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SMFJ Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 25 octobre 2005




¿ 0910
V         Le président (M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ))
V         L'hon. Irwin Cotler (ministre de la Justice et procureur général du Canada)

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925
V         Le président
V         M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC)

¿ 0930
V         L'hon. Irwin Cotler
V         M. Rob Moore
V         L'hon. Irwin Cotler

¿ 0935
V         M. Rob Moore
V         L'hon. Irwin Cotler
V         M. Rob Moore
V         Le président
V         L'hon. Irwin Cotler

¿ 0940
V         Le président
V         M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ)

¿ 0945
V         L'hon. Irwin Cotler

¿ 0950
V         M. François Giroux (conseiller à la magistrature, Cabinet du ministre de la Justice)
V         Le président
V         M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD)
V         L'hon. Irwin Cotler
V         M. Joe Comartin

¿ 0955
V         L'hon. Irwin Cotler

À 1000
V         M. Joe Comartin
V         L'hon. Irwin Cotler
V         M. Joe Comartin
V         L'hon. Irwin Cotler
V         Le président
V         L'hon. Irwin Cotler
V         Le président
V         L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.)

À 1005
V         L'hon. Irwin Cotler

À 1010
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         L'hon. Irwin Cotler

À 1015
V         Le président
V         L'hon. Irwin Cotler

À 1020
V         Le président
V         M. Rob Moore
V         L'hon. Irwin Cotler

À 1025
V         M. Rob Moore
V         L'hon. Irwin Cotler
V         M. Rob Moore
V         L'hon. Irwin Cotler
V         Le président










CANADA

Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 004 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 25 octobre 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¿  +(0910)  

[Français]

+

    Le président (M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)): Bonjour et bienvenue, monsieur le ministre, à cette quatrième séance du Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. À cause de circonstances indépendantes de votre volonté, vous devrez nous quitter à 10 h 25. En dépit de l'absence de nos collègues David McGuinty et Joe Comartin, nous allons donc commencer. Je suis convaincu qu'ils se joindront à nous pendant la discussion.

    Monsieur le ministre, vous disposez de 10 minutes. Nous passerons ensuite à la période des questions et réponses.

+-

    L'hon. Irwin Cotler (ministre de la Justice et procureur général du Canada): Merci, monsieur le président.

    Chers collègues, je suis très heureux d'être ici et de participer à la cause commune qui nous rassemble. Je parle à la fois de l'importance de la nomination des juges — parce que l'administrateur est la pierre angulaire de notre démocratie — et de l'importance du processus de nomination des juges.

[Traduction]

    Si l'on m'avait demandé quelles étaient mes priorités quand j'ai été nommé ministre de la Justice, je n'aurais pas inclus parmi elles les nominations de juges, mais j'ai appris qu'il s'agit là d'un élément critique de l'administration de la justice. En effet, les juges que nous nommons seront encore en poste longtemps après que nous qui assurons temporairement l'intendance à titre de ministre auront passé à autre chose.

    Je dois dire que je considère le processus actuel de nomination comme un bon système en principe. Cela ne veut pas dire, toutefois, comme je l'ai d'ailleurs dit à d'autres occasions, que l'on ne peut pas apporter des améliorations à la manière dont le système actuel fonctionne en pratique. En fait, dès l'automne 2004, longtemps avant les événements qui ont donné naissance à ce sous-comité, j'ai dit publiquement que nous devrions peut-être réexaminer le processus actuel et je suis heureux de participer à cet examen.

    Avant de passer à la description du processus de nomination, y compris certaines critiques qui ont été formulées, je voudrais réitérer les valeurs communes que nous partageons dans ce dossier.

[Français]

    Tout d'abord, nous sommes d'accord sur l'importance du mérite quand vient le temps de procéder à la nomination des juges. Monsieur le président, vous-même avez déclaré en Chambre le 3 juin dernier qu'il faut « s'assurer que le mérite est le seul facteur pris en considération lorsque des gens sont nommés à la magistrature. » Pendant ce même débat, M. MacKay a indiqué:

[Traduction]

    « Nous avons besoin des meilleurs esprits, des meilleurs éléments et des personnes les plus qualifiées pour occuper les fonctions de juge à tous les niveaux de la magistrature. »

[Français]

    Je suis tout à fait d'accord. J'aimerais simplement ajouter que le mérite doit être évalué à la lumière des besoins particuliers du tribunal du moment et qu'il faut s'assurer que nos tribunaux reflètent la diversité de notre pays.

