SC38 Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments (Projet de loi C-38)
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le lundi 3 novembre 2003
¹ | 1540 |
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)) |
M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne) |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne) |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
Mme Susan Baldwin (greffière à la procédure) |
M. Randy White |
La présidente |
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.) |
¹ | 1545 |
M. Kevin Sorenson |
La présidente |
Mme Marlene Jennings |
M. Kevin Sorenson |
La présidente |
Mme Marlene Jennings |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
¹ | 1550 |
M. Philippe Lucas (directeur, Canadiens pour l'accès sécuritaire) |
¹ | 1555 |
La présidente |
M. Michel Perron (directeur général, Centre canadien de la lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies) |
º | 1600 |
º | 1605 |
La présidente |
M. Harold Kalant (professeur, Département de pharmacologie, Université de Toronto) |
º | 1610 |
º | 1615 |
º | 1620 |
La présidente |
Mme Patricia Erickson (À titre individuel) |
º | 1625 |
º | 1630 |
La présidente |
Mme Patricia Erickson |
La présidente |
M. Marc Boris Saint-Maurice (chef, Parti marijuana) |
º | 1635 |
La présidente |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
º | 1640 |
La présidente |
M. Randy White |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Randy White |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Randy White |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
M. Harold Kalant |
La présidente |
Mme Patricia Erickson |
La présidente |
M. Michel Perron |
º | 1645 |
La présidente |
M. Randy White |
La présidente |
Mme Patricia Erickson |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
M. Michel Perron |
M. Randy White |
M. Michel Perron |
º | 1650 |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Randy White |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Randy White |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
La présidente |
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ) |
º | 1655 |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Réal Ménard |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Réal Ménard |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Philippe Lucas |
M. Réal Ménard |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Réal Ménard |
La présidente |
Mme Patricia Erickson |
M. Réal Ménard |
M. Michel Perron |
» | 1700 |
M. Réal Ménard |
M. Michel Perron |
M. Réal Ménard |
M. Harold Kalant |
» | 1705 |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
» | 1710 |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
Mme Libby Davies |
M. Michel Perron |
» | 1715 |
Mme Libby Davies |
M. Michel Perron |
Mme Libby Davies |
M. Michel Perron |
Mme Libby Davies |
M. Michel Perron |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
» | 1720 |
La présidente |
M. Harold Kalant |
La présidente |
M. Harold Kalant |
La présidente |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
M. Harold Kalant |
» | 1725 |
M. Paul Harold Macklin |
M. Harold Kalant |
La présidente |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
M. Harold Kalant |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
M. Harold Kalant |
La présidente |
M. Gilbert Barrette (Témiscamingue, Lib.) |
M. Michel Perron |
» | 1730 |
La présidente |
Mme Patricia Erickson |
La présidente |
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.) |
» | 1735 |
La présidente |
Mme Patricia Erickson |
M. Michel Perron |
La présidente |
M. Philippe Lucas |
La présidente |
» | 1740 |
M. Marc Boris Saint-Maurice |
La présidente |
CANADA
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments (Projet de loi C-38) |
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 3 novembre 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1540)
[Traduction]
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): La séance est ouverte.
Monsieur White.
M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne): Madame la présidente, il a fallu que j'aille en Chambre, mais je crois savoir que vous avez annoncé que l'étude article par article de ce projet de loi allait se faire mercredi. C'est juste?
La présidente: Nous sommes arrivés à la fin de la liste des témoins et nous proposons que l'étude se fasse mercredi après-midi.
M. Randy White: Si nous passons à l'étude article par article mercredi, cela signifie que le témoignage des gens que nous allons entendre aujourd'hui et mardi soir, s'ils viennent, aura à peine pu être transcrit ou discuté par nous. Comment prévoyez-vous que nous pourrons incorporer au projet de loi les avis entendus récemment?
Nous n'avons pas entendu—et j'espère que vous aborderez la question—les Américains, les solliciteurs généraux ou leurs représentants. Je trouve que vous forcez l'adoption de ce projet de loi ici au mépris des conséquences. Chacun des témoins jusqu'à présent à qui j'ai posé la question a dit que ce projet de loi n'est en rien préférable au statu quo.
Si le gouvernement pense un instant qu'il va déposer ce projet de loi à la Chambre des communes sans graves conséquences, sans amendement, ou uniquement un amendement mineur comme le souhaite le ministre—ou peu importe ce qu'il souhaite—il se leurre. On ne va pas tolérer ça.
La présidente: Je ne suis pas certaine qu'il s'agisse d'un rappel au Règlement, mais si vous voulez en discuter après que l'on aura entendu les témoins...
M. Randy White: Vous pourrez m'entendre maintenant ou plus tard. Libre à vous de décider.
La présidente: Monsieur White, je me ferais un plaisir d'en discuter avec vous, mais vous avez demandé un rappel au règlement et je ne suis pas sûre que c'est de cela qu'il s'agit.
M. Randy White: Ça s'en vient.
La présidente: D'accord.
M. Randy White: J'invoque le Règlement parce que vous y avez dérogé et c'est de cela que je me plains.
En ce qui concerne les amendements qui s'en viennent, ils n'ont pas à être déposés—comme on nous l'a apparemment dit—le plus tôt possible; ils n'ont qu'à être déposés au moment de l'étude des amendements. Si nous n'avons pas le temps de les rédiger, je veux avoir l'assurance du comité que les amendements seront acceptés à l'étape de la deuxième lecture en Chambre, à l'étape du rapport.
La présidente: Vous n'avez pas besoin des assurances du comité puisqu'il existe déjà un mécanisme de dépôt des amendements à l'étape du rapport.
Deuxièmement, par égard pour tous les membres du comité, il leur a été rappelé qu'un mécanisme existe pour les rédiger, s'ils ont besoin d'aide. Ce n'est pas tout le monde qui rédige des amendements. Des gens en rédigent depuis le dépôt du projet de loi.
M. Randy White: Il y en a beaucoup d'autres à venir.
La présidente: Si vous préférez que je ne rappelle pas aux gens qu'il y a moyen d'obtenir de l'aide pour la rédaction des amendements, je veux bien.
M. Randy White: Mais je peux vous assurer que si vous pensez qu'en organisant l'étude article par article mercredi vous allez pouvoir discuter de tous les amendements qui s'en viennent, j'ai des nouvelles pour vous.
La présidente: Je serai heureuse de prendre connaissance des amendements au moment où ils arriveront, monsieur White.
M. Randy White: Et comment!
La présidente: Il existe un mécanisme qui vous permet de les déposer à ce moment-là.
M. Randy White: Les témoins viennent ici de bonne foi et il est de notre devoir non seulement de les écouter mais d'incorporer leurs vues aux amendements. Ce n'est pas ainsi qu'agit le gouvernement. Vous allez déposer le projet de loi et dire que c'est ce que les Canadiens vont avoir. Il est arrivé la même chose cette semaine au Comité de la justice dans le cas de deux autres projets de loi.
La présidente: Merci, monsieur White.
Madame Davies.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Sur ce point, j'imagine que j'avais tenu pour acquis—à tort peut-être—que nous allions nous occuper des amendements en comité. Est-il possible que ce ne soit pas le cas et que le projet de loi aille directement à la Chambre, ou va-t-on s'occuper des amendements ici en comité?
La présidente: Nous allons examiner les amendements lors de l'étude article par article en comité.
Mme Libby Davies: La question est donc de savoir si nous pouvons les avoir avant la réunion du comité de mercredi prochain. À quelle heure est-elle prévue?
La présidente: À 15 h 30.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Nous travaillons toujours aux amendements et nous les amenons ici. Tout d'un coup, le temps presse, comme ça a été le cas tout au long de cette comédie. Tout d'un coup, mercredi, nous allons commencer l'étude article par article. Cela nous laisse trop peu de temps.
La présidente: Merci, monsieur Sorenson.
Nous allons maintenant entendre les témoins.
M. Randy White: Ho! Un instant.
La présidente: Vous avez fait votre intervention, je comprends que vous travaillez...
M. Randy White: J'aimerais poser une question à la greffière, madame la présidente. Si nos amendements ne sont pas prêts pour mercredi, quand aurons-nous la chance de les déposer?
Mme Susan Baldwin (greffière à la procédure): Normalement, le Président n'accepte pas les amendements qui auraient pu être déposés en comité; c'est donc à vous d'interpréter ce que cela veut dire.
M. Randy White: Vous l'avez entendu, mesdames et messieurs. Il n'y aura quasiment aucun amendement venant de nous parce qu'ils vont être soumis au Président et ils diront que les amendements ne peuvent pas être acceptés et ils vont adopter le projet de loi tel quel. Bienvenue au Canada sous le gouvernement libéral.
La présidente: Madame Jennings.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): J'aimerais intervenir brièvement dans ce débat. C'est la première fois que je siège à ce comité, mais j'ai siégé à beaucoup d'autres. Dans l'un de ceux-là, de nombreux amendements ont été déposés par les députés de l'opposition le jour où le comité a procédé à l'étude article par article. Je ne vois donc pas où M. White veut en venir.
¹ (1545)
M. Kevin Sorenson: C'est devenu l'habitude avec ce gouvernement. C'est arrivé la semaine dernière dans le cas du C-20 puis du C-33. Tout d'un coup, on nous a dit mardi que l'on allait passer à l'étude article par article le lendemain. Il a fallu nous décarcasser pour que nos amendements soient prêts le lendemain.
Il y a des témoins qui s'en viennent. On nous a dit qu'on ne pourra pas entendre d'autres témoins parce qu'ils ne peuvent pas venir à si court préavis. Et voilà que le projet de loi nous tombe dessus! Ce n'est pas une façon de travailler.
La présidente: Madame Jennings.
Mme Marlene Jennings: J'aimerais rappeler les faits. Au Comité de la justice, on a demandé à tous les membres la semaine précédente s'ils seraient prêts à passer à l'étude article par article les mardi et mercredi suivants. On leur a demandé s'ils pouvaient donner leurs amendements le vendredi, mais que ceux-ci seraient recevables dès que le comité entreprendrait l'étude article par article. En vérité, ce n'était donc pas la veille, mais plusieurs jours auparavant.
M. Kevin Sorenson: Ce n'est pas vrai, c'était la veille.
La présidente: Désolée, monsieur Sorenson, madame Jennings, je ne pense pas qu'il nous faille...
Mme Marlene Jennings: Tous les membres ont accepté.
La présidente: ...débattre de ce qui est arrivé dans un autre comité.
M. Randy White: Alors, s'ils ne sont pas prêts mercredi, on les balance, c'est ça? C'est ce qu'on nous dit.
La présidente: Loin de moi l'idée de vous suggérer de balancer quoi que ce soit, monsieur White.
M. Randy White: Il y a deux libéraux ici et quatre députés de l'opposition. Cela vous donne une idée du sort qui attend ce projet de loi. Vous vous en foutez éperdument.
La présidente: Merci, monsieur White.
Comme je ne veux pas que l'on se foute des témoins, je vais maintenant passer à eux.
Représentant l'association Canadians for Safe Access, nous recevons M. Philippe Lucas. Du Centre canadien de la lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, Mme Patricia Begin, directrice, politique et recherche, ainsi que M. Michel Perron, directeur général. De l'Université de Toronto, M. Harold Kalant, professeur à la faculté de pharmacologie. À titre personnel, Mme Patricia Erickson. Du Parti marijuana, nous recevons son chef, M. Marc-Boris St-Maurice.
Monsieur Lucas.
¹ (1550)
M. Philippe Lucas (directeur, Canadiens pour l'accès sécuritaire): Permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir entrepris cette tâche imposante et pour l'occasion que vous me donnez de m'adresser à vous sur cette question importante. Pourquoi est-elle importante? Comme la prohibition du cannabis se traduit par plus de 30 000 arrestations au Canada chaque année et que plus de 600 000 Canadiens ont un casier judiciaire pour possession personnelle de marijuana, ce n'est pas une mince affaire.
Le projet de loi C-38 se distingue par le fait qu'il ne plaît ni aux prohibitionnistes ni aux réformateurs de la politique antidrogue. Cela a dû être un choc pour le ministre de la Justice, M. Cauchon, de constater qu'après avoir annoncé les détails de cette prétendue modernisation des politiques canadiennes relatives au cannabis, pas un seul chercheur ou militant de la réforme de la politique antidrogue ne s'est prononcé en faveur de ce qui est largement perçu comme un pas vers une prohibition coûteuse à l'américaine qui a été un échec. Ajoutant à la confusion, la droite a attaqué l'apparente dépénalisation de la possession personnelle qui est la clef de voûte de ce texte.
Comme ancien instituteur et actuel consommateur, distributeur et chercheur de cannabis thérapeutique, je peux vous assurer que ce texte revêt une importance particulière pour la communauté du cannabis médicinal.
Premièrement, en omettant d'incorporer dans la loi les droits à la vie et à la liberté des consommateurs de cannabis médicinal—comme le gouvernement en a reçu l'ordre de divers tribunaux, dont la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Terry Parker—le projet de loi C-38 sous sa forme actuelle, s'il est adopté, se soldera fatalement par de nouveaux cas d'arrestation et de poursuites de consommateurs et de producteurs de cannabis médicinal légitimes. Cela mènera à d'autres contestations judiciaires et constitutionnelles de la validité de la prohibition du cannabis dans son ensemble. Comme on l'a vu dans la légalisation de facto ordonnée par le tribunal cet été en Ontario, cela se soldera par une confusion et de la consternation dans les deux camps.
Deuxièmement, en écartant les conseils du Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites et du Comité spécial de la Chambre des communes sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments—le vôtre—en faveur de la culture personnelle à petit échelle de cannabis, le texte rendra encore plus lucratif la distribution illégale et consolidera le marché noir de la production et de la vente de cannabis.
De plus, étant donné, d'après un sondage parrainé par Santé Canada selon lequel plus de 400 000 Canadiens disent actuellement consommer du cannabis pour des raisons de santé, alourdir les peines ne serait-ce que pour la culture à petit échelle aura pour effet d'élargir le filet pour y capturer des consommateurs légitimes de marijuana médicinale.
En outre, imposer des peines plus sévères aux récidivistes aggravera sûrement la situation des consommateurs à des fins médicinales atteints de maladies chroniques, dont beaucoup dépendent de la consommation régulière de cannabis thérapeutique pour rester en vie. Quel triste paradoxe de constater que beaucoup de consommateurs à des fins médicinales gagnent peu—parce qu'ils sont trop malades pour travailler—et qu'ils seront sans doute les moins en mesure d'acquitter les amendes pour consommation personnelle.
Troisièmement, quel raisonnement suit-on quand on donne aux policiers un pouvoir d'appréciation lorsqu'il s'agit de verbaliser ou de poursuivre ceux qui enfreignent cette loi alors que l'on songe à imposer des peines obligatoires pour la culture? Puisque l'application inégale de la prohibition du cannabis est l'un des motifs invoqués de cette réforme, il ne semble pas logique de faire de la police à la fois le juge et le jury.
Même en Colombie-Britannique, connue pour sa tolérance, le consommateur de cannabis risque huit fois plus d'être accusé de possession personnelle à Victoria qu'à Vancouver. Cette inégalité est encore plus criante si l'on compare milieu urbain et milieu rural et si l'on compare les chiffres provinciaux d'arrestations et de poursuites.
Passer à un régime d'amendes n'est-il pas un pas dans la bonne direction? Peut-être en apparence, mais lorsque le territoire d'Australie-Méridionale a tenté l'expérience au début des années 90, le résultat a été une augmentation de l'action policière contre les consommateurs de cannabis. Pendant la première année du régime des amendes, plus de deux fois plus de procès-verbaux ont été délivrés que d'arrestations pour possession pour cannabis l'année précédente. Autrement dit, cela s'est transformé en ruée sur le portefeuille par la police. Comme les groupes sociaux à faible revenu étaient déjà la cible de l'action policière contre le cannabis, le résultat a été 45 p. 100 de défaut de paiement.
On a mis fin à l'expérience lorsque l'on a constaté que plus de personnes étaient traînées devant le tribunal sous le régime des amendes que sous celui de la prohibition. De plus, puisque le défaut de paiement d'amendes en vertu de la Loi sur les contraventions peut conduire à un casier judiciaire et à l'emprisonnement, peut-on affirmer que le texte élimine ces risques pour le consommateur de cannabis adulte et responsable?
Enfin, le fait d'envisager l'imposition de peines minimales obligatoires pour la culture enlève à l'appareil judiciaire canadien son pouvoir de juger équitablement et nous aligne sur la mentalité américaine antidrogue de prohibition, qui a été un échec, et qui fait de ce pays le plus imposant État prison au monde avec ses plus de deux millions de détenus. Est-il sensé de s'inspirer d'un pays qui a le douteux honneur d'avoir les politiques antidrogues les plus coûteuses et plus draconiennes de l'occident et du taux de toxicomanie le plus élevé au monde sur un sujet qui ne relève que de nous?
Honnêtement, s'inspirer des États-Unis en matière de drogue, c'est comme demander à la Corée du Nord de nous aider en matière de droits de la personne. Il voudrait mieux plutôt se tourner vers nos alliés européens. Presque tous pratiquent la réduction du préjudice, traitent la consommation de drogues comme une question qui relève de la santé et de la politique sociale plutôt que de la police et des tribunaux. Presque universellement, cela signifie dépénaliser la possession personnelle du cannabis.
Au nombre des pays qui ont récemment dépénalisé ou légalisé la possession personnelle de cannabis figurent l'Angleterre, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, le Luxembourg, la Belgique et, évidement, les Pays-Bas. Au contraire, la tolérance zéro à l'américaine a été généralement et à juste titre rejetée comme trop coûteuse et tout à fait inefficace dans la réduction du taux de consommation du cannabis.
Une crainte souvent exprimée par les acharnés de la guerre antidrogue est que la légalisation ou dépénalisation du cannabis donnera le mauvais message à nos enfants. Comme ancien instituteur et puériculteur, je me demande quel bon message nous donnons à nos jeunes en persécutant nos malades et ceux qui souffrent pour avoir fait usage d'une herbe qui est de loin moins nocive et accoutumante que l'alcool, le tabac ou beaucoup d'autres médicaments sur ordonnance ou en vente libre, comme l'aspirine ou les antiallergiques.
Comme le rapport récent de la United Kingdom Police Foundation sur la reclassification du cannabis l'a montré, le maintien de la prohibition du cannabis sape inévitablement le respect pour la loi en général. En arrêtant ou en verbalisant des gens qui se causent à eux-mêmes ou causent à la société moins de préjudices que les consommateurs d'alcool ou de tabac, nous favorisons le mépris pour toutes nos lois, ainsi que pour les policiers qui se voient imposer la difficile tâche de les appliquer.
Dans son rapport fouillé, le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites a esquissé un texte de loi qui protégerait les droits des citoyens les plus malades du pays et améliorerait l'accès à la fourniture sûre de cannabis médicinal grâce aux réseaux de culture et de distribution autorisés des clubs et sociétés d'accès compasionnel du pays. Ils viennent déjà en aide à plus de 5 000 malades canadiens critiques et chroniques et continuent de produire des travaux de recherche plus légitimes sur le cannabis médicinal que le décrié Bureau de l'accès médical au cannabis de Santé Canada, sans qu'il en coûte quoi que ce soit aux contribuables.
Puisqu'une réforme véritable de la législation sur le cannabis ne voudrait rien dire et serait impossible à mettre en oeuvre sans ces ajouts justifiés, j'ai pris la liberté d'inclure les recommandations pertinentes du rapport du comité sénatorial dans le feuillet qui accompagne mon exposé.
¹ (1555)
Les Canadiens ont à de multiples reprises exprimé le souhait d'une politique sur la drogue fondée sur la science et la compassion plutôt que sur la peur et l'information erronée. Ce projet de loi sur le cannabis conduira fatalement à l'arrestation d'un plus grand nombre de consommateurs responsables adultes de cannabis, tant à usage médicinal que récréatif, et à un gaspillage de ressources policières précieuses. À la fin, il n'arrivera qu'à faire payer plus cher aux contribuables canadiens la prohibition ratée du cannabis, que la vérificatrice générale du Canada a évaluée récemment à plus de 340 millions de dollars par année.
Il est temps que le gouvernement fédéral commence à écouter l'opinion publique canadienne, les jugements des tribunaux, ainsi que les conseils judicieux des comités parlementaires qui recommandent l'assouplissement des lois sur le cannabis depuis 30 ans déjà. Les Canadiens sont prêts pour la légalisation et la réglementation du cannabis. Nous sommes prêts et nous attendons que s'instaure la paix dans le monde de la drogue.
Je vous remercie de m'avoir écouté et je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous entendrons maintenant M. Michel Perron, du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.
M. Michel Perron (directeur général, Centre canadien de la lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies): Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs, d'avoir invité le CCLAT à commenter aujourd'hui le projet de loi C-38. Comme beaucoup d'entre vous le savent, le CCLAT est l'organisme canadien de lutte contre les dépendances. Sa mission est de regrouper à l'échelle nationale les efforts destinés à réduire les effets néfastes de l'alcoolisme et des toxicomanies sur la santé, la société et l'économie. Nous sommes fiers de fournir des renseignements et des conseils objectifs, crédibles et étayés sur les questions nationales reliées aux toxicomanies. Nous jouons également un rôle de chef de file sur un ensemble de questions connexes, notamment la politique de lutte contre le cannabis.
Comme nous sommes pressés par le temps, je m'attarderai à six questions de base reliées au projet de loi et aux témoignages que vous entendrez sans doute. Les hypothèses, la méthode de verbalisation, les quantités, le pouvoir d'appréciation, la conduite sous l'effet du cannabis et la culture.
Je vous le dis, ni moi ni le centre ne sommes dans le camp de ceux qui détestent complètement le projet de loi. Notre position est un peu différente de celle des témoins précédents.
En ce qui concerne les hypothèses, pour nous préparer à l'audience, nous avons rassemblé des observations de diverses sources, d'aucunes en faveur de certaines parties du projet de loi, d'autres carrément contre.
Nous contestons d'abord la première hypothèse, qui veut que ce projet de loi est pire que les lois actuelles. La réalité c'est que les lois actuelles sur la possession du cannabis laissent le citoyen ordinaire dans la plus profonde perplexité. Jusqu'à tout récemment, la police n'arrêtait personne en Ontario pour possession de cannabis puisque les tribunaux avaient décidé que ces lois étaient nulles et non avenues. Cette période a été précédée par des années où la police admettait systématiquement ne pas s'acharner sur les consommateurs de cannabis et où l'application de la loi était inégale et épisodique. À notre avis, le projet de loi C-38 fera beaucoup pour corriger la situation.
En revanche, certains disent que la formule de verbalisation mènera à une application plus rigoureuse de la loi, comme notre collègue l'a dit, ou élargira le filet. D'autres soutiennent que si le projet de loi est adopté, la consommation de cannabis augmentera.
Lorsqu'il est question des résultats obtenus par d'autres gouvernements qui ont allégé les sanctions contre le cannabis, on peut raisonnablement avancer que le projet de loi aura des conséquences immédiates, tangibles et appropriées pour la consommation de cannabis. C'est donc dire que dans l'hypothèse où ce texte favorise une plus grande tolérance par rapport à la situation actuelle au pays, il s'agit d'une grande amélioration. La réalité, toutefois, c'est que le cannabis n'est pas une drogue bénigne. Elle a des conséquences négatives démontrables dont il faut sérieusement tenir compte.
Sur ce que nous savons de la prévalence de la consommation du cannabis, l'enquête canadienne de 1994 a révélé que 28 p. 100 des Canadiens, soit environ 6,5 millions de personnes, disent avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie et environ 1,7 million disent l'avoir fait au cours de l'année qui a précédé.
Les données actuelles sur la prévalence chez les jeunes, fournies par les administrations canadiennes qui effectuent des enquêtes de ce genre auprès des élèves, montrent des niveaux importants de consommation de cannabis chez les élèves du secondaire. Voici les chiffres : en 2002, 55 p. 100 des élèves de 12e année au Nouveau-Brunswick ont dit avoir consommé du cannabis dans les 12 mois qui ont précédé; les chiffres sont semblables pour d'autres provinces. Ces statistiques montrent qu'il faut élargir et raffiner nos options au sujet de la consommation du cannabis.
En ce qui concerne la verbalisation, je rappellerai aux membres du comité que la politique du CCLAT adoptée en 1998 énonce clairement que la gravité des peines pour possession de cannabis devrait être transformée en sanctions civiles en vertu de la Loi sur les contraventions.
Comme vous le savez, lorsque la loi actuelle est appliquée, cela entraîne des coûts considérables pour l'intervention policière et pour l'appareil de la justice pénale et a des conséquences négatives pour le contrevenant, sans effet dissuasif avéré sur la consommation de cannabis et, au mieux, des avantages secondaires pour la santé publique et la sécurité des Canadiens.
À tout le moins, nous estimons que l'emprisonnement devrait être supprimé comme sanction pour simple possession de cannabis. Les renseignements disponibles montrent qu'éliminer l'emprisonnement permettra de faire des économies considérables sans accroître la consommation du cannabis.
Sanctionner la possession de cannabis au moyen d'une amende s'harmoniserait avec les pratiques actuelles ainsi que l'avis général de la population. Il s'agirait selon nous du meilleur équilibre qui soit entre la nécessité de réduire les préjudices du cannabis et le besoin de réduire les coûts et les préjudices reliés à la lutte contre ce produit.
En ce qui concerne les quantités, notre position a été élaborée en fonction de l'actuel LRCDAS, qui prévoit qu'une personne inculpée de simple possession de 30 grammes ou moins de cannabis ou d'un gramme ou moins de résine de cannabis peut être poursuivi par procédure sommaire et prévoit l'imposition d'une peine d'emprisonnement d'au plus six mois ou d'une amende maximale de 1 000 $, ou les deux. Nous signalons que le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments a également recommandé de dépénaliser la possession de 30 grammes au plus pour consommation personnelle.
Quand on sait que 30 grammes de cannabis équivaut à entre 30 et 60 cigarettes de marihuana, le CCLAT serait en faveur d'abaisser ce seuil de verbalisation pour possession de 15 grammes ou moins de cannabis pour consommation personnelle, comme le propose le projet de loi C-38.
º (1600)
Comme vous le savez, le pouvoir d'appréciation est très controversé en ce qui concerne la police. Le projet de loi C-38 n'accorde aucun pouvoir d'appréciation à la police pour les quantités de 15 grammes ou moins de cannabis, la police n'étant autorisée qu'à verbaliser dans ces cas.
Le CCLAT est d'accord. Comme nous l'avons dit, nous estimons que la pénalisation de la simple possession de cannabis est disproportionnée par rapport au préjudice causé et que la verbalisation est une conséquence plus immédiate, tangible et appropriée. Il s'ensuit que ces conditions devraient être appliquées de manière uniforme et sans préjudice à tous les citoyens du pays.
Malgré l'importance du pouvoir d'appréciation de la police en général, nous estimons que la création d'un régime hybride pour la possession de 15 grammes ou moins créera une plus grande confusion à propos de l'intention du législateur et de la façon dont le changement sera appliqué.
Une question qui a reçu passablement d'attention depuis la première lecture du projet de loi C-38 en mai dernier est la conduite sous l'influence de cannabis. J'aimerais brièvement parler de sa prévalence, son acceptation par la population et les problèmes d'application.
On sait très peu de choses de la prévalence de la conduite sous l'influence du cannabis. Dans l'enquête de 1994 sur l'alcool et d'autres drogues au Canada, parmi les consommateurs de cannabis qui détenaient un permis de conduire, 40 p. 100 ont admis avoir conduit un véhicule dans les deux heures qui ont suivi la consommation de cannabis. Des données plus récentes d'enquêtes provinciales sur la consommation de drogues par les élèves montrent que la conduite sous l'influence de cannabis est répandue et socialement acceptable chez les jeunes conducteurs canadiens.
L'enquête de 2002 réalisée en Nouvelle-Écosse montre que 26 p. 100 des élèves détenant un permis de conduire avaient pris le volant dans l'heure qui avait suivi la consommation de cannabis, par rapport à 15 p. 100 environ qui avaient pris le volant dans l'heure qui a suivi la consommation d'au moins deux verres d'alcool. Dans l'enquête de 2001 réalisée en Ontario, 20 p. 100 des élèves détenant un permis de conduire ont dit avoir pris le volant dans l'heure qui a suivi la consommation de cannabis et 15 p. 100 disent avoir conduit après avoir bu. Il faut signaler l'observation faite dans l'enquête de 2001 réalisée au Manitoba sur la consommation de substances au secondaire que même si les élèves disaient ne pas approuver le fait de boire et de conduire, 26 p. 100 des hommes et 13 p. 100 des femmes estimaient qu'il était acceptable de prendre le volant après avoir consommé du cannabis.
Même si certaines indications donnent à penser que le cannabis a tendance à rendre les conducteurs prudents sur la route, des essais en laboratoire ont établi un lien direct entre des doses de cannabis et la baisse de la performance au volant. En général, plus la dose de cannabis est élevée, plus la performance au volant change.
Le problème pour les policiers est le fait que la conduite sous l'influence de cannabis n'est pas détectable par un toxicotest. De plus, comme la consommation de cannabis peut être décelée dans le sang ou l'urine un mois ou plus après coup, il n'est pas possible d'établir de corrélation définitive entre les concentrations de THC dans le sang, l'urine ou la salive et l'affaiblissement des facultés.
Le programme de formation des experts en reconnaissance de drogues est un programme reconnu internationalement qui forme les policiers et les aide à déceler et vérifier l'intoxication au volant et à obtenir une condamnation. À l'heure actuelle, peu de policiers au Canada ont suivi ce cours, qui est long et coûteux.
Vu les taux actuels de prévalence, l'apparente acceptabilité sociale de l'intoxication au volant chez les jeunes, et les difficultés pour les policiers de déceler l'affaiblissement des facultés par le cannabis, le CCLAT recommande que les changements à la loi sur la possession de cannabis soient assujettis à une évaluation systématique de ses conséquences sur la conduite sous l'influence du cannabis, le rôle des policiers ainsi que la sécurité publique, et que des moyens comme le programme de formation des experts en reconnaissance des drogues soient exploités à fond.
Sur la question de la possession par rapport à la culture, dont a parlé le témoin précédent, même le projet de loi C-38 reconnaît que les infractions pour possession de petites quantités de cannabis sont des infractions en vertu de la Loi sur les contraventions, et la soustrait ainsi au système pénal, ce qui ne revient pas à dépénaliser la production de cannabis, même en petites quantités.
Le Centre note que le Comité spécial sur l'usage non médical des drogues avait recommandé que le gouvernement crée une stratégie de dépénalisation de la possession et de la culture du cannabis à des fins personnelles. Le projet de loi C-38 ne reprend pas cette recommandation, sauf pour faire de la culture de trois plants ou plus une infraction punissable par procédure sommaire. Comme vous le savez, il s'agit là d'un pas en faveur d'une plus grande indulgence vis-à-vis de la production du cannabis. En vertu de la loi actuelle, la production de quelque quantité que ce soit de cannabis est un délit.
Tout compte fait, nous estimons que dépénaliser la possession de 15 grammes ou plus de cannabis et réduire le châtiment pour la culture de trois plants au maximum pour n'en faire qu'une infraction punissable par procédure sommaire sont des pas dans la bonne direction. Ces mesures ne causent pas de plus grand préjudice que la loi actuelle. De plus, elles montrent que la culture est une infraction plus grave que la simple consommation et, surtout, introduit une graduation et l'alourdissement des peines pour les producteurs commerciaux, dont beaucoup sont associés au crime organisé. Nous espérons que cette graduation palliera les peines scandaleusement insuffisantes imposées aux producteurs commerciaux.
º (1605)
Enfin, nous ferions preuve de négligence si nous nous abstenions de soumettre à votre attention nos recommandations, malgré tous les amendements dont les lois sur la possession de cannabis pourraient faire l'objet.
Toute modification à la loi devrait faire l'objet d'une évaluation systématique afin qu'on puisse juger du besoin de mesures supplémentaires et de nouvelles orientations.
Toute modification à la loi réduisant les peines pour possession de cannabis doit aussi préciser dans son texte qu'on se soucie tout autant des méfaits éventuels de la consommation. À mon avis, la loi doit absolument s'accompagner de programmes de prévention qui tiendront compte des problèmes éventuels et qui indiqueront les préoccupations du gouvernement et son souci de dissuader la consommation de cannabis et d'empêcher les problèmes connexes.
Madame la présidente, je remercie vivement le comité des recommandations qu'il a inscrites dans son rapport. Depuis qu'il les a présentées, le CCLAT a abattu beaucoup de besogne, et je demanderai d'ailleurs qu'on me donne l'occasion de vous renseigner ainsi que vos collègues, sur notre état actuel, notre mandat et les réalisations auxquelles le gouvernement et les Canadiens peuvent s'attendre de nous.
Je crois que le temps qui m'a été accordé est écoulé. Je vous remercie de votre attention.
La présidente: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Kalant.
M. Harold Kalant (professeur, Département de pharmacologie, Université de Toronto): Madame la présidente, mesdames et messieurs du comité, je tiens à vous remercier à mon tour de m'avoir invité à témoigner devant vous ce matin, dans le cadre des audiences sur le projet de loi C-38.
Lorsque M. Roy m'a téléphoné pour me transmettre votre invitation, il m'a fait savoir que vous aimeriez avant tout m'entendre parler de la toxicomanie, mais que j'aurais aussi le loisir d'aborder d'autres sujets. J'ai donc rédigé mes propos en tenant compte de cela et en espérant qu'ils pourront vous être utiles.
Ainsi qu'on le fait avec tout projet de loi, le C-38 doit faire l'objet d'une analyse coûts-avantages. Autrement dit, ses avantages doivent l'emporter sur tout préjudice que la loi modifiée risque d'entraîner. En l'occurrence, les avantages prévus sont assez clairs. Pour des milliers de jeunes consommateurs qui ne souffriront à peu près pas de l'usage du cannabis, le projet de loi éliminera le préjudice que constitue un casier judiciaire. Deuxièmement, on espère qu'il libérera les tribunaux d'un grand nombre de causes mineures. En troisième lieu, il maintiendra la réprobation sociale qui frappe la consommation du cannabis en imposant une sanction quelconque comme une amende.
En revanche, les amendements pourraient avoir pour désavantages de donner aux jeunes consommateurs l'impression que la société approuve leur comportement et d'entraîner une plus grande consommation, surtout de leur part. Je ne suis pas en mesure de dire si les faits peuvent nous mener à l'une ou l'autre de ces éventualités. Toutefois, si une telle interprétation fautive est possible, quelles seraient les conséquences d'une augmentation de la consommation?
J'aimerais maintenant aborder trois dangers précis : la toxicomanie, dont M. Roy m'a demandé de parler, les accidents de la route et les maladies respiratoires.
La toxicomanie recouvre deux composantes principales. La première est l'incapacité de diminuer la consommation ou d'y mettre fin de façon définitive, même dans les cas où de graves raisons justifient de le faire. Beaucoup de gens réussissent à renoncer à la consommation d'héroïne, par exemple, mais pas pour très longtemps. La capacité de s'arrêter de consommer de façon définitive est donc fondamentale. Elle figure dans la quatrième édition du DSM-IV, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux par l'American Psychiatric Association. Cet ouvrage fait autorité dans de nombreux pays du monde lorsqu'il s'agit de définir ce qu'on entend par la dépendance ou la toxicomanie, comme on l'appelle plus couramment. L'autre composante est la réaction de sevrage, manifestation d'une dépendance physique.
D'abord, nous disposons de preuves établissant que le cannabis peut présenter les deux volets de la définition, mais pas toujours. En fait, la grande majorité des consommateurs de cannabis ne deviennent pas dépendants, semblables en cela aux consommateurs d'alcool, dont tous ne deviennent pas non plus dépendants, même si une proportion importante l'est.
Bon nombre de publications scientifiques d'Amérique du Nord, d'Europe, d'Australie et de Nouvelle-Zélande comportent des études d'envergure fondées sur les critères du DSM-IV et décrivant la dépendance chez les adolescents et les jeunes adultes. Les données varient considérablement d'un pays à l'autre, passant de 2 p. 100 de la population générale en Australie à 19,5 p. 100 des jeunes Français de niveau secondaire. La plupart des chiffres oscillent cependant autour de 10 p. 100, ce qui se rapproche beaucoup du risque de dépendance chez les consommateurs d'alcool. Selon de tels critères, la proportion de consommateurs dépendants est beaucoup plus élevée chez les sujets dont la consommation de cannabis est fréquente et régulière.
º (1610)
L'étude la plus préoccupante a été publiée cette année par le British Journal of Psychiatry; on y arrive à la conclusion que la consommation hebdomadaire de cannabis chez les adolescents est un facteur de dépendance future. Ces dernières années, d'autres études concluent à la dépendance, comme l'indiquent les réactions de sevrage. Cette drogue est faible et non mortelle, mais elle peut tout de même souvent entraîner une toxicomanie très tenace. En soi, elle ne constitue pas un problème grave, sauf qu'il peut être difficile d'y renoncer, même lorsque d'excellentes raisons militent pour qu'on le fasse.
Permettez-moi maintenant de passer à la question des accidents de la route. Auparavant, on avait de la difficulté à départager les effets du cannabis de ceux de l'alcool lorsque les deux substances avaient été consommées par les conducteurs impliqués dans des accidents ou arrêtés pour conduite avec facultés affaiblies. Selon bon nombre des premiers chercheurs qui se sont penchés sur le cannabis, cette substance n'avait pas d'effet, puisque l'alcool à lui seul pouvait entraîner la dépendance. C'est presque une étourderie que de conclure à cela. C'est comme dire que si vous recevez un coup de scie, comment pouvez savoir quelle dent vous a frappé. Si les deux substances peuvent nuire à la conduite, alors elles sont toutes les deux en cause.
La question est donc de savoir s'il existe des études de laboratoire ou expérimentales sur la conduite montrant que la consommation de cannabis à des doses courantes peut nuire à cette activité. À cela, on doit répondre oui, il en existe maintenant de nombreuses.
Il faut ensuite se demander à quelle fréquence cela se produit? Selon des études réalisées en Europe, Australie et Nouvelle-Zélande, dans des cas d'arrestations pour conduite avec facultés affaiblies, ou des cas d'accidents de la route parfois même mortels, il y a souvent eu consommation de cannabis, entre autres drogues. L'alcool continue cependant de figurer en première place.
À la question de savoir si la concentration de cannabis est telle qu'elle peut entraîner l'affaiblissement des facultés, même en l'absence d'alcool, la réponse encore une fois est oui. Selon nombre d'études, chez les gens dont la consommation d'alcool n'était pas assez grave pour compromettre leurs facultés, le cannabis était la drogue le plus souvent consommée. Je ne parle pas ici de la mesure des métabolites du cannabis dans l'urine, qui est de peu d'utilité en l'occurrence, mais de la présence mesurée du THC, c'est-à-dire de l'ingrédient psycho-actif présent dans le sang, qu'on peut vérifier immédiatement ou très peu de temps après un accident. Dans le cas de gens n'ayant pas consommé d'alcool mais ayant consommé du cannabis, la concentration de ce dernier, selon diverses études, variait entre 10 et 27 p. 100.
On aimerait que davantage d'études aient comparé la fréquence de concentration importante de THC dans le sang des conducteurs impliqués dans des accidents ou arrêtés pour conduite avec facultés affaiblies à celle du public en général. À moins que de telles concentrations élevées ne soient plus fréquentes chez les conducteurs impliqués dans des accidents que dans la population en général, les observations sont peut-être le fruit du hasard et non concluantes; cela signifierait seulement que lorsque le public consomme du cannabis, les conducteurs le font aussi, et ces derniers ne font que représenter la population en général à cet égard
D'après deux ou trois études récentes, une teneur en THC dans le sang est beaucoup plus fréquente chez les conducteurs impliqués dans des accidents ou arrêtés que chez les autres victimes d'accidents qui n'étaient pas au volant ou que dans la population en général. Il y a une légère variation dans le ratio de risque de ce groupe par rapport à la population en général, ou par rapport aux victimes d'accidents autres que les conducteurs, mais en général, il est presque trois fois plus élevé, assez semblable en cela au risque que représente la consommation d'alcool.
En dernier lieu, j'aimerais parler brièvement des maladies respiratoires. Cela fait longtemps déjà que l'on sait qu'une consommation régulière de cannabis augmente la fréquence des inflammations des bronches et de la congestion, et s'accompagnent d'une toux chronique, d'expectorations et d'irritations. Qui plus est, le groupe Tashkin et d'autres éminents spécialistes des troubles respiratoires aux États-Unis ont effectué d'excellentes études. Ils ont prélevé, par lavage des bronches, des échantillons de cellules de l'appareil respiratoire de consommateurs réguliers de cannabis, de fumeurs de cigarettes, et de fumeurs à la fois de cannabis et de cigarettes, ainsi que de non-consommateurs.
º (1615)
Les cellules de tous les consommateurs de cannabis ou de tabac manifestaient des altérations biochimiques, morphologiques et génétiques semblables et symptomatiques d'inflammations chroniques et de changements pré-cancéreux. Toutefois, si l'on cherche à savoir si la consommation de cannabis augmente le risque de cancer sur le plan épidémiologique, il n'existe malheureusement que deux études épidémiologiques disponibles, et leurs résultats sont contradictoires.
Selon une étude effectuée par Sydney et d'autres chercheurs et publiée en 1997 par la fondation Kaiser Permanente de Californie, il n'y a aucun lien entre les deux. Toutefois, la définition de l'usage chronique est six fois une consommation de cannabis, ce qui est ridiculement faible. De plus, la période d'observation retenue est en moyenne huit ans. Or, grâce à nos recherches sur le tabagisme, nous savons que pour étudier le cannabis, il faut couvrir une période plus longue que cela.
L'autre étude, effectuée par Zhang et d'autres chercheurs et publiée en 1999, est bien supérieure sur le plan technique. Elle comparait les malades souffrant d'un cancer des voies respiratoires supérieures à un groupe de malades non cancéreux et s'est penchée sur la fréquence de la consommation de cannabis, de tabac et de cannabis et de tabac dans les deux groupes. Elle a observé que lorsqu'on soustrayait les résultats correspondant à la consommation de tabac, il y avait presque trois fois plus de risque de cancer des voies respiratoires supérieures au sein du groupe des consommateurs réguliers de cannabis. Ils ont aussi observé certains détails sur la fréquence de la consommation et ont montré que l'augmentation du risque était proportionnelle à la consommation du cannabis.
Les faits que je viens de vous soumettre ne militent ni pour ni contre le projet de loi à l'étude. Ils nous rappellent cependant qu'il faut être conscient des coûts pour la santé qu'entraînera nécessairement l'augmentation de la consommation du cannabis. Je ne vous envie pas, car votre tâche est d'essayer d'équilibrer la connaissance que vous avez de cela et l'avantage que représentera la diminution du nombre de casiers judiciaires et des préjudices que cela entraîne. Lorsqu'il s'agit d'arriver à un tel point d'équilibre, il faut tenir compte de nos valeurs, de nos traditions et des grands principes qui soutiennent l'édifice de notre société. Je vous souhaite donc du succès, c'est-à-dire de réussir à harmoniser ces facteurs en tenant compte de tous les faits.
Je vous remercie.
º (1620)
La présidente: Je vous remercie, professeur Kalant.
Madame Erickson, la parole est à vous.
Mme Patricia Erickson (À titre individuel): Madame la présidente et membres du comité, je devrais peut-être me présenter davantage avant d'aborder le sujet.
Je suis professeure de sociologie à l'Université de Toronto et chercheuse scientifique au Centre de toxicomanie et de santé mentale, autrefois appelé La Fondation de la recherche en toxicomanie, où j'ai d'abord travaillé en 1973. Cela fait 30 ans que je suis l'évolution de la politique assez troublante de la possession de cannabis, et au cours de cette période, j'ai étudié le cas de trois personnes accusées et traduites devant les tribunaux pour simple possession. J'ai aussi suivi l'évolution des statistiques obtenues par voie de sondage et leur rapport avec les politiques en vigueur dans le mode, bien entendu, dans la mesure où de telles données sont disponibles.
Je vous remercie de m'avoir permis de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je le fais non en tant que porte-parole du Centre mais en tant que chercheuse.
J'aimerais faire quelques remarques généralement favorables au projet de loi, puis me concentrer sur trois ou quatre des questions fondamentales qui y sont traitées, dans les cas où certains faits aideraient peut-être à rendre la situation un peu plus claire étant donné les choix difficiles qu'il faudra faire.
Après avoir suivi de nombreuses audiences et les travaux de nombre de commissions en 30 ans, je dois avouer que le projet de loi actuel est le premier à faire preuve de cohérence depuis le projet de loi S-19, présenté en 1974. Il se fonde au moins sur le principe très important mis de l'avant par la Commission LeDain, à savoir que si l'on a l'intention de réduire les sanctions ou les peines liées à la possession de cannabis, il faut accompagner cela d'autres mesures, dont la prévention et le traitement. Le projet de loi C-38 essaie justement de présenter une telle orientation.
J'aborderai un autre mécanisme, l'exécution, un peu plus tard.
Dans l'ensemble, ce qui me paraît important et unique dans ce projet de loi, c'est que pour la première fois dans l'histoire de la consommation de drogues, on réduira considérablement les coûts qu'ont entraîné ces 35 dernières années les casiers judiciaires pour simple possession. Dans toutes les entrevues que j'ai effectuées auprès des contrevenants aux lois relatives à la possession de cannabis, cette préoccupation a toujours été à l'avant-plan—au cours des années 70 encore une fois pendant les années 80. À Toronto, où on a mis en oeuvre un programme de déjudiciarisation et où on a donc offert une autre possibilité que le casier judiciaire, cela revêtait également énormément d'importance. On ne peut donc sous-estimer l'importance de toute mesure qui éliminerait pour beaucoup de jeunes un casier judiciaire à vie.
Si je me reporte aux données d'autres pays, une telle initiative comporte très peu de risque d'augmenter la consommation de drogue. Aux États-Unis, en Australie et ailleurs où l'on a étudié les effets d'un régime à faibles sanctions, semblable à ce que je vois dans le projet de loi, on n'a observé aucune corrélation entre ce nouveau régime et une forte consommation.
Dans l'ensemble, le projet de loi C-38 est la solution la plus appropriée au problème actuel, à savoir l'expérimentation très répandue de la consommation de cannabis, suivie d'une consommation peu fréquente et de l'abandon de la consommation, mais chez des millions de personnes dans notre pays qui en ont fait l'expérience. À mon avis, le projet de loi, en conservant certaines sanctions, se trouve à reconnaître aussi un certain nombre de préjudices, dont le professeur Kalant et M. Perron vous ont d'ailleurs parlé.
Permettez-moi maintenant d'aborder brièvement les questions de la fréquence, de la consommation, d'une exécution renforcée, de la connaissance de la loi et des quantités de drogue prévues. Bien qu'au Canada nous n'ayons pas disposé de données nationales à jour et sûres depuis 1994, celles que nous pouvons consulter semblent indiquer que la consommation a fluctué en dépit du maintien de la loi et qu'il y a eu augmentation au début des années 90 en Ontario, province qui nous a fourni les meilleures données sur les tendances chez les étudiants, mais depuis 1999, les niveaux n'ont pas varié.
º (1625)
Nous ne devrions pas nous préoccuper outre mesure de la hausse ou de la baisse de la consommation, face à cette mesure indiquant qu'il y a eu une consommation dans l'année chez un grand nombre de gens. À mon avis, si l'on envisage des mesures de substitution aux sanctions pénales, il est beaucoup plus important de savoir qui consomme, dans quelle quantité, pourquoi et quels sont les préjudices causés. En effet, la consommation peut augmenter sans que les préjudices soient eux aussi à la hausse.
Ce qui doit nous préoccuper, c'est le nombre de gens qui vont consommer à des niveaux dangereux; le nombre de jeunes qui vont peut-être s'y mettre plus tôt, quand ils courent davantage de risques. Beaucoup d'études laissent penser que nous devrions nous préoccuper du sort de ces jeunes qui deviennent des consommateurs chroniques à des niveaux élevés, car ils vivent beaucoup de stress à l'école et au foyer. Ils ont peut-être souffert de l'incompétence de leurs parents ou bien de l'approche incohérente de ces derniers. Ils se sont peut-être mis à la consommation d'alcool tôt et sont peut-être aussi précoces sur le plan sexuel.
Il y a donc un ensemble de facteurs, et d'affirmer que le cannabis entraîne l'aggravation de tout le reste ou l'apparition de problèmes à l'âge adulte est beaucoup trop simpliste. Face aux jeunes qui vivent dans la dépendance ou qui deviennent des consommateurs problématiques, nous devons nous demander si la menace de châtiment est vraiment efficace. Ne devrions-nous pas envisager autre chose?
Au sujet du second point, à savoir la stratégie d'une exécution renforcée, qui fait partie intégrante du projet de loi, je ne comprends pas tout à fait ce qu'on recherche. Je suppose que cela ne se traduira pas nécessairement par l'apport de nouvelles ressources qui nous permettraient d'arrêter davantage de consommateurs de cannabis. Je suppose en revanche que cela signifie que beaucoup de gens ne seront pas mis en accusation, tout comme maintenant... J'ignore si la police se verra retirer son pouvoir discrétionnaire, mais il me semble qu'on l'encourage à porter des accusations dans tous les cas afin que les mesures d'exécution soient plus nombreuses sur le plan de la détection.
Dans un sens, je conviens que le projet de loi pourrait avoir un effet plus dissuasif. Si l'on doit payer une amende, si l'on est sûr qu'il y aura une sanction si on se fait pincer, et le risque de se faire arrêter peut être assez élevé, bien que ce soit assez difficile de le savoir, la nouvelle loi pourrait être plus dissuasive que le genre de régime hybride en vigueur à l'heure actuelle. Cela dit, la dissuasion repose dans une très grande mesure sur la perception que les utilisateurs se font de la loi. On pense parfois que tout le monde connaît la loi. Il est donc raisonnable de demander comment les utilisateurs éventuels percevront probablement le projet de loi C-38 et ses dispositions.
Pour ma part, après les trois études que j'ai effectuées sur les personnes arrêtées pour possession de cannabis à Toronto, je peux dire que les gens qui sont traduits devant les tribunaux et qui sont vraiment mis en accusation, c'est-à-dire qui se font accuser de possession et qui sont condamnés, ne savent à peu près jamais de quoi il retourne, ce qu'ils viennent d'entendre, ce par quoi ils viennent de passer, ni quelles sont les conséquences de tout cela. Je pense que vous devez donc concevoir une stratégie de communication qui expliquera de façon réaliste le fonctionnement de la nouvelle loi.
Ainsi, par exemple, toujours au sujet de mes répondants, tout au long de mon étude, je leur ai demandé quel était le nom de la loi en vertu de laquelle ils étaient accusés. En 1974, le projet de loi S-19 proposait de déplacer le cannabis afin qu'il figure dans la Loi sur les aliments et drogues, mais on n'a pas donné suite à ce projet. En dépit de cela, la plupart des gens s'imaginaient que l'amendement avait été adopté et que la consommation était désormais légale. En 1998, une fois qu'on a adopté la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, seulement une personne sur huit connaissait le nom de cette loi. La plupart d'entre elles pensaient que la question relevait encore de la Loi sur les stupéfiants, ou de la Loi sur les aliments et drogues.
Que savaient ces gens au sujet des sanctions? Encore une fois, en général, ceux qui avaient été traduits devant les tribunaux ne connaissaient pas toute la gamme des sanctions qui pouvaient s'appliquer dans leur cas. Bon nombre d'entre eux ne savaient même pas qu'ils risquaient la prison. La plupart s'imaginaient aussi qu'une absolution ne comportait pas de casier judiciaire. La plupart n'avaient jamais entendu d'une absolution en 1974, avant d'aller devant les tribunaux. En 1998, la plupart ne connaissaient pas non plus les mesures de substitution.
º (1630)
Si on s'attend à ce que les gens puissent comprendre les subtilités du texte de loi, je peux vous dire que moi-même j'ai de la difficulté à le faire, même à l'aide de l'excellent résumé législatif. On doit impérativement chercher à être le plus clair possible. Il est vraiment difficile de faire comprendre à un grand nombre de gens les distinctions entre le droit pénal, une loi de nature réglementaire et cette nouvelle pénalité relevant de la Loi sur les contraventions, qui permet à la police de procéder à leur arrestation, mais qui impose une amende très variable selon certaines conditions.
Est-ce qu'il me reste encore quelques minutes?
La présidente: Nous pouvons faire preuve de générosité.
Mme Patricia Erickson: Au sujet de la quantité de 15 à 30 grammes, selon les études que nous avons effectuées pendant les trois périodes citées, dans au moins trois quarts des cas, les gens avaient en leur possession 14 grammes ou moins; en 1998, la moitié des gens avaient un gramme ou moins. Les quantités étaient donc minimes. J'estime que la nouvelle loi couvrirait la majorité des personnes présentement accusées, tout au moins si je me fonde sur les données de la région de Toronto.
Par ailleurs, le projet de loi ne tient pas compte de la distinction à faire entre les divers marchés, ce qui est malheureux. Au cours de l'étude sur le cannabis à laquelle j'ai participé en Australie il y a quelques années, nous nous sommes penchés là-dessus et nous avons estimé qu'il était assez important de tenir compte de la possession jusqu'à concurrence de trois plants, pour éviter qu'ils aient à s'approvisionner sur le marché illégal, où ils auraient accès à d'autres drogues plus dangereuses.
Le projet de loi enverra le bon message s'il indique qu'il y a une amende et que la sanction n'est pas de nature pénale, mais qu'il faudra la payer, sous peine de faire l'objet d'une surveillance permanente. Je n'ai jamais rencontré de contrevenant accusé de possession de cannabis qui s'imaginait que la mise en accusation et la menace de poursuite et de casier judiciaire lui avaient quoi que ce soit à faire avec sa santé. À mon avis, il y a un moyen de faire preuve de beaucoup plus d'imagination et de recourir à des moyens beaucoup plus importants pour communiquer les préoccupations de la société au sujet des risques véritables de la consommation de cannabis sans qu'on soit obligé de brandir la menace du droit criminel. Pour cette raison, j'estime donc que le projet de loi fait un pas dans la bonne direction.
Je vous remercie.
[Français]
La présidente: Merci beaucoup.
Marc Boris Saint-Maurice, allez-y.
[Traduction]
M. Marc Boris Saint-Maurice (chef, Parti marijuana): Bonjour, et merci de votre invitation. Le préavis a été bref, mais je vous en remercie quand même vivement.
Je reconnais qu'il est très noble de réformer la loi relative à la marihuana et que c'est certainement une tâche ardue. C'est un honneur et un privilège que de pouvoir témoigner devant votre comité. J'espère que mon apport vous sera des plus utiles, tant maintenant que plus tard, et qu'on entendra ma point de vue.
En tant que porte-parole du mouvement qui réclame l'abolition de la consommation illégale de la marijuana, je me ferai un grand plaisir de vous aider à concevoir un projet de loi plus général. En effet, malgré vos bonnes intentions et le travail impressionnant du comité, le projet de loi C-38 dans sa forme actuelle est voué à l'échec. À moins qu'en tant que nation nous n'admettions que l'interdiction de la marijuana se fonde sur le racisme et l'intolérance morale, nous ne réussirons jamais à nous affranchir de l'idéologie pernicieuse qui est à la source du régime juridique du cannabis.
Lorsque Emily Murphy a réussi à faire interdire la consommation de marijuana au début du XXe siècle, on n'avait recensé aucun cas de consommation. En fait, personne ne savait vraiment en quoi consistait la marijuana, ni si quelqu'un s'en servait. Bien entendu, la loi en a empêché la consommation. Personne n'en consommait alors, et il a fallu que 14 ans s'écoulent avant que l'on accuse quelqu'un d'en avoir pris. Ce serait un peu comme interdire les dragons aujourd'hui. Ce serait sans doute très efficace, jusqu'au jour où nous découvririons quelques dragons, bien entendu.
º (1635)
La présidente: Par dragon, est-ce que vous entendez l'animal, ou bien quelqu'un qui drague?
Désolé.
M. Marc Boris Saint-Maurice: À vous de choisir.
Selon la loi de Murphy, tout ce qui peut tourner mal tourne mal, et c'est la même chose pour la loi d'Emily Murphy. Essayer de contrôler ce que les gens consomment au moyen de sanctions criminelles peut sembler intéressant en surface, mais normalement tout ce qui peut prendre une mauvaise tournure prend une mauvaise tournure. Aujourd'hui, c'est le contraire qui se produit, et c'est comme cela que nous avons le plus fort taux de consommation de marijuana jamais enregistré.
Le Parti Marijuana estime qu'il n'y a pas d'autre solution que de légaliser pleinement et de réglementer. Malheureusement, c'est une position qui n'est pas négociable. Tant qu'on ne reconnaîtra pas pleinement le droit des consommateurs, des producteurs et des vendeurs de marijuana à exercer leurs activités sans discrimination ou sanctions juridiques, nous poursuivrons notre combat.
Si le projet de loi C-38 est adopté, nous vous prévenons que nous prendrons toutes les mesures possibles pour contester la loi. La meilleure forme de contestation, évidemment, sera de continuer à enfreindre la loi comme nous le faisons depuis si longtemps en continuant à discréditer notre régime judiciaire et juridique. Malheureusement, c'est la seule solution pour nous dans l'immédiat, mais nous en chercherons bien d'autres. Les activistes au Canada sont nombreux, bien organisés et de mieux en mieux financés.
Nous ne faisons pas cela pour des raisons fantaisistes ou pour notre plaisir personnel. Il y a toutes sortes de bonnes raisons de mettre fin à la prohibition, à commencer par le fait que depuis 1899, toutes les commissions qui ont été chargées d'étudier la marijuana ont conclu qu'il n'y avait pas de raison de prendre des sanctions criminelles et qu'il fallait s'écarter du statu quo de la prohibition. Je crains que le projet de loi C-38 ne soit encore une fois une façon de maintenir le statu quo en n'apportant aucune solution à ces problèmes.
Les attitudes sociales évoluent aussi et vont continuer à évoluer en notre faveur. Quand on voit que neuf Canadiens sur 10 sont favorables à l'utilisation médicale de marijuana, il est évident que nos lois sont déconnectées de la réalité. Quand neuf Canadiens sur dix sont en faveur de la consommation médicale de marijuana, ou bien neuf députés sur dix sont pour, ou bien neuf députés sur dix sont tellement déconnectés de l'électorat qu'ils n'ont rien à faire là où ils sont.
Dans le projet de loi C-38, on ne parle pas d'utilisation médicale. C'est une grave lacune constitutionnelle qui risque à mon avis d'entraîner la chute de cette loi. Les tribunaux ont déjà tranché plusieurs fois en faveur des droits des consommateurs de marijuana à des fins médicales. Cette omission est grave et elle risque de poser un problème à long terme.
[Français]
En plus, la légalisation servira à réduire le taux de consommation de marijuana. Cette baisse améliorera la santé générale de la population parce que, avouons-le, c'est vrai que la consommation abusive peut entraîner de légers problèmes de santé. Mais ceux-ci peuvent être mieux mitigés dans un contexte légal.
D'ailleurs, dans un contexte légal, le cannabis devient la responsabilité des gouvernements provinciaux. Tant au niveau de la santé publique qu'au niveau de la réglementation des boissons alcooliques, cette légalisation va être du ressort du gouvernement provincial, ce qui servira à réduire beaucoup d'autres effets négatifs associés au cannabis.
[Traduction]
Il est triste de perdre des revenus aussi importants. C'est une source de revenu très intéressante pour la société. Il existe déjà un marché parallèle d'accessoires légaux : des lampes de culture, des engrais, des pipes, des livres, des revues, des aliments et des vêtements à base de chanvre. Ce n'est que la pointe de l'iceberg, car l'énorme majorité de l'activité économique est souterraine et concerne la marijuana. C'est ça que les gens veulent.
Les activités légales ne sont que le début. Nous perdons tous ces revenus au profit du monde interlope, et la seule façon de récupérer cet argent, c'est de légiférer pour légaliser et réglementer la marijuana en tant que produit licite qu'on pourra acheter comme un café au lait, une boisson mélangée ou n'importe quel produit présentant un léger risque. On n'interdit pas le hockey parce que les enfants peuvent se blesser en jouant; on cherche des moyens d'atténuer les risques.
Pour ce qui est du coût sur le plan médical, je voudrais réfuter l'affirmation de M. Kalant. J'ai une ventilation de l'Institut Fraser qui montre que le coût des médicaments pour le régime de santé en Ontario est de 1,5 milliard de dollars, et que la part de la marijuana dans ce total n'est que de 0,5 p. 100. Il est donc faux de prétendre que la marijuana constitue un fardeau financier pour notre régime médical. À tout prendre, il s'agit plutôt d'un avantage car on pourrait la taxer et se servir de ces recettes fiscales pour financer la lutte contre d'autres problèmes dans le système. Et Dieu sait si on en a besoin.
Il y a donc de nombreuses autres raisons convaincantes et je vous invite à examiner le rapport du Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites. C'est un excellent point de départ et il faudrait appliquer textuellement toutes ces recommandations.
º (1640)
Il est aussi important de ne pas précipiter l'adoption de ce projet de loi. C'est une question beaucoup trop complexe et importante qui mérite tout le temps et l'attention nécessaires pour la régler correctement une fois pour toutes.
Sans vouloir exagérer l'importance du rôle du pouvoir judiciaire dans la conception des lois, il serait peut-être sage d'attendre la décision de la Cour Suprême sur la constitutionnalité de l'interdiction de la marijuana. Je pense que la clairvoyance de cette cour pourrait être très utile pour déterminer une politique plus raisonnable à l'égard des drogues et aiderait certainement votre comité à guider cette politique et à influer sur cette politique.
Je suis aussi heureux de constater que le comité essaie d'entendre tous les points de vue et à chercher à obtenir l'opinion de nos voisins du Sud. Je crois que cela témoigne de la sincérité des efforts de ce comité pour entendre toute une palette de points de vue. Je tiens cependant à mettre en garde les députés : la politique américaine de prohibition rigoureuse, qui a officiellement pour objet d'empêcher la consommation, a fait des États-Unis le chef de file mondial de la toxicomanie. Est-ce la voie que le Canada souhaite suivre?
J'aimerais vous inviter tous, à votre convenance, à venir rendre visite à quelques-uns de mes amis qui sont emprisonnés à cause de la marijuana. Ce sont des gens gentils, des parents affectueux, des enfants pleins d'amour. J'aimerais vous inviter à venir rencontrer au Compassion Club des patients tiraillés parce qu'ils ne savent pas s'ils doivent acheter de la nourriture ou de la marijuana qui pourrait leur sauver la vie en faisant passer leur nausée et en les aidant à manger, même si tout ce qu'ils ont, c'est un réfrigérateur vide.
Je vous invite aussi à une cérémonie ici à Ottawa pour un ami qui est mort il y a quelques jours seulement en essayant d'extraire de l'huile de marijuana dont il avait besoin pour se soigner pour le sida et qui n'avait pas les moyens d'en acheter. Il s'est fait sauter et il est mort. S'il avait pu acheter légalement de la marijuana, il serait probablement encore parmi nous aujourd'hui. Je vous invite tous à songer à ces braves citoyens qui souffrent—et qui pourraient être des membres de votre propre famille—tout simplement à cause d'une loi qui ne sert concrètement à rien.
Enfin, je vous invite à mettre fin à cette folie et à légaliser une fois pour toutes la marijuana. Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur White.
M. Randy White: Je vous remercie tous d'être venus et j'aimerais vous demander de me répondre brièvement. J'ai plusieurs questions, mais je voudrais vous demander si à votre avis le projet de loi C-38 tel qu'il existe actuellement vaut mieux que le statu quo. Est-ce qu'il améliore la situation ou est-ce qu'il l'empire?
M. Marc Boris Saint-Maurice: Est-ce que vous m'autorisez à répondre « ni l'un ni l'autre ».
M. Randy White: Ce serait votre réponse?
M. Marc Boris Saint-Maurice: Ce n'est pas une amélioration ni le contraire—une aggravation.
M. Randy White: Mais le statu quo, ce n'est ni l'un ni l'autre.
La présidente: Monsieur Lucas.
M. Philippe Lucas: Je crois que c'est pire. Il y aura plus d'incarcérations et le coût d'une substance interdite sera plus lourd pour le contribuable. C'est incontestablement une substance moins nocive que l'alcool ou le tabac. Il est clair que dans un contexte médical, de nombreux Canadiens souffrant de maladies critiques et chroniques en ont absolument besoin.
La présidente: Monsieur Kalant.
M. Harold Kalant: Encore une fois, c'est une opinion personnelle et non une conclusion scientifique. Je pense qu'il est important de bien faire la distinction.
Personnellement, je pense que c'est une amélioration par rapport au statu quo. J'aimerais bien préciser que certaines des remarques que M. St-Maurice vient de faire ne s'appuient à mon avis sur aucune preuve scientifique.
La présidente: Madame Erickson.
Mme Patricia Erickson: Pour l'utilisateur, il y aura encore toutes sortes d'autres problèmes, mais la suppression du casier judiciaire est un grand pas.
La présidente: Monsieur Perron.
M. Michel Perron: Je pense que nous avons clairement dit que c'est préférable au statu quo.
º (1645)
La présidente: Monsieur White.
M. Randy White: Merci.
Nous parlons d'une amende pour possession de un à 30 grammes, avec une catégorie de 15 à 30 grammes—en gros, c'est une amende pour possession de un à 30 grammes. Comme la toxicité et la teneur en THC augmentent avec les progrès de la mise au point du plant—si l'on peut parler de progrès—pensez-vous que cela a une influence sur cette marge de 1 à 30 grammes? La teneur en THC de 14 grammes à l'heure actuelle est-elle différente de ce qu'elle sera dans 10 ans? Est-ce que cela change quelque chose?
La présidente: Je vais donner la parole d'abord à Mme Erickson, car c'est un des points qu'elle a abordés.
Mme Patricia Erickson: Je ne pense pas que cela ait une importance. Dans le document d'information, on disait que la teneur moyenne était de 5 ou 6 p. 100, ce qui n'est pas très élevé, et dans le tiers des échantillons examinés par la police, elle était de moins de 3 p. 100. Le cannabis le plus concentré semble se diriger vers le marché américain, ce qui est logique du point de vue économique. C'est plus rentable là-bas.
Pour ce qui est des consommateurs, nous pensons—et ce sont là des questions empiriques—que s'ils consommaient une forme plus forte de marijuana, ils fumeraient moins et auraient peut-être moins de problèmes de bronche et respiratoires.
Mais pour ce qui est des sanctions criminelles pour ce comportement, il faudrait appliquer le même traitement, c'est-à-dire une amende, pour toute quantité allant jusqu'à 30 grammes.
La présidente: Monsieur Lucas, puis monsieur Perron.
M. Philippe Lucas: Dans une vaste étude qu'il a effectué à partir d'Amsterdam, Peter Cohen a examiné la prévalence de la consommation de cannabis à Amsterdam, à San Francisco et à Brème, en Allemagne. Il a constaté que les consommateurs réguliers ne choisissent pas le cannabis le plus fort possible s'ils ont accès à un approvisionnement régulier. À Amsterdam, où on se procure facilement du cannabis dans les cafés, les gens ne cherchent pas le produit le plus fort possible. C'est le cas en revanche à San Francisco parce que la prohibition entraîne une concentration de ces produits. Si l'on achète du cannabis qu'une fois par mois en prenant un risque légal, on choisit le produit le plus fort possible.
À la suite de cette étude, Tashkin, un cardiologue chevronné des États-Unis—qui a été cité par M. Kalant tout à l'heure—a fait une autre étude montrant que non seulement la consommation diminue quand les gens prennent du cannabis plus fort, mais que ce cannabis a un pourcentage de goudron moins élevé. Autrement dit, la consommation de cannabis plus fort est plus sûre et plus efficace.
La présidente: Monsieur Perron.
M. Michel Perron: Pour revenir à ce que disait précédemment Mme Erickson, la consommation d'une quantité déterminée est une mesure, mais ce qui est plus important, c'est de voir les répercussions de cette consommation. En toute franchise, nous ne savons pas quelles seront les conséquences d'un accroissement de la concentration en THC à l'avenir, nous ignorons les répercussions négatives que cela pourra avoir en fin de compte.
Il faut donc que nous soyons capables de mesurer ce que nous allons comparer à l'avenir—c'est-à-dire d'évaluer la teneur du cannabis en THC aujourd'hui et les répercussions de cette consommation—pour en suivre l'évolution. C'est de cette évaluation que je parlais tout à l'heure.
Nous avons tous mentionné l'enquête nationale de 1994 sur la prévalence de la consommation de drogues. Je suis heureux de pouvoir vous dire que le CCLAT, nos collègues du Conseil exécutif canadien sur les toxicomanies et nos collègues de Santé Canada vont aller faire une nouvelle enquête nationale sur le terrain au cours des prochaines semaines. Nous aurons des données plus récentes au début de 2004 que nous pourrons exploiter et dont nous pourrons extrapoler certaines solutions, je l'espère.
M. Randy White: Monsieur Perron, vous avez dit—et je vais essayer de vous paraphraser—que des sanctions progressives pour les cultivateurs de marijuana étaient une bonne chose. Comment réconciliez-vous cela avec les décisions que prononcent actuellement les juges dans les tribunaux? Les sanctions que nous avons ici dans le projet de loi C-38 pour les personnes qui cultivent du cannabis sont des maxima, alors comment pouvez-vous dire que c'est une bonne chose si ces maxima ne sont pas appliqués aujourd'hui?
M. Michel Perron: Tout dépend du bout de la lorgnette que vous avez. Moi je pensais à la culture personnelle et à l'alourdissement des peines pour les cultures commerciales.
Bien franchement, de tels maximums n'ont jamais été efficaces, si je ne m'abuse, avec l'autre loi. Je ne sais vraiment pas si je peux vous fournir une réponse satisfaisante du point de vue de la culture de la marijuana. Au sujet de l'application de la loi actuelle et des peines qui en découlent, pour de très nombreux policiers, les condamnations et les conséquences sont insuffisantes. Il faut plus de clarté au sujet de la culture, et des conditions qui y sont associées. Les juges doivent dire clairement pourquoi ils n'ont pas imposé certaines sanctions.
Je ne sais pas si j'ai très bien répondu à votre question.
º (1650)
La présidente: Monsieur Lucas, s'il vous plaît.
M. Philippe Lucas: J'aimerais formuler un commentaire au sujet du nombre de plans. Dans le milieu, beaucoup de gens trouvent ces chiffres arbitraires. À titre de consommateur médical de marihuana, je peux faire pousser 25 plants. Au Canada, certaines personnes ont eu des exemptions leur permettant d'avoir jusqu'à 98 plants, pour leur usage personnel.
En vertu du projet de loi C-38, s'ils ne relèvent pas de l'article 56 du Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales, ils sont passibles d'une peine maximale de 14 ans de prison, ce qui est davantage que pour les agressions avec violence, le viol et l'inceste. Je pense que c'est disproportionné par rapport aux quantités cultivées avec autorisation.
J'ai déjà eu une petite culture de 90 plants, occupant un espace de deux pieds sur deux pieds. Il s'agissait d'une très petite quantité, avec de très petits plants. Je connais aussi des gens qui cultivent huit plants, jusqu'à ce qu'ils mesurent huit pieds. Cette variable qu'est le nombre de plants ne dit rien sur le volume vraiment cultivé et n'est certainement pas un bon guide, du point de vue juridique, pour décider de porter des accusations.
La présidente: Monsieur St-Maurice, vous avez la parole.
M. Marc Boris Saint-Maurice: On a parlé de l'emprisonnement comme mesure dissuasive. Si ce n'est pas dissuasif dans les cas de consommation et de possession simple, comment donc l'augmentation des peines pourrait-elle être dissuasive pour ceux qui en produisent? On a essayé d'emprisonner les gais à Cuba, et le résultat, c'est qu'il y avait beaucoup de gais derrière les barreaux. Imaginez ce qui s'est produit. C'est illogique. Si on décriminalise uniquement la possession, sans traiter de la production, c'est s'exposer à être attaqué de tous côtés.
M. Randy White: Monsieur St-Maurice, vos commentaires m'intéressent. Ce qui m'a vraiment intrigué, c'est que vous déclariez que vous allez continuer à enfreindre la loi, comme vous le faites depuis si longtemps. Parlez-vous des membres du Parti Marihuana, ou de vos amis?
M. Marc Boris Saint-Maurice: Je parle des partisans de la marihuana.
M. Randy White: Vous dites donc que peu importe la loi, vous continuerez de l'enfreindre.
M. Marc Boris Saint-Maurice: J'ai envisagé d'abandonner quand le projet de loi C-38 sera adopté, mais je me suis ravisé. Nous avons tout à fait l'intention de violer la loi. C'est peut-être Abraham Lincoln, je crois, qui a dit que la meilleure façon de faire abroger une mauvaise loi, c'est de la transgresser le plus possible, et de l'appliquer dans son sens le plus strict...nous sommes prêts.
La présidente: Merci, monsieur White.
Monsieur Ménard, c'est votre tour.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente.
Au fond, ce qui me surprend un peu, mais pas totalement, c'est que plusieurs témoins nous invitent à ne pas agir avec précipitation, au risque même que le projet puisse ne pas revenir puisque--c'est un secret pour personne--le prochain premier ministre ne va pas nécessairement confier cette responsabilité à Martin Cauchon. Cela pourrait vouloir dire qu'il y aura un certain report de tout ce débat. Cela étant dit, personne ne connaît l'avenir.
J'aurai deux questions: une pour M. Saint-Maurice et l'autre pour M. Perron. Je vais commencer par m'adresser à M. Perron. Après avoir travaillé pendant plus d'une année, le rapport soumis par plusieurs des membres de ce comité qui sont présents autour de cette table avait trois grands objectifs. D'abord, il visait à demander une stratégie nationale de lutte contre la drogue. Je dis « nationale », mais vous devez comprendre que c'est essentiellement pour les besoins de la cause. Le premier objectif était donc de faire la demande d'une stratégie de lutte contre la drogue.
Deuxièmement, étant très conscients que nous ne pouvions pas mettre fin complètement à toute la logique prohibitionniste qui prévalait depuis 90 ans, le rapport visait à relativiser.
Troisièmement, on voulait s'assurer que personne n'ait un casier judiciaire à la suite de simples allégations de possession de marijuana; ce troisième objectif étant très important.
Pour toutes ces raisons, j'avais l'impression que le projet de loi C-38 constituait un pas dans la bonne direction. Quand le gouvernement a rendu le projet de loi public, nous étions tous conscients qu'il y avait une question qui n'était pas réglée, c'est-à-dire celle de la possession par opposition au droit de production. Nous aurions souhaité mettre fin à cette incohérence.
M. Saint-Maurice pourra aussi répondre à ma première question s'il le souhaite.
Quelles mesures législatives pourraient, selon vous, mettre fin à la contradiction qui fait qu'on n'aura plus de casier judiciaire, mais que toute la question de la production n'est pas réglée. Que pourrait-on faire pour régler cette situation, et quelle sorte de libellé législatif souhaitez-vous que nous adoptions? Pour ce qui est de ne plus avoir de casier judiciaire, je pense que c'est un avantage que peu de personnes remettent en cause.
Commençons par vous; M. Perron pourra répondre ensuite.
º (1655)
M. Marc Boris Saint-Maurice: En ce qui me concerne, ma position est bien claire et elle n'a pas changé. C'est la légalisation et la réglementation d'un marché légitime, tant en ce qui a trait à la production qu'à la possession, à la vente et à la consommation, pour tout adulte responsable qui souhaite en faire usage. Cela a toujours été ma position. Elle est peut-être très loin, d'un côté, pour ce comité, mais c'est vers cela qu'il faut tendre, et tous les pas que fait ce comité doivent aller dans ce sens.
Même si ce sont de petits pas, on doit agir en fonction de l'aboutissement à une légalisation entière et totale. Je pense que cela serait une bonne façon de guider le travail du comité afin qu'il soit productif et constructif à long terme, de même que la loi qui en résultera, et pour qu'on puisse bâtir à partir de ce qui existe plutôt que de devoir détruire pour recommencer de nouveau.
M. Réal Ménard: J'ai une sous-question, puisque j'échange avec vous, monsieur Saint-Maurice, et que vous avez une expertise de plusieurs années dans ce dossier. Nous n'avons pas eu de preuves scientifiques démontrant qu'une consommation modérée de la marijuana pourrait être néfaste, sauf pour l'étude sur la question de la conduite en ligne droite.
Par rapport à une consommation, disons, grandissante, vous-même avez fait quelques nuances dans votre présentation. Si j'ai bien compris vos propos, c'est peut-être ce qui me porte à dire que vous seriez plus près du rapport Nolin que du rapport Torsney. Il y aurait des boutiques qui vendraient publiquement, une régie publique de la marijuana, et cela vous conviendrait. Vous estimez que les preuves scientifiques dont nous disposons nous permettraient, comme législateurs, d'aller dans ce sens-là sans errer sur le plan de notre devoir.
M. Marc Boris Saint-Maurice: Vous avez mis le doigt dessus; je n'aurais pas pu mieux formuler ma position.
M. Réal Ménard: Vendez-moi donc une carte de membre; je vous en vendrai une aussi!
M. Marc Boris Saint-Maurice: D'accord! Réal Ménard, c'est ça?
M. Philippe Lucas: Cela n'a pas beaucoup de sens de protéger le public en mettant les gens en prison; cela ne protège personne.
M. Réal Ménard: Mais M. Saint-Maurice va plus loin. Il dit que le simple fait qu'il n'y ait pas de casier judiciaire n'est pas surprenant, il faut que l'État prenne la responsabilité...
M. Marc Boris Saint-Maurice: J'ajouterais que la politique que nous proposons va permettre de réduire l'usage et de réduire tous les effets négatifs, si minimes soient-ils. Nous avons déjà les preuves scientifiques, dont celles sur les taux d'utilisation. En Hollande, où on tolère l'usage, on a le taux le plus bas. Mme Erickson nous l'a dit, partout où on a changé l'accusation criminelle, il n'y eu aucun impact sur l'usage. Pourtant, la prohibition est censée être la solution à l'usage et à l'abus de drogues. Il y a donc un énorme problème et il faut revoir toutes ces stratégies-là. Nous sommes en faveur de la réduction de l'usage. Ce n'est pas parce qu'on est le Parti marijuana qu'on veut que tout le monde fume, au contraire.
M. Réal Ménard: Est-ce que j'ai le temps de poser une petite question, madame la présidente?
La présidente: Attendez une seconde.
Madame Erickson, quelqu'un a fait un commentaire sur une chose que vous avez dite. Êtes-vous d'accord?
[Traduction]
Mme Patricia Erickson: Aux Pays-Bas, une comparaison intérieure n'a pu être faite, comme cela a été possible aux États-Unis et en Australie. C'est de là que nous viennent les données les plus solides. Mais pour l'Europe occidentale, on constate de plus en plus que l'assouplissement des lois dans certains pays, mais pas dans d'autres, n'a pas eu d'effet sur la consommation. Les lois n'ont pas autant d'effet qu'on veut bien le croire. Il y a bien d'autres facteurs.
[Français]
M. Réal Ménard: Il y a un document du Centrecanadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies qui a circulé et qui nous rappelait que ça demeure une cigarette, que ça contient du goudron et qu'il y a des effets nocifs. Je comprends que le centre canadien ne serait pas nécessairement prêt à suivre M. Saint-Maurice intégralement.
M. Michel Perron: Exactement. La question de la légalisation est complètement différente de celle qui fait l'objet de notre discussion aujourd'hui sur le projet de loi. On peut avoir toutes sortes d'arguments et de discussions hypothétiques sur les effets économiques qu'aurait la légalisation du cannabis. Nous préférons quand même, pour le moment, confiner nos commentaires au projet de loi qui est devant nous. Nous croyons vraiment que c'est un pas dans la bonne direction.
Comme vous l'avez dit, monsieur Ménard, le rapport du comité a précipité l'avènement d'une nouvelle stratégie antidrogue, ce qui est déjà un atout très important pour ce pays, parce qu'on n'en avait pas. C'était la confusion totale.
» (1700)
M. Réal Ménard: [Note de la rédaction: inaudible]
M. Michel Perron: Nous avons eu la moitié de ce que nous avons demandé, mais c'est à nous que revient la tâche de nous assurer que nous l'obtenions en entier la prochaine fois. Je suis un éternel optimiste mais, en fin de compte, il faut dire que c'est un pas pour prouver la nécessité et l'importance de financer des activités dans ce domaine, parmi toutes les autres priorités financières.
Cela dit, passons à la question du casier judiciaire. Le centre a pris position, de manière prioritaire, sur la politique pour la possession personnelle. Nous croyons que le projet de loi C-38 va permettre une diminution de la fréquence de ce problème, en particulier pour ceux qui sont en possession de 15 grammes et moins.
En ce qui concerne le droit de produire, le centre n'a pas pris position sur cette question spécifique. Nous avons quand même dit que nous croyons que c'est un pas dans la bonne direction. Mais il faut dire que c'est encore une loi prohibitionniste, une politique prohibitionniste, et à cet égard, il y a quand même une certaine contrainte pour jumeler les deux intentions: une loi prohibitionniste et le droit de produire.
Vous avez séparé le nombre de plants. Je suis conscient du problème. Qu'est-ce qu'un plant? Est-ce que c'est un arbre ou une mauvaise herbe? Les questions qui se posent sur la quantification de ce que sont trois plants constituent un grand problème pour la police. Cependant, la différence entre trois plants et 50, 60 ou une centaine de plants à des fins commerciales est importante.
Vous avez demandé une réponse claire. Je m'excuse de ne pas pouvoir vous en donner une plus claire que cela pour le droit de produire, sauf que nous croyons que c'est important d'avoir au moins une mesure d'évaluation, si on va de l'avant avec la mise en oeuvre du projet de loi C-38. Combien de gens vont se faire arrêter à cause de cette loi? Il faut faire des constatations, des évaluations à cet égard.
M. Réal Ménard: Est-ce que j'ai le temps de poser une dernière petite question? Vous êtes bien aimable, bien généreuse. On vous a toujours connue comme cela, d'ailleurs.
M. Kalant disait qu'il y avait certaines études où vous sembliez vouloir relativiser le discours de M. Saint-Maurice. Quand je vous disais que, de façon générale, le comité a travaillé pendant un an et demi et qu'on n'a pas eu d'étude scientifique qui démontre le caractère nocif de la consommation de marijuana--en petite quantité, s'entend--, sauf pour la question de la ligne droite lorsqu'on conduit, j'ai vu que vous avez opiné du bonnet.
Est-ce que vous souhaitez partager avec nous de l'information qui aurait pu échapper aux travaux antérieurs du comité?
[Traduction]
M. Harold Kalant: Il ne faut pas oublier que dans le cas du cannabis, comme pour toute autre drogue, les effets dépendent de la quantité consommée, dans quelle circonstance, et par qui. Vous ne pouvez pas tout simplement dire que la drogue a tel ou tel effet; il faut préciser quelle quantité de drogue et sur qui.
Si vous consultez la littérature scientifique, dans les études de laboratoire qui ont réalisé des courbes dose-effet, il est clair qu'il y a beaucoup d'indications que de petites quantités n'ont aucun effet observable alors que de grandes quantités affaiblissent clairement tout un ensemble de fonctions psychomotrices. En ce qui concerne la santé, on n'a pas constaté que le consommateur occasionnel souffre des infections pulmonaires dont j'ai parlé, alors que le consommateur régulier—j'entends par là quotidien surtout—a clairement ces problèmes.
Si vous cherchez des effets, il faut d'abord voir de quel genre de consommateurs il s'agit. Le consommateur occasionnel souffre des problèmes généralement liés à la consommation de substances intoxicantes. Vous n'avez pas besoin d'être un gros consommateur chronique pour souffrir des effets néfastes quand vous êtes au volant d'une voiture. Il suffit de conduire une fois sous l'effet de la substance intoxicante et d'avoir un accident, comme c'est le cas pour l'alcool. Il faut donc préciser le genre d'effet nocif et la quantité consommée si vous voulez comprendre le sens de la littérature scientifique.
Aussi bien M. Lucas que M. St-Maurice ont dit que les lois draconiennes aux États-Unis ont conduit à la consommation la plus élevée au monde. Les deux faits sont justes : les lois sont draconiennes et la consommation est la plus élevée. Mais de déduire que l'un est la cause de l'autre, c'est une erreur de raisonnement.
Il y a beaucoup de différences entre les États-Unis, les Pays-Bas, la Norvège, la Thaïlande et quantité d'autres pays. Dans une étude de MacCoun et Reuter publiée il y a quelques années dans Science, on a signalé le danger de comparer des sociétés différentes en plusieurs points pour ne retenir que les différences de nature juridique.
Le fait est que lorsque le cannabis n'était pas illégal, il était très abondamment utilisé médicalement en Amérique du Nord, et cela ne causait sans doute que très peu de problèmes. Les lois ont été votées à une époque où cet usage médicinal avait déjà beaucoup régressé. On consommait très peu de cannabis à des fins médicinales lorsqu'il a été interdit. Comme M. St-Maurice l'a dit à juste titre, le produit a été déclaré illégal en grande partie en raison des accusations du juge Emily Murphy, qui étaient sans fondement.
Lorsque le produit a été déclaré illégal, sa consommation est restée très faible pendant une quarantaine d'années environ. Lorsque l'usage du cannabis s'est répandu en Amérique du Nord, la loi existait déjà depuis longtemps. Blâmer la loi pour l'apparition d'un nouveau phénomène qui a beaucoup plus à voir avec la sociologie de la révolte des jeunes contre la société conventionnelle ne tient pas vraiment debout.
L'autre chose que j'aimerais dire porte sur l'information venant des Pays-Bas, dont on a souvent dit qu'elle montre qu'une très grande indulgence n'a pas conduit à une grosse augmentation de la consommation. L'article de Reuter et MacCoun dont j'ai parlé a examiné cette information en reprenant toutes les études aux Pays-Bas qui s'étaient servies des mêmes techniques d'enquête. Les auteurs ont fait remarquer, comme Mme Erickson l'a dit, qu'il n'y a eu aucune enquête nationale uniforme effectuée au moyen des mêmes techniques. Il était donc très difficile de comparer l'évolution de la consommation aux Pays-Bas au fil des années, ainsi que l'évolution de la consommation dans d'autres pays européens et en Amérique du Nord.
» (1705)
Ils n'ont considéré que les enquêtes qui avaient employé les mêmes critères, la même méthode de collecte de l'information, qui puissent être à juste titre et sur le plan de méthodologie comparées aux enquêtes réalisées en Amérique du Nord et ailleurs. Ils sont constaté que d'autres pays européens, qui n'avaient pas changé leur loi, avaient connu très peu de changements des niveaux de consommation au fil des années, alors qu'aux Pays-Bas, à partir du moment où la non-intervention policière a été instituée, il y a apparemment eu un accroissement régulier de la consommation.
Dans les dernières années de cette comparaison, le niveau de consommation aux Pays-Bas, ou dans les villes des Pays-Bas où les enquêtes ont permis une comparaison, avait atteint pratiquement le même niveau que dans les villes comparables des États-Unis. Ils ont donc mis en garde contre toute attribution de différence entre les Pays-Bas et les États-Unis uniquement aux lois en existence, mais plutôt...
[Français]
M. Réal Ménard: Je pense que vous avez répondu à ma question. Je voudrais que mes collègues puissent s'exprimer aussi. Je comprends, je pense, l'essentiel de votre propos et je vous en remercie.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Lucas.
M. Philippe Lucas: Au sujet de ce que M. Kalant a dit, je ne laissais pas entendre que les lois plus sévères aux États-Unis ont fait monter la consommation, mais plutôt qu'elles n'ont pas fait baisser la consommation dans ce pays. Rien n'indique que les sanctions, qu'il s'agisse d'amendes ou d'emprisonnement, vont réduire le nombre ou le pourcentage de Canadiens qui consomment du cannabis. Rien n'indique non plus que ceci va corriger les problèmes de santé attribuables au cannabis. S'il s'agit effectivement d'un problème sanitaire, procédons comme on l'a fait pour le tabagisme au Canada—communiquons une information honnête, légalisons et réglementons. C'est ainsi que l'on a réussi au Canada.
» (1710)
La présidente: Madame Davies.
Mme Libby Davies: Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui. Je sais qu'il y a beaucoup de témoins et que chacun a beaucoup à dire.
Moi, j'espérais que ce projet de loi serait pragmatique et nous conduirait vers la dépénalisation en laissant de côté les immenses préjudices que causent ces politiques prohibitionnistes. Beaucoup de témoins ont signalé que l'action policière fait beaucoup plus de tort aux gens et à la société que les substances incriminées. Personne ne peut le contester.
Jusqu'à aujourd'hui, personne ne s'était dit en faveur du projet de loi et je regrette de vous dire que le CCLAT a la distinction d'être le premier témoin à être en faveur du projet de loi. En fait, j'aurais espéré que vous nous pousseriez davantage.
Quand je regarde le projet de loi, il y a beaucoup de choses qui m'agacent, mais l'une d'elles est la verbalisation, le régime des amendes. En fonction de quoi est-ce que l'on fait cela? Nous n'avons entendu personne qui le préconise en disant qu'il aurait un effet dissuasif ou ferait baisser la consommation. Il y a beaucoup d'études, et nous avons entendu des témoignages qui montrent qu'un moyen de dissuasion tel qu'une amende, tout comme la prohibition, ne fait pas forcément baisser la consommation.
Cela va-t-il créer des recettes? Est-ce que la police attend d'aller ramasser des centaines de millions de dollars? C'est peut-être le cas, mais on peut aussi dire que l'élargissement du filet signifie que beaucoup plus de ressources publiques vont servir à la perception de ces amendes. Alors, qu'en est-il? Cela va-t-il donner l'illusion qu'il s'agit toujours d'un produit illégal? On n'a pas vraiment parlé des conséquences pour les jeunes, parce que dans le régime des amendes on distingue entre les adultes et les jeunes. Ce sera 100 $ pour un jeune qui a 15 grammes ou moins sur lui.
Je suis curieuse d'entendre le point de vue du CCLAT. Comment justifiez-vous ce régime d'amendes? Si elles ont pour but de lutter contre un fléau comme la conduite avec facultés affaiblies, le tabagisme ou la consommation d'alcool près d'une école, on peut justifier un régime d'amendes. Mais s'il est question de consommation personnelle en privé, comment pouvons-nous défendre cette position? J'aimerais savoir comment vous conciliez cela à partir de votre situation de professionnels? Peut-être pouvez-vous me répondre.
Deuxièmement, Philippe et M. St-Maurice, pour ce qui est de la culture, je suis d'accord. Il est contradictoire qu'il n'y ait rien dans ce texte qui autorise la culture à des fins personnelles. Certains d'entre nous le souhaiteraient. Plus tôt aujourd'hui, M. Young, un avocat bien connu qui s'est occupé d'affaires de ce genre, a proposé d'autoriser cinq plants.
Le comité n'a-t-il pas déjà proposé trois?
La présidente: Oui.
Mme Libby Davies: Auparavant, nous avions effectivement dit jusqu'à trois. Il a proposé cinq. En ce moment, nous sommes en train de rédiger des amendements. Je vise simplement à rédiger quelque chose de raisonnable que nous pourrions essayer de faire adopter ici, bien que je sois d'accord avec un bon nombre des observations qui ont été faites. Pour l'instant, j'estime ne pas pouvoir appuyer ce projet de loi.
Pourriez-vous traiter de ces deux questions, s'il vous plaît.
M. Michel Perron: Merci.
À propos du CCLAT qui est le premier à effectivement appuyer le projet de loi, nous estimons que c'est un pas, mais un pas dans la bonne direction, sauf le respect que je vous dois.
La question que vous posez est une bonne question. Mais revenons à l'argument présenté par M. Kalant. Quel est ici le rôle de la loi? Est-ce un rôle de prévention, de dissuasion, et de suppression de tous les maux et difficultés liés à l'usage du cannabis? Certes pas. Actuellement, nous devons modifier la loi parce qu'elle n'est pas appliquée. De nos jours, l'application de la loi, la perception qu'en ont les jeunes et tout le monde en fait une véritable farce, sur le plan national et international. Les jeunes croient que sa consommation est sans conséquence aucune. Cela va à l'encontre de la pratique actuelle...
» (1715)
Mme Libby Davies: Mais pensez-vous que les amendes serviront à quelque chose? La question est vraiment importante, parce que je ne crois pas qu'il s'agisse de se montrer plus conciliant. Il s'agit bien davantage pour les jeunes ou qui que ce soit d'être mieux informés. Est-ce qu'on y parviendra en imposant des amendes ou plutôt par une sensibilisation réaliste, surtout auprès des jeunes?
M. Michel Perron: Nous avons parlé de nous doter d'une solide stratégie de prévention qui porte sur les conséquences de l'utilisation du cannabis—vous avez tout à fait raison. Mais sans amende, qu'y a-t-il? C'est le revers de la médaille et c'est ce qui nous ramène peut-être à une optique comme celle de M. St-Maurice au sujet de la légalisation, et que sais-je encore, dont on pourrait parler indéfiniment. Le CCLAT estime que l'usage du cannabis a suffisamment d'effets nocifs pour justifier un certain contrôle.
Nous croyons qu'il est approprié pour ce faire d'avoir un régime d'amendes qui nous rapproche de la pratique courante qui entraîne des conséquences significatives, quoique d'ordre financier pour commencer.
Mme Libby Davies: Je n'ai jamais entendu qui que ce soit s'opposer à une certaine forme de contrôle. Le tout est de savoir si nous exerçons un contrôle effectif au moyen de la loi, et je dirais que non. Exerçons-nous un contrôle effectif au moyen d'amendes? Je pense que c'est très douteux. Alors exerçons-nous un contrôle effectif par voie réglementaire, au moyen de l'éducation et de la prévention, tout comme nous le faisons dans le cas d'autres substances?
C'est vraiment ce à quoi je veux en venir. Il me semble que nous agissons de façon tout à fait contradictoire, et le CCLAT se contredit peut-être un peu aussi.
M. Michel Perron: Je pense que les éléments que vous avez fait ressortir ne sont pas contradictoires. Je ne pense pas que nous devions nous contenter d'imposer des amendes, sans faire de prévention ni d'éducation. C'est vraiment ce dont nous avons besoin pour que les gens puissent prendre des décisions éclairées. La loi doit être appliquée de manière à entraîner certaines conséquences, et cela doit se faire avec diligence et en tenant compte du tort causé—tout au moins en tenant compte de la tolérance de la société.
Si ce n'est pas une amende, je ne vois pas bien quel autre recours nous aurions, pour imposer une punition par voie réglementaire. Je ne vois vraiment pas, franchement pas. C'est probablement la conséquence la moins gênante. Il n'y a pas de casiers judiciaires.
Ce qu'on semble perdre de vue dans ce projet de loi, c'est que nous essayons maintenant de caser dans un même projet de loi tout ce qu'on peut reprocher aux lois prohibitionnistes et au cannabis. Nous essayons de tout régler dans un seul projet de loi.
Mme Libby Davies: C'est un problème.
M. Michel Perron: Nous essayons d'éviter aux Canadiens les conséquences importantes que peut avoir un casier judiciaire pour possession de cannabis. C'est le point de départ d'un bon nombre de gens. Je pense que le projet de loi y parvient dans une large mesure, et on pourrait partir de là.
M. Philippe Lucas: Je remets simplement en question l'objectif d'une sociologie appliquée au moyen de la loi comme le préconise le CCLAT. Je ne pense que nous obtenions l'effet dissuasif recherché. Personne ici n'ayant laissé entendre que l'usage modéré de cannabis nuise au consommateur ou à la société, je me demande pourquoi nous envisageons la question sous l'angle de la justice pénale plutôt que de l'examiner d'abord dans une optique de santé.
Il me semble que dans une démocratie libérale moderne, les lois doivent reposer sur des données scientifiques et faire preuve de compassion, et non pas être dictées par la peur et la désinformation. Je m'interroge donc vraiment sur les raisons pour lesquelles on criminaliserait un comportement qui de toute façon n'est pas nuisible.
Je suis certain que les représentants du CCLAT reconnaîtraient que l'ampleur des torts causés cette année au Canada par Dairy Queen et sa clientèle dépasse celle des torts liés à l'usage du cannabis et à son interdiction. La cigarette et l'alcool causent certainement davantage de dommages.
La présidente: Il n'est pas un témoin expert appelé à se prononcer sur Dairy Queen, monsieur Lucas.
M. Philippe Lucas: C'est noté.
Si nous envisageons de limiter la quantité de cannabis qu'on peut faire pousser pour usage personnel, il est beaucoup plus sensé de limiter le nombre d'ampoules électriques et la superficie cultivée que le nombre de plants. Il serait plus sensé de permettre un éclairage de 1 000 watts où la culture de cannabis sur une superficie de 100 pieds carrés. On limiterait ainsi vraiment la quantité de cannabis cultivé, et cela vaudrait mieux que de simplement limiter le nombre de plants.
La présidente: Monsieur St-Maurice.
M. Marc Boris Saint-Maurice: J'allais dire la même chose que Philippe au sujet du nombre de plants. Mais la deuxième chose dont je suis heureux qu'il ait parlé, c'est la question des amendes en guise de punition. Je ne pense pas que la punition soit nécessairement la bonne chose à faire—cela n'étonnera personne. Nous devrions plutôt faire un rapprochement entre les amendes et l'impôt. Les gens qui doivent payer des amendes sont des jeunes de la rue—des cibles faciles qui n'ont pas les moyens de payer des amendes. L'avocat qui roule au volant d'une voiture de luxe et qui porte des complets dispendieux n'aura jamais d'amende à payer parce qu'un policier ne lui demandera probablement jamais ce qu'il a dans ses poches, parce que cela ne se fait pas, à moins qu'on pose la question à un punk de 19 ans qui a les cheveux bleus. Ce sont des jeunes comme ceux-là qui doivent payer des amendes et qui sont mis à contribution de façon injuste.
Si le produit est assujetti à l'impôt, tout le monde contribue équitablement au système. Si l'on fume une fois par semaine, on paie un pourcentage équitable. Si on fume un gramme par année, qu'on se fait prendre et qu'on doit payer une amende, c'est tout à fait injuste. Je trouve qu'il est juste que le gouvernement perçoive cet argent au lieu de voir les motards acheter plus de motos. J'aimerais mieux que cet argent serve à un hôpital.
Au lieu d'amendes—si nous ne pouvons pas procéder à la légalisation—, entre-temps je pourrais accepter ce qu'on a fait en Grande-Bretagne, où l'on a amalgamé le cannabis aux stéroïdes et à d'autres médicaments sur ordonnance. Je ne sais pas quelle est l'amende qu'on impose aujourd'hui si l'on se fait prendre avec des Valiums sans ordonnance, mais si nous options pour cette solution, on donnerait probablement un avertissement, on recommanderait à l'intéressé de suivre un traitement, par exemple. Encore que je ne croie pas au traitement forcé. C'est ce que je pense.
» (1720)
La présidente: Monsieur Kalant.
M. Harold Kalant: Il pourrait être utile de voir comment on s'y est pris dans le cas d'autres drogues, et quel rôle joue la loi par rapport à l'éducation, par rapport à la prévention médicale ou aux mesures de traitement. L'alcool, sauf pour une période relativement brève d'interdiction, est légal dans la plupart des sociétés occidentales depuis des milliers d'années. Je crois que la loi n'a pas changé du tout pendant de longues périodes, et les niveaux d'utilisation ont fluctué de façon marquée au fil du temps. De l'avis des chercheurs qui ont étudié cette question, cela correspond probablement à des changements de mentalité disséminés par voie informelle.
Je pense que la seule justification des amendes est l'expression d'une attitude populaire, et d'une certaine façon c'est un genre de mesure intermédiaire. Je reconnais avec MM. Lucas et St-Maurice que dans une société démocratique, l'éducation—la persuasion par une information factuelle bien expliquée, par exemple—est la meilleure façon de faire. Mais nous ne pouvons vraiment pour l'instant dire quel serait ce type d'éducation idéal. Nous voyons l'effet des campagnes antitabac, mais je ne suis pas sûr que nous puissions dire exactement quel élément de ces campagnes de sensibilisation a donné ces résultats. Il y a eu un important changement d'attitude chez le grand public, surtout parce que les enfants disaient à leurs parents qu'ils ne voulaient pas devenir orphelins.
Tant que nous ne saurons pas mieux ce qui fait l'efficacité d'une campagne d'éducation, nous devrions envisager toute mesure intérimaire qui permet un changement graduel. En l'occurrence, c'est probablement le rôle que jouent les amendes.
Par ailleurs—parce qu'on en a aussi parlé—, j'aimerais dire que l'usage médical et l'usage non médical sont deux questions distinctes. Il serait peut-être utile de voir comment la loi traite d'autres drogues en établissant une distinction entre l'usage médical et non médical. On a légalisé l'héroïne pour le soulagement de la douleur dans le traitement du cancer en phase terminale, et personne n'a dit pour autant que tout le monde devrait pouvoir s'en procurer pour n'importe quelle fin. Il faut faire une distinction entre les deux.
La présidente: Je pourrais l'envisager.
M. Harold Kalant: Mais vous êtes une exception.
La présidente: Merci.
Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci, madame la présidente. Je remercie les témoins de venir comparaître.
Il y a un point sur lequel j'aimerais obtenir des éclaircissements, à propos de quelque chose dont on a parlé aujourd'hui. Il s'agit de la possibilité de mesurer l'affaiblissement des facultés par l'analyse de liquides corporels. Dans le cas de la consommation d'alcool, nous acceptons un certain degré de concentration dans le sang.
Puisque vous êtes ici, monsieur Kalant, et que vous semblez bien connaître ce domaine, vous devriez nous dire ce que vous pensez des niveaux de concentration suggérés pour les tests d'analyse de sang, d'urine et de sudation afin d'améliorer le processus d'exécution et de préciser quelles drogues sont effectivement utilisées et à quelle concentration.
M. Harold Kalant: Il n'est malheureusement pas très utile d'analyser les niveaux de THC dans le sang, en raison de la façon dont le THC présent dans le sang se répartit dans les tissus. À mesure que le temps passe la concentration dans le sang diminue rapidement alors qu'elle demeure élevée dans le cerveau, qui est l'élément important.
Pour être réaliste, le liquide le plus important à examiner, c'est la salive, parce que c'est là que subsiste ce qui reste une fois qu'on a fumé. Certains éléments donnent à penser qu'une forte concentration dans la salive indique qu'on a récemment fumé, il y a donc une forte probabilité que le conducteur soumis à un examen soit toujours sous l'influence de la drogue. Malheureusement, on n'a pas mené beaucoup d'études systématiques sur cette question.
Je demanderais instamment à des groupes comme le centre médico-légal de Toronto où les laboratoires de médecine légale de la GRC à Ottawa d'en faire une étude systématique, parce que je pense que la salive pourrait être le moyen le plus utile pour déterminer si quelqu'un a conduit un véhicule avec facultés affaiblies.
» (1725)
M. Paul Harold Macklin: Est-ce seulement pour fins d'identification de la drogue?
M. Harold Kalant: Non, c'est pour en mesurer la concentration.
La présidente: Monsieur St. Maurice.
M. Marc Boris Saint-Maurice: Je crois savoir d'après le rapport de la commission LeDain que l'un des éléments mentionnés au sujet de la conduite automobile était l'expérience de l'usager. On disait que deux personnes ayant le même niveau de THC dans leurs organismes pouvaient voir leurs facultés différemment affaiblies selon qu'il s'agissait d'un premier cas de consommation de marijuana ou que la personne avait peut-être déjà fumé 1 000 fois de la marijuana et avait appris à s'adapter à certaines conditions—ce qui n'est pas le cas avec l'alcool.
M. Harold Kalant: C'est aussi le cas pour l'alcool.
La présidente: Peut-être devrions-nous laisser aux scientifiques le soin de répondre aux questions d'ordre scientifique. Cela vaudrait sans doute mieux.
Monsieur Lucas.
M. Philippe Lucas: Je suis renversé de voir qu'on se précipite pour se doter de ce genre de mesure de la consommation du cannabis chez les conducteurs. Si la conduite avec facultés affaiblies pose un problème au Canada, c'est attribuable surtout aux médicaments.
Des études très poussées sur la conduite avec facultés affaiblies ont été effectuées en Hollande par un chercheur du nom de Robbe. Il a constaté que la déviation latérale standard—soit l'écart qui peut entraîner la perte de maîtrise d'un véhicule—en cas de consommation de cannabis, est moins importante que lorsqu'on a consommé de l'alcool, mais que le cannabis cause bel et bien une certaine déviation latérale standard. Il a toutefois constaté que des antihistaminiques courants, et des médicaments sur ordonnance couramment prescrits comme Ativan et des relaxants provoquent une déviation latérale standard beaucoup plus grave et risquent bien plus de provoquer des accidents que ce n'est le cas pour le cannabis, selon les estimations faites au Canada. Si donc on s'inquiète de la conduite avec facultés affaiblies, commençons par effectuer des tests chez des gens qui prennent des médicaments. Je pense que le cannabis devrait se classer derrière.
La présidente: Monsieur Kalant.
M. Harold Kalant: Je dois dire que je ne suis pas d'accord. Robbe n'est qu'un chercheur parmi d'autres. Il est toutefois l'autorité la plus reconnue dans le domaine.
Il demeure de ce que j'ai dit que la quantité importe, et quoi qu'en dise M. St. Maurice, le degré d'expérience qu'a l'utilisateur eu égard à toute drogue est aussi important.
La tolérance n'est pas un phénomène propre au cannabis. Elle joue pour presque toutes les drogues qui agissent sur le système nerveux central. Quand la loi fixe par exemple une règle de 80 milligrammes pour cent pour l'alcool, ce n'est pas parce qu'on veut dire par là que chez toute personne atteignant ce niveau les facultés seront gravement affaiblies, mais plutôt qu'à ce niveau un nombre assez élevé de gens présenteront un danger pour la société. Je ne vois pas pourquoi en principe un type de loi de ce genre ne pourrait pas être appliqué dans le cas d'autres drogues aussi.
La présidente: Merci, monsieur Macklin.
Monsieur Barrette.
[Français]
M. Gilbert Barrette (Témiscamingue, Lib.): Bonjour. Ce matin, nous avons rencontré plusieurs groupes de policiers. Ils réclament avec beaucoup d'insistance un pouvoir discrétionnaire. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Michel Perron: Nous appuyons plutôt ce que prévoit le projet de loi, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas de pouvoir discrétionnaire pour 15 grammes ou moins. Notre politique, qui a été adoptée en 1998, prévoyait que pour 30 grammes et moins, la police ne devrait pas avoir de pouvoir discrétionnaire et que, dans un tel cas, la personne fautive devrait recevoir une amende et rien d'autre.
» (1730)
[Traduction]
La présidente: Madame Erickson.
Mme Patricia Erickson: J'aimerais ajouter quelque chose. Pour avoir interrogé des gens qui ont eu affaire à la justice pour avoir consommé du cannabis, je peux vous dire que quand ils apprennent que leurs amis ont été traités autrement, et que la police ne procède pas à des arrestations dans tous les cas, ils se sentent traités de façon d'autant irrespectueuse et injuste, et c'est là une conséquence regrettable. Il est surtout question de la police, parce que c'est à elle que les jeunes ont affaire.
Je trouve très important qu'il y ait des directives claires sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'a la police de porter des accusations. Il serait bon de créer une infraction de nature non criminelle pour la possession d'une certaine quantité—il ne faudrait pas trop s'arrêter à cette quantité—c'est certain. Si l'on dépasse d'autant la limite de vitesse, on devrait payer une amende.
Je pense que les jeunes ont le sens de la justice. Cela ne leur plaît peut-être pas, mais ils comprendraient que quand on enfreint la loi on paie une amende. Ils ne souhaitent pas entendre dire que quelqu'un d'autre qui l'a fait n'a pas payé d'amende, ou qu'ils ont été poursuivis en justice selon la procédure pénale traditionnelle, pour finir peut-être par obtenir un verdict de non-culpabilité. Cela pourrait être perçu en fait comme une mesure moins sévère que l'imposition d'une lourde amende. C'est délicat. C'est une question très épineuse.
La présidente: Merci.
Madame Fry.
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci.
Je remercie tous les témoins de leurs exposés—des plus intéressants.
Le comité qui avait initialement recommandé l'adoption de mesures législatives, de prévention et d'éducation souhaitait manifestement faire en sorte que la loi, ou le sort réservé aux usagers du cannabis, soit comparable aux mesures concernant le tabac et l'alcool. On estimait que l'alcool était bien sûr une drogue très pernicieuse parce qu'elle entraînait un comportement violent, des pertes de vie, des maladies cardiaques, une forte tension artérielle, des cas de cirrhose et d'autres problèmes encore. Dans une large mesure, l'alcool peut être une drogue dangereuse, et pourtant elle est légale. Les gens arrêtés en possession d'alcool, à moins que leurs facultés soient affaiblies, par exemple, s'en tirent sans difficulté. L'alcool est réputé être une drogue acceptable. Comme nous l'avons entendu dire aujourd'hui, dans bien des cas le cannabis a en fait des effets secondaires moindres pour ce qui est de la violence ou des torts qui peuvent en découler, pourtant il a mauvaise réputation et on le considère comme un produit illégal.
Nous savions donc que nous ne pouvions pas faire abstraction des conventions et décider de le légaliser. Alors, comme vous l'avez dit, monsieur Perron, c'est une mesure intérimaire. C'est en sorte un pas de plus pour dire que c'est illégal et que cela le demeurera, mais que pouvons-nous faire pour veiller à ce qu'on ne continue pas à considérer comme des criminels ceux qui en fument?
J'aimerais que vous nous suggériez quelques mesures appropriées à inclure dans ce projet de loi. Comment faire comprendre que ce n'est pas une infraction qui relève du droit pénal, et qu'il y a des pénalités? Il y a des pénalités en cas de conduite avec facultés affaiblies et nous devons faire comprendre que ce n'est pas une drogue sans conséquences, elle entraîne certains effets secondaires.
Vous voulez faire cela et l'assimiler autant que possible à l'alcool et au tabac, et je pense donc que certaines amendes s'imposent. Mais ce qui me préoccupe par-dessus tout, c'est de voir comment on va concilier le fait que la consommation de cette drogue ne soit plus considérée comme une infraction pénale, alors que pour s'en procurer il faut l'acheter à un criminel? Il nous faut donc voir comment on peut produire cette drogue qui ne fasse pas de vous automatiquement un trafiquant. Vous ne devriez pas être en mesure d'en produire suffisamment pour en vendre à tout le monde dans la rue, mais vous devriez pouvoir en produire suffisamment pour ne pas aller en acheter à un trafiquant.
Je crois, compte tenu du travail que nous avons fait au comité, qu'en fin de compte c'est vrai ce qu'a dit M. Kalant. On ne peut pas établir de lien entre l'interdiction et l'usage, mais pourtant à l'époque de la prohibition aux États-Unis, le crime organisé a prospéré. Nous voyons ici le grand banditisme fleurir grâce à cette drogue, et en fin de compte nous devrons examiner toute cette question des conséquences réelles de l'interdiction.
Aujourd'hui, nous discutons de la façon de s'y prendre pour bien éduquer les gens. Je pense que nous avons vu, quand nous examinions cette question, que quand la Californie a procédé à ce qu'on appelle familièrement la décriminalisation et qu'on a modifié les pénalités, ce qui a en fin de compte permis de réduire la consommation, ce n'était pas l'allégement des chefs d'accusation, mais les campagnes d'éducation. Les jeunes ont compris ce que signifiait la présence de charbon et de benzopyrines et ce qu'était l'affaiblissement des facultés et qu'avec le temps ils risquaient de subir des dommages cognitifs. C'est ce que nous essayons de dire, tout comme nous l'avons fait dans le cas de l'alcool et du tabac.
Quelle est la chose la plus raisonnable? Je cherche à obtenir des réponses raisonnables aux questions que nous posons.
» (1735)
La présidente: Madame Erickson suivie de M. Perron.
Mme Patricia Erickson: Je crois que vous n'êtes pas le seul. Il s'agit d'une question mondiale, et peu importe tout le travail que vous pourrez consacrer à ce projet de loi, vous n'allez jamais réussir à régler ce dilemme. Ça se réglera avec le temps.
Plusieurs pays contestent la domination de la prohibition mondiale par les Américains. Si vous lisez la documentation que je vous ai laissée, vous verrez que même ceux qui se fondent sur les preuves aux États-Unis disent que ce pays est en train de s'isoler. Je crois que le Canada, de concert avec d'autres pays, réussira à régler le problème en acceptant les implications du marché mondial et en trouvant ses propres solutions internes.
Malheureusement, ce n'est pas pour demain. Je n'ai pas de conseils pratiques à vous offrir à part de ce que j'ai déjà dit—c'est un pas.
M. Michel Perron: Le fait que le comité estime qu'il s'agit d'une activité parmi bien d'autres qui doivent être effectuées pour réduire l'usage du cannabis représente un premier pas très important. Cela ne devrait pas figurer comme élément essentiel de la politique antidrogue du Canada.
Comme d'autres l'ont dit, si nous voulons adopter un point de vue axé sur la santé de la société pour s'attaquer au problème, c'est ce qu'il faudrait faire. Si nous voulons des campagnes de prévention, il faudrait qu'elles soient réalistes et non exagérées, sinon nos enfants vont se moquer de nous.
Quant au contenu du projet de loi, je ne sais pas s'il nous faudrait un libellé pour préciser le type de programmes de prévention ou d'éducation, mais il nous faut comprendre que ce projet de loi ne peut pas faire cavalier seul. Il faudrait le jumeler à la Stratégie nationale antidrogue, dont la plupart des Canadiens ignorent l'existence.
Pour ce qui est de la fiscalité, les amendes représentent un type de conséquence. Certains trouveraient intéressants une surtaxe qui serait consacrée aux programmes de prévention. Le public, en général, n'aime pas les surtaxes, mais si on doit payer une amende, on a tendance à se dire « Je dois payer parce que j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas faire ». Mais si on me demande une majoration fiscale qui ira à la prévention...
Comme M. Ménard l'a dit, ce que le gouvernement a accordé pour la stratégie antidrogue ne représente que la moitié de ce qu'on avait demandé au départ. Voilà peut-être un moyen de se servir de la fiscalité pour financer directement les programmes de prévention, une idée qui pourrait peut-être vous intéresser.
La présidente: Monsieur Lucas.
M. Philippe Lucas: Madame Fry, la première chose à faire serait de s'attaquer aux préjudices les plus graves de la prohibition. Il faut garantir les droits à la vie et à la sécurité de ceux qui font l'usage médical de la marijuana en incorporant au projet de loi C-38 des protections qui ne dépendent pas du bon vouloir du parti au pouvoir ou du ministre de la Santé. Bien entendu, les tribunaux ont ordonné au gouvernement de procéder ainsi il y a déjà un bon moment. Voilà pour la première partie.
Ce qui cause le plus grand tort, c'est le contrôle exercé sur le marché de la contrebande. C'est ce qui engendre la violence, les introductions par effraction pour les opérations de production, etc. Comme deuxième objectif, nous devrions en éliminer la rentabilité. Nous pouvons accomplir cela en accordant le droit à la production personnelle limitée, mais il nous faut aussi permettre la consommation de petites quantités de cannabis.
J'ai le droit de consommer cinq grammes. Si la loi nous permet seulement 10 grammes pour la consommation personnelle, est-ce que cela signifie que je dois faire appel à mon fournisseur à tous les deux jours? Est-ce que ça va régler le problème? Est-ce que c'est ce que nous recherchons vraiment?
En permettant la possession et la production de petites quantités, nous allons éliminer le contrôle par le marché de la contrebande. C'est une mesure positive et le CCLA estime que cela correspondrait à la politique plus raisonnable que nous préconisons.
La présidente: Monsieur St-Maurice.
» (1740)
M. Marc Boris Saint-Maurice: Quant à savoir comment communiquer le message de la décriminalisation, c'est un message un peu contradictoire, par rapport à la cigarette, l'étiquetage est probablement la solution la plus efficace. Si c'est imprimé sur le produit, on sait que les usagers vont le voir. Mais pour ce faire, il faut procéder dans un contexte juridique, parce que nous savons fort bien que les Hell's Angels n'iront pas mettre des étiquettes sur leur marijuana.
La présidente: Je remercie tous les témoins.
Chers collègues, demain nous allons devoir adopter le budget afin de pouvoir défrayer les dépenses de nos témoins. Les témoins nous en seront sans doute très reconnaissants.
Nous vous remercions tous d'être venus pour nous faire part de vos idées et de vos témoignages.