AANR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 10 juin 2003
¾ | 0805 |
Le président (M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.)) |
M. Clarence (Manny) Jules (président, Commission consultative de la fiscalité indienne) |
¾ | 0810 |
¾ | 0815 |
¾ | 0820 |
¾ | 0825 |
¾ | 0830 |
Le président |
M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ) |
M. Clarence (Manny) Jules |
¾ | 0835 |
Le président |
Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.) |
M. Clarence (Manny) Jules |
¾ | 0840 |
Mme Nancy Karetak-Lindell |
M. Clarence (Manny) Jules |
Mme Nancy Karetak-Lindell |
M. Clarence (Manny) Jules |
Le président |
M. Yvan Loubier |
¾ | 0845 |
M. Clarence (Manny) Jules |
¾ | 0850 |
Le président |
M. Gérard Binet (Frontenac—Mégantic, Lib.) |
Le président |
M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.) |
Le président |
M. Clarence (Manny) Jules |
¾ | 0855 |
Le président |
M. Clarence (Manny) Jules |
Le président |
Le chef Tom Bressette (président, Commission consultative des statistiques des Premières Nations) |
¿ | 0900 |
¿ | 0905 |
¿ | 0910 |
Le président |
Mme Pauline Picard (Drummond, BQ) |
Le chef Tom Bressette |
¿ | 0915 |
Mme Pauline Picard |
Le chef Tom Bressette |
Mme Pauline Picard |
Le président |
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.) |
Le chef Tom Bressette |
¿ | 0920 |
Mme Anita Neville |
Le chef Tom Bressette |
Mme Anita Neville |
Le président |
Mme Pauline Picard |
¿ | 0925 |
Le chef Tom Bressette |
¿ | 0930 |
Le président |
M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.) |
Le chef Tom Bressette |
¿ | 0935 |
Le président |
Le chef Tom Bressette |
¿ | 0940 |
¿ | 0945 |
¿ | 0950 |
Le président |
M. Harold Calla (président, Commission consultative de Gestion Financière des Premières Nations) |
¿ | 0955 |
À | 1000 |
À | 1005 |
À | 1010 |
Le président |
Mme Pauline Picard |
M. Harold Calla |
À | 1015 |
À | 1020 |
Le président |
M. Charles Hubbard |
M. Harold Calla |
M. Charles Hubbard |
M. Harold Calla |
À | 1025 |
M. Charles Hubbard |
M. Bruce Campbell (conseiller juridique, Commission consultative de Gestion Financière des Premières Nations) |
Le président |
Mme Pauline Picard |
M. Harold Calla |
Mme Pauline Picard |
M. Harold Calla |
À | 1030 |
Le président |
M. Stan Dromisky |
M. Harold Calla |
M. Stan Dromisky |
M. Harold Calla |
M. Stan Dromisky |
M. Harold Calla |
M. Stan Dromisky |
M. Harold Calla |
M. Stan Dromisky |
M. Harold Calla |
M. Stan Dromisky |
M. Harold Calla |
M. Stan Dromisky |
Le président |
À | 1035 |
Mme Nancy Karetak-Lindell |
M. Harold Calla |
Le président |
Mme Anita Neville |
M. Harold Calla |
À | 1040 |
Mme Anita Neville |
M. Harold Calla |
Mme Anita Neville |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
M. Harold Calla |
À | 1045 |
M. Maurice Vellacott |
M. Harold Calla |
M. Maurice Vellacott |
M. Harold Calla |
M. Maurice Vellacott |
M. Harold Calla |
À | 1050 |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
M. Harold Calla |
Le président |
Mme Pauline Picard |
Le président |
Mme Pauline Picard |
Le président |
M. Gérard Binet |
Le président |
Le président |
Le grand chef Charles Fox (chef régional de l'Ontario, Chiefs of Ontario) |
 | 1200 |
 | 1205 |
 | 1210 |
 | 1215 |
 | 1220 |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
Le grand chef Charles Fox |
M. Maurice Vellacott |
Le grand chef Charles Fox |
M. Maurice Vellacott |
 | 1225 |
Le grand chef Charles Fox |
M. Maurice Vellacott |
Le grand chef Charles Fox |
M. Maurice Vellacott |
Le grand chef Charles Fox |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
Mme Pauline Picard |
Le grand chef Charles Fox |
 | 1230 |
Mme Pauline Picard |
Le grand chef Charles Fox |
Mme Pauline Picard |
Le grand chef Charles Fox |
Le président |
M. Stan Dromisky |
Le grand chef Charles Fox |
M. Stan Dromisky |
 | 1235 |
Le grand chef Charles Fox |
M. Stan Dromisky |
Le grand chef Charles Fox |
M. Stan Dromisky |
Le président |
M. Charles Hubbard |
Le grand chef Charles Fox |
M. Charles Hubbard |
Le grand chef Charles Fox |
 | 1240 |
M. Charles Hubbard |
Le grand chef Charles Fox |
M. Charles Hubbard |
Le président |
Le grand chef Charles Fox |
 | 1245 |
Le président |
Le chef Tom Bressette |
Le président |
Le chef Tom Bressette |
Le président |
Mme Deanna Hamilton (présidente et directrice générale, First Nations Finance Authority) |
Le président |
Mme Deanna Hamilton |
 | 1255 |
· | 1300 |
· | 1305 |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
· | 1310 |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
· | 1315 |
M. Maurice Vellacott |
Le président |
Mme Pauline Picard |
Mme Deanna Hamilton |
· | 1320 |
Le président |
M. Stan Dromisky |
Le président |
M. Stan Dromisky |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
· | 1325 |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
Mme Deanna Hamilton |
M. Stan Dromisky |
Le président |
Mme Nancy Karetak-Lindell |
Mme Deanna Hamilton |
Le président |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
M. Maurice Vellacott |
Mme Deanna Hamilton |
· | 1330 |
Le président |
Mme Nancy Karetak-Lindell |
Mme Deanna Hamilton |
Le président |
Mme Deanna Hamilton |
· | 1335 |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 10 juin 2003
[Enregistrement électronique]
¾ (0805)
[Traduction]
Le président (M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.)): Bonjour à tous.
Nous nous réunissons aujourd'hui afin d'examiner le projet de loi C-19, Loi prévoyant les pouvoirs en matière d'imposition foncière des Premières nations, constituant la Commission de la fiscalité des Premières nations, le Conseil de gestion financière des Premières nations, l'Administration financière des Premières nations, ainsi que l'Institut de la statistique des Premières nations, et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.
Nous sommes ravis d'accueillir ce matin des représentants de la Commission consultative de la fiscalité indienne, soit M. Clarence Manny Jules, président; Leslie Pinder, conseillère juridique; et Wayne Haimila, conseiller juridique.
Bienvenue au comité. Nous disposons aujourd'hui d'environ 50 ou 55 minutes pour notre discussion; je vous invite donc à faire dès maintenant quelques remarques liminaires, et ensuite nous ouvrirons la période des questions. Vous connaissez la procédure, alors je vous cède tout de suite la parole.
M. Clarence (Manny) Jules (président, Commission consultative de la fiscalité indienne): Monsieur le président, membres du Comité, je me nomme Manny Jules et je suis président de la Commission consultative de la fiscalité indienne, et ancien chef et conseiller de la Bande indienne de Kamloops, de 1974 à 2000.
Depuis trois ans, je me consacre surtout à l'établissement d'une nouvelle relation financière entre le Canada et les Premières nations. Et j'ai surtout travaillé à l'élaboration de la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations, soit le projet de loi C-19.
Je suis fier d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant vous à titre de promoteur de ce projet de loi. J'ai comparu devant le comité la dernière fois au mois de février. À cette occasion, j'ai parlé de notre vision des 10 prochaines années et des changements que cela suppose. Le gouvernement est favorable à notre vision. Beaucoup d'autres l'appuient également.
Et cette vision est claire : dans 10 ans, il n'y aura plus de Loi sur les Indiens; elle aura été remplacée par des lois élaborées par les Premières nations. Dans 10 ans, il n'y aura plus de ministère des Affaires indiennes; il aura été remplacé par des institutions établies par les Premières nations. Dans 10 ans, nous participerons à part entière à l'activité économique au Canada. Dans 10 ans, nous serons des partenaires à part entière au sein de la fédération et nous serons responsables de nos terres.
Le projet de loi C-19 est une première étape vers la concrétisation de cette vision. La Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations est un acte de foi historique qui témoigne de notre partenariat avec le Canada. Nous sommes en train de créer des institutions pour les gouvernements autochtones par l'entremise de législation fédérale. Certains sont sceptiques devant cette approche. Ils sont méfiants. Au cours des 130 dernières années, les lois fédérales ne nous ont pas avantagés. Elles ont servi à nous forcer à quitter nos terres, à nous exclure de l'économie, et à détruire notre capacité de gouverner.
Je vous invite à considérer les éléments suivants. L'objet manifeste de la Loi originale sur les Indiens était de nous assimiler. Les modifications apportées à la Loi en 1881 exigeant l'obtention de permis ont fait que nous n'avions plus le droit de pratiquer le commerce sans autorisation. La politique agricole de 1889 signifiait que nous n'avions plus le droit de produire plus que ce dont nous avions besoin. Notre volonté de percevoir nos propres recettes et de prendre en main nos affaires a été systématiquement contrecarrée.
Permettez-moi de vous en citer un exemple précis. Le premier régime de fiscalité foncière après la Confédération a été publié en 1875 par la collectivité mohawk de Tyendinaga. Cette dernière voulait percevoir des taxes foncières auprès de ses locataires afin de payer les services locaux. La bande, le canton et l'agent indien local se sont mis d'accord sur le régime de fiscalité foncière. Le Canada et le ministère des Affaires indiennes n'étaient pas d'accord. Ils ont ordonné l'élimination de ce régime.
D'autres tentatives pour créer nos propres sources de revenu n'ont rien donné non plus. On a refusé aux Six Nations de Grand River la capacité de percevoir une taxe ferroviaire en 1908. La même année, ces dernières ont demandé à bénéficier de subventions domaniales, ce qu'on leur a refusé.
De plus, nos méthodes traditionnelles de répartition de la richesse entre nous ont également été interdites. En 1884, on a interdit les potlatchs. En 1890, la danse du soleil, la danse exécutée au cours du potlatch est d'autres cérémonies ont également été interdites. La danse de la soif a été interdite lors de l'introduction du système des permis et des laissez-passer.
En 1918, une modification apportée à la Loi sur les Indiens a permis d'inscrire les restrictions établies précédemment. Cette dernière prévoyait que tout Indien qui donne ou rembourse de l'argent ou aide d'autres à le faire, est coupable d'un acte criminel. À l'époque, un député de l'Alberta, M. Tweedie, a dit ceci pendant les débats :
Eh bien, les Indiens seront peut-être contents, ou peut-être pas. Personnellement, j'estime que puisque les Indiens sont les pupilles du gouvernement, à ce titre, ils sont bien obligés d'accepter le traitement qu'on leur réserve. |
Le projet de loi C-19 représente donc une étape vers la réparation de cette injustice législative. C'est une étape qui permettra de faire participer nos gouvernements à la fédération. Comme l'a dit autrefois Abraham Lincoln, « Nous ne pouvons échapper à la responsabilité de demain en cherchant à nous y soustraire aujourd'hui ».
Il est donc clair que le fait d'avoir empêché nos gouvernements de participer à la vie du Canada nous a beaucoup nui. Les efforts déployés pour se servir des lois afin de nous marginaliser sur le plan de notre participation à l'économie et à la fédération se sont révélés un échec pour ce pays. La pauvreté coûte à tous les gouvernements au Canada 4 milliards de dollars de plus par année sous forme de dépenses plus élevées au titre des programmes sociaux, du système de soins, de l'éducation et du logement. La pauvreté parmi nos peuples coûte 5 milliards de dollars chaque année en productivité perdue. Ce niveau de pauvreté est intenable pour une société vieillissante.
Le projet de loi C-19 vise à éliminer l'ensemble des obstacles juridictionnels afin que nous puissions affronter la concurrence en matière d'investissement. Il s'agit d'accorder aux Premières nations les mêmes outils de gouvernance que vous tenez pour acquis.
¾ (0810)
Il y a quatre ans, j'ai assisté à une conférence organisée par le Forum des fédérations. Le président Clinton était le conférencier principal. Il a parlé des avantages du fédéralisme. Un État fédéraliste exemplaire réussit à établir un juste équilibre entre les intérêts régionaux et culturaux au moyen de normes nationales. Ces normes sont requises pour créer de la richesse. Les fédérations prospères et productives acceptent et favorisent la diversité et établissent un cadre dans le cadre duquel les nations peuvent réaliser des objectifs communs, comme la prospérité économique, la sécurité, la saine gestion publique, et des services publics de qualité exemplaire.
J'ai appris avec plaisir que le président des États-Unis a la même interprétation que moi du fédéralisme. Après cette conférence, on m'a invité à devenir administrateur du Forum des fédérations. J'ai accepté cette invitation. Depuis lors, je réfléchis à la nature de notre fédération canadienne et ceci m'a permis de me rendre compte que la fédération a bénéficié à tout le monde sauf à nous.
Donc, le projet de loi C-19 doit nous permettre de prendre la place qui nous revient au sein de la fédération. La question de garantir aux peuples autochtones la place qui leur revient au sein des fédérations en est une qui intéresse le monde entier. Le projet de loi C-19 représente un modèle pratique et novateur dont le Canada peut s'enorgueillir.
L'année dernière en avril, le Forum des fédérations et l'Assemblée des Premières nations ont été les hôtes d'une conférence sur les relations financières chez les Autochtones. Ont assisté à cette conférence des représentants des États-Unis, du Mexique, du Brésil et de l'Australie. Ils ont été impressionnés par notre proposition consistant à mettre sur pied des institutions dirigées par les Premières nations. Il est à présent manifeste que d'autres pays cherchent à suivre l'exemple du Canada.
J'ai l'impression que tous les efforts que j'ai déployés toute ma vie visaient en réalité à concrétiser ce projet de loi. En 1985, j'ai suivi l'exemple de mon père, le chef Clarence Jules. À Kamloops, nous avons commencé à mobiliser les gens pour revendiquer des modifications à la Loi sur les Indiens. Il fallait changer cette dernière pour que nous puissions assumer la responsabilité de percevoir des taxes foncières sur nos terres. Nous avons reçu le soutien de 120 conseils de bande d'un bout à l'autre du Canada.
En 1988, avec le soutien de tous les partis représentés à la Chambre des communes, la première modification à la Loi sur les Indiens dont une Première nation était l'instigatrice, soit le projet de loi C-115, a été adoptée. C'était une petite modification. Nous savions qu'il faudrait revenir à la charge et définir le cadre réglementaire qui devait l'accompagner. La Commission consultative de la fiscalité indienne, soit la CCFI, comme nous l'appelons, est issue du projet de loi C-115. Je suis très fier de ce que nous avons pu réaliser jusqu'à présent.
Au débat, certains croyaient que seulement 20 Premières nations bénéficieraient. Or plus de 100 collectivités autochtones d'un bout à l'autre du pays perçoivent à présente des taxes foncières. Chaque année de plus en plus de Premières nations s'intéressent à cette possibilité. Les taxes foncières qu'elles perçoivent représentent pour les Premières nations des recettes annuelles de quelque 40 millions de dollars, de même que de meilleurs services pour les contribuables, une plus grande certitude pour les investisseurs--et tout cela grâce à une toute petite modification législative.
Je voudrais maintenant vous faire un bref résumé de ce que le projet de loi C-19 permettra de faire. Les promoteurs des autres institutions concernées vous donneront d'autres détails à ce sujet. D'abord, le projet de loi C-19 créera la Commission de la fiscalité des Premières nations, cette dernière remplacera la CCFI. La CFPN fera la promotion des compétences des Premières nations en matière de fiscalité. Elle aura pour rôle d'établir un juste équilibre entre les intérêts des contribuables et ceux des Premières nations. Elle protégera l'intégrité des régimes fiscaux des Premières nations; elle renforcera les capacités des Premières nations en matière de gestion fiscale; et elle établira un cadre stratégique pour la création et l'utilisation des recettes fiscales.
L'Administration financière des Premières nations a été créée en 1995. Cette dernière assurera des services d'investissement et d'emprunt aux Premières nations. Les Premières nations qui en sont membres attendent depuis huit ans une loi qui nous permettra d'émettre nos propres obligations, en nous servant de nos recettes fiscales foncières comme cautions, tout comme les autres gouvernement au Canada.
On ne peut d'ailleurs surestimer l'importance des infrastructures pour nos économies. Selon la Banque mondiale, les taux annuels de rendement des infrastructures publiques de base sont de l'ordre de 20 p. 100. Une meilleure infrastructure nous aidera à sortir du cercle vicieux de notre dépendances à l'égard des transferts fédéraux. L'Institut de la statistique des Premières nations a été conçu au début des années 1990 dans la foulée d'un excellent partenariat entre Statistique Canada et plusieurs organisations régionales dirigées par des Premières nations.
À l'heure actuelle, la qualité des statistiques tenues par les Premières nations est insuffisante. Même nos statistiques de base, comme les statistiques démographiques, sont suspectes. L'ISPN nous permettra d'améliorer la qualité des données des Premières nations et de transmettre des renseignements pertinents et opportuns à nos résidents, à des investisseurs potentiels, et à d'autres Canadiens--tout comme les autres gouvernements au Canada.
¾ (0815)
Le Conseil de gestion financière des Premières nations protégera les Premières nations qui deviennent membres de l'AFPN. Cet organisme sera chargé de définir les principes, pratiques exemplaires et modèles sur lesquels s'appuiera la gestion financière des Premières nations. Ce dernier certifiera la qualité des pratiques administratives des Premières nations. Le Conseil rehaussera la confiance en nos gouvernements et renforcera leurs capacités, tout comme d'autres gouvernements au Canada.
Ensemble ces quatre institutions feront ce qu'elles ne peuvent pas faire individuellement. Elles constitueront un cadre pour soutenir nos gouvernements et nos investisseurs. Elles apporteront la stabilité et la certitude qui accompagnent l'établissement de normes en bonne et due forme. Et elles contribueront également à établir une nouvelle relation financière.
Leur travail contribuera à relever les normes de services et à améliorer les dispositions administratives entre les Premières nations et le reste du pays. Somme toute, ces institutions nous apporterons les avantages de la fédération, tout comme les autres gouvernements du Canada.
Le projet de loi C-19 a, bien entendu, ses détracteurs. De nombreuses critiques ont été formulées à l'égard de cette mesure législative, et je voudrais donc prendre quelques minutes pour réagir à certaines d'entre elles.
Il est trompeur de suggérer que ce projet de loi n'est pas une initiative des Premières nations. Au cours des 15 dernières années, l'APN a adopté six résolutions exprimant son appui pour chacune de ces institutions et pour l'adoption de ce projet de loi.
Nous avons aussi reçu des résolutions de soutien de la part du First Nations Summit de la Colombie-Britannique, de l'Atlantic Policy Congress, et de l'Union of Ontario Indians. Toutes ces résolutions ont été déposées à l'instigation de chefs autochtones. Toutes ces résolutions ont été adoptées par des dirigeants autochtones.
Les Premières nations qui perçoivent des taxes et leurs contribuables sont en faveur du projet de loi C-19. Il s'agit, entre autres, de la Canadian Taxpayers Association, de même que l'Association Canadienne des Pipelines de Ressources Énergétiques, dont les membres représentent les plus importants assujettis en matière de taxes foncières. Ces organismes et associations de contribuables sont favorables au projet de loi C-19 parce qu'il apportera une plus grande transparence et plus de certitude au régime fiscal des Premières nations.
Le projet de loi C-19 a été examiné et a reçu l'aval de certaines des plus importantes institutions financières du Canada. Il a également été examiné et a reçu l'aval des agences de cotation des titres, qui figurent parmi les critiques les plus rigoureux des pratiques de gestion financière.
Certains détracteurs prétendent que nous n'avons pas tenu suffisamment de consultations. C'est faux. Fort du mandat et du soutien des résolutions de l'APN, un comité de chefs représentant les différentes régions, et mis sur pied par l'Assemblée des Premières nations, a coordonné le travail d'élaboration de ce projet de loi.
Au cours des deux dernières années, nous avons fait près de 200 exposés devant les représentants de différents groupes d'intéressés, et ce aux niveaux régional, provincial et national. Leurs observations ont directement influencé le contenu du projet de loi.
Nous avons également déployé de gros efforts en matière de communications afin de tenir les Premières nations et les parlementaires au courant de nos progrès. Aussi avons-nous créé cinq sites Web, envoyé un bulletin mensuel à tous les intéressés, et leur avons transmis à deux reprises des trousses d'information sur le projet de loi C-19. Chaque Première nation a également reçu trois copies du projet de loi par le biais d'envois distincts coordonnés par le gouvernement fédéral, l'APN, et les institutions financières.
Certains critiques prétendent qu'on ne doit pas s'attendre à ce que le gouvernement fédéral fasse ce qui est conforme à son devoir. Mais la méfiance ne doit jamais servir de prétexte à l'inaction. Le projet de loi C-115 est la preuve que des lois fédérales qui découlent d'une initiative des Premières nations peuvent donner de bons résultats. Tout en restant vigilants, nous devons à mon avis travailler de concert avec le Parlement pour élaborer des lois qui découlent d'une initiative autochtone. Partenariat n'est pas synonyme d'asservissement. Ce mécanisme nous offre à présent des occasions intéressantes d'opérer des changements.
Les lois permettent d'assurer un transfert ordonné de compétences entre votre gouvernement et le nôtre. Les lois apportent la certitude et la confiance que demandent les investisseurs, le marché et le public.
Selon certains, cette loi fait partie d'une série de lois touchant les Premières nations qui va donner lieu à la destruction de nos gouvernements. Je me permets donc de préciser, pour les fins du compte rendu, que le projet de loi C-19 est un projet de loi distinct qui a été élaboré par les Premières nations à l'intention des Premières nations. Il ne repose donc pas sur des intentions cachées.
D'aucuns laissent entendre que le projet de loi C-19 n'est pas facultatif. C'est parfaitement faux. Le projet de loi C-19 est facultatif à trois égards fondamentaux. Toute Première nation est libre de choisir les services des institutions concernées. La décision de recourir aux services d'une institution donnée est prise par la Première nation. Par exemple, s'agissant de la Commission de la fiscalité, un gouvernement autochtone serait obligé d'adopter une loi de perception locale de recettes et de la soumettre à la Commission de la fiscalité--voilà ce que prévoit le paragraphe 4(1). Pour ce qui est de l'Administration financière des Premières nations, là, aussi, une collectivité doit présenter une demande en bonne et due forme pour devenir membre emprunteur ou investisseur--voilà ce que prévoit le paragraphe 74(1). Les Premières nations peuvent décider ou non de recourir aux services de l'Institut de la statistique--c'est ce que prévoit l'article 104. De même, selon le paragraphe 48(1), les Premières nations peuvent décider ou non de recourir aux services du Conseil de gestion financière des Premières nations. Une Première nation peut donc décider de ne pas recourir aux services de ces institutions financières. Après étude des dispositions de la Loi portant création de ces institutions financières, un gouvernement autochtone pourra décider de ne pas exercer les pouvoirs que le confie ce projet de loi. Un gouvernement autochtone pourra décider d'exercer des pouvoirs semblables par l'entremise d'une entente d'autonomie gouvernementale ou d'un autre mécanisme négocié avec le Canada.
¾ (0820)
Les Premières nations pourront aussi choisir de ne plus recourir aux services de ces institutions. Une Première nation peut toujours décider de cesser d'avoir recours à ces institutions financières. Bien que cette situation ne se soit jamais produite dans le cas de la Commission consultative de la fiscalité indienne, ou de l'Administration financière des Premières nations, il faudrait, pour cela, qu'elle adopte une loi afin d'abroger une loi adoptée en vertu du paragraphe 4(1), et ce conformément aux normes de l'AFPN--c'est ce que prévoit l'alinéa 33(1)a). Afin de protéger le système et d'autres Premières nations, certaines exigences devront être remplies--par exemple, le remboursement intégral des titres d'obligations encore en circulation ou le respect d'ententes de service qui sont toujours en vigueur, en cas d'éventuels retraits.
Certains critiques prétendent que les Premières nations pourraient elles-mêmes créer ces mêmes institutions en adoptant des lois à cette fin. À mon avis, c'est exactement ce qu'on fait. Ces institutions protégeront les normes et les systèmes déjà établis par suite de lois adoptées par les Premières nations. Le projet de loi C-19 vient confirmer la validité du modèle de loi autochtone sur les taxes foncières, du modèle de loi autochtone sur l'administration financière des Premières nations, et du modèle de loi autochtone sur l'octroi de permis d'exploitation commerciale.
D'aucuns laissent entendre qu'il serait possible de créer de telles institutions au moyen d'un pacte ou d'une entente. Or il s'agit là d'une idée dépassée qui remonte aux années 1800. Elle était valable à une époque où le commerce représentait un infime pourcentage de nos revenus et la plupart d'entre nous se déplaçaient toujours dans un rayon de 50 kilomètres. Mais le commerce international et l'échange de données à haute vitesse ne peuvent se pratiquer en vertu d'un pacte. Il faut pour cela la stabilité et la certitude qu'apportent les normes et les lois qu'appliquent les institutions.
Certains diront qu'il faut agiter la baguette magique des modifications constitutionnelles pour améliorer nos droits. En effet, des modifications constitutionnelles seront peut-être nécessaires et possibles à l'avenir, mais cela ne signifie pas qu'il faut accepter de rien faire dans l'intérim. Une reconnaissance plus explicite de nos droits ne suffira pas pour améliorer notre infrastructure, élaborer nos propres systèmes de gouvernement, attirer des investisseurs, ou construire même une seule maison. Nous avons besoin de solutions pratiques, et c'est maintenant que nous en avons besoin.
D'autres détracteurs ont déclaré qu'une institution autochtone dont les membres sont nommés par le gouvernement fédéral ne sera pas vraiment indépendante. Pour ma part, j'ai davantage confiance dans le gros bon sens des gens. Pour être efficaces, ces institutions doivent être crédibles. Des nominations mal avisées ou politiques saperont toute la légitimité de ces institutions, et afin de dépolitiser la procédure de nomination, nous avons voulu nous assurer que seuls des candidats qualifiés seraient nommés.
Certaines personnes laissent entendre que ce que nous créons par voie législative fera double emploi avec ce qui existe déjà, que nous allons rassembler nos propres statistiques, alors que Statistique Canada et le ministère des Affaires indiennes font déjà ce travail, et que nous fournirons un soutien et des services qui sont déjà assurés par le ministère des Affaires indiennes.
Mais selon une évaluation objective effectuée par la vérificatrice générale, le ministère des Affaires indiennes ne nous a pas bien servis. Nous ne cherchons absolument pas à faire double emploi avec le ministère des Affaires indiennes. Comme vous, nous cherchons plutôt à le faire disparaître et en créant des institutions qui seront dirigées par les membres des Premières nations, c'est justement ça que nous faisons.
La grande priorité de ces institutions doit être de développer les économies des Premières nations. Nous y arriverons. Nos gouvernements mettront en place une infrastructure concurrentielle. Nous offrirons aux investisseurs la certitude qu'ils recherchent. Nous disposerons de renseignements fiables. Ces institutions aideront nos collectivités à gérer les risques associés au développement économique.
Le ministère des Affaires indiennes n'a pas fait et ne peut pas faire tout cela. Les services et les normes de communication des renseignements de ces institutions seront de qualité exemplaire, parce que ces dernières seront inclines à s'assurer que c'est le cas, sachant qu'elles récolteront plus d'investissements et créeront ainsi plus de débouchés. Nos institutions soutiendront nos collectivités. Nos collectivités se soutiendront les unes les autres. Nous savons que ce projet est un projet collectif.
¾ (0825)
C'est dans ces conditions-là qu'on crée un gouvernement économique et efficace. Les normes et règlements ne sont pas imposés; ils sont acceptés. Voilà aussi qui permet de diminuer le coût de la surveillance, du contrôle de la qualité, et de la réglementation.
Certains prétendent que seulement un petit nombre de personnes en bénéficieront. Or ces institutions profiteront à l'ensemble des Premières nations du Canada, qu'elles soient grandes ou petites, ou qu'elles soient en milieu rural ou urbain. Les plus petites Premières nations ont besoin de l'appui et des ressources de ces institutions. Les plus grandes Premières nations peuvent se débrouiller toutes seules. La structure de l'AFPN est d'ailleurs conçue de telle façon que les plus petites Premières nations puissent accéder aux capitaux dont elles ne peuvent bénéficier à présent.
Par contre, le projet de loi C-19 ne devrait pas être considéré comme la dernière étape de cette démarche. La prochaine étape du renforcement de notre partenariat consistera à élaborer une stratégie économique de grande envergure qui englobe le règlement des revendications territoriales, la création d'institutions, et l'établissement d'une infrastructure. Nous avons besoin d'une stratégie permettant d'attaquer les causes profondes de la pauvreté chez nos peuples, pauvreté qui est causée par un mauvais climat d'investissement résultant d'un accès insuffisant aux ressources, aux marchés, et à la technologie; une infrastructure de piètre qualité; et l'absence d'institutions qui seraient issues de gouvernements autochtones.
Cette stratégie doit être exécutée par notre propre institution--une organisation chargée de renforcer la coopération économique et d'établir des partenariats. Travaillant de concert avec d'autres gouvernements et des investisseurs potentiels, elle jouera à mon avis un rôle de catalyseur en nous aidant à définir notre vision du futur. En créant les institutions autochtones de l'avenir, les dirigeants des Premières nations et le Parlement pourront adopter une approche semblable à celle qu'établit le projet de loi C-19.
Monsieur le président, je voudrais saisir cette occasion pour remercier M. Nault de son courage et de sa résolution à concrétiser le projet de loi C-19. Je voudrais aussi saisir cette occasion pour remercier quelqu'un qui m'est très cher. Elle est ma plus fidèle conseillère et une grande amie depuis 1984. C'est une auteure très appréciée et une brillante avocate. Elle prend sa retraite pour devenir une auteure toute aussi brillante et pour qu'on se rappelle des réalisations d'une avocate qui a été l'instigatrice de nombreux changements. Sans elle, nous ne serions pas là.
Merci, Leslie.
Selon moi, l'histoire est aujourd'hui avec nous. Le projet de loi C-19 nous permet de prouver que nous sommes prêts et capables d'assumer la responsabilité de notre avenir. Nous voulons bénéficier de toutes les grandes richesses qu'offre le Canada. Comme l'a dit Winston Churchill, « Le prix de la grandeur est la responsabilité ».
Avec le projet de loi C-19, nous sommes à la veille d'ouvrir une nouvelle période dans nos rapports. Nous ne sommes pas des personnes à charge. Nous sommes vos partenaires dans la fédération. En nous présentant devant vous, nous cherchons à obtenir l'appui de tous les partis pour ce projet de loi. Ce geste témoignera de notre engagement mutuel à l'égard de notre partenariat avec tous les Canadiens.
Nous avions reçu l'appui de tous les partis pour la dernière modification à la Loi sur les Indiens demandée par les Premières nations en 1988. Nous avions notamment l'appui du ministre Bill McKnight, Keith Penner, Nelson Riis, et Jim Fulton. Nous espérons bénéficier d'un appui aussi solide cette fois-ci.
Je voudrais conclure en répétant ce que je vous ai dit en février. Il ne faut jamais douter de la capacité de quelques personnes perspicaces et courageuses de changer le monde. D'ailleurs, il en a toujours été ainsi.
Merci.
¾ (0830)
Le président: Merci beaucoup pour cet excellent exposé.
Nous passons directement à la période des questions. Le premier tour sera de sept minutes.
Monsieur Loubier.
[Français]
M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Monsieur le président, il est dommage que l'opposition officielle ne soit pas là aujourd'hui pour entendre M. Jules.
Votre exposé est clair et vraiment très intéressant. C'est, je pense, la première fois qu'on m'explique de façon aussi synthétisée et intelligente le projet de loi C-19. Je vous en remercie. Il est évident que vous avez travaillé une bonne partie de votre vie à cette vision.
Je suis cependant un peu désolé que ce projet de loi soit reçu de façon aussi mitigée par les premières nations. Il aurait été intéressant d'arriver à un consensus autour du projet de loi C-19. Croyez-moi, je suis vraiment désolé que ce ne soit pas le cas. En revanche, certaines questions ont été soulevées hier, et on en entend parler depuis quelques mois. À mon avis, elles sont légitimes et il faut s'y intéresser.
Entre autres, j'ai demandé hier au ministre pourquoi il n'avait pas inclus, à l'intérieur du projet de C-19, une clause de non-dérogation. Il m'a dit que ce n'était pas nécessaire et que par ailleurs, le rôle de fiduciaire du gouvernement fédéral était protégé en vertu de la Constitution et ainsi de suite. Il a même fait une erreur hier en disant que lors de l'analyse du projet de loi C-7, on avait refusé, parce qu'on la jugeait non nécessaire, une clause de non-dérogation présentée sous forme d'amendement par l'opposition, alors qu'une telle clause a été adoptée ici. En fait, c'est le seul amendement de fond au C-7 à avoir été adopté à l'unanimité par mes collègues.
