INST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 9 avril 2003
¹ | 1535 |
Le président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)) |
Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien) |
Le président |
M. Tim Kennish (président sortant, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien) |
¹ | 1540 |
¹ | 1545 |
Le président |
M. Robert Russell (avocat, Borden Ladner Gervais, À titre individuel) |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
º | 1600 |
Le président |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Robert Russell |
º | 1605 |
Le président |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Roger Ware (professeur, université de Queen, À titre individuel) |
º | 1610 |
º | 1615 |
Le président |
James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest, Alliance canadienne) |
M. Robert Russell |
º | 1620 |
M. James Rajotte |
M. Robert Russell |
M. James Rajotte |
M. Robert Russell |
º | 1625 |
Le président |
M. Roger Ware |
Le président |
M. Tim Kennish |
Le président |
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.) |
M. Tim Kennish |
º | 1630 |
M. Larry Bagnell |
M. Tim Kennish |
M. Roger Ware |
M. Larry Bagnell |
M. Roger Ware |
M. Larry Bagnell |
M. Tim Kennish |
M. Robert Russell |
º | 1635 |
Le président |
M. Larry Bagnell |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD) |
M. Roger Ware |
M. Brian Masse |
M. Roger Ware |
M. Brian Masse |
M. Roger Ware |
M. Brian Masse |
M. Tim Kennish |
º | 1640 |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge) |
M. Tim Kennish |
º | 1645 |
M. Dan McTeague |
M. Tim Kennish |
M. Dan McTeague |
M. Roger Ware |
Le président |
M. Dan McTeague |
M. Robert Russell |
º | 1650 |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne) |
M. Tim Kennish |
º | 1655 |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Roger Ware |
Le président |
M. Robert Russell |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Roger Ware |
Le président |
M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.) |
M. Robert Russell |
» | 1700 |
M. Tim Kennish |
M. Roger Ware |
M. Andy Savoy |
M. Tim Kennish |
M. Roger Ware |
M. Andy Savoy |
M. Robert Russell |
» | 1705 |
Le président |
M. Andy Savoy |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Tim Kennish |
Le président |
M. Roger Ware |
M. Andy Savoy |
M. Roger Ware |
M. Andy Savoy |
Le président |
M. Gilbert Normand (Bellechasse—Etchemins—Montmagny—L'Islet, Lib.) |
M. Tim Kennish |
M. Gilbert Normand |
M. Tim Kennish |
Le président |
M. Tim Kennish |
M. Gilbert Normand |
M. Tim Kennish |
» | 1710 |
Le président |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Roger Ware |
M. Gilbert Normand |
M. Tim Kennish |
M. Robert Russell |
Le président |
M. Roger Ware |
Le président |
CANADA
Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 9 avril 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1535)
[Traduction]
Le président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): La séance est ouverte.
Le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie se penche aujourd'hui sur le projet de loi C-249, loi modifiant la Loi sur la concurrence.
Nous recevons des représentants de l'Association canadienne du Barreau dont M. Tim Kennish que vous connaissez bien. Vous êtes de nouveau le bienvenu. Nous accueillons également Tamra Thomson du même organisme. Quant à Robert Russell, il fera un exposé à titre personnel.
Nous avons un autre témoin qui devait être ici. Nous ne sommes pas sûrs de ce qui s'est passé.
Nous allons commencer par un exposé de l'Association du Barreau Canadien. Nous allons suivre l'ordre du jour et commencer par Mme Thomson.
Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, monsieur le président. Je vais commencer et céder ensuite la parole à mon collègue M. Kennish.
Nous sommes très heureux de comparaître devant le comité aujourd'hui au nom de la Section nationale du droit de la concurrence de l'Association canadienne du Barreau. La section commente depuis longtemps les amendements proposés à la Loi sur la concurrence à leurs diverses étapes.
L'Association du Barreau canadien est un organisme national qui représente 38 000 juristes dans l'ensemble du Canada. L'Association s'est entre autres fixé comme objectif l'amélioration du droit et de l'administration de la justice et c'est dans cet esprit que nous allons faire nos observations ici aujourd'hui.
Vous avez reçu un exemplaire de notre mémoire écrit et je demanderai à M. Kennish, qui est le président sortant de la Section nationale du droit de la concurrence de vous parler du projet de loi et des changements qu'on se propose d'y apporter.
Le président: Merci beaucoup.
M. Tim Kennish (président sortant, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien): Merci, monsieur le président et membres du comité. Comme vient tout juste de le dire Tamra Thomson, la section se réjouit d'avoir cette occasion de présenter son point de vue au sujet du projet de loi dans sa forme modifiée. Elle apprécie également l'intérêt dont le comité continue de faire preuve en améliorant la Loi sur la concurrence.
La section a des opinions précises sur l'importance des gains en efficience dans l'analyse de la Loi sur les fusions. En particulier, elle s'inquiète du fait que les gains en efficience ne reçoivent pas la considération appropriée non seulement lors de l'examen des fusionnements, mais également dans le contexte de nombreuses autres dispositions contenues dans le projet de loi. Mais cela fait toutefois partie d'une autre discussion. Nous nous rendons compte que l'accent est mis aujourd'hui sur la défense des fusionnements.
Notre précédent mémoire, qui datait de septembre 2002 et qui vous a été présenté plus tard l'automne dernier, avait été préparé en réponse au projet de loi original et peut être ou ne plus être pertinent. Il semble avoir été remplacé par le projet de loi à l'étude. Cependant, dans la mesure où le comité continue d'examiner cette question ou voudrait le faire ultérieurement, nous souhaitons simplement souligner, très vigoureusement, comme le reflète notre mémoire, que nous nous y opposons. En raison des contraintes de temps et aussi parce que les propositions originales peuvent ne plus être pertinentes, je vais me limiter à deux observations concernant ce projet de loi.
Premièrement, le paragraphe 96(5) proposé du projet de loi original rendrait inopérante la défense des efficiences de fusionnement parce que, en effet, elle ne s'appliquerait vraiment que dans les cas où son utilisation serait entravée par cette disposition, c'est-à-dire qu'il rend la défense non disponible lorsqu'un fusionnement créerait ou favoriserait une position dominante. Le bureau a lui-même indiqué publiquement qu'il interprète l'expression « position dominante » comme s'entendant d'une part du marché supérieure à 35 p. 100.
L'autre observation porte sur le nouvel article 96(4) du projet de loi qui ne reconnaîtrait les efficiences à ces fins que dans la mesure où l'on pourrait démontrer que la majorité de ses efficiences seraient passées aux consommateurs et aux consommatrices sous la forme d'une diminution de prix. Il serait sans sans doute difficile d'évaluer les possibilités et perspectives de ce cas et, à ces fins, cela restreindrait la reconnaissance des efficiences à celles qui peuvent être évaluées selon ces termes, c'est-à-dire qu'aucune responsabilité ne serait assumée quant à l'amélioration du produit ou du service ou à l'innovation.
Cependant, nous supposons que votre intention ici est que nous examinions l'amendement proposé au paragraphe 96(1). Telle que rédigée, la disposition proposée adopte une approche factorielle pour l'examen des efficiences. En d'autres mots, elle considérerait les efficiences comme un facteur lors de l'examen de la légalité d'un fusionnement.
Voilà qui est très différent de la défense que nous avons à l'heure actuelle ou, théoriquement à tout le moins, les efficiences pourraient l'emporter sur un jugement portant sur la légalité d'un fusionnement. Autrement dit, cela pourrait déclencher un effet anticoncurrentiel dans certaines circonstances. En vertu de ce nouvel article, cela deviendrait un facteur parmi d'autres qui sont utilisés pour évaluer la légalité d'un fusionnement, par exemple la facilité d'accès à un marché ou la force de la concurrence restante. Je'y reviendrai plus tard.
¹ (1540)
Simplement pour rappeler les faits, nous croyons comprendre que l'inclusion de l'article 96 de la loi, en tant que partie de l'ensemble des modifications apportées à la loi promulguée en 1986, constituait une réponse, en partie, aux questions soulevées dans la communauté des affaires au sujet des nouvelles dispositions sur les fusionnements. Cela dit, il est particulièrement important de ne procéder à ces modifications qu'à l'issue d'une réflexion approfondie et après avoir eu l'occasion de discuter et de commenter davantage. D'aucuns pensent que cela faisait partie d'une entente sur la façon dont la loi aurait été modifiée.
Nous devons reconnaître que le rôle joué par les efficiences au cours des quelque 16 dernières années, depuis l'ajout de la défense dans la loi, a été assez marginal et ce, pour deux ou trois raisons. Premièrement, comme il s'agit d'une défense, elle n'est considérée qu'après que l'on a établi que le fusionnement diminuerait substantiellement la concurrence.
Deuxièmement, je crois qu'il est clair que le Bureau de la concurrence hésite à accepter que les efficiences l'emporter sur un fusionnement qui diminue substantiellement la concurrence de sorte que cette possibilité n'est pas acceptée. Il faut alors vraiment s'adresser aux tribunaux pour gagner en ce qui a trait à la défense.
Par conséquent, il semble que les efficiences ne sont pas vraiment examinées dans quelque mesure lors d'un examen de fusionnement et il ne nous semble pas évident qu'il le soit non plus dans d'autres pratiques comme les négociations exclusives, les ventes liées et les restrictions du marché.
Je sais que certaines personnes croient que la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Superior Propane peut élargir la portée des opérations des efficiences, mais cela ne nous semble pas très plausible. Premièrement, la décision en ce qui a trait à l'interprétation de l'article 96 exige que, pour que la défense soit pertinente, les efficiences surpassent et neutralisent non seulement les pertes sèches—un terme d'économistes pour parler de la perte de productivité—découlant de la diminution de la concurrence attribuable au fusionnement, mais également la partie du transfert du patrimoine découlant du fusionnement qui est jugée défavorable pour la société.
L'exigence quant à la détermination de ce qui est défavorable pour la société soulève d'importantes incertitudes et je crois que peu de conseillers en fusionnement seront en mesure de prévoir à quel moment la défense serait invoquée ou disponible.
En outre, nous estimons que la portée réelle d'invocation de la défense est vraiment assez limitée. Je suis convaincu que d'autres vous l'ont, mais les économistes avertis semblent généralement d'accord pour dire que, si la perte sèche de l'affaire Superior Propane avait bien été calculée, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas été sous-évaluée, les gains d'efficience n'auraient pas neutralisé cette perte. La défense n'aurait pu être invoquée. Il semble donc que la seule cause dans laquelle la défense a été invoquée au cours des 16 dernières années, si elle avait fait l'objet d'une analyse efficace, ne l'aurait pas été.
J'estime donc qu'il est peu probable que les monopoles résultant de fusionnement sévissent dans l'économie et aient pour effet d'augmenter les prix suite à l'interprétation donné à l'article 96.
Ce n'est pas le fait que l'article 96 aille trop loin qui nous préoccupe, mais plutôt que par sa portée si limitée, il a réussi à marginaliser la prise en compte des efficiences dans l'examen des fusionnements. Étant donné qu'on l'invoque après l'examen et sa prise de position « tout ou rien » les efficiences ne sont pas bien prises en compte dans le processus d'examen des fusionnements. Étant donné que l'efficience représente un des objectifs reconnus de la politique de la concurrence, il s'agit d'une lacune qu'il vaut la peine de corriger.
¹ (1545)
Par conséquent, l'exécutif de la Section nationale du droit de la concurrence de l'Association du Barreau canadien est encline à accepter l'approche factorielle, comme le propose l'amendement, étant donné qu'elle permettrait de tenir compte plus souvent des efficiences lors de l'examen des fusionnements. Cependant, étant donné que la modification que vous êtes en train d'examiner n'est déposée que depuis peu, nous n'avons pas eu le temps de consulter les membres comme nous le faisons habituellement, de sorte que nous ne pouvons donner notre plein appui à cette idée. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas persuadés que cet amendement en particulier représente la voie à emprunter, et ce pour plusieurs raisons que je vais vous énumérer en guise de conclusion.
Tout d'abord, d'un point de vue technique, si elle doit constituer un facteur, l'efficience doit être logiquement incluse dans la liste des autres facteurs énoncés à l'article 93 dont il faut tenir compte lors de l'examen des fusionnements. Il n'y a pas de raison de l'isoler dans un article distinct. Si elle l'était, on se poserait des questions, notamment s'il faut lui accorder le même poids qu'aux facteurs énumérés à l'article 93.
