous avez la parole.
M. Reg Whitaker: J'attire votre attention sur un autre élément du casse-tête. Je songe à la disposition où il est question de mesures pouvant faciliter des actes terroristes. Une personne ou un groupe pourrait être accusé de faciliter des actes terroristes sans qu'il le fasse de façon délibérée.
Je vous signale que l'aide humanitaire et l'aide au développement ont parfois été dirigées vers certaines régions du monde par l'intermédiaire de certains groupes politiques. Je songe en particulier au cas de groupes palestiniens. Or, certains de ces groupes ont parfois eu recours à la violence et le gouvernement du Canada a lui-même aidé l'OLP à construire des écoles et des hôpitaux, par exemple. Nous craignons vraiment que certaines dispositions du projet de loi fassent des criminels de gens qui pouvaient, sans le savoir, être liés à un organisme considéré comme étant terroriste.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur MacKay, je vous accorde quelques minutes. Vous aurez aussi l'occasion de poser des questions au deuxième tour.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC/RD): J'aimerais remercier tous les témoins. Vos témoignages nous sont très utiles et ils font ressortir encore davantage la nécessité d'apporter des changements fondamentaux au projet de loi.
Je ne peux m'empêcher d'être frappé par le fait qu'un homme aussi brillant M. Allmand, qui a étudié à fond le projet de loi, dise avoir du mal à s'y retrouver. La tâche est encore plus difficile pour les simples mortels comme nous.
Je crois que c'est M. Farson qui a attiré notre attention sur le fait qu'il sera très facile d'obtenir l'autorisation de faire de l'écoute électronique et sur le fait qu'un mécanisme de surveillance est absolument nécessaire, alors que le projet de loi lui-même semble considérer que c'est facultatif. À l'article 8, il est dit que le commissaire ou le Centre de la sécurité des télécommunications «doit» revoir l'application du projet de loi, mais dans la partie habilitante du projet de loi, il est dit qu'il «peut» le faire. Par conséquent, le gouvernement n'est pas vraiment tenu de créer un comité de surveillance. À mon avis, le projet de loi devrait dire qu'il «doit» le faire plutôt que il «peut» le faire.
J'ai aussi été frappé par l'observation relative à l'obligation pour le gouvernement d'informer la personne ou l'organisme à qui on refuse un certificat en se fondant sur de l'information qui proviendrait de l'extérieur du pays et dont la crédibilité peut être contestable.
Même lorsque la sécurité nationale n'est pas en jeu, on peut toujours invoquer les relations internationales. On peut donner l'exemple de cas très récents où le gouvernement, à mon avis, a mal agi parce qu'il ne voulait pas froisser le président Suharto lors de la réunion de l'APEC. Nous savons tous ce qui s'est produit lors de cette réunion à Vancouver sous prétexte de ne pas nuire à nos relations avec un leader et un pays sur lesquels il est permis de se poser des questions. Il est donc nécessaire de corriger les graves lacunes de ce projet de loi avant qu'il ne soit adopté.
J'aimerais poser une question portant spécifiquement sur les motifs religieux, idéologiques ou politiques.
À titre d'ancien procureur général du pays, M. Allmand connaît très bien le système de justice pénale. Il sait donc qu'il sera presque impossible de prouver l'intention criminelle. Cela revient à ce que disait M. Bellehumeur. Le Code criminel comporte déjà des sanctions très sévères à l'égard du meurtre, de la trahison et des méfaits.
Pourquoi un procureur canadien, qu'il s'agisse d'un procureur provincial ou d'un procureur fédéral—ce qui n'est pas très clair en vertu du projet de loi—se donnerait-il la peine de se préoccuper de chercher à recueillir des preuves afin d'établir la culpabilité d'un accusé au-delà de tout doute raisonnable lorsque ce sera presque impossible à prouver? Et pourquoi le ferait-il? Pour qu'une peine plus grave soit imposée? Dans le cas du meurtre ou de la trahison, la peine maximale est l'emprisonnement à vie. Il y a évidemment la question de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle.
J'ai beaucoup de mal à concevoir qu'un procureur de la Couronne chercherait vraiment à prouver l'intention criminelle d'une personne accusée de terrorisme. Qu'adviendrait-il si le seul motif de cet acte était la haine, comme l'a dit l'un de nos témoins? Ce motif ne suffirait pas pour prouver l'intention criminelle.
Le président: Je vous remercie, monsieur MacKay.
L'occasion vous est maintenant donnée, ce qui arrive rarement, de pouvoir réfléchir à cette question avant d'y répondre parce que nous devons participer à un vote. Nous reviendrons immédiatement après le vote.
Le président: Nous poursuivons la 48e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. J'invite maintenant nos témoins à répondre à la question de M. MacKay.
M. Warren Allmand: Pourriez-vous répéter vos questions? Je prenais des notes, mais j'ai été distrait. Pourriez-vous nous répéter brièvement vos questions?
M. Peter MacKay: Volontiers.
Je vous ai demandé votre avis sur le fait que le projet de loi ne comporte pas de mécanisme de surveillance. Le gouvernement n'est pas tenu de confier à un commissaire fédéral—et cela touche le CST—de revoir s'il est nécessaire de maintenir le secret au sujet de l'information qui peut nous être transmise par d'autres pays et dont la véracité peut être mise en doute. Je me demande si nous n'allons pas trop loin en refusant de communiquer aux personnes accusées en vertu de ce projet de loi l'information sur laquelle se fonde cette accusation.
• 1125
Enfin, je vous ai posé une question au sujet de l'allégation
qui est faite que ces dispositions sont nécessaires parce que
d'autres pays craignent que l'information qui soit transmise au
Canada soit rendue publique. Je ne pense pas que cet argument soit
valable. L'information qui est transmise au Cabinet demeure
confidentielle et les commissaires à la protection de la vie privée
et à l'accès à l'information ne peuvent pas actuellement obtenir
que cette information soit rendue publique. Ils peuvent demander à
revoir cette information, mais ils ne peuvent pas la rendre
publique. À votre avis, est-ce que le Cabinet fédéral ne va pas
trop loin en voulant empêcher que cette information soit rendue
publique?
Le président: Monsieur Farson, vous avez la parole.
Permettez-moi d'abord de vous expliquer comment nous allons procéder pour le reste de la séance. Je comptais prolonger d'au moins une demi-heure cette partie-ci de la séance, mais nous ne pourrons pas disposer d'une demi-heure au complet parce que certains des témoins du groupe suivant ne peuvent pas rester trop longtemps. Ce tour-ci prendra donc fin avec la question de M. MacKay. Je demanderai aux députés ministériels de se partager sept minutes. Je vous demanderai ensuite de dire quelques mots en guise de conclusion. J'inviterai ensuite le groupe de témoins suivant à s'installer.
M. Peter MacKay: J'ai posé une question à M. Allmand...
Le président: Oui.
M. Peter MacKay: ...avant que nous partions pour participer au vote. La question était de savoir si un procureur de la Couronne chercherait à établir que le terroriste était motivé par des motifs politiques, idéologiques et religieux étant donné qu'il sera très difficile de le faire même s'il pouvait obtenir une augmentation des sanctions et l'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Je soupçonne qu'un avocat de la Couronne chercherait simplement à prouver la culpabilité du suspect et demanderait ensuite au juge de tenir compte de circonstances aggravantes au lieu d'essayer de prouver l'intention criminelle au-delà de tout doute raisonnable.
Le président: Monsieur Allmand, vous avez la parole.
J'accorderai ensuite la parole à M. Farson. Cela mettra fin à ce tour-ci.
M. Warren Allmand: Je suis d'accord avec vous qu'on pourrait supprimer la division b)(i)(A) de la définition de «activité terroriste». La plupart des groupes étrangers avec lesquels j'entretiens des liens admettent volontiers qu'ils ont des objectifs idéologiques et politiques, lesquels sont ordinairement de rétablir ou d'instituer la démocratie dans leur pays. Ce ne sont pas ces cas-là qui font problème, mais les cas où ces motifs ne sont pas admis librement. Il serait difficile de prouver ces motifs. Comme vous le faites remarquer, à quoi cela servirait-il d'ailleurs?
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Farson, vous avez la parole.
M. Stuart Farson: Si vous me le permettez, j'aimerais faire quelques observations que je n'ai pas eu le temps de faire dans ma déclaration préliminaire.
À l'heure actuelle, le mandat du commissaire se limite à étudier les plaintes relatives à l'application de la loi. Je pense qu'on devrait aussi demander au commissaire d'étudier la question de savoir si la loi permet vraiment de protéger la vie privée des Canadiens. Cette question revêt autant d'importance que la partie de son mandat qui consiste à étudier si le CST est efficace et remplit bien son mandat.
Si vous jetez un coup d'«il aux recherches universitaires qui ont été faites sur la période des années 70 et des années 80, vous constaterez que les fonds et la technologie voulue manquaient.
Je voulais ajouter ces deux observations.
Vous devriez aussi étudier le pouvoir de dénonciation du commissaire. À l'heure actuelle, ce pouvoir ne s'applique qu'au CST. Vous voudrez peut-être vous demander si ce pouvoir devrait aussi s'appliquer aux parties de la loi sur la Défense nationale qui portent sur le renseignement de sécurité.
Le président: Monsieur MacKay, vous avez la parole.
M. Peter MacKay: Croyez-vous que le mandat du commissaire est de partager l'information? Certains le pensent. Qu'adviendra-t-il de l'information qui aura été recueillie en vertu de ce projet de loi qui porterait sur des crimes commis au pays et non pas sur le terrorisme? Je ne vois rien dans le projet de loi qui empêche que cette information soit transmise à la GRC ou au SCRS. Si c'est le cas, la police pourrait de cette façon contourner les règles normales s'appliquant au mandat et à l'écoute électronique.
Le président: Je vous remercie, monsieur MacKay.
Monsieur Farson, vous avez la parole. Ce sera ensuite au tour de M. Clemenger.
M. Stuart Farson: Je crois que vous avez probablement raison.
Le président: Monsieur Clemenger, vous avez la parole.
M. Bruce Clemenger: Pour ce qui est des motifs, la raison pour laquelle j'ai donné l'exemple du camp de réfugiés du HCRNU, c'est qu'un organisme avait des motifs clairement religieux et l'autre pas. Faut-il en conclure que l'un serait visé par le projet de loi et l'autre pas?
Je m'inquiète vraiment du fait qu'il soit question dans le projet de loi de motifs religieux, politiques et idéologiques. Si on adopte la doctrine de John Rawls, tout peut être considéré comme étant des motifs idéologiques, philosophiques ou religieux. La définition qui est donnée est tellement large qu'elle ne sert à rien. Quand la définition est trop étroite, elle exclut d'autres motifs comme l'appât du gain.
Je préfère de beaucoup le libellé de la résolution 1269 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée en 1999. L'article 1 énonce que le Conseil de sécurité «condamne catégoriquement tous les actes ainsi que toutes les méthodes et pratiques de terrorisme, qu'il juge criminels et injustifiables, quels qu'en soient les motifs...».
Pourquoi ne pas simplement vouloir sanctionner les actes criminels et terroristes? On devrait oublier la question des motifs parce que, comme vous le faites valoir, comment savoir ce qui se trouve dans la tête d'un criminel?
Ça soulève aussi la question des crimes fondés sur la haine dont traite l'article 88. Nous sommes très favorables à des mesures qui viseraient à protéger les biens religieux d'actes de violence, et nous nous inquiétons encore une fois de la criminalisation des motifs. Nous ne savons pas exactement comment cet article serait interprété et s'il inciterait l'État à décréter sur ce qui constitue un motif religieux valable et sur ce qui n'en constitue pas un.
Le président: Monsieur Whitaker, vous avez la parole.
M. Reg Whitaker: Pour revenir à la question que vous posiez plus tôt, je pense en effet que les dispositions de la loi portant sur l'accès à l'information et sur la vie privée ne sont pas justifiées. En vertu du droit et de la procédure actuels, l'information qui est transmise par des gouvernements étrangers au gouvernement du Canada demeure confidentielle. Qui plus est, les preuves se rapportant à cette information ne seront pas divulguées par erreur devant un tribunal parce que les audiences peuvent être ex parte si la Cour fédérale l'autorise.
Enfin, le gouvernement a même le pouvoir en vertu de la loi actuelle—et je le sais, parce que c'est la réponse qu'on m'a fournie à une demande d'accès à l'information—de refuser de dire si un dossier existe ou non parce que la communication de cette information pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou compromettre les relations internationales. Le gouvernement possède donc déjà ce pouvoir.
Je ne comprends vraiment pas pourquoi le gouvernement veut émasculer ainsi la Loi sur l'accès à l'information quand il dispose déjà de tous les pouvoirs voulus en vertu de la loi.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
M. McKay et M. Lee vont maintenant se partager sept minutes. Nous passerons ensuite à l'audition des témoins suivants. Monsieur McKay, vous avez la parole.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.
Lorsque vous avez présenté M. Allmand, vous avez dit que vos carrières suivaient le même cours et que vous étiez tous deux d'anciens solliciteurs généraux et d'anciens présidents du comité de la justice. M. Allmand vous a ensuite dit que son nom figurait sur la liste d'évaluation de la menace de la GRC et du SCRS. Vous voyez donc ce que vous réserve l'avenir, monsieur le président.
Des voix: Oh, oh.
M. John McKay: Puisqu'au lieu de sept minutes je n'ai plus que trois minutes et demie, je serai très bref.
J'ai deux questions qui s'adressent à M. Allmand. Comme vous êtes sans doute la seule personne au Canada qui connaisse le système tant de l'intérieur que de l'extérieur, pouvez-vous nous dire comment cette liste est établie et quel est le processus d'examen interne qui est prévu?
Vous avez aussi fait remarquer que lorsqu'un pays déroge à la règle de la primauté du droit, les conventions internationales exigent qu'il informe l'ONU de la durée de la situation d'urgence. Autrement dit, si je comprends bien, les conventions internationales prévoient une disposition de temporarisation. Pourriez-vous nous expliquer comment fonctionne le processus?
Messieurs Whitaker et Farson, certains soutiennent que le projet de loi ne devrait pas être un projet de loi omnibus. On craint en effet qu'il soit invoqué à d'autres fins que pour la lutte antiterroriste. J'aimerais connaître votre avis là-dessus.
Les représentants de l'AEC ont fait valoir que le projet de loi aurait une incidence négative sur les organismes de bienfaisance. Pourriez-vous nous expliquer quelle sera son incidence sur vos collectes de fonds?
Le président: Monsieur Lee, vous avez la parole.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Je vous remercie.
• 1135
Monsieur Allmand, vous étiez solliciteur général dans les
années 70. Vous avez à l'époque autorisé la délivrance de mandats
demandés en vertu de la Loi sur les secrets officiels—c'était
avant l'époque du SCRS—et ces mandats devaient porter sur la
sécurité nationale, l'écoute électronique et sur certains types de
surveillance. Les mandats de main-forte existaient aussi à cette
époque. Comme le projet de loi propose de permettre au ministre de
la Défense d'autoriser la surveillance électronique afin de
protéger la sécurité des communications, pouvez-vous nous dire si
cela est faisable? Ce qui s'est passé il y a 25 ans vous porte-t-il
à croire qu'il est nécessaire que le ministre de la Défense puisse
autoriser la surveillance électronique?
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Allmand, je vous invite à profiter de l'occasion pour dire quelques mots en guise de conclusion.
M. Warren Allmand: Premièrement, quant à savoir comment la liste est établie, je suppose que vous parlez des listes précédentes et non pas de la liste dont il est question dans ce projet de loi à l'article 83.05 qui précise plus ou moins ce qu'il en est à ce sujet. Comme l'énonce l'article, le nom d'une personne est inscrit sur la liste si «le gouverneur en conseil [...] est convaincu, sur la recommandation du solliciteur général du Canada [...]». Ce qu'il importe de savoir est comment ces noms sont fournis au solliciteur général. Ils lui sont fournis par des organismes étrangers, que ce soit la CIA, le FBI ou le Mossad.