D'après vous, est-il nécessaire d'inscrire une clause de non-dérogation? En outre, n'avez-vous pas l'impression qu'il y a un genre de bris de confiance entre le ministre et les premières nations du fait que le ministre a présenté le C-19 à l'intérieur du cadre général de trois projets de loi, dont le C-7, qui a été rejeté par les premières nations quasiment à l'unanimité? Le fait de faire avoisiner le C-7 avec le C-19 n'est pas très positif.
Bref, quel est votre avis au sujet de la clause de non-dérogation et du bris de confiance?
[Traduction]
M. Clarence (Manny) Jules: Pour ce qui est du consensus, comme je vous le disais, j'ai été chef de ma collectivité et membre du conseil pendant 26 ans. Comme le disait le chef Dan George, nous nous sommes toujours efforcés de trouver un accommodement qui nous permettrait d'obtenir l'appui de l'ensemble des membres de nos collectivités. De temps à autre, notre collectivité, pour toutes sortes de raisons, a pris des décisions fondées sur la volonté de la majorité des membres. Certaines de ces décisions n'ont pas été très appréciées et ont été difficiles à prendre. Mais le fait est que la collectivité a pris ces décisions et a continué à progresser.
Les critères selon lesquels on juge les Premières nations ne semblent pas être les mêmes que pour d'autres. On dirait que si nous ne parvenons pas à un consensus sur quelque chose, il ne devrait rien se passer. Si quelqu'un dans la pièce n'est pas d'accord avec ce qui est proposé, eh bien, il ne faut pas le faire. Si on travaillait de cette façon dans le reste du pays, on n'arriverait jamais à progresser. On ne serait pas en mesure de régler des questions de gouvernance les plus difficiles, de créer des économies, ou de préparer l'avenir.
Donc, quand je songe à la controverse suscitée par le projet de loi C-19, je me dis que ce projet de loi a donné lieu à l'un des meilleurs débats auquel j'ai jamais participé. Le débat qui a eu lieu à Halifax était phénoménal. Nous avons passé sept heures à discuter. À la fin, plus de 150 chefs ont voté en faveur du projet de loi C-19, contre 80 qui étaient d'avis contraire--environ le même nombre qui s'y opposait dès le départ.
Donc, il y a eu un débat. C'est vrai que cette mesure a été controversée. Mais les collectivités qui ont décidé d'appuyer cette initiative continueront à le faire, parce que nous ne voulons pas demeurer paralysés à cause de la Loi sur les Indiens. Notre liberté doit nous amener au-delà.
Toute cette idée selon laquelle nous sommes pris dans un travail d'élaboration de toute une série de lois n'est pas exacte, parce que le gouvernement existe pour gouverner. Le gouvernement doit examiner et élaborer des lois dans toutes sortes de domaines différents. La Loi sur le contrôle des armes à feu a été adoptée sans que les Premières nations aient eu suffisamment l'occasion de donner leur avis. Les problèmes qui en ont découlé continuent de nous tracasser.
Par contre, ce projet de loi a pris racine dans nos collectivités. Il a des applications pratiques. Il est issu de notre désir de disposer de pouvoirs d'administration et de contrôle sur nos propres terres, pouvoirs que nous ne détenions absolument pas.
Comme je vous le disais dans mes remarques liminaires, nous ne voulons pas être les pupilles du gouvernement fédéral. Nous voulons être en mesure de nous débrouiller tout seuls, et de contribuer à l'amélioration de notre propre situation. Pour l'instant, cela nous est impossible, parce que la Loi sur les Indiens nous empêche de le faire.
Le ministre a parlé de l'éducation et de l'importance à terme de l'éducation des jeunes Autochtones, afin que nous dépendions moins du gouvernement fédéral et des transferts fédéraux. J'ai rappelé au ministre qu'aux termes de la Loi sur les Indiens, c'est encore lui l'agent de discipline. Il a le droit de venir chez moi. Il a le droit d'aller chez les membres de ma collectivité et de leur prendre leurs enfants. Mais cet article inadmissible de la Loi sur les Indiens qui lui permet de faire cela ne pourra disparaître en l'absence de modification législative.
Ce que nous faisons en ce moment est sans précédent. Nous avons déjà affirmé que l'article 83 de la Loi sur les Indiens ne devrait pas relever de la responsabilité du ministre des Affaires indiennes. Pourquoi les Premières nations ne pourraient-elles pas assumer elles-mêmes cette responsabilité? Pourquoi ne serions-nous pas en mesure de prouver aux autres gouvernements, à nos citoyens, et aux gens qui pratiquent le commerce avec nous que nous sommes responsables et dignes de confiance, que nous pouvons leur assurer les services qu'ils requièrent, et que nous sommes capables de nous débrouiller tout seuls?
¾ (0835)
Selon moi, l'adoption rapide du projet de loi C-19 représente le seul moyen d'un parvenir.
Le président: Merci, monsieur Jules.
Y a-t-il des députés de la majorité qui voudraient intervenir?
Madame Karetak-Lindell.
Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.): J'ai une question fort simple à vous poser. Dans votre exposé, vous avez parlé du fait que ces quatre institutions sont tout à fait distinctes. Pour que je sois sûre de bien comprendre, pourriez-vous me dire si les Premières nations pourront décider de se prévaloir des services de l'une d'entre elles mais pas des trois autres, ou de choisir les institutions qui les intéressent? Vous avez parlé de la possibilité de participation et de non-participation, et je voudrais donc savoir si les Premières nations qui décident de se prévaloir des services d'une des institutions doivent aussi avoir recours aux trois autres. Pourriez-vous donc m'expliquer un peu quelles pourraient en être les conséquences pour une collectivité donnée?
M. Clarence (Manny) Jules: Dans mon cas, nous avons à Kamloops et nous continuerons d'avoir notre propre régime de taxes foncières. Si nous sommes une Première nation qui emprunte, nous voudrons nous assurer, par le biais de l'AFPN, que les normes sont respectées. Il sera également nécessaire d'adopter une loi sur la gestion financière. Nous serions en mesure de faciliter ce travail pour une collectivité autochtone, car ce sera dans son intérêt de s'assurer qu'elle a un régime en place qui repose sur la responsabilisation et la transparence.
Même s'il existera des liens entre ces institutions, elles sont tout à fait distinctes. Dans le cas de l'Institut de la statistique, par exemple, une Première nation pourrait signer un contrat directement avec cette dernière.
¾ (0840)
Mme Nancy Karetak-Lindell: Lorsque le ministre a comparu hier, certaines des questions posées par les députés de l'Alliance canadienne laissaient entendre que certaines bandes auraient déjà déposé des cautions sans ce projet de loi. Vous disiez vous-même que certains groupes existent depuis longtemps, et d'après certaines personnes, vous n'avez pas vraiment besoin de ce projet de loi.
J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet et savoir quelles seraient les conséquences à votre avis si nous n'adoptons pas ce projet de loi d'ici une semaine ou deux.
M. Clarence (Manny) Jules: Il existe de nombreuses collectivités autochtones au Canada qui attendent d'avoir accès à une nouvelle source de revenus pour pouvoir établir leur propre infrastructure. À l'heure actuelle, si vous voulez installer un système d'adduction d'eau, vous devrez le faire en fonction des conditions sociales de votre collectivité. Le ministère des Affaires indiennes vous rencontrera pour négocier telle somme pour tel élément de votre infrastructure, que ce soit pour un système d'eau ou pour répondre à un autre besoin.
Il n'est tout simplement pas possible de favoriser le développement économique avec ce genre d'infrastructure. Grâce à la création de ces institutions, nous aurons accès à des sources de revenus qui nous permettront de faire cela.
Il nous serait tout à fait impossible de le faire seul. On a absolument besoin de ce cadre législatif. On a besoin de la certitude qui découle d'une loi pour aller chercher des investisseurs internationaux qui voudront investir dans nos collectivités. À l'heure actuelle, lorsqu'on parle du développement économique d'une collectivité autochtone, le fait est que si une controverse éclate sur la côte ouest, cela influe sur nous tous d'un bout à l'autre du Canada. À ce moment-là, les investisseurs ne veulent même pas vous parler. Ils s'adressent directement au ministère des Affaires indiennes pour connaître les possibilités de développement économique dans nos collectivités. Ce n'est pas une bonne façon de faire. Ce n'est pas ainsi que nous réussirons à progresser.
Ces institutions sont extrêmement importantes pour nos collectivités, car nous voulons nous libérer de cette prison, de ce joug que représente la Loi sur les Indiens. Nous n'y parviendrons pas en rêvant d'une vie meilleure, et en nous disant que si nous fermons les yeux et prions Dieu, quand nous rouvrirons les yeux, le monde aura changé.
Nous n'y parviendrons qu'en trouvant des solutions pratiques à nos problèmes, en modifiant les lois qui nous touchent, et en commençant à établir un partenariat qui sera sans précédent au Canada et qui prouvera au monde entier que nous sommes prêts à travailler avec les peuples autochtones--tous les peuples autochtones des Amériques.
Mme Nancy Karetak-Lindell: Et que répondez-vous aux affirmations faites hier par des députés de l'Alliance canadienne, selon lesquels des cautions auraient déjà été déposées?
M. Clarence (Manny) Jules: Il n'existe pas de cadre législatif leur permettant de faire cela. Nous avons besoin d'une loi pour nous permettre justement d'émettre des obligations. Nous avons rencontré les responsables de l'agence Moody's. Nous avons rencontré les responsables d'autres institutions financières. Elles sont prêtes à travailler avec nous, mais ce qui est également très clair, c'est qu'elles sont prêtes à travailler avec nous à une condition : que nous puissions nous appuyer sur la certitude que confère un mandat législatif.
Merci.
Le président: Merci.
Monsieur Loubier, pour quatre minutes.
[Français]
M. Yvan Loubier: Monsieur Jules, j'ai deux questions à vous poser.
Hier, j'ai demandé au ministre s'il était ouvert à des modifications au projet de loi C-19 pour rassurer ceux qui ont perdu confiance. Je lui ai suggéré quatre amendements. Je lui ai demandé s'il était prêt à préciser à l'intérieur du projet de loi C-19 que les institutions dont il est question sont publiques mais qu'elles ont été conçues par les premières nations et sont au service strictement de ces dernières. Ensuite, j'ai proposé que l'utilisation de ces institutions soit facultative et qu'on précise ce fait à l'intérieur de la loi. J'ai aussi suggéré qu'on ajoute maintenant une clause de non-dérogation, comme on l'a fait dans le cas de l'amendement présenté dans le cadre du projet de loi C-7 qui a fait en sorte qu'il y ait une clause de non-dérogation. J'ai aussi proposé qu'on s'assure de l'indépendance des institutions et de la confidentialité des données. Enfin, j'ai suggéré qu'on précise dans le projet de loi qu'il ne doit pas y avoir de préjudice ou de menaces envers les premières nations qui ne feraient pas appel à ces institutions. Cela s'est déjà vu par le passé.
D'ailleurs, l'Assemblée des Premières Nations n'a pas reçu son financement depuis le 1er avril. J'ai l'impression que parce qu'elle s'oppose aux projets de loi C-7, C-19 et C-6, on lui fait du chantage. C'est la façon dont j'interprète la situation. On a déjà vu de telles choses par le passé.
Hier, le ministre n'a pas répondu directement à ces recommandations. Il les a contournées, sauf pour ce qui est de la clause de non-dérogation, dont il a dit qu'elle n'était pas nécessaire. On disait ne pas en avoir besoin dans le projet de loi C-7, mais on en a inscrit une grâce nos amendements. Pourquoi dit-on maintenant qu'on n'en a pas besoin dans le projet de loi C-19 parce que le rôle fiduciaire du gouvernement fédéral est protégé en vertu de la Constitution?
¾ (0845)
[Traduction]
M. Clarence (Manny) Jules: Je voudrais d'abord répondre à votre question concernant la clause de non-dérogation. Nous étions d'avis, bien entendu, que cette dernière nous permettrait peut-être d'obtenir l'appui des responsables de l'Assemblée des Premières nations.
Quand nous examinions différentes ébauches du projet de loi, nous n'étions pas convaincus--et là je parle non seulement du comité des chefs chargé d'examiner les questions financières mais des rédacteurs du projet de loi--de la nécessité d'inscrire une clause de non-dérogation au projet de loi C-19. La raison en est que nous avons déjà quelque chose au Canada qui s'appelle la Constitution. L'article 35 de la Constitution protège nos droits. Par conséquent, nous estimions qu'il n'était pas nécessaire d'inscrire le libellé de cet article dans le projet de loi lui-même.
Ceci dit, si son inclusion nous avait permis de rassurer l'assemblée, nous étions disposés à recommander que cette clause y soit incorporée. Elle figurait justement dans l'ébauche qui a fait l'objet de consultations, mais a été enlevée par la suite. Mes sentiments à cet égard n'ont guère changé, puisque je ne suis toujours pas convaincu qu'il faille une clause de non-dérogation au projet de loi C-19, parce que ce dernier n'enlèvera rien aux droits qui nous sont garantis à l'article 35; ça, c'est tout à fait clair. Mais encore une fois, si le comité le désire et juge approprié d'y inscrire une clause de non-dérogation, ce n'est pas moi qui vais m'y opposer.
Pour ce qui est de la non-participation, je crois avoir abordé cette question dans mon exposé liminaire. Il est clair dans le projet de loi que la participation est facultative. Il s'agissait d'ailleurs d'un des principes fondamentaux retenus par les chefs et l'assemblée. Il faut qu'elle soit facultative, pour tenir compte de la diversité de besoins des Premières nations du Canada. Cela renforce cette notion de libre-arbitre et de liberté de choix, et la capacité de travailler ensemble sans le poids d'un régime de réglementation très lourd qui serait nécessaire si ce projet de loi était plutôt prescriptif.
Encore une fois, j'ai parlé de toute la question de l'indépendance de mon exposé. Pour moi, la procédure de nomination est bien claire. Nous, comme tout le monde, souhaitons que les personnes les plus qualifiées soient retenues pour siéger aux commissions, parce que nous voulons que ces dernières soient non seulement les meilleures commissions du Canada, mais qu'elles donnent l'exemple au reste du monde.
Pour ce qui est du rôle public de ces institutions, évidemment, il importe au plus haut point que nous nous assurions qu'il s'agit d'institutions publiques, et ces dernières devront s'efforcer de gagner la confiance du public. Encore une fois, dans ce contexte, l'indépendance de ces institutions à long terme est tout à fait critique.
En établissant progressivement ce nouveau partenariat, nous devons être en mesure de garantir l'indépendance de nos propres gouvernements, pour que ces derniers puissent être le reflet de notre réalité. En même temps, nous devons être très sensibles aux besoins des membres de nos collectivités auprès de qui nous percevons des impôts. Nous devons avoir à l'esprit à tout moment les besoins et les intérêts de tous ces groupes différents. Il faut par conséquent que ces institutions mènent leurs activités indépendamment du gouvernement.
¾ (0850)
Le président: Merci, monsieur Jules.
Monsieur Binet.
[Français]
M. Gérard Binet (Frontenac—Mégantic, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Jules, je vous félicite pour votre présentation. J'ai adoré.
Avant d'être député--j'ai été élu à la dernière élection, en novembre 2000--, j'ai été maire. Donc, quand vous parlez de revenir à la base, je vous comprends. On sait qu'ici, au Canada, il y a trois paliers de gouvernement. Quand on est maire, on se situe vraiment à la base. Avec les taxes qu'on perçoit, on peut décider de réaliser des projets et on arrive parfois à quelque chose d'extraordinaire en très peu de temps.
Je peux vous donner un exemple. Dans ma municipalité, en l'espace de deux ans et demi ou trois ans, on a vraiment fait des choses extraordinaires, mais il a fallu que tout le monde travaille ensemble. Le succès n'est pas venu d'en haut, mais de la base. Tout le monde a travaillé ensemble à faire avancer les choses. L'idéal, bien sûr, est d'avoir des moyens financiers. Aujourd'hui, pour réaliser des choses, il faut avoir les moyens adéquats.
Quand on perçoit des taxes, il faut être redevable. Il faut donc le faire de la meilleure manière qui soit afin de ne pas être critiqué par la suite. Je crois en votre système, je vous encourage à continuer dans ce sens et j'espère qu'un jour, on aura la chance de se rencontrer à nouveau. J'aimerais avoir l'occasion de vous entendre encore une fois.
[Traduction]
Le président: Monsieur Dromisky, il reste environ deux minutes.
M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps mais je voulais vous dire que je comprends pourquoi vous avez été chef pendant si longtemps; vous êtes un excellent professeur. Il n'y a pas de toute à cet égard.
Nous devrions tous chérir le souvenir de votre exposé, parce que vous y avez élucidé tellement de concept important. À mon avis, c'est le genre de document qu'il faudrait donner aux établissements d'enseignement, pas seulement à cause de l'historique que vous faites de la question, mais aussi parce que vos propos prouvent bien que vous êtes un vrai visionnaire.
Vu cette capacité que vous avez--c'est-à-dire le fait que vous soyez un excellent professeur et un visionnaire, que vous cherchez à vous doter des bons outils pour préparer votre avenir, en quelque sorte, et vu le contexte dans lequel vous menez vos activités, selon vous, comment tout cela s'appliquera-t-il et comment les activités seront-elles financées? Pensez-vous que les bandes et les collectivités autochtones sont prêtes à accepter ce nouveau régime et à progresser à l'aide de ce modèle? Faudra-t-il une structure quelconque, dans chaque province ou à l'échelle nationale? L'idée d'avoir à assurer du financement à deux paliers m'inquiète un peu, parce que cela coûtera déjà assez cher de sensibiliser les gens, de les préparer à appliquer le nouveau régime et à progresser dans le cadre de ce régime.
Le président: Monsieur Jules, mon collègue vous a posé une excellente question, mais ce faisant, il a épuisé tout le temps de parole qui lui restait.
Je vous invite donc à incorporer votre réponse dans vos remarques de clôture. Il nous reste environ 10 minutes, et nous vous invitons donc à nous faire part de vos dernières observations.
M. Clarence (Manny) Jules: Je peux vous dire ceci : quand j'ai commencé à faire ce travail, il était question de seulement quelques « petites » modifications. Je vous signale que je mesurais au moins 5 pieds 10 ou 11 à ce moment-là, et que j'ai rétréci depuis.
Cela veut donc dire que nous devrons poursuivre ce travail.
En terminant, j'aimerais remercier les membres du comité pour leur temps et leur soutien. Comme vous le disait hier Satsan, vice-chef de la Colombie-Britannique auprès de l'APN, je vous exhorte à adopter le projet de loi C-19 avant l'ajournement d'été. Attendre l'automne, ou la reprise des travaux de la Chambre, risque de nous coûter cher à nous tous. Les lois élaborées par les Premières nations à leur intention sont de moindre importance. Le Canada peut-il se permettre de susciter davantage de sentiment de méfiance? Vous devez donc éviter de communiquer un tel message.
Il y a une vingtaine d'années, certains d'entre nous parlions de la possibilité de créer nos propres institutions nationales de gouvernance. À l'époque, nos idées n'étaient que des rêves. Aujourd'hui, je me présente devant le comité pour exhorter le Canada à réaliser notre rêve. Je suis on ne peut plus fier de vous entendre exprimer votre vif appui à notre rêve.
Si nous n'avions pas eu cette équipe fantastique, nous ne serions pas là. Bon nombre des membres de cette équipe sont présents aujourd'hui. Au nom de toutes les Premières nations qui vont bénéficier du projet de loi C-19, et de celles qui en bénéficieront à l'avenir, je vous remercie. Je vous assure que l'adoption rapide de ce projet de loi fera une grande différence.
¾ (0855)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Jules. Je vous imagine très bien mesurant 5 pieds 11 avec une coupe en brosse.
Merci infiniment. Nous sommes toujours ravis de vous recevoir.
M. Clarence (Manny) Jules: La dernier fois que je me suis fait couper les cheveux en brosse, j'avais 15 ans et c'est ma mère qui m'a forcé à le faire. Cette fois-là, j'avais à peu près les cheveux en brosse.
Le président: Eh bien, vu tout le travail que vous faites, je suis sûr que vous n'avez même pas le temps d'aller vous faire couper les cheveux. De toute façon, votre coupe nous plaît bien. Merci.
J'invite maintenant la délégation de la Commission consultative de la statistique des Premières nations à venir se joindre à nous. Nous souhaitons la bienvenue au chef, Tom Bressette; Alfred Linklater, directeur général; Max Dokuchie, conseiller juridique, et Jennifer Espey, conseillère technique. Nous vous donnons quelques instants pour vous installer.
Chef Bressette, je crois savoir que c'est vous qui aller parler en premier. Nous disposons d'une heure pour notre discussion. Je vous demanderais donc d'essayer de laisser du temps pour les questions et réponses.
Vous avez la parole.
Le chef Tom Bressette (président, Commission consultative des statistiques des Premières Nations): Bonjour, monsieur le président et membres du comité, mesdames et messieurs.
Je suis le chef Tom Bressette de la Première nation Chippewa de Kettle et Stony Point.
Nous voudrions tout d'abord remercier les Algonquins de Golden Lake et leur rendre hommage, étant donné que le lieu où nous nous réunissons aujourd'hui se trouve sur leur territoire traditionnel. J'aimerais également remercier le comité de m'avoir invité à lui faire part de mes observations aujourd'hui.
Dans un premier temps, je voudrais parler un peu de mes antécédents politiques. Pendant deux mandats, j'ai été membre du conseil. Par la suite, on m'a demandé d'occuper le poste de chef. Je l'ai fait à contrecoeur parce que je sais tout le travail que ça représente et le dévouement que cela suppose.
De plus, j'ai été élu au poste de chef régional au sein de notre organisation politique, l'Union of Ontario Indians, pour la région du sud-ouest. Je suis également membre de l'exécutif de l'Union of Ontario Indians, qui parraine la création de l'Institut de la statistique des Premières nations.
J'ai également occupé le poste de vice-chef régional de l'Ontario auprès de l'Assemblée des Premières nations en 1997. Voilà donc plus de 17 ans que je mène des activités politiques, et au cours de cette période, j'ai eu l'occasion d'observer directement les problèmes et les défis auxquels sont confrontées les Premières nations sur les plans à la fois social et économique.
Je ne serais pas ici aujourd'hui si je n'étais pas convaincu de la nécessité de créer un Institut de la statistique des Premières nations. Pour moi cette initiative est essentielle pour progresser. Elle aura un impact très important sur notre capacité de relever les défis auxquels nous, en tant que membres des Premières nations, sommes confrontés.
Les critiques de cette initiative citent les résultats de sondages menés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord, lesquels ont constaté que les priorités des membres des Premières nations étaient le logement, les soins de santé, le chômage, l'éducation et la culture. D'après ces sondages, la création et le renforcement des institutions ne constituent absolument pas une priorité pour les Premières nations.
À mon sens, le fait que nous ayons à dépendre de données qui découlent de sources autres que des institutions autochtones est très révélateur en ce qui concerne notre besoin d'un Institut de la statistique des Premières nations. Je me permets de vous poser la question que voici : les dirigeants des collectivités ont-ils à présent facilement accès à des données et statistiques dans des domaines qu'ils jugent prioritaires? La réponse est non. Je sais que c'est le cas parce que j'ai moi-même été chef. J'ai donc une connaissance directe du problème.
À tous les autres paliers de gouvernement, cette information est facilement accessible. Il convient donc de se demander pour quelle raison nous, les Premières nations, n'avons pas aussi facilement accès à ces renseignements?
En tant que dirigeant d'une collectivité autochtone, si j'avais accès à des statistiques fiables dans tous ces domaines, non seulement je pourrais prouver à mes membres pourquoi certaines décisions s'imposent, mais ces données apporteraient de l'eau à mon moulin quand il s'agirait de faire valoir mes arguments auprès d'autres gouvernements et d'autres groupes sur les améliorations requises et les domaines dans lesquels elles sont requises. Les dirigeants seraient aussi mieux équipés pour négocier l'exécution des programmes et la prestation des services avec le gouvernement. Notre position serait renforcée si nous étions en mesure de justifier nos affirmations en présentant des renseignements à l'appui qui seraient recueillis par notre propre institution.
L'élaboration des politiques touchant les Premières nations par les ministères fédéraux s'appuie actuellement sur des données inexactes. Non seulement les collectivités autochtones sont confrontées à certains obstacles quand il s'agit de respecter les exigences en matière d'information, notamment dans le contexte des questions sociales, mais nous avons également du mal à attirer des investisseurs ou entrepreneurs de l'extérieur qui seraient éventuellement intéressés à traiter avec les Premières nations si nous avions en main des statistiques vraiment convaincantes.
Les investisseurs s'attendent à ce que des données et statistiques justes et complètes sur les différentes collectivités soient facilement accessibles. Vu l'absence d'information dans ces domaines, ces derniers hésitent à faire des affaires avec nous.
Comment l'Institut de la statistique des Premières nations réussira-t-il à combler ces lacunes? Eh bien, ce dernier aidera à renforcer les capacités de toutes les collectivités autochtones pour que ces dernières puissent analyser, évaluer et publier des statistiques qui soient pertinentes, fiables et éclairantes.
L'Institut de la statistique des Premières nations constituera un guichet unique pour l'accès à des données sur les collectivités autochtones. Ce dernier fera en sorte que la collection, l'analyse et l'interprétation particulières des statistiques répondent mieux aux besoins des gouvernements, entreprises, et organismes autochtones.
¿ (0900)
L'Institut s'assurera d'intégrer la langue moderne de la statistique avec une bonne compréhension des systèmes de valeurs et de connaissances traditionnelles des Premières nations. Malgré tout le respect qu'on vous doit, le gouvernement fédéral n'est pas en mesure d'offrir cela.
Certains se demandent pourquoi nous avons demandé l'adoption d'une loi fédérale et la création de cet institut. La Loi confère à l'Institut de la statistique des Premières nations le pouvoir d'accéder aux documents ou dossiers fédéraux touchant les Premières nations, et de recueillir, analyser et publier des données sur les accords conclus avec les Premières nations.
Une bonne partie de cette information a déjà été recueillie, mais elle n'est pas utilisée. Elle reste inutile pour le moment. Par contre, cette loi permettra à l'Institut de la statistique des Premières nations d'accéder à ces documents, pour que ce dernier puisse en faire une analyse plus exhaustive.
De plus, cette loi garantira que les renseignements personnels fournis par un particulier, un ménage, une Première nation, une entreprise ou un organisme resteront toujours confidentiels. Dans aucun cas les données seront analysées ou communiquées de façon à permettre d'identifier les répondants individuels. Enfin cette loi permettra à l'Institut de la statistique des Premières nations d'assurer, à la place du gouvernement fédéral, la responsabilité des statistiques des Premières nations.
Depuis le départ, ce sont les Premières nations qui ont eu l'idée de créer cette institution et ont donc piloté ce dossier. Depuis longtemps, l'établissement d'un Institut de la statistique des Premières nations, qui serait responsable de la collecte, de l'analyse, de la publication et de la gestion des données est un objectif important pour les Premières nations. Cet objectif a pris encore plus d'importance après la publication du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui a affirmé ceci à la page 349 du deuxième volume :
Pour mettre sur pied leur propre gouvernement et assurer la planification, les Autochtones devront savoir quelles seront les répercussions des changements politiques, démographiques, sociaux et économiques sur leurs nations et disposer de mécanismes de collecte des données permettant de brosser un tableau de la situation à l'échelle de la collectivité ou de la nation. |
On lit aussi ceci, toujours à la page 349 du deuxième volume :
… mais lorsque les gouvernements autochtones auront beaucoup plus de pouvoirs et de responsabilités dans les domaines comme la citoyenneté, la planification et la gestion financières et les nouveaux secteurs de services, la demande de systèmes de gestion de données et de capacités connexes augmentera. |
L'Assemblée des Premières nations a pris des mesures. Dans la foulée de ces recommandations, l'APN a adopté une résolution en juillet 1998 en vue d'analyse et de créer, chez les Premières nations, la capacité de suivre, d'analyser et de distribuer des données sur les questions financières et économiques nationales qui influent sur les collectivités autochtones. Ce mandat a ensuite été élargi aux assemblées générales de l'APN de juillet 2000 et 2001, où des résolutions ont été adoptées qui donnaient au comité des chefs chargé des relations financière l'instruction de travailler à l'élaboration d'un cadre législatif pour un éventuel institut de la statistique.
Comme vous le voyez, donc, l'établissement de l'Institut de la statistique des Premières nations est depuis toujours une initiative des Premières nations, et l'APN a joué un rôle actif, voire même primordial, dans la création de ce denier. Cependant, il est encore possible d'améliorer ce projet de loi. Voilà pourquoi je propose un certain nombre d'amendements que j'invite le comité à examiner avec sérieux.
Afin de faire en sorte que l'Institut continue d'être dirigé et orienté par les Premières nations, et que ce dernier puisse affirmer que telle est la philosophie qui sous-tend ses activités, dans l'éventualité où cet institut serait mis sur pied, il faut absolument que la majorité des administrateurs soient membres de Premières nations. À l'heure actuelle, ce projet de loi ne garantit aucunement que les administrateurs seront membres de Premières nations. Par quel autre moyen pourrions-nous garantir à nos peuples que l'optique des Premières nations influencera fortement sa gestion?
En ce moment, il est proposé que l'Institut ait le statut de société d'État. Quant à nous, nous préférerions qu'il s'agisse d'une société à gouvernance partagée; cependant, l'une ou l'autre des deux structures permettra à l'Institut de la statistique des Premières nations de remplir son mandat. Disons simplement que ce dernier sera encore plus susceptible de bien remplir son mandat s'il a le statut de société à gouvernance partagée.
De plus, le siège de l'Institut de la statistique des Premières nations doit se trouver sur les terres des Premières nations. Si la majorité des administrateurs sont membres de Premières nations et le siège est situé sur les terres des Premières nations, l'utilité, la crédibilité et la légitimité de l'Institut n'en seront que plus solides aux yeux des membres des Premières nations.
Je propose donc les amendements suivants.
D'abord, nous proposons la suppression de l'article 90 et que le conseil d'administration soit composé de…
¿ (0905)
Voici le texte que nous proposons pour le paragraphe 93(2) : « Le président est membre d'une Première nation. »
L'article 94 serait modifié pour se lire ainsi : « Le gouverneur en conseil nomme de huit à 13 autres administrateurs, dont la majorité seront membres de Premières nations, à titre amovible pour des mandats respectifs d'au plus cinq ans; ces administrateurs sont nommés sur recommandation du ministre. »
Nous proposons aussi de faire ajouter ceci au paragraphe 97(2) : « Le vice-président est membre d'une Première nation. Le siège de l'Institut est situé sur des terres de réserve au lieu fixé par le conseil ou par le gouverneur en conseil. »
Quant au paragraphe 105(1), il devra être modifié pour se lire ainsi : « Sous réserve du paragraphe (2), les documents ou archives sur les Premières nations, les Indiens ou les autres membres des Premières nations conservés par un ministère fédéral, un organisme ou une personne morale doivent, pour l'application de la présente partie, être communiqués à l'Institut en conformité avec l'entente visée au paragraphe (3). »
Le paragraphe 105(2) devra être modifié pour se lire ainsi : « Le ministère, l'organisme ou la personne morale n'est toutefois pas tenu de communiquer un renseignement qu'aucune loi fédérale ne l'oblige à communiquer. »
De plus, nous proposons l'adjonction d'un nouveau paragraphe 108(3), dont voici le texte : « Nonobstant l'article 13 de la Loi sur la statistique, Statistique Canada n'aura pas accès aux données de l'Institut sans conclure une entente aux termes de l'article 104 de la Loi, même si le refus de le faire ne constituera aucunement une infraction en vertu de la Loi sur la statistique. »
De plus, l'article 111 serait modifiée pour se lire ainsi : « Le gouverneur en conseil peut, par règlement, sur recommandation du Ministre, après prise en compte par ce dernier des observations de l'Institut à cet égard, prendre les mesures d'ordre réglementaire prévues à l'alinéa 103(2)q). »
On peut se demander pourquoi moi, en tant que président d'une commission consultative des Premières nations, j'ai accepté de participer à la création de l'Institut. Comme je vous l'ai expliqué dans les observations que j'ai faite jusqu'à présent, à mon avis, la création d'un Institut de la statistique des Premières nations pourrait avoir un impact très important sur les collectivités autochtones. Ce dernier améliorera, tout d'abord, la capacité des dirigeants autochtones de faire de la planification pour leurs membres. Il nous permettra également d'avoir accès un plan d'ensemble à partir duquel nous pourrons commencer à améliorer les conditions sociales et économiques de nos peuples.