Ensuite, la façon dont l'amendement proposé est décrit limite les efficiences dont il faut tenir compte à celles dont les consommateurs et consommatrices tirent avantage. L'imposition d'une telle limitation sur la reconnaissance des efficiences ne tient pas compte de l'éventail d'autres efficiences éventuelles importantes, comme des gains de productivité et d'innovation, qui ne peuvent être observées directement dans les avantages revenant aux consommateurs.
Fait plus important, comme on propose un changement d'envergure qui aura une nette influence sur l'application future de la loi, je crois que cela fait entrer en jeu une question de processus. Comme le public n'a pas eu l'occasion de commenter cette proposition, il est donc souhaitable qu'elle soit examinée dans le cadre d'un processus plus étendu qui inclurait une consultation publique, comme celle qui est actuellement en cours pour la réforme de l'article 45 et des dispositions relatives à l'établissement des prix de la loi.
Bien que nous soyons portés à approuver le principe d'une réforme législative en vue d'améliorer l'application de la loi dans ce secteur, nous recommandons fort qu'elle soit entreprise dans le cadre d'un processus comparable à celui qui est actuellement utilisé pour la réforme de l'article 45.
Je vous remercie beaucoup.
Le président: C'est nous qui vous remercions.
Monsieur Russell.
M. Robert Russell (avocat, Borden Ladner Gervais, À titre individuel): J'aimerais à nouveau remercier les membres du comité de m'avoir invité à prendre la parole au sujet des modifications envisagées à la Loi sur la concurrence. Je crois certes parler au nom des membres du barreau lorsque je vous exprime toute ma reconnaissance pour l'intérêt soutenu que vous portez à améliorer le droit de la concurrence au Canada.
Simplement pour vous mettre un peu en contexte, je témoigne à titre personnel, mais j'ai de l'expérience dans ce domaine tant en pratique privée que pour le compte du commissaire de la concurrence. J'ai en effet comparu au nom du commissaire au sujet de deux fusionnements contestés. J'espère pouvoir aujourd'hui vous décrire mon expérience et ma réflexion, toutes deux tirées du travail que j'ai effectué des deux côtés de la clôture, si je puis l'exprimer ainsi.
J'aimerais vous faire un bref exposé concernant la disposition projetée dans le projet de loi C-249 au sujet de l'efficience. Je vais limiter mes observations aujourd'hui à l'amendement proposé par le promoteur du projet de loi.
J'aimerais au départ préciser que j'appuie essentiellement l'amendement parce que, selon moi, il coïncide avec l'intention dans laquelle le Parlement a adopté, en 1986, le projet de loi C-91, c'est-à-dire la nouvelle Loi sur la concurrence.
À mon avis, une grande partie de ce que vous ont dit les témoins—et j'ai lu la transcription et les délibérations concernant le rôle de l'efficience—cadre mal avec l'intention du législateur. Vous avez entendu plusieurs avocats et économistes vous expliquer leurs vues au sujet du rôle qui revient aux efficiences et à la politique de la concurrence.
Le point d'intersection de la politique de la concurrence et de l'économie, débarrassées du jargon juridique et de la théorie économique, est essentiellement une question de politique gouvernementale ou de politique sociale—au même titre que la fiscalité ou les soins de santé—qui doit refléter les valeurs sociétales des Canadiens. En réalité, c'est ce dont il s'agit. Vue sous cet angle, on se rend compte que la clarté qui s'impose est celle que les députés élus du Parlement doivent voir dans la loi.
J'ai beaucoup trop lu. Des articles ont été publiés à ce sujet dès 1986, quand la loi est entrée en vigueur. Aucun autre thème de la politique de la concurrence n'a fait l'objet de plus de débats dans notre système juridique que la défense des efficiences. Donc, quand j'entends parler d'études plus poussées et du besoin de faire un examen, ma réaction est de vous dire que la question a été débattue pendant 18 ans avant que ne soit adopté le projet de loi C-91 en 1986 et que 17 années se sont écoulées depuis lors. Aucun sujet n'a fait couler plus d'encre, n'a autant monopolisé les discussions et n'a fait l'objet de plus d'articles au Canada ou de réflexions au sein d'autres compétences—or, notre défense des efficiences n'attire habituellement pas beaucoup leur attention.
Le débat a eu lieu au sein de comités comme le vôtre, dans le cadre de l'examen de plusieurs projets de loi dont a été saisi le Parlement avant l'adoption du projet de loi C-91. Malheureusement, le jargon que nous a imposé l'article 96, plutôt que de définir clairement la façon dont l'efficience devait influer sur la politique de la concurrence, a augmenté le degré d'incertitude. En fait, après 1986, le milieu universitaire et les avocats se sont surtout concentrés sur le fait que cette disposition soulèverait bien des difficultés. Vous savez ce qui s'est passé ensuite—des lignes directrices relatives à l'application de la loi aux fusionnements ont été publiées, puis retirées.
En aparté, j'aimerais vous parler d'une affaire dans laquelle je devais plaider pour le compte d'un ex-commissaire, qu'on appelait alors le directeur, et pour laquelle je savais qu'il faudrait traiter de la défense de l'efficience. J'ai dit au directeur sans détour que, s'il s'attendait que je défende les lignes directrices s'appliquant aux fusionnements, il lui faudrait trouver un autre avocat, parce que je considérais ces lignes directrices inacceptables. J'estimais qu'elles interprétaient mal la loi à l'époque et qu'elles ne coïncidaient pas du tout avec l'esprit dans lequel le Parlement avait adopté cette disposition.
Or, nous voilà maintenant obligés d'appliquer la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Superior Propane. Bien que le Financial Post n'ait pas toujours raison, il a fait une assez bonne analyse de la situation cette fois-ci : « Cette décision signifie qu'aux termes de la Loi sur la concurrence, les efficiences d'un fusionnement—les économies de coût réalisées grâce au fusionnement de deux entreprises—peuvent éclipser l'impact des prix plus élevés sur les consommateurs ordinaires ». Voilà ce dont il est question. Quoi qu'on vous dise, c'est là l'effet de la décision.
Dans le même article, M. John Rook, un avocat plaidant bien connu dans le domaine de la concurrence qui a représenté le commissaire dans les appels concernant la décision Superior Propane, a avancé ce qui suit : « Je soupçonne que la plupart des députés seront d'avis que la décision désavantage trop les consommateurs et qu'il faudrait la changer ». L'article ajoute : « Il faut féliciter le commissaire d'avoir agi aussi rapidement pour régler cette question ».
¹ (1550)
Ces propos ne sont pas du commissaire, mais je comprends tout de même que le commissaire appuie le plus récent amendement. Je n'irai pas jusqu'à prétendre savoir ce que pensent les députés, mais j'estime tout de même que M. Rook a clairement cerné la question dont vous êtes saisis. Il s'agit en fait de savoir ce que visait le Parlement quand il a adopté l'article 96.
Curieusement, en dépit de tous les procès qui ont entouré l'affaire Superior Propane, le hansard ne la mentionne pas du tout. Je plaide depuis plus de 20 ans et, lorsque l'interprétation d'une loi est en jeu, nous consultons habituellement le hansard. C'est un des outils utiles quand un juge dit que la loi est ambiguë—que souhaitaient au juste les parlementaires?
Dans ce cas-ci, du moins, les décisions des tribunaux ne témoignent pas que le hansard a été consulté. J'ai donc fait une recherche. Le projet de loi C-91 a été déposé en deuxième lecture le 7 avril 1986, et l'honorable Michel Côté, alors ministre de la Consommation et des Corporations, avait décrit l'objet du projet de loi.
J'aurais dû préciser au départ que j'ai fourni les notes de mon allocution. Cependant, il fallait les faire traduire. Dès que la traduction sera prête, j'en enverrai des exemplaires au comité. Aujourd'hui, j'ai apporté uniquement la version anglaise.
On peut lire, dans le hansard :
Les députés savent bien que le Parlement a déjà essayé plusieurs fois d'adopter des modifications à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions... Cette fois, le projet de loi sur la concurrence jouit d'un appui sans précédent partout dans le milieu des affaires, surtout auprès des petites entreprises, des consommateurs et des mouvements syndicaux. |
J'aimerais que vous y réfléchissiez. Cependant, quand vous verrez notre appui, quand nous parlerons de la défense des efficiences, de l'interprétation actuelle de la loi et de ceux qui sont ignorés, vous verrez qu'elle ignore tous ces éléments, sauf les intérêts du milieu des affaires, dans la manière dont le facteur des efficiences est actuellement pesé. Donc, pour ce qui est de tout l'appui dont nous avons parlé au sujet de la nouvelle loi, il est représenté par un de ces groupes dont les intérêts sont actuellement appuyés par l'interprétation donnée à l'article 96.
Je poursuis ma lecture du hansard :
Comme l'a déclaré l'Association des consommateurs du Canada après que j'aie déposé le projet de loi à l'étude, en décembre, « la nouvelle Loi sur la concurrence promet de réels progrès en faveur des consommateurs et elle représente une nette amélioration par rapport à la loi actuelle ». |
L'objet du projet de loi C-91, tel qu'énoncé à l'article pertinent du projet de loi, est de maintenir et d'encourager la concurrence au Canada. |
Je vous épargne tout le passage parce qu'il est trop long, mais on peut ensuite lire que quatre grands objectifs sont fixés dans la loi. Le premier est de promouvoir l'efficience et la capacité d'adaptation de l'économie canadienne—des efficiences sont appuyées aux termes de cette loi. Ensuite, naturellement, il faut que les entreprises canadiennes puissent livrer une concurrence efficace sur les marchés mondiaux et qu'elles soient en mesure de mieux faire face à la concurrence étrangère. Le troisième objectif est de faire en sorte que les moyennes et les petites entreprises aient des chances égales de participer à l'économie. Enfin, le quatrième objectif, qui est souligné dans mes notes et non le moindre, est d'offrir aux consommateurs des prix concurrentiels et du choix dans les produits. Comme tel, cet objectif devient le dénominateur commun dans ce que nous tentons de réaliser. C'est l'objectif ultime du projet de loi.
Essayez de concilier, si vous le pouvez, la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Superior Propane avec ce que je viens de vous lire du hansard. Le tribunal affirme maintenant que l'existence de l'article 96 signale l'importance que le Parlement accordait à la réalisation d'efficiences au sein de l'économie canadienne. De fait, d'après le tribunal, l'article 96 fait de l'efficience l'objectif primordial. La réalisation d'efficiences lors de l'examen de fusionnements ne peut donc être limitée lorsqu'il y a un conflit entre la concurrence et les efficiences. Cela éclipse tout le reste.
Cependant, le ministre, lorsqu'il a présenté le projet de loi au Parlement, a dit que la carte maîtresse était le bien-être du consommateur. Il n'en a pas fait de mystère. On oublie trop facilement, lorsqu'il y a un débat sur ce que le Parlement a dit, l'objet de la nouvelle Loi sur la concurrence.
J'ai parlé à des collègues. Je me suis rendu à Washington pour assister à la conférence tenue la semaine dernière par l'ABA sur l'antitrust, et certains ont parlé de ces autres facteurs comme étant simplement ce paquet de paperasse que nous oblige à lire le Parlement—le paquet de paperasse qui concerne les consommateurs, la petite entreprise et notre capacité de livrer concurrence à des étrangers.
Le Parlement ne voyait pas cela comme de la paperasse inutile lorsqu'il a adopté le projet de loi C-91. Il a bien précisé que la pierre angulaire du projet de loi était le bien-être des consommateurs. Il n'est pas étonnant que l'absence d'un libellé clair dans l'article 96 ait suscité autant de controverse pendant si longtemps. Le Parlement a reconnu que 18 années de débats avaient précédé la nouvelle Loi sur la concurrence et que 17 années de débats l'avaient suivie au sujet de la défense des efficiences.
Au début, un tribunal a statué dans une cause opposant le directeur à Hillsdown Holdings. La juge, Mme Reed, a dit que l'approche convenable était de se concentrer sur le bien-être des consommateurs conformément aux objectifs énoncés à l'article 1.1 de la Loi sur la concurrence. Cependant, le hansard est clair en ce qui concerne l'objectif, et je crois que Mme Reed l'a bien interprété dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Hillsdown. Malheureusement, on ne s'est pas fié à ses observations dans la décision rendue récemment dans l'affaire Superior Propane.