[Traduction]

    Deuxièmement, nous sommes d'accord pour dire que notre système de nomination a été couronné de succès en ce sens qu'il a permis d'assurer l'excellence de la magistrature. Mon collègue M. Comartin a déclaré à la Chambre le 3 juin dernier, et je cite: « Nos juges sont excellents. » En fait, il a laissé entendre qu'ils sont peut-être les meilleurs au monde. Je suis assurément d'accord avec ce point de vue.

    En conséquence, toute réforme du processus de nomination doit veiller à préserver ce système hérité du passé et cette exigence d'excellence. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent qu'il est acceptable de mettre en péril la qualité de notre magistrature sous prétexte d'améliorer le processus sur papier ou dans la réalité. Nous ne devons pas perdre de vue notre objectif commun d'avoir une magistrature de fort calibre où l'excellence est la norme.

    Troisièmement, et là encore, je considère qu'il s'agit d'un engagement que nous partageons, nous devons protéger l'indépendance de la magistrature et l'intégrité de l'institution.

[Français]

    Cela comporte aussi la réputation des juges.

[Traduction]

    Quatrièmement, nous sommes d'accord, tout au moins j'espère que nous sommes d'accord pour dire que tout changement envisagé doit être compatible avec notre cadre constitutionnel. L'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 est la disposition habilitante pour ce qui est des nominations de juges à nos cours supérieures. Cette disposition donne à l'exécutif ou au cabinet fédéral la responsabilité de nommer les juges par décret. En conséquence, dans toute réforme envisagée du système fédéral de nomination des juges, nous devons veiller à ce que les changements proposés soient compatibles avec l'article 96. Il ne sert à rien d'essayer de résoudre la quadrature du cercle.

[Français]

    Je crois que nous devons en tenir compte lorsque nous évaluons la valeur relative des processus de nomination dans d'autres administrations. Il peut être très utile de faire une analyse comparative des autres systèmes, y compris ceux des provinces et des territoires canadiens. Cependant, je tiens à vous faire remarquer que leur contexte constitutionnel peut différer.

    Cinquièmement,

¿  +-(0915)  

[Traduction]

    Nous sommes d'accord pour dire qu'un autre objectif partagé est de renforcer la transparence et la reddition de comptes.

[Français]

    Je vais en parler plus loin dans mes remarques.

    Sixièmement, je crois que nous convenons tous du fait que toute refonte du système de nomination doit être fonctionnelle et pratique. Le système doit permettre le traitement efficace d'environ 500 candidatures chaque année, ce qui exige environ 60 réunions annuellement. Il doit reconnaître la géographie diversifiée et le grand espace qui caractérise notre pays et particulièrement tenir compte de l'expertise des besoins locaux.

[Traduction]

    J'ai entendu et lu de nombreuses propositions, par exemple, que l'on interviewe tous les candidats ou que l'on nomme des députés aux comités de mise en nomination ou encore que l'on prévoie la publication de listes courtes. Je suis ouvert à toutes les suggestions, mais je vous fais une mise en garde: je vous demande de réfléchir à la manière dont certaines de ces propositions pourraient fonctionner sur le plan pratique, étant donné le grand nombre de candidatures, le grand nombre de compétences avec lesquelles nous devons traiter et le grand nombre de nominations qui doivent être faites, sans compter l'échéancier serré dans lequel ces nominations doivent être faites. Nous ne pouvons pas nous retrouver avec un processus qui pourrait sembler attrayant sur papier mais qui ne serait pas capable de traiter les candidatures ou de combler les postes vacants au fur et à mesure.

[Français]

    Septièmement et dernièrement, je crois que nous reconnaissons tous que l'affiliation politique d'une personne ne devrait pas être une condition préalable dans le choix d'un candidat. Elle ne devrait pas non plus mener à l'exclusion de candidats.