Au fils des ans j'ai moi-même observé avec quelle fréquence nos collectivités ont été les éternels parents pauvres et à quel point elles ont été défavorisées parce que nous ne possédions pas les statistiques de l'État civil ou alors n'y avions pas accès. J'en ai assez d'être toujours en position de faiblesse quand je négocie avec les administrations fédérale et provinciales. Nous n'avons pas accès aux informations qui nous permettraient de justifier nos arguments ni à notre juste part des ressources et services dont devraient bénéficier nos peuples.
Les collectivités autochtones progressent, petit à petit, vers l'autodétermination. À mon avis, la création d'un Institut de la statistique des Premières nations est une étape importante dans la concrétisation de ce droit. Mais ce n'est pas tout. De façon plus générale, je suis fermement convaincu que la création d'un Institut de la statistique des Premières nations est une étape importante pour améliorer la qualité de vie de mon peuple.
Meegwetch, et merci de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui.
¿ (0910)
Le président: Merci beaucoup pour cet excellent exposé. Vos observations sont très utiles, et je sais qu'on a pris bonne note de vos propositions d'amendements. J'espère que les membres du comité les présenteront officiellement lors de l'examen article par article du projet de loi.
Nous entamons donc le premier tour de questions.
[Français]
Le premier tour sera de sept minutes, ce qui comprendra les questions et les réponses.
Madame Picard.
Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Merci, monsieur le président.
Monsieur Bressette, j'ai écouté avec attention votre exposé et je l'ai trouvé très intéressant.
Je voudrais que vous nous disiez de façon très concrète quels seront les avantages de la création d'un tel institut pour les premières nations, compte tenu du fait qu'il y a déjà un institut comme celui-là qu'on appelle Statistique Canada.
Quelles sont les différences entre les deux organismes et est-ce qu'un tel institut va vous permettre d'améliorer la qualité de vie des gens et de répondre à leurs besoins?
[Traduction]
Le chef Tom Bressette: Je remercie l'honorable députée de sa question. L'information actuellement recueillie par Statistique Canada n'est pas analysée, et cette dernière ne diffuse pas l'information qu'elle rassemble. Elle se contente de donner une impression générale, ou un ratio--par exemple, combien il y a de membres de Premières nations; combien d'entre eux travaillent ou sont au chômage, etc. L'information en question ne donne aucun détail qui soit utile aux dirigeants des Premières nations.
En ma qualité de chef, j'ai examiné les données recueillies par Statistique Canada. Elles ne me permettent absolument pas de savoir combien il y a d'Indiens dans la province de l'Ontario, combien, au Manitoba, combien d'entre eux sont au chômage, et combien travaillent. Ces renseignements ne nous apprennent rien sur leurs besoins en matière de services ou de programmes d'éducation; ils ne nous permettent pas de savoir combien d'enfants ont des besoins spéciaux en matière d'éducation; ils ne nous indiquent pas quelles conditions sociales prévalent dans telle collectivité, ni ce qu'il faut faire pour les améliorer; et ils ne traitent pas des obstacles quotidiens qui influent régulièrement sur la situation de nos peuples. En réalité, il s'agit essentiellement d'un très grand ensemble de données.
Ce que nous aimerions, c'est que notre institution puisse conclure des ententes avec les dirigeants des collectivités autochtones. C'est pour cela que l'Institut signe des contrats avec les collectivités. Il ne s'agit absolument pas d'une obligation. Comme leur participation est facultative, ces dernières peuvent nous demander d'examiner des questions précises, qui pourraient être liées à l'emploi, aux conditions de logement, à l'âge des maisons dans les collectivités, au nombre de maisons, et au nombre de familles qui y habitent.
De tels renseignements ne font pas actuellement partie des données recueillies par Statistique Canada. Nous proposons que les gens travaillent en collaboration avec nous. En tant que peuple, on nous a déjà étudié à mort; voilà ce que ressentent bon nombre de nos membres. Tout le monde recueille de l'information sur nous. Mais puisque ces organismes disposent de cette information, pourquoi ne s'en servent-ils pas pour améliorer notre situation?
Nous sommes convaincus que si nous participons directement à la collecte des données en fonction des instructions précises qui nous sont données par les collectivités, nous serons à même de recenser les facteurs les plus importants.
¿ (0915)
[Français]
Mme Pauline Picard: Prévoyez-vous avoir dans cet institut un vérificateur ou une vérificatrice qui analyserait des données de Statistique Canada et qui rendrait des comptes à quelqu'un et l'assurerait que tout a été fait dans l'ordre? Vous avez parlé tout à l'heure de la structure de cet institut et de la façon dont le conseil d'administration pourrait être mis en place, mais dans ce modèle que vous proposez, y aurait-il quelqu'un dont la tâche serait de vérifier si les données sont exactes et si tout correspond aux raisons pour lesquelles on a voulu aller chercher telle ou telle information? Je pense à un vérificateur ou à un expert en analyse.
[Traduction]
Le chef Tom Bressette: Pour répondre à votre question, l'Institut analysera l'ensemble des données dont disposent actuellement les ministères fédéraux, et pas uniquement celles de Statistiques Canada. De plus, le statisticien en chef de Statistique Canada sera membre d'office de notre conseil d'administration. Nous sommes bien conscients du fait que les données que nous voulons recueillir sont essentiellement des statistiques. Nous avons donc besoin d'appui pour constituer progressivement cet Institut et par conséquent, nous avons prévu que l'Institut puisse avoir accès à de tels experts pour obtenir plus facilement ce genre d'information.
En ce qui concerne le recours à un vérificateur général ou quelqu'un de ce genre, dans le cadre d'une étude antérieure d'environ 85 p. 100 des articles de la Loi sur les Indiens, il a été question dans nos discussions d'avoir notre propre vérificateur général ou une sorte de protecteur du citoyen. Au fur et à mesure qu'évolueront ces institutions--car nous sommes encore au stade initial--ces postes pourront être établis et évolués, à mesure que nous réalisons l'autonomie gouvernementale.
[Français]
Mme Pauline Picard: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Merci, madame Picard.
Madame Neville.
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président. Merci, chef, de votre présence aujourd'hui.
Vous avez déjà traité d'un certain nombre de mes questions en répondant à Mme Picard. Pendant que vous parliez, je me demandais quelle serait la nature des rapports entre l'Institut de la statistique des Premières nations et Statistique Canada. Y aura-t-il un rôle pour le statisticien en chef de Statistique Canada? Comptez-vous échanger de l'information? Comment voyez-vous vos rapports?
Le chef Tom Bressette: Merci pour cette question.
J'ai eu des réunions avec le statisticien en chef. J'ai expliqué toute la procédure que nous comptons mettre en place et il est tout à fait en faveur de cette initiative, parce qu'à mon avis, Statistique Canada comprend très bien qu'il lui est difficile de recueillir des données auprès des membres des Premières nations.
Statistique Canada arrive à la porte en disant : « Nous voulons faire une enquête », et les gens leur disent : « Non, merci », et referment la porte aussitôt. Cette dernière reconnaît que cela l'empêche de fournir des données fiables au gouvernement. Donc, comme je viens de vous le dire, nous nous réunissons de temps à autre, et il sera membre d'office de notre conseil d'administration.
Par conséquent, il aura certainement accès aux données, et il pourra s'asseoir avec nous pour discuter de ces données. Il reconnaît à mon avis que nos peuples ont toujours insisté sur la nécessité d'avoir leurs propres institutions. On nous dit sans arrêt : pourquoi ne voulez-vous pas tout simplement vous joindre à nous? Pourquoi refusez-vous de comprendre que nous avons déjà en place un certain nombre d'institutions gouvernementales?
Le problème, c'est que toutes les nations du monde ont une population autochtone, et dans chaque nation, ces peuples autochtones ont les mêmes désirs que nos peuples--c'est-à-dire de faire reconnaître leurs gouvernements, plutôt que d'être complètement éliminés comme s'ils n'existaient pas ou d'attendre qu'un autre groupe vienne nous assimiler.
La seule explication que je peux vous faire est celle-ci : nous avons le sentiment profond d'être des nations et nous ne voulons pas perdre la place qui nous revient sur cette terre. Nous sommes un peuple. Nous avons toujours été là, et nous avons généreusement accepté de partager notre pays avec tous les autres qui ont été défavorisés.
C'est un désir que j'ai toujours ressenti, que mon grand-père a fait naître en moi et que son grand-père à lui lui a inculqué. On ne peut pas enlever ça à quelqu'un. Nous voulons être des nations indépendantes.
Cela ne nous dérange pas de vivre collectivement avec le peuple canadien. Nous comprenons très bien qu'il faut vivre côte à côte, qu'il faut coexister et partager ce pays. C'est d'ailleurs l'un de nos plus chers espoirs.
Mais à présent les Premières nations n'ont pas voix au chapitre au Parlement du Canada. Nous avons des représentants qui sont élus par l'ensemble de la population. Et c'est pour cette raison que l'APN a vu le jour. C'est pour cela que les chefs appuient l'APN; c'est ça leur motivation. Et je ne vous dis pas cela par manque de respect. Je vous dis que c'est quelque chose qui est en nous. C'est notre nature et notre plus profond désir.
¿ (0920)
Mme Anita Neville: Merci.
Si je peux revenir sur la question de Statistique Canada, j'arrive d'une autre réunion ce matin où plusieurs organismes nous parlaient des problèmes qu'ils ont rencontrés pour ce qui est d'obtenir des données de Statistique Canada qui leur permettraient de mieux planifier leurs activités et de mieux s'organiser.
Avez-vous eu du mal à obtenir des informations de Statistique Canada quand vous en aviez besoin pour préparer des documents ou pour savoir comment faciliter la collaboration avec les gouvernements?
Le chef Tom Bressette: Oui. Disons que les possibilités d'utilisation de ces données n'ont jamais été très claires, étant donné que quelqu'un d'autre recueille l'information et que son mandat est protégé en vertu de plusieurs lois. Donc, il ne suffit pas d'appeler Statistique Canada et de lui dire qu'on veut certaines données pour les avoir.
Si nous prenons cette initiative, c'est parce que nous voulons que les gens qui ont besoin de ces données puissent s'en servir. Si nous établissions notre propre structure en déclarant que nous allons mettre sur pied notre propre institut de la statistique, qui respecterait ce qu'on ferait à ce moment-là? Nous n'existons pas par voie législative; nous n'avons pas de personnalité juridique au Canada.
À mon avis, cela empêche Statistique Canada de communiquer des données à des organismes qui le demandent; c'est la loi qui exige que certaines conditions soient remplies, si bien qu'on refuse à ces organismes l'accès aux données qui les intéressent. Il faut que les raisons soient bien claires et bien spécifiques. Pourquoi voulez-vous ces données et qu'allez-vous en faire?
Mme Anita Neville: Merci beaucoup. Je n'ai plus de questions.
Le président: Cinq minutes.
[Français]
Mme Pauline Picard: Merci, monsieur le président.
Monsieur le chef, je voudrais comprendre pourquoi il serait urgent d'adopter rapidement, avant la fin de la session, les dispositions sur la création de cet institut. Je sais que c'est très important pour vous et je sais qu'il est urgent d'adopter les dispositions sur la constitution d'une commission de la fiscalité, de la gestion, etc., mais je me demande s'il est aussi urgent de créer cet institut des statistiques. Je sais que c'est important et je ne veux pas vous blesser, mais je veux savoir pourquoi vous voulez que ce soit fait maintenant.
¿ (0925)
[Traduction]
Le chef Tom Bressette: Je crois que mon prédécesseur, c'est-à-dire le dernier témoin--moi je l'appelle chef Manny Jules, car dans mon esprit et dans mon coeur, il sera toujours un chef--vous expliquait qu'il s'agit là d'une initiative qui lui a pris énormément de temps. Et je sais que c'est vrai. Dix ans, c'est très long. Au Canada, les projets de loi sont le plus souvent adoptés en vitesse à la Chambre.
Mais nous y travaillons depuis un moment, et nous souhaitons maintenant que ces institutions puissent accomplir le travail que nous leur préparons depuis un certain temps. Nous ne pourrons jamais trop insister là-dessus : pour notre peuple, plus on retarde les choses, moins nous aurons accès aux ressources qu'il nous faut pour créer des emplois pour notre peuple.
Si vous habitez une collectivité autochtone, vous devez attendre votre tour pour obtenir une infrastructure. À présent nous n'avons pas d'infrastructure nous permettant d'attirer des entreprises. Nous n'avons pas l'infrastructure requise pour pouvoir créer un petit parc industriel ou un grand parc ou pour attirer des entreprises de façon à créer des débouchés pour notre peuple.
Les membres des Premières nations sont comme n'importe quelle autre personne qui habite une collectivité. C'est leur foyer. Ils ne veulent pas quitter leur foyer. Ils veulent continuer à améliorer leur qualité de vie, et nos enfants veulent grandir là où ils habitent maintenant. Ils n'ont pas envie d'avoir à s'installer en milieu urbain et d'être obligés de courir à droite et à gauche, d'une région à l'autre du pays, pour trouver un emploi. Voilà ce qu'ils demandent à nous, les chefs de leur collectivité : de leur trouver un emploi. Ils ne veulent pas être assistés sociaux. Moi non plus, je ne veux pas être assisté social.
J'ai grandi dans un système qui a fini par créer une grande dépendance. Mon grand-père n'a jamais été assisté social. Il était chef lorsque le gouvernement offrait l'assistance sociale. On lui a dit : cet argent vous aidera, mais en réalité, il est devenu un véritable boulet que nous traînons.
En l'absence d'immobilisations, nous n'avons aucun moyen d'attirer les entreprises vers nos collectivités. Il faut des statistiques pour soutenir les autres institutions. Lorsqu'on demande à des entrepreneurs ou compagnies de s'implanter dans une collectivité autochtone, ces derniers veulent nécessairement obtenir des statistiques au sujet de cette collectivité. Quelle est sa situation financière? De combien de terres dispose-t-elle? Quelle est sa population? Combien y a-t-il de personnes qui pourront travailler 24 heures par jour? Ils veulent avoir la certitude que s'ils s'implantent dans cette collectivité-là, leur entreprise va prospérer parce qu'ils auront accès à la main-d'oeuvre qu'ils requièrent.
Si nous possédons cette information, cela nous aidera à progresser. Si nous continuons à attendre… Nous attendons depuis longtemps. Nous avons accueilli d'autres peuples qui sont venus ici, mais au fil des ans et au fur et à mesure que le système a évolué, c'est nous qui sommes à présent obligés de faire la queue et d'attendre qu'on règle nos problèmes. C'est pour cela que je suis si convaincu que nous devons absolument commencer à progresser, car plus on nous dit d'attendre, plus nous nous enfermons dans la complaisance. On nous dit toujours : nous avons des questions plus urgentes à régler; les Premières nations peuvent attendre. Nous sommes constamment relégués au second plan.
Moi qui suis chef, le seul exemple que j'ai encore très clairement à l'esprit remonte à une cinquantaine d'années, lorsqu'on nous a enlevé notre collectivité. On nous a fait quitter nos terres. On nous a pris nos terres. On nous a trouvé une autre réserve et tout le monde y a été installé.
Il y a eu des guerres et la situation a évolué. Nous négocions à présent avec le ministère de la Défense pour qu'on nous rende nos terres. La dernière fois, c'était l'opération Tempête du désert, et là aussi, on nous a relégués au second plan. Cette fois-ci, c'était la guerre en Iraq, et on nous a, une fois de plus, relégués au second plan. Quand le gouvernement du Canada s'attaquera-t-il vraiment à nos problèmes, aux problèmes des Premières nations, au lieu d'aller dans toutes les régions du Canada ou de traverser les océans pour s'attaquer aux problèmes des autres, alors que ceux de nos peuples ne sont toujours pas réglés?
Voilà pourquoi tout cela me semble urgent. Quand je passe trois ans à préparer une initiative pour qu'elle soit ensuite reléguée au second plan, et quand il y un changement de gouvernement et, encore une fois, on en profite pour reléguer nos priorités au second plan… C'est pour cela que cette initiative nous semble urgente. Nous y travaillons depuis longtemps, et nous souhaitons que ce projet de loi soit adopté rapidement.
¿ (0930)
Le président: Merci, chef Bressette.
Monsieur Hubbard.
M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.): Merci, monsieur le président, et bonjour.
Merci pour votre exposé. Monsieur le président, on nous a proposé plusieurs amendements, ce qui m'a pris un peu par surprise. Je ne m'attendais pas à ce qu'on nous en présente autant, étant donné que vos groupes ont participé à la rédaction du projet de loi. C'est un peu préoccupant dans un contexte où nous voudrions faire rapidement adopter ce projet de loi, monsieur le président.
Pour ce qui est de l'institut dont on propose la création, vous nous avez dit où il pourrait être situé, etc. Vous avez dû consacrer pas mal de temps à la préparation de cette initiative. Nous avons également dit que ce serait facultatif. Il existe plus de 600 groupes différents de Premières nations.
Vous avez mentionné également qu'il y a une certaine réticence, notamment de la part de Statistique Canada, à vous fournir le genre d'information que requièrent les différentes Premières nations.
Combien coûtera l'exécution de ce projet?
Deuxièmement, pour ce qui est de la structure des coûts, et la possibilité de participation ou de non-participation, cette dernière tiendra-t-elle compte du fait que les Premières nations qui participeront au programme verseront des contributions à l'Institut? À votre avis, comment ce projet va-t-il évoluer, notamment en ce qui concerne la participation des Premières nations, et quel en sera le coût global, soit pour les Premières nations, soit pour le ministère des Affaires indiennes?
Le chef Tom Bressette: D'abord, certains ministères fédéraux nous ont déjà demandé de faire certaines analyses. Personne ne travaille gratuitement. Nous n'avons pas l'intention de fournir des données à ceux qui les demandent et de payer ce travail nous-mêmes. Le gouvernement a certains besoins; il établit ses propres structures pour assurer la collecte et la diffusion de cette information, ou pour l'analyser.
Je crois que nous pourrons régler tous ces détails par le biais d'une entente contractuelle. À l'heure actuelle, chaque collectivité a payé certaines personnes pour tenir des données. Si quelqu'un veut faire une enquête--et je pense qu'il en a déjà été question--nous aurions en place un système de facturation pour nous permettre de générer les revues nécessaires.
Donc, nous allons recouvrer nos coûts jusqu'à un certain point, mais comme je vous l'ai déjà dit, si nous effectuons un travail pour un ministère fédéral, nous allons faire payer le service que nous demande ce dernier. Statistique Canada a également une politique de recouvrement des coûts dès lors qu'il s'agit de fournir des renseignements précis aux ministères fédéraux, et je pense que nous allons suivre ce même modèle. C'est pour cela que je vous disais tout à l'heure que nous nous réunissons de temps à autre avec les représentants de Statistique Canada pour faire ce genre d'analyse.
Pour répondre à votre question sur la raison pour laquelle tous ces amendements ont été proposés, nous nous efforçons de répondre aux critiques formulées par les membres de nos propres collectivités; c'est pour cela que nous proposons ces amendements.
Nous cherchons à calmer les esprits et donc à obtenir l'appui des gens qui ne sont pas tellement en faveur de cette initiative. Cela ne sert à rien de construire une maison si personne ne veut y habiter. Il y a beaucoup de gens qui veulent y habiter; ce n'est pas comme si tout le monde était contre ce qu'on fait. À des réunions antérieures de représentants des Premières nations, je les ai entendu dire qu'ils reconnaissent qu'il nous faut un système nous permettant de recueillir et d'analyser des données pour mieux cerner nos besoins et pour être plus à même de justifier la position que nous adoptons vis-à-vis du gouvernement. Ce sont des renseignements concis et précis que nous avons recueillis auprès de nos peuples.
Les statistiques représentent un aspect très important, même primordial de toute opération commerciale ou de toute fonction gouvernementale. Sans statistiques, le problème que j'entrevois, et c'est pour cette raison que cette initiative semble si urgente, c'est que nous avons une jeune population. Les jeunes veulent travailler. Quand les jeunes ne travaillent pas, toutes sortes de choses vont de travers chez les jeunes. Cela les frustre, ils se mettent en colère et ils s'en prennent aux autres, quels qu'ils soient.
Si vous refusez un emploi à quelqu'un, qu'est-ce que vous lui faites au juste? L'exemple classique--et je ne veux pas nécessairement qualifier nos collectivités de ghettos--est celui des quartiers pauvres des grandes villes américaines, où vivent beaucoup de chômeurs et de jeunes, où les murs sont couverts de graffiti et où le taux de criminalité est très élevé.
Nous voulons offrir à nos peuples une bonne qualité de vie. C'est surtout de ça qu'il s'agit. Il ne s'agit pas de créer un joli institut qui sera parfaitement superflu, qui existera pour la montre; l'idée est de faire des choses qui amélioreront la capacité de nos peuples de bien gagner leur vie au Canada et de prouver qu'ils peuvent être des participants à part entière à l'économie canadienne et réussir aussi bien que les autres.
Sans de telles institutions et de telles initiatives, nous devrons toujours courir pour essayer de rattraper le reste de la population.
¿ (0935)
Le président: Merci.
Madame Picard, avez-vous d'autres questions?
Y a-t-il d'autres questions?
Dans ce cas, chef Bressette, je vous invite à faire quelques dernières observations. Il nous reste encore pas mal de temps; prenez tout le temps qu'il vous faut.
Le chef Tom Bressette: Merci, monsieur le président.
Lorsque j'ai commencé à faire ce travail pour la Commission consultative de la statistique… C'est-à-dire qu'on m'a demandé de faire ce travail. J'avais déjà beaucoup travaillé dans ce domaine au moment d'être rattaché au Services fonciers et fiduciaires du ministère des Affaires indiennes. À l'époque, nous envisagions de modifier environ 85 p. 100 des dispositions de la Loi sur les Indiens. Nous avons organisé de grandes consultations dans le cadre desquelles nous avons ouvert un dialogue avec l'ensemble des collectivités autochtones d'un bout à l'autre du pays.
Nous avons tenu des réunions régulières, et nous avions beaucoup d'appui à l'époque, parce que nos peuples veulent vraiment changer leur vie. Quand je parle du joug que représente la Loi sur les Indiens, ce n'est pas juste une façon de parler. Le joug de cette Loi pèse sur nous. C'est quelque chose que j'ai toujours détesté. Je n'aime pas l'idée que quelqu'un puisse arriver chez nous et nous prendre nos enfants, ou nous dire : « Vous devez voter de telle façon ou de telle autre façon. » C'est une décision démocratique que nous devrions pouvoir prendre dans nos collectivités.
Je suis d'accord pour être comptable envers nos membres. J'estime que c'est extrêmement important. Voilà pourquoi j'ai proposé ces amendements, parce que nous devons donner l'assurance à notre peuple que nous sommes vraiment leur porte-parole et que notre rôle consiste à vous communiquer leurs problèmes et leurs préoccupations. Ils nous font confiance pour effectuer ce travail.
L'Union of Ontario Indians, c'est-à-dire l'institution politique et les chefs pour quoi je travaille, a été fondée en 1949. Cet organisme joue le rôle de défenseur et de secrétariat auprès de 43 Premières nations dans la province de l'Ontario, soit 30 p. 100 des Premières nations de l'Ontario et 7 p. 100 des Premières nations du Canada.
L'union of Ontario Indians a été constituée en société pour agir comme secrétariat auprès de la Nation Anishinabek. La Nation Anishinabek représente notre pendant politique; l'Union of Ontario Indians est une personne morale constituée en vertu des lois du Canada.
Comme je vous l'expliquais, les membres de nos collectivités veulent être des nations; ce statut leur tient à coeur. Nous avons une confédération de trois feux. Elle remonte très loin, avant même que nous ayons eu des contacts avec les Européens. Notre peuple avait une structure de gouvernance et nous nous organisions en fonction de cette structure.
L'Union of Ontario Indians a accepté de parrainer la création de l'Institut de la statistique des Premières nations. En résumé, l'Union of Ontario Indians estime que cet institut pourrait jouer un rôle primordial dans nos efforts pour concrétiser l'autonomie gouvernementale et rétablir les pouvoirs que devraient détenir nos collectivités. Au fur et à mesure que les collectivités autochtones réaliseront l'autonomie gouvernementale, elles auront davantage besoin d'une infrastructure nationale et régionale et d'institutions leur permettant de gérer l'information et les statistiques au profit de nos jeunes.
Voilà la déclaration que le chef du Grand conseil devait vous faire ce matin, mais en raison de l'organisation des audiences, nous devions assister à plusieurs réunions en même temps, et il n'a donc pas pu être des nôtres; il devait envoyer quelqu'un pour le remplacer.
Quoi qu'il en soit, cette idée d'avoir des institutions me semble tout à fait primordiale pour assurer notre développement. L'Assemblée des Premières nations nous a appuyés jusqu'au dépôt du projet de loi C-7, et du projet de loi C-6, et tout d'un coup, on a voulu y voir un grand projet législatif, et cette initiative a été ainsi qualifiée. C'est là que l'opposition de l'APN s'est manifestée, c'est-à-dire qu'en toutes ces mesures, ces trois projets de loi, ont été mis dans le même sac et qu'une résolution a été adoptée exprimant son opposition. Pour que ce soit bien clair, c'est à ce moment-là que l'Assemblée des Premières nations a changé d'avis et a décidé de s'y opposer.
En tant que vice-chef, j'ai fait partie de l'exécutif de l'Assemblée des Premières nations. J'ai représenté l'Ontario, et c'était en ma qualité de vice-chef représentant l'Ontario que j'ai fait ce travail relatif aux Services fonciers et fiduciaires.
¿ (0940)
Si nous avons voulu proposer des changements à ce projet de loi, qui s'inscrivait dans la Loi sur les Indiens, c'est parce qu'il supposait beaucoup d'ingérence dans nos affaires. Nous voulions faire preuve de coopération en faisant des recommandations au gouvernement, là où nos opinions n'étaient pas diamétralement opposées. Et pour y parvenir, nous avons voulu nous asseoir avec les gens pour nous assurer qu'ils comprenaient les raisons pour lesquelles nous demandions certains changements.
À mon avis, beaucoup de chefs étaient en faveur de cette initiative pour nous permettre de progresser dans ce domaine. Je suis fermement convaincu que les chefs sont d'avis que cette Institut de la statistique est nécessaire, sinon je ne serais pas là devant vous, et je n'aurais jamais accepté d'entreprendre ce travail. Je sais que cela va m'attirer des critiques. Mais si on attend toujours que le moment soit parfaitement approprié, on risque de perdre de bonnes occasions; le temps passe. Je participe depuis longtemps à des activités politique chez les Premières nations. Je ne veux pas partir en me disant que j'ai échoué--comme si j'avais passé toute ma vie à m'opposer à tout ce qu'on me présentait, en disant : « Non, je ne veux pas avancer. Je ne veux pas changer. »
Il y a une chose que les Aînés m'ont appris il y a bien longtemps, et c'était le cercle ou la roue de la vie. Nous avons quatre couleurs qui représentent le peuple. À l'intérieur du cercle, tout le monde apporte quelque chose au cycle de la vie. Nous sommes tous liés par le sang; nous faisons tous partie de la même famille. Qui que nous soyons, nous avons le même sang, nous respirons le même air, et nous avons des sentiments et des émotions. Dans un groupe de personnes, chacun apporte quelque chose.
J'ai rencontré les Aînés et je leur ai posé différentes questions. Ils m'ont dit : « Il y a une chose qu'on doit vous dire, c'est qu'il ne faut pas haïr les gens à cause de la couleur de leur peau, car quand vous faites cela, vous haïssez une partie de vous-même ». Ils m'ont dit : « Les gens apportent quelque chose au cercle. » Ils ont commencé à me parler des différents éléments que certains apportaient au cercle de la vie. Un Aîné m'a dit que beaucoup de nos membres ont du mal à accepter ce qu'ils appellent « les Blancs ». Il m'a dit : « Il n'y a pas de véritables Blancs ou de gens ayant la peau claire, car personne n'a la peau de la même couleur que cette feuille de papier. » Il m'a dit, « Ces personnes nous ont apporté le mouvement, et sans mouvement, nous cesserions d'exister comme peuple. Tout ce qui ne bouge pas finit par mourir; tous les objets doivent se mouvoir. Même les plantes se meuvent; la vie végétale se meut. Les Blancs nous ont apporté le mouvement; ils nous ont amenés le changement, et nous devons accepter cette réalité. » Les Noirs nous ont apporté la capacité d'analyser quelque chose pendant longtemps; ils prennent le temps d'y réfléchir. Par exemple, si tel objet m'empêchait d'avancer et je continuais à regarder autour, s'ils étaient ici dans le cercle, ils se contenteraient de déplacer cet objet en disant, « Voilà; voilà ce qu'il aurait fallu faire. »
Pour moi, notre peuple apporte au cercle les mêmes choses que les autres--le désir de faire partie d'une collectivité. Notre peuple a été très généreux; nous avons donné des médicaments; nous avons donné tout ce que nous avions. Il existe une expression en anglais qui est « Indian giver » ou « don à l'indienne ». Je ne sais pas ce que ça veut dire, parce que nous n'avons jamais rien donné. Ils ont supposé qu'on leur donnait nos terres quand nous avons accepté de les partager avec eux. Maintenant ils nous disent : « Vous nous avez donné vos terres, et maintenant vous nous demandez de vous les rendre. » Il s'agit simplement de comprendre notre perception des choses.
Très sincèrement, je me présente devant vous aujourd'hui pour vous dire qu'à mon avis, nous avons besoin d'une institution qui se chargera de nous donner tout ce qu'il nous faut comme peuple, pour que nous prenions les décisions qui profiteront à nous tous. À mon avis, nous devons travailler ensemble; nous ne devons pas nous disputer. Je pense que nous devrions, les uns et les autres, appuyer nos aspirations respectives, au lieu d'empêcher certains d'avancer. Voilà pourquoi je pense que nous, en tant que membres de Premières nations au Canada, nous devons comprendre que même si ce que fait notre voisin nous déplaît, nous n'avons pas le droit de lui dire qu'il ne fera pas ce qu'il veut faire. Nous devons apprendre à respecter la diversité, parce que c'est ainsi que nous avons tous survécu, et c'est ça qu'il faut vivre dans ce pays. Si nous ne pouvons respecter cette diversité que nous observons chez les uns et les autres, nous finirons pas avoir des problèmes, ou nous déciderons tout simplement de faire la guerre. Mais le fait de gagner une guerre ne veut pas dire que vous avez raison.
¿ (0945)
Nous sommes tout un groupe au Canada, nous les Premières nations. Il y a quelque 630 collectivités autochtones d'un bout à l'autre du pays. Ces dernières ont des aspirations, mais nous avons un gouvernement ici à Ottawa, et nous devons essayer de travailler au sein de cette structure. Et ce que nous vous présentons aujourd'hui représente justement une tentative pour travailler au sein de cette structure, pour que tout le monde comprenne bien ce que nous voulons faire et pourquoi nous voulons le faire. Je veux simplement vous dire que si je suis là aujourd'hui, c'est surtout pour vous communiquer ce message--à savoir que nous voulons améliorer la qualité de vie de nos peuples. Nous ne sommes pas là pour nous disputer avec les gens. Nous ne sommes pas là pour les forcer à faire des choses; nous espérons, cependant, bénéficier de votre appui en ce qui concerne l'adoption de ce projet de loi.
Pourquoi faut-il un projet de loi? Je n'en sais rien. Ce n'est pas moi qui ai rédigé les lois qui nous régissent dans ce pays. Ce n'est pas moi qui ai établi toutes ces procédures, mais je les respecte, et je vous demande aujourd'hui de nous appuyer.
Je ne sais pas si mes collègues voudraient ajouter quelque chose, mais j'ai déjà beaucoup parlé de notre institution. Je pourrais sans doute continuer à en parler pendant longtemps, mais je ne veux pas que les gens finissent par avoir envie de me dire : « Très bien. J'ai entendu ce que vous aviez à dire; maintenant passons à nos vraies priorités. »
Des voix: Oh, oh!
Le chef Tom Bressette: Mais je vous suis vraiment reconnaissant de l'occasion que vous m'avez donnée aujourd'hui de comparaître devant le comité. Je suis content de vous entendre rire, parce que lorsqu'on rit, la journée se déroule beaucoup mieux. Même quand vous êtes fâché contre quelqu'un ou quand quelqu'un vous ennuie, il faut toujours essayer de rire et de s'exprimer un peu de cette façon.
Là-dessus, je vous salue au nom de notre institution et de notre peuple en vous disant chi-miigwetch. Nous espérons que ce projet de loi sera adopté rapidement.
Comme pour tout, je sais que lorsqu'on commence quelque chose… Je reviens sur l'exemple de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, car notre collectivité n'était pas en faveur de cette loi. C'était une mesure législative. J'ai assisté aux réunions, et je me disais : « C'est formidable; nous devrions faire ça. » C'est d'ailleurs ce que j'ai dit à mon conseil quand je suis retourné chez moi, car tous les autres se faisaient dire que cette mesure était très mauvaise, et mon conseil en était convaincu. Mais ce dernier a fini par m'écouter, et après quelque temps, nous avons donné à bail certaines propriétés et certaines terres. Nous trouvions que ce projet de loi nous était avantageux, et par conséquent, mon conseil a changé de position et a reconnu qu'il fallait faire ça. Donc, nous participons maintenant à ce régime.