¹ (1555)
Bien que nous puissions adopter plusieurs approches, nous avons besoin de principes directeurs clairs. Nous avons besoin d'une série de règles claires pour savoir comment il faut jouer l'actuelle carte maîtresse.
Contrairement à bon nombre de mes collègues spécialisés dans le droit de la concurrence et à de nombreux économistes, je ne crois pas que l'approche correcte soit essentiellement juridique ou économique. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est une question de politique gouvernementale. Je ne suppose pas que ce soit trop difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas avocats ou économistes.
Le Parlement souhaite-t-il autoriser les fusionnements qui entraînent une augmentation des prix acquittés par les consommateurs ou une limitation du choix de produits? Si ce n'est pas le cas, alors l'approche du bien-être global adoptée dans l'affaire Superior Propane n'est pas la bonne.
D'une part, les consommateurs favoriseraient un surplus du consommateur parce qu'il ne signifie pas que, s'ils se trouvent dans le Canada atlantique, ils paient trop cher leur propane. D'autre part, les producteurs et les intéressés souhaitent naturellement réaliser des efficiences de manière à maximiser la valeur aux actionnaires. Nous avons donc là deux vues conflictuelles de la politique gouvernementale. Cependant, je ne crois pas qu'il serait très réconfortant pour les Canadiens, par exemple pour les clients d'Air Canada, d'y réfléchir quand ils achètent leurs billets pour se rendre dans l'ouest du Canada, par les temps qui courent. Dire qu'on croyait que le fusionnement des deux lignes aériennes nationales serait efficiente!
J'irais jusqu'à dire qu'à mon avis, tout avocat qui se respecte dans ce domaine serait incapable au sein de tout secteur fonctionnant au moyen de réseaux de gagner pour son client du secteur privé une défense d'efficience fondée sur ce que le tribunal a rendu comme décision. Tout secteur fonctionnant au moyen de réseaux aura tant d'efficiences importantes, d'après les calculs établis dans l'affaire Superior Propane, qu'elles éclipseront chaque fois la réduction importante de la concurrence.
Quand le professeur Ross est venu témoigner... bien que je n'aie l'intention de faire quelques observations au sujet de ses propos, je vous assure que j'ai le plus grand respect pour lui. Nous avons travaillé ensemble dans certaines causes. Il faudrait préciser qu'il est question de Tom Ross. Je ne connais pas Stephen Ross, bien que j'aie des choses à dire au sujet de ce qu'il a dit également. Toutefois, je souhaite vraiment m'arrêter aux propos du professeur Ross. Il a fort bien défendu l'autre côté de la médaille. J'ai donc bien choisi mon adversaire, comme tout avocat plaidant, et j'aimerais répondre jusqu'à un certain point à ce qu'il a dit.
Il a dit qu'il faudrait que les transferts soient neutres. Il a épousé la vue selon laquelle le bien-être du consommateur n'a pas d'importance d'un strict point de vue économique. Il reconnaît dans de nombreux papiers qu'il a publiés que l'approche du bien-être global fait fi des frontières internationales.
Conclusion, peu importe que les consommateurs canadiens soient perdants, si les efficiences accroissent la richesse des entreprises étrangères ou des actionnaires. Pour moi, cela revient à dire qu'il ne faut pas se préoccuper du niveau de vie au Canada. En effet, la fusion dans le cadre de laquelle les actionnaires se trouvent à l'extérieur du Canada et qu'ils tirent le plus fort dividende qu'ils peuvent du Canada a un impact direct sur le niveau de vie des Canadiens. Toutefois, des gains d'efficience ont été réalisés, même s'ils ont été transférés à des étrangers. C'est là l'approche du bien-être global. Elle ne tient aucun compte de l'effet particulier au Canada.
Cette approche relègue au second rang trois des quatre objectifs énoncés au paragraphe 1(1) de la loi ou leur enlève toute pertinence.
Un des avocats de Superior Propane, Brian Facey, a fait une déclaration au sujet de ce que signifiait actuellement l'interprétation rendue par le tribunal. Ainsi, il a dit :
Tous les autres effets des fusionnements qui ne sont pas économiques, par exemple les pertes d'emploi, les fermetures d'usine, la perte de souveraineté, la concentration de la richesse, la protection de la petite entreprise et les transferts de richesse, sont considérés comme étant neutres d'un point de vue économique dans le droit sur les fusionnements canadien et sont donc sans pertinence en vertu de ce critère. |
M. Facey, avocat de Superior Propane, un de ceux qui a gagné sa cause, avoue franchement dans un article que c'est là la conséquence de la décision. Donc, bien que M. Facey soit l'un de ceux qui prônent le bien-être global dans plusieurs articles qu'il a rédigés, il en reconnaît avec beaucoup de candeur les conséquences. Cependant, quand je vous fais lecture de la liste, en tant que parlementaires, devez-vous conclure que ces points sont complètement neutres et sans importance à l'une des pierres angulaires de la législation économique du pays? Voilà en réalité ce qu'on vous demande de faire.
º (1600)
Le président: Monsieur Russell, vous allez devoir m'excuser, mais vous avez dépassé de moitié le temps qui vous était alloué. Je crains que, si la sonnerie de la Chambre retentit, vous allez tous nous perdre.
M. Robert Russell: Puis-je ajouter deux courtes phrases? Je vais sauter à...
Le président: Il faut vraiment que vous en veniez à la conclusion.
M. Robert Russell: Je vais conclure rapidement.
J'ai parlé de l'intention du Parlement. Je crois que c'est clair. En plus, j'aimerais souligner très brièvement trois raisons pourquoi j'appuie personnellement la modification proposée par le député, trois autres points.
La première raison est la norme du surplus pour le consommateur, une norme d'aide sociale du consommateur qui est clairement enchâssée dans la modification et s'harmonise avec l'approche préconisée par les autres grands gouvernements, dont ceux des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Union européenne.
M. Ross a dit que ces pays envisageaient des changements. Ce printemps, le Royaume-Uni a adopté un projet de loi visant à appliquer la norme d'aide sociale du consommateur. Ce gouvernement a étudié les efficiences, et les normes qui vous sont proposées aujourd'hui dans cette modification sont les mêmes que celles qu'il a étudiées et établies.
La norme du surplus pour le consommateur correspond au mode de gestion de l'efficience que mes collègues Adam Fanaki et David Ackman et moi avons proposé dans une ébauche d'article 45 en deux volets sur le complot. Je souligne simplement qu'il est important d'harmoniser nos futures dispositions sur les efficiences dans l'article sur le complot avec nos règles sur le fusionnement. J'ai remis copie de notre proposition de modification à l'article 45 à l'honorable député Dan McTeague, qui en a beaucoup tenu compte dans son projet de loi.
Enfin, la norme du surplus total, celle que le tribunal adopte désormais, rend l'application de la loi extrêmement difficile, car elle augmente beaucoup la complexité et le coût de l'examen des fusionnements. De nombreuses références le confirment.
Vous parlez également de litiges. Dans celui auquel j'ai participé pour la commission, celle-ci a décidé de dépenser 10 millions de dollars en frais juridiques. À ma connaissance, le budget actuel du Bureau de la concurrence s'élève à environ 25 millions de dollars au total. L'autre partie a dépensé 10 millions de dollars, et la défense fondée sur l'efficience n'a même pas été abordée. L'absence de règles claires rend les litiges très chers. Les contribuables vont payer pour des examens et des litiges extrêmement complexes.
Je vous remercie du temps prolongé que vous m'avez octroyé. Je suis tout disposé à répondre à vos questions.
º (1605)
Le président: Je m'excuse, mais vous avez pris presque le double du temps prévu.
M. Robert Russell: J'ai tendance à faire de même en cour. Je suis désolé.
Le président: Nous recevons également aujourd'hui M. Roger Ware, professeur à l'Université de Queen. Monsieur Ware, allez-y.
M. Roger Ware (professeur, université de Queen, À titre individuel): Les inquiétudes dont je veux vous faire part aujourd'hui concernent le processus plutôt que le contenu du projet de loi, mais j'ai également quelques observations à faire sur sa forme modifiée.
Votre comité a publié un excellent rapport il y a exactement un an, en avril 2002. Vous y faisiez la recommandation suivante :
Que le gouvernement du Canada constitue immédiatement un groupe de travail indépendant d'experts chargé d'étudier le rôle que devraient jouer les gains d'efficience dans tous les articles de la Loi sur la concurrence prévoyant un examen en droit civil et que le rapport du groupe de travail soit soumis à l'examen d'un comité parlementaire dans les six mois suivant le dépôt du présent rapport. |
Cela ne s'est pas concrétisé et n'est toujours pas en voie de se concrétiser. Il n'y a aucun groupe de travail indépendant, aucune étude, aucune consultation et très peu de débats—à cet égard, je m'inscris en faux contre l'avis de mon éminent collègue assis à ma gauche—sur le rôle des gains en efficience dans l'examen des fusionnements ou sur cette question aux termes d'autres articles de la Loi sur la concurrence.
À la place, le commissaire a commandé un rapport l'automne dernier à Tom Ross et à Ann-Britt Everett, qui ont effectué un examen utile mais très peu critique des pratiques de trois autres gouvernements, soit ceux des États-Unis, de l'Union européenne et de l'Australie, en matière d'analyse de l'efficience dans le contexte des fusionnements. Selon de ce rapport, les trois gouvernements veulent préconiser un rôle accru de l'efficience dans l'examen des fusionnements.
Le projet de loi C-249 actuel, si je comprends bien la version modifiée, constitue une profonde modification de l'examen des fusionnements en vertu de la Loi sur la concurrence. Lorsque la loi a été rédigée, un long débat sur le rôle de l'efficience animait les universitaires, les avocats, les gens d'affaires, les décideurs et les politiciens. La décision judiciaire en faveur d'une révision sur le propane résume bien ce débat. Je suis certain qu'il y a de nombreuses références à ce jugement dans le hansard. Il n'y a pas de débat semblable sur cette modification ou sur le projet de loi dans son ensemble.
J'aimerais souligner que l'article 96, qui présente une défense fondée sur l'efficience n'est pas rompu ni inapplicable. Il ne confère pas non plus d'un poids excessif aux intérêts des producteurs au détriment de ceux des consommateurs. En 16 ans d'application de cette loi, une seule affaire sur le compromis entre des prix supérieurs et des gains en efficience résultant d'un fusionnement a été portée devant les tribunaux. Si les preuves avaient été présentées correctement dans cette affaire, elles n'auraient probablement pas passé le test du surplus total et le fusionnement aurait été refusé. De plus, nous continuerions de suivre une norme transparente et bien articulée dans l'examen des fusionnements, une norme claire qui guiderait les entreprises lorsqu'elles envisagent de telles transactions.
Au risque de me répéter, je dirais que les fusionnements proposés dans des marchés très concentrés ont très peu de chances d'être acceptés après application de l'article 96 actuel, soit de la défense fondée sur l'efficience. Les gains en efficience qui doivent résulter du test du surplus total proprement appliqué ou du test du surplus total modifié conformément à la décision du tribunal sont beaucoup trop grands et risqueraient de ne pas être crédibles dans la pratique.
J'aimerais maintenant m'exprimer sur certains aspects de l'exposé du commissaire de la concurrence devant ce comité il y a quelques semaines, parce que je crois que certaines de ses observations étaient trompeuses.
Le commissaire a affirmé que le projet de loi C-249 visait à ce que les consommateurs ne soient pas laissés pour compte dans l'examen des fusionnements où l'efficience est prise en considération, mais la loi actuelle ne laisse absolument pas les consommateurs pour compte. Les pertes prévues pour un groupe de consommateurs, ceux qui achètent le produit, sont analysées en fonction des gains prévus pour un autre groupe de consommateurs, ceux qui possèdent les sociétés voulant se fusionner. Comme je l'ai déjà dit ailleurs, nous sommes tous des consommateurs.
Selon le commissaire, l'interprétation de l'article 96 dans le jugement sur le propane signifierait que la Loi sur la concurrence permet la création de monopoles. Cette affirmation est trompeuse pour au moins deux raisons.