Ce que mon expérience m'enseigne, c'est qu'il arrive parfois que les personnes qui soumettent ces noms au solliciteur général n'ont pas la formation voulue pour le faire. C'était en tout cas ce que l'on voyait à l'époque. La situation est censée s'être améliorée depuis la création du SCRS. À l'époque, des agents de la GRC qui avaient été affectés au contrôle de la circulation pouvaient à un moment donné se retrouver dans le service de sécurité. Ces agents étaient de bons policiers, mais ils n'étaient pas de bons agents du renseignement. Ils ne pouvaient pas toujours distinguer une activité de revendication licite d'une activité qui ne l'était pas... À l'époque, certains ne faisaient pas la distinction entre le Parti québécois et le FLQ, par exemple.
Nos difficultés avec ces listes c'est qu'elles sont évidemment établies sur recommandation du solliciteur général, mais que l'information sur laquelle il se fonde pour les établir lui est transmise par des agents de Victoria à Terre-Neuve et des Territoires du Nord-Ouest à Windsor dont certains possèdent la formation et les compétences voulues et d'autres pas. La façon de faire en sorte que cette information soit valable est de bien former les agents qui la recueilleront.
Comme je disais plus tôt, l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise les critères à respecter si un État veut déroger au protocole. Je n'ai pas eu le temps de voir quelles étaient les observations à cet égard du comité des droits de la personne constitué en vertu du protocole international. Si le pays veut vraiment se conformer aux obligations qui découlent des accords internationaux en matière de protection des droits de la personne, il devrait se conformer à cette disposition et je ne pense pas que le Canada l'ait fait, à moins qu'il ne l'ait fait sans que personne ne le sache.
En réponse à la question de M. Lee, il est vrai que lorsque j'étais solliciteur général, le chef du service de sécurité, l'équivalent du chef du SCRS, ou le commissaire de la GRC me demandait d'autoriser des mandats en vertu de la Loi sur les secrets officiels. Ils nous présentaient de l'information à l'appui de leur demande. Étant à Ottawa et ne connaissant pas tout le monde au Canada, il s'est produit... Pour vous donner un exemple, un jour on m'a demandé de signer un mandat visant un Canadien d'origine arabe, né en Irak, avec lequel j'avais fait mes études secondaires et qui était la personne la plus pacifique qu'on puisse imaginer. Il enseignait et il était considéré plus ou moins comme un terroriste. J'ai dit: «Je connais cette personne très bien et je sais qu'il est un partisan du mouvement de libération de la Palestine, mais je sais qu'il n'est pas un terroriste. Je pense que vous deviez vérifier ce qu'il en est.» C'est ce qu'ils ont fait et ils ont vu que j'avais raison et ils ont supprimé son nom de la liste. Il se trouvait que je connaissais cette personne.
Je pourrais vous donner d'autres exemples où il se trouvait que je connaissais les personnes en cause, ou encore des cas où des gens se sont adressés à moi. J'ai évoqué le cas d'un ministre qui siégeait au Cabinet avec moi. Il allait engager quelqu'un et au bas du formulaire de demande d'emploi, on avait indiqué que cette personne était communiste et lesbienne, mais je pense que la personne agissant ainsi a fait preuve d'un manque de jugement et d'information, et c'est souvent ainsi qu'on agit. Quand on effectue des contrôles de sécurité, les agents se promènent dans le quartier et demandent aux gens «connaissez-vous Derek Lee?» Quelle est votre opinion de lui? Évidemment, s'ils tombent sur la mauvaise maison, ils risquent d'entendre des propos désobligeants.
• 1140
Très souvent, on monte un dossier à partir d'informations que
je qualifierais d'anecdotiques, reste que l'on monte un dossier
quand même. D'où le danger! La protection est indispensable. On
doit se doter d'une politique de freins et contrepoids. On doit
créer un ombudsman indépendant.
Le Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité (CSARS), auquel on a fait allusion, a un mandat qui touche le SCRS d'une manière qui n'existait pas à l'époque. Les membres de ce comité sont assermentés par le Conseil privé pour avoir accès à cette information. Cela dit, le mandat du CSARS est beaucoup plus restreint que ce qu'exige le projet de loi.
Le président: Je vous remercie, monsieur Allmand.
Monsieur Reg Whitaker, la parole est à vous.
M. Reg Whitaker: Le projet de loi omnibus devrait être scindé, j'en conviens. C'est le coeur même de mes propos, à savoir que le critère de proportionnalité dont j'ai parlé en relation avec une situation d'urgence n'est manifestement pas satisfait, car l'on propose dans ce projet de loi des dispositions qui vont au-delà de la menace terroriste actuelle. Cela ne signifie pas pour autant que les éléments qui dépassent cette menace soient inacceptables ou inopportuns, mais simplement qu'ils méritent de faire l'objet d'un débat en bonne et due forme et d'être évalués objectivement, pas dans un contexte de crise comme celui où nous sommes, ni sous la contrainte des échéances on ne peut plus rapprochées que vous subissez.
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Farson, allez-y.
M. Stuart Farson: Je partage tout à fait le point de vue de M. Whitaker. J'ajouterais quelque chose au sujet de la question du dérapage de mission qui a été soulevée: où y aurait-il risque de dérapage? À mon avis, l'application de la définition de groupe terroriste à certains types de protestation est un risque réel.
Pour ce qui concerne l'accès, c'est-à-dire ce que la loi éventuelle autorisera, je crois que cette notion pourrait être interprétée d'une manière beaucoup plus large que prévue.
Les liens avec une activité criminelle constituent un autre aspect, à mon avis, où il pourrait y avoir chevauchement ou des conséquences inescomptées.
Voilà donc les trois aspects que je voulais souligner.
Le président: Qu'en pense l'Alliance évangélique du Canada?
Janet Epp Buckingham: Merci de demander notre avis.
Je pense que la question de la collecte de fonds est très importante. Compte tenu de la portée de ce projet de loi, on peut facilement imaginer que les gens hésiteront à faire des dons notamment à une oeuvre caritative qui cherche à financier des projets en particulier en Palestine ou au sud du Soudan, de peur de faire l'objet de poursuites criminelles pour avoir, directement ou indirectement, fourni des fonds, facilité les activités d'un groupe visé par le projet de loi ou participé aux activités de celui-ci. Il sera très difficile de constituer un conseil d'administration, puisque ce sera lui qui sera tenu responsable si l'oeuvre caritative est trouvée coupable de facilitation d'activités terroristes.
Nous avons de vives inquiétudes principalement par rapport aux définitions trop larges, car elles semblent couvrir tellement de choses que de nombreuses organisations n'auront qu'à les lire pour se dire qu'elles s'appliquent à tel projet ou tel autre. Il y a des oeuvres caritatives canadiennes qui font un excellent travail dans des situations de conflit intense, et il est beaucoup plus probable que celles-ci atténuent le problème du terrorisme que d'y contribuer.
Je vous remercie.
Le président: Merci.
Nous nous excusons de vous avoir interrompus brièvement, mais ne croyez surtout pas que cela minimise d'une quelconque façon la valeur de votre contribution à nos délibérations. Je vous remercie tous et je vous demanderai d'échanger vos cartes de visite et vos coordonnées aussi vite que possible. L'un des témoins suivants doit partir à midi.
La séance est suspendue pour quelques instants.
Le président: Nous reprenons la 48e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Je vais rapidement présenter notre nouveau groupe de témoins.
Nous entendrons des représentants de l'Association canadienne des avocats du mouvement syndical, du Congrès musulman du Canada, de la Coalition des organisations musulmanes et de la National Organization of Immigrant and Visibile Minority Women of Canada.
Notre premier témoin, M. Aziz Khaki, doit nous quitter à midi comme je l'ai signalé tout à l'heure, et c'est pourquoi il sera le premier à faire son exposé. Il devra probablement nous quitter au milieu de l'exposé de quelqu'un d'autre, et je tiens à le préciser dès maintenant.
Monsieur Khaki, la parole est à vous.
M. Aziz Khaki (vice-président, Congrès musulman du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous suis reconnaissant de bien vouloir m'arranger. Je devrai effectivement vous fausser compagnie.
Aujourd'hui, je ferai un exposé au nom du Conseil des communautés musulmanes du Canada et de la Fédération musulmane du Canada. J'ai pensé qu'il serait important d'exprimer la voix de la côte Ouest, et c'est avec un grand plaisir que je me présente devant vous ce matin.
Je voudrais vous exprimer à tous le salut islamique traditionnel de la paix: as-salaam alaikum wa rahmatallah wa barakatu. Que la paix soit sur vous tous.
Je commencerai par une citation tirée du préambule de la Charte des droits et libertés, et c'est quelque chose que notre grand premier ministre, le très honorable Pierre Elliott Trudeau avait dit:
-
[...] ils seront garantis par notre Constitution, et les gens
auront le pouvoir d'interjeter appel auprès des tribunaux s'ils
estiment que leurs droits constitutionnels ont été violés ou niés.
De plus, le juge en chef Bora Laskin disait le 4 mai 1972:
-
Notre société dépend de l'accès à nos tribunaux et nos assemblées
législatives, qui reposent sur le droit de vote universel, sur une
procédure équitable devant des organes d'arbitrage, que ce soient
des cours ou autres tribunaux administratifs, de telle sorte qu'on
a le droit, à tout le moins, d'être entendu ou de plaider sa cause
avant d'être condamné en vertu du droit pénal ou être tenu
responsable selon la procédure civile.
• 1150
Je voudrais préciser d'emblée que nous appuyons le mémoire que
présentera la Coalition des organisations musulmanes devant vous ce
matin. Je vais maintenant aborder quelques questions qui
préoccupent grandement la communauté musulmane, et j'entends
plusieurs dispositions du projet de loi C-36.
Tout le monde sait très bien maintenant que la communauté musulmane a condamné catégoriquement dans les termes les plus forts les actes terroristes commis contre les États-Unis d'Amérique le 11 septembre 2001. Nous avons toujours maintenu que les terroristes n'ont pas de religion, ils n'ont pas d'humanité. Mais quand il faut s'attaquer au terrorisme et aux terroristes, nous devons être prudents. Nous ne devons pas nier à segment de notre société des droits humains et la dignité humaine sous prétexte de lutter contre le terrorisme.
Nous sommes convaincus que l'une des grandes faiblesses du projet de loi C-36 est le manque d'une définition claire du terrorisme. En effet, on y parle d'activités terroristes. On fait allusion à des éléments de terrorisme, mais on évite de définir clairement ce qu'est le terrorisme. Nous croyons que l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas réussi à le faire, c'est que nous n'avons pas encore compris pourquoi les gens agissent comme ils le font.
Pour ce qui est d'une définition claire de ce qui constitue le terrorisme, j'aimerais vous signaler que j'ai assisté à une séance d'information sur le projet de loi C-16 à Ottawa en février de cette année, et que les participants à cette séance ont longuement discuté de la définition du terrorisme. On nous a finalement fait croire qu'il incombait aux responsables politiques de décider de ce que serait la définition du terrorisme. Nous nous sommes retrouvés devant le même dilemme dans le cadre du projet de loi C-11, qui touche l'immigration.
Lors de la séance d'information tenue il y a deux semaines sur le projet de loi C-36, on nous a garanti que les mesures de protection garanties par la Charte s'appliquaient à ce projet de loi. Cependant, on peut arrêter une personne si on soupçonne qu'elle a des liens avec des organisations qui font la promotion du terrorisme ou qui sont impliquées dans des activités pouvant éventuellement mener à des actes de terrorisme—et encore une fois, le terrorisme n'est pas défini très bien.
En outre, si l'on soupçonne qu'une personne a commis un acte de terrorisme ou qu'elle est capable d'exécuter un acte de terrorisme—comme le financement d'une organisation terroriste ou le blanchiment d'argent pour le compte de présumés terroristes—, on peut alors placer cette personne en détention préventive, c'est-à-dire pour prévenir un acte terroriste, pendant 24 heures avant qu'on la relâche ou qu'elle comparaisse devant le juge d'une cour provinciale et pas un juge de paix. Si le juge provincial n'est pas disponible, on peut alors détenir la personne pendant 72 heures. Pour des raisons de sécurité, les motifs de la détention ne peuvent être communiqués, mais ils peuvent être produits devant un juge de la Cour fédérale à huis clos, lequel se prononcera sur la légitimité de ladite détention.
Compte tenu du contexte actuel qui fait suite aux attentats terroristes du 11 septembre, ce sont essentiellement les gens de couleur, notamment les Arabes et les musulmans, que l'on pointe du doigt. On a l'impression que certains segments de notre société sont moins loyaux ou moins canadiens que les autres, ou les deux en même temps. Cela constitue de toute évidence une violation des droits humains d'un individu ou d'un groupe, en l'occurrence les Arabes et les musulmans.
Le flux d'informations est un des piliers d'une société démocratique. C'est ce qui nous permet de prendre des décisions en connaissance de cause. Taire des informations, c'est carrément nier le droit fondamental d'obtenir les informations nécessaires pour se défendre. C'est une violation de ce droit fondamental, car l'accusé ne pourra avoir accès à cette information pour prendre une décision en connaissance de cause, ce qui handicapera sérieusement sa défense.
Il est très vraisemblable que les Canadiens auront l'impression, notamment quand il s'agit des demandeurs du statut de réfugié, que certains pays, pour ne pas dire certains groupes religieux, produisent des terroristes.
L'un des points faibles de ce projet de loi tient à la mise en oeuvre de ces dispositions. En effet, certaines d'entre elles peuvent donner l'impression qu'elles ne comportent pas de préjugés, mais leur mise en oeuvre ciblera indûment et fort probablement certains groupes ou individus, notamment les Arabes et les musulmans. Si le but de la loi n'est pas de porter préjudice à quiconque, et les dispositions de ce projet de loi ne ciblent pas forcément les Arabes et les musulmans, il n'en demeure pas moins que dans leur application elles auront une incidence disproportionnée sur ce groupe.
• 1155
Les pouvoirs conférés aux agents de la paix, aux agents
d'immigration et aux douaniers sont presque sans limite. Pour
exceller dans leur travail, il se peut que ces agents soient
obligés de faire fi des droits fondamentaux des personnes. Ainsi,
il y a quelques semaines, on a arrêté à Victoria un homme qui
allait prendre l'avion à destination des États-Unis. Après l'avoir
détenu pendant sept heures, on l'a relâché sans lui expliquer qu'il
s'agissait d'une erreur d'identité.
Nous sommes tout à fait conscients que nous avons l'une des meilleures forces policières au monde, sinon la meilleure. Toutefois, nous ne devons pas perdre de vue le fait que si nous devions appliquer les dispositions du projet de loi C-36, ces forces policières auront des tâches très difficiles à assumer.
Nous, les citoyens, avons besoin de beaucoup de garanties si nous voulons continuer de vivre librement, sans peur, sans crainte d'être détenu sans motif, sur la simple présomption qu'un crime pourrait être commis. Compte tenu de sa structure, nous croyons qu'il y a d'énormes risques que le projet de loi C-36 ne viole nos droits civils et humains de par sa mise en oeuvre. La communauté musulmane craint beaucoup que ses membres ne soient harcelés si le projet de loi ne comporte pas suffisamment de garanties.
Il a beaucoup été question d'inclure une clause de temporarisation ou de prévoir un examen législatif après trois ans. Certes, nous croyons que cela pourrait être quelque peu utile, mais nous nous inquiétons davantage des dispositions actuelles du projet de loi et de leur application immédiate, à moins d'y apporter des changements fondamentaux.