Donc, même si on a peur au moment de commencer à faire quelque chose de nouveau, et si le message communiqué aux gens est un message très négatif, ils auront nécessairement tendance à se dire, « On ne devrait pas faire ça. » Par contre, s'il y en a qui sont convaincus que ça donnera de bons résultats et s'ils peuvent en faire la preuve, d'autres monteront dans le train avec eux. C'est pour ça qu'il faut bien faire comprendre aux gens que la participation est facultative, de sorte qu'ils décident de participer s'ils le désirent et quand ils seront prêts à le faire. Ils ne sont pas obligés de le faire si ça ne les intéresse pas; ainsi on n'abuse et on ne profite de personne.
Voilà ce que je voulais vous dire en guise de conclusion.
Merci.
¿ (0950)
Le président: Chef Bressette, merci infiniment de votre présence. Vous êtes quelqu'un de très sage--votre sagesse est manifeste. Vous vivez votre mission, et les gens que vous représentez bénéficieront du travail que vous avez accompli. Je vous assure que tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui a beaucoup de sens.
Merci beaucoup.
J'invite maintenant les représentants de la Commission consultative de gestion financière des Premières nations à venir s'asseoir à la table.
Je souhaite la bienvenue au président de la Commission consultative de gestion financière des Premières nations, Harold Calla, et à son conseiller juridique, Bruce Campbell. Nous vous invitons à faire un exposé liminaire, qui sera suivi par une période de questions.
Mme Karetak-Lindell est partie, mais elle reviendra sous peu. Elle dépose un rapport à la Chambre en mon nom.
Monsieur Calla, vous avez la parole.
M. Harold Calla (président, Commission consultative de Gestion Financière des Premières Nations): Bonjour, et merci, monsieur le président et membres du comité, de l'occasion qui n'est donnée ce matin de présenter nos vues au sujet du projet de loi C-19. Comme on dit, c'est du déjà vu et même revu.
En tant que signataire de l'accord cadre sur la gestion des terres, la Nation Squamish, dont je suis à la fois membre et conseiller, est passée par ce processus à plusieurs reprises. Nous nous sommes présentés devant l'autel plusieurs fois, mais on nous a aussi refusés plusieurs fois; cela a pris 10 ans.
Il est donc temps, à mon avis, que nous tirions tous les enseignements de cette expérience en nous rendant compte que lorsque l'occasion se présente au moment où le gouvernement est en train de fixer ses priorités, et lorsque beaucoup de temps et d'efforts ont déjà été investis dans un projet, il nous incombe à nous tous de saisir cette occasion, comme on dit, et de poursuivre le travail.
Avant de commencer, je tiens à saluer et à remercier l'ancien chef national, Phil Fontaine, l'actuel chef national, Matthew Coon Come, le vice-chef de la Colombie-Britannique, Satsan Herb George, et « le président », Manny--parce que c'est ainsi que nous l'appelons maintenant--d'avoir entrepris ce travail et d'avoir eu le courage de proposer cette initiative.
Je voudrais également remercier le ministre. Nous dialoguons en permanence avec le ministre, et des fois nous avons des débats. Nous ne sommes pas toujours d'accord--je suis sûr qu'il serait le premier à l'admettre, d'ailleurs--mais dans ce cas-ci, il était prêt à permettre aux Premières nations, et les mesures concrètes qu'il a prises en sont la preuve très manifeste, d'évoluer d'une façon qui ne leur a jamais été possible par le passé--ou seulement avec beaucoup de restrictions.
À mon sens, il s'agit, avec ce projet, d'élargir notre vision de la réalité. Je vous disais que je suis membre et conseiller de la Nation Squamish. La Nation Squamish est une collectivité fusionnée de Vancouver. Et je voulais vous dire aussi que malgré les rumeurs, c'est moi qui ai amené le soleil à Ottawa depuis Vancouver.
Je suis comptable général licencié et membre de l'Association des agents financiers autochtones. J'ai obtenu mon accréditation il y a 26 ans, et avant de retourner chez moi pour travailler, je travaillais dans le secteur privé pour une entreprise industrielle de fabrication et de distribution en gros sur les marchés mondiaux.
Il y a 16 ans, on m'a invité à retourner chez moi pour travailler, et au cours de cette période, j'ai occupé plusieurs postes, notamment directeur des finances, inspecteur des contributions directes, et coprésident de notre comité du développement économique.
Mon conseil m'a autorisé à travailler à la préparation de cette initiative parce que la Nation Squamish est membre du Sommet des Premières nations de la Colombie-Britannique, lequel représente quelque 140 Premières nations qui participent au processus de conclusion de traités. Je participe beaucoup également au Sommet des Premières nations sur les taxes et d'autres questions financières, qui sont actuellement examinées dans le contexte de la conclusion de traités modernes.
En 1988, on m'a invité à participer à la table nationale sur les relations financières. Il s'agissait de discussions bilatérales entre l'Assemblée des Premières nations et le Canada pour examiner différentes possibilités touchant la création d'une nouvelle relation financière entre le Canada et les Premières nations. J'ai accepté cette occasion avec enthousiasme, parce que j'y voyais l'occasion de réaliser de vrais progrès pour la première fois, et donc de nous éloigner du statu quo.
On m'a demandé de coprésider la table technique chargée d'examiner les différentes possibilité en matière de recettes. L'un des responsabilités de cette table était d'explorer et ensuite de soumettre l'idée de créer des institutions. Le projet de loi C-19 est issu de ces efforts et de la participation de bon nombre de collectivités autochtones d'un bout à l'autre du pays.
Quand je suis retourné dans ma collectivité, j'ai tout de suite été confronté à la réalité d'une situation que je n'avais jamais observée et qui m'a beaucoup choqué. Même si j'avais été le directeur de l'exploitation d'une grande entreprise internationale, je me voyais limité dans les décisions que je pouvais prendre dans mon nouveau poste--décisions qui ne pouvaient être prises sans d'abord cherché et obtenir l'approbation d'une entité totalement étrangère à notre structure, soit le ministère des Affaires indiennes et du Nord.
Il nous était impossible d'accéder aux capitaux sans fortement escompter la valeur de nos intrants, et l'accès à des obligations à long terme à taux fixe était tout à fait exclu. En fait, il nous a fallu quatre ans pour établir une relation avec l'une des grandes institutions de crédit au Canada, pour que nous ayons la possibilité de faire des emprunts.
¿ (0955)
Comment les Premières nations pouvaient-elles progresser dans de telles conditions? Nous étions enfermés dans un cercle vicieux de dépendance et de pauvreté. Nous pouvions toujours utiliser les crédits accordés par le ministère des Affaires indiennes pour essayer de répondre aux besoins presque illimités de nos peuples, mais le financement n'était jamais vraiment suffisant, et nous nous sommes rendu compte que pour assurer notre avenir à long terme, il nous fallait cesser de dépendre autant d'une unique source de revenu, soit les transferts fédéraux.
Il me semblait que nous étions tous destinés à passer notre vie à ne traiter que les symptômes; que nous avions peur de nous attaquer aux problèmes proprement dits. Je tiens à répéter ça. Nous étions toujours destinés à traiter des symptômes; nous avions peur d'examiner les vrais problèmes.
Pour moi, les Premières nations étaient considérées--et le sont encore dans bien des cas--comme un problème social, alors que nous pouvons apporter beaucoup plus à la société canadienne. Dans ce XXIe siècle, les Premières nations ne sont pas bien positionnées pour participer à l'économie de ce pays et bénéficier d'un des niveaux de vie les plus élevés du monde. Nous vivons dans des conditions qui correspondent davantage à celles du Tiers monde. Selon de récentes statistiques, notre niveau de vie au Canada est parmi les plus élevés, alors que les peuples autochtones vivent dans des conditions qui correspondraient au niveau de vie d'un pays en 62e place.
Pourquoi est-ce le cas? Après 16 ans, et ayant écouté les propos très sages de bon nombre de personnes, j'en suis venu à la conclusion qu'il n'y a pas une seule solution, ni de solution simple. Je me rappelle que lorsqu'on m'a demandé de négocier le premier projet de développement économique pour la Nation Squamish, j'ai réalisé qu'il n'avait fallu six fois plus de temps et que ce projet avait coûté six fois plus cher que n'importe quel autre projet hors réserve.
Que pouvons-nous faire pour participer à l'économie? Nous n'avons pas été habilités à prendre nos propres décisions, et notre accès aux capitaux et aux obligations était limité, si bien que nous n'avons pas pu établir l'infrastructure qu'il nous fallait pour participer à l'économie.
J'aimerais vous dire également, parce que notre territoire traditionnel s'étend du centre-ville de Vancouver à un point situé 40 milles au nord de Whistler et ensuite jusqu'à la Sunshine Coast, que c'est à la fois une bénédiction et une malédiction de se trouver au coeur de la ville. L'élément positif, c'est que nous avons des terres--des terres de réserve limitées--mais elles ont une grande valeur. Je tiens à vous dire également que si ces institutions avaient existé dans les années 1960, lorsque nous avons commencé à aménager nos terres, au lieu d'être une simple locatrice, la Nation Squamish aurait très bien pu être une propriétaire. L'incapacité du peuple Squamish de proposer ses terres au marché à des prix concurrentiels l'a empêché d'agir à titre de propriétaire.
Pour moi, bien des choses doivent changer pour que nous puissions accéder à l'économie. Nous devons gagner la confiance des investisseurs et des prêteurs en étant capables de prendre des décisions en temps opportun et de prouver notre responsabilité financière. Ce qui est encore plus important, c'est que les autres voient que nous sommes habilités à prendre nos propres décisions. Nous n'avons besoin de personne pour nous dire en quoi consistent nos droits ancestraux. Nous savons quels sont ces droits. Mais nous vivons à l'ère de la mondialisation, et il faut que d'autres comprennent et soient convaincus que nous sommes capables de faire ce à quoi nous nous engageons.
Nous devons accroître notre expertise, renforcer nos capacités, et partager les uns avec les autres. Nous avons besoin d'un cadre institutionnel qui mettra les Premières nations sur un pied d'égalité avec le reste du pays et favorisera le développement économique de ces dernières. Même ceux qui sont contre ce projet de loi reconnaissent que des institutions autochtones et le développement économique sont maintenant requis pour permettre aux Premières nations de sortir du cycle de la pauvreté qui nous accable à présent.
Vous avez entendu parler, et vous continuerez à entendre parler, de la nécessité d'une nouvelle relation financière entre le Canada et les Premières nations. Cette relation devrait prévoir le partage des recettes avec les Premières nations, et répondre aux besoins de certaines Premières nations, dont les possibilités de développement économique sont limitées, de bénéficier de transferts plus importants. Nous devons mettre de côté le vieil argument selon lequel un manque de responsabilisation justifie qu'on n'augmente pas les transferts aux Premières nations.
Dans le cadre d'une nouvelle relation financière, les revenus des Premières nations viendront de sources différentes--de transferts, d'un régime de partage des recettes, et les Premières nations auront également des revenus qu'elles auront également des revenus qu'elles auront générés elles-mêmes. Dans le cadre d'une nouvelle relation financière, la responsabilisation et la transparence renforceront la confiance de tous les intéressés et intervenants afin de maximiser les avantages pouvant découler de telles ententes.
Si la Nation Squamish a participé de si près au travail d'élaboration de ces institutions, c'est en partie parce qu'en 1992, nous avons créé notre propre régime de taxes foncières.
À (1000)
Je suis allé voir la banque en disant : écoutez, j'ai un flux de revenus perpétuels à l'heure actuelle, mais nous voulons faire construire un gymnase et renforcer d'autres éléments de notre infrastructure dans les collectivités. Je pensais qu'on pourrait obtenir un emprunt correspondant à un pourcentage de ces revenus, comme le font d'autres gouvernements. Mais on m'a dit que ce serait considéré comme un compte-client traditionnel et que la banque nous donnerait donc un pourcentage de notre assiette fiscale foncière. Cette façon de faire nous a vraiment empêchés de faire ce qu'on voulait, de faire construire notre gymnase et d'entreprendre tous les projets qui nous intéressaient.
Dernièrement, la capacité de gestion financière et la responsabilisation des collectivités se sont grandement améliorées. Au cours des cinq ou six dernières années, et jusqu'à tout récemment, les exigences en matière de rapports du ministère des Affaires indiennes et du Nord sont devenues beaucoup plus rigoureuses, à un point tel que ce n'est pas plus de la responsabilité financière qui est exigée; c'est quelque chose d'assez différent. Ça, c'est en raison du Parlement et des freins et contrepoids qui sont nécessaires. Mais il reste qu'il existe une grande différence entre ce que j'avais à faire il y a 15 ans, et ce que je dois faire maintenant. À l'avenir, les Premières nations pourront et voudront sans doute contracter des dettes à long terme pour financer leur infrastructure. Mais pour accéder aux dettes à long terme, les Premières nations devront d'abord vérifier leur santé financière au moyen de mécanismes transparents et indépendants qui renforceront la confiance des gens et permettront de garder cette confiance pendant longtemps. Le conseil de gestion financière aidera les Premières nations à gagner et à garder la confiance des investisseurs.
Si ces institutions ont évolué, c'est en partie grâce à une analyse de ce qui donne de bons résultats sur le terrain, comme on vous l'expliquait. Nous n'avons pas cherché à « municipaliser » les gouvernements autochtones. Nous avons cherché à déterminer ce qui marche et ce qui a donné des résultats particulièrement intéressants. En conséquence, nous avons examiné le modèle de financement municipal de la Colombie-Britannique, et nous l'avons accepté. Ce modèle a été couronné de succès, puisque nos obligations ont la cote triple A et il n'y a jamais eu un cas de manquement. D'ailleurs, Deanna Hamilton va vous parler de cela cet après-midi.
Si c'est le cas, c'est en partie grâce au rôle de surveillance que joue en Colombie-Britannique la personne portant le titre « d'inspecteur des municipalités », qui aide les municipalités qui se trouvent dans une situation difficile. Le conseil de gestion financière jouera un rôle semblable et aidera toutes les Premières nations à s'assurer qu'elles n'auront jamais à assumer leur responsabilité conjointe et individuelle et que les investisseurs et contribuables auront confiance dans les systèmes que nous mettrons en place.
Je pense que les Premières nations doivent s'attaquer au problème de la responsabilisation et concevoir un régime de responsabilisation qui soit transparent. Quand on parle de responsabilisation, cela ne veut pas simplement dire que les Premières nations doivent être comptables envers le ministère des Affaires indiennes pour les crédits qu'elles reçoivent. La responsabilisation signifie également que d'autres paliers de gouvernement devront être comptables envers les Premières nations--et quand je dis d'autres paliers de gouvernement, je veux parler des administrations provinciales, municipales et régionales.
Ce qu'il faut surtout éliminer à l'avenir, ce sont les accusations permanentes selon lesquelles les Premières nations ne devraient pas bénéficier de ressources additionnelles pour répondre à leurs besoins parce qu'elles ne sont pas capables de bien gérer les ressources dont elles disposent maintenant, et parce qu'on ne peut pas leur faire confiance. Nous savons que cela est faux, mais c'est une perception qui existe et qui crée bien des obstacles pour les Premières nations. Bon nombre des défis auxquels nous sommes confrontés dans nos collectivités ne sont pas le résultat de la mauvaise gestion financière; ils résultent plutôt d'un manque de ressources par rapport aux besoins à combler.
La bonne gestion financière n'est pas une solution en soi, mais la bonne gestion financière contribuera à renforcer chaque élément d'une solution globale. Avec le projet de loi C-19, nous créons un cadre institutionnel qui nous permettra de concrétiser nos droits ancestraux et les droits issus de nos traités, et d'exécuter des traités modernes et des ententes d'autonomie gouvernementale. La Commission de la fiscalité verra à protéger les pouvoirs et compétences des Premières nations. L'Institut de la statistique agira dans l'intérêt des Premières nations pour fournir les données appropriées que requiert le gouvernement pour affecter les ressources.
Ces dernières années en Colombie-Britannique, je me suis beaucoup occupé du dossier de la répartition des crédits de DRHC. Bien que les comptables adorent les chiffres et les formules, je dois admettre que cet exercice m'a beaucoup stressé. L'une des solutions que nous apportera l'Institut de la statistique sera justement des données exactes dont on pourra se servir dans le cadre du processus de répartition des fonds au Canada.
À (1005)
L'administration financière des Premières nations élaborera des normes et définira des pratiques efficaces grâce auxquelles les Premières nations pourront se servir de leurs revenus pour financer l'acquisition de dettes publiques à long terme à des taux de gros, plutôt que de détail. Pour moi, le manque d'accès aux dettes publiques à long terme représente sans doute l'un des plus importants obstacles auxquels se heurtent les Premières nations.
Le conseil de gestion financière donnera des accréditations professionnelles indépendantes de la capacité financière en surveillant la santé financière des Premières nations qui décident de faire des emprunts garantis par leur flux de revenus. Grâce à notre collaboration avec les grands cabinets d'expertise comptable au Canada et l'Association des agents financiers autochtones, nous pourrons contribuer à renforcer la capacité des Premières nations et à assurer la formation requise.
Le projet de loi C-19 représente le changement. Pour envisager le changement avec enthousiasme, tout le monde doit faire preuve de vision et de courage. Cette possibilité inquiétera peut-être certains, puisqu'il s'agit d'habiliter les Premières nations. Certains seront inquiets parce que ce projet de loi propose une approche différente en vue de faire avancer notre situation. Nous devons laisser le statu quo derrière nous en cherchant de nouvelles façons de répondre à nos besoins.
Face à ces initiatives, certains considèrent qu'elles ne cadrent pas avec notre désir de concrétiser nos droits ancestraux et notre titre autochtone. Je suis totalement en désaccord avec une telle position. Ces institutions renforceront les capacités des Premières nations et les aideront à mesure que nous progressons vers la réalisation de l'autonomie politique.
Le Sommet des Premières nations qui s'efforce actuellement de négocier des traités en Colombie-Britannique a compris que ces institutions constituent des outils essentiels d'exécution des traités si l'on veut profiter des avantages obtenus grâce à la conclusion de traités. Il s'agit d'une initiative menée par les Premières nations. Que ce soit bien clair : tout projet visant à conférer les pouvoirs décisionnels aux Premières nations, à la place du gouvernement, ne pourrait en aucun cas avoir été entrepris par d'autres. C'est un projet mené par les Premières nations.
À l'avenir nous devrons être mis organisés, plus proactifs, et plus prêts à nous affirmer lorsqu'il le faudra, tout en dialoguant avec d'autres paliers de gouvernement pour faire avancer notre cause et répondre aux besoins de notre collectivité. Nous vivons dans une économie mondialisée. Afin d'assurer notre développement et de créer des emplois, nous avons besoin d'une approche coopérative et de soutien institutionnel.
Nous devons, et nous pouvons, être concurrentiels. En ce qui concerne les statistiques sur la main-d'oeuvre dont nous entendons parler, et la nécessité d'importer de la main-d'oeuvre, il convient de se rendre compte que nous avons au sein de nos collectivités la plus forte population de jeunes au Canada dont le potentiel demeure inexploité. Nous n'avons pas besoin de chercher au-delà de nos frontières. Les ressources dont nous avons besoin sont à notre portée ici.
Mais en nous engageant dans un nouveau monde où nous devrons faire les choses différemment, nous n'avons pas l'intention d'abandonner nos valeurs et nos traditions. Nous sommes dans une course pour créer notre capacité de relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Moi qui suis conseiller et qui travaille dans les collectivités autochtones depuis 16 ou 17 ans, je peux vous affirmer que le nombre de problèmes que nous rencontrons augmente de façon exponentielle.
Nos administrations, nos conseils, et nos gouvernements ont atteint la limite de leur capacité de continuer à solutionner les difficultés qui sont toutes autour de nous de nos jours--la décision Delgamuukw en est un exemple. La consultation qui en a découlé et à laquelle les Premières nations doivent pouvoir réagir leur a imposé une lourde charge.
Les Premières nations souhaitent que vous, parlementaires, puissiez comprendre nos problèmes et nous aider en nous fournissant les outils qui nous permettront de réussir et de renforcer nos capacités. Ce projet de loi fournit justement des outils importants. C'est une pièce du casse-tête, mais ce n'est qu'une pièce. Il faudrait que d'autres pièces soient créées et mises en place.
À mon avis, nous pouvons toujours trouver des raisons de ne pas agir. L'une des choses les plus faciles, notamment pour un politicien--et j'en suis un--est de trouver une raison de ne pas prendre une décision. Mais je pense qu'il est temps que nous avancions. Ce projet de loi a de l'appui.
Ce n'est pas tout le monde qui peut profiter aujourd'hui de ces institutions, mais il y a 50 ans, la Nation Squamish n'avait même pas un dollar de revenu provenant de ses propres sources. À l'heure actuelle, nous générons nous-mêmes 75 ¢ de chaque dollar que nous dépensons. Dans 50 ans, j'aimerais qu'il en soit ainsi pour chaque Première nation du Canada. Je sais que si nous avions disposé de ces outils il y a 30 ou 40 ans, nous serions beaucoup plus avancés aujourd'hui.
À (1010)
Je ne veux pas que les autres Premières nations soient aussi défavorisées que nous l'avons été au cours des 30 dernières années, du fait de ne pas avoir pu profiter au maximum de différentes possibilités.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup pour un autre excellent exposé. Cette matinée sera tout à fait mémorable, puisque nous apprenons beaucoup de choses et vos observations nous seront extrêmement utiles.
Madame Picard, sept minutes.
[Français]
Mme Pauline Picard: Merci, monsieur le président.
Une fois de plus, je suis d'accord avec M. le président. Il s'agit d'un exposé très intéressant et qui répond à plusieurs de nos questions. J'espère que vous pourrez vous développer au niveau économique et financier le plus rapidement possible. J'appuie entièrement votre démonstration. Vous avez dit que vous deviez vous organiser pour l'avenir et créer des emplois. J'espère que cela va aller plus rapidement que ce que vous prévoyez et que vous aurez ces outils le plus tôt possible.
Imaginons que le projet de loi soit adopté, que vous ayez rapidement les outils dont vous avez besoin et que le gouvernement vous dise d'y aller, de vous développer et de prendre vos responsabilités. Vous nous avez dit, cependant, que vous alliez avoir besoin de nous et de certains outils. Quels sont ces outils dont vous aurez besoin pour mettre rapidement ces institutions en place? Si vous recevez le feu vert, serez-vous prêts? Y avez-vous déjà pensé? Les structures sont-elles déjà en place?
[Traduction]
M. Harold Calla: Elle pose des questions difficiles.
Nous avons beaucoup réfléchi au genre d'outils qu'il nous faut à l'avenir. La création de la Table nationale sur les relations financières nous a permis d'ouvrir des discussions bilatérales avec de multiples ministères au Canada en vue de trouver divers moyens d'améliorer la situation des Premières nations en éliminant la pauvreté. Pour moi ces discussions doivent se poursuivre.
Il y a une chose que j'a apprise au cours des deux dernières années où je préparais ce projet de loi, et c'est ce que j'appelle « le pouvoir mystique des organismes centraux ». Il m'est arrivé des fois de rentrer chez moi et de me demander qui détient vraiment le pouvoir dans ce pays. Peu importe le parti politique. À mon avis, nous devons tous être vigilants et nous rendre compte que nous sommes arrivés à une étape où les gouvernements et les politiciens peuvent agir, et où il sera possible d'examiner nos orientations stratégiques. À mon sens, le succès ou l'échec du processus de conclusion de traités en Colombie-Britannique, et peut-être d'autres négociations au Canada, dépendra de la capacité d'ouvrir un dialogue stratégique sur les domaines où nos politiques doivent être réorientées et réexaminées. Nous-mêmes, le gouvernement et la bureaucratie devons chacun cesser de chercher à protéger notre territoire.
Les Premières nations doivent passer à un régime qui ne consiste pas à n'avoir qu'une seule source de revenus, soit les transferts du ministère des Affaires indiennes. Nous devons examiner et trouver des façons pour les Premières nations d'accéder à ce que j'appellerais des recettes directes, et ce par l'entremise d'un régime de partage des recettes fiscales et des ressources, pas seulement avec le fédéral, mais avec les administrations provinciales. Nous avons besoin du soutien du Canada dans ces discussions avec les provinces, pour nous assurer de créer ces nouvelles sources de revenus. Vous pouvez influencer les gouvernements provinciaux, qui sont autant à la recherche de transferts que nous. En ouvrant cette porte et en favorisant ce genre de discussions, vous fournirez aux Premières nations les outils et les sources de revenus dont elles ont besoin pour créer la dette publique à long terme grâce à laquelle elles pourront améliorer leur infrastructure. Pour moi ce sont des éléments primordiaux pour faire avancer ce dossier et créer de nouvelles possibilités pour ces institutions.
De plus, le fait d'avoir accès à des statistiques pour ouvrir un dialogue avec le Canada… Je comprends qu'il y a parmi les membres des Premières nations de profondes craintes à cet égard, phénomène que je n'avais pas vraiment bien compris avant qu'une Aînée me l'explique. Elle m'a dit : « Vous rendez-vous compte qu'il y a 60 ans, si un représentant du Canada frappait à la porte pour demander si on avait un enfant, on n'a pas envie de lui répondre parce que six ans plus tard, il revenait prendre cet enfant pour le mettre au pensionnat? » Donc, nous avons certaines craintes.
En tant qu'institutions, nous devrons gagner le respect de chaque Première nation au Canada en ayant une performance exemplaire. Nous le savons déjà, nous estimons être à la hauteur de la tâche, et nous sommes prêts à faire le nécessaire. Selon nous, c'est la seule possibilité pour le moment. S'il y en a d'autres… Je me rappelle d'un débat interne à la Nation Squamish lors de la confédération de l'APN, où un de nos chefs héréditaires a déclaré à l'assemblée et donc à tous ceux qui s'opposaient au projet de loi C-19 : « Si vous avez mieux à nous proposer, dites-le nous. » Mais personne n'a levé la main pour intervenir, et tout le monde est parti pour la journée.
Nous sommes tous en faveur de la concrétisation de nos droits ancestraux, des droits issus de nos traités, d'un traitement plus juste pour les Autochtones, et du règlement des revendications territoriales. Nous allons continuer à suivre de près tous ces dossiers, comme nous le faisons depuis un moment à la Nation Squamish de par nos poursuites judiciaires, qui se poursuivront--même si nous les considérons comme un dernier recours et, à mon avis, cette alternative correspond au pire des scénarios pour nous tous.
Nous devons travailler en collaboration pour renforcer les capacités et favoriser le développement, afin de pouvoir nous attaquer aux problèmes actuels--soit la pauvreté dans nos collectivités et la nécessité de créer un avenir pour nos jeunes. Voilà les grandes questions avec lesquelles nous sommes maintenant aux prises. Pour moi, ces institutions nous donnerons les ressources nécessaires pour améliorer la situation actuelle, dans certains cas.
Une fois que nous avons établi un régime de taxes foncières dans notre collectivité, nous avons pu construire des gymnases et établir des programmes et services, y compris un centre de jeunesse ainsi qu'un centre d'aide et d'écoute.
À (1015)
Au fur et à mesure que nous faisions construire ces installations, certains des membres, qui n'avaient pas pu me regarder dans le blanc des yeux précédemment n'ayant pas eu tellement l'occasion, puisqu'ils étaient assistés sociaux depuis longtemps, ont pu me regarder la tête haute, me sourire, me regarder dans le blanc des yeux, et me dire : « Merci »--tout simplement parce que nous leur avions permis de travailler. Le dernier jour, un de nos membres est venu me remercier de lui avoir permis de nourrir sa famille.
Voilà. C'est ce ça qu'il s'agit. Et voilà pourquoi il ne faut pas retarder cette mesure.
À (1020)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Hubbard.
M. Charles Hubbard: Merci, monsieur le président.
Vous nous avez fait un exposé extrêmement puissant. Je pense que nous avons tous été impressionnés par vos propos, monsieur Calla.
La seule déception dans tout cela, monsieur le président, c'est que nous sommes déjà le 10 juin. Nous avons encore beaucoup de pain sur la planche, alors que le temps manque.
Par contre, je suis convaincu que le message que vous nous avez communiqué ce matin mettra au défi, non seulement ce comité mais les Canadiens d'un bout à l'autre du pays, de faire en sorte que les gens puissent améliorer leurs collectivités, élaborer des programmes ou prendre des initiatives qui vont rehausser leur qualité de vie.
Ayant eu des discussions avec les chefs de ma région, je peux vous dire que l'un des plus gros problèmes qu'ils rencontrent en matière de gestion est celui d'avoir à définir une vision qu'ils pourront vraiment concrétiser, et d'avoir un horizon d'un an ou deux pour obtenir et utiliser les crédits qui leur sont accordés pour l'infrastructure et pour d'autres fins. Pour moi, bon nombre des problèmes de gestion faite par les tierces parties que nous observons découlent du fait que certaines mesures doivent souvent être prises immédiatement. Mais s'il y avait un plan et si les Premières nations pouvaient planifier en fonction de l'avenir, à mon sens, les problèmes qu'elles rencontrent actuellement seraient moins graves. À mon avis, toutes les collectivités autochtones qui emploient cette méthode comptable ont de graves difficultés.
Pour ce qui est du projet de loi, monsieur Calla, y a-t-il des éléments qui…? Le chef Tom Bressette nous a proposé un certain nombre d'amendements. La disposition qui m'inquiète un peu concerne la durée du mandat des administrateurs. Dans le projet de loi, il est question d'un mandat d'un an. Mais je crois savoir que les administrateurs font ce travail à temps partiel et qu'il ne s'agit pas d'un poste à plein temps; malgré tout, le projet de loi fait mention d'un mandat d'un an.
Est-ce que cela suscite certaines préoccupations, ou sinon, pour quelles raisons le mandat fixé est-il de si courte durée? Je vais devoir relire l'article concerné.
M. Harold Calla: Je crois savoir que l'article 38, dans la partie 3 du projet de loi, prévoit un mandat de cinq ans. L'article 39 concerne également la durée des nominations.
Donc, il s'agit d'un mandat de cinq ans.
M. Charles Hubbard: Très bien; c'est donc cinq ans. J'ai dû me tromper quand j'ai cru avoir lu que le mandat était de seulement un an, mais il me semblait effectivement bien court.
Y a-t-il d'autres points qui vous semblent préoccupants?
M. Harold Calla: Je ne vais pas répéter les observations de Manny au sujet de la clause de non-dérogation. Quand nous avons organisé les consultations sur l'ébauche, on nous avait justement fait cette remarque. Disons que nous serions en faveur d'une telle clause.
Le ministre a dit qu'il s'agissait de nous garantir notre indépendance. Nous acceptons sa parole et nous pensons que ce sera le cas, mais le fait est que c'est l'un des critères primordiaux de ce projet de loi. Nous devons être indépendants, et nous comptons sur la sagesse des membres du comité pour s'assurer que ce soit le cas.
J'ai toujours accepté la notion selon laquelle les Premières nations ne sont généralement pas forcées à faire quoi que ce soit. Les institutions en question seront autonomes et indépendantes dans la mesure où leurs produits sont valables et que les collectivités autochtones valorisent ces derniers. Donc, nous souhaitons être aussi distincts que possible du gouvernement et du ministère des Affaires indiennes.
Je comprends que tout cela fait partie d'un continuum, et que nous réexaminerons peut-être de nombreuses activités au cours des prochaines années, de sorte que cela puisse éventuellement se faire. Vous avez dit tout à l'heure, si je ne m'abuse, qu'on est déjà au 10 juin, mais j'ai souvent eu à traiter avec les administrations à la fois provinciales et fédérale, et je suis donc bien placé pour savoir que lorsqu'un gouvernement veut faire quelque chose, il peut le faire et il y arrive.
Nous n'avons pas l'intention d'imposer un fardeau excessif à quiconque, mais en réalité, il nous a fallu beaucoup de temps pour en arriver là, et je me suis présenté devant l'autel… disons qu'il a fallu recommencer trois fois pour faire adopter la Loi sur la gestion des terres autochtones, et nous avons failli échouer la troisième fois, en raison de certaines activités au Sénat. À mon avis, maintenant il faut aller de l'avant.
Les législateurs définissent les lois. Voilà la responsabilité qui vous incombe. En tant que Canadiens, c'est nous qui votons pour vous aux élections. Ce qu'on vous propose aujourd'hui n'est pas quelque chose de complètement inattendu. Cette mesure se prépare depuis très longtemps, et non seulement nous avons fait un travail de grande qualité, mais nous avons fait preuve de diligence raisonnable dans le cadre de ce projet. Nous sommes allés au-delà de nos collectivités pour mobiliser les gens, afin d'avoir leur appui. À notre avis, ce projet de loi n'a aucun vice de forme, et il ne devrait pas vous inspirer quelque crainte que ce soit.