º (1610)
D'abord, plusieurs économistes ont dit que si le test du surplus total était appliqué adéquatement, il serait impossible d'approuver un fusionnement créant un monopole pour des raisons d'efficience si la requête était soumise à un tribunal. Le fusionnement du propane a été autorisé parce que le commissaire n'a pas fourni les preuves requises sur l'ampleur des changements probables aux surplus des consommateurs et des producteurs.
Ensuite, comme je l'ai déjà écrit, le concept du monopole est un concept difficile à définir, ce qui en fait une mauvaise base pour une politique sur la concurrence. La modification proposée au projet de loi C-249 fait allusion à une presque élimination de la concurrence. L'expression n'est pas précise et risquerait de susciter beaucoup de discussions devant le tribunal chaque fois que cette disposition entre en jeu de façon importante. De plus, la prévention des monopoles ne devrait jamais être un objectif en que tel d'une politique sur la concurrence.
Pensez aux marchés qui sont contestables ou presque. Imaginez un concessionnaire dans une petite ville, qui ne ferait affaire qu'avec un seul fabricant fournisseur de motoneiges. Si le fabricant essayait d'augmenter le prix de vente au concessionnaire de cette ville, celui-ci changerait tout simplement de fournisseur, car il y en a beaucoup. Ainsi, le fournisseur peut jouir d'un monopole à un moment donné, mais il ne peut pas avoir ce que les économistes appellent une « emprise sur le marché ».
En effet, le terme « monopole » est tellement vague que les universitaires et les spécialistes de la concurrence préfèrent utiliser le terme « emprise sur le marché » pour décrire les effets néfastes des fusionnements ou d'autres pratiques. Tout changement dans l'emprise sur le marché est régi de façon précise dans la loi actuelle sur le fusionnement et dans la loi relative aux autres pratiques anticoncurrentielles. La vraie question consiste donc à savoir si un fusionnement ou d'autres pratiques sont susceptibles de faire augmenter l'emprise sur le marché de façon excessive et non s'ils risquent de créer un monopole.
Finalement, le commissaire est en faveur du projet de loi C-249, parce qu'il va rapprocher les normes utilisées dans le cadre d'examen de fusionnements au Canada de celles utilisées par d'autres pays. Il soutient également que la divergence des examens des fusionnements peut nuire à la compétitivité des entreprises canadiennes sur la scène internationale. C'est plutôt trompeur. Si les normes appliquées aux entreprises canadiennes sont plus axées sur l'efficience que celles qui s'appliquent à leurs concurrents internationaux, c'est à l'avantage des entreprises canadiennes et non à leur désavantage, comme le commissaire l'a laissé entendre. Le fait de permettre à des entreprises canadiennes de se fusionner et de devenir plus rentables les rendra plus fortes et non plus faibles par rapport à leurs concurrents internationaux.
Pour ce qui est du contenu du projet de loi, je répéterais d'abord qu'à mon avis, il faudrait mener des consultations ainsi qu'une étude en profondeur avant d'adopter une modification de cet ordre à l'examen des fusionnements.
Cependant, de façon générale, je dirais que la plus grande faiblesse de l'article 96 actuel, c'est qu'il ne s'applique que si le fusionnement a pour effet de diminuer considérablement la concurrence aux termes de l'article 92 et si le tribunal a accepté d'entendre une contestation—du moins est-ce le cas avec le commissaire actuel. Je préférerais que les gains d'efficience soient pris en compte dans le cadre de l'évaluation des diminutions sensibles de la concurrence. Ainsi, la défense fondée sur l'efficience pourrait faire partie des facteurs à prendre en considération aux termes de l'article 93. À cet égard, je suis d'accord avec mon collègue Tim Kennish.
Il faudrait encore déterminer comment les gains en efficience seraient pris en compte, mais je préférerais que le Tribunal de la concurrence poursuive son travail pour modifier la norme du surplus total.
J'ai aussi quelques commentaires à formuler sur la rédaction. Peut-être sont-ils tout à fait valables, mais peut-être témoignent-ils de ma propre confusion sur le projet de loi actuel. Le paragraphe 96(1) proposé porte notamment sur les « gains en efficience qui apporteront des avantages aux consommateurs ». Ces gains seront pris en considération. Comme je l'ai déjà mentionné, les actionnaires des entreprises qui se fusionnent sont également des consommateurs, et ils pourraient très bien tirer profit d'un fusionnement donnant lieu à une hausse de prix.
De plus, il est tout à fait possible qu'un fusionnement fasse augmenter légèrement les prix, mais qu'il augmente tout de même le surplus des consommateurs, parce que la qualité du produit s'est améliorée ou que la structure de la marque commerciale a changé. Nous avons donc un problème. Le fusionnement apporte-t-il des avantages aux consommateurs ou non?
º (1615)
Deuxièmement—et c'est mon dernier point—et, encore une fois, il pourrait s'agir de ma propre confusion, mais je crois comprendre que le mot « neutraliser », qui est le mot utilisé dans l'ancien paragraphe 96(1), figure toujours dans le paragraphe proposé 96(4), qui est toujours, je crois, dans le projet de loi modifié, mais il n'apparaît plus, évidemment, dans le nouveau paragraphe 96(1). Je trouve que cette situation jette un peu de confusion parce que la question était censée être que les pertes pour les consommateurs pourraient être neutralisées par les gains en efficience. Or, il n'en est plus fait mention, de sorte que le mot « neutraliser » semble jeter un peu de confusion dans le paragraphe 96(4) proposé.
Voilà quelles sont mes observations. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Rajotte, vous disposez d'environ six minutes. Nous essayons de savoir s'il y aura un vote ou non.
James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup de vos exposés.
Il semble qu'une des principales questions que le comité examinera et que vous avez soulevée, c'est : est-ce que le Parlement devrait modifier la Loi sur la concurrence ou devrait-il plutôt entreprendre une étude plus approfondie? Certains d'entre vous ont parlé de la recommandation que nous avons formulée dans le dernier rapport que nous avons présenté sur la concurrence.
J'ai été intéressé, monsieur Russell, par le point que vous avez soulevé, à savoir que rien n'a fait couler plus d'encre au cours des 17 dernières années que la question de la défense d'efficience. Je pense que je suis assez fidèle à vos propos en disant cela.
L'Association du Barreau canadien, dans le deuxième paragraphe de la page 3, fait allusion au fait qu'en « plus de 15 ans, le Tribunal de la concurrence n'a été saisi que d'une seule cause pour laquelle l'efficience fut le facteur décisif. » Par conséquent, il dit, et je pense qu'il le signale de manière évidente, que nous devrions attendre d'avoir plus de cas avant de modifier la loi. Alors, quelle serait votre réponse à cela? Que répondriez-vous à cette affirmation?
M. Robert Russell: Je répondrais de différentes façons.
Premièrement, lorsqu'on dit qu'il y a un cause, j'ai fait allusion à un autre cause où la question est envisagée, à savoir la cause Hillsdown. De plus, nous n'avons qu'une poignée de causes devant les tribunaux qui portent sur des fusionnements contestés; alors, lorsque vous dites que nous avons deux causes—sur un total de dix en ce moment, je pense, si le nombre est exact...
Une partie de la réponse réside également dans une observation du professeur Stephen Ross qui pourrait vous donner matière à réflexion et concernant le fait que l'exécution de la loi est moins active au Canada en raison de certaines des incertitudes présentes dans la loi. Ainsi, la communauté d'affaires ne comprend pas pleinement comme les efficacités s'appliqueront à leur entreprise. Le commissaire s'est montré réticent à reconnaître les efficacités. Mais comme je l'ai dit, je ne crois pas que c'est une question que vous devriez laisser trancher par les tribunaux, parce qu'il s'agit d'une politique sociale ou publique essentielle au Canada. Fondamentalement, vous laissez la question entre les mains des tribunaux. S'il est vrai—et je pense que le hansard en témoignage très clairement—que l'intention était claire lorsque le Parlement a promulgué la nouvelle Loi sur la concurrence, vous êtes alors devant un problème de rédaction législative; ce n'est pas un problème de politique.
Si vous examinez le hansard et êtes d'accord pour dire que l'intention du Parlement était d'élaborer une norme pour assurer le bien-être des consommateurs, c'est que les rédacteurs sont passés à côté du but. La juge Reed, qui faisait partie du tribunal, a dit—ou c'est ce que vous retenez de ses propos—qu'elle serait un peu étonnée si le Parlement avait d'autres intentions. Les gens ont tendance à oublier qu'il y a eu une opinion dissidente dans l'affaire Superior Propane. Un des juges dissidents s'est dit un peu surpris également qu'on en soit rendu là.
Alors, je pense qu'il s'agit d'une cause qui relève davantage de la Charte, parce que c'est une question si importante pour notre économie, si les cours—et dans ce cas-ci, le tribunal—viennent dire au Parlement que les rédacteurs sont passés à côté du but et que le moment est venu de corriger la situation.
Je ne suis pas d'accord avec mes collègues. On a tellement écrit de choses sur les efficiences, non seulement dans la présente autorité juridique, mais dans d'autres également. Dans notre étude de la question dans le cadre des amendements proposés à l'article 45, nous avons examiné ce qui se passe dans d'autres entités administratives.
Mon ami dit que le commissaire nous induisait en erreur lorsqu'il laissait entendre que nous étions les seuls. Je ne suis pas d'accord. Je pense que ce que le rapport disait ne nous induisait pas en erreur, mais le rapport disait que le gens examinaient la question. Tom Ross avait raison. Mais je vais vous dire ce qu'ils ont fait lorsqu'ils l'ont examinée. Des gens comme mon ami ici sont venus dire que les efficiences devaient jouer un rôle plus grand. Et cette question a été rejetée dans ces autres entités administratives.
Je pourrais vous citer, si j'avais plus de temps, ce que la Commission européenne a dit. Elle ne le fait pas; c'est le bien-être des consommateurs. Les États-Unis ne le font pas; c'est le bien-être des consommateurs. L'Australie ne le fait pas; c'est le bien-être des consommateurs. Et le Royaume-Uni a présenté une loi il y a un mois qui dit que c'est le bien-être des consommateurs. Alors, lorsque j'entends mes collègues dire qu'ils envisagent la question, il y a des gens qui la défendent—et ils le feront toujours—, mais la loi dans ces autres pays ne reflète pas cette idée.
Nous sommes les seuls. Nous sommes ridiculisés. En tant qu'avocat spécialisé dans les questions antitrust, les gens nous pointent et font des farces.
Je suis allé en Italie l'an dernier à une réunion de l'Association du barreau international, et l'affaire Superior Propane était discutée. Elle attirait l'attention—et, croyez-moi, le Canada n'attire pas beaucoup l'attention dans les cercles juridiques. Mais cette question retient de l'attention parce que dans les autres pays, on considère que c'est une farce. Ils pensent que nous avons poussé l'approche des efficiences si loin que nous avons complètement vidé de sa substance la politique du Canada en matière de concurrence.
Ce sont vraiment les efficiences et il y a une politique de concurrence structurelle. En d'autres mots, vous faites l'hypothèse que s'il y a trop de concentration, les hommes d'affaires n'agissent pas de manière rationnelle. Mon ami ici vous présentera ses formules et ce que l'on suppose dans ces formules, c'est que l'homme d'affaires agit toujours de manière rationnelle.
Laissez-moi vous parler de M. Milton. A-t-il agi rationnellement? Lorsqu'il s'est mis à faire l'acquisition d'autres entreprises aériennes, est-ce que c'était rationnel? Il dirait non, ce ne l'est pas, parce qu'il n'est pas rationnel de faire de la prédation, parce que la prédation vous rattrape toujours. Eh bien, peut-être a-t-il raison. Mais M. Milton a tout de même, dans l'esprit de certaines personnes, agi en prédateur à l'endroit d'autres entreprises aériennes.
Les hommes d'affaires agissent avec leur amour-propre, de manière irrationnelle, et les consommateurs paient. Alors, ce que nous avons décidé il y a longtemps dans ce pays et dans d'autres, c'est que nous examinons la concentration d'un point de vue structurel. Nous examinons la situation pour nous assurer qu'il y a un marché concurrentiel.
La politique de la concurrence a appuyé la déréglementation. En l'absence de normes structurelles dans la politique de concurrence, la déréglementation aboutit à des monopoles. L'Ontario fait face à ce problème avec la déréglementation d'Hydro. Si vous n'avez pas ces structures en place, alors, oui, il est efficace d'avoir une seule compagnie aérienne, mais ce n'est pas une bonne chose pour les consommateurs.