Il y a deux jours, lors d'une réunion à laquelle j'ai assisté à Vancouver, le directeur de la commission des plaintes du public a déclaré qu'il aimerait tenir des séances d'information à l'intention des agents de police si le projet de loi C-36 était adopté, histoire de leur expliquer comment agir en vertu de cette nouvelle loi. J'ai trouvé cette façon de penser très constructive, mais elle n'aura pas l'effet désiré si le projet de loi C-36 devait être adopté sans que l'on y apporte certaines modifications.
Quand les événements tragiques du 11 septembre sont survenus, nous avons tous été attristés et perturbés. La première chose que nous avons faite a été d'explorer notre for intérieur, de puiser dans notre force spirituelle. Nous avons reçu le soutien immédiat des églises et des groupes religieux qui se sont montrés solidaires avec nous au nom de la paix et de l'harmonie—mais surtout au nom de la paix. Peu importe ce que sera l'issue finale du projet de loi C-36, nous devons envisager de mettre en place un mécanisme comme un comité simple ou consultatif pour surveiller la situation une fois l'étape de la mise en oeuvre commencée et pour mesurer l'incidence de cette mise en oeuvre au fur et à mesure.
Les Arabes, les musulmans et les gens de couleur sont particulièrement préoccupés par le fossé qui existe entre le principe et la réalité en ce qui a trait à la protection qu'offre le projet de loi C-36.
Je voudrais terminer mon exposé en citant l'archevêque de Canterbury, qui, dans une déclaration qu'il a faite le 13 septembre 2001, nous rappelait que la statue de la Liberté se trouvant au port de New York brille aujourd'hui plus que jamais. Il a terminé son message à l'intention du peuple américain en faisant une mise en garde très importante: «L'arbre de la liberté doit être planté dans le sol de la justice.»
Je vous remercie infiniment.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Khaki.
M. Aziz Khaki: C'était un plaisir, monsieur le président, que de comparaître devant votre comité. C'est moi qui vous remercie.
Le président: Nous entendrons maintenant le représentant de l'Association canadienne des avocats du mouvement syndical, MM. Steve Barrette et Ethan Poskanzek.
M. Steve Barrette (Association canadienne des avocats du mouvement syndical): Je vous remercie. Je pense que je peux encore vous souhaiter bonjour, étant donné que la matinée n'est pas encore terminée.
L'Association canadienne des avocats du mouvement syndical a déjà fait parvenir aux membres du comité des versions anglaises et françaises de son mémoire. Nous sommes une organisation d'avocats qui représentent des syndicats, avocats affiliés à des cabinets ou à des services du contentieux au sein d'organisations syndicales. Notre association compte environ 250 avocats.
• 1200
M. Poskanzek et moi-même sommes membres de cette association.
Nous sommes accompagnés de Sean McGee, qui lui aussi est membre de
l'Association, et de Michael Gotthiel, vice-président de notre
association pour l'Ontario.
Notre exposé, tant notre mémoire écrit que la déclaration que je vais faire dans les 10 prochaines minutes, s'articule autour de la définition d'activité terroriste que propose le projet de loi. J'aborderai plus particulièrement les aspects du projet de loi qui ont des conséquences pour le libre fonctionnement des syndicats au Canada, et pour les droits des travailleurs canadiens de participer à ce qui a traditionnellement été reconnu comme étant des activités syndicales appropriées et légitimes, et d'une manière plus générale, pour les droits des Canadiens d'entreprendre des mesures légitimes de protestation, de dissidence et de promotion d'intérêts.
Nous avons lu la déposition du commissaire de la GRC devant votre comité, c'était le 23 octobre, si je ne m'abuse, et dans une large mesure, son point de vue coïncide avec le nôtre. En effet, le commissaire a souligné que la définition exige d'être précisée davantage et ne devrait pas avoir pour but d'interdire la dissension légitime, que ce soit au moyen d'arrêt de travail, de piquetage ou d'activités de promotion ou de protestation traditionnelle. Nous partageons cet avis, mais le but visé et ce que dispose expressément le projet de loi sont deux choses différentes.
Dans notre mémoire, à la page 3 de la version anglaise—je ne sais pas quel page de la version française—, nous expliquons quelques-unes de nos préoccupations relativement à la portée de la définition proposée de ce qu'est un acte terroriste. Je voudrais commencer par l'article 4 du projet de loi, qui modifie l'article 83.01 du Code criminel, et en particulier la division 83.01(1)b)(ii)(E). C'est la disposition figurant au bas de la page 2 de la version anglaise de notre mémoire, dont voici la teneur:
-
a perturbé gravement ou a paralysé des services, installations ou
systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre
d'activités licites de revendication, de protestation ou de
manifestation d'un désaccord, ou d'un arrêt de travail licite
En tant que représentants du mouvement syndical, cela nous cause plusieurs préoccupations. Premièrement, on ne définit pas les «services, installations, ou systèmes essentiels». Cela pourrait s'étendre à une gamme de services gouvernementaux ou municipaux non définis, aux services d'incendie et de police ainsi qu'aux services de santé. Est-ce qu'une interruption des services ou une ligne de piquetage organisée par les employés des transports ou le personnel infirmier devrait être considérée comme une activité terroriste?
De plus, d'une manière plus générale, et cela dépasse le cadre du mouvement syndical—je pense que vous avez entendu cet exemple de la part d'autres témoins qui ont comparu devant le comité—, l'obstruction d'une route par des Canadiens exerçant leurs droits fondamentaux de protestation ou de manifestation politique pourrait être visée par la loi proposée si pour une raison ou pour une autre l'acte est illicite parce qu'il constitue une violation de propriété, un méfait que sais-je encore.
S'agissant des mouvements de grève, il est évident que les assemblées législatives canadiennes ont adopté des lois différentes et considèrent différemment ce qui est une grève licite ou une grève illicite. Toutefois, avant la définition proposée par le projet de loi C-36, personne n'avait pensé à considérer ce genre d'activités comme étant des activités criminelles ou terroristes. En fait, toute notre législation du travail a cherché à décriminaliser la réglementation des conflits de travail, qu'elle a confié aux commissions et tribunaux des relations de travail.
À notre avis, il serait regrettable et contraire à nos traditions de recourir au droit pénal pour contrôler des activités syndicales légitimes. Ne taxons pas les syndicats et les travailleurs de terroristes, et n'exposons pas les travailleurs au risque d'emprisonnement à vie s'ils dirigent un arrêt de travail ou une ligne de piquetage jugé contraire aux lois municipales, provinciales ou fédérales.
Évidemment, on exclut les «revendications, les protestations, la dissidence ou l'arrêt de travail licites», mais c'est l'exception qui pose problème. C'est très facile... et en tant que membres d'une organisation qui représente les syndicats et les travailleurs, nous pouvons l'affirmer. Une grève peut être considérée illégale si elle viole un décret municipal, si la ligne de piquetage oblige les gens à arriver au travail cinq ou dix minutes en retard, si le piquetage a lieu sur une propriété privée, si l'on distribue des tracts, ou si la grève débute une journée plus tôt que la date prescrite par la loi. Tous ces actes peuvent être considérés comme étant illicites et éventuellement être considérés comme une activité terroriste en vertu de la loi. À notre avis, cela est inacceptable. En dépit des événements horribles du 11 septembre, ce n'est pas là le genre d'activités dont nous devrions nous préoccuper, et nous ne devrions pas les criminaliser, ni les taxer d'activités terroristes au Canada.
• 1205
Il est vrai aussi que la définition précise que l'activité
terroriste doit être commise—est-ce ce qui est proposé dans la
division 83.01(1)b)(i)(A)—«au nom—exclusivement ou non—d'un but,
d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou
idéologique». Nous avons au moins deux objections à cela.
Premièrement, dans le contexte d'une activité syndicale, ou d'une
manière générale, il est très difficile de déterminer ce qui a été
motivé par des raisons politiques, idéologiques ou religieuses.
La Cour suprême du Canada vient de rendre une décision en octobre dans une affaire appelée Advance Cutting, où elle a soutenu que le fait d'exiger que les travailleurs de la construction du Québec soient affiliés à un syndicat équivaut à imposer une conformité idéologique à l'ensemble des Canadiens. Telle a été la décision de la Cour suprême du Canada. Alors, dire qu'il existe une certaine protection pour les activités syndicales sous prétexte que les motifs doivent être politiques, religieux ou idéologiques n'est pas tellement utile. La loi pourrait quand même s'appliquer à des activités syndicales légitimes, qu'elles soient licites ou non, et aux activités de protestation en général.
L'Association du Barreau canadien a aussi exprimé une autre de nos inquiétudes quand elle a comparu devant votre comité. Le fait d'insister sur le motif quand il s'agit de déterminer si une activité est terroriste ou non en isolant les motifs politiques, religieux ou idéologiques peut en soi aller à l'encontre des dispositions de la Charte des droits et libertés. À notre avis, un acte n'est pas terroriste en raison des motifs qui l'inspirent, mais de par sa nature même.
Que proposons-nous? Je dois ajouter que nous avons d'autres préoccupations concernant la portée de la définition, et vous les trouverez au bas de la page 4 et en haut de la page 5 de notre mémoire. Cela dit, permettez-moi de vous expliquer brièvement ce que nous proposons aujourd'hui.
Tout d'abord, nous convenons avec l'Association du Barreau canadien que la division proposée 83.01(1)b)(ii)(E) devrait tout simplement être supprimée. En effet, elle n'ajoute rien au contenu des divisions (A), (B), (C) et (D) de la définition; elle est donc superflue. Elle est excessive et elle portera préjudice à ce que nous, Canadiens, considérons comme étant une activité chère. La législation existante est plus que suffisante pour réprimer la perturbation ou l'interruption de services essentiels, notamment dans le contexte syndical.
Si la division 83.01(1)b)(ii)(E) devait être maintenue, ce que le Parlement a tout à fait le droit de faire, que l'on supprime, à tout le moins, le mot «licite» après «revendication, protestation, désaccord ou arrêt de travail». Les personnes qui s'adonnent à des activités de revendication, de protestation, de désaccord ou d'arrêt de travail—et j'ajouterais même à cela le piquetage—, licites ou non, ne devraient pas être taxées de terroristes, et la loi ne devrait pas les définir comme telles.
Nous proposons l'ajout d'une disposition claire dans le projet de loi, dans le contexte syndical, qui stipule que l'interruption de services—piquetage ou autres activités syndicales connexes—ne doit pas être considérée comme une activité terroriste au sens de la loi proposée.
Enfin, pour ce qui concerne la définition d'activité terroriste proposée dans la division 83.01(1)b)(i)(A), il faudrait la supprimer, et ce, pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure, c'est-à-dire «au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique». Mais ce qui nous dérange—et de nombreux groupes partagent cet avis—, c'est que l'on semble reconnaître dans une certaine mesure que la définition vise à limiter la portée de l'activité ciblée par la loi, ce qui est louable.
Toutefois, il ne suffirait pas de la supprimer. Le comité devrait au contraire envisager de recommander que les dispositions 83.01(1)b)(i)(A) et (B) soit remplacée par une nouvelle disposition qui serait plus appropriée et qui viserait spécifiquement le genre d'activité survenue le 11 septembre, ce qui nous préoccupe tous en tant que Canadiens, et à juste titre. À l'alinéa 83.01(1)b), on parlerait alors d'une «action ou omission criminelle» au lieu de se contenter de dire «action ou omission»—étant donné que le genre d'activité dont il est question sont déjà des activités criminelles—commises par des personnes qui savent ou qui auraient dû en principe savoir que l'acte allait provoquer de la terreur ou une peur à grande échelle chez la population. À notre avis, c'est l'acte lui-même et les conséquences de celui-ci qui constituent les caractéristiques particulières du terrorisme, et c'est cela que nous devons viser.
• 1210
Enfin, dans les 10 secondes qui me restent, nous aimerions
nous joindre à d'autres qui réclament des dispositions de
temporarisation dans ce projet de loi pour deux raisons.
Premièrement, étant donné que les événements du 11 septembre sont
encore proches de nous, une échéance de trois ans serait tout à
fait appropriée, ou encore une période raisonnable à partir de
maintenant, histoire d'évaluer, avec un peu de recul, le bien-fondé
de certaines de ces dispositions. De plus, et je pense que le
Congrès américain l'a reconnu, l'un des inconvénients d'une
disposition de temporarisation est d'assurer une bonne surveillance
et un effet dissuasif quant à l'administration et l'application de
la loi.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup. C'était un très bon exposé.
J'ai l'impression que les gens surestiment la durée d'une seconde, mais bon...
M. Steve Barrette: À la Cour suprême du Canada, on allume une lumière. Au moins ici, il n'y en a pas.
Le président: Nous allons maintenant entendre la Coalition of Muslim Organizations, représentée par Ziyaad Mia et Khalid Baksh. Vous avez dix minutes.
M. Ziyaad Mia (Muslim Lawyers Association, Coalition of Muslim Organizations): Merci.
[Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle]... au nom de Dieu, si bon, si miséricordieux.
Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. C'est un honneur pour moi de venir témoigner devant vous aujourd'hui pour vous faire part de nos vues sur le projet de loi C-36, loi antiterroriste.
Je m'appelle Ziyaad Mia. Je suis accompagné de M. Baksh. Nous sommes membres de la Muslim Lawyers Association, qui fait partie de la Coalition of Muslim Organizations, au nom de laquelle nous prenons la parole ici aujourd'hui. La coalition regroupe plus de 140 organisations musulmanes de diverses régions du Canada et représente un pourcentage important des Canadiens d'origine musulmane dont le nombre dépasse 600 000.
La justice est au coeur des valeurs islamiques, à tel point que le Koran ordonne aux Musulmans de toujours la défendre. Les Canadiens d'origine musulmane partagent les sentiments de crainte, d'anxiété et de douleur qu'ont suscité les événements du 11 septembre, et nous souscrivons à la prise de mesures sages et prudentes en vue d'assurer à tous les Canadiens paix, sécurité et sûreté. La coalition est toutefois très inquiète de constater que le projet de loi, tel qu'il est libellé, ne sert pas la justice; au contraire, il pourrait, à bien des égards, devenir un instrument d'injustice contre beaucoup d'innocents Canadiens.
Le Canada est une terre d'immigrants, bon nombre d'entre nous ayant été attirés vers ce beau et grand pays à cause de sa tolérance et de son respect des droits civils et humains. C'est ainsi que je me suis moi-même retrouvé au Canada. Je suis né en Afrique du Sud à l'époque où l'apartheid battait son plein. Mes parents ont fini par se résigner à quitter leur famille et leur pays pour venir au Canada, justement parce que le Canada nous garantissait les droits humains fondamentaux qui nous étaient refusés dans notre pays d'origine. C'est ainsi aussi que beaucoup d'autres Musulmans sont venus au Canada. Les principes d'équité, de d'égalité et de tolérance de même que les valeurs consacrées par la Charte des droits et libertés sont d'une importance capitale pour une multitude de personnes qui ont fait du Canada leur foyer d'adoption.
Les Canadiens d'origine musulmane trouvent inconcevable que le gouvernement ait déposé ce projet de loi qui compromet les valeurs qui nous tiennent le plus à coeur. Le projet de loi C-36 ne représente pas un bon équilibre entre les droits civils et la sécurité.
Rédiger une loi, cela ressemble beaucoup à la construction d'une maison. Il faut avoir d'abord une fondation solide. Même si elle a tout pour plaire, fenêtres, portes et murs, la maison va finir par s'effondrer si la fondation n'est pas solide. Or, la fondation de ce projet de loi n'est pas solide, si bien que les dispositions érigées sur cette fondation présentent aussi des lacunes fondamentales. Ce sont les définitions qu'on y trouve, notamment la définition d'«activité terroriste» et de «facilitation», qui constituent la fondation du projet de loi.