À (1025)
M. Charles Hubbard: Monsieur le président, le témoin a raison. Je faisais plutôt allusion à l'article 60, où il est question de l'administration financière des Premières nations. J'ai confondu les deux organismes pour ce qui est du mandat; donc, vous avez raison, c'est bien un mandat de cinq ans.
M. Bruce Campbell (conseiller juridique, Commission consultative de Gestion Financière des Premières Nations): Si vous me permettez, on m'a demandé, en tant que conseiller juridique de l'Institut, de vous apporter quelques éclaircissements au sujet du mandat de cinq ans. Je précise, donc, qu'ils ne sont pas du tout contre. Ils voulaient simplement vous faire comprendre que le texte devrait être plus clair concernant la nécessité que la majorité des membres soient membres de Premières nations.
Le président: Avez-vous d'autres questions à poser à nos témoins?
Madame Picard, quatre minutes.
[Français]
Mme Pauline Picard: Merci, monsieur le président.
Monsieur Calla, plusieurs critiques disent que le projet de loi C-19 est une façon pour le gouvernement fédéral de se désengager de ses responsabilités fiduciaires envers les premières nations et d'ainsi obliger les premières nations à passer par les institutions que va créer le C-19 pour mettre en place des infrastructures de développement économique. Que pensez-vous de ces critiques?
[Traduction]
M. Harold Calla: L'intention manifeste du projet de loi C-19 ne consiste aucunement à réduire l'obligation fiduciaire du Canada, du ministère ou du ministre.
Mais qu'est-ce que cela nous donne cette obligation fiduciaire? Nous avons besoin, entre autres, de développer notre économie. On ne peut pas toujours attendre le prochain crédit parlementaire pour répondre aux besoins de demain en matière de développement économique. Les occasions se présentent et disparaissent aussitôt, et il nous faut donc les bons outils. Ce à quoi nous devrons travailler avec le ministère--et il s'agit en réalité d'un exercice permanent dont on voudra peut-être vous reparler--ce sera de nous assurer que ce ne sera plus le cas, et que vous ne serez pas pénalisés.
On m'a présenté les mêmes arguments quand nous avons mis sur pied notre régime de taxes foncières; on nous a dit que nous n'aurions pas plus de revenus pour autant. Eh bien, dans notre cas, ce n'est pas vrai. Nous ne bénéficions jamais d'un quantum financier. Nous sommes en meilleure posture aujourd'hui que nous ne l'étions quand nous avons créé notre régime de taxes foncières. À mon sens, telle n'est pas la pratique du ministère.
[Français]
Mme Pauline Picard: Voici une toute dernière question. Pensez-vous que le gouvernement fédéral devra continuer à investir dans le développement des infrastructures par le biais de subventions ou d'autres programmes après l'adoption du C-19?
[Traduction]
M. Harold Calla: Oui, absolument. Dans un contexte de coopération, on pourrait éventuellement examiner les crédits parlementaires, le budget de tel ou tel ministère, et le financement qui serait prévu dans les accords de financement à long terme, de façon à examiner les problèmes de dettes à long terme et d'employer ces crédits de façon collective.
Notre gymnase à la Nation Squamish a brûlé en 1972. Il nous a fallu 20 ans pour réunir les ressources nécessaires pour le faire reconstruire, étant donné que nous n'avions pas accès à cet instrument qu'est une dette publique à long terme. En travaillant de concert avec le ministère, l'administration financière des Premières nations réussirait peut-être à créer un levier suffisant, grâce aux crédits, pour opérer plus tôt de vrais changements dans les collectivités.
Nous avons fait construire deux gymnases depuis, et je peux vous dire que cela a changé la vie de bien des membres de notre collectivité, et notamment des jeunes. Je ne peux pas rattacher de chiffres à la valeur qu'ils ont pour notre collectivité; tout ce que je peux vous dire, c'est que les enfants peuvent maintenant aller quelque part. Il serait bon que d'autres collectivités aient ces mêmes avantages et n'aient pas à réunir des fonds pendant longtemps pour répondre à certains besoins.
L'un des changements fondamentaux à opérer au Canada concerne le fait qu'à l'heure actuelle, les Premières nations sont sans doute les seuls gouvernements à faire l'objet de restrictions en ce qui concerne leurs processus de planification et de gestion financière. Nous sommes visés par des accords soit d'un an, soit de cinq ans. De nos jours, cela ne convient plus. Il faut que ce soit plus long.
Nous avons indiqué qu'il faut rouvrir et réexaminer les politiques, et par là nous voulons dire qu'il faut explorer d'autres possibilités en ce qui concerne les accords entre le Canada et les Premières nations, pour que ces dernières puissent faire de la planification à long terme, et pour que leurs membres puissent voir de quelle façon ils pourront atteindre leur objectif et réaliser leurs aspirations, sinon aujourd'hui, dans cinq ou six ans.
À (1030)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Dromisky.
M. Stan Dromisky: Merci beaucoup, monsieur le président.
À titre d'information, d'abord, pourriez-vous me dire s'il est vrai que votre rôle est de dispenser des conseils sur la gestion de situations surtout financières?
M. Harold Calla: Oui. Je suis membre de la Commission consultative de gestion financière des Premières nations.
M. Stan Dromisky: Et cette Commission compte combien de membres qui font le même travail que vous?
M. Harold Calla: À l'heure actuelle, nous avons une commission consultative composée d'environ huit membres représentant toutes les régions du pays.
M. Stan Dromisky: Selon les informations qu'on nous a communiquées, certaines bandes ont de graves difficultés financières à l'heure actuelle, à un point tel qu'on a demandé à des tiers de gérer une partie de leurs fonds, et j'aimerais donc savoir si vous avez participé à ce travail de gestion?
M. Harold Calla: Non.
M. Stan Dromisky: Donc, dans quel contexte êtes-vous appelés à intervenir?
M. Harold Calla: Lorsqu'une Première nation nous invite à le faire.
M. Stan Dromisky: Ah, bon.
Vous avez déclaré tout à l'heure que bon nombre de ces prétendus problèmes de mauvaise gestion étaient causés par l'insuffisance des ressources par rapport aux besoins à combler. Je suis d'accord avec vous. Je viens du nord-ouest de l'Ontario. J'ai visité de nombreuses réserves, et je sais que ce que vous dites est vrai, tout à fait vrai.
En même temps, je ne veux pas tirer de conclusions hâtives et me dire que bon nombre des problèmes, ou du moins un certain nombre d'entre eux--pour vous dire la vérité, je ne sais absolument pas combien de ces problèmes sont de cet ordre-là--de ces bandes pourraient être causés par la mauvaise gestion financière, si bien que la somme qu'on leur donnerait n'aurait pas une grande importance. D'après vous, est-ce vrai? D'après ce que vous avez observé et votre expérience de la tenue de livres, etc., estimez-vous que cela pourrait être vrai?
M. Harold Calla: Disons que ce n'est pas du tout ce que j'ai observé personnellement. Dans toutes les collectivités autochtones que j'ai rencontrées, avec lesquelles j'ai traité, et à qui j'ai parlé, il n'y a jamais eu un cas de mauvaise gestion financière. Dans bien des cas, les collectivités autochtones se voient obligées de prendre des décisions très difficiles, et parfois sévères.
Vous avez des besoins--des besoins en matière de soins de santé et d'éducation. Notre profil démographique est tel que nous avons besoin de programmes et services uniques qui coûtent plus cher. Il ne suffit pas de calculer le coût moyen pour les Canadiens et de donner une somme équivalente aux Autochtones, en vous disant que ce sera suffisant. Ça ne marche pas comme ça. Nos circonstances sont uniques si bien que nous avons besoin d'un niveau de financement très différent.
Pour ma part, je n'ai pas encore connu ça. Serait-ce possible? Je le suppose. Écoutez, au cours des deux dernières années, il y a eu tellement de révélations sur les pratiques de gestion de diverses grandes sociétés du monde.
Donc, est-ce possible? Oui. Ai-je déjà observé ce genre de choses? Jamais.
M. Stan Dromisky: Et vous faites ça depuis combien de temps?
M. Harold Calla: Depuis 16 ans.
M. Stan Dromisky: Merci infiniment de m'avoir fourni cette information.
Le président: Y a-t-il d'autres membres qui voudraient poser des questions?
Je devrais mentionner qu'à titre d'ancien conseiller municipal, je suis bien placé pour savoir que lorsque les municipalités gèrent mal leurs finances, elles se contentent de faire des emprunts ou d'augmenter les impôts, et donc personne ne sait ce qui se passe. Donc, en réalité, il peut être injuste de parler de mauvaise gestion financière de la part des Premières nations, parce qu'elles n'ont pas cette possibilité-là. Les médecins cachent leurs erreurs. Et quant aux ingénieurs, ils se contentent de demander plus d'argent pour leurs projets, parce qu'une fois que vous avez commencé à construire un tunnel, vous êtes bien obligé de le finir.
Madame Karetak-Lindell.
À (1035)
Mme Nancy Karetak-Lindell: J'ai une question d'ordre technique à vous poser. Je sais que vous êtes surtout là pour nous parler des dispositions touchant le conseil de gestion financière. Mais j'ai regardé les différentes rubriques relatives au « siège » et elles semblent être différentes pour chacune des quatre institutions.
Comment tout cela a-t-il été décidé? Je sais que pour certaines d'entre elles, il est précisé que le siège doit être situé dans la réserve. Dans un cas, on dit « le siège de la Commission situé sur les terres de réserve de la bande Kamloops ou au lieu fixé par le gouverneur en conseil ». Dans un autre, par exemple pour l'Administration financière des Premières nations, on dit que le siège « est situé sur des terres de réserve ».
Dans chaque cas, il y a un article différent qui dit que le siège devrait se trouver ailleurs. Comment tout cela a-t-il décidé, et si cela pose problème, comment se fait-il que le projet de loi prévoit que le siège soit sur des terres de réserve dans certains cas, mais pas dans d'autres?
M. Harold Calla: Je suis bien content que vous ayez soulevé cette question, parce que nous avons du mal à trouver une solution. Il est clair que notre objectif et notre désir seraient de donner une indication très claire qu'il s'agit bel et bien d'institutions des Premières nations, et ce en déterminant la composition des conseils et le lieu du siège en conséquence.
Je trouve que les sensibilités de certains me font un peu sourire, étant donné que nous vivons dans un pays qui s'est doté d'une Loi sur les Indiens. Que je sache, nous n'avons pas de loi sur les Irlandais, ni de loi sur les Anglais, mais nous avons bel et bien une Loi sur les Indiens. Donc, il existe certaines sensibilités que des avocats pourraient mieux vous expliquer que moi, et qui expliquent l'approche que nous avons adoptée dans ce cas. Il paraît qu'il faut respecter certaines lois et procédures qui sont en vigueur au Canada. Mais en ce qui nous concerne, l'important est de répondre aux critiques et aux craintes exprimées par certains au moment de nos discussions sur l'avant-projet de loi. C'est à ce moment-là qu'on nous a dit : « S'il s'agit bien d'institutions qui seront dirigées par les Premières nations, dites-nous où c'est marqué ici ».
Notre expérience de la Commission consultative de la fiscalité indienne au cours des 12 ou 13 dernières années nous a permis de constater que l'organisation de ses activités, par l'entremise du ministère, est faite de telle façon que ce soit les Premières nations qui dirigent et contrôlent ces institutions. Donc, nous avons eu confiance dans toute cette démarche jusqu'à présent. Si le comité souhaite réexaminer la chose, nous lui serions gré de bien vouloir faire preuve de diligence raisonnable en y apportant des changements.
Le président: Merci, madame Karetak-Lindell.
Madame Neville.
Mme Anita Neville: Merci pour cet exposé extraordinaire.
Je voudrais vous demander conseil. Vous avez commencé votre exposé en parlant du nombre d'années que vous avez consacrées à ce projet et en insistant auprès du comité sur la nécessité d'adopter ce projet de loi rapidement. Nous en avons discuté au comité--et comme vous le savez sans doute, ce comité existe depuis fort longtemps--mais j'aimerais savoir quelle sera l'incidence sur vous et les activités de vos collectivités si ce projet de loi est adopté ce printemps, plutôt qu'à l'automne, ou inversement?
M. Harold Calla: À mon avis, c'est une question de confiance pour tous les intéressés. Nous discutons de ces questions avec les collectivités autochtones depuis de nombreuses années.
Dans ma propre collectivité, nous avons à relever un défi de taille--celui de savoir comment nous voulons utiliser nos terres. Nous avons besoin d'infrastructures pour commercialiser nos propriétés. Le temps n'attends pas que l'occasion se présente. Le passage du temps ne dépend pas du calendrier du Parlement; on aimerait bien qu'il en soit ainsi, mais malheureusement ce n'est pas le cas. Donc,nous devons gagner la confiance de tous les intéressés et leur faire comprendre que cela va se réaliser.
Trop souvent--et je crois que c'est Tom qui a été le plus éloquent en exprimant cette notion--on se trouve à poser la même question : quand nos problèmes seront-ils considérés comme une priorité? À mon avis, ils seront considérés comme une priorité lorsque toutes les parties y trouveront leur compte.
Et voilà pourquoi nous devons faire la démonstration que toutes les parties ont intérêt à ce que cela réussisse. Ce n'est pas une question politique. Ce projet de loi est en réalité un projet de loi technique qui permettra aux premières nations d'accéder à l'instrument qu'est la dette publique à long terme en assurant le genre de surveillance qui rassurera les marchés et les convaincra que l'argent sera remboursé, que l'intérêt sera payé, que les contribuables ne seront pas défavorisés, et qu'à la fin de tout cela, nous aurons réussi à favoriser le développement économique, à créer des emplois, à réduire le coût des programmes sociaux--et je pourrais continuer pendant encore une heure à vous énumérer tous les avantages. Donc, la question que je vous pose est celle-ci : pourquoi voulez-vous attendre?
À (1040)
Mme Anita Neville: Mais je ne veux pas attendre.
M. Harold Calla: Voilà la question qu'on va poser, car nous attendons depuis longtemps. Nous attendons depuis 130 ans, et il est temps de progresser. Là vous avez l'occasion d'agir. Votre action aura un impact, tout comme elle a eu un impact par le passé.
En 2002, nous avons fêté le 10e anniversaire de notre régime de taxes foncières. Au cours de cette période, nous avons réuni 45 millions de dollars, sous forme d'impôts fonciers et de subventions tenant lieu d'impôts fonciers, qui autrement auraient enrichi l'une des municipalités du Canada dont le revenu par habitant est parmi les plus élevés, soit celle de West Vancouver.
Nous vivions comme les populations du Tiers monde et, qui plus est, nous subventionnions toute une collectivité. Depuis, nous avons réussi à faire construire deux gymnases, un centre d'administration, et un centre d'aide et d'écoute pour les jeunes. L'argent ainsi réuni nous permet de soutenir l'enseignement de notre langue dans le système scolaire local. Nous soutenons également les soins à domicile pour adultes, et nous avons réussi à réorienter les recettes générées par nos baux de manière à poursuivre la négociation de traités et inventorier avec précision l'ensemble de nos droits ancestraux et titres autochtones, s'il le faut, en passant devant la justice.
Tout cela a fait une énorme différence, et chaque jour que vous attendez correspond à une journée perdue qu'on ne pourra jamais retrouver.
Mme Anita Neville: Merci.
Le président: Merci infiniment pour un autre excellent exposé. Ce que je peux vous dire en ma qualité de président, c'est que je voudrais pouvoir déposer ce projet de loi vendredi. Les témoins et la plupart des gens qui participent à cette démarche m'ont fait comprendre que cette question est urgente, et si tel est le cas, j'aimerais que ce projet de loi soit adopté à la Chambre des communes avant l'ajournement d'été.
À présent je cherche des témoins qui seraient éventuellement contre ce projet de loi, car s'ils ont de bonnes raisons de vouloir reporter à plus tard son adoption, j'aimerais entendre ces bonnes raisons. Jusqu'à présent, je n'en ai pas entendu, et je peux vous affirmer que ce n'est pas moi qui vais prendre la décision; cette dernière appartient aux membres du comité. Mais à mon sens, le comité devrait entendre le point de vue de ceux qui estiment qu'il ne faut pas adopter ce projet de loi dès cette semaine. Je peux me tromper, mais je ne crois pas.
Monsieur Vellacott.
M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, Alliance canadienne): Je viens de rencontrer les représentants de la FSIN, et le fait est, monsieur le président, qu'il existe un groupe de personnes qui s'oppose à ce projet de loi.
Ce groupe se demande--et c'est le cas de la plupart des bandes à l'est de la Colombie-Britannique--pourquoi--et je poserais cette même question à nos témoins--pourquoi on ne pourrait pas simplement inscrire le nom de la bande Westbank et de toutes les autres bandes de la Colombie-Britannique. Étant donné que ce projet de loi correspond surtout à un besoin parmi les Premières nations de la Colombie-Britannique, pourquoi ne serait-il pas possible, comme nous n'avons fait pour d'autres projets de loi, d'adopter un projet de loi qui ne vise que les bandes qui veulent y inscrire leurs noms, de sorte que ce ne soit pas la seule possibilité pour tout le monde, et que toutes les collectivités autochtones ne soient pas tenues de participer à cette initiative? Il y a tout de même des conséquences. Ça va créer une réaction en chaîne.
Pourquoi ne serait-il pas possible de procéder de cette façon, et quel inconvénient y aurait-il à modifier le projet de loi de cette façon?
M. Harold Calla: Merci pour cette question; j'espérais que quelqu'un me la poserait.
Bien sûr, c'est toujours une possibilité. C'était une possibilité dans la Loi sur la gestion des terres, mais malheureusement, cette approche a totalement échoué. Il ne s'agit pas ici d'habiliter les Premières nations à être visées par un projet de loi. Il ne s'agit pas non plus de conférer au ministre le pouvoir d'autoriser les gens à participer.
Quatorze Premières nations--y compris la Nation Squamish--sont signataires de la Loi sur la gestion des terres. Je regrette que vous n'ayez pas été là au moment où nous avons fait tout cet exercice. Nous avons défendu notre point de vue contre l'APN et bien d'autres personnes. Mais depuis l'adoption de ce projet de loi, le soleil n'a pas cessé de se lever à l'est et de se coucher à l'ouest. À présent, une centaine de Premières nations font la queue pour s'inscrire comme participantes. Mais là il y a quelqu'un qui contrôle. Pour moi, l'autonomie gouvernementale, ce n'est pas ça.
Selon ce projet de loi, la participation est facultative… Donc, les Premières nations qui voudront bien se prévaloir de ces services pourront le faire. Je ne vois pas la nécessité d'y inclure une liste de participants. Cela rejoint ce que disait le chef Bressette tout à l'heure, encore une fois, je pense que vous n'avez pas eu l'occasion d'entendre ses remarques. Au moment de l'adoption de la Loi sur la gestion des terres, les membres de sa collectivité et ses conseils avaient écouté ceux qui disaient que c'était une mauvaise initiative. Ils ont décidé de ne pas y adhérer, et ils se sont présentés devant des comités comme celui-ci pour exprimer leur opposition. Mais trois ans plus tard, ils ont mis leur nom sur la liste d'attente, pour pouvoir participer à ce régime.
Donc, il arrivera un moment où tout le monde comprendra que cette initiative comporte de nombreux avantages et où l'on aura prouvé que cette dernière ne portera aucunement atteinte aux droits des uns et des autres. À ce moment-là, ils pourront prendre la décision de participer ou non.
Ce qui nous semble primordial, c'est de préserver le droit des Premières nations de prendre elles-mêmes cette décision, plutôt que prévoir qu'une autorité gouvernementale aura le pouvoir de les faire participer ou non. Voilà pourquoi ce que vous proposez ne me semble pas nécessaire et n'avancera en rien la cause des Premières nations à l'avenir.
À (1045)
M. Maurice Vellacott: Dans ce cas, monsieur Calla, y aurait-il un inconvénient à votre avis à inscrire dans ce projet de loi la liste des bandes qui seraient visées par cette mesure législative, de sorte qu'elle ne vise que celles-là. À ce moment-là, on n'aurait pas besoin de faire en sorte que la participation soit facultative.
Je sais que vous avez clairement expliqué votre position à cet égard, mais à mon avis, elle n'est pas nécessairement justifiée. Il y aura forcément une réaction en chaîne, étant donné que ce projet de loi fait partie intégrante de toute la série de mesures législatives qui sont prévues, comme le chef de la FSIN nous l'expliquait aujourd'hui. La crainte des gens, c'est que s'ils décident de s'orienter différemment, ils subiront des pressions, en raison de l'existence de cette loi, et auront le sentiment qu'ils sont obligés de suivre le mouvement, qu'ils le veuillent ou non. Voilà ce à quoi ils s'opposent.
Je comprends ce que vous dites. Plus tard, ils voudront peut-être participer. Mais y aurait-il un inconvénient majeur à faire en sorte qu'ils puissent devenir participants lorsqu'ils se seront rendu compte que c'est une bonne idée? Je suppose que cela voudra dire que quelqu'un devra contrôler, comme vous dites, mais ce sont des bandes… Ce n'est pas une simple question de participer ou de non-participation. Cette série de mesures législatives fera en sorte que les gens subiront une certaine pression pour y participer. En tout cas, c'est leur sentiment.
Il faudra les convaincre qu'ils se trompent. Ce sont des porte-parole éloquents pour les Premières nations et les nombreux membres qu'ils représentent--en Saskatchewan et ailleurs--membres qui ne sont pas convaincus qu'il suffit de décider de participer ou de ne pas participer. Donc, il est clair que cette initiative entraînera une réaction en chaîne.
M. Harold Calla: À mon avis, vous allez constater que certains dirigeants autochtones en Saskatchewan sont en faveur de ce projet de loi, parce que nous leur en avons déjà parlé. Une position provinciale a été définie, mais les avis ne sont pas unanimes à cet égard. Nous ne sommes pas en faveur de l'idée d'y inscrire une liste de bande participante, et nous ne croyons pas que ce soit dans l'intérêt des Premières nations d'agir ainsi, surtout qu'une telle liste n'est pas nécessaire. La participation est facultative; il ne s'agit absolument pas d'exiger la participation de quiconque.
M. Maurice Vellacott: N'êtes-vous pas d'accord pour reconnaître que les pressions créées par cette série de projets de loi seront presque irrésistibles, et qu'ils ressentiront tôt ou tard qu'ils doivent y participer?
M. Harold Calla: Non, pas du tout. Il y a d'autres possibilités. Les accords d'autonomie gouvernementale présentent certaines possibilités--je pense qu'on en a décrit un certain nombre ce matin. Personne ne sera obligé de participer. Par contre, faire des emprunts collectifs est avantageux, et nous sommes convaincus que tout le mode sera heureux d'avoir accès à cette possibilité.
M. Maurice Vellacott: Nous recevrons leurs témoignages, bien entendu, et je suis convaincu qu'ils pourront expliquer leurs réserves de façon beaucoup plus éloquente que moi j'ai pu le faire, notamment en ce qui concerne ce mécanisme de participation soi-disant facultative que prévoit le projet de loi. Ils ne sont pas convaincus que la participation sera facultative, et pensent que la pression qui s'exercera sur eux sera irrésistible, si bien qu'ils devront y participer pour éviter d'être laissés loin derrière, en quelque sorte.
M. Harold Calla: Vous avez parlé tout à l'heure de la Colombie-Britannique, si je ne m'abuse. Moi, je suis de la Colombie-Britannique, et il est vrai que nous avons 197 collectivités autochtones en Colombie-Britannique; en réalité, presque un tiers des Premières nations du Canada se trouve en Colombie-Britannique.
Mais j'insiste sur le fait que les collectivités de la Colombie-Britannique ne sont pas les instigatrices de cette initiative. Des collectivités d'un bout à l'autre du pays ont contribué à définir ce projet. La collectivité de Milbrook en Nouvelle-Écosse en est un exemple. Il y a aussi l'Atlantique Policy Congress. De nombreuses collectivités dans tout le Canada ont participé à ce projet.
Je sais que nous avons 197 collectivités en Colombie-Britannique, et que bon nombre d'entre elles s'intéressent à cette initiative, mais les Premières nations de la Colombie-Britannique n'en sont pas les seules instigatrices. Donc, vous devez vous rappeler que de nombreuses collectivités dans tout le Canada ont participé à ce projet.
À (1050)
Le président: Monsieur Vellacott, est-ce que vous leur parliez en personne? Sont-ils à Ottawa aujourd'hui?
M. Maurice Vellacott: Oui.
Le président: Je suis prêt à convoquer une réunion pour 15 h 30 s'ils désirent comparaître.
M. Maurice Vellacott: Vous devrez en parler avec eux. Je ne peux pas parler pour eux.
Le président: Savez-vous comment on pourrait les rejoindre?
M. Maurice Vellacott: En ce moment, ils sont dans la salle 300, à l'édifice de la Confédération.
Le président: Chers collègues, nous allons donc les appeler et s'ils acceptent de comparaître à 15 h 30, je convoquerai une réunion cet après-midi à cette heure-là.
Nous vous remercions infiniment de cet excellent exposé--c'est la troisième fois que je dis cela aujourd'hui. Je vous donne quelques minutes pour faire vos dernières observations.
M. Harold Calla: Je vous remercie, monsieur le président, et membres du comité.
Au cours des prochaines semaines, le Canada obtiendra peut-être le droit d'être l'hôte de tous les pays du monde pour les Jeux olympiques de 2010, dont une partie des activités se dérouleront sur nos territoires traditionnels. Les yeux du monde seront alors braqués sur le Canada pendant quelques brèves semaines de gloire, mais dont on se souviendra toujours.
Terminons donc notre travail et montrons au monde que le Canada, un chef de file parmi les nations, est prêt à reconnaître et à affirmer les droits autochtones et les droits issus de nos traités, y compris le droit à l'autonomie gouvernementale, et le droit de l'exercer dans la pratique d'une manière qui permettra d'éliminer la pauvreté qui sévit dans nos collectivités.
Pour moi, le Canada est un chef de file. Nous en avons la preuve concrète dans ce travail qui est entrepris ici. Pour moi, les yeux du monde sont déjà braqués sur le Canada en raison des initiatives qu'il prend de concert avec les peuples autochtones. Pour moi, il faut aller de l'avant.
Si nous attendons que 633 Premières nations soient tout à fait d'accord, nous ne ferons jamais rien. À mon avis, le temps est venu d'agir.
Nous remercions le comité pour son temps. Nous le remercions de nous avoir donné l'occasion de comparaître, et nous vous sommes reconnaissants pour le travail que vous faites.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Les cloches sonnent pour un vote, qui aura lieu dans 25 minutes.
Notre vidéoconférence doit commencer dans cinq minutes. Je pense que nous devrions peut-être attendre d'avoir voté pour commencer. Ou préférez-vous travailler 10 ou 15 minutes, et ensuite…?
[Français]
Madame Picard, aimeriez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?
Mme Pauline Picard: Non, c'était au sujet de M. Vellacott.
Le président: C'est fini.
Mme Pauline Picard: Je voulais savoir si c'était bien une seule personne qui devait venir cet après-midi.
Le président: Non, c'est la Federation of Saskatchewan Indian Nations.
M. Gérard Binet: Monsieur le président, on a vécu un peu la même situation la semaine passée avec les producteurs de boeuf. Aujourd'hui, des réunions sont prévues et on veut entendre les témoins le plus vite possible. Ils sont ici et ça va sauver du temps. En outre, ça leur coûte cher de se déplacer.
Le même nombre de personnes pourraient assister à la vidéoconférence, soit deux de l'opposition et deux du gouvernement; cela permettrait aux autres d'aller voter. On pourrait ainsi faire avancer les choses.
[Traduction]
Le président: Nous allons donc suspendre nos travaux jusqu'à ce que le vote soit conclu. Veuillez revenir immédiatement, et essayer de vous chercher quelque chose à manger parce que nous n'avons pas commandé de repas. À Ottawa, il faut leur donner 24 heures de préavis. C'est tout juste s'ils n'ont pas à mettre sur pied un comité avant de pouvoir faire des sandwichs.
Les travaux sont donc suspendus jusqu'à la conclusion du vote.
À (1054)
Á (1155)
Le président: Bienvenue à tous. Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-19. Nous sommes ravis d'accueillir, par vidéoconférence, le grand chef Charles Fox, chef régional de l'Ontario.
Grand chef, nous vous invitons à faire votre exposé liminaire. Nous disposons d'une heure pour nos discussions, et j'espère que vous laisserez un peu de temps pour que les membres puissent vous poser des questions.
Vous avez la parole.
Le grand chef Charles Fox (chef régional de l'Ontario, Chiefs of Ontario): Merci beaucoup.
Bonjour. Je m'appelle Charles Fox. Je suis de la Première nation de Bearskin Lake, soit le territoire du Traité 9 dans le nord de l'Ontario. Je suis le chef régional représentant l'Ontario.
Je voudrais saisir cette occasion pour remercier le président et les membres du comité de me donner aujourd'hui l'occasion de présenter mes vues au Comité permanent des affaires autochtones. La question à l'étude est évidemment le projet de loi C-19, soit la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations.
Pour la plupart des Premières nations, cette mesure représente la Loi complémentaire du projet de loi C-7, la Loi sur la gouvernance des Premières nations. Le fait est que la grande majorité des Premières nations du Canada s'opposent à ces deux projets de loi. Mes remarques seront brèves, étant donné le préavis relativement court que nous avons reçu concernant cette réunion. Un mémoire écrit plus détaillé sera soumis à votre examen ultérieurement, selon le calendrier que vous avez prévu pour l'étude du projet de loi C-19.
Il y a 134 Premières nations en Ontario. Leur taille est variable, allant du vaste territoire des Six Nations de Brantford qui constitue la Première nation la plus peuplée du Canada, à de petites collectivités situées dans le grand nord de l'Ontario, où les routes ne sont pas praticables toute l'année. L'Ontario a la population d'Indiens inscrits la plus importante de tout le Canada.
En général, les activités politiques et autres des Premières nations ontariennes sont coordonnées au niveau local par des conseils tribaux, et au niveau intrarégional, par des organismes provinciaux-territoriaux, ce qu'on appelle les OPT. Des exemples de ces OPT seraient la Nation Nishnawbe Ask, et l'Union of Ontario Indians. Un peu plus de 12 Premières nations exercent leurs activités indépendamment des structures des OPT.
L'ensemble des 134 Premières nations de l'Ontario sont affiliées aux Chefs de l'Ontario, qui agit à titre de secrétariat ou d'organisme de facilitation. Le bureau des Chefs de l'Ontario coordonne, entre autres, la conférence annuelle de tous les chefs de l'Ontario et des conférences de chefs spéciales.
Le bureau des Chefs de l'Ontario assure aussi le soutien de certaines activités du chef régional de l'Ontario. Le chef régional de l'Ontario est élu tous les trois ans à une conférence qui rassemble tous les chefs de l'Ontario. J'ai été élu à ce poste il y a un peu moins de trois ans. Des élections se tiendront tard en juin, lors de la conférence de tous les chefs de l'Ontario à la Première nation de Whitefish Lake. En tant que chef région de l'Ontario, je siège à l'exécutif de l'Assemblée des Premières nations, qui est un organisme autochtone national.
En général, la grande majorité des Premières nations de l'Ontario sont vivement opposées au projet de loi C-19. Cette opposition s'est manifestée dans les déclarations des chefs de l'Ontario et dans des résolutions nationales. Certaines des raisons de cette vive opposition sont présentées dans mon texte. Certaines Premières nations appuient le travail de l'Institut de la statistique. J'en suis conscient et je respecte leur position. Cependant, comme je vous l'ai déjà dit, la grande majorité des Premières nations de l'Ontario s'opposent au projet de loi dans son ensemble, et c'est ce message que je suis venu vous communiquer et expliquer aujourd'hui.
Le projet de loi C-19 n'a absolument rien à voir avec les vraies priorités et les vrais besoins des Premières nations. Le projet de loi C-19 repose sur la notion ridicule selon laquelle les Premières nations trouveront la terre promise à force de prélever des impôts et de faire des emprunts. Toute cette mesure s'articule autour de l'idée de prélever des impôts sur les terres et propriétés des réserves et de faire des emprunts en utilisant ces recettes fiscales foncières comme garantie. Le projet de loi crée aussi une bureaucratie massive qui vise exclusivement à établir et à protéger ce régime d'imposition et d'emprunt.
Les institutions qui établissent ce projet de loi auront comme principale mission d'assurer la propagation de ces mesures d'imposition et d'emprunt. Le régime que propose le projet de loi intéresse apparemment une petite minorité de Premières nations, surtout en Colombie-Britannique, bien que quelques Premières nations d'autres provinces l'appuient également.
Mais le groupe qui soutient cette mesure correspond probablement au groupe de Premières nations qui ont une relation quelconque avec la Commission consultative de fiscalité indienne. La Commission consultative de la fiscalité indienne est un organe administratif fédéral qui a comme principale responsabilité les règlements administratifs touchant les taxes foncières, et ce en vertu de l'article 83 de la Loi sur les Indiens. Le principal groupe qui est favorable au projet de loi, qui se trouve surtout en Colombie-Britannique, correspond au grand maximum à une centaine de collectivités, soit environ 15 p. 100 des plus de 600 collectivités affiliées à des organismes de chefs au Canada.