º (1620)
M. James Rajotte: Puis-je alors continuer dans cette veine? Vous avez parlé de l'intention du Parlement lorsqu'il a adopté l'article 96 de la Loi sur la concurrence. Je pense que vous avez parlé d'un quatrième objectif, à savoir de fournir des prix concurrentiels aux consommateurs.
Juste une courte réponse, mais vous ai-je bien entendu dire qu'un fusionnement qui entraînerait une réduction des choix des consommateurs était quelque chose que l'on ne devrait pas autoriser?
M. Robert Russell: Non, veuillez m'excuser, je n'ai pas été clair. Le hansard a parlé des prix et des choix à la consommation, mais l'amendement proposé précise : « apporteront des avantages aux consommateurs, notamment »—et il s'agit d'un mot vraiment important dans l'article proposé—« des prix compétitifs ou un choix dans les produits ».
Le professeur Tom Ross n'avait pas raison lorsqu'il a laissé entendre que cette disposition pouvait mener à une augmentation des prix. Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. Ce qui pourrait arriver, c'est que cela pourrait être une question neutre si, par exemple, nous avions de l'innovation, parce que cela peut quand même profiter aux consommateurs. Alors, la question des avantages aux consommateurs donne quand même une certaine latitude au tribunal pour examiner toutes sortes d'avantages aux consommateurs, mais elle applique le concept de bien-être des consommateurs, ce qui signifie qu'il y a un avantage quelconque pour les consommateurs.
M. James Rajotte: Je pense que, personnellement, je suis plutôt mal à l'aise avec l'idée que le Parlement soit en position d'autoriser ou de refuser des fusionnements en se fondant sur les avantages que peuvent en tirer les consommateurs. Et vous avez parlé de la situation d'Air Canada. La plupart des fusionnements ne surviennent pas parce que les PDG ou les actionnaires se réunissent pour se demander comment ils pourraient apporter un avantage aux consommateurs. Initialement, ce n'est pas l'objectif pour lequel ils veulent procéder au fusionnement.
Une des principales questions qui me préoccupe, c'est comment faites-vous lorsque deux entreprises privées ou sociétés ouvertes s'engagent dans un processus de fusionnement? Je pense que nous devons faire très attention au rôle que nous réservons aux parlementaires, au Parlement et au Bureau de la concurrence pour empêcher ce genre de fusionnement. Et où allons-nous tracer la ligne si nous fixons vraiment la norme en fonction des avantages aux consommateurs?
Une des questions avec lesquelles nous devons traiter, c'est celle des fusions bancaires. Je ne pense pas que les banques vont se réunir pour se demander comment elles peuvent améliorer les services aux Canadiens; elles vont se réunir pour se demander comment elles peuvent améliorer les profits. C'est le point de départ des discussions qui mènent au fusionnement.
M. Robert Russell: Je pense que vous avez parfaitement raison. Si vous et moi étions des actionnaires d'une entreprise, nous attendrions de cette entreprise qu'elle maximise les profits. Et je ne pense pas que le Parlement devrait arbitrer un fusionnement. Cela a pour effet de politiser le processus.
Ce dont nous parlons ici, c'est d'une règle claire pour assurer l'équilibre entre la maximisation des profits et le bien-être des consommateurs et préciser où nous allons tracer la ligne. C'est vraiment ce dont nous parlons ici. Et je vous dit que lorsque le Parlement a présenté cette nouvelle Loi sur la concurrence, il recherchait cet équilibre.
Vous avez lu ce que le tribunal a dit. Il s'agit d'une carte maîtresse aujourd'hui. L'avocat de Superior Propane a dit que c'était une carte maîtresse aujourd'hui. Mes amis présents ici aujourd'hui reconnaissent que lorsqu'ils disent qu'elle ne fait pas l'objet d'une grande considération, parce que ce n'est qu'après que vous avez constaté qu'il y a une diminution substantielle de la concurrence que vous analysez cette question—c'est parce que c'est une carte maîtresse. C'est ce que j'ajouterais à ce sujet.
En d'autres mots, l'approche factorielle qui est proposée ici semble recevoir un large appui. Mais alors, le critère visant à déterminer où sera tracée la ligne, le bien-être des consommateurs, le bien-être global ou le bien-être global modifié, est l'élément que le Parlement doit définir pour permettre au tribunal d'assurer cet équilibre. Ce n'est pas le Parlement qui le fera.
À l'heure actuelle, le tribunal interprète cet article comme disant qu'il n'y a pas d'équilibre. C'est le point que je veux vous faire valoir. On dit qu'il s'agit d'une carte maîtresse. Ainsi, tant et aussi longtemps que la maximisation des profits apparaît dans les efficiences, la question du bien-être des consommateurs est escamotée dans l'analyse.
º (1625)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Rajotte.
Est-ce que l'un des nos participants veut répondre à une question?
M. Roger Ware: Je veux réagir à quelque chose que M. Russell a répété plusieurs fois. Je ne comprends pas son analogie avec la carte maîtresse.
Nous n'avons eu aucun cas, zéro, en 16 ans dans lequel l'efficience aurait joué un rôle décisif, si ces cas avaient été bien menés. Alors, que signifie une carte maîtresse? Honnêtement, j'ignore ce que cela signifie.
Il me semble qu'à l'heure actuelle, l'efficience est presque complètement éclipsée. Elle joue un rôle très mineur. Si la loi n'avait pas été modifiée, elle pourrait ne jamais jouer un rôle décisif dans une cause.
Le président: Monsieur Kennish, vouliez-vous faire une observation?
M. Tim Kennish: Je voudrais préciser un point en réponse à votre question initiale.
La question des efficiences a fait l'objet de beaucoup de commentaires récemment, en grande partie par rapport aux décisions du Tribunal de la concurrence et, ensuite, de la Cour d'appel fédérale et, ensuite, encore une fois, du tribunal. Cette affaire est suivie de près parce qu'on l'estiment importante, mais ce n'est pas quelque chose sur laquelle on a fait couler extrêmement d'encre. Il s'agit surtout d'une évaluation du cas lui-même. Et lorsque nous avons proposé qu'il y ait plus d'occasions de discuter de cette question, c'est parce qu'il s'agit d'un changement. Ce qui est proposé par l'amendement parrainé est un changement dans la façon dont c'est écrit à l'heure actuelle et il vaut la peine d'obtenir l'avis du public et d'avoir des discussions étendues.
Le président: Monsieur Bagnell.
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): Merci.
Je suis essentiellement d'accord avec tout ce qu'a dit M. Russell. En fait, j'aimerais utiliser votre discours comme si c'était le mien devant la Chambre des communes, alors, je ne vous poserai pas de question.
Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle l'actionnaire est le consommateur, parce que les consommateurs pour lesquels je m'inquiète sont ceux qui ne peuvent ni nourrir ni vêtir leur famille, et je doute fort que la plupart d'entre eux soient les plus gros actionnaires.
De plus, en ce qui concerne le processus, c'est maintenant que se déroulent les audiences, c'est maintenant que se fait l'étude. Nous avons passé autant de temps sur ces sept lignes que nous en passons parfois pour l'étude d'un projet de loi tout entier. Et si cela ne doit servir qu'une fois tous les 16 ans, cela suffit pour que je puisse prendre ma décision. Votre apport, à tous, a été excellent.
J'aimerais améliorer cet amendement, parce que je pense qu'il en a besoin et qu'il est excellent pour les raisons données par M. Russell.
M. Kennish et certains de nos autres témoins ont parlé de la façon dont cela se situe par rapport aux gains en efficiences devant apporter des avantages aux consommateurs, notamment des prix compétitifs ou un choix dans les produits. Et je ne suis pas certain si l'intention est de limiter la question aux seuls avantages. Peut-être pourriez-vous décrire plus en détails les avantages pour les consommateurs autres que des prix compétitifs ou un choix dans les produits, parce que vous ne l'avez fait que très brièvement dans votre exposé.
M. Tim Kennish: D'après la formulation, on comprend qu'il faut absolument que le fusionnement constitue un avantage pour les consommateurs. On donne comme exemple des prix compétitifs et un choix dans les produits. Même les avantages pour les consommateurs pris dans un sens plus large n'englobent pas les améliorations sur le plan de la productivité qui ne profitent pas sur-le-champ aux consommateurs de façon tangible. Les innovations qui entraînent de nets avantages économiques peuvent ne pas être considérées comme étant précisément des avantages pour les consommateurs.
Si nous proposons de considérer les gains en efficience comme un des facteurs, autrement dit, pas nécessairement comme le facteur déterminant, mais plutôt comme un des éléments servant à déterminer si le fusionnement, dans l'ensemble, mérite d'être approuvé—alors je crois qu'il faut tenir compte de tous les gains en efficience, car ils constituent l'un des objectifs que poursuit la politique en matière de concurrence... qui ne se limitent pas aux résultats pour les consommateurs.
º (1630)
M. Larry Bagnell: D'accord. Alors, supposons qu'il est très clair qu'on englobe tout ce qui peut apporter des avantages aux consommateurs. Si le résultat ne profite pas au bout du compte aux consommateurs, à qui profite-t-il? Pourquoi aller de l'avant avec le fusionnement? Si une entreprise invente un nouveau produit, elle a donc de meilleures chances de survivre et de demeurer au sein du marché. Elle réalisera davantage de profits, ce qui lui permettra de réduire le prix pour les consommateurs. À qui profiteront ces gains en efficience, si ce n'est aux Canadiens?
M. Tim Kennish: Les gains en efficience peuvent être réalisés sur le plan de la production, ou ils peuvent prendre une forme qui ne peut être immédiatement perçue comme étant un avantage direct pour les consommateurs. Je crois que le projet de loi restreint inutilement la définition des gains en efficience qui apportent des avantages aux consommateurs. Je ne suis pas économiste, alors je crois que M. Ware serait davantage en mesure de vous donner une explication claire.
M. Roger Ware: Selon les économistes, si des gains en efficience résultent d'un fusionnement, certains de ces gains peuvent profiter aux actionnaires, aux propriétaires de l'entreprise; autrement dit, ils risquent d'accroître les profits. Comme le président l'a dit, ils peuvent très bien entraîner une hausse des profits, qui, bien sûr, appartiennent aux actionnaires ou aux propriétaires de l'entreprise. Donc, les gains qui peuvent contribuer à accroître l'efficience ne profitent pas directement aux consommateurs.
M. Larry Bagnell: En effet, mais cela explique la raison d'être d'une loi sur la concurrence. Il pourrait ne pas en exister une. Nous pourrions laisser des entreprises détenir un monopole et quelques personnes au Canada devenir très riches. Ces entreprises pourraient être très efficaces et faire beaucoup d'argent, mais la concurrence vise à faire en sorte qu'il existe une bonne concurrence au sein des entreprises afin que les coûts soient moins élevés et que la vaste majorité des Canadiens bénéficient de bas prix.
M. Roger Ware: Je ne suis pas en désaccord avec vous. La question porte sur les critères qu'on utilise pour effectuer l'évaluation.
M. Larry Bagnell: Nous n'avons pas éliminé les gains en efficience; ils font toujours partie des facteurs que nous examinons.
M. Tim Kennish: Monsieur le président, peut-être pourrais-je ajouter un commentaire.
Monsieur Bagnell, le projet de loi précédent précisait qu'il fallait démontrer que le fusionnement apportait des avantages aux consommateurs sous la forme de bas prix. Cela limite grandement la gamme des gains en efficience qu'un fusionnement pourrait engendrer. Il y a donc eu une amélioration. Maintenant, le projet de loi stipule seulement que le fusionnement doit apporter des avantages aux consommateurs. Ces avantages n'ont pas à prendre la forme de bas prix, alors une meilleure qualité du produit pourrait constituer un avantage direct pour les consommateurs.
Je crois que la réalisation de gains en efficience constitue un objectif valable, peu importe à qui ces gains profitent. Ils constituent un facteur parmi d'autres que vous évaluez pour déterminer si un fusionnement doit être autorisé.
M. Robert Russell: La question sur laquelle le député met l'accent est très importante. Nous y avons consacré beaucoup de temps lorsque nous avons examiné l'article 45 afin d'établir une défense fondée sur les gains en efficience. D'un point de vue juridique, le mot « notamment » a été largement examiné par les tribunaux dans le cas d'autres lois. La phrase « notamment des prix compétitifs ou un choix dans les produits », en particulier la ponctuation, c'est-à-dire la virgule précédant le mot « notamment », signifie qu'il peut y avoir d'autres avantages pour les consommateurs. Mais les tribunaux ont déterminé que les autres avantages devraient être semblables à ceux qui sont énoncés. La formulation laisse entendre qu'il doit s'agir d'avantages semblables à ceux énumérés. C'est ce que l'on comprend essentiellement lorsqu'on lit le projet de loi tel qu'il est actuellement.
Permettez-moi de vous donner un exemple, dont nous avons discuté à de nombreuses reprises, concernant l'article 45 sur le fusionnement. Supposons que deux sociétés qui travaillent à l'élaboration d'un vaccin contre le sida déterminent qu'elles ne peuvent assumer chacune le coût très élevé de la recherche et du développement. Elles n'y arriveront pas. Alors, elles décident de fusionner. Elles sont les deux seules sociétés à travailler à l'élaboration de ce vaccin, alors elles détiennent un monopole. On s'attend maintenant à ce qu'elles réalisent des gains en efficience et à ce que la recherche et le développement leur permettent de mettre sur le marché un vaccin contre le sida au terme d'une période raisonnable. Si je défendais ces deux sociétés, je dirais que les gains en efficience se transformeront en ce qu'on pourrait appeler le choix d'un nouveau produit, si vous voulez, car ce nouveau vaccin sera destiné au public. La mise en marché du nouveau vaccin apporte donc un avantage aux consommateurs. Ce à quoi il faut penser, bien sûr, c'est qu'en créant un monopole, ces deux sociétés pourraient établir le prix qu'elles veulent. Le tribunal devra donc soupeser ces deux résultats potentiels, car il doit prévoir quels seront les avantages pour les consommateurs.
Cela donne une marge de manoeuvre, mais comme le député l'a fait comprendre, les résultats sont soupesés en fonction des consommateurs.
º (1635)
Le président: Vous pouvez poser une dernière question, monsieur Bagnell.
M. Larry Bagnell: Mais pour le citoyen ordinaire, le mot « comme » ne serait-il pas plus clair que le mot « notamment »? En lisant la phrase actuelle, la personne moyenne pourrait comprendre qu'il est obligatoire que le fusionnement engendre des prix compétitifs ou un choix dans les produits.
M. Robert Russell: Selon nos recherches, le mot « comme » pourrait en fait être considéré comme étant plus restreint. Le mot « notamment » était considéré comme plus large. Ce dont il est question, c'est la façon dont les tribunaux interprètent d'autres lois.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Masse, la parole est à vous.
M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD): Merci, monsieur le président.
Je veux revenir sur deux commentaires qu'a formulés M. Ware. Je n'ai pas en main votre exposé, mais je me souviens que vous avez soulevé deux points à propos de la qualité des enquêtes. Vous semblez penser que l'interprétation de la loi constitue le principal problème. Est-ce bien ce que vous estimez, c'est-à-dire que les responsables ne font pas leur travail? De son côté, M. Russell affirme que le problème est simplement que la loi a été mal rédigée et qu'elle doit être modifiée. Est-ce bien ce que vous dites essentiellement?
M. Roger Ware: Je ne crois pas qu'elle doit être modifiée. En fait, l'article 96 est assez bien. Je suis d'accord avec Tim Kennish quand il affirme que la loi a difficilement permis de faire en sorte que les gains en efficience ou les avantages qui résultent d'un fusionnement soient pris en compte par le Bureau de la concurrence lors d'une enquête et par les tribunaux. À tout le moins, il s'est avéré que, dans la pratique, la loi ne permet pas d'examiner objectivement les gains en efficience.
M. Brian Masse: Je veux être certain que je comprends bien vos propos au sujet des enquêtes menées incorrectement. Quelles enquêtes précisément ont-elles été mal effectuées?
M. Roger Ware: Le point que j'ai fait valoir à deux reprises lors de mon exposé, c'est que tous les économistes qui ont examiné la décision rendue dans l'affaire Superior Propane conviennent que la preuve présentée par le commissaire comportait une erreur assez considérable dans le calcul qu'il avait fait de l'excédent total. En fait, le tribunal, lors de son réexamen de la décision, a reconnu cette erreur. Mais il n'a pas été en mesure d'entendre la bonne preuve, car elle n'a pas été présentée. Si l'erreur n'était pas survenue, la décision aurait probablement—quoi que je ne puisse pas l'affirmer avec certitude—été à l'encontre du fusionnement.
M. Brian Masse: Nous revenons encore à la probabilité. Nous devons décider quelle voie emprunter.
M. Roger Ware: Tout à fait. Il ne faut pas qu'on pense que la décision concernant Superior Propane va à l'encontre de l'objectif de notre loi en matière de fusionnement. Il est très important de reconnaître que cette décision ne reflète pas de façon exacte ce que dit la loi.
M. Brian Masse: Je vais demander à M. Kennish et à M. Russell de dire un mot sur ce sujet, s'ils le veulent bien.
M. Tim Kennish: Merci.
Je le répète, puisque la défense fondée sur les gains en efficience n'est examinée qu'après qu'on ait déterminé que le fusionnement est illégal, les gains en efficience n'entrent pas beaucoup en jeu, voire pas du tout, lors de l'examen d'un fusionnement. Pourtant, les gains en efficience sont pris en compte lors de l'évaluation du mérite d'un fusionnement. On se demande s'il favorisera ou entravera la concurrence et s'il aura des répercussions positives sur l'économie.
Les gains en efficience peuvent en fait favoriser la concurrence. Par exemple, en améliorant la structure des coûts des entreprises qui fusionnent, on incite les concurrents à faire de même, ce qui pourrait engendrer une réduction des prix—et certainement une diminution des coûts pour l'économie.
º (1640)
M. Robert Russell: Quant à la question de savoir si une erreur a été commise, je dirais que beaucoup de gens réagissent après coup. C'est ce qu'ont tendance à faire les avocats ainsi que les économistes.
Je crois que l'avis minoritaire constitue la réponse à votre question. On ne l'examine pas, car on s'attarde toujours seulement à l'avis de la majorité. Mais Christine Lloyd a affirmé, dans le cadre de la décision concernant l'affaire Superior Propane, que le Bureau de la concurrence possédait de très bons économistes qui avaient bien fait leurs calculs, mais qu'elle s'était laissée prendre par la façon dont la majorité avait interprété l'article 96. Dans son avis minoritaire, Mme Lloyd précise que c'est l'interprétation de l'article 96 qui est mauvaise. Elle le dit très clairement aux paragraphes 506 à 508, où elle mentionne certains des éléments dont M. Kennish a parlé. Elle affirme qu'il est incorrect de considérer cela comme une défense absolue et que la façon dont le tribunal l'a soupesé est également incorrecte. Elle prétend que l'interprétation est mauvaise, mais c'est la décision de la majorité qui prévaut. Il a été décidé de ne pas en appeler de la décision. C'est de cette façon que fonctionne le droit canadien aujourd'hui.
Le président: Merci, monsieur Masse.
Monsieur McTeague, vous avez la parole.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de comparaître aujourd'hui, et d'avoir comparu dans le passé, vous tous, à l'exception de Mme Thomson.
Je m'intéresse à vous deux, monsieur Ware et monsieur Kennish, étant donné que vous avez déjà comparu devant le comité. M. Ware a déclaré qu'aucune consultation n'avait eu lieu, alors que vous avez pourtant témoigné en février 2002.
Je vais lire à partir du compte rendu certains commentaires que vous avez formulés, qui préoccupent légèrement des députés comme moi qui portent beaucoup attention aux comptes rendus. Je suis disposé à vous remettre la transcription. Permettez-moi d'aller droit au but.
Monsieur Kennish, vous avez déclaré ceci :
Je pense que la pièce est jouée. La Cour fédérale d'appel a tranché. La Cour suprême du Canada a refusé la permission d'interjeter appel de ce jugement. Par conséquent, la décision rendue par la Cour fédérale d'appel sur la question de savoir si la norme relative à l'excédent total est suffisante pour arriver à ce compromis, cette décision demeure entière. Je suis d'accord avec Paul. |
Il s'agit ici de Paul Crampton. Vous poursuivez en disant :
À mon avis, tout autre effet qui doit être pris en compte pour pouvoir invoquer cette défense va être tel que la portée des efficiences significatives au titre de la loi va diminuer au point de disparaître. Personnellement donc, moi je n'attendrai pas. |
Monsieur Ware, vous êtes intervenu à ce point en disant :
Pourrais-je ajouter un ou deux éléments? |
—vous avez alors exprimé votre accord avec M. Kennish—
Je pense que le tribunal pourrait encore nous donner quelques ratiocinations intéressantes au sujet de toutes les orientations qu'on lui a demandé d'examiner. Mais, comme mes deux collègues, je dirais que, quelle que soit la décision finale du tribunal, cette décision va exiger une remise en question totale du rôle des efficiences, en commençant par un réexamen de l'article 96... Nous devrions plutôt tenter de reformuler notre conception des efficiences, et il y a plusieurs façons de le faire. Il est certain qu'il faudra apporter certaines modifications à l'article 96, voire l'éliminer entièrement. |
Monsieur Kennish, vous terminez par ceci :
Là où je veux en venir, c'est que vous devriez envisager d'abroger l'article 96 et d'intégrer les gains d'efficience à l'article 93, soit celui qui fixe pour le tribunal les éléments à considérer avant de permettre ou non le fusionnement. |
Enfin, à ce sujet, monsieur Ware, je comprends votre intérêt, surtout en ce qui concerne l'excédent total—mais vous avez formulé le commentaire suivant :
Selon moi, si nous décidons d'abandonner la norme de l'excédent total, qui est peut-être déjà un fait accompli, eh bien, je serai d'accord avec Tim Kennish. Je crois qu'il serait mieux d'adopter une norme de prix, ce qui veut dire que nous serions prêts à accepter quelque chose pourvu que les gains d'efficience soient assez importants pour que les consommateurs puissent en tirer profit. Comme Tim a dit, j'aimerais l'ajouter à l'article 93 pour éviter d'avoir à jongler entre les articles 93 et 96. |
Messieurs, je crois que l'amendement proposé au projet de loi C-249 tente de refléter d'une certaine façon les préoccupations que vous aviez exprimées au comité et les échanges que vous aviez eus. Je crois que nous avons très bien tenu compte des points de vue que vous aviez exprimés.
C'était en février 2002. Depuis, je crois savoir que la décision a été réexaminée, mais étant donné la preuve accablante et votre propre point de vue, puis-je vous demander ce qui a changé au cours des 66 dernières semaines et qui pourrait vous faire changer d'avis aujourd'hui?
M. Tim Kennish: Monsieur McTeague, je dois vous expliquer qu'à l'époque je témoignais à titre individuel. Aujourd'hui, je comparais au nom de la section de la concurrence de l'Association du Barreau canadien. Nous nous sommes réunis hier pour rassembler nos points de vue, ce qui signifie que les points que je fais valoir aujourd'hui sont tirés d'un grand nombre d'opinions.
J'ai conclu mon exposé en disant—vous n'avez peut-être pas compris—qu'il y a du mérite à aborder ce point tel qu'il est exposé dans l'amendement. Mais parce que cette modification n'a pas fait l'objet d'une discussion au sein des collectivités concernées et que l'article 96 résulte d'une entente qui a été conclue en 1986 lorsque la loi a été modifiée considérablement, je crois qu'il vaut la peine de tenir une discussion publique au sujet de l'article 45. Personnellement, je voudrais que la loi soit modifiée tel qu'il a été proposé, mais je crois que ce point précis n'a pas fait l'objet d'une discussion aussi considérable qu'il le faudrait.
º (1645)
M. Dan McTeague: Avez-vous changé d'idée, monsieur Kennish? Si vous n'étiez pas ici à titre de représentant du Barreau, est-ce que votre position serait différente de celle que vous avez exposée en février 2002?
Je ne cherche pas à vous placer dans une situation difficile, parce que vos propos sont lourds de sens. Vous nous avez beaucoup aidés dans le passé, et vos propos confirment ce que pensent de nombreux membres du comité, en tout cas de ce côté-ci de la table. L'amendement qui a été proposé traduit, dans une certaine mesure, votre pensée.
M. Tim Kennish: Personnellement, je préférerais que les gains en efficience fassent partie des facteurs qui sont pris en compte dans le processus d'examen des fusionnements. Ce serait une bonne chose, puisqu'ils ne sont même pas en considération à l'heure actuelle. Or, ils doivent absolument pris en compte quand on évalue les effets d'un fusionnement.
M. Dan McTeague: Merci.
Monsieur Ware.
M. Roger Ware: J'aimerais faire trois commentaires. D'abord, j'ai dit l'an dernier, quand j'ai comparu devant le comité, que l'article 96 était efficace ou raisonnablement efficace.
Ensuite, j'ai toujours pensé—comme je viens de le mentionner—qu'il fallait regrouper les articles 93 et 96, et on pourrait y arriver en abrogeant l'article 96. Je n'aime pas le fait qu'on accorde si peu d'importance à la défense d'efficience. Ce moyen n'est invoqué que lorsque l'on constate qu'il y a diminution substantielle de la concurrence.
Enfin, comme vous venez de le mentionner, j'ai dit effectivement qu'il faut remplacer la norme du surplus total, si elle est abandonnée, par une norme de prix. Je le pense toujours. Je n'étais pas d'accord, à l'époque, avec l'idée de laisser tomber la norme du surplus total, et je ne le suis toujours pas. Toutefois, je préférerais, comme solution de rechange, qu'on la remplace par une norme de prix.
Le président: Avez-vous une autre question à poser, monsieur McTeague?
M. Dan McTeague: Merci.
La plupart des membres du comité ont assimilé, comme vous—et c'est la dernière fois que je cite vos propos—le dossier Superior Propane à un désastre. C'est pour cette raison que vous avez proposé qu'on reformule le concept.
Ma dernière question s'adresse à M. Russell. Vous avez dit avoir une certaine expérience en la matière. J'aimerais en avoir un exemple, car j'ai entendu dire—et j'en ai fait mention lors d'une séance antérieure—que les économistes et les avocats s'inquiètent de ce qu'un précédent a été établi, un précédent qui va être très probablement invoqué. Vous avez mentionné le chiffre de 25 millions de dollars qui, bien entendu, représente le budget annuel du Bureau de la concurrence—dans un cas, il a reçu 10 millions.
Il me semble que si trois fusions de ce genre devaient se réaliser, les consommateurs ne seraient pas les seuls à perdre au change, puisqu'on utiliserait les ressources que consacre le contribuable canadien à la mise en application efficace de la Loi sur la concurrence.
Qu'en pensez-vous?
M. Robert Russell: Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Je faisais allusion à l'affaire Cast, un fusionnement contesté qui visait l'industrie des porte-conteneurs. Le chiffre de 10 millions a été avancé par le Canadien Pacifique, qui était la partie intimée. L'entreprise a déclaré que cette affaire lui avait coûté 10 millions de dollars. C'est de là que vient le chiffre. Elle l'a déclaré publiquement dans les journaux.
J'ajouterais que, bien qu'elle ait laissé entendre que le fusionnement allait entraîner des gains en efficience, nous n'avons jamais été en mesure de l'établir, l'affaire ayant été réglée avant que nous ne puissions le faire. Mais je peux vous dire que cela lui aurait coûté beaucoup plus cher si nous avions eu à le faire. Comme l'entreprise avait invoqué l'argument des gains en efficience, j'ai été obligé—j'agissais à titre de commissaire dans ce dossier—de procéder à une vérification de l'efficience, de rencontrer des experts, d'appliquer l'article 96.
Or, l'article 96 est un véritable fouillis. Je peux vous dire, en tant qu'avocat—et j'ai eu l'occasion de m'occuper de dossiers constitutionnels, l'interprétation des lois représentant une bonne partie de mon travail—que l'article 96 est un véritable fouillis. Je n'en suis pas étonné. Je n'ai pas fait beaucoup de déclarations publiques à ce sujet au fil des ans, mais j'ai dit à mon client, à l'époque, c'est-à-dire le commissaire, que cet article était un fouillis. J'ai dit que les lignes directrices applicables aux fusionnements étaient un fouillis.
Et franchement, contrairement à ce qu'ont dit mes collègues, je trouve l'article de Margaret Sanderson, qui date des années 80, et la réponse de Stephen Ross, fort pertinents. Le titre disait, en substance—et cette réponse, qui a été rédigée bien avant l'affaire Superior Propane, tombe à point nommé—« Le Parlement canadien a-t-il autorisé des fusionnements qui ont pour effet d'exploiter les consommateurs canadiens, au nom de l'efficience? » C'était là le titre de sa réponse. Les articles datent de 10 ans. En fait, Tom Ross et moi avons ensuite envisagé la possibilité de rédiger un article sur les efficiences. C'était il y a au moins 10 ans de cela. Je serais étonné d'entendre quelqu'un dire que nous n'avons pas épuisé le sujet à fond.
Je pense que la question est très claire, mais qu'il faut faire preuve de prudence. Plusieurs observateurs—et je ne suis pas le seul—dont les avocats de Superior Propane, ont dit... Brian Facey et Dany Assaf—ils représentants Superior Propane et ils sont en faveur de la norme du surplus total—ont écrit récemment, dans un article, que l'application de la défense fondée sur l'efficience exigeait qu'on procède à une analyse complexe du dossier, au cas par cas, une analyse où la prévisibilité du contexte commercial serait reléguée au second plan. Même ceux qui appuient cette norme reconnaissent à quel point elle est difficile à appliquer.
º (1650)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Fitzpatrick.
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne): J'aimerais faire quelques brefs commentaires.
J'avais l'habitude de me demander pourquoi on ne consultait pas le hansard quand on voulait connaître les intentions du législateur. Une fois arrivé ici, j'ai arrêté de me poser la question. Il suffit tout simplement, pour comprendre, d'assister à la période des questions...si vous voulez vraiment savoir quelle est l'intention du législateur pour ce qui est du registre des armes à feu, il suffit de suivre les débats à la Chambre.
Par ailleurs, nombreux sont les députés du parti ministériel qui invoquent les gains en efficience et le critère du surplus total pour défendre le régime canadien de soins de santé. Ils invoquent cet argument constamment.
Je voudrais vous parler de l'affaire Superior Propane, car j'habite une région où les habitants s'estiment heureux d'avoir du service. Ne parlons même pas de la concurrence des prix. Dans ma région, si Imperial Oil fixe le prix, tout le monde suit. Si les banques modifient leur taux d'intérêt sur l'hypothèque d'un an, le lendemain, toutes les institutions financières vont afficher le même taux. Nous nous estimons tout simplement heureux d'avoir du service. Au Canada, 90 p. 100 des habitants vivent à moins de 100 milles de la frontière américaine, où la concurrence est plus vive. Les autres ne possèdent pas cet avantage.
J'essaie tout simplement de comprendre l'argument relatif aux pertes sèches qui a été invoqué dans l'affaire Superior Propane, parce que le service est essentiellement fournit par un duopole, non pas par cinq ou six personnes, comme c'est le cas avec les banques. Il est question ici de deux personnes qui fournissent un service. Or, les effets anticoncurrentiels risquent d'être très néfastes si, tout à coup, il n'y a plus qu'une seule entreprise qui fournit le service.
J'aimerais que quelqu'un m'explique un peu les pertes sèches qui ont été enregistrées quand ce fusionnement a été réalisé.
M. Tim Kennish: Encore une fois, je ne suis pas un économiste, mais la perte sèche correspond essentiellement à la baisse de productivité qui résulte d'une hausse des prix ou d'une moindre grande disponibilité de produits. Il faut se demander si, dans l'affaire Superior Propane, les pertes sèches ont bien été calculées, car les gains en efficience doivent être supérieurs aux pertes sèches, plus le transfert de la richesse.
D'après les économistes, les pertes sèches ont été considérablement sous-estimées. Si elles avaient été correctement calculées, les gains en efficience n'auraient pas été supérieurs aux pertes sèches, la défense fondée sur l'efficience n'aurait pu être invoquée, et la transaction n'aurait pas été autorisée.
º (1655)
M. Brian Fitzpatrick: Sauf votre respect, je ne pensais pas que la concurrence des prix entre les deux entreprises allait être considérée comme un facteur. Il y a ce qu'on appelle la loi des rendements décroissants, et je pense que les deux entreprises la connaissent fort bien. Je ne sais pas si le fusionnement de deux entreprises a vraiment un impact radical sur le prix du propane.
M. Roger Ware: La question de savoir si les prix augmenteraient ou non par suite de ce fusionnement a été longuement débattue lors de l'audience. Je ne me suis pas occupé du dossier, mais c'est ce qu'indiquent les centaines de pages de témoignages.
Pour revenir à ce qu'a dit mon collègue Tim Kennish, l'expression perte sèche signifie que les consommateurs qui paient un produit plus cher que ce qu'il en coûte pour le mettre au point ne pourront plus en faire la consommation parce qu'il se vendra à un prix encore plus élevé. Voilà ce qu'on entend par perte sèche. Les économistes vont ensuite tenter de quantifier cette hausse de prix.
Le président: Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Je voudrais répondre au commentaire qu'a fait le député. Vous dites, essentiellement, qu'il n'y a pas tellement de différence entre un duopole et un monopole, et vous avez probablement raison. Ceux qui sont contre la concentration du marché veulent à tout prix éviter le genre de situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés avec le propane, où il n'y a que deux producteurs qui desservent le marché. Vous avez dit que la concurrence des prix n'était pas un facteur, ce qui cadre en tout point avec cette théorie.
Je trouve la situation un peu ironique, car j'ai représenté Amoco quand elle a fait l'acquisition de Dome Petroleum. Ce projet de fusionnement était le premier à être examiné en vertu des dispositions en vigueur en 1986. Nous avons fait valoir que les producteurs de propane détenaient une position monopsonique. Cela veut dire que les acheteurs détenaient tellement d'emprise sur le marché qu'ils dominaient aussi la concurrence du côté de l'offre. Nous avons fait valoir, pour justifier la fusion Dome-Amoco, qu'il y avait déjà trop de concentration dans l'industrie. Dix ans plus tard, les deux entreprises fusionnaient et créaient Superior Propane.
Vous avez parlé de l'absence de concurrence et vous avez probablement raison sur ce point, mais cela démontre bien l'importance qu'il faut attacher au bien-être du consommateur.
M. Brian Fitzpatrick: J'aimerais faire un dernier commentaire à ce sujet. Bon nombre de régions peu peuplées risquent de ne pas être desservies du tout si l'on essaie d'encourager la concurrence dans ce genre de marché. Les choses étant ce qu'elles sont, si vous arrivez à trouver une seule entreprise qui accepte de desservir ce marché, eh bien, tant mieux.
M. Roger Ware: Je pourrais peut-être répondre. J'ai parlé, dans ma déclaration liminaire, de ce que les économistes appellent les marchés disputables, où il est tout à fait possible de n'avoir qu'un seul fournisseur. Certains qualifient ce marché de monopole. Je ne suis pas tellement d'accord, puisque ce marché peut se comporter de façon très concurrentielle, étant donné qu'un nouveau fournisseur pourrait essayer de pénétrer le marché si le fournisseur unique essayait d'augmenter les prix.
Le président: Merci, monsieur Fitzpatrick.
Monsieur Savoy.
M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. J'ai quelques questions à vous poser. La première porte sur le facteur de certitude qui entoure les entreprises fusionnées. Ce facteur, présentement, semble être quantifiable.
Je devrais tout d'abord dire que j'appuie, de manière générale, l'amendement proposé, c'est-à-dire l'objet de celui-ci, parce que je pense que la décision Superior est un simulacre. Elle soulève chez moi certaines inquiétudes.
Pour ce qui est du facteur de certitude entourant les entreprises fusionnées—et ma question s'adresse à M. Russell—on a laissé entendre que, parce qu'il y a plus d'incertitude et plus de subjectivité, disons, de la part du commissaire en vertu de ce nouvel amendement, ce dernier risque—comme diraient certaines—de « freiner » l'élan des entreprises qui souhaitent fusionner.
En fait, j'aimerais que tous les témoins répondent. A-t-on raison ou non de penser une telle chose?
M. Robert Russell: À mon avis, ceux qui prétendent que cet amendement va provoquer de l'incertitude ne sont pas sincères. Ceux qui ne prônent pas, pour l'instant... Tout le monde s'entend pour dire que cet amendement renforce la loi sur la concurrence. Il y a un article qui a paru récemment dans le journal sur la loi antitrust, où il est question des mesures qui ont été instituées à ce chapitre en Europe. On leur a présenté un livre vert et ils ont dit, non, nous devons assurer le bien-être des consommateurs pour qu'il y ait plus de certitude dans les marchés.
Donc, ceux qui disent que cet amendement provoque de l'incertitude ne sont pas très sincères.
» (1700)
M. Tim Kennish: Je tiens tout simplement à dire que l'interprétation actuelle de l'article 96 crée beaucoup d'incertitude. Si je devais conseiller des parties fusionnantes, je serais incapable de leur dire dans quelle mesure les gains en efficience doivent être supérieurs au transfert de richesses, pour la simple raison que je ne pense pas que cela soit possible. M. Ware laisse entendre que les producteurs sont redevables à des actionnaires qui peuvent se retrouver n'importe où. Il est d'abord très difficile de savoir qui sont ces actionnaires. Ensuite, il y a les travailleurs d'usine qui, eux, sont chargés de mettre au point le produit livré par l'entreprise fusionnée. Ils méritent qu'on les prennent en considération.
Donc, je ne pense pas que l'article 96, dans sa forme actuelle, crée plus de certitude. À mon avis, l'approche factorielle, même si elle ne permet pas nécessairement de nous entendre sur le résultat, est beaucoup plus efficace.
M. Roger Ware: Tout changement important apporté à une loi crée, par définition, de l'incertitude. Toutefois, j'ai du mal à croire que l'interprétation de l'article 96 puisse créer encore plus d'incertitude qu'il n'en a créée au cours des 10 dernières années. Je pense que l'amendement contribuerait, à long terme, à réduire l'incertitude qui existe.
M. Andy Savoy: Merci.
Dans un autre ordre d'idées, il y a des pays, surtout en Europe, qui cherchent à permettre aux consommateurs d'avoir leur juste part des profits. Je pense par exemple au Traité de Rome. Si nous ne faisons pas la même chose et que nous acceptons le précédent qu'établit la décision Superior, qui sert de fondement... Monsieur Russell, vous avez dit que tout avocat sérieux serait en mesure de plaider une affaire comme celle-ci et d'avoir gain de cause la plupart du temps, en se fondant sur ce précédent. Est-ce que les autres témoins sont d'accord avec vous?
M. Tim Kennish: Je ne suis pas tout à fait d'accord. J'ai dit, dans ma déclaration liminaire, que ce moyen de défense ne pourrait être invoqué que dans de très rares cas.
M. Roger Ware: Je suis d'accord. Comme je l'ai déjà mentionné, il est peu probable qu'un fusionnement, qui a pour effet d'engendrer des gains en efficience, respecte en tous points le critère du surplus total, en tout cas pas avec le degré de concentration que crée Superior Propane.
M. Andy Savoy: Simplement pour confirmer ce que vous pensez, monsieur Russell, j'aimerais vous entendre de nouveau là-dessus.
M. Robert Russell: D'après mon expérience auprès de clients du secteur privé, je ne connais personne qui n'arrive pas à faire valoir les gains en efficience que le fusionnement va faire réaliser. Et arriver à avoir des experts pour contester cela avec des chiffres, alors que même dans le cas de Supérieur Propane c'était difficile jusqu'à un certain point, et les chiffres et l'analyse quantitative qui a été faite... Je ne le crois pas, et je le répète, tout bon avocat plaidant sera en mesure de présenter une défense solide fondée sur l'efficience à partir de cette décision. La porte est grande ouverte. Pour tout secteur qui fonctionne en réseaux—qu'il s'agisse de livrer du gaz propane par camion, ou du pain, c'est comparable—vous allez exposer des arguments et contester à grands frais, et je pense que vous aurez gain de cause compte tenu de cette décision.
Les tribunaux l'ont déjà fait et pourraient encore le faire, j'imagine. Le tribunal pourrait commencer à modifier son critère parce qu'il se rend compte de son impact. Mais il y aurait des changements structurels au Canada dans l'intervalle. On ne peut pas reculer une fois qu'il y a eu concentration. Qui pense que l'industrie aérienne redeviendra facilement concurrentielle au Canada? Nous sommes chanceux d'avoir de nouveaux joueurs.
Pour répondre aux questions posées, les petites localités sont servies par de petites entreprises, et c'est ce que voulait préserver la Loi sur la concurrence. Elle recherche un certain équilibre pour offrir des débouchés aux petites entreprises qui veulent prendre le risque de s'établir dans une petite localité pour y vendre du gaz propane, ou offrir des services aériens dans des coins reculés du Canada. Dès que l'on concentre l'économie dans un secteur, comme nous le faisons, on réduit les possibilités d'accès, ce qui est déjà un facteur dans la loi. La domination du marché a réduit cette possibilité.
Ce sont des aspects que nous devons protéger dans un pays comme le Canada, qui a une économie relativement modeste. La défense fondée sur l'efficience, telle qu'elle existe actuellement, se répercute sur tout cela.
» (1705)
Le président: Merci, monsieur Savoy, à moins que vous ayez une très brève question à poser.
M. Andy Savoy: Oui, j'en ai une très brève.
Elle a été évoquée une fois en 15 ans. Pensez-vous que la décision rendue dans l'affaire Supérieur Propane fera en sorte qu'elle le sera plus souvent à court terme?
M. Robert Russell: Elle n'a pas été invoquée une fois en 15 ans. Elle a été portée devant les tribunaux jusqu'au bout une fois en 15 ans, mais elle a été soulevée dans chacune des causes dont je me suis occupé, chacune d'elles. Elle doit être soumise à un examen administratif et les services d'experts doivent être retenus; il faut l'étudier en profondeur. Elle est toujours invoquée, mais elle n'a tout simplement pas été portée devant les tribunaux dans chaque cas.
Le président: Monsieur Kennish.
M. Tim Kennish: D'après mon expérience, les gens ne présentent plus de défense fondée sur l'efficience pour justifier un fusionnement, et je crois comprendre que le Bureau n'examine pas ces défenses avant d'avoir décidé que le projet devrait être bloqué d'une autre manière parce qu'il y a diminution importante de la concurrence.
Le président: Monsieur Ware.
M. Roger Ware: Je m'excuse. A-t-on demandé si nous nous attendons à ce qu'il y ait encore plus de cas de ce genre?
M. Andy Savoy: Oui.
M. Roger Ware: Je pense avoir déjà répondu à cela.
Pour moi, en tant qu'économiste, le fusionnement de banques pourrait peut-être être un cas intéressant parce que, comme quelqu'un l'a souligné, c'est un secteur où la concentration est moins grande que dans celui du gaz propane. Si les gains en efficience sont importants, il se pourrait que le fusionnement soit approuvé de justesse en vertu de la loi actuelle.
M. Andy Savoy: Merci.
Le président: Monsieur Normand, pour une dernière intervention.
M. Gilbert Normand (Bellechasse—Etchemins—Montmagny—L'Islet, Lib.) Me permettez-vous de parler en français?
[Français]
Vous dites, monsieur Kennish et monsieur Ware, que depuis 16 ans, du point de vue légal, l'article 96 fonctionne bien. D'après M. Russell, si on y apporte des changements, c'est principalement pour des motifs de politique sociale. J'aimerais néanmoins savoir si des citoyens--et par citoyens j'entends aussi les entreprises--ont été lésés à cause de la faiblesse de l'article 96.
[Traduction]
Comprenez-vous?
M. Tim Kennish: Je m'excuse, mais j'ai manqué la première partie de votre question en changeant l'écouteur de langue. Je n'ai donc pas pu comprendre toute votre question, désolé.
M. Gilbert Normand: Vous et M. Ware avez dit que, depuis 16 ans, du point de vue légal, l'article 96 fonctionne bien, et M. Russell a ajouté que, si on modifie la loi, ce serait pour des raisons de politique sociale. De votre côté, savez-vous si des entreprises canadiennes et des citoyens canadiens ont été lésés en raison de l'article 96?
M. Tim Kennish: Je suis désolé, mais je n'ai toujours pas très bien compris.
Le président: Répétez votre question en français et assurons-nous de l'interprétation.
M. Tim Kennish: Je m'excuse de...
[Français]
M. Gilbert Normand: Est-ce que des citoyens canadiens--et par citoyens j'entends les entreprises et les individus--ont été lésés à cause de la faiblesse de l'article 96 au cours des dernières années?
[Traduction]
M. Tim Kennish: À ma connaissance, il n'y a pas eu de projets qui n'ont pas pu se réaliser parce que l'article 96 n'a pas reconnu les gains en efficience, mais il est bien clair pour moi que les gains en efficience ne sont pas vraiment pris en considération aujourd'hui et je pense que ce serait avantageux qu'ils le soient. La modification proposée par M. McTeague serait utile à cet égard.
» (1710)
Le président: Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Pour répondre à votre question, je crois que les consommateurs ont été défavorisés, en partie. Quand on dit qu'il y a une cause qui a été portée devant les tribunaux jusqu'au bout, cela ne veut pas dire que la question n'a pas été soulevée dans les autres cas et que ce n'est pas un des aspects dont le bureau a dû tenir compte dans son examen administratif. L'analyse économique complexe qui est nécessaire pour soutenir l'interprétation actuelle de l'article 96 a eu pour effet, je crois, d'inciter le bureau à approuver des projets à cause de l'analyse très imposante qu'il lui faudrait entreprendre pour les contester. C'est seulement une partie du problème, parce que le sous-financement chronique du bureau et sa capacité de payer pour une analyse aussi fouillée entrent aussi en ligne de compte.
L'article 96 est complexe et donc coûteux. Par conséquent, je pense qu'il a joué un rôle, même quand les cas n'ont pas été portés devant les tribunaux, pour faire autoriser des fusionnements qui ne l'auraient pas été autrement.
Le président: Monsieur Ware.
M. Roger Ware: Même si je ne peux évidemment pas donner d'exemple précis, je pense qu'il est fort probable que des fusionnements entraînant des gains en efficience n'ont pas eu lieu en raison de l'incertitude et de la confusion entourant la loi. Oui, je penserais que c'est fort probable.
[Français]
M. Gilbert Normand: Ma question est courte et la réponse est peut-être trop difficile, mais je vais quand même la poser. Si Microsoft avait eu à faire face à l'article 96, aurait-elle réussi à s'en tirer ici, au Canada, contrairement à ce qui fut le cas aux États-Unis?
[Traduction]
M. Tim Kennish: L'article 96 prévoit une défense fondée sur l'efficience pour les fusionnements. La cause entendue aux États-Unis avait trait à la façon dont l'entreprise vendait certaines fonctionnalités. La défense fondée sur l'efficience n'aurait pas été pertinente dans ce cas, mais je pense que les gains en efficience devraient être pris en considération dans toutes les évaluations d'arrangements du genre.
M. Robert Russell: Je dois convenir avec M. Kennish que la cause de Microsoft n'en était pas une de fusionnement. Je vous répondrais ceci. Si Microsoft avait proposé un fusionnement avec la société Corel d'Ottawa, qui fabrique le logiciel WordPerfect, oui, la situation serait différente des États-Unis en vertu de notre loi, je crois, compte tenu des gains en efficience qui pourraient être invoqués pour ce qui est des produits, des échanges de compétences et du coût du développement de logiciels. Si le cas se présentait, notre loi permettrait de présenter des arguments différents de ceux qu'il est possible d'invoquer aux États-Unis.
Le président: Monsieur Ware.
M. Roger Ware: Je confirmerais que la même transaction, ou une transaction semblable, serait probablement traitée différemment dans les deux pays, en vertu de leurs lois respectives. Depuis la décision concernant Supérieur Propane, le cadre de l'article 96 serait plus permissif à l'égard des gains en efficience.
Le président: Merci beaucoup. Notre temps est écoulé.
Je remercie les témoins, et je rappelle aux membres que nous avons une question à examiner à huis clos. Nous allons prendre une pause d'une minute pour préparer la salle.
Merci beaucoup. La séance publique est levée.