    Monsieur le président, vous-même avez reconnu le 3 juin dernier que:

ce n'est pas parce qu'on a fait de la politique dans le passé que l'on ne doit pas être nommé juge. Au contraire, ce serait envoyer un très mauvais message, à savoir de dire aux gens qu'ils doivent faire leur devoir de citoyens en s'engageant en politique, mais que s'ils le font, ils ne pourront pas être nommés juges.

    Vous avez ajouté que « ...l'engagement politique donne une expérience qui peut être fort utile une fois que l'on a accédé à la magistrature. » Je tiens à souligner que je suis d'accord avec vous sur ces deux points.

    C'est ce que j'ai tenté de mettre en pratique lorsque j'ai choisi qui serait aux commandes lors d'une nomination. Je veux également souligner que je ne tiens pas compte de l'affiliation politique d'un candidat lorsque je prends ma décision.

[Traduction]

    Je voudrais maintenant décrire brièvement le processus de nomination. Je veux mettre en lumière sept caractéristiques. Le processus est conçu pour garantir que le ministre de la Justice reçoive des conseils objectifs provenant de multiples sources quant aux compétences de ceux qui voudraient être nommés juge.

    Premièrement, comme vous le savez, le processus est organisé autour de comités consultatifs de la magistrature qui sont indépendants et qui évaluent les compétences des candidats éventuels. Ces comités sont donc indépendants par rapport au ministre. Il y en a 16: trois en Ontario, deux au Québec et un dans chaque autre province et chaque territoire.

    Deuxièmement, le commissaire à la magistrature fédérale est chargé d'administrer le comité de nomination. Il reçoit les candidatures et veille à ce qu'on fasse des évaluations de manière efficiente et complète, et il assume donc une responsabilité de superviseur et travaille lui aussi de manière indépendante par rapport au ministre.

    Troisièmement, les comités comprennent des personnes nommées par la magistrature, l'Association du Barreau canadien, les associations professionnelles des avocats des provinces et les procureurs généraux provinciaux. Ce sont toutes là des entités indépendantes et respectées. De plus, je choisis moi-même trois membres, dont deux doivent être des profanes, et ces comités comprennent donc deux membres qui n'ont pas prêté serment. Cette composition des comités vise à s'assurer qu'il y ait un équilibre sur le plan de la langue, du sexe, de la représentation régionale ou d'autres considérations relatives à la diversité. Certains d'entre vous m'ont demandé pourquoi j'ai la prérogative de nommer trois membres de ce comité. Je suis ouvert à vos commentaires et je suis prêt à discuter de cette question également.

    Quatrièmement, les comités consultatifs de la magistrature fédérale approuvent les demandes présentées par des candidats en conformité de critères établis fondés sur le mérite qui sont du domaine public, qui sont affichés sur le site Web du commissaire et en fonction desquels les candidatures sont présentées. Les critères fondés sur le mérite sont la connaissance générale du droit, les aptitudes intellectuelles, les habilités analytiques, l'aptitude à écouter, l'ouverture d'esprit, la capacité de prendre des décisions et de faire preuve d'un bon jugement, la réputation parmi les pairs professionnels et le grand public, la capacité de composer avec une lourde charge de travail, la capacité de composer avec le stress et les pressions exercées par l'isolement du magistrat, la sensibilité aux questions raciales et à la problématique homme-femme, le bilinguisme, ainsi que des caractéristiques personnelles comme la probité, la patience, la courtoisie, l'honnêteté, le bon sens, le tact, l'intégrité, l'humilité, le sens de la justice, la fiabilité, la tolérance et le sentiment de responsabilité et de considération envers autrui.

    Remarquez bien qu'il n'est nullement fait mention de l'appartenance politique ou des convictions politiques. On reconnaît que ces choses ne sont tout simplement pas pertinentes, et je m'empresse d'ajouter qu'elles ne le deviendront jamais. Cinquièmement, le comité évalue les candidats et les classe dans l'une de trois catégories: recommandé, fortement recommandé, ou impossible à recommander. Les dossiers de tous les candidats sont conservés dans une base de données distincte et confidentielle au bureau du commissaire.