Le régime d'imposition et d'emprunt que propose le projet de loi n'a absolument rien à voir avec les vraies priorités et les vrais besoins de la grande majorité des Premières nations de l'Ontario et du Canada dans son ensemble. La plupart des Premières nations sont pauvres, comparativement au niveau de vie des autres Canadiens, et dépendent presque exclusivement des transferts fédéraux. De nombreuses Premières nations ont d'ores et déjà de graves problèmes d'endettement, surtout à cause des compressions budgétaires imposées par le fédéral.
 (1200)
Peu de Premières nations disposent d'une assise territoriale viable dans leur réserve sur laquelle elles pourraient éventuellement prélever des impôts. Autrement dit, du point de vue de la plupart des Premières nations, le régime d'imposition d'emprunt du projet de loi C-19 n'a aucun rapport avec leurs véritables préoccupations.
De l'avis de la grande majorité des Premières nations, des mesures s'imposent dans au moins deux domaines. D'abord, le niveau des transferts qui a été systématiquement réduit par le gouvernement fédéral depuis 1995, doit être immédiatement relevé. Voilà l'une des recommandations clés du volume 5 du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Les provinces ont reçu des milliards de dollars de plus du gouvernement canadien au cours des dernières années, surtout pour les soins de santé. Pourquoi les Premières nations ont-elle été si systématiquement exclues?
La deuxième grande priorité de la plupart des Premières nations concerne l'accès aux territoires traditionnels situés hors réserve. Ces territoires peuvent être visés par un titre ou traité autochtone ou une combinaison des deux. Pour la plupart des Premières nations, une croissance économique durable à long terme ne pourra être réalisée à partir de l'assise territoriale limitée des réserves autochtones; il est essentiel que les richesses des territoires situés hors réserve soient partagées. Encore une fois, le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones compte de nombreuses recommandations qui insistent sur ce besoin pressant.
En résumé, les Premières nations ont besoin de transferts fédéraux plus importants et d'un accès équitable aux territoires traditionnels. Voilà les véritables besoins et priorités des Premières nations. Le régime ridicule d'imposition et d'emprunt que propose le projet de loi C-19 passe complètement à côté. Au mieux, il n'aura absolument aucun impact sur 85 à 90 p. 100 des Premières nations; au pire, il leur causera de graves préjudices. Ce projet de loi est une vaste fumisterie qui permet au fédéral de se faire bien voir à bon compte. Il ne fait absolument rien de positif en ce qui concerne les transferts et les ressources situées hors réserve. Il encourage au contraire les Premières nations à prélever des impôts auprès des entreprises locales et à contracter des dettes en utilisant des recettes fiscales comme garantie. Autrement dit, l'investissement du gouvernement est minime, voire même nul. La raison pour laquelle ce projet de loi plaît tellement au gouvernement du Canada est bien claire.
Le projet de loi C-19 n'est pas non plus conforme au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Comme le projet de loi C-7, sa loi complémentaire, le projet de loi C-19 offre un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. L'actuelle politique fédérale reconnaît l'existence du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, et ce doit est inscrit à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Le projet de loi C-19 impose aux Premières nations un régime fédéral dans des domaines où le droit à l'autonomie gouvernementale devrait logiquement s'exercer au niveau local, y compris, par exemple, les taxes foncières; l'utilisation des recettes fiscales; les systèmes de gestion financière; et l'adoption de lois locales.
Il est de notoriété publique que la grande majorité des Premières nations s'opposent à ce régime. Leur imposer ce régime de cette façon revient à attaquer leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
De nombreux éléments du projet de loi C-19 enfreignent le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Je vous présente un certain nombre d'exemples ici. Par exemple, le projet de loi crée une commission de la fiscalité dont les membres seraient nommés par le fédéral et qui aurait un droit de veto sur les lois relatives à l'impôt foncier que pourraient adopter les Premières nations. Cette commission aurait également droit de veto sur l'utilisation des recettes fiscales par l'entremise de lois budgétaires annuelles. Il est clair, d'après le libellé du projet de loi, que cette commission forcera les Premières nations à consacrer leurs recettes fiscales à l'amélioration de certains éléments de leur infrastructure ou à la prestation de services afin de réduire la responsabilité financière du fédéral. Ce projet de loi comporte un certain nombre d'indices très clairs qui nous permettent de comprendre que cette commission contrôlée par le fédéral forcera les Premières nations à assurer l'harmonisation de leurs régimes d'impôts fonciers avec les régimes municipaux et provinciaux de leur région. Ce programme de municipalisation fera en sorte que les Premières nations seront découragées, sinon empêchées, d'offrir aux entreprises de payer des taux d'imposition financière relativement faibles afin de les encourager à s'implanter dans les réserves. Ce projet de loi crée un conseil de gestion financière dont les membres seront nommés par le fédéral, et qui aura un droit de veto sur l'ensemble des lois de gestion financière adoptées par les Premières nations. Il s'agit là d'une catégorie de lois assez générales et mal définies, si bien que ce pouvoir pourrait avoir des conséquences fort négatives, et même dramatiques, pour toutes les Premières nations du Canada. Il constitue un outrage au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
D'une certaine façon, les projets de loi C-7 et C-19 créent deux catégories de lois autochtones qui sont traitées de façon très différentes. Les lois autochtones qui n'intéressent pas beaucoup le gouvernement fédéral sont visées par le projet de loi C-7 et peuvent donc être adoptées au niveau local sans que le fédéral ait de droit de veto. Les lois autochtones qui intéressent le gouvernement fédéral sont visées par le projet de loi C-19. Il n'est guère étonnant de constater que ces lois-là concernent l'argent, et notamment les impôts, les emprunts, et la gestion financière. Ces lois importantes ne pourront être adoptées qu'avec le consentement d'une commission de la fiscalité et d'un conseil de gestion financière, qui sont contrôlés par le gouvernement fédéral. Tout le régime que proposent les projets de loi C-19 et C-7 constitue une atteinte grave à nos droits inhérents.
 (1205)
Le projet de loi légitimise une administration financière dont la conviction première serait, semble-t-il, que l'obtention de prêts à un taux inférieur d'un point ou deux à ceux pratiqués sur le marché est plus importante que la vie elle-même. Une Première nation qui aurait des démêlés avec l'Administration financière se verrait imposer des mesures draconiennes, qui ne seraient évidemment pas conformes au droit inhérent. Une Première nation et l'Administration ne pourrait coexister sans le consentement de tous les autres membres de cette Administration--quelque chose qui est peu susceptible de se réaliser dans la pratique. Une autre condition invraisemblable est celle qui empêcherait l'administration financière d'une Première nation d'obtenir des prêts à long terme sans passer par l'Administration financière des Premières nations. Selon la définition du projet de loi, un emprunt à long terme serait tout empreint d'une durée de plus d'un an. Cette approche monopolistique est susceptible de faire augmenter le coût des emprunts et va tout à fait à l'encontre de l'objet même d'une telle administration.
On pourrait vous citer de nombreux autres exemples de ce genre d'approche. Somme toute, le régime général et les dispositions particulières du projet de loi C-19 ne sont pas conformes au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, droit protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le projet de loi C-19 devrait préoccuper le comité permanent.
Le processus de consultation organisé à propos du projet de loi C-19 était également inconstitutionnel. Étant donné que ce dernier est une atteinte grave au droit inhérent et à d'autres droits et intérêts des Premières nations, la Loi constitutionnelle du Canada exige qu'il y ait des consultations justes et raisonnables avant la promulgation de ce projet de loi. Voilà la norme que nous appliquons dans notre système judiciaire. Or il est clair, si on en fait le bilan, que le gouvernement fédéral n'a guère cherché à consulter les principaux intéressés au sujet de ce projet de loi. Un avant-projet de loi a été mis à notre disposition lors d'une conférence de presse en août 2002. Le projet de loi proprement dit a été déposé devant le Parlement en décembre 2002. Ce projet de loi n'a guère attiré l'attention, étant donné que les Premières nations et le gouvernement fédéral s'intéressaient surtout au projet de loi C-7. Il n'y a pas eu d'audiences dans toutes les régions du pays. Il est clair que, dans ce comité, ce projet de loi passe comme un train de nuit.
L'absence presque complète de documents de consultation émanant du gouvernement fédéral est d'autant plus alarmante,vu la complexité de ce projet de loi. Il comporte 155 articles et est plus long que la Loi sur les Indiens elle-même. C'est un produit beaucoup, beaucoup plus sophistiqué que le projet de loi C-7. Bon nombre de ses dispositions, notamment celles qui concernent l'Administration financière des Premières nations, sont très compliquées et difficiles à comprendre sans pouvoir bénéficier d'une expertise indépendante. Je n'ai donc pas besoin de vous dire que les Premières nations qui s'opposent au projet de loi n'ont eu ni l'occasion de respecter leur obligation de prudence et de diligence, ni les ressources requises pour cela.
Si ce projet de loi est adopté, les Premières nations seront coincées--quelque chose que seule la petite clique de ceux qui font la promotion de ce projet de loi n'est pas en mesure de comprendre.
Le bilan du fédéral en ce qui concerne les consultations sur un projet de loi qui influe manifestement sur les droits et intérêts des Premières nations n'est tout simplement pas défendable. Ceci constitue une violation des normes constitutionnelles en matière de consultation. Il semble que le gouvernement fédéral n'invoque pas en l'occurrence son propre bilan en matière de consultation, puisqu'il n'en a aucun. Le gouvernement fédéral prétend au contraire que ce projet de loi a été élaboré par les Premières nations et a leur appui. Les deux derniers énoncés du préambule du projet de loi mettent bien en évidence cette position : le gouvernement fédéral n'a pas besoin de tenir de consultations puisque ce projet de loi a l'appui des Premières nations. C'est un mensonge; ce projet de loi repose sur un mensonge.
Le travail de préparation relatif aux relations et institutions financières a été mené par le Canada et l'Assemblée jusqu'en 2001. Le concept de ce travail avait l'appui de l'Assemblée des Premières nations dans les résolutions qu'elles a adoptées. Ce travail a été grandement accéléré au début de 2001, lorsque le gouvernement fédéral a informé les Premières nations intéressées qu'il serait peut-être possible de faire adopter des lois dans ce domaine à l'automne de 2001. Cette affirmation s'est révélée fausse.
À l'assemblée de l'Assemblée des Premières nations tenue à Halifax en 2001, une résolution a été proposée qui demandait qu'on procède à un travail d'analyse plus détaillé relativement aux institutions financières, en prévision d'une éventuelle loi. Cette résolution a été rejetée, puisqu'elle n'avait pas l'appui de 60 p. 100 des participants, comme l'exigent les statuts de l'Assemblée des Premières nations. Cependant, un compromis politique est intervenu. En vertu de ce compromis, le travail de préparation des institutions financières pouvait se poursuivre, à condition que tout avant-projet de loi soit soumis à l'assemblée pour approbation, modification, ou rejet. L'entente de Halifax n'a pas été respectée.
 (1210)
À l'assemblée de l'APN tenue à Montréal en juillet 2002, les partisans de cet ensemble de mesures touchant les institutions financières ont prétendu qu'il n'y avait pas d'avant-projet de loi à examiner. Ainsi la possibilité de débat a été éliminée d'avance. Chose curieuse, le texte complet d'un avant-projet de loi était disponible lors d'une conférence de presse organisée par le ministre quelques semaines plus tard. Depuis les partisans du projet de loi ont refusé de reconnaître que l'assemblée de l'APN a le dernier mot à ce sujet.
Ce projet de loi a été examiné lors d'assemblées spéciales et de confédérations de l'APN, et ce depuis août 2002. À chaque occasion, les chefs ont voté en faveur du rejet du projet de loi dans son ensemble. Nous avons des copies de ces résolutions. Si ces dernières ne vous ont pas déjà été remises par l'APN, nous nous assurerons de le faire.
En fait, on a enlevé aux principaux partisans du projet de loi le portefeuille des relations fiscales à l'APN étant donné que leurs vues sont contraire à celles de la très grande majorité des Premières nations. Les partisans du projet de loi en sont réduits à demander à leurs avocats à concocter des arguments procéduraux parfaitement ridicules pour attaquer la légitimité des nombreuses résolutions qui critiquent le projet de loi.
Le gouvernement fédéral n'a mené aucune consultation sur ce projet de loi, bien que ce dernier représente une atteinte manifeste aux droits et intérêts des Premières nations. Le gouvernement fédéral justifie ce qui est à première vue une violation de la Constitution en affirmant que les Premières nations ont élaboré ce projet de loi et qu'elles l'appuient. Malheureusement, c'est un mensonge.
Une petite minorité régionale de Premières nations est favorable à ce régime d'imposition d'emprunt dont le ministère fait la promotion par pur intérêt. La très grande majorité des Premières nations ont déclaré en termes très clairs, et à maintes reprises, qu'elles s'opposent au projet de loi.
Comme le bilan du fédéral en ce qui concerne les consultations sur ce projet de loi est inexistant et donc mensonger, ce projet de loi doit nécessairement être inconstitutionnel. Je suppose que vous êtes préoccupés par cette possibilité.
Le projet de loi C-19 n'est pas facultatif; il influe sur toutes les Premières nations. Le Canada et une petite minorité de Premières nations qui sont favorables au projet de loi affirment parfois que la majorité qui s'y oppose devrait se taire, car selon eux, ce projet de loi est purement facultatif et ne touchera que les Premières nations qui décident de se joindre au club. Comme toute fausse représentation conçue avec habileté, celle-ci contient un tout petit élément de vérité--ou disons, comporte plutôt la possibilité de « déni plausible ». Pour le moment en tout cas, une Première nation ne pourra pas être forcée d'adopter une loi d'imposition locale de façon à être assujettie au contrôle de la Commission de la fiscalité. Une bonne partie du mandat du Conseil de gestion financière concerne les Premières nations qui décident d'adopter des lois d'imposition foncière et empruntent de l'argent par l'entremise de l'Administration financière. La participation au régime de l'Administration financière ne peut être forcée, mais une fois qu'une Première nation en devient membre, il lui sera presque impossible d'en sortir.
Donc, pour être juste, certains aspects des mesures qu'établit ce projet de loi sont facultatifs, ce qui permet malheureusement à ceux qui le prônent de le représenter faussement en prétendant que la participation aux régimes du projet de loi dans leur ensemble est facultative. Or ce n'est pas tout a fait vrai; ce projet de loi influe sur les droits et intérêts de toutes les Premières nations.
Il a l'appui d'une petite minorité régionale de Premières nations, qui sont sensibles pour diverses raisons à l'argument maintes fois répétées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord selon lequel il leur faut un régime d'imposition et d'emprunt, régime qu'on veut maintenant imposer à une majorité de Premières nations du Canada qui s'y opposent.
Le projet de loi prévoit qu'aucune Première nation ne pourra adopter une loi d'imposition foncière sans l'approbation de la Commission de la fiscalité fédérale. Aucune Première nation ne pourra dépenser les recettes fiscales qu'elle prélève sans l'approbation de cette même commission fédérale. Cette grave violation du droit inhérent touche l'ensemble des Premières nations et les rabaisse.
Le projet de loi prévoit qu'aucune Première nation ne pourra adopter une loi locale de gestion financière sans l'approbation du Conseil fédéral de gestion financière. Encore une fois, il s'agit là d'une violation du droit inhérent qui influe sur l'ensemble des Premières nations.
Dans l'espoir d'obtenir des taux d'intérêt inférieurs pour les emprunts, le projet de loi impose aux Premières nations une série de restrictions qui sont excessives, voire même accablantes. La gestion financière et l'activité législative des Premières nations pourront être prises en charge par l'Administration financière sans qu'il y ait de véritables procédures de recours, et ce pour lui permettre de mieux tenir sa cote de solvabilité.
De même, l'Institut fédéral de la statistique aurait le pouvoir de produire des rapports statistiques qui influeront inévitablement sur toutes les Premières nations.
Il est prévu non pas que ces institutions s'autofinancent, mais qu'elles soient subventionnées grâce aux crédits du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Ainsi toutes les Premières nations auront à payer ces institutions, qu'elles y participent ou non.
Bref, ce projet de loi n'est pas facultatif mais influe sur les droits et intérêts de toutes les Premières nations. Je ne serais pas contre ce que propose le ministère et les Premières nations qui sont en faveur de cette mesure, s'il s'agissait d'un régime d'imposition et d'emprunt local ou spécifique. Il serait même possible de codifier un tel régime par voie de contrat ou dans un projet de loi précis, comme la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la Bande indienne Sechelt, ou la Loi du Québec sur les Cris Naskapi.
 (1215)
Je respecte le droit de toute Première nation de trouver ses propres solutions face aux problèmes qu'elle rencontre. Toutefois, le problème fondamental posé par le projet de loi C-19 est qu'il impose à un grand nombre de Premières nations un régime auquel seulement quelques nations sont favorables. C'est tout à fait injuste, selon le droit traditionnel des Premières nations, et inconstitutionnel, selon le droit canadien.
Je voudrais maintenant vous parler brièvement de l'Institut de la statistique des Premières nations. Ce dernier est une sorte d'anomalie dans ce projet de loi, puisqu'il n'est pas rattaché aux autres institutions. La Commission de la fiscalité, le Conseil de gestion financière, et l'Administration financière se complètent l'un l'autre comme les pièces d'une machine. Ces organismes sont conçus de manière à promouvoir la religion des impôts et des emprunts prêchée par le ministère des Affaires indiennes et une petite minorité de Premières nations qui ont des relations avec l'actuel Commission consultative de la fiscalité indienne, et dont la majorité sont de la Colombie-Britannique.
Ces trois institutions ne sont pas forcément liées à l'Institut de la statistique des Premières nations, et pourraient fonctionner sans lui. On a l'impression que l'Institut de la statistique y a été inclus pour faire bonne mesure.
La participation aux activités de l'Institut de la statistique n'est pas facultative. Ce dernier est contrôlé par le gouvernement fédéral et a le mandat de publier des rapports sur l'ensemble des Premières nations.
Dans la pratique, le contrôle fédéral de l'Institut réduira sa crédibilité auprès des Premières nations. Rien n'est fait pour gagner le respect des Premières nations; au contraire, on leur impose un modèle.
La notion qui sous-tend la création de l'Institut semble être que la production d'excellents rapports techniques réussira d'une façon ou d'une autre à améliorer la situation sociale et économique des Premières nations. Or cette prémisse est parfaitement ridicule. La Direction de la recherche des Affaires indiennes et d'autres organismes fédéraux produisent déjà des quantités de rapports qui ne font que prouver ce qui est déjà évident, à savoir que les Premières nations constituent une sorte de Tiers monde à l'intérieur du Canada. Ce sont des peuples qui ont été colonisés sur leurs propres terres.
Rappelez-vous les rapports techniques et les recommandations finales de la Commission royale sur les peuples autochtones. Des douzaines de rapports statistiques déjà disponibles, qui demeurent intouchés dans un placard quelque part, n'ont jamais incité le gouvernement fédéral à relever les transferts aux Premières nations, malgré les excédents faramineux auxquels il a accès depuis la fin des années 1990. Si la documentation actuelle n'a pas suffi pour faire bouger le gouvernement fédéral, il est tout simplement trompeur de laisser entendre qu'après bien des années, les rapports d'un institut statistique sont susceptibles d'avoir un effet mesurable sur notre situation.
Ce qui est prévu pour l'Institut est typique de ce qu'on retrouve dans le projet de loi C-19, en ce sens que le texte est volontairement trompeur sur la question du caractère facultatif ou non de la participation. Les articles 103 et 104 donnent l'impression tout à fait erronée que les données des Premières nations seront communiquées à l'Institut dans la mesure où il existe des ententes à ce sujet. Or il suffit de lire le texte détaillé pour se détromper. L'article 105 prévoit effectivement que toutes les données fédérales sur les Premières nations seront communiquées à l'Institut sans le consentement des Premières nations.
Vu la quantité de rapports financiers et autres que les Premières nations sont déjà tenues de présenter, cela veut donc dire que l'Institut aura accès aux données les plus personnelles tenues par chacune des Premières nations du Canada, et ce sans leur consentement préalable.
En résumé, l'Institut n'est pas une institution autochtone. Il est contrôlé par le gouvernement fédéral et n'aura que très peu de crédibilité auprès des Premières nations. Si l'Institut devait conclure des ententes avec les Premières nations et ne pouvait pas se rabattre sur l'article 105, à mon avis, il ne verrait sans doute jamais le jour. Ses rapports, même s'ils sont excellents sur le plan technique, n'auront pour ainsi dire aucune chance de faire changer la politique fédérale sur les transferts et le partage des ressources dans les territoires traditionnels situés hors réserve.
Je respecte la position d'un petit nombre de Premières nations qui s'intéressent à l'Institut. Ces dernières devraient donc conclure un contrat avec le ministère des Affaires indiennes pour mener à bien un projet statistique qui ne touchera que les Premières nations qui souhaitent y participer. Je maintiens respectueusement que vouloir imposer un régime statistique à une majorité de Premières nations qui s'y opposent serait contraire au droit autochtone et à la Constitution du Canada.
En conclusion, le projet de loi C-19 n'est pas facultatif. Celui-ci empiète sur les droits de toutes les Premières nations et enfreint en particulier le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Un bon exemple de cette violation serait le droit de veto donné au Conseil de gestion financière sur l'ensemble des lois de gestion financière adoptées par les Premières nations. Comme le projet de loi constitue une violation du droit inhérent inscrit à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, il est nécessairement inconstitutionnel.
Le bilan du gouvernement fédéral relativement aux consultations sur le projet de loi C-19 repose sur un mensonge. D'abord, il n'y a ni bilan ni document de consultation. Deuxièmement, contrairement aux énoncés du préambule du projet de loi, la très grande majorité des Premières nations s'y opposent. Cette opposition a été exprimée concrètement dans le cadre d'une série d'assemblées de l'APN et de résolutions de la confédération qui remontent à l'assemblée tenue à Halifax en 2001.
 (1220)
La minorité des Premières nations qui sont partisanes de ce projet de loi en est réduite à recourir aux services d'avocats qui se disputent pour savoir ce que le texte de telle ou telle autre résolution signifie vraiment.
Ce projet de loi n'a rien à voir avec les véritables priorités des Premières nations. Il faut relever les transferts fédéraux et assurer le partage des ressources situées sur les territoires traditionnelles. La religion des impôts et des emprunts prêchée par le ministère qui est reprise dans ce projet de loi passe complètement à côté. Elle permet au gouvernement fédéral de s'en tirer à bon compte et ne fait qu'aggraver les problèmes des Premières nations à long terme.
J'exhorte le comité à rejeter ce projet de loi dans son ensemble. Des amendements adoptés pour la frime, comme la clause de non-dérogation, ne serviraient à strictement rien. J'exhorte aussi la minorité des Premières nations qui appuient ce projet de loi à reprendre leur réflexion et à élaborer des modèles locaux. C'est une violation du droit autochtone que d'imposer ce modèle à une majorité de Premières nations qui s'y opposent.
Merci.
Le président: Merci, grand chef Fox.
Vous aurez un tour de cinq minutes avant que l'opposition officielle ne réclame une minute de plus.
Monsieur Vellacott.
M. Maurice Vellacott: Merci infiniment de votre présence, grand chef Fox.
Charles, vous avez indiqué à la fin de votre exposé qu'il était tout à fait impossible d'atténuer les effets négatifs de cette mesure législative, mais je dois vous demander si selon vous, il serait possible d'y inclure la liste des Premières nations--je suppose qu'il s'agirait surtout des bandes de la Colombie-Britannique et de quelques autres bandes au Canada qui désirent participer à ce régime, de façon à exclure une formule de participation facultative. Peut-être pourrait-on prévoir un processus semblable à celui de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, en vertu duquel il serait possible d'y adhérer par la suite.
Est-ce que cette formule vous conviendrait? Est-ce qu'elle vous semblerait moins coercitive--c'est-à-dire, si le projet de loi C-19 ne faisait qu'énumérer les bandes, soit au préambule soit à l'annexe, qui seraient visées par la loi, de sorte que personne d'autre ne soit mentionné?
Le grand chef Charles Fox: Nous avons déjà examiné la question du caractère facultatif ou non de ce projet de loi.
M. Maurice Vellacott: Il n'y aurait plus de mécanisme de participation facultative, à ce moment-là. Il s'agirait simplement d'énumérer les bandes participantes, de sorte que le projet de loi ne viserait que celles-là, et il n'y aurait plus de formule de participation facultative--ce serait un peu comme ce qu'on a fait pour la Loi sur la gestion des terres, où on a écrit le nom de 14 bandes. Certaines essaient maintenant d'obtenir le droit d'y participer, et je crois savoir qu'il y a une procédure à suivre dans ce cas, mais serait-il préférable à votre avis de procéder de cette façon, comme on a fait pour la Loi sur la gestion des terres, où on se contente d'inscrire le nom des bandes qui veulent participer, de façon à éviter un mécanisme de participation facultative, comme celui du projet de loi C-19?
Le grand chef Charles Fox: C'est une possibilité que nous pourrions certainement examiner. À mon avis, le projet de loi est structuré de telle façon maintenant, avec les pouvoirs et les procédures qui y sont prévus, que ce que vous proposez ne serait pas possible, à mon avis. La structure actuelle semble imposer ce régime à toutes les Premières nations du Canada. Mais nous pourrions certainement examiner la possibilité que vous évoquez.
M. Maurice Vellacott: L'autre question que vous avez soulevée un peu indirectement c'est qu'on joue un peu avec les mots dans ce projet de loi, si j'ai bien compris et qu'on essaie de faire un tour de passe-passe--c'était vrai aussi en ce qui concerne les déclarations du ministre hier. On me disait, par exemple, aucune obligation ne sera émise, etc., etc.; il y aura ce qu'on appelle à l'AFPN Inc.--il me semble bien que c'est ce que le conseiller juridique m'a dit hier--et le produit de toute émission d'obligations pourra être utilisé par les Premières nations pour établir une infrastructure communautaire, c'es-à-dire un système d'égout, des routes, un système d'adduction d'eau, etc.
Dans ce cas, avez-vous des inquiétudes, étant donné que MAINC finance actuellement des projets d'infrastructure locale dans les réserves de concert avec Infrastructure Canada et les Premières nations? Si une Première nation est membre emprunteur de cette nouvelle AFPN, que propose le projet de loi C-19, à votre avis pourra-t-elle toujours conclure des accords de financement avec le MAINC, comme le prévoit la procédure actuelle établie par Infrastructure Canada, ou si elle est déjà membre de l'AFPN, sera-t-elle obligée de passer par cette dernière pour financer ses projets d'infrastructure, sans avoir accès à cette autre source de financement?
Le ministre a laissé entendre qu'il serait possible de faire les deux. Mais à mon avis, beaucoup de gens sont sceptiques.
 (1225)
Le grand chef Charles Fox: Je ne suis pas très sûr de bien comprendre non plus, surtout pour ce qui est de la structure détaillée de tout cela--
M. Maurice Vellacott: C'est-à-dire que si vous décidez de participer aux activités de l'AFPN, c'est-à-dire l'Administration financière des Premières nations, il est probable, me semble-t-il, que pour financer votre infrastructure--c'est-à-dire les égouts, les routes, le système d'eau, etc.--vous allez vous adresser à l'AFPN pour faire les emprunts qui vous permettront de construire cette infrastructure, n'est-ce pas?
À ce moment-là, il me semble qu'il serait peu probable que vous puissiez toucher des crédits en vertu de l'actuel programme d'infrastructure. À mon avis, ce sera l'un ou l'autre. Le ministère semble dire non, mais d'autres sont assez sceptiques face à ces affirmations.
Est-ce qu'on vous a parlé de ça? À votre connaissance, cette question suscite-t-elle des préoccupations?
Le grand chef Charles Fox: Cela me semble préoccupant. Pour ce qui est des crédits accordés aux Premières nations par le gouvernement pour financer des projets d'infrastructure, nous estimons que ces crédits correspondent à des transferts ou des subventions pour nous permettre de répondre aux besoins de nos collectivités en matière d'infrastructure. Mais si cette nouvelle institution voit le jour et que les bandes sont obligées de s'y adresser pour faire des emprunts et supporter ainsi leurs coûts d'infrastructure, à ce moment-là, le gouvernement fédéral n'a plus d'obligation fiduciaire envers les Premières nations et n'est donc plus tenu de combler les besoins de ces dernières en matière d'infrastructure. Donc, c'est sûr que cette possibilité m'inquiète.
M. Maurice Vellacott: C'est ça que je voulais dire. Il ne vous serait plus possible de recevoir les crédits prévus dans le cadre de l'actuel programme d'Infrastructure Canada.
J'ai une dernière petite question à vous poser.
Vous avez clairement expliqué--et je voudrais que ce soit répété pour les fins du compte rendu--que si une Première nation adhère au régime de l'AFPN, soit l'Administration financière des Premières nations, à moins que toutes les autres Premières nations participantes ne vous donnent l'autorisation, vous ne pourrez pas en sortir. C'est ce que j'ai cru comprendre, et je trouve cela bien exigeant. Si vous décidez de participer, vous ne pourrez plus vous en retirer.
Est-ce que j'ai bien compris?
Le grand chef Charles Fox: Telle est notre interprétation, oui.
Pour revenir sur la question du caractère facultatif ou non de la participation, si vous imposez ce genre de régime à la majorité, étant donné… Disons que selon ce qui est actuellement prévu, ce régime serait imposé. Nous n'aurions pas vraiment la possibilité de décider d'y participer ou non. En tout cas, c'est ainsi que nous interprétons ce qui est proposé.
Si on propose une procédure de participation et de retrait, qui serait à la fois équitable et justifiable, nous allons certainement l'examiner. Mais nous n'avons pas de telle procédure pour l'instant. En tout cas, moi je ne la vois pas.
M. Maurice Vellacott: Mon temps est-il écoulé?
Le président: Il vous reste 10 secondes. Vous avez tout juste le temps de lui dire bonjour et de lui demander s'il fait beau, je suppose.
M. Maurice Vellacott: Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence aujourd'hui, chef. L'information que vous nous fournissez sera toujours utile.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Picard.
[Français]
Mme Pauline Picard: Bonjour. Merci beaucoup. J'aimerais savoir sur quoi vous vous appuyez, au plan juridique, quand vous dites que le projet de loi C-19 est anticonstitutionnel.
[Traduction]
Le grand chef Charles Fox: Je ne suis pas avocat de métier, mais quand j'ai vu tout ce que nous impose le projet de loi C-19… nous qui sommes membres de Premières nations, nous avons des droits ancestraux et des droits issus de traités en vertu de l'article 35 de la Constitution. Étant donné l'existence de ces droits, nous devrions avoir nous-mêmes le pouvoir de prendre des décisions et de définir des pouvoirs.
Lorsqu'une Première nation envisage de créer un régime d'imposition pour sa collectivité… Pour ma part, je viens de Bear Skin Lake, une collectivité d'environ 600 personnes. Nous avons accès à des ressources situées hors réserve pour être en mesure de devenir autonomes. Nos collectivités n'ont pas accès à des recettes fiscales permettant de financer notre gouvernement ou de soutenir notre économie.
Donc, pour moi, le projet de loi C-19 crée une administration financière fédérale qui pourra nous imposer sa volonté. Si la Première nation de Bear Skin Lake veut établir un régime d'imposition pour sa collectivité, elle devra s'adresser à cette administration pour obtenir son autorisation. Si l'administration n'est pas d'accord avec certains règlements administratifs en matière d'imposition que nous aurons nous-mêmes définis et adoptés, cette administration ou cette commission pourra y opposer son veto. Voilà donc qui est parfaitement contraire à mes droits inhérents. Je devrais être en mesure d'adopter les lois qui me visent et qui seront avantageuses pour les membres de la collectivité autochtone que je représente. Ce qui est proposé dans ce projet de loi est tout à fait contraire à ce droit.
 (1230)
[Français]
Mme Pauline Picard: Vous semblez vous opposer farouchement au projet de loi C-19. Est-ce que vous favorisez le statu quo? Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'apporter des amendements au projet de loi C-19 pour combler les lacunes dont vous avez fait mention un peu plus tôt?
[Traduction]
Le grand chef Charles Fox: Vivant dans les collectivités que je représente, je peux vous affirmer que la très grande majorité des collectivités autochtones de l'Ontario vivent dans les mêmes conditions qu'un pays du Tiers monde.
Je viens de Bear Skin Lake, en Ontario. C'est une collectivité éloignée. Aucune route ne vous y emmène. Il faut s'y rendre en avion. Entre 80 et 90 p. 100 de nos membres sont au chômage. Chez nous nous n'avons aucune assiette fiscale. La réalité, c'est que nous recevons toutes sortes d'offres de ressources, mais nous n'y avons pas accès. C'est ça la grande priorité en ce qui me concerne. Si nous pouvions accéder à ces ressources, c'est-à-dire le bois, les minéraux, même les possibilités touristiques, et l'exploitation forestière, etc., nous pourrions peut-être commencer à définir et à établir une assiette fiscale viable pour notre collectivité. Mais nous n'avons rien de tout cela pour l'instant.
Alors quand je regarde le projet de loi C-19 et ce qu'il propose, j'ai l'impression qu'il suppose que nous aurons les moyens de prélever des impôts auprès de nos membres, et d'établir ce genre de régime, alors que cela nous est tout à fait impossible. Nous ne sommes pas encore prêts pour ce genre de choses. En attendant que les administrations fédérale et provinciale acceptent de nous accorder l'accès aux ressources hors réserve auxquelles nous avons droit, de sorte que nous ayons une base en fonction de laquelle nous pourrions prélever des impôts auprès de nos membres, cette possibilité nous sera complètement exclue. En attendant que cela se produise, nous ne pourrons pas faire ce genre de choses.
Quant à l'approche globale qu'on trouve dans ce projet de loi et à ce qu'on peut faire pour créer un véritable processus d'autodétermination pour nos collectivités ainsi qu'une vraie capacité d'autosuffisance, j'estime que nous devons nous asseoir ensemble, que ce soit le gouvernement fédéral avec les Premières nations, ou le gouvernement provincial avec les Premières nations et les autorités fédérales, pour commencer à élaborer un plan. On ne nous a pas encore donné cette possibilité.
[Français]
Mme Pauline Picard: Ne croyez-vous pas que le projet de loi C-19 pourrait être un pas dans la bonne direction et qu'en vertu de la loi, il pourrait vous permettre de négocier avec les gouvernements provinciaux?
Vous me parlez, entre autres, de richesses. Je sais que vous avez besoin d'outils et d'infrastructures. J'ai cependant l'impression que vous craignez qu'en vous fournissant les outils pour votre développement, le gouvernement fédéral ne vous abandonne et ne coupe par la même occasion les programmes et les subventions qui contribuent à votre développement. Est-ce là votre crainte?
[Traduction]
Le grand chef Charles Fox: Ma crainte, par rapport à l'approche globale qui va nous permettre d'établir une base économique et une capacité d'autosuffisance dans nos collectivités, et au profit de nos gouvernements, concerne les transferts fédéraux dont nous avons grandement besoin. Nous avons besoin de transferts dans les mêmes conditions que celles prévues dans les accords de transferts entre le fédéral et les provinces. Nous devrions être en mesure de les négocier.
Si nous voulons que nos collectivités soient autosuffisantes à l'avenir, les Premières nations devront avoir la possibilité de négocier l'accès aux ressources locales qui se trouvent à proximité. Nous n'avons pas actuellement cette possibilité.
Et d'après ce que je vois, le projet de loi ne nous donnera pas de bâton non plus en ce sens que nous ne pourrons pas forcer les administrations provinciales à négocier avec nous pour conclure des ententes en vertu desquelles nous aurions accès à des ressources hors réserve, comme le bois et les minéraux pour les fins de l'exploitation forestière et minière, etc. Je ne vois pas tout cela dans le projet de loi C-19. Le projet de loi C-19 semble vouloir donner l'impression que nous avons actuellement cette capacité, alors que c'est faux.
Le président: Merci, madame Picard.
Monsieur Dromisky, vous avez cinq minutes.
M. Stan Dromisky: Merci, monsieur le président.
Alors, est-ce qu'il faut beau, Charles?
Le grand chef Charles Fox: Très beau, Stan. Où êtes-vous? Je ne vous vois pas.
Ah, vous voilà, Stan. Oui, il fait beau.
M. Stan Dromisky: Vous passerez le bonjour à Peter et Marvin, n'est-ce pas? Vous leur ferez mes amitiés.
Parlons un peu maintenant de ce qui s'est produit depuis l'an 2000. En janvier 2001, les conseils consultatifs nationaux des Premières nations ont été mis sur pied pour préparer les deux institutions proposées, soit le Conseil de gestion financière des Premières nations et l'Institut de la statistique des Premières nations. Ensuite, en avril 2001, le Comité des chefs chargés d'examiner les relations financières a lancé une campagne nationale dans le cadre de laquelle ce dernier a visité les Premières nations pour expliquer aux membres l'objet de cette initiative visant la création de certaines initiatives financières.
Ensuite, en juillet de la même année, le chef national Matthew Coon Come a envoyé une lettre à tous les chefs dans laquelle il cautionnait l'initiative financière des Premières nations. En juillet--donc, le même mois--l'APN a cautionné l'initiative financière des Premières nations et a donné comme instruction au Comité des chefs chargé des relations financières d'élaborer un projet de loi fédéral.
Ensuite, en août 2002, le chef national, Matthew Coon Come, a déclaré son appui et a envoyé à tous les chefs une copie de l'avant-projet de loi, ainsi qu'un guide à l'intention des collectivités pour expliquer le rôle des institutions financières proposées.
Nous arrivons ensuite au mois de novembre, et c'est là que, tout d'un coup, la situation a changé de façon dramatique. Expliquez-moi donc ce qui est arrivé au cours de cette période.
 (1235)
Le grand chef Charles Fox: Si ma mémoire est bonne, Stan, c'est la résolution de Halifax qui était la plus importante. Cette dernière demandait qu'un travail d'analyse et d'élaboration soit fait relativement aux quatre institutions financières.
Cette résolution n'a pas été adoptée avec une forte majorité, comme l'exige les statuts de l'APN. Il fallait que 60 p. 100 des votants y soient favorables. Je pense que seulement 55 p. 100 d'entre eux ont voté en faveur. Donc, on a trouvé un compromis politique : les deux groupes ont convenu d'établir un processus, de concert avec les chefs du Canada, pour faire faire ce travail, mais les dirigeants chargés de faire le travail d'élaboration relativement à ces institutions devaient ensuite faire rapport aux chefs.
En ce qui nous concerne, cet élément-là de l'accord n'a jamais été exécuté. Personne n'est jamais venu faire un rapport détaillé aux chefs et à l'Assemblée en disant : « Voilà ce que nous faisons et voilà à quoi ressemblera l'avant-projet de loi ». Si ma mémoire est bonne, c'est pourtant ça l'instruction qu'on leur avait donnée. Mais cela n'a jamais été fait.
Ce qui est arrivé par la suite, c'est que le projet de résolution a été déposé par le ministre lui-même devant les chefs et l'Assemblée, pour leur permettre de l'examiner, d'y proposer des modifications, de le rejeter, ou de tout simplement voter là-dessus. Mais cela ne s'est jamais réalisé.
Le pouvoir décisionnel de l'assemblée de l'APN lui a été retiré. Voilà ce qui est arrivé.
M. Stan Dromisky: Donc, ce qui semblait être une procédure tout à fait logique, que vous-mêmes aviez établie, s'est tout d'un coup effondré, c'est ça?
Le grand chef Charles Fox: Oui, à la toute dernière minute, le tout s'est effondré. En tout cas, c'est ainsi que je vois la chose, d'après mon souvenir. C'est bien malheureux.
À mon avis, il faut établir des partenariats et travailler de façon coopérative quand des questions importantes de ce genre sont en jeu; il faut que l'accord conclu soit sanctionné. En l'occurrence, on n'a jamais atteint la ligne d'arrivée. Tout ce projet a été relégué au second plan avant que l'assemblée des chefs de l'APN n'approuve le produit final.
M. Stan Dromisky: Merci beaucoup, Charles.
Le président: Merci, monsieur Dromisky.
Monsieur Hubbard.
M. Charles Hubbard: Merci, monsieur le président.
Quand nous écoutions l'exposé… à votre avis, chef, ce projet de loi est-il facultatif ou non? Et s'il était facultatif, l'accepteriez-vous?
Le grand chef Charles Fox: Disons que, personnellement, j'envisagerais de le faire. À l'heure actuelle, cette mesure semble surtout imposer des choses. Mais si on donne la possibilité aux Premières nations d'y participer ou non, je pense que nous pourrons toujours examiner cette formule-la.
M. Charles Hubbard: Je ne veux pas vous mettre sur la sellette en vous demandant ça, parce que nous sommes tous, je le suppose, comptable envers nos mandants. Dites-moi donc simplement si vous trouveriez cela acceptable, si la participation était facultative?
Le grand chef Charles Fox: Bonne question. Il faudrait que j'en discute devant l'assemblée des chefs de l'Ontario. Mais personnellement, j'estime qu'il n'y a pas de raison de ne pas examiner cette possibilité. Il n'y aurait pas de raison de ne pas peser le pour et le contre d'une telle formule.
 (1240)
M. Charles Hubbard: Vous dites qu'une centaine de Premières nations sont en faveur--c'est peut-être 100, ou 200, ou même 300. Mais à quel moment devons-nous décider que ce qui est proposé n'est pas acceptable parce que l'appui des intéressés n'est pas suffisant? Ou faut-il que tout le monde l'approuve avant que nous puissions envisager de l'adopter et d'en faire rapport à la Chambre?
Le grand chef Charles Fox: À mon avis, il ne s'agit pas tellement de fixer un seuil pour ce qui est du nombre de membres qui seraient prêts à accepter le projet de loi, même si une majorité suffirait, à mon avis. En ce qui me concerne, des projets conjoints, des partenariats et la coopération pour l'exécution de projets sont tous des priorités.
Il nous est possible de travailler ensemble, en tant que partenaires égaux, pour définir un plan d'action nous permettant de nous attaquer aux problèmes des premières nations au Canada, et poursuivre cette collaboration jusqu'à ce que nous en arrivions à un produit final, à mon avis, c'est ça qu'il faut faire. On ne peut pas permettre qu'une des parties impose sa volonté à l'autre, ou décide de se retirer d'un projet à la toute dernière minute, alors que les deux parties s'étaient engagées à aller jusqu'au bout.
Si nous cherchons une approche juste et équitable en vue de solutionner les difficultés des Premières nations au Canada, il faut que cette approche repose sur un véritable partenariat, et ce du début jusqu'à la fin.
M. Charles Hubbard: Monsieur le président, je ne sais pas si le grand chef Fox a pu entendre les exposés de ce matin; je pense que non, mais en tant que membre du comité, je dois dire que j'étais vraiment encouragé d'entendre parler ce matin des différentes possibilités qui sont examinées par les Premières nations, afin qu'elles puissent devenir davantage autosuffisantes. Nous comprenons très bien ce que vous dites au sujet des transferts fédéraux, qui sont très importants, et l'idée de voir quelles autres ressources pourraient être mises à votre disposition, dans le cadre d'un accord avec les administrations provinciales et fédérales.
En ce qui concerne le groupe de la Colombie-Britannique, à mon avis ce dernier estimait que des occasions intéressantes se présentaient, qu'il faudrait absolument saisir et qui pourraient leur permettre d'améliorer leurs relations financières dans différents domaines. Je serais très déçu, monsieur le président, si nous devions décider de refuser d'adopter un projet de loi qui permettra à ces Premières nations de prendre des mesures qui revêtent une très grande importance pour leur avenir.
Donc, chef, nous comprenons très bien votre point de vue--du moins, moi je le comprends très bien--mais j'espère que vous jugerez bon aussi de tenir compte des possibilités que d'autres voudraient explorer.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Merci, grand chef. Nous vous invitons maintenant à faire vos dernières observations.
Le grand chef Charles Fox: Merci, monsieur le président, de m'avoir donné cette occasion de faire un exposé sur le projet de loi C-19.
Pour ce qui est des remarques que vient de faire le dernier intervenant--excusez-moi, mais je ne souviens plus de votre nom--je dois vous dire qu'en tant que Première nation ontarienne, nous aussi, cherchons à saisir toutes les occasions qui se présentent. Dans ma région, soit le territoire Nisnawbe-Aski visé par le Traité no 9, la majorité des collectivités sont éloignées. Sur 49 collectivités, 34 sont éloignées et ne sont pas accessibles par la route. La question de l'accès aux ressources ne se pose même pas.
Si ce projet, c'est-à-dire les institutions chargées des relations financières, est un projet dont nous pouvons profiter, nous voudrons certainement le faire. Mais selon la structure actuelle, je ne pense pas que ce soit possible. Je vois mal les collectivités de ma région, ni même ma propre collectivité de Bearskin Lake, qui a 600 résidents, où 85 à 90 p. 100 des gens sont au chômage, n'ont aucun accès aux ressources, et ne sont pas vraiment incités à examiner les possibilités en matière de ressources, de développement économique ou de développement commercial, pourront vraiment bénéficier du travail de ces institutions.
Et en ce qui nous concerne, s'il est question de nous imposer la participation à leurs activités, que nous y consentions ou non, je dois vous dire que nous sommes très troublés devant cette perspective. S'il est vraiment question de s'asseoir pour déterminer quel peut être notre rôle en tant que Première nation, dans cette région éloignée de l'Ontario, et ce que nous pouvons faire pour améliorer notre autosuffisance et autodétermination, il est clair que nous voudrons certainement nous asseoir et participer à des discussions de bonne foi en vue de trouver des solutions.
À l'heure actuelle, avec ces institutions qui sont proposées, je vois difficilement comment nous pourrons faire. Cela ne veut pas dire que l'occasion ne se présentera pas. J'espère que dans un proche avenir, nous aurons justement l'occasion d'établir de véritables partenariats.
Merci.
 (1245)
Le président: Merci beaucoup, grand chef.
Je crois savoir que le chef Bressette voudrait apporter une petite mise au point. C'est bien ça? Nous pourrions faire cela tout de suite.
Chef Bressette, je crois savoir que vous aimeriez apporter une petite précision par rapport à votre exposé. Je vous invite à le faire tout de suite.
Le chef Tom Bressette: Oui, en effet. Merci, monsieur le président.
Je voulais simplement apporter une petite précision à propos des amendements dont j'ai parlé dans mon exposé, qui ont peut-être induit en erreur les membres du comité.
Je tiens donc à préciser qu'en ce qui me concerne, ce projet de loi n'a aucun vice de forme, et que j'y suis favorable. Les amendements que j'ai proposés dans mon exposé avaient pour objet de répondre aux préoccupations exprimées par des gens qui ont critiqué ce projet de loi. J'estime qu'il m'incombe, ne serait-ce que pour les fins du compte rendu, de vous informer de ces préoccupations.
Mais de façon générale, le projet de loi me semble tout à fait correct et je l'appuie. Je voulais que ce soit bien clair.
Le président: Autrement dit, votre intention, en faisant ces observations-là, n'était pas de faire retarder l'adoption du projet de loi. C'est bien ça?
Le chef Tom Bressette: C'est exact.
Le président: Je suis bien content que vous nous ayez apporté cette précision, car j'avais l'impression qu'avec autant d'amendements, l'adoption du projet de loi serait forcément retardée. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais je vous remercie de nous avoir éclairés en ce qui concerne votre position. Merci beaucoup.
Nous allons faire une pause de deux minutes pendant que nous enlevons tout l'équipement.
 (1248)
 (1250)
Le président: Nous reprenons nos travaux.
Je voudrais souhaiter la bienvenue à Deanna Hamilton, présidente et directrice générale de l'Administration financière des Premières nations, et à Tim Raybould, conseiller principal de direction. Nous vous invitons à faire des remarques liminaires, en espérant que vous laisserez assez de temps pour que les membres puissent vous poser des questions.
Je vois que vous êtes accompagnés d'un troisième collaborateur. Pourriez-vous nous le présenter?
Mme Deanna Hamilton (présidente et directrice générale, First Nations Finance Authority): Oui. Je vous présente Micha Menczer. C'est lui qui est chargé de ce dossier.
Le président: Merci. Je vous donne la parole. Vous pourrez commencer dès que vous serez prête.
Mme Deanna Hamilton: Merci. Je m'appelle Deanna Hamilton et je suis une femme Okanagan et membre de la Première nation de Westbank, située dans le centre-sud de la Colombie-Britannique. Je suis présidente et directrice générale de l'Administration financière des Premières nations.
Récemment, dans le cadre d'un festival de films présenté dans ma collectivité de Westbank, je regardais un film australien que certains d'entre vous avez peut-être vu. Ce film est intitulé « Rabbit-Proof Fence ». C'est l'histoire tout à fait poignante de trois jeunes filles autochtones qui s'enfuient de leur pensionnat dans les années 1930, après avoir été arrachées à leur mère et à leur collectivité par les autorités australiennes. Si j'ai trouvé difficile de regarder ce film, c'est parce qu'il y a 50 ans, et à pas plus de 200 mètres du cinéma, ma mère m'a protégée ainsi que mes frères et mes soeurs contre l'agent indien qui voulait nous enlever pour nous mettre en pensionnat. Bon nombre de mes camarades n'ont pas eu la chance. Il y en a beaucoup qui continuent à subir les contrecoups de ce traumatisme, d'être une génération perdue dont les plaies ne se sont jamais cicatrisées.
En quittant le cinéma de Westbank, je me suis tournée vers mon mari en lui disant à quel point ma vie aurait été différente si ma mère ne m'avait pas cachée. Je doute que je sois devant vous aujourd'hui, et je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'est donnée de vous présenter notre point de vue.
Comme vous le savez, les Premières nations du Canada se battent encore pour se libérer des effets de 127 ans de la Loi sur les Indiens. Nous essayons de rompre le cycle destructeur de dépendance qui a compromis gravement notre développement social et économique. Nous essayons de changer le système administratif qui a cherché à nous assimiler, mais qui n'a réussi qu'à nous aliéner de notre propre culture, tout en nous empêchant de faire notre place dans un monde moderne--un système d'administration qui est l'antithèse de ce que nous essayons de réaliser par l'entremise du projet de loi C-19, la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations.
Je suis heureuse de vous dire que l'initiative menée par les Premières nations dans tout le Canada et que reflète le projet de loi C-19 traduit une vision reposant sur la création d'institutions autochtones nationales qui pourront soutenir nos gouvernements autochtones et en être le fondement. Les Premières nations elles-mêmes déploient des efforts réels et concrets en vue de créer un meilleur avenir pour leurs collectivités, de stimuler la croissance économique dans les réserves, et de permettre à nos membres de jouir du niveau de vie que nous Autochtones tiennent pour acquis--ce qui n'est pas un objectif déraisonnable dans le Canada prospère que nous connaissons au XXIe siècle.
Comme nous le savons tous, il n'est jamais facile de changer. Et c'est d'autant plus difficile pour nous, qui sommes un peuple colonisé qui, d'une part, connaît ses droits, mais d'autre part, a peur de se prendre en main après tant d'années de subjugation et d'oppression. Mais l'année 1990 a marqué un tournant important, puisque c'est alors que certaines Premières nations au Canada ont commencé à prélever des impôts fonciers. Ce système donne de bons résultats. Les recettes fiscales ainsi générées permettent d'assurer des services locaux, qui est un élément fondamental et essentiel de toute structure gouvernementale.
Par contre, parmi les Premières nations, et surtout chez les non-Autochtones, cette initiative est considérée comme étant tout à fait révolutionnaire. Mais faut-il en être surpris?
En 1989, je suis retournée à ma collectivité de Westbank pour prendre ma retraite. Cela s'est produit à peu près au même moment où les Premières nations du Canada ont obtenu le pouvoir de prélever des impôts fonciers. Ma retraite n'a donc pas duré longtemps. On m'a demandé de mettre sur pied le premier bureau de la fiscalité des Premières nations, ce que j'ai accepté de faire. Nous avons eu de nombreux défis intéressants à relever, puisque nous avons été l'une des trois premières Premières nations à adopter des règlements administratifs sur les impôts fonciers et la fiscalité en général. Mais ça, c'est une autre histoire.
Peu de temps après la mise en place de nos systèmes d'impôts fonciers, un groupe de Premières nations a décidé qu'il nous fallait absolument trouver le moyen de profiter de cette nouvelle source stable de recettes fiscales prévisibles pour faire des emprunts qui profitent à la population--par exemple, pour construire des systèmes d'adduction d'eau et des égouts qui manquent dans nos collectivités mais que les non-Autochtones tiennent pour acquis, et l'infrastructure de base qui est requise pour favoriser le développement économique, augmentant ainsi nos recettes fiscales foncières et stimulant également la croissance économique.
C'est la Première nation de Westbank qui a été l'instigatrice de cette initiative. À l'époque, la Première nation de Westbank était en train de faire construire un système d'adduction d'eau extrêmement coûteux. Nous constations que les collectivités voisines non autochtones de Kelowna arrivaient à se constituer une infrastructure semblable de façon plus efficace et économique. Mais nous, nous nous heurtions à des obstacles et des lacunes législatifs. Il fallait absolument qu'on puisse profiter du moyen de financement qu'est l'émission d'une dette publique à long terme, et il nous fallait un cadre réglementaire qui nous permette de le faire.
La Première nation de Westbank a donc été l'hôte de deux conférences nationales qui ont attiré un grand nombre de participants en 1992 et 1993, afin d'examiner les différentes possibilités relatives à ce moyen de financement. Plusieurs modèles ont été étudiés. Étant donné que nos collectivités sont normalement petites et diversifiées, sous-développées et ont une capacité administrative limitée pour ce qui est de conclure des opérations financières complexes, nous avons envisagé de conjuguer nos efforts et de regrouper nos ressources.
L'approche adoptée consistait à suivre l'exemple de la Municipal Finance Authority de la Colombie-Britannique, soit la MFA, qui avait été couronnée de succès. Si nous avons retenu ce modèle, ce n'est pas parce que nous estimons que nos gouvernements sont comme des municipalités, mais parce que ce modèle favorisait la collaboration entre petits gouvernements. Bénéficiant à présent d'une cote AAA, la MFA a été créée sous le gouvernement créditiste de W.A.C. Bennett en 1970.
La MFA réunit tous les capitaux que requièrent les administrations locales de la Colombie-Britannique pour constituer leur infrastructure. Elle regroupe les besoins d'emprunt des administrations individuelles, émet des obligations, et prête ensuite le produit de ces émissions à ses membres. Grâce à des économies d'échelle et d'une bonne collaboration, la MFA a réussi à réduire considérablement le coût des emprunts pour les administrations locales de la Colombie-Britannique. Ce qui est encore plus important, c'est qu'elle a permis à toutes les administrations locales de la Colombie-Britannique, qu'elles soient en milieu urbain ou rural, et qu'elles soient grandes ou petites, d'accéder à des capitaux à prix abordable. Les membres du comité reconnaîtront certainement que l'accès aux capitaux constitue le moteur de toute collectivité, quelle que soit sa taille.
Selon le modèle de la MFA, toutes les administrations locales garantissent collectivement les emprunts des unes et des autres en offrant comme garantie leurs recettes fiscales foncières. Le coût des emprunts reflète ce crédit collectif. Si des agences internationales de cotation des titres comme Moody's ont donné une cote AAA à la MFA, c'est à cause de cette solidarité absolue, ce qu'on appelle l'approche des trois mousquetaires. Et ça marche; c'est une méthode d'auto-assistance qui favorise des collectivités viables.
En Colombie-Britannique, 212 administrations locales non autochtones profitent de l'avantage de cette cote AAA. Dans tout le reste du Canada, il y a seulement une douzaine d'autres administrations qui peuvent en dire autant. C'est très important et c'est un modèle que les administrations locales en Ontario cherchent à adopter.
En 1995, l'AFPN a été constituée en société pour qu'elle commence le travail d'élaboration d'une institution nationale de financement public à l'intention des Premières nations, qui fonctionnerait plus ou moins comme la MFA, l'idée étant de créer le premier organisme de crédit autochtone du monde. Ce dernier appartiendrait aux Premières nations et serait régi par elles, et ses membres en récolteraient les avantages.
L'AFPN a tout de suite commencé à regrouper les fonds d'investissement à l'intention des Premières nations. Il s'agit essentiellement de fonds mutuels visés par de faibles frais de gestion, qui sont gérés en collaboration avec la Municipal Finance Authority de la Colombie-Britannique. Une cinquantaine de Premières nations profitent actuellement des occasions que présentent ces investissements regroupés, et bien d'autres attendent de pouvoir participer au programme des obligations.
Cependant, notre objectif premier est de coordonner l'élaboration d'un cadre réglementaire pour le financement par emprunt à l'intention des Premières nations qui décident de passer par l'Administration pour faire leurs emprunts. Nous avons donc commencé à faire activement pression sur le gouvernement du Canada pour que ce dernier adopte les lois qui nous permettraient de recourir à cet instrument. Je précise que l'AFPN n'a pas encore émis d'obligations et a besoin d'un cadre réglementaire pour le faire.
La MFA régit de par sa propre loi qui précise les modalités de gestion et d'administration, et les règles visant l'émission de titres de créance. Voilà qui rassure les membres emprunteurs, qui garantissent collectivement ce crédit, de même que les marchés, qui savent alors que les obligations ainsi émises représentent un sain investissement.
La Loi sur la MFA était tout à fait avant-gardiste au Canada. Sur le plan international, on considère que la MFA représente un modèle important pour le financement par emprunt public. Ce modèle convient tout particulièrement aux collectivités autochtones, puisqu'il nous serait à peu près impossible d'employer ce même moyen individuellement; si nous le faisions, le coût de nos emprunts serait prohibitif.
Bien que l'AFPN s'appuie sur le modèle de la MFA, il y a nécessairement certaines différences au niveau de notre cadre législatif, étant donné que les Premières nations ne sont pas des municipalités et ont des droits législatifs inhérents. Le projet de loi C-19 a été rédigé en conséquence.
En rédigeant le projet de loi C-19, des considérations liées au marché ont primé.
 (1255)
Ainsi l'AFPN n'exercera aucun contrôle sur le taux d'intérêt fixé pour les obligations que nous émettons; ce taux sera plutôt établi par le marché, en fonction de la solidité de notre crédit collectif. Plus notre crédit est solide, plus nous obtiendrons de l'argent bon marché. Il faut se rappeler que les obligations que nous émettons ne s'appuieront pas sur des biens durables et qu'aucune terre n'est hypothéquée; c'est plutôt la force du régime d'impôts fonciers qui permet de soutenir ce crédit.
Dans le cadre de nos discussions avec Moody's Investment Services, Standard et Poors, et RBC Dominion Securities, nous nous sommes assurés que les marchés monétaires internationaux n'auront pas de mal à accepter notre structure, et que cette structure vaudra à l'Administration financière des Premières nations une cote élevée de solvabilité. Nous nous attendons à bénéficier d'une cote A au départ, et espérons obtenir une cote AAA à l'avenir. À ses débuts, la MFA avait une cote A.
Parmi les éléments du projet de loi qui viennent favoriser une bonne cote de solvabilité, mentionnons, d'abord, une procédure claire pour la détermination de l'admissibilité des Premières nations à ce type de financement, y compris l'accréditation, afin que ces dernières soient sûres de respecter nos normes de gestion financière; le contrôle du système par les Premières nations, nos conseils étant tous composés de membres des Premières nations élus par leur bande; l'existence d'un régime d'impôts fonciers stable, équitable, bien réglementé et certifié; une procédure de vérification bien claire, afin de garantir que les projets entrepris grâce aux revenus générés par les obligations sont viables et s'appuient sur une excellente capacité d'emprunt chez les Premières nations; un fonds de réserve au titre de la dette correspondant à 5 p. 100 des sommes empruntées, qui permettra de soutenir les obligations de l'AFPN et qui pourra être utilisé par cette dernière, le cas échéant, pour respecter ses obligations; et la capacité de l'AFPN de renflouer le fonds de réserve par le biais du prélèvement d'impôts fonciers, dans l'éventualité peu probable qu'on ait besoin du fonds.
Du moment que des Premières nations décident de passer par l'AFPN pour leurs emprunts--et donc de bénéficier du crédit collectif--elles devront s'engager à passer par l'Administration pour combler leurs besoins en matière de financement d'infrastructure, qui se sert des recettes fiscales foncières à cette fin et rembourse la dette sur une base prioritaire. Pour garantir l'intégrité des systèmes d'emprunt et la priorité des paiements, il convient d'établir une distinction très nette entre les comptes de recettes locales--c'est-à-dire les comptes de recettes fiscales foncières--et les autres recettes de la Première nation.
Au cours des premières années, nous nous attendons à ce que nos émissions d'obligations soient relativement peu importantes. Elles correspondront à environ 20 millions de dollars pour les trois premières années, à 30 millions de dollars pour les quatrième et cinquième années, et à 50 millions de dollars chaque année par la suite. Il est clair que les besoins sont en réalité beaucoup plus importants, mais nous préférons vous donner des chiffres conservateurs.
Selon nos attentes, qui sont bien fondées, des investisseurs institutionnels au Canada et à l'étranger achèteront les obligations émises par l'AFPN. Cependant, nous espérons aussi mettre des obligations à la disposition de clients du marché du détail qui voudraient investir dans les collectivités autochtones. Certains investisseurs internationaux s'intéressent déjà à nos obligations, puisqu'ils estiment qu'il s'agit d'un investissement conforme à l'éthique qui est donc extrêmement attirant de nos jours. Notre vision s'appuie sur la conviction que les Canadiens trouveront bientôt tout aussi normal d'acheter des obligations émises par les Premières nations pour leurs portefeuilles d'investissement ou leurs pensions que d'acheter des obligations fédérales, provinciales ou municipales au Canada. Tel est justement notre objectif à long terme.
Bien que les activités de l'AFPN seront extrêmement importantes pour ce qui est d'améliorer l'infrastructure de base de nos collectivités, ce n'est évidemment qu'une étape de notre développement. Nos services seront immédiatement accessibles à plus d'une centaine de collectivités qui prélèvent des impôts fonciers. Pensez aux avantages que cela représente pour les Premières nations qui seront admissibles; c'est une grande porte qui s'ouvrira à nos peuples dès lors que le projet de loi C-19 aura force de loi. Les Premières nations bénéficieront collectivement d'un crédit solide.
Cependant, vous et moi ne devons pas perdre de vue le fait que la situation de bon nombre de nos collectivités est tout à fait catastrophique. L'idée de prélever des impôts fonciers et de favoriser le développement économique ne leur a jamais effleuré l'esprit. Comme le signale de nombreux organismes nationaux et internationaux dans leurs rapports, bien des collectivités autochtones sont aux prises avec le problème d'un taux de suicide inacceptable, la misère noire, et un très grave malaise social. Il est tout à fait inadmissible qu'une telle situation perdure au Canada en 2003.
L'AFPN n'a jamais prétendu qu'elle serait à même de régler tous nos problèmes sociaux ou de contrer les effets dévastateurs de notre triste passé colonial. Bien entendu, l'AFPN ne saura se substituer à la responsabilité collective vis-à-vis de toutes les Premières nations et du processus national de guérison et de réconciliation vivement recommandé par la Commission royale sur les peuples autochtones.
La participation au système mis en place par l'AFPN ne saurait aucunement remplacer les engagements fédéraux en matière d'infrastructure, car c'est dans ce domaine que les collectivités ont le plus besoin de crédits. L'infrastructure qui permet de favoriser le développement économique ne peut être assimilée au genre d'infrastructure de base qui permet de sauver des vies.
· (1300)
L'AFPN est conçue de telle manière que les Premières nations pourront faire front commun sur le plan économique et cette dernière sera tout à fait apolitisée. Pour l'AFPN, les Premières disposeront désormais d'une économie interconnectée, plus puissante et plus viable que celles de leurs collectivités individuelles.
Je reconnais avec tristesse que certains dirigeants autochtones s'opposent à cette initiative, bien qu'elle soit pilotée par les Premières nations et que des dirigeants autochtones raisonnables soient convaincus de sa grande utilité dans le contexte actuel. Mis à part le jeu politique de l'Assemblée des Premières nations, si certains s'y opposent, à mon avis, c'est parce qu'ils craignent que la vue d'ensemble soit perdue et qu'on cesse de s'intéresser aux besoins impérieux de nos peuples si l'on insiste sur l'aspect économique. Il convient de les rassurer à cet égard : ce n'est pas le cas. La gamme des questions stratégiques auxquelles le Canada se trouve confrontée est vaste, et nous avons tous un important défi à relever à cet égard.
Ceux et celles d'entre nous qui participons à cette initiative de financement espérons que l'exemple que nous donnons en définissant notre propre solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés fasse la démonstration que dans nos collectivités individuelles, il y a moyen de faire des petits pas qui sont tout de même des pas importants vers la rupture du joug du colonialisme qui nous permettra de redevenir autonomes.
Même s'il faudra peut-être un certain temps avant que certaines collectivités décident d'avoir recours à l'AFPN ou d'adhérer à son régime, nous finirons par en être tous les partisans.
L'AFPN mènera ses activités dans un contexte purement économique et privé, et ces dernières n'influeront d'aucune sorte sur les revendications ou les réclamations de notre peuple contre la Couronne. L'AFPN ne constituera aucunement une menace pour les droits ancestraux et les droits issus de traités, et ne devrait pas être considérée comme telle. Pour que la situation soit bien claire, je demande respectueusement l'inclusion dans le projet de loi C-19 d'une clause de non-dérogation. Voilà qui permettrait d'atténuer grandement les critiques et les craintes formulées à l'égard de cette initiative relative aux institutions financières, dont la grande majorité sont infondées.