Une foule de témoins vous ont déjà signalé les erreurs de ces définitions. Ils vous ont dit que des personnages héroïques comme Nelson Mandela et Mahatma Gandhi auraient sans doute été considérés comme des terroristes aux termes de ce projet de loi.
Ce ne sont toutefois pas que les héros qui seraient ciblés par les définitions floues de ce projet de loi. Quand j'étais moi-même adolescent, j'ai appuyé les efforts de la ANC et réclamé que l'on mette fin à l'infâme régime apartheid en Afrique du Sud. Aux termes du projet de loi C-36, même quelqu'un d'aussi ordinaire que moi serait considéré comme un terroriste. Les lacunes que cachent ces définitions auront des conséquences humaines dévastatrices.
L'activité terroriste est définie de façon tellement large que beaucoup de Canadiens innocents se trouveront pris dans le filet du projet de loi. Prenons le cas d'un Canadien qui ferait du travail humanitaire ou qui aiderait des réfugiés à l'étranger. Il pourrait être qualifié de terroriste sur la simple accusation d'un gouvernement étranger.
• 1215
Si cette possibilité ne vous paraît pas tellement inquiétante,
je vous ferai remarquer qu'un groupe ou un particulier pourrait
être qualifié de terroriste par le Solliciteur général à la suite
d'un processus administratif, qui ne serait soumis à aucun droit de
regard et où les preuves confidentielles et les considérations
politiques du jour auraient un rôle important à jouer. Les preuves
seraient confidentielles du fait que l'intéressé n'aurait pas le
droit d'en prendre connaissance ni de connaître la nature exacte
des accusations portées contre lui.
Ce processus non seulement viole tous les principes d'équité et de justice, mais va carrément à l'encontre du droit à la justice fondamentale, à la présomption d'innocence et à un procès impartial, qui est garanti par la Charte. Le projet de loi donne aux gouvernements répressifs qui portent de telles accusations un moyen de plus pour persécuter leurs ennemis à l'étranger.
Les rédacteurs du projet de loi ont tenté naïvement d'intégrer les complexités historiques profondes de la géopolitique, de la disparité économique, de la culture, de la religion et de l'idéologie dans un texte délimité. Cette erreur de mauvais calcul illustre on ne peut plus clairement les lacunes fondamentales du projet de loi.
S'aventurant encore davantage sur le terrain juridique encore inexploré, les dispositions concernant la détention préventive compromettent l'une des pierres angulaires de notre système juridique en portant atteinte à un grand nombre des mesures de protection prévues par la Charte, notamment au droit de ne pas être détenu ou emprisonné arbitrairement, au droit à la procédure légale et aux principes fondamentaux de la primauté du droit. La détention préventive caractérise, non pas une société libre et démocratique, mais un état policier paranoïaque.
Le projet de loi, en inventant la facilitation comme infraction terroriste, fait également de Canadiens innocents des criminels. L'absurdité inhérente à cette infraction tient au fait qu'une personne pourrait être reconnue coupable de facilitation même si elle aurait facilité une activité terroriste sans le savoir. Ainsi, des Canadiens agissant en toute bonne foi au nom d'organismes de bienfaisance, ou encore des organismes de bienfaisance eux-mêmes, pourraient s'exposer à de graves sanctions pénales et civiles sans avoir jamais commis d'acte criminel.
Les Canadiens d'origine musulmane sont très actifs dans diverses oeuvres de charité dans le monde parce que la charité envers autrui est l'un des préceptes de notre religion. Aux termes du projet de loi, le travail caritatif des Canadiens serait compromis car le simple fait de porter secours à autrui pourrait être punissable en raison de l'imprécision du projet de loi. Si absurde que cela puisse paraître, le fait est que ces gens-là pourraient être qualifiés de terroristes aux termes du projet de loi sans qu'ils aient jamais commis d'acte criminel.
Quelles sont les conséquences pour quiconque est inscrit comme terroriste sur la liste noire du gouvernement? L'inscription peut résulter d'une simple accusation par un gouvernement étranger dans le cadre d'un processus secret. Les biens de la personne peuvent être saisis. Elle peut être arrêtée et détenue sans avoir été inculpée. Elle peut être traduite en justice sans que ni son avocat ni elle n'ait pu prendre connaissance des éléments de preuve invoqués contre elle, et elle peut être mise en prison pour une période excessivement longue.
Ni l'examen judiciaire ni la disculpation après coup ne pourront remédier aux effets nuisibles du projet de loi. La condamnation sévère de la violation des droits par l'État, peut donner lieu à une jurisprudence intéressante et peut même servir à calmer la culpabilité ressentie par la société pour les torts causés à des particuliers et des groupes innocents mais elle ne rétablira pas la santé financière des familles ruinées, ne permettra pas à ceux qui auront perdu leur gagne-pain de le retrouver ni ne rétablira les liens d'amitié et de confiance rompus par les soupçons, les insinuations et la stigmatisation résultant de l'excès de zèle de l'État. Ces conséquences bien réelles ne peuvent être évitées que par la prévoyance, la franchise et un authentique respect pour les droits civils et la primauté du droit.
Notre coalition craint beaucoup que l'application de ce projet de loi ne cible les Canadiens d'origine musulmane, mais aussi que son effet ne soit aggravé par le fait qu'on passe outre aux garanties offertes par la procédure légale et la Charte pour ce qui est de l'établissement de la liste des terroristes, du déroulement des enquêtes et du système de justice pénale, autant d'éléments qui accentueront encore davantage la discrimination dont ils sont victimes. Bref, le projet de loi violera sans doute les droits à l'égalité garantis par l'article 15.
Les Canadiens d'origine musulmane reconnaissent qu'il faut lutter contre le terrorisme au nom de la sécurité publique. Il faut toutefois le faire avec prudence, prévoyance et circonspection. Par contre, la précipitation et l'imprécision nous vouent sûrement à la catastrophe. Le projet de loi doit faire l'objet d'un débat ouvert, inclusif et exhaustif. Vos audiences ne doivent pas être la dernière étape du processus d'examen du projet de loi.
La sagesse nous conseille d'utiliser les outils que nous avons déjà parce qu'ils ont déjà été éprouvés, que nous les connaissons bien et qu'ils se sont avérés fiables. Le terrorisme est un phénomène complexe, et il s'ensuit que les mesures pour lutter contre le terrorisme ne doivent pas être simplistes. En termes simples, la peur est mauvaise conseillère.
• 1220
Pour lutter efficacement contre le terrorisme, il faut que le
gouvernement se serve des pouvoirs qu'il a déjà et qu'il ne néglige
aucun des nombreux autres moyens dont il dispose. La diplomatie, la
recherche de la paix, l'appui à un gouvernement représentatif et
des relations internationales empreintes d'équité et de justice
sont autant d'instruments qui contribueront bien plus à enrayer la
menace du terrorisme qu'un projet de loi qui menace les droits des
Canadiens.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous entendrons maintenant l'Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada, représentée par Anu Bose.
Mme Anu Bose (directrice générale, Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada): Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
L'Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada vous remercie de lui donner l'occasion de témoigner devant vous sur le projet de loi C-36, projet de loi omnibus appelé Loi antiterroriste.
L'Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible est une organisation sans but lucratif, apolitique et non confessionnelle, qui a pour mandat d'assurer aux femmes immigrantes et aux femmes appartenant à une minorité visible une place égale dans un Canada bilingue. Nous avons récemment témoigné devant le Sénat sur le projet de loi C-11, loi sur l'immigration.
[Français]
Étant donné que je suis anglophone, je ne voulais pas torturer les députés québécois avec mon français.
[Traduction]
Le projet de loi C-36 est, pour reprendre les propos de l'Association du Barreau canadien, une mesure d'une portée énorme. Il a été bricolé à la suite des événements horribles du 11 septembre. La réaction du Canada à cette tragédie a été d'élaborer un projet de loi omnibus qui pourrait, à court terme, donner un faux sentiment de sécurité, mais qui à long terme risque de compromettre les droits et libertés obtenus de haute lutte qui sont consacrés dans la Charte.
Nous demandons que le projet de loi soit rédigé de façon à répondre aux besoins qu'a le gouvernement de lutter contre les activités terroristes, mais sans pour autant violer les droits garantis par la Charte. Notre organisation, comme plusieurs autres, estime que la définition de «terroriste» que donne le projet de loi est trop vaste. Les Nations Unies et les tribunaux canadiens ont refusé de définir le terme. Nelson Mandela, lauréat du Prix Nobel, pourrait ainsi être qualifié de terroriste. Gerry Adams, chef du Sinn Fein, qui siège à l'assemblée législative de l'Irlande du Nord et qui a été l'invité d'un de vos collègues, pourrait-il lui aussi être qualifié de terroriste?
L'histoire nous montre que la définition de «terroriste» qu'applique l'État varie selon ses considérations d'ordre diplomatique et de politique étrangère. La définition de termes comme celui-là est une tâche trop onéreuse, importante et délicate pour être laissée à la discrétion et au jugement des agents de la paix. C'est au Parlement qu'il appartient de définir ces termes et de faire preuve de leadership à cet égard.
Notre organisation craint que l'article 4, tel qu'il est libellé, puisse être invoqué contre des citoyens canadiens qui participeraient à des manifestations légitimes, y compris à des grèves. Comment les opposants à la mondialisation qui ont manifesté à Québec et à Vancouver ainsi que le personnel infirmier et les fonctionnaires qui ont fait la grève plus tôt cette année seront-ils qualifiés?
Nous sommes aussi préoccupés par la criminalisation des activités visant à recueillir des fonds pour ce que nous considérons comme des causes valables. Les dispositions qui permettent au gouvernement d'établir une liste d'entités terroristes ne prévoient pas un processus qui protège suffisamment les droits et sont, à tout le moins, controversées. En ce moment même, il y a des membres de notre organisation qui sont en train de recueillir des fonds pour l'Afghan Women's Mission et pour la Revolutionary Association of the Women of Afghanistan. Est-ce que ces activités font de nous des terroristes?
Notre organisation, en tant que porte-parole des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible, s'inquiète de l'effet disproportionné de beaucoup des dispositions du projet de loi C-36. David Harris, professeur de droit et de valeurs à la faculté de droit de l'Université de Toledo, sommité en matière de profilage racial ou ethnique, tire la sonnette d'alarme. Il soutient que le profilage racial est un filet qui, bien souvent, piège des innocents. D'après lui, la sensibilisation est la clé d'une interception efficace.
Une sénatrice d'origine sud-asiatique qui a été nommée au Sénat récemment a lancé un appel à la prudence relativement au profilage racial. Nous invitons les membres du comité permanent à tenir compte de la théorie de l'effet disproportionné quand ils se prononceront sur le projet de loi C-36.
• 1225
Nous souscrivons à la recommandation du Sénat voulant qu'un
comité distinct de la Chambre des communes et un comité distinct du
Sénat examinent la mise en oeuvre du projet de loi. Nous appuyons
l'idée que la ministre de la Justice soit tenue de présenter un
rapport annuel au Parlement, rapport qui devrait être détaillé sans
toutefois compromettre la sécurité nationale, où seraient décrites
les mesures prises en vertu du projet de loi C-36. Nous entérinons
également la recommandation du Sénat voulant que le Parlement
confie à un haut fonctionnaire le mandat de vérifier si l'exercice
des pouvoirs conférés par le projet de loi est acceptable et de
faire rapport aux deux Chambres sur tous les sujets recensés par le
Sénat.
Notre organisation appuie la recommandation de l'Association du barreau canadien voulant que le projet de loi C-36 soit modifié afin d'y inclure une disposition de temporarisation ou de caducité après trois, ans, sauf pour les dispositions expressément destinées à assurer une protection contre l'intolérance religieuse ou raciale.
Je voudrais maintenant, monsieur le président, aborder la question du blanchiment d'argent, puisque ma thèse de doctorat portait justement sur le blanchiment d'argent dans l'économie parallèle et la formule de Hawala telle qu'elle est pratiquée en Inde. Les arrestations ponctuelles ne permettront malheureusement pas de régler ce problème, étant donné qu'un grand nombre de transferts d'argent se font dans le monde grâce à un système central souterrain non structuré qui permet l'échange de devises d'un endroit à l'autre. Le système est décrit de façon assez détaillée dans l'article de Hilary Mackenzie qui a paru dans l'Ottawa Citizen du 20 octobre, que je recommande à vos attachés de recherche.
Ce système se fonde entièrement sur la confiance, contrairement au tableau que brosse Fukuyama des pays en développement où le niveau de confiance serait très faible. Aucune règle ni aucun règlement ni aucune communication directs n'intervient entre les parties. Toutes les transactions sont faites par l'entremise du courtier, qui prend un certain pourcentage en guise de commission. La formule ne coûte pas cher, elle est efficiente et elle offre une solution de rechange intéressante aux banques nationalisées avec leurs frais usuraires, leur paperasserie et leurs commis bourrus. Le Centre d'examen des opérations financières aurait tout intérêt à inclure ce système dans ses travaux de recherche.
Nous nous demandons avec crainte qui va payer la note de la sécurité nationale. L'honorable ministre de Finances nous a donné à croire qu'il n'avait pas l'intention de présenter un budget déficitaire. Dans ce cas, où va-t-on trouver l'argent nécessaire, surtout dans la conjoncture actuelle qui, d'après les économistes, est marquée par une légère récession attribuable aux conséquences du 11 septembre? Va-t-on réduire encore davantage les dépenses au titre de la santé et de l'éducation, qui touchent les secteurs les plus vulnérables de notre société, notamment les personnes appartenant à une minorité visible? L'assise de notre capital social sera-t-elle grugée encore davantage? L'aide internationale canadienne, qui est à son plus bas niveau depuis 30 ans, sera-t-elle réduite encore davantage dans la conjoncture actuelle? Même le président du Forum des politiques publiques a jugé bon de mettre le gouvernement fédéral en garde contre la tentation d'être obnubilé par la lutte au terrorisme au point de compromettre notre compétitivité future et notre niveau de vie. Or, 44 p. 100 des Canadiens ont déjà des compétences insuffisantes pour leur permettre de se tailler une place dans l'économie du savoir.
En conclusion, les membres de notre organisation sont des femmes, dont certaines ont dû fuir la terreur, parfois dirigée ou inspirée par l'État, dans leur pays d'origine. Elles sont venues au Canada avec leur famille pour y refaire leur vie et y vivre en paix. Elles ne veulent certainement pas être victimes d'actes de terreur perpétrés au Canada ou à l'étranger. Notre organisation vous demande, à vous les représentants élus des Canadiens, de trouver un juste équilibre entre la liberté individuelle et la sécurité collective. Permettre aux préoccupations liées à la sécurité nationale de fouler aux pieds les libertés qui nous tiennent tant à coeur équivaudrait à donner la victoire à ces mêmes terroristes auxquels le projet de loi veut faire échec.
[Français]
Je vous remercie infiniment.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Fitzpatrick pour sept minutes.
M. Brian Fitzpatrick, (Prince Albert, Alliance canadienne): Merci beaucoup, mesdames et messieurs, pour vos exposés très instructifs.
Nous vivons dans une démocratie libérale, et j'utilise le terme dans son acception apolitique. Or, les sociétés démocratiques libérales répugnent à l'idée que l'État cherche à connaître quelles sont nos convictions religieuses, politiques ou idéologiques.
• 1230
Il y a certains éléments de cette définition qui inquiètent
les gens quelle que soit leur allégeance. Il me semble, par
ailleurs, que l'expression «de nature politique, religieuse ou
idéologique» est beaucoup trop vaste pour qu'on puisse vraiment en
comprendre le sens. Je ne suis pas sûr qu'il y ait quoi que ce soit
qui ne pourrait être englobé dans cette définition. Voilà donc
certaines des préoccupations que soulève la définition.
D'autres prétendent—je l'ai entendu dire à maintes reprises, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec eux—qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter de la dimension économique. C'est là une conclusion que je conteste. Nous ne devons pas nous préoccuper uniquement d'actes de violence. Si quelqu'un nous prive de notre approvisionnement énergétique en janvier, nous aurons un sérieux problème. Il y a aussi notre système financier qui, de nos jours, dans le contexte de la mondialisation et de tout le reste, est tributaire de nos systèmes d'information; si ce système d'information tombe en panne, nous aurons aussi de sérieux problèmes. Je suis convaincu que les terroristes chercheront à déstabiliser notre société par tous les moyens possibles. Aussi ce ne sont pas seulement les actes de violence dans le sens strict du terme qui doivent nous inquiéter. Je pense que les terroristes utiliseraient tous les moyens à leur disposition pour parvenir à leurs fins. S'ils pouvaient déstabiliser notre économie, notre système ou notre façon de faire quelque chose, ils le feraient. Je tenais simplement à faire cette observation.
Je veux m'intéresser plus particulièrement l'idée de l'erreur sur la personne. Sans vouloir manquer de respect envers qui que ce soit, je constate que les personnes qui figurent sur la liste des États-Unis sont pour la plupart d'origine musulmane ou arabe. D'après ce que j'en sais, il en va de même pour la liste canadienne. Or, je n'ai absolument aucun doute qu'il y ait beaucoup de noms qui reviennent souvent dans les communautés arabe et musulmane.
Je m'explique. Si le contexte était différent et qu'on retrouvait sur la liste des noms comme John McKay, Andrew Scott ou John Maloney et que, pour faire échec au recyclage des produits de la criminalité, toutes les institutions financières étaient tenues de signaler les transactions suspectes et qu'elles étaient habilitées à geler les avoirs, à fermer les comptes, etc., je pense que nous ne tarderions sans doute pas à nous rendre compte des nombreuses injustices que pourrait engendrer un système comme celui-là.
Voilà ce qui m'inquiète avec l'inscription sur la liste. S'il y avait erreur, les conséquences pourraient être vraiment affreuses pour bien des innocents. Il n'y a vraiment pas beaucoup de mécanismes de protection pour celui qui voudrait faire rayer son nom de la liste. Il pourrait présenter une demande au solliciteur général qui, s'il concluait au bien-fondé de la demande, pourrait rayer le nom de la liste. En fait de recours, il n'y a toutefois pas grand-chose d'autre dans le projet de loi. J'aimerais entendre ce que le porte-parole de la communauté musulmane a à dire à ce sujet. Nous avons entendu les représentants des syndicats et d'autres groupes, et j'aimerais aussi savoir ce qu'ils en pensent.
J'ai pris connaissance du rapport sénatorial, qui me paraît être une analyse très judicieuse du projet de loi. Je serais curieux de savoir ce que vous pensez des recommandations du Sénat en ce qui concerne le projet de loi.
Le président: Monsieur Mia.
M. Ziyaad Mia: Merci.
Vous soulevez à mon avis un excellent point, car vous vous intéressez à la définition en tant que telle, non pas au projet de loi, et bien à la disposition concernant les motifs politiques, religieux ou idéologiques. C'est là un terrain mouvant qu'il vaut mieux éviter, bien sûr, car vous l'avez fait remarquer à juste titre, bien des gens se trouveront ainsi pris au piège, et le gouvernement n'a pas d'affaire à s'enquérir des convictions politiques ou religieuses d'une personne dont le comportement reste pacifique.
En tant que musulmans, nous sommes très préoccupés par la possibilité que cette définition contextuelle englobe beaucoup de musulmans. Notre inquiétude tient au fait que, même si les infractions sont décrites dans un langage neutre, beaucoup de musulmans se trouveront coincés par les dispositions du projet de loi à cause du climat de peur qui règne à l'heure actuelle. Nous disons entre autres qu'une définition aussi englobante n'a pas sa place dans le projet de loi.
• 1235
Comme vous l'avez dit, sur les listes que vous avez vues
surtout des noms musulmans apparaissent. Vous soulevez là un
excellent point, car la plupart des listes qui circulent sont des
listes de noms musulmans. Même si des gens ayant des noms musulmans
commettent des actes de terrorisme, les gens qui ont des noms
musulmans n'ont malheureusement pas le monopole de la terreur.
Partout dans le monde, des actes de terreur sont commis par des
gens qui ont d'autres noms et d'autres religions auxquelles ils
prétendent adhérer.
Le problème tient donc au fait que la liste sera politisée. Si ce sont les musulmans qui sont aujourd'hui l'incarnation de la terreur, ce sont eux qu'on va mettre sur la liste. Dans 20 ans, si la terreur a une consonance irlandaise ou autre, ce sera au tour des Irlandais ou d'autres.
Prenons un exemple concret. Supposons que les musulmans se récrient contre l'intervention des Israéliens en Palestine ou les Américains contre l'Irak. Seraient-ils de ce fait des terroristes? Les bombes larguées sur l'Irak sont sûrement destinées à semer la terreur pour des raisons politiques, à intimider la population et le gouvernement de ce pays afin qu'ils se comportent d'une certaine façon. Cela correspond à la définition d'un acte terrorisme. L'aviation américaine figurerait-elle alors sur la liste des terroristes?
Le problème tient donc au fait que ce soit politisé et ainsi beaucoup de musulmans seront pris au piège; j'estime que le problème tient donc à l'effet disproportionné qu'aura le projet de loi pour les musulmans.
Je crois que M. Baksh voudrait intervenir lui aussi.
M. Khalid Baksh (Muslim Lawyers Association; Coalition of Muslim Organizations): Nous avons notamment remarqué, par exemple, que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario a dressé sa propre liste et, après l'avoir parcourue, je suis tout à fait d'accord pour dire que ce sont des noms à consonance musulmane qu'on y trouve. Reste à savoir toutefois si les personnes en question sont effectivement musulmanes, car c'est là une question de choix individuel. Beaucoup des organismes qui y figurent sont certainement des organismes de type islamique ou, à tout le moins, des organismes installés dans des pays à population musulmane.
Il s'en trouve toutefois quelques-uns qu'il nous semble très étrange de voir sur cette liste. Il y a par exemple le groupe Rabita Trust, dont les oeuvres de bienfaisance sont bien connues dans le monde. Ce groupe fait un travail formidable d'aide aux économies en développement.
Ce qui fait surtout problème, c'est que la liste est publique et que certains des noms qui y figurent ressemblent aux noms d'autres personnes. Nous sommes 1, 2 milliard de musulmans dans le monde. Naturellement, certains de nos noms se retrouveront sur la liste. La pire conséquence de tout cela, c'est qu'il y aura un refroidissement de l'ardeur au chapitre de l'aide internationale, des oeuvres de bienfaisance.
Le président: Merci.
Monsieur Bellehumeur, vous avez sept minutes.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Je voudrais vous remercier de votre présentation de ce matin.
Vos mémoires et votre témoignage confirment bien des choses. Ils corroborent beaucoup d'autres témoignages que nous avons entendus. Je pense que le point central du projet de loi C-36, s'il y en a un, est la grande définition d'«activité terroriste». La première partie, qui fait référence aux conventions internationales, ne pose pas de problème. La partie qui traite des activités terroristes «made in Canada» est celle qui pose problème.
Très honnêtement, même en apportant des amendements au projet de loi actuel, il me semble qu'il faudrait reprendre le travail à zéro. Il faudrait recommencer, adopter une nouvelle définition, car, contrairement à M. Fitzpatrick, je ne crois pas à la notion de terrorisme économique. Il s'agit d'autre chose. Si on manque d'électricité parce qu'il y a un virus dans le système informatique, ce n'est pas du terrorisme. Si on fait sauter un barrage, c'est du terrorisme. Je pense qu'il faut faire la distinction.
La définition d'«activité terroriste» est très vaste. Même l'intimidation sur le plan économique pourrait être considérée comme un acte de terrorisme en vertu de cette définition. Je pourrais vous nommer beaucoup d'hommes d'affaires canadiens et plusieurs banques, si on pense à nos taux d'intérêt, qui font de l'intimidation également, et ils ne sont sûrement pas considérés terroristes. Le protectionnisme américain, si on applique la définition telle quelle, pourrait être jugé terrorisme économique.
Cela n'est qu'un aspect. Je comprends que cette partie est celle qui intéresse le plus le syndicat aussi, si on pense aux manifestations illicites et autres. Considérons les droits individuels, la détention provisoire et le droit à un avocat. On se demande si un avocat sera présent lors d'interrogatoires d'individus qui seront arrêtés, mais qui n'auront été accusés de rien. Je sais qu'ils ont droit à un avocat, mais à quel moment ce dernier sera-t-il présent?
• 1240
Parlons maintenant d'écoute électronique. Tout cela a été
rédigé très rapidement, de l'aveu même de la ministre de
la Justice. Au tout début de la crise,
l'Alliance canadienne voulait avoir
une loi antiterroriste et la ministre disait que nous n'en
avions pas besoin, et je suis d'avis que nous n'en
avons pas besoin. Nous possédons tous les outils
nécessaires. Il faut simplement les utiliser
correctement. Il faut peut-être
mettre en vigueur certaines conventions
internationales. Je partage cette opinion. Il faut
peut-être
renforcer certains éléments au chapitre des crimes
haineux. Je partage aussi cette opinion.
Par contre, je suis contre le fait qu'on nous mette
un couteau
sur la gorge pour adopter cette loi rapidement.
Ma seule et unique question, que j'ai déjà posée à l'autre groupe, est la suivante. Croyez-vous que je fais une erreur si, à titre de législateur représentant ses commettants, je tente d'améliorer ce projet de loi? Mon rôle serait-il plutôt de transmettre à la ministre de la Justice les modifications que j'apporterais à la loi ainsi que le rapport du Sénat? Devrais-je lui demander de refaire ses devoirs et de revenir nous voir rapidement pour que nous puissions prendre le temps d'examiner le tout et que d'autres spécialistes prennent le temps d'examiner notre rapport, le rapport du Sénat et le nouveau projet de loi? Serait-il plus intelligent de faire cela, compte tenu qu'il s'agit de quelque chose de grave? En toile de fond, le gouvernement nous dit que, finalement, il n'y a aucune indication que le terrorisme vise le Canada. Oui, il y a urgence, compte tenu des événements du 11 septembre. N'avons-nous pas le temps de faire une loi meilleure, compte tenu qu'il n'y a aucune indication que le Canada est dans la mire du terrorisme international?
[Traduction]
Le président: M. Mia, suivi de M. Barrette.
M. Ziyaad Mia: Je pense que vous avez bien résumé notre argument.
Je vais commencer par votre dernière question, à savoir ce que vous devriez faire en tant que représentant élu. C'est justement pour cette raison que nous sommes là, parce que vous êtes les représentants de la population canadienne et que votre comité sert de tribune d'examen législatif. Comme vous le savez, les grands parlementaires de la common law en Angleterre vous ont notamment confié la responsabilité à cet égard, vous ont demandé de protéger nos droits et de servir essentiellement de contrôle pour garantir le respect de nos droits.
La question que vous avez soulevée est importante, et je vous dirai que ce que vous avez à faire, c'est de retourner dans votre circonscription et dire à vos électeurs qu'en bonne conscience la mesure ne répond pas à ce qu'on attend du législateur. Elle a été rédigée à la hâte. Elle est complexe. J'ai fait des études de droit, et je ne comprends pas tout ce qui se trouve dans le projet de loi. Il y a certaines dispositions qui sont même incompréhensibles et mal rédigées.
L'effet sur les droits est tellement important, surtout dans le climat de peur qui règne à l'heure actuelle, que beaucoup d'innocents vont souffrir si vous accordez ces pouvoirs mal définis. Comme je l'ai dit dans mon exposé, il est intéressant de lire les décisions qui permettront d'éviter que certains abus ne se reproduisent, mais ces décisions ne vont pas permettre à la famille de reprendre sa vie comme avant. Ceux qui seront mis en détention à titre préventif et qui, de ce fait, ne se présenteront pas à l'usine où ils travaillent perdront sûrement leur emploi. Ce sera fini pour eux, comprenez-vous? Oh, désolé, Ziyaad, nous savons bien que vous êtes quelqu'un de bien, mais on vous a arrêté. Premièrement, on est mis en détention pendant trois jours et on perd son emploi; puis, on est à tout jamais qualifié de terroriste. Des membres de notre communauté nous ont dit que la GRC est venue enquêter et parler à certaines personnes et avait en réalité mis la puce à l'oreille des employeurs, les décourageant d'employer certains qui voudraient venir travailler chez eux. On n'accuse pas, mais on insinue et on noircit la réputation des gens.
Le fait est que les outils existent déjà. Nous avons besoin des outils diplomatiques d'un côté pour que nos bonnes relations internationales nous permettent de nous attaquer aux racines profondes du terrorisme—voilà ce que dit le gouvernement—plutôt qu'aux symptômes du terrorisme. Le 11 septembre était un symptôme, et je pense que le Code criminel est suffisant pour s'y attaquer. Le gouvernement a indiqué dans son communiqué de presse et dans les déclarations qu'il a faites à l'intention des médias que l'enlèvement, le meurtre et tous les autres actes commis le 11 septembre constituent déjà des infractions aux termes du Code criminel. Aux États-Unis, les auteurs de ces actes seraient sans doute condamnés à la peine de mort, s'ils étaient toujours vivants.
Vous n'avez qu'à vous reporter à l'article 21 du Code criminel sur les participants à une infraction. Cette disposition est tellement générale que quiconque participe à une infraction aux termes du code ou est complice après le fait ou aide quelqu'un à commettre une infraction peut être tenu responsable au pénal.
Vous voulez parler de planification? Le gouvernement dit qu'on a besoin de cette loi parce qu'il faut pincer tous ces esprits tordus qui planifient des actes terroristes à long terme, et le Code criminel est insuffisant pour ce faire.
• 1245
L'article 465 du Code criminel fait état du complot. Lisez-le,
il s'agit d'un complot entre au moins deux personnes qui complotent
pour commettre une infraction, ici ou à l'étranger. Le fait de
comploter au Canada pour commettre une infraction à l'étranger,
dans un pays où la loi interdit le complot, constitue une
infraction ici. Si vous complotez à l'étranger pour commettre un
acte au Canada qui constitue une infraction en vertu de notre Code
criminel, vous commettez également une infraction. C'est suffisant.
Ces outils juridiques existent.
Que faisons-nous ici? Nous prenons le code et nous jouons avec quelques définitions. On y ajoute la religion, l'idéologie et la politique, et on fait un gros gâchis de tout ça. C'est ce que c'est. Je ne dis pas que tout le Code criminel est conforme à la Charte, mais il a résisté à l'épreuve du temps. La validité de cette disposition a été confirmée; elle existe.
Si vous dites qu'il faut vraiment punir les actes terroristes afin de faire un exemple chez nous, ce projet de loi prévoit en fait des peines consécutives, ce qui est très troublant, parce que certaines infractions font état de la facilitation et de la participation à des actes terroristes, et du fait de donner refuge à des terroristes. C'est tellement vague que le fait de commettre un seul acte vous fait commettre trois infractions à votre insu. Vous serez coupable de ces trois infractions.
En vertu de ce projet loi-ci, pour tout acte criminel qui constitue un acte terroriste, vous êtes passible de la réclusion à perpétuité pour chacun d'entre eux. Même Paul Bernardo, ce fou, purge des peines concurrentes. Désormais, quiconque commet une infraction insignifiante, qui se trouve aggravée parce qu'elle est assortie d'une connotation terroriste, fera 75 ou 100 ans de prison, ou davantage. À mon avis, c'est anticonstitutionnel et c'est aberrant, dans notre pays.
Autre chose, vous pouvez tout simplement amender les dispositions relatives à la sentence et dire que le terrorisme est une circonstance aggravante.
Le président: Monsieur Barrette.
M. Steve Barrette: Dans un monde idéal, oui, nous ferions marche arrière et adopterions la bonne loi du premier coup. J'imagine que nous ne vivons pas dans un monde idéal, j'imagine que ce projet de loi va franchir l'étape de la troisième lecture dans les prochains jours, et ainsi de suite. Étant donné la réalité politique présente, permettez-moi de répondre à votre question sous l'angle du terrorisme économique.
La difficulté réside en fait dans la définition légale de l'«intimidation», et dans le libellé du projet de loi où il est question d'un acte visant à contraindre quelqu'un de faire une chose ou de ne rien faire. Avec un libellé aussi vague, oui, j'affirme que le projet de loi est excessivement vague.
Nous faisons valoir que dans le contexte syndical, les tribunaux se sont déjà penchés sur le délit civil qu'est l'intimidation. On considère qu'il y a intimidation lorsque les travailleurs menacent l'employeur de rompre une convention d'emploi. On ne saurait dire que ce genre d'activité constitue un acte de terrorisme.
En fait, je suis d'accord avec vous pour dire que certains actes visant strictement l'économie peuvent en fait être considérés, et doivent même l'être, comme des actes de terrorisme, mais non une perturbation économique ou une perturbation isolée. La perturbation économique ou autre est au coeur même de notre système économique. Nous, Canadiens, devons reconnaître que cela fait partie de notre réalité. Mais si cette perturbation économique résulte de l'un des actes mentionnés aux divisions (ii)(A), (B) et (C) de la définition—à savoir, causer la mort, causer des blessures graves, mettre en danger la vie d'une personne ou compromettre gravement la santé ou la sécurité de la population—alors là le fait qu'il s'agisse d'un acte économique conjugué avec ces effets ou cette intention devrait, avec raison, si les autres aspects de la définition sont mieux articulés, constituer un acte terroriste. Mais la perturbation économique ou autre dont il est question à la division (E) est, à notre avis, trop vague et inutile.
Enfin, je veux rappeler quelque chose que j'ai dit lors de ma première intervention, en réponse à une question posée plus tôt. Pour ce qui est de l'inclusion d'un acte commis au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, certains ont recommandé que l'on retranche cette disposition intégralement. Nous comprenons l'esprit de cette proposition étant donné qu'elle est offensante et qu'elle ne nous permettra probablement pas de combattre ce que nous entendons collectivement par le terrorisme. Mais l'un des avantages de la division b)(i)(A) tient au fait qu'elle tente à tout le moins—et je crois que nous devons la reconnaître—d'imposer une limite au libellé par ailleurs très vague.
Nous croyons qu'il devrait y avoir un seuil de remplacement—non pas une enquête sur la motivation ou le but de nature politique, religieux ou idéologique, mais une enquête visant à savoir si la personne qui a commis l'acte savait, ou aurait dû raisonnablement savoir, que la conséquence probable de l'acte était de susciter la terreur ou la panique généralisée dans la population. Voilà ce que nous voulons dire collectivement, je crois, et c'est une solution, ou à tout le moins une tentative visant à corriger cette partie de la définition, si on adopte le projet de loi.
Le président: Merci beaucoup.
Conservez une partie de vos réponses pour les bonnes questions que M. MacKay s'apprête à vous poser, j'en suis sûr.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. J'apprécie votre optimisme.
Je tiens à remercier tous les témoins pour leurs excellents exposés. Nous avons été littéralement renversés, comme beaucoup d'entre vous je crois, lorsque nous nous sommes mis à étudier ce projet de loi et à le passer au peigne fin. C'est une loi complexe, exhaustive, qui tend un filet très large au niveau des définitions, comme vous l'avez signalé avec raison. Depuis 40 dernières minutes, vous exprimez pas mal le sentiment qui commence à émerger ici, et qu'on ne cesse de répéter, à savoir que ce projet de loi pourrait fort bien susciter davantage de terreur qu'il n'en préviendra.
Je suis particulièrement inquiet, franchement, par la question des ressources, préoccupation qui ne semble pas du tout présente pour le moment, et qui peut influencer sur la mise en oeuvre du projet de loi. Avant qu'il ne soit proposé, on entendait des rumeurs au sujet de membres des communautés arabe et musulmane qui sont déjà visés parce qu'ils portent des noms familiers, parce qu'ils ont des signalements correspondants, et à qui on refuse le droit de consulter un avocat. Il existe une crainte réelle, légitime à mon avis, chez ces nouveaux Canadiens qui ne connaissent peut-être pas les droits dont ils jouissent lorsqu'ils débarquent en sol canadien.
Vous avez relevé, monsieur Mia, en des termes très explicites, l'absence de contrôle judiciaire dans ce projet de loi, l'incapacité d'avoir accès à un juge. Et je crois que votre résumé est extrêmement juste et précis, lorsque vous dites que l'un des principes sur lesquels repose la justice est la capacité de se défendre pleinement. Mais comment peut-on se défendre pleinement si l'on ne sait pas de quoi on est accusé, ou quelles sont les allégations? Cela s'applique à l'établissement de la liste. Vous ne saurez peut-être même pas que votre nom figure sur une liste, et encore moins la possibilité de réfuter certaines allégations.
J'ai une question pour vous, et ceux d'entre vous qui connaissent la scène internationale seront peut-être mieux à même d'y répondre. Le ministère de la Justice et la ministre elle-même nous disent constamment que les nombreuses raisons qui motivent la nécessité de resserrer les sources d'information au Canada, de court-circuiter le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée, d'abolir, dans une large mesure, l'accès aux dispositions relatives à l'information, d'autoriser la délivrance d'un certificat qui voile complètement les informations gouvernementales pour des raisons de défense nationale ou de sécurité, ou l'autre définition nébuleuse des relations internationales... A-t-on l'impression que les lois canadiennes sur l'accès à l'information sont faibles? A-t-on l'impression à l'étranger que, si l'on transmet des informations au Canada, ces informations vont faire l'objet de fuite?
Il semble que les exemples les plus récents dans le contexte canadien étaient des fuites qui ne provenaient pas des fonctionnaires, mais bien des politiciens eux-mêmes, qui en étaient les auteurs. Il n'y avait pas eu de demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, ou d'intervention de la part des agents indépendants du Parlement. Savez-vous si d'autres pays auraient demandé que le Canada resserre les contrôles qu'il a sur l'information?
Enfin, au sujet de la réputation et du recours, vous avez parfaitement raison. Dès que pèse un soupçon, dès qu'on vous a interrogé au travail ou ailleurs, ou dès que la présomption existe, personne ne peut refaire votre réputation. Personne ne peut vous rembourser les intérêts que vous avez perdus sur vos biens qui ont été gelés. Donc, non seulement il n'y a à peu près pas de contrôle judiciaire ou parlementaire, il n'y a rien d'explicite dans ce projet de loi qui dit: voici comment on peut vous indemniser, voici à qui vous pouvez vous adresser une fois que vous avez été interrogé et libéré, voici le bureau auquel vous vous adressez pour vous faire indemniser, et voici comment nous allons essayer de rétablir votre réputation et votre sécurité économique.
J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.
Le président: Monsieur Baksh.
M. Khalid Baksh: En réponse à votre première question, de toute évidence, nous n'avons pas accès aux gouvernements étrangers. Nous n'avons pas accès aux responsables des services de sécurité étrangers, donc pour ce qui est de savoir ce qu'ils pensent de la protection des informations au Canada, nous ne pouvons pas répondre à cette question. Nous pouvons vous dire, du point de vue de nos membres de notre collectivité, de nos entretiens avec eux, que l'on favorise et respecte dans le monde entier les valeurs canadiennes essentielles.
• 1255
L'une des principales raisons pour lesquelles les Musulmans
s'établissent dans notre pays tient justement à ces valeurs
fondamentales. Elles sont respectées par la magistrature, nos
responsables de la sécurité, le gouvernement et nos concitoyens
canadiens. C'est un aspect très important.
Les effets sur les personnes dont vous parlez sont réels. Nous sommes ici aujourd'hui. Nous représentons plus de 140 organisations musulmanes. La vaste majorité des Musulmans du Canada appartiennent à ces organisations. Les Canadiens musulmans voient la situation et disent que leurs craintes sont réelles, qu'elles ne tiennent pas seulement à ce projet de loi-ci mais à ce qui se passe en ce moment.
Dans le mémoire que nous vous avons remis, à l'annexe B, il y a une liste de statistiques. Excusez-moi, vous ne l'avez peut-être pas tous en votre possession. Nous avons énuméré ici 105 incidents qui nous ont été signalés. Ces incidents étaient motivés par le racisme, par la haine et par le profilage racial. Nous ne sommes au courant que d'un très petit nombre de cas. Je me suis personnellement occupé de nombreux cas qui n'ont pas été signalés.
Je suis avocat. J'exerce le droit à Toronto. Depuis le 11 septembre, de nombreux Musulmans m'ont contacté pour obtenir des conseils relativement au ressac, au profilage racial et à la haine dont ils font l'objet de la part de leurs concitoyens canadiens, de la police, et de ce qu'ils considèrent être des sources gouvernementales.
Et voilà que vous proposez un projet de loi comme celui-ci, un projet de loi qui détruit les valeurs fondamentales mêmes qui nous ont attirés dans ce beau pays, et toute cette question de la peur continue de se poser. Cette peur est réelle, elle est palpable, elle existe. Il y aura donc de véritables effets sur les personnes.
En réponse à M. MacKay, aucune indemnité ne saura reconstruire les vies qui seront détruites à cause de ce projet de loi.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Bose, vous vouliez intervenir?
Mme Anu Bose: Je travaille en Asie depuis 20 ans et j'ai passé les cinq dernières en Asie centrale, dans l'ancienne Union soviétique. Je n'ai entendu dire nulle part que le Canada est un pays faible. On nous voit comme de braves gens, comme diraient les Britanniques—un peu insipides, ennuyeux, mais gentils.
Depuis 20 ans, dans tous les pays où j'ai vécu, je n'ai entendu que du bien au sujet du Canada. On me disait que j'avais de la chance. Je suis arrivée au Canada après avoir fait mes études aux États-Unis, à la fin de la guerre du Vietnam. Je me suis installée au Québec parce que j'étais plus que bilingue à cette époque, mais je le suis moins après avoir passé 20 ans en Grande-Bretagne et dans les colonies.
Le président: Avant de céder la parole à M. Mia, je tiens à signaler aux membres du comité que nous allons prolonger les heures de séance afin de compenser le temps perdu à cause du vote.
M. Mia.
M. Ziyaad Mia: Je n'ai que quelques brèves observations.
• 1300
Pour ce qui est de l'élasticité de l'information au Canada, on
a cité les propos que M. Manley a tenus plus tôt cette semaine ou
à la fin de la semaine dernière à New York, lors d'un événement à
caractère commercial, où il claironnait le fait qu'aucun des
terroristes ne provenait du Canada; Nous avons la situation bien en
main ici, disait-il; n'ayez aucune inquiétude de notre côté. Le
discours est donc ambigu. Qu'en est-il au juste? Est-ce blanc ou
noir?
M. Peter MacKay: C'était avant le dépôt du projet de loi C-36.
M. Ziyaad Mia: C'est exact.
M. Peter MacKay: Il dit que notre pays est sûr maintenant.
M. Ziyaad Mia: C'est exact. Il disait que la menace ne provenait pas du Canada; que nous n'allons causer aucune inquiétude ici. Ici, comme il dirait, «les murs n'ont pas d'oreilles».
Un mot au sujet de l'expérience que j'aie de l'accès à l'information, dans le contexte environnemental—je suis avocat spécialisé en droit réglementaire—essayez d'obtenir la moindre information du gouvernement qui n'a rien à voir avec la sécurité nationale, ce n'est pas une mince affaire.
J'imagine que les contrôles prévus dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, et toutes ces autres lois existent déjà. Le gouvernement ne va pas divulguer des renseignements s'il ne le veut pas. Les contrôles existent, donc je ne vois pas pourquoi on aurait besoin de limiter la circulation de l'information.
Il y a un autre aspect troublant dans cet affaiblissement des dispositions relatives à la protection de la vie privée dans ce projet de loi. Disons que Revenu Canada possède des renseignements sur vous qu'il ne peut pas les communiquer au ministère des Pêches. Vous ne voulez pas vivre dans un monde orwellien. Ce projet de loi menace certaines de ces mesures de protection, de telle sorte que le SCRS peut dire: «Montrez-moi la déclaration d'impôt de Mia pour que je puisse voir ce qu'il fait d'autre. A-t-il un casier judiciaire?», ce genre de chose, et on mélange tout cela.
Au sujet des incidents signalés, je me contenterai de vous raconter une anecdote. Je suis avocat spécialiste du droit réglementaire. Je ne m'occupe pas de droit criminel ou d'autre chose. J'étais à la mosquée lorsque notre coalition préparait notre intervention ici. Des gens, des gens ordinaires, venaient me voir pour me demander ce qu'ils devaient faire. Ces gens étaient des immigrants. Nous, qui avons fait des études de droit sommes bien intégrés dans la société, nous connaissons les moeurs canadiennes. Mais ces gens étaient des Somaliens, ils sont ici depuis cinq ans seulement.
Ils ont peur des autorités, il y a donc des choses qu'ils ne signalent pas à la police. Puis la police apparaît à votre porte. La police est arrivée avec un mandat—sans porter d'accusation—pour une infraction quelconque, elle a saisi l'ordinateur de cet homme et tout le reste et elle refuse de le lui remettre. Il téléphone à la police sans cesse. Ce sont des petites choses comme ça.
M. Peter MacKay: Ce qui fait qu'ils sont plus vulnérables lorsqu'on leur demande de divulguer des informations à propos de leurs clients.
M. Ziyaad Mia: Ça, c'est l'autre problème—le secret professionnel de l'avocat. En vertu du CANAFE et des autres lois, vous êtes obligé de déclarer les transferts d'argent et les transactions financières. Vous pouvez aussi être visé par l'une des infractions relatives à la participation. L'infraction relative à la participation, paragraphe 83.17(3), dit que vous participez à un acte, y contribuez ou le facilitez si vous fournissez un avantage ou une compétence. Donc si quelqu'un dans la communauté est inculpé et que je le défends; je lui donne un avantage. Si cette personne en retour me paie, c'est un avantage pour moi et je pourrais donc être inculpé.
Le président: Monsieur Barrette va répondre le dernier, après quoi nous passerons de l'autre côté. Monsieur Barrette.
M. Steve Barrette: Brièvement, si les avocats peuvent être rapides et je crois qu'on a la preuve du contraire.
Si les effets du projet de loi qui sont très concrets et tragiques sur le plan humain, si votre comité ou le Parlement l'adopte sans le retravailler de fond en comble, ne suffisent pas à dissuader votre comité ou le Parlement de l'adopter, à tout le moins, on voit la nécessité d'y ajouter une disposition de temporarisation.
Il y a comme qui dirait un contrôle et franchement de quoi s'inquiéter quand on voit les pouvoirs que donne ce projet de loi aux diverses autorités, et dont elles pourraient abuser. Si on n'a pas au moins la certitude que d'ici trois ans, on aura réellement l'occasion, que nous n'avons pas maintenant étant donné les contraintes temporelles qu'on nous impose, d'étudier de nouveau ce projet de loi, nous allons essentiellement perpétuer cet état de choses si nous n'avons pas ce genre de contrainte. À notre avis, ce serait aberrant.
Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne)): Merci.
Monsieur John McKay, vous avez sept minutes.
M. John McKay: Merci, monsieur le président, et merci à tous d'être ici.
Ma question s'adresse à tous les témoins. On nous a dit à maintes reprises que ce projet de loi était conforme à la Charte, peu importe ce que cela veut dire. Certains soupçonnent que ce n'est peut-être pas tout à fait vrai. Si vous deviez contester la validité de ce projet de loi, et je crois qu'il sera contesté inévitablement, comment analyseriez-vous les choses? Quels seraient vos points d'attaque, étant donné qu'on a l'impression que ce projet de loi sera adopté d'une manière ou d'une autre? Sous quels angles ce projet de loi est-il vraiment vulnérable?
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Monsieur Mia.
M. Ziyaad Mia: Je tâcherai de ne pas accaparer tout le temps cette fois.
En résumé, si ce projet de loi est conforme à la Charte, on peut dire que le Titanic était aussi à l'abri des naufrages.
Je ne veux pas faire une longue analyse juridique. Je vous donnerai mes principaux arguments. J'ignore si vous avez en main notre mémoire, mais lorsque vous le lirez, vous verrez que nous mentionnons le critère d'Oakes, que certains d'entre vous connaissent, j'en suis sûr, à propos de la Charte. La Cour suprême a énoncé ce critère dans son analyse de l'article 1 de la Charte.
L'article 1 dit essentiellement que tous les droits et libertés de la Charte sont garantis, sauf lorsqu'il appartient au gouvernement, s'il porte atteinte à l'une de ces libertés, de justifier que de telles atteintes sont compatibles avec les pratiques d'une société libre et démocratique. Le juge en chef Dickson, ce grand juriste de la Cour suprême, a énoncé dans l'affaire La Reine c. Oakes, en 1986, le critère fondamental d'Oakes, comme on l'appelle, et il l'explique.
Essentiellement, le critère d'Oakes comporte trois éléments. Il faut que le gouvernement ait un objectif. L'objectif ici est assez vaste, à savoir que le terrorisme constitue une menace sérieuse pour le Canada et que nous devons le contrer de plusieurs manières.
Le premier élément du critère Oakes est essentiellement le lien rationnel. Il doit y avoir un lien rationnel entre les mesures qui sont prises. Donc les mesures qui sont prises dans ce projet de loi doivent présenter un lien rationnel avec l'objectif défini par le gouvernement, à savoir combattre le terrorisme.
Nous pensons que le lien rationnel est absent d'emblée étant donné que l'objectif est très vaste, et comme M. Bellehumeur l'a dit, je crois, on ne sait pas en quoi consiste cette menace ni dans quelle mesure elle est grave, et les mesures qui sont proposées ici sont tellement générales que de nombreux innocents pourraient se faire arrêter. On ne va pas arrêter les terroristes ou les terroristes en puissance. Il n'y a donc pas de lien rationnel avec l'objectif.
Le second élément est l'entrave minimale où l'État est justifié de violer des droits. Exemple, les programmes RIDE pour les conducteurs en état d'ébriété. Ces programmes étaient justifiés parce qu'on attentait à vos droits, mais c'était pour le bien général. Mais il s'agissait d'une entrave minimale. On vous arrêtait un moment, on sentait votre haleine et on vous donnait votre laissez-passer, et vous pouviez continuer. Mais une entrave minimale suppose qu'il faut prendre des moyens très précis pour atteindre son objectif, dans la façon dont on porte atteinte aux droits. Il doit donc s'agir d'une atteinte minimale pour réaliser l'objectif.
De toute évidence, comme je l'ai dit, je ne veux pas vous faire une analyse complète. Le droit que vous avez de vous défendre pleinement, l'article 9 de la Charte, les articles 10 et 11, tous ces droits sont violés à l'article 7. Nous l'expliquons dans notre mémoire.
Le troisième critère est celui de la proportionnalité. Au bout du compte, c'est probablement l'élément le plus important du critère d'Oakes. Vous prenez les effets de la mesure—dont le projet de loi C-36 dans la mesure où il porte atteinte aux droits—et vous les évaluez par rapport aux droits de la personne et aux objectifs, et il doit y avoir proportionnalité.
Ce que je dis, c'est qu'on ne prend pas une enclume pour tuer une mouche. C'est ça, essentiellement, le critère de proportionnalité, et le lien rationnel intervient également. S'il y a un lien rationnel et que vous ne voulez pas intervenir trop pesamment, s'il vous faut un marteau, n'utilisez pas une enclume, vous voyez ce que je veux dire.
Je crois que ce projet de loi sera probablement invalidé pour tous ces motifs. Normalement, la Cour suprême est indulgente pour ce qui est des objectifs, mais je crois que ce projet de loi sera invalidé pour tous ces motifs.
Lorsque vous lirez notre mémoire, vous allez voir que nous parlons de violations précises. À mon avis, les droits du suspect à l'arrestation ou pendant la détention, la procédure légale, le droit de se défendre pleinement, la garantie d'égalité et l'interdiction de toute peine cruelle ou inhabituelle, toutes ces dispositions sont violées, et on ne peut pas démontrer que ces atteintes sont justifiées.
M. John McKay: Avant d'entendre M. Barrette, pour en revenir à l'aspect objectif et à la preuve dont serait saisi le tribunal, s'il s'agit d'une preuve circonscrite, s'il s'agit d'un sommaire de la preuve ou de quelque chose du genre, et que seul le procureur de la Couronne et le juge ont connaissance de la preuve concrète, est-ce qu'on ne se retrouve pas dans une sorte de scénario kafkaïen où l'on dit que la justification est démontrable simplement parce qu'on le dit, et votre critère d'objectivité tombe à l'eau. Est-ce qu'on peut dire ça?
M. Ziyaad Mia: Lorsqu'il énonce son objectif, je crois que le gouvernement doit le faire, et normalement, étant donné que les textes de loi expriment les politiques du gouvernement, les objectifs deviennent des politiques aussi. Pour faire voter les lois à caractère économique, le gouvernement invoque des statistiques et des faits économiques. Dans ce cas-ci, il invoquera probablement des renseignements de sécurité.
• 1310
Mais vous posez une question intéressante. Comment allez-vous
justifier qu'une menace terroriste sérieuse pèse sur le Canada
alors que ce projet de loi autorise le dépôt de preuves secrètes?
Le gouvernement dira-t-il alors: «Faites-nous confiance quant à
l'objectif; nous ne pouvons pas vous montrer les preuves, mais
faites-nous confiance, il s'agit d'une menace grave.»
M. John McKay: Ce qui fait sauter l'un des éléments du critère d'Oakes.
M. Ziyaad Mia: J'imagine que si ce critère tombe, il n'y a plus d'objectif dont la justification puisse se démontrer.
M. John McKay: Ce serait donc une arme à double tranchant.
M. Ziyaad Mia: C'est exact.
M. John McKay: Je vois.
M. Steve Barrette: Une bonne part de ma pratique est consacrée à la représentation des syndicats et du Congrès du travail du Canada, qui était ici hier, je crois, dans des affaires où intervient la Charte des droits. Que je sache, le projet de loi ne révolutionne pas notre système juridique de telle sorte que la ministre de la Justice peut désormais déterminer ce qui est constitutionnel et ce qui ne l'est pas. Ultimement, c'est la Cour suprême du Canada qui dira si cette loi est conforme à la Charte ou non.
Je crois que la réponse à votre question est celle-ci: Si l'on considère les 15 premiers articles de la Charte on trouve à l'article 1 le critère d'Oakes, le critère de justification de l'article 1 d'Oakes. Mais il y a une meilleure façon de poser la question, à savoir quels sont les articles auxquels on ne porte pas atteinte? Ce sont probablement les dispositions relatives au droit de vote, et peut-être la disposition relative au droit à la mobilité. Mais exception faite de ces dispositions, il s'agit d'une attaque à la liberté d'expression et à la liberté de réunion à cause, entre autres choses, de la lourdeur des restrictions imposées aux protestations légitimes et aux activités syndicales, c'est sûr. Nous avons là un projet de loi dont on pourra certainement dire qu'il porte atteinte à la liberté de religion et à l'interdiction de la discrimination fondée sur la religion, stipulée à l'alinéa 2a) et à l'article 15 de la Charte.
Nous avons là un projet de loi qui déroge aux droits fondamentaux qui figurent dans les articles 7 à 14 de la Charte dans un certain nombre de domaines, dont certains ont été mentionnés aujourd'hui, et d'autres qui sont mentionnés dans les autres mémoires que vous avez reçus, et nous avons là un projet de loi qui, dans tous ces domaines, visent à abroger l'exercice de ces libertés fondamentales.
Donc, bien sûr, le gouvernement peut essayer de justifier ce projet de loi en invoquant le critère d'Oakes, mais nous allons voir dans quelle mesure les tribunaux vont s'incliner devant le législateur dans cette situation. Certains ont dit qu'une disposition de temporarisation rendrait le projet de loi plus conforme à la Charte. Je n'en suis même pas sûr étant donné les empiétements considérables dans une foule de domaines où les droits et libertés sont protégés par la Constitution.
M. John McKay: L'adoption d'une disposition de temporarisation ne serait-elle pas un moyen de faire savoir à la Cour suprême que le législateur n'était pas tout à fait à l'aise avec ce projet de loi mais qu'il le jugeait indiqué?
M. Steve Barrette: Voulez-vous que je réponde à cette question?
Le président: Oui. Mon intervention s'adressait à M. McKay.
M. Steve Barrette: Bien. Eh bien, je suis sûr que cette intervention s'adressera à moi bientôt.
Dans un sens, j'imagine qu'une disposition de temporarisation pourra être une arme à double tranchant, mais chose certaine, l'opinion que certains ont exprimée présente une certaine valeur, à savoir que dans la mesure où cette loi est temporaire et de caractère urgent, la cour serait peut-être plus disposée à la juger valide que si elle la jugeait permanente.
Mais je dois ajouter qu'il y a certainement des cas—et je ne me rappelle pas le nom de l'affaire, mais peut-être que mon collègue s'en souvient—où la cour a dit, même s'il s'agit d'une mesure temporaire, s'il y a atteinte aux droits, il y a atteinte aux droits, et le caractère temporaire d'une suspension générale des droits et libertés d'une personne ne la justifie pas.
Je ne suis donc pas sûr que cette disposition de temporarisation offre une protection complète. Chose certaine, à notre avis, si l'on doit adopter ce projet de loi, il serait préférable d'avoir une disposition de temporarisation que de ne pas en avoir.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Fitzpatrick, trois minutes.
M. Brian Fitzpatrick: Je veux faire pencher un peu la balance dans l'autre sens parce que nous avons entendu un grand nombre de témoins, et certains ont dit que le terrorisme a toujours existé. Mais il y a une chose qui est très claire pour moi, et je n'ai pas eu besoin d'entendre des témoins pour le savoir, c'est que nous vivons à une époque où les organisations terroristes ont les moyens de provoquer des destructions massives que nous n'aurions pas pu imaginer auparavant. Le souvenir des tours en ruine suffit à le prouver, et il faut être pas mal naïf pour ne pas voir cette réalité. J'ai la conviction que ces organisations, le réseau al-Qaïda, cherche à détruire tout ce qui est cher à l'Occident. C'est leur but, et ils n'abandonneront pas tant qu'ils n'auront pas réussi.
Nous avons entendu les témoins ici—je crois que c'était M. Whitaker—qui ont dit que le réseau al-Qaïda est peut-être l'organisation transnationale la plus puissante au monde aujourd'hui. C'est une organisation des plus puissantes, et j'aimerais qu'on garde cela à l'esprit.
Je crois qu'il est naïf de dire que nous n'avons pas besoin d'agir ou que nous n'avons pas besoin de prendre des mesures pour contrer ce genre de choses. La donne n'est plus la même.
• 1315
Pour ce qui est des dispositions du Code criminel que vous
mentionnez, je suis d'accord avec vous sur de nombreux points, mais
il y a des éléments dans ce projet de loi qui, à mon avis, sont
absents du Code criminel. Les pouvoirs de surveillance, les décrets
ministériels, les investigations, et certains pouvoirs
d'arrestation et de détention vont plus loin que les dispositions
du Code criminel.
Pour contrer les gens du type al-Qaïda, je vous dirais très franchement que je serai le dernier à dire que certains de ces outils ne sont pas nécessaires. Je dis cela, mais à mon avis, ces mesures sont peut-être nécessaires mais assurons-nous que nous mettons en place des automatismes régulateurs pour faire en sorte que les autorités n'abusent pas de leurs pouvoirs et n'aillent pas trop loin. Chose certaine, ce n'est pas moi qui vais dire que ces mesures ne sont pas nécessaires pour contrer le nouveau terrorisme international, qui a désormais le pouvoir d'anéantir tout ce qui nous est cher en Amérique du Nord.
Le président: Merci, monsieur Fitzpatrick. Vous avez droit de réponse.
Monsieur Baksh.
M. Khalid Baksh: Eh bien, tout d'abord, concernant l'allégation selon laquelle al-Qaïda ou une autre organisation serait en cause, il se peut que ce soit le cas. Mais ce ne sont pas tous les Canadiens qui sont en cause. Ce ne sont pas tous les musulmans qui sont en cause; ce ne sont pas tous les Canadiens musulmans qui sont en cause. Le fait d'imposer une loi aussi générale qui donne à l'État le pouvoir de stigmatiser tous les Canadiens est tout simplement une erreur.
Vous devez comprendre aussi que nous ne vous disons pas de ne rien faire. Nous disons en tant que Canadiens—en tant que Canadiens musulmans—que nous devons contrer le terrorisme. Nous sommes tout à fait d'accord pour que l'on agisse contre le terrorisme. Nous ne sommes pas en faveur du terrorisme; aucun musulman n'est en faveur du terrorisme. Vous avez entendu toute une série de déclarations de diverses organisations musulmanes au Canada, de divers gouvernements musulmans, d'agences internationales—et tous se prononçaient contre le terrorisme.
Mais vous dites que les terroristes s'en prennent à nos valeurs fondamentales. Eh bien, ce projet de loi s'en prend à nos valeurs. Ce projet de loi est en soi une attaque. Si vous autorisez les choses comme ça, si vous permettez à quelqu'un d'entrer chez vous et tout prendre—si l'on vous dépouille de tous les droits dont vous jouissez—vous ne faites que le jeu des terroristes. Vous leur permettez de gagner en nous dépouillant de tout.
Pour ce qui est des sanctions prévues par le Code criminel, je vais céder la parole à Ziyaad.
Le président: Nous allons d'abord entendre M. Barrette, mais nous reviendrons à M. Mia dans un instant.
Monsieur Barrette.
M. Steve Barrette: Notre mémoire portait sur la définition du terrorisme proprement dit qui est en quelque sorte la clé de voûte de tout le projet de loi. J'ose dire que même la définition la plus restrictive qui soit du terrorisme interdirait la moindre activité d'al-Qaïda. Le Code criminel l'interdirait, par exemple, ne serait-ce qu'en raison de l'ampleur des activités de ce réseau. Je ne crois pas que pour prévenir—et je suis d'accord avec vous pour dire que c'est évidemment le mal que nous voulons prévenir... Pardon?
M. Brian Fitzpatrick: La prévention, c'est cela notre but—non pas après le fait; parce qu'alors, il est trop tard.
M. Steve Barrette: Absolument, et il se peut bien que certains mécanismes de surveillance accrue et autres soient indiqués—mais en ce qui concerne l'activité qui est vraiment de nature terroriste, et non pas en réponse à une définition trop vague d'une activité qui risquerait de brimer des droits des Canadiens ordinaires ici présents qui ne font qu'assister à une manifestation politique, ou à une marche, ou s'engager dans des activités de piquetage licites ou illicites ou des mouvements de grève.
Si l'on s'en tient strictement à la définition du terrorisme que donne le projet de loi, on dépasse de loin les objectifs sur lesquels vous et moi sommes d'accord; on englobe des activités que vous et moi devrions accepter de protéger. Comme nous le mentionnons au tout début de notre mémoire, Amnistie internationale, dans son appel récent à l'Union européenne et à ses États membres au sujet des mêmes questions avec lesquelles nous sommes aux prises ici, a déclaré—et je crois qu'il convient de le répéter—nous devons être très prudents et faire en sorte que l'objectif de sécurité ne compromet pas les droits mêmes que nous cherchons à sauvegarder. Donc, oui, capturons les vrais terroristes, mais ne faisons pas des terroristes de nous tous.
Le président: Merci.
Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Vous avez dit, je crois, que cette loi aura pour effet de paralyser les organismes de bienfaisance. Il ne fait aucun doute à mon avis que, d'un point administratif, on aura plus que jamais la responsabilité de s'assurer que les fonds que l'on réunit dans le cadre d'activités de bienfaisance sont bel et bien versés à des oeuvres de bienfaisance et non à des organisations subversives. Est-ce une si mauvaise chose?
M. Khalid Baksh: Je vous demande pardon?
M. John Maloney: Est-ce une si mauvaise chose que de s'assurer que ces fonds ne servent pas à des organisations ou à des activités subversives?
M. Khalid Baksh: Tout d'abord, pour reprendre l'expression de Ziyaad, on se sert ici d'une enclume alors qu'un simple marteau suffirait. Oui, on paralyse les oeuvres de bienfaisance—et je vous dirais franchement—pas seulement les oeuvres de bienfaisance musulmanes, toutes les oeuvres de bienfaisance du Canada seront paralysées. Au cours de la séance précédente un des témoins en a parlé justement.
Elle disait que les gens ont peur, parce que si vous envoyez de l'argent à une oeuvre de bienfaisance et que cet argent est envoyé à l'étranger, peu importe où on l'envoie—en Amérique centrale, en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie, peu importe—si cette région du monde est aux prises avec des troubles politiques, il se peut que l'argent que vous envoyez soit versé à une organisation qui s'oppose au gouvernement en place. Ce gouvernement peut ensuite vous dire: «Cette organisation est néfaste.»
Tout ce qui est acheminé—qu'il s'agisse d'argent, de vêtements, de soupe déshydratée—risque d'être visé par la définition élargie. Nous le constatons déjà, même avant l'application du projet de loi C-36: les organismes de bienfaisance sont ternis. Le projet de loi C-16 a été soumis au comité, il a été déposé, et ce à juste titre. Tout à coup, quelques mois plus tard, alors que le projet de loi C-16 continue d'être à l'étude, on tente à nouveau d'introduire, à la dérobée, des dispositions concernant les organismes de bienfaisance.
Toute l'activité de ces organismes est déconsidérée.
Le président: M. Mia, M. Fitzpatrick avait demandé si le Code criminel était suffisant. Auriez-vous...
M. Ziyaad Mia: Permettez-moi donc de vous répondre.
Monsieur Fitzpatrick, je suis d'accord avec vous pour dire que nous avons tous peur dans le contexte actuel. Je veux dire par là que les Musulmans ont peur. Je tiens à ce que tout le monde le sache. Et nous avons doublement peur, puisque certains d'entre nous ont peur de leurs concitoyens en plus de la peur d'être les victimes d'un attentat à la bombe qui pourrait survenir à peu près n'importe où.
Malheureusement, il faut dire que le terrorisme a désormais gagné l'Amérique du Nord. Pour le reste du monde, la chose n'est pas nouvelle. Lorsque j'étais en Afrique du Sud... Johannesburg est aujourd'hui la ville la plus violente de la planète mais, pour les Sud-Africains de race noire, cela n'a rien de nouveau.
Je passe rapidement aux dispositions du Code criminel. J'estime qu'elles suffisent. Vous avez soulevé certains aspects. J'ai dit plus tôt que l'article 21, la disposition concernant les participants à une infraction, l'article 465, concernant les complots suffisaient pour englober tout ce que nous visons. S'il nous faut des instruments plus fins pour cerner certains autres aspects, nous pouvons y arriver en formulant des amendements de détail.
La division b)(i)(A) de la définition du terrorisme ne me pose aucun problème, étant donné que les activités visées concernent les déplacements internationaux, la protection des personnes ayant des responsabilités internationales ou des effectifs de l'ONU—ce qui est fort bien. Évidemment, il est répréhensible de tuer quelqu'un. Mais il s'agit ici de surveillance, de la nécessité d'écouter des conversations. Nous en parlons plus abondamment dans notre mémoire, que vous lirez je l”espère. On va trop loin. On permet au gouvernement de justifier un empiétement sur un simple soupçon. La mesure permet au gouvernement d'écouter toutes sortes de conversations. On permet tout simplement au CST de tout écouter. Contrôlons toutes les conversations et lorsqu'un mot arabe sera détecté, écoutons pour voir. Que l'on attrape ou non un terroriste, on écoute...
J'entends bien des gens qui disent que les personnes qui n'ont rien à se reprocher ne s'en soucient guère, puisque tout cela se fait pour leur bien. Je dois dire que j'ai souvent entendu le même argument dans d'autres sociétés et que je le trouve inacceptable. Il me suffit moi, Musulman, de prononcer simplement les mots «as-salaam, alaikem» au téléphone pour que le CST cible l'appel. Or, le fait que je parle de mon chat ou de mon chien ne concerne pas du tout ces gens. Voilà à quoi je veux en venir. Le gouvernement n'a pas d'affaire à écouter nos conversations et à porter atteinte à notre vie privée. Voilà tout le problème de la surveillance: elle ne fait l'objet d'aucun contrôle.
Le Code criminel prévoit les exigences et les mesures de contrôle qui s'imposent en matière de surveillance et de tables d'écoute. Les dispositions concernant le crime organisé ont également une portée assez vaste et elles peuvent également servir à cet égard.
Pour ce qui est des décrets ministériels, il s'agit tout simplement d'un processus purement administratif qui fait en sorte qu'une personne peut délivrer un certificat et faire porter votre nom sur une liste. Les conséquences dirons-nous—nous en avons parlé—sont passablement rigoureuses pour la personne concernée ou sa famille, qu'il y ait ou non accusation. Et la personne ne sait pas nécessairement si elle figure sur une liste, d'après ce que j'ai compris. De plus, l'examen judiciaire afférent est passablement ridicule. Il y a là violation de l'article 7 de la Charte concernant la justice fondamentale et de la règle de droit.
L'audience d'investigation viole le droit au silence. On peut vous obliger à parler, et si vous ne le faites pas, on vous met en prison.
Pour ce qui est des dispositions concernant l'arrestation et la détention—je pense ici à l'arrestation à titre préventif—le droit à un avocat est vraisemblablement menacé. L'accusation n'est pas connue—je vous renvoie à cet égard aux articles 10 et 9. Il suffit de parcourir ce texte... qui concerne les droits en vertu de la Charte. Comme vous le voyez il y a de nombreux passages qui sont soulignés et marqués à l'encre rouge. Il n'a pas été difficile de faire une analyse critique de ce projet de loi. Les erreurs ont été plutôt faciles à trouver.
• 1325
Toutes les garanties qui servent à protéger notre liberté sont
compromises par diverses concessions accordées trop facilement dans
le projet de loi: un peu par ici, un peu par là, et que reste-t-il
enfin? À peu près rien. Voilà le problème. Il faut se servir des
moyens et les garanties existants et ne prévoir de dispositions
supplémentaires que lorsque la chose est nécessaire.
Permettez-moi de répondre à une question concernant les organismes de bienfaisance.
Le président: D'accord, mais très brièvement je vous en prie puisque je souhaite terminer le deuxième tour.
M. Ziyaad Mia: Je répondrai très rapidement.
Je conviens avec vous qu'il faut arrêter les coupables et que la précision est donc nécessaire. Mais vous n'ignorez pas que les éléments de preuve secrets provenant de gouvernements étrangers...
Le gouvernement égyptien est une dictature. Prenons les Frères musulmans, ou toute autre organisation qui participe à des activités de désobéissance civile mais qui vient également en aide aux gens par des actes charitables. Quiconque appuie quelqu'un qui vient en aide à un tel groupe sera arrêté du fait qu'elle risque d'être dénoncée au SCRS. Toute personne qui soutient Croissant Rouge en Palestine risque d'être dénoncée par les forces israéliennes puisqu'elle vient en aide à des gens qui risquent de participer à des activités de désobéissance civile.
Le président: Monsieur Bellehumeur, vous disposez de trois minutes.
M. Michel Bellehumeur: Non.
Le président: Monsieur Grose, vous disposez de trois minutes et ensuite M. MacKay aura la parole.
M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Vous pouvez répondre à ma question tout simplement par l'affirmative ou la négative. Il se peut que cela vous convienne.
Personne ne s'étonnera que ma question concerne l'aspect syndical. Si j'étais syndicaliste, devrais-je m'inquiéter de ce projet de loi?
Le président: Monsieur Barrette.
M. Steve Barrette: En effet.
M. Ivan Grose: Merci.
Le président: La question n'était pas particulièrement difficile.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Plus j'écoute les témoignages, plus j'ai l'impression que les mailles du filet sont beaucoup trop fines et qu'elles attrapent beaucoup trop de monde, alors qu'il nous faut un appareil permettant d'attraper les gros poissons ou les grosses pierres qui posent problème.
Malheureusement, M. Owen n'est pas ici aujourd'hui. Hier cependant, il a parlé de la question du droit au silence. Selon lui, le droit au silence n'existe pas au Canada. On ne peut l'invoquer, selon lui. Pourtant, ce droit existe. Toute personne en état d'arrestation a droit au silence jusqu'à ce qu'elle se présente devant un tribunal. Également, la personne accusée a le droit de ne pas être appelée à témoigner. Toute personne a tout à fait le droit au silence au moment de l'arrestation. On s'empresse de dire à la personne arrêtée qu'elle a le droit de ne rien dire et de communiquer avec un avocat. Or, tout cela est disparu—complètement abrogé—et, dans le cadre de ces fameuses audiences d'investigation, la personne est non seulement tenue de témoigner, elle est également obligée de fournir tout élément de preuve concrète que la police peut exiger.
En plus, la personne est en quelque sorte embrigadée... M. Mia a abordé brièvement cet aspect, à savoir que même la personne qui travaille dans une entreprise est obligée de prêter assistance au policier qui demande sa collaboration pour la production de documents ou d'éléments de preuve. La personne est en quelque sorte conscrite par la police pour travailler contre sa propre entreprise, sa propre organisation ou son propre milieu. Il est donc évident que l'on ratisse très large.
Estimez-vous donc que, même avec une mesure de temporarisation, même avec des mesures de contrôle—qui ne sont pas encore prévues à ce stade, mais il se pourrait en effet que l'on ajoute certaines dispositions qui permettraient à des comités parlementaires ou des agents du Parlement, ou à des agents judiciaires d'exercer un contrôle—qu'il s'agit, comme l'ai dit M. Bellehumeur, d'une pomme pourrie que l'on n'arrivera tout simplement pas à polir? S'agit-il donc—malheureusement, d'une mesure que nous allons devoir réétudier de fond en comble?
Plus je confronte votre témoignage aux dispositions actuelles du Code criminel, monsieur Mia, plus je constate que votre témoignage est des plus pertinents. On pourra désormais accuser de gens de meurtre, d'actes de terrorisme, d'intimidation, de trahison, de méfaits, ou encore invoquer les dispositions concernant les participants à une infraction. On semble vouloir se faire du capital politique en laissant entendre que la mesure législative aura pour effet d'empêcher des événements terribles comme ceux qui ont eu lieu le 11 septembre. Les méthodes de surveillance et les pouvoirs policiers sont différents. Il ne semble cependant pas opportun de créer de nouvelles infractions et d'adopter une définition si vaste.
Cela aura peut-être pour effet de donner à certains une impression de sécurité mais, en réalité, la mesure sera inefficace. Elle contribue même davantage à la terreur qu'elle ne la prévient.
Le président: Permettez-moi tout d'abord de donner la parole à M. Mia pour me faire pardonner mon oubli. Monsieur Mia.
M. Ziyaad Mia: Voilà qui est bien dit.
En définitive, vous êtes les décideurs politiques et nous allons bien voir ce que vous allez faire. Si la mesure doit être adoptée, en fin de compte, et si vous devez l'appuyer en dépit de vos réserves, nous n'allons certainement pas rester les bras croisés.
• 1330
La clause de temporarisation est tout à fait nécessaire. Il
nous faut un mécanisme de contrôle. Il nous faut un agent du
Parlement ou un représentant du secteur judiciaire.
Vous allez lire nos recommandations. En effet, je vous prie de prendre connaissance de notre mémoire. Il contient beaucoup plus de renseignements. Si la mesure doit être adoptée, nous recommandons que soit déposé annuellement un projet de loi visant à évaluer si la menace existe toujours, si les objectifs continuent d'être pertinents et quelles sont les répercussions sur les Canadiens.
Vous avez vu juste. Personne ne souhaite appeler les choses par leur nom, et c'est sans doute de bonne guerre en politique. Le premier ministre—j'oserais le dire—cherche à apaiser nos alliés et nos voisins, notre principal partenaire commercial. Je ne suis pas sans savoir le commerce domine la question et que nous devons être perçus comme étant des gens qui déploient des efforts qui vont au-delà de notre Code criminel pour montrer que nous sommes résolus à mettre le grappin sur ces terroristes.
Or, même si la mesure est adoptée et que rien ne se passe, il y a toujours le risque que les dispositions continuent de faire partie de nos lois. Dans notre mémoire, nous faisons valoir que, même si aujourd'hui nous ciblons supposément des terroristes, les instruments créés pourront demain cibler des dissidents ou toute personne qui n'a pas la faveur du public—comme la Ontario Coalition Against Poverty, les protestataires de l'APC, Jaggi Singh, et des gens du même acabit. Ils risquent d'être visés par de telles mesures.
Je viens d'Afrique du Sud. Je suis bien placé pour savoir qu'il ne faut pas renoncer trop facilement aux libertés. En effet, une fois le chat sorti du sac, on risque de ne plus pouvoir l'y remettre. J'aime bien les chats, et j'en sais quelque chose.
Pour terminer, je vous dirai que la recherche de la sécurité à tout prix n'est pas nécessairement souhaitable. Dans l'Allemagne nazie et dans l'Italie fasciste, les trains étaient à l'heure et roulaient en toute sécurité mais est-ce le prix que nous sommes prêts à payer?
Le président: Monsieur Baksh.
M. Khalid Baksh: Permettez-moi d'ajouter un commentaire à ce qu'a dit M. Mia.
Si la mesure est adoptée et si elle est assortie d'un mécanisme d'examen, il est indispensable qu'un représentant des collectivités touchées y participe. Je pense ici aux minorités, aux femmes, aux minorités raciales et religieuses. Vous ne devez pas nous oublier. En effet, nous sommes ceux qui risquons d'être lésés par ce projet de loi.
Le président: Monsieur Barrette, vous avez le dernier mot.
M. Steve Barrette: La disposition de temporarisation est certainement de nature à rassurer les membres du comité ou le Parlement. Voilà qui est excellent. Cependant, la prudence est de mise. Même si la temporarisation vous laisse croire que les droits sont mieux protégés, une telle béquille ne suffit pas. En effet, la clé du projet—la définition de l'activité terroriste—est si vague qu'on ne saurait accepter qu'elle reste en vigueur pendant trois ans, avec ou sans mesure de temporarisation.
Le président: Merci beaucoup.
Je tiens à remercier nos invités de leur patience lors de la brève interruption. Je tiens à remercier mes collègues également. Vos interventions d'aujourd'hui ont été très constructives, comme l'a dit M. MacKay, elles ont porté justement sur certaines des questions que nous avons à résoudre. En tant que dernier groupe invité, vous avez fait un excellent travail et je tiens à vous en remercier.
La séance est levée.