¿  +-(0920)  

[Français]

    Sixièmement, le ministre ne peut faire son choix que parmi des candidats recommandés ou fortement recommandés. Il n'est jamais arrivé que l'on choisisse un candidat qui n'avait pas été recommandé par l'un des comités. Cela donne une idée de l'importance du travail des comités.

    Septièmement, je procède par la suite à des consultations, de façon à disposer du plus vaste éventail de renseignements possible. L'objectif ici est de déterminer, pour la dotation d'un poste particulier, qui est le meilleur candidat. Je peux ainsi consulter des juges, des membres du Barreau ainsi que mes collègues des provinces et des territoires. J'accueille également avec plaisir les conseils de tout groupe ou personne, concernant des facteurs qui devraient être pris en considération lorsqu'un poste doit être comblé.

    À la suite de ces consultations, je fais une recommandation au Cabinet. Le Gouverneur général procède alors à la nomination, sur recommandation du Cabinet.

[Traduction]

    L'appartenance politique du candidat, le cas échéant, n'est pas un critère pertinent. Ce n'est pas un facteur pris en compte dans le choix d'un candidat, pas plus que ce n'est un facteur dans l'exclusion d'un candidat.

    Je voudrais maintenant aborder brièvement certaines critiques qui ont été formulées à l'endroit du système actuel de nomination, en tenant compte de certains témoignages entendus par le comité et de considérations que je trouve pertinentes à cet égard.

    La première critique est que le gouvernement a un trop grand pouvoir discrétionnaire. Monsieur le président, je crois que c'était l'une de vos principales préoccupations dans votre discours prononcé à la Chambre le 3 juin, bien que vous ayez reconnu que vous ne vouliez pas éliminer complètement la discrétion ministérielle. Je veux seulement rappeler au comité que le pouvoir discrétionnaire, que j'appellerais plutôt la responsabilité gouvernementale, est ancré dans l'article 96 de la Constitution. Quand vous réfléchirez à vos recommandations, vous devrez en tenir compte et vous demander si elles sont compatibles avec l'article 96.

    La deuxième critique a un certain rapport avec l'exercice du pouvoir discrétionnaire; il s'agit du pouvoir du ministre de nommer des juges à même la liste des personnes recommandées et des personnes fortement recommandées. Il importe de noter que je n'ai pas une discrétion absolue en l'occurrence; en fait, je suis limité par le fait que je dois nommer des personnes dont le nom figure soit sur la liste des candidats recommandés, soit sur la liste des candidats fortement recommandés. De plus, à mon avis, il existe une présomption en faveur de la nomination d'un candidat dont le nom figure sur la liste des personnes fortement recommandées; cependant, il arrive à l'occasion que, pour des considérations de diversité ou relatives aux exigences du tribunal en question, je peux être amené à choisir plutôt quelqu'un qui est sur la liste des personnes recommandées. Il est important d'insister sur le fait que les candidats qui sont sur la liste des personnes recommandées sont néanmoins d'une qualité irréprochable.

    La troisième critique est que les nominations sont influencées par des considérations politiques. À ce sujet, je peux seulement me fonder sur mon expérience personnelle. Je peux dire clairement que je n'ai jamais pris cela en compte en faisant mes recommandations au cabinet. Très franchement, je me fiche éperdument de l'appartenance politique d'un candidat, à supposer qu'elle existe, et la plupart du temps, je ne suis même pas au courant. Ce n'est tout simplement pas pertinent. De plus, les allégations selon lesquelles des candidats qui ont donné de l'argent à des partis politiques de leur choix ont été nommés juges ne sont pas autre chose que de simples allégations. Même si c'était vrai, cela prouverait seulement qu'il y a corrélation, et non pas facteur de causalité. Comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le président, il est clair qu'il ne faut pas nommer des gens à cause de telles contributions, mais ces personnes ne doivent pas non plus faire l'objet de discrimination, ce qui risquerait de décourager la participation au processus politique.

    Je crois donc que le processus de nomination actuel est bon en principe, mais cela ne veut pas dire que l'on ne puisse y apporter des améliorations en pratique, et j'ai fait savoir que je suis ouvert à une telle possibilité d'amélioration.