Les institutions en question, y compris l'AFPN, sont créées par suite d'une initiative prises par les Premières nations. Elles sont créées dans le contexte d'un Canada uni; nos Premières nations font partie intégrante de la mosaïque qui caractérisera toujours le Canada. En établissant ces institutions, nous créons effectivement une nouvelle entité au sein de l'appareil fédéral, soit des institutions autochtones dont la mission consistera à sauvegarder nos droits indéfectibles, pour que nous soyons maîtres de notre destin. Le projet de loi C-19 nous permettra effectivement de le faire.
La création d'institutions autochtones nationales suppose tout de même un certain nombre de difficultés. Comment fait-on pour créer une institution autochtone indépendante? Bien que cela ne pose aucun problème dans le cas de l'AFPN, qui sera administrée par un conseil d'administration élu, la procédure de nomination des administrateurs des trois autres institutions--soit la Commission de la fiscalité, le Conseil de gestion financière, et l'Institut de la statistique--a suscité un certain débat. Comment pouvons-nous nous assurer que les Premières nations seront représentées au sein de ces institutions, lorsque c'est le gouverneur en conseil qui fait les nominations? Le gouvernement a donné des assurances à ces institutions que ce sont des représentants des collectivités autochtones qui seront nommés à ces postes.
En terminant, il ne faut pas perdre de vue l'importance de ce moment historique. Cette initiative a exigé la participation d'un grand nombre de personnes. En l'absence de ces partenariats, il n'aurait jamais été possible de réaliser de tels progrès. En dernière analyse, créer un meilleur avenir pour les Premières nations nécessite du leadership et une vision. Cela nécessite aussi la création d'une symbiose qui va au-delà des barrières culturelles, de la politique partisane, des griefs historiques, et des réalités de la vie contemporaine dans les réserves.
Je demande donc au comité de terminer son examen du projet de loi C-19 le plus rapidement possible, pour qu'il puisse être adopté avant l'ajournement de la Chambre.
Quand je pense à ce que je vous disais au début de mes remarques liminaires--l'histoire de ces trois jeunes filles qui se sont enfuies du pensionnat parce qu'elles savaient en leur for intérieur qu'elles n'étaient pas à leur place, je me rends compte des similitudes entre l'histoire du Canada et de l'Australie du point de vue de leur impact sur les peuples autochtones.
Il est tout de même significatif que l'AFPN soit la première agence de crédit autochtone du monde à être cotée par une agence internationale de cotation des titres. Comme le diraient les spécialistes, ce sera la première fois qu'il existera un établissement de crédit autochtone. Nous devrions tous en être très fiers.
Ensemble, le Canada et les Premières nations pourront donner l'exemple et prouver à quel point la coopération peut être un puissant instrument, à mesure que les Premières nations prennent les mesures qui lui permettront de reprendre la place qui lui revient au Canada. Le projet de loi C-19 constitue une étape importante vers l'atteinte de cet objectif--une étape que nous passons ensemble.
Merci infiniment de votre bienveillante attention.
· (1305)
Le président: Merci, beaucoup, madame Hamilton, pour cet excellent exposé.
Nous allons maintenant ouvrir la période des questions.
Monsieur Vellacott, vous avez six minutes.
M. Maurice Vellacott: Je ne voudrais pas vous sembler méchant, mais disons que vos arguments ne me convainquent pas du tout. Comme nous avons des témoins, je me permets de vous dire qu'à mon avis, les gens de la Colombie-Britannique sont motivés par… et l'historique que vous nous avez fait de la question ne fait que confirmer cet état de choses.
La question que je voudrais vous poser est celle-ci : pourquoi ne pas maintenir l'AFPN actuelle, constituée sous le régime de la loi fédérale, et reposant sur le modèle de la MFA, au lieu de nous faire adopter ce projet de loi C-19, qui crée encore plus de pression, forçant encore plus de bandes à y adhérer…? Vous trouvez peut-être que je m'exprime en termes un peu trop énergiques, ou disons que vous ne serez peut-être pas d'accord avec ce que je dis, mais j'aimerais savoir pourquoi vous ne voulez pas tout simplement garder l'AFPN actuelle?
J'ai l'impression que cette initiative répond davantage aux besoins des bandes plus riches de la Colombie-Britannique. Pour moi cette loi ne bénéficiera pas à beaucoup d'Autochtones, et au contraire, ils s'y opposent, comme le chef Charles Fox. Toutes les bandes seront visées par cette loi, et ce sont elles qui en paieront le prix--étant donné que le coût de ce projet devra être financé par les transferts--qu'elles y participent ou non.
Pourquoi donc ne pas tout simplement garder l'AFPN actuelle, l'organe constitué sous le régime de la loi fédérale, au lieu d'adopter ce projet de loi? Quelle différence cela va-t-il faire?
· (1310)
Mme Deanna Hamilton: Cela fera une très grande différence si vous voulez faire des emprunts aux taux du marché de gros, plutôt que le marché du détail.
M. Maurice Vellacott: Donc, en forçant les bandes à participer et en exerçant davantage de pression sur elles pour adhérer au nouveau régime, vous réussirez à obtenir de meilleurs taux? C'est ça que vous nous dites?
Mme Deanna Hamilton: Il faut éviter de forcer qui que ce soit. Personne ne sera forcé à participer à cette initiative.
M. Maurice Vellacott: Dans ce cas, pourquoi ne pas faire comme maintenant--c'est-à-dire continuer d'avoir une quarantaine de bandes qui participent à l'AFPN, avec la possibilité pour les autres de faire partie, elles aussi, de cet organisme constitué sous le régime de la loi fédérale? Je ne comprends pas pourquoi nous avons besoin de ce projet de loi.
Mme Deanna Hamilton: Parce qu'il nous faut cette sécurité, pas seulement pour les personnes qui se regrouperont pour bénéficier de taux inférieurs, mais pour les prêteurs; les prêteurs voudront avoir la certitude que les dettes seront remboursées. Par conséquent, il nous faut absolument cette loi.
M. Maurice Vellacott: Très bien. Donc, quand le projet de loi C-19 sera en vigueur, avec le gouvernement du Canada comme garantisseur… C'est de ça que vous parlez…?
Mme Deanna Hamilton: Non, ce n'est pas le gouvernement du Canada qui garantit ces dettes.
M. Maurice Vellacott: Alors en quoi est-ce que cette loi vous donne plus de sécurité?
Mme Deanna Hamilton: Elle nous donne plus de sécurité parce que tous ceux qui feront partie de ce regroupement devront se conformer à l'ensemble des règlements, pour que nous puissions conserver cet avantage collectif.
M. Maurice Vellacott: Mais dans le cas de l'AFPN actuelle, n'y a-t-il pas déjà des règlements auxquels tous ceux qui y participent doivent se conformer? Vous avez déjà des règlements.
Mme Deanna Hamilton: Oui, nous en avons pour les fonds communs d'investissement, parce que ces derniers sont déjà en place. Vous pouvez certainement vous imaginer qu'il est beaucoup plus facile d'investir que d'emprunter. Si moi, je vous fais confiance, et de votre côté, vous me faites confiance pour tenir ma parole, si bien que nous décidons de faire un emprunt ensemble, je voudrais nécessairement m'assurer que vous tiendrez parole en respectant les conditions qui vous concernent relativement à cette dette. Voilà ce que nous permet de faire cette loi.
M. Maurice Vellacott: Mais vous émettez déjà des obligations--
Mme Deanna Hamilton: Non, nous n'émettons pas d'obligations en ce moment. Nous attendons l'adoption du projet de loi. Aux termes de l'actuelle Loi sur les Indiens, il ne nous est pas possible de faire des emprunts.
M. Maurice Vellacott: Dans ce cas, quelqu'un devrait aller voir ce que vous dites sur votre site Web--cela de l'Administration financière des Premières nations, car on y lit ceci : « Les Premières nations se servent du produit des émissions d'obligations pour se constituer une infrastructure communautaire, c'est-à-dire des égouts, des routes et des systèmes d'eau. » Là je vous cite le texte qu'on trouve sur votre site. On y dit également : « Ces obligations de bonne qualité sont garanties par les recettes fiscales foncières », etc., etc.
En lisant les textes qui se trouvent sur votre site Web actuel, on a l'impression que vous faites déjà ce genre de choses.
Mme Deanna Hamilton: Je suis désolée. Les verbes devraient être au futur, parce qu'il s'agit des activités que nous mènerons quand ce projet de loi sera en vigueur.
M. Maurice Vellacott: Très bien. C'est tout de même une assez grave erreur. On y parle d'une administration financière à but non lucratif qui dessert les gouvernements autochtones--tout cela est rédigé au temps présent. Ensuite on dit que ce projet de loi fait partie d'une série de lois visant à créer des institutions autochtones nationales qui seront dirigées par les Premières nations.
Mon autre question est celle-ci : pour ce qui est d'obtenir le financement requis sur la base de revenus autre que les impôts fonciers, il n'est pas clairement indiqué dans quelle mesure les transferts fédéraux aux Premières nations seraient inclus à titre d'autres recettes. Il paraît que la Couronne doit être d'accord avec l'utilisation des transferts dans ce contexte.
Est-ce que cela veut dire que nous risquons de manquer de crédits pour financer les soins de santé, l'éducation, etc. si les recettes fiscales foncières de même que les transferts fédéraux doivent servir de garantie?
Mme Deanna Hamilton: Il y a une disposition qui nous permet de le faire, mais je présume que ce serait pour financer l'aménagement de l'infrastructure, plutôt que les soins de santé, l'éducation, et d'autres services. Et la Première nation concernée serait tenue de conclure une entente avec le Canada au préalable.
M. Maurice Vellacott: Est-ce que le projet de loi précise que cela ne concerne que les crédits consacrés à l'aménagement de l'infrastructure? Il me semble que cela donne l'impression que d'autres revenus… Mais ces autres revenus ne sont pas définis. Certains se demandent donc si les transferts fédéraux pourraient être considérés comme d'autres revenus. Y a-t-il une disposition qui précise que telle n'est pas l'intention, ou que les transferts sont exclus?
Mme Deanna Hamilton: La nature des autres revenus sera précisée dans les règlements d'application, comme l'expliquaient tout à l'heure d'autres personnes qui voudront peut-être profiter des revenus qu'ils tirent de l'exploitation de certaines ressources.
Mais encore une fois, tout cela sera explicité dans le règlement d'application.
M. Maurice Vellacott: Je vais donc vous poser une autre question, encore une fois en rapport avec les programmes d'infrastructure locaux qui passent par Travaux d'infrastructure Canada. Cela veut-il donc dire que si vous faites partie de l'AFPN, vous ne pouvez obtenir des fonds de ces deux sources? Autrement dit, vous recevrez des crédits par l'entremise de l'AFPN pour les travaux d'infrastructure, ou encore par l'entremise de l'autre programme, mais vous n'aurez pas accès à ces deux sources de financement.
Mme Deanna Hamilton: D'après ce que disait le ministre, non. Il disait que l'un n'aurait aucun effet sur l'autre.
En tant que conseillère auprès de ma bande, je sais que nous avons conclu une entente selon laquelle nous avons à la fois bénéficié des crédits du gouvernement du Canada au titre de l'infrastructure et inclus ces crédits avec nos recettes fiscales. Nous avons également reçu des subventions, et ainsi nous avons pu transformer un petit montant en un montant assez considérable qui a vraiment eu beaucoup d'impact sur notre collectivité au niveau du service d'égout, puisque nous avons pu conclure une entente avec la région pour--
· (1315)
M. Maurice Vellacott: Je comprends ce que vous dites, Deanna.
Le président: Désolé, mais votre temps est écoulé.
Maintenant c'est le tour de Mme Pauline Picard, qui dispose de cinq minutes.
[Français]
Mme Pauline Picard: Merci, monsieur le président.
Bonjour. J'ai bien écouté votre exposé, que j'ai trouvé très intéressant. Dans une partie de celui-ci, vous avez élaboré un principe qui me touche particulièrement.
Avant d'être députée, il y a 10 ans, je travaillais au développement de l'autonomie de femmes qui étaient démunies à plusieurs égards, entre autres socialement et financièrement. Ces femmes avaient vécu des choses très difficiles. Après que nous ayons travaillé avec elles, que nous ayons vécu certaines expériences et réalisé des études sur la question, nous nous sommes rendu compte que l'atteinte de l'autonomie chez les femmes passait nécessairement par l'autonomie financière.
Aujourd'hui, il faut avoir de l'argent pour être en mesure de développer nos infrastructures, de nous loger, de nous nourrir, de nous vêtir, de nous faire soigner et d'envoyer nos enfants à l'école. De toute évidence, nous devons nous doter d'institutions pour être capables de développer nos richesses. En tant qu'humains, nous devons développer nos capacités et pour cela, il faut des sous.
Je tenais à vous transmettre cette information, qui n'est qu'un argument de plus pour vous dire que je suis d'accord sur votre analyse.
Voici maintenant ma question. Le grand chef Charles Fox nous a dit plus tôt que d'après lui, aucune consultation n'avait été menée auprès des communautés autochtones. Il semblait dire aussi que seulement un petit groupe était en faveur du projet de loi C-19 et que c'était pour des motifs purement mercantiles. Est-ce que vous êtes d'accord?
D'abord, est-il vrai qu'il n'y a eu aucune consultation?
[Traduction]
Mme Deanna Hamilton: Il est certain qu'il y a eu des consultations. Comme nous l'avons déjà dit, l'avant-projet de loi a été soumis à l'examen des membres dans tout le Canada à trois reprises. D'abord, par les institutions financières, ensuite, par le bureau du ministre, et après cela… Je sais que l'information leur a été communiquée trois fois. De plus, nous avions en main six résolutions émanant de l'APN qui soutenait cette initiative au moment de la présenter aux confédérations, etc. Bien qu'il ait affirmé, par exemple, que ce projet n'avait pas reçu l'appui nécessaire au congrès de Halifax, j'ai le texte de la résolution devant moi qui a été présentée lors du congrès tenu du 17 au 19 juillet 2001, si jamais cela vous intéresse. Non seulement cette résolution a été cautionnée par l'assemblée mais elle a été adoptée. Je vais vous le lire :
IL EST EN OUTRE RÉSOLU QUE les chefs de l'assemblée cautionnent par la présente la recommandation du Comité des chefs selon laquelle les quatre nouvelles institutions financières autochtones nationales soient établies par l'entremise de la loi fédérale provisoirement nommée la Loi sur les institutions financières des Premières nations; et |
IL EST DE PLUS RÉSOLU QUE le Comité des chefs chargé des relations financières poursuive ses travaux en vue de la création desdites institutions financières autochtones nationales, et surtout que le chef national et le Comité exécutif de l'Assemblée des Premières nations, les coprésidents et représentants du Comité des chefs chargé des relations fiscales, ainsi que l'équipe de soutien technique et le personnel approprié du Secrétariat… |
À mon avis, beaucoup d'information a été communiquée aux membres. En ce qui concerne l'Administration financière des Premières nations, je sais que de notre côté, nous publions un rapport annuel depuis 1995. Chaque année ce rapport annuel est envoyé à toutes les Premières nations du Canada. Nous avons également présenté cette initiative à de nombreuses réunions et conférences, pour que tout le monde soit informé de ce projet. Donc, pour moi, les consultations menées à ce sujet ont tout de même été assez considérables.
· (1320)
Le président: Merci, madame Picard.
Avez-vous demandé la parole, monsieur Dromisky?
M. Stan Dromisky: Oui.
Le président: Je ne vois pas votre nom sur la liste, monsieur Dromisky, mais je vous donne la parole quand même.
M. Stan Dromisky: Désolé. J'ai deux très brèves questions à poser.
D'abord, l'initiative que vous prenez est pour moi quelque chose de dynamique. Il convient de vous féliciter de votre capacité de collaboration. C'est très excitant.
Je me pose des questions au sujet des règlements provinciaux. Les règlements provinciaux ont-ils influencé de quelque façon que ce soit sur votre capacité de demander le rezonage de vos terres, par exemple, pour créer un parc industriel? Les règlements provinciaux ont-ils influé de quelque façon que ce soit sur ce genre de décision? Parallèlement, au cas où vous auriez déjà un parc industriel qui vous procure des rentes grâce à vos locataires, si vous voulez encourager les entreprises à s'implanter dans votre parc industriel et leur offrir des conditions très favorables--par exemple, de très faibles impôts ou pas d'impôts du tout… Êtes-vous entièrement libres d'agir dans ces deux domaines?
Mme Deanna Hamilton: Ce projet de loi n'aborde pas ce genre de question. Étant moi-même membre d'une collectivité autochtone, je sais que ce genre de décision appartient inclusivement à la collectivité, et c'est le genre d'initiative qui est actuellement étudiée par les collectivités autochtones.
M. Stan Dromisky: Mais je ne parle pas de ce projet de loi-ci. Je parle plutôt de l'impact des règlements provinciaux sur les décisions que vous pourriez prendre en matière de taxes ou d'impôts, de zonage, et de tout ce que je viens de mentionner.
Mme Deanna Hamilton: Non, ils ne s'appliquent pas dans les réserves.
M. Stan Dromisky: Donc, vous dites que les règlements provinciaux ne s'appliquent pas ou du moins n'influent aucunement sur vos décisions à cet égard?
Mme Deanna Hamilton: Non.
M. Stan Dromisky: Très bien. C'est intéressant. Mais je crois comprendre--et je me trompe peut-être, puisque ça m'arrive souvent--que dans votre province, il y a plus de 130 collectivités autochtones.
Mme Deanna Hamilton: Non, il y en a 197.
M. Stan Dromisky: C'est beaucoup. On m'a donné à entendre que votre province est celle qui n'a pas de traités; autrement dit, que vous en avez peu, ou peut-être même pas du tout.
· (1325)
Mme Deanna Hamilton: Nous en avons peu.
M. Stan Dromisky: Très peu. Bon. Dans ce cas, votre situation est peut-être un peu différente pour ce qui est du développement et du genre d'initiative que vous prenez actuellement, par rapport aux membres de Premières nations vivant dans des provinces ou des régions du Canada où il existe des traités. Donc, la situation varie, selon que les Premières nations sont visées ou non par des traités.
Est-ce que les membres des Premières nations qui sont visées par des traités spécifiques pourraient constituer un obstacle au genre de développement qui s'est déroulé dans votre province, sur vos territoires et dans vos collectivités?
Mme Deanna Hamilton: Je ne crois pas. Cela ne devrait pas influer sur les droits issus de traités, les droits ancestraux, etc. Il s'agit là d'un projet de loi purement technique qui nous fournit simplement les outils dont disposent tous les autres gouvernements. Ce n'est pas un projet de loi d'ordre politique.
M. Stan Dromisky: Oui, je comprends. Avec tout le sentiment qu'au cours des 10 dernières années, votre collectivité, du fait de ne pas être visée par un traité, aurait joui de réels avantages par rapport à d'autres régions du pays où s'appliquent des traités? À votre avis, y a-t-il un avantage à ne pas être visé par un traité?
Mme Deanna Hamilton: Non, je ne vois pas comment.
M. Stan Dromisky: C'est juste qu'une fois qu'on traverse les montagnes et qu'on se trouve de l'autre côté, il se passe quelque chose; le temps change. Je me demande donc s'il n'y aurait pas une sorte de liens non seulement avec la Loi sur les Indiens, mais avec les traités qui existent actuellement et la façon dont les gens perçoivent les contrôles qui peuvent y être prévus.
Je trouve très étrange que dès lors qu'on traverse les montagnes, le sentiment des gens concernant ce projet de loi semble bien différent.
Le président: Merci, monsieur Dromisky. Il reste une minute pour Mme Karetak-Lindell.
Mme Nancy Karetak-Lindell: Notre dernier témoin, le grand chef Charles, parlait du fait que ce projet de loi n'est pas vraiment facultatif; il disait qu'à son avis, une fois que cette loi serait en vigueur, les différentes collectivités autochtones seraient tenues de s'y conformer. Je me demande simplement si vous voulez répondre à cette affirmation.
Mme Deanna Hamilton: Ce projet de loi est bel et bien facultatif. S'il est facultatif, c'est parce qu'il n'y a rien dans ce projet de loi qui force une collectivité à prélever des impôts ou à mener des activités dans ce domaine. Bien entendu, si vous n'avez pas de telles activités, la participation à l'Administration financière des Premières nations est nécessairement facultative, car de toute façon, vous n'auriez pas l'occasion de participer. Toutefois, même si vous avez déjà un régime d'imposition, vous devrez vous conformer à tous les critères pour être en mesure de prouver que votre gestion financière est bonne, que vous avez la capacité d'emprunt nécessaire, et que toutes les mesures de protection requises sont en place, afin que vous puissiez faire de bons emprunts. Tout cela devra être en place avant qu'une Première nation puisse présenter une demande à l'Administration financière des Premières nations en vue de recourir à ses services.
Le président: Madame Karetak-Lindell, merci.
M. Vellacott, vous avez trois minutes.
M. Maurice Vellacott: Je voudrais revenir sur quelque chose que vous avez mentionné tout à l'heure, Deanna. Vous êtes tellement positive et gentille qu'il m'est difficile d'être trop sévère au niveau des questions que je vous pose. Vous faites vraiment très bonne impression aujourd'hui.
Voilà ce que vous avez dit--et c'est marqué ici :
L'Administration financière des Premières nations (AFPN) permettrait aux Premières nations d'émettre des obligations collectivement et de réunir des capitaux à long terme sur le marché privé à des taux préférentiels, pour leur permettre de faire construire des routes, des systèmes d'adduction d'eau, des égouts et d'entreprendre d'autres projets d'infrastructure. |
Il ne faut pas être naïf, et du moment que les gens sont conscients de tout cela… À mon avis, il ne faut pas être naïf dans ce contexte, parce que c'est bien important. Si le projet de loi C-19 est adopté et promulgué, de telle sorte qu'une bande « fait partie d'une Première nation, et donc de l'AFPN », le ministre vous dira, lorsque vous lui demanderez des crédits dans le cadre des programmes de travaux d'infrastructure qui relèvent du MAINC « Vous faites partie de l'AFPN, alors adressez-vous à l'AFPN », et vous devrez vous adresser à cette dernière pour voir si vous pouvez obtenir les crédits requis. Si cela ne marche pas, je suppose que vous pourrez ensuite présenter une demande à Travaux d'infrastructure Canada.
Mais il ne faut pas se leurrer; il faut que les Premières nations sachent à quoi s'attendre. À mon avis, ce sera ça la procédure à suivre, et donc, si la demande que vous présentez à l'AFPN est refusée, vous pourrez peut-être obtenir quelque chose dans le cadre de l'autre programme. Mais à mon avis, ce ne serait pas tellement logique que le ministre vous dise que vous pourrez faire les deux. Du moment que vous ferez partie de l'AFPN, c'est à cette dernière que vous voudrez vous adresser en premier.
Êtes-vous en désaccord avec ce scénario-là? Je ne vois pas tellement comment vous pourriez l'être.
Mme Deanna Hamilton: Écoutez, j'ai accepté la parole du ministre hier, lorsqu'il a déclaré que les deux n'étaient pas liés, et qu'on aurait toujours accès à l'un si on avait recours à l'autre. De toute façon, je ne suis pas sûre que le Canada ait envie d'être responsable de tout.
M. Maurice Vellacott: Non, c'est vrai, et je suis convaincu que c'est justement cet argument-là que le ministre ferait valoir. À ce moment-là, cette responsabilité incomberait aux Premières nations; ce sont elles qui devraient nécessairement supporter une charge plus lourde.
Mais il faut savoir comment ça marche ici. J'ai entendu les propos du ministre. En fait, c'est même moi qui lui ai posé la question hier. Il faut comprendre comment ils présentent les choses, avec toutes sortes de nuances et d'ambiguïté du point de vue des termes qu'ils choisissent. À mon avis, les gens se trompent lourdement s'ils pensent qu'ils auront le même accès aux deux programmes. Par conséquent, les gens seront bien obligés de passer par cette institution, et je pense que vous-même l'avez admis. Le ministre vous dira de vous adresser à l'AFPN, et par conséquent, vous n'aurez pas accès aux deux.
Mme Deanna Hamilton: Je peux tout de même vous affirmer--et là je vous parle à titre de membre de la collectivité, d'inspectrice des contributions directes et d'ancien membre du conseil--que tel n'était pas le cas à Westbank. Chez nous, nous avons pu prendre les crédits accordés au titre des travaux d'infrastructure, et au lieu de construire une toute petite chose que nous devrions normalement enlever l'année d'après pour construire quelque chose de plus grand--comme cela se passe normalement dans les collectivités autochtones--nous avons pu nous servir de cette mise de fonds pour en obtenir beaucoup plus, étant donné que nous avions aussi des recettes fiscales foncières stables.
Donc, nous avions des recettes fiscales, les crédits accordés par le gouvernement canadien au titre des travaux d'infrastructure, et nous avons également pu obtenir des subventions en vertu de certains programmes. Si je ne m'abuse, ils nous ont dit que c'était la première qu'une collectivité s'organisait de cette façon. Nous avons donc réussi, à partir d'un engagement de 1,3 million de dollars de notre part, à entreprendre un projet d'une valeur de 6,2 millions de dollars, ce qui est très, très précieux pour notre collectivité et permettra de faire tout ce que nous visons justement dans ce projet de loi--c'est-à-dire de favoriser le développement économique et donc d'accroître la capacité de créer des emplois.
De plus, les membres des Premières nations peuvent ensuite profiter de l'infrastructure ainsi constituée et mener leurs propres activités commerciales. Par le passé, c'était tout à fait impossible, étant donné que le ministère des Affaires indiennes n'accorde aucune aide financière au titre de l'infrastructure ou du développement économique. Le ministère nous donne de l'argent uniquement pour répondre à nos besoins, comme, par exemple, dans le domaine du logement.
Donc, notre expérience a été tout à fait l'inverse. Et je ne peux que me fonder sur mon expérience.
· (1330)
Le président: Merci, monsieur Vellacott.
Madame Karetak-Lindell.
Mme Nancy Karetak-Lindell: Merci.
Pour revenir un peu sur ce que je vous disais tout à l'heure, c'est le sort des petites collectivités qui semble susciter des inquiétudes. Moi, je peux très bien comprendre ces inquiétudes parce que je représente une circonscription électorale qui comporte un certain nombre de collectivités très isolées qui ont une très faible population, soit 300, 500 ou 600 résidents.
J'aimerais que vous me donniez un exemple du genre de collaboration qui existe entre les petites collectivités. Quel scénario entrevoyez-vous? Faudrait-il que les collectivités qui collaborent soient dans une même province? Pourraient-elles être situées dans différentes régions du pays?
À mon avis, je trouve bien encourageant d'apprendre que cette initiative profitera aux petites collectivités, car nous savons bien que les grandes collectivités peuvent généralement se débrouiller toutes seules. Ce sont les plus petites collectivités qui ont tendance à être laissées derrière.
De plus, puisqu'il me reste encore quelques minutes, je précise que je compte proposer un amendement concernant la clause de non-dérogation, parce que pour moi, cette dernière est bien importante.
J'aimerais vous entendre, cependant, si vous pouvez me citer d'autres exemples des avantages que cela comporte pour les plus petites collectivités.
Mme Deanna Hamilton: C'est justement ça que l'on vise avec ce projet. L'objectif premier--et si nous avons adopté ce modèle, c'est parce que dans toutes les régions du pays, il existe de toutes petites collectivités qui ont également besoin d'infrastructure, etc., pour pouvoir bien ancrer leurs activités économiques et prendre les mesures nécessaires pour se lancer.
Ce qu'il y a de positif dans cette initiative, c'est qu'elle permet à d'autres d'étendre les avantages dont jouissent les grandes collectivités. Je vous cite l'exemple de la Colombie-Britannique. En Colombie-Britannique, lorsque la Municipal Finance Authority a été mise sur pied, elle englobait tout le monde dans la province à l'exception de Vancouver, parce que Vancouver estimait qu'elle était en mesure de faire cavalier seul et qu'elle pourrait s'en sortir mieux que toutes ces autres petites collectivités, et de toute façon, elle n'avait pas envie d'assumer toute cette responsabilité, etc.
Mais il se trouve que c'est Vancouver qui fait maintenant des emprunts auprès de la MFA, parce que la MFA, même si elle compte parmi ses membres toutes ces collectivités, petites, moyennes et grandes, à la fois en milieu rural et urbain, elle a systématiquement une cote AAA. Cet avantage profite même à la plus petite des collectivités. Nulle part ailleurs serait-il possible de faire en sorte que tant de gens profitent d'une toute petite chose.
Le président: Merci, madame Karetak-Lindell.
Je vous donne maintenant la parole pour faire vos dernières observations.
Mme Deanna Hamilton: Merci.
La première chose que je voudrais vous dire, encore une fois, c'est qu'il n'est jamais facile de changer. Je suis bien placée pour vous l'affirmer parce que voilà 12 ans que je me consacre à la préparation de ce projet de loi, et je trouve que ce dernier nous offre vraiment des possibilités très intéressantes. Quand j'ai commencé ce travail, j'ai pensé que cela ne prendrait pas plus de quelques années. Quand un projet semble tellement logique, on se dit : comment est-ce possible que cela prenne plus de deux ans? Mais 12 ans plus tard, nous en sommes toujours là.
Je me permets aussi de vous rappeler que nous avons insisté sur l'urgence de cette initiative. Pour moi, ce projet est urgent. Il faut absolument qu'on puisse se prévaloir de ce genre de possibilité. Voilà 12 ans que nous préparons le terrain. Il y a des collectivités qui ont besoin de services, pas seulement pour elles-mêmes, mais pour favoriser le développement économique, etc., ce qui permet de générer des revenus de sorte que le développement se réalise et que le bien-être des collectivités s'améliore.
Voilà déjà quelque temps que nous en discutons avec les agences de cotation des titres. Nous leur avons fourni notre avant-projet de loi en leur disant : y a-t-il des éléments qu'il faut améliorer? Je serais donc très déçu si nous perdions cette occasion de progresser et d'obtenir le genre de cote que nous pensons pourvoir obtenir--c'est-à-dire sans doute la cote A. Pour voir, c'est critique.
Nous avons également bénéficié d'un appui très solide de la part de la province de la Colombie-Britannique, en ce sens que tous les maires qui sont membres de la Municipal Finance Authority de la Colombie-Britannique nous ont vraiment encouragés et aidés à faire avancer ce dossier. Il serait bon que nous puissions enfin le réaliser et reconnaître l'appui très important qu'ils nous ont fourni.
L'autre chose que j'aimerais vous dire--et cela rejoint ce que vous disiez--c'est que nos recettes fiscales nous ont beaucoup aidés, dans ce sens que nous avons faire construire un gymnase et aménager des terrains de base-ball et de soccer. Nous avons réussi à assurer 38 services différents aux résidents de la réserve, à la fois autochtones et non autochtones. Nous avons un système d'adduction d'eau et des égouts. Nous bénéficions à présent de développement économique, qui ne se réalise qu'en présence de l'infrastructure requise. Dès lors qu'il y a une infrastructure, il y a du développement. Cela améliore la qualité de tous.
Les débouchés pour les jeunes sont nombreux. Nous avons maintenant un centre de jeunesse. Nous avons également un centre polyvalent à l'intention des Aînés. Je vous assure que tout cela a fait une énorme différence au sein de notre collectivité. La seule chose qui nous manquait, c'était la possibilité d'adosser la dette pour être à même de créer la capacité requise au sein de la collectivité. Autrement dit, installer des conduites d'eau de six pouces, plutôt que d'un pouce, sachant que vous en aurez besoin par la suite. J'étais estomaquée en m'en rendant compte que nous enlevions les conduites d'un pouce pour les remplacer par des conduites de trois pouces, et ensuite par des conduites de cinq pouces. Ce n'est pas ainsi qu'on fait les choses dans les réserves. Dans les réserves, c'est ça l'approche qu'on adopte. C'est une approche qui donne de bons résultats, et qui réduit en même temps le fardeau et le coût des travaux.
Bien que je sois très sensible à la situation des Premières nations qui n'en sont pas encore là, je pense que nous manquerions de vision si nous décidions qu'il conviendrait peut-être de préciser le nom des bandes qui peuvent participer, de sorte que ce soit seulement ces dernières qui puissent se prévaloir de cette possibilité à l'avenir. Il faut que ce soit bien ouvert, pour que d'autres nations puissent profiter aussi de cette possibilité et recourir à ces services, lorsqu'elles seront prêtes à le faire.
Encore une fois, je vous remercie infiniment de m'avoir écoutée. J'espère que vous jugerez bon de soutenir cette initiative.
· (1335)
Le président: Merci infiniment pour encore un autre excellent exposé. La séance de ce matin était vraiment extrêmement utile. Je n'ai jamais reçu autant de bonnes informations en si peu de temps. Le comité a vraiment beaucoup de chance d'avoir pu recevoir des témoins qui puissent vraiment lui expliquer la situation. Certains d'entre vous savent bien de quoi je parle.
Donc, encore une fois, nous vous remercions infiniment de votre présence.
Nous allons suspendre nos travaux pendant trois minutes, avant de reprendre à huis clos pour discuter des travaux futurs du comité.