[Français]

    C'est pourquoi, dans le cas de la magistrature, j'ai demandé l'avis des présidents des divers comités consultatifs provinciaux et territoriaux. Ce sont des comités qui savent réellement comment le processus fonctionne dans la pratique. J'ai rencontré collectivement l'ensemble des présidents en juin. Ils m'ont fait part de commentaires et de suggestions très utiles à l'égard de mesures concrètes pouvant accroître la transparence du processus et la confiance en celui-ci.

[Traduction]

    À la suite de ces discussions, j'ai décidé de prendre des mesures initiales pour améliorer le processus sur le plan de la transparence, de la reddition de comptes et d'autres facteurs dont je vais maintenant vous faire part.

    Premièrement, je publie aujourd'hui un code d'éthique qui établira une orientation professionnelle claire à l'intention des membres des comités pour les nominations à la magistrature dans l'exercice de leurs fonctions. Le code traite de diverses questions dont les conflits d'intérêts, les communications avec des personnes étrangères au comité, et le secret.

    Deuxièmement, je publie aujourd'hui les lignes directrices qui régissent la participation au processus des membres des comités consultatifs. Nous aurons ainsi une compréhension plus profonde et plus détaillée de la manière dont on réunit l'information pour appliquer le critère du mérite et comment cette information est évaluée par les membres du comité. Cela démontrera aussi les mesures poussées qui sont prises pour assurer la confidentialité qui est essentielle au processus.

    Troisièmement, je publie aujourd'hui la lettre de mandat qui est remise aux membres des comités consultatifs quand ils acceptent de participer au processus.

¿  +-(0925)  

[Français]

    Quatrièmement, j'ai demandé récemment au commissaire à la magistrature fédérale de publier annuellement deux ensembles importants de renseignements. Le premier est une liste à jour des membres du comité chargé des nominations à la magistrature fédérale. Le deuxième concerne les candidatures aux postes de juge, notamment le nombre total de celles-ci ainsi que le nombre de candidats recommandés et fortement recommandés.

[Traduction]

    Tous les documents susmentionnés seront affichés sur le site Web du commissaire. Je suis convaincu que les mesures que j'annonce aujourd'hui vont améliorer la compréhension du public quant aux points forts du processus des comités de nominations à la magistrature et permettront de réfuter les insinuations et critiques non fondées visant les juges, qui ont été de plus en plus nombreuses ces derniers mois.

    Avant de terminer, je crois que c'est notre rôle à titre de parlementaires de tenir un débat respectueux et constructif sur les difficultés que nous devons surmonter, et non pas de nous livrer à une condamnation cavalière et imprudente de la magistrature qui n'aiderait nullement à renforcer la confiance du public envers cette institution essentielle.

    Je dois admettre que je suis devenu inquiet depuis un an — et je dis cela à titre de ministre de la Justice et de procureur général — au sujet des critiques non fondées et politisées à l'égard de la magistrature, émanant à la fois du Parlement et d'ailleurs, qui peuvent avoir pour conséquence d'ébranler le respect quant à l'indépendance de la magistrature et la réputation de ses membres. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que la magistrature est une institution publique extrêmement importante qui est un élément fondamental de notre démocratie.

[Français]

autrement dit, la pierre angulaire de notre démocratie.

[Traduction]

    C'est aussi une institution dont le bon fonctionnement dépend dans une grande mesure de la confiance du public.

[Français]

    Les Canadiens et Canadiennes ont tout lieu d'être fiers de leur système judiciaire. C'est un modèle d'équité, d'impartialité et d'indépendance qui est étudié un peu partout dans le monde. Ce fait est avant tout attribuable à la très grande compétence des juges canadiens. Ces derniers sont diligents et dévoués. Au Canada comme à l'étranger, on fait preuve de beaucoup de respect et d'admiration à leur endroit. Ils le méritent pleinement.

[Traduction]

    Je tiens à vous remercier, monsieur le président et chers collègues, de m'avoir permis de prendre la parole devant vous aujourd'hui.

[Français]

    Je vous invite à me poser des questions et à émettre des commentaires.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Il y a en effet des choses très intéressantes qui se disent à la Chambre des communes. Je suis content de vous les entendre dire.

    Monsieur Moore, vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

+-

    M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC): Merci, monsieur le président.

    C'est intéressant, monsieur le ministre, de vous entendre dire que vous publiez de nouvelles lignes directrices pour ces comités, et j'ai hâte d'en prendre connaissance. Mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir le sentiment, et je pense que la plupart des Canadiens partagent ce sentiment, que tout cela n'est que de la poudre aux yeux. Un code de conduite ou des lignes directrices à l'intention d'un comité, alors que nous ne changeons pas le processus en profondeur, n'auront pas l'effet souhaité. Ça me rappelle un peu les révélations du scandale des commandites et tout le reste; on avait alors sorti un code de conduite pour les députés qui ne sont pas ministre et qui n'ont aucun contrôle sur les deniers publics, ce qui n'aurait rien changé aux difficultés que nous avons éprouvées dans le cas du scandale des commandites.

    Je voudrais donc savoir en quoi, à votre avis, un code de conduite pour ce comité changera quoi que ce soit à la sélection des juges.

    Maintenant, le premier ministre dit que depuis dix ans qu'il est au gouvernement, la politique n'a jamais été prise en compte dans le choix des juges. C'est ce que le premier ministre a dit sur cette question. Je voudrais savoir, monsieur le ministre, comment vous conciliez cela avec le rapport que nous avons vu récemment et qui établit que depuis les élections de 2000 il y a cinq ans, 60 p. 100 des juges nommés avaient fait des dons au Parti libéral du Canada?

    Comment pouvez-vous concilier cela avec la déclaration du premier ministre et même avec votre propre déclaration d'aujourd'hui, selon laquelle même si c'était vrai que la politique pouvait entrer en cause, vous n'en avez pas vu d'indication probante? Nous avons entendu hier un témoin, M. Peter McCormick, qui a étudié cette question à fond, et je cite un passage de son témoignage d'hier. Il a dit : « À tout le moins — et c'était là un euphémisme flagrant — « un bon avocat libéral sera quand même nommé avant un bon avocat qui n'a pas les mêmes relations, et probablement même avant un avocat légèrement meilleur... »

    Eh bien, c'est un problème. C'est un problème dans une société libre et démocratique, et je sais que vous parlez souvent... Et je ne crois pas qu'il y ait la moindre contradiction par rapport aux compétences de ceux qui siègent à la magistrature, mais il n'en demeure pas moins que dans une société libre, ouverte, démocratique et juste, l'appartenance politique de quelqu'un ne devrait avoir aucune influence sur sa nomination à la magistrature. Pourtant, je dirais qu'il y a une preuve accablante que c'est bel et bien le cas.

    Le problème, et c'est la raison pour laquelle je suis heureux de la création de notre sous-comité, c'est que votre proposition au comité de la justice consistant à prendre huit candidats pour confier ensuite à un comité la tâche de dresser une liste restreinte de trois, vous laissant ensuite le soin de nommer l'un des trois candidats au poste de juge, vous laisse essentiellement le pouvoir de nommer, à votre discrétion et sans aucune contrainte, qui vous voulez comme juge. Vous prenez dix candidats de votre choix et, au bout du compte, vous vous retrouvez avec trois candidats de votre choix. C'est encore un processus qui permet à la politique d'entrer en ligne de compte.

    Je ne vous accuse nullement de vous livrer à cette pratique, mais je dirais que la preuve accablante qui ressort d'études comme celles de personnalités comme M. McCormick et des travaux de recherche qui ont été faits par les médias... Ce ne sont pas des travaux partisans, mais bien des études qui ont été faites de manière impartiale — sans compter les travaux partisans qui ont été faits au Parlement. Mais ces études impartiales ont constaté de manière irréfutable que l'appartenance politique entre en ligne de compte et ce que vous avez proposé jusqu'à maintenant ne va pas remédier à cela.

    Je voudrais donc savoir si vous êtes même préoccupé par tout cela? Est-ce que ces révélations vous préoccupent? Les propos que je viens de citer vous inquiètent-ils le moindrement? Est-ce que vous réfutez que l'appartenance politique a manifestement été un facteur dans le choix de ces juges?

¿  +-(0930)  

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Je vais répondre aux questions l'une après l'autre, la première étant que ces lignes directrices et ce code d'éthique ne seraient que de la poudre aux yeux.

    Je suppose qu'en partant, on dit que c'est rêver que de penser qu'il est possible de mener de telles audiences sans influence politique. Ce que je dis, c'est que je suis prêt à écouter toutes les critiques, mais la politisation n'est pas à sens unique. Cela peut aussi s'exprimer dans la manière de formuler la critique, tout autant que dans la question importante et que je prends très au sérieux de savoir s'il arrive parfois que des nominations soient faites en raison de l'appartenance ou des contributions politiques. Je peux dire catégoriquement, et je le dis à la fois personnellement et professionnellement, que je n'ai jamais fait la moindre nomination en me fondant sur l'appartenance politique ou des contributions politiques. J'irai même plus loin: je ne supporterai pas la moindre ingérence. Ceux qui me connaissent savent qu'il ne sert à rien d'essayer même de faire des démarches auprès de moi en se fondant sur des motifs politiques quelconques. La démarche serait rejetée du revers de la main. Je veux donc...

+-

    M. Rob Moore: Eh bien, monsieur le ministre, que répondez-vous quand on vous donne la preuve que 60 p. 100 des personnes nommées avaient fait des dons au Parti libéral? Il n'y a qu'une fraction de la société canadienne qui fait des dons à un parti quelconque, mais ceux-là ont dans une grande proportion fait des dons pas seulement à un parti quelconque, pas seulement à divers partis en général, mais bien au Parti libéral du Canada. Je vous crois sur parole, mais comment pouvez-vous concilier ce que le premier ministre a dit dans le passé avec cette preuve?

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Je me fiche éperdument de savoir si des gens ont fait des dons à un parti politique quelconque. Je ne sais même pas s'ils ont fait des dons.

¿  +-(0935)  

+-

    M. Rob Moore: Quelqu'un le sait et quelqu'un s'en soucie.

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Je fais la recommandation. Je le sais. Je m'en soucie.

    Cela n'entre pas en jeu dans la moindre de mes décisions. Je suis offusqué qu'on insinue même que c'est le cas, et je dis ici catégoriquement, pour que ce soit du domaine public, que cela n'a jamais été un facteur dans la moindre recommandation que j'ai faite et que ce ne sera jamais un facteur dans aucune recommandation que je ferai.

    En même temps, il y a une autre question, celle de la liberté d'association politique. Là-dessus, je souscris aux observations du président. Si quelqu'un veut s'associer à un parti politique ou même veut verser de l'argent à un parti politique, c'était absolument permis la dernière fois que j'ai vérifié dans la Charte des droits et libertés.

    Le problème n'est pas de savoir si des gens versent de l'argent à un parti politique. Les gens sont libres de faire cela. Le problème se pose si quelqu'un prenait cela en considération dans le cadre du processus de nomination; ce serait alors pernicieux. Il faut séparer les deux. Il ne faut pas empêcher les gens de s'associer à un parti politique; il ne faut pas être préjugé envers quiconque parce qu'il ou elle a participé au processus politique.

+-

    M. Rob Moore: Je n'en disconviens pas. Je n'ai jamais entendu personne dire que l'on ne devrait pas pouvoir donner de l'argent à un parti politique. Je suis d'accord. Il n'y a aucune équivoque là-dessus, mais les Canadiens doivent-ils croire que c'est une énorme coïncidence si les seules personnes nommées se trouvent à avoir fait des dons aux Parti libéral du Canada? Ce n'était pas au Bloc québécois, ce n'était pas au NPD et ce n'était pas aux conservateurs. Nous avons des donateurs et les autres partis ont leurs donateurs, mais les seules personnes nommées avaient fait des dons à votre parti.

    Benoît Corbeil, l'ancien directeur général du Parti libéral au Québec, a dit que sur 20 avocats qui ont travaillé bénévolement à la campagne de 2000, la moitié ont été nommés juges. Vous n'avez pas encore fait de commentaires là-dessus. Je sais que vous avez dit que vous ne tenez pas compte de cette considération, mais il y a une preuve écrasante dans les faits que je viens de citer que les dons au Parti libéral comptent pour quelque chose aux yeux de quelqu'un, quelque part dans le système. Que ce soit vous-même ou quelqu'un d'autre, quelque part, ça compte. C'est incontournable. Les juges qui ont été nommés ont fait des dons au Parti libéral du Canada.

    Je vous invite à commenter la preuve. Est-ce que vous réfutez la preuve?

+-

    Le président: Ce sera la dernière question.

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Vous avez évoqué des allégations et vous les avez fait passer pour des preuves. Il peut y avoir corrélation entre quelqu'un qui fait un don et la nomination ultérieure ou ultime de cette personne comme juge, mais une corrélation n'indique pas nécessairement qu'il y a un facteur de causalité. Le fait qu'une personne soit membre d'un parti politique ou ait fait des dons à un parti politique ne veut pas dire que c'est pour cette raison que la personne a été nommée juge.

    La nature même du processus de nomination, le rôle des comités consultatifs indépendants... le fait que ce soit ces comités qui choisissent les candidats recommandés et fortement recommandés, le fait que je puisse seulement choisir à même la liste qu'on me remet, le fait qu'avant de faire ce choix, je me livre à mes propres consultations étendues, que le mérite est le seul critère dont on tient compte, et que je ne supporterais pas la moindre ingérence politique, tout cela fait également partie de la preuve. Le témoignage que je livre aujourd'hui fait également partie de la preuve et je dirais que c'est une preuve de première main, fondée sur l'expérience de quelqu'un qui a participé au processus, par opposition à des allégations lancées par Benoît Corbeil, dont il a dit lui-même qu'elles ne s'appuyaient sur aucune preuve.

    Voilà ce que je trouve tout à fait troublant, cette pratique qui consiste à lancer des insinuations. Nous avons la responsabilité de ne pas remettre en question l'intégrité des membres de la magistrature et de réfuter les affirmations ou insinuations selon lesquelles des gens ont été nommés pour leurs contributions financières. Franchement, personne ne serait nommé pour avoir fait les contributions financières dont on prétend qu'elles ont été faites. Quiconque comprend le processus et comprend l'intégrité des gens qui font partie de ces comités consultatifs sur les nominations à la magistrature, des gens que j'ai rencontrés et avec lesquels j'ai participé à ce processus, ne peut pas laisser entendre aussi cavalièrement qu'il y a un lien de cause à effet entre le versement d'un don et la nomination à la magistrature. C'est tout simplement faux et ce genre d'insinuation nuit franchement à la perception d'indépendance de la magistrature et à l'intégrité de ses membres.

    À titre de procureur général, j'ai la responsabilité de réfuter les allégations de ce genre, même faites de bonne foi. Je ne dis pas que vous ne le faites pas de bonne foi. Je dis seulement que nous devons faire très attention avant de lancer cavalièrement de telles allégations, parce que cela met également en cause la protection de l'intégrité de l'institution.

¿  +-(0940)  

[Français]

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Lemay.

+-

    M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ): Je ne ferai pas de longs débats. Monsieur le ministre, j'ai été avocat 30 ans dans ma province, au Québec. J'ai plaidé devant à peu près toutes les juridictions et j'ai assisté à des nominations de juges. On ne se contera pas d'histoire: à la Cour supérieure du Québec, les libéraux nomment des libéraux, les conservateurs ont nommé un conservateur, et les péquistes ont nommé des péquistes. Je ne crois pas que la contribution financière à un parti politique ait souvent gain de cause, mais une affiliation à un parti politique, probablement.

    À ce sous-comité, je suis beaucoup plus préoccupé par une réforme en profondeur du système de nomination des juges de juridiction fédérale basée sur deux choses, et c'est à ce sujet, monsieur le ministre, que j'aimerais vous entendre. Depuis que nous siégeons, deux éléments sont mis dans la balance: la transparence et le respect de la confidentialité. Ce sont les deux points auxquels nous devons vraiment nous attaquer. Je le sens partout, et tous les intervenants nous en ont parlé.

    En ce qui a trait à la transparence, monsieur le ministre, il est clair — mon expérience me le dit — que le processus actuel ne peut plus continuer. Un comité décide un an à l'avance, à partir d'une banque, que M. Untel ferait l'affaire à un poste de juge à la Cour supérieure, à la Cour d'appel ou à la Cour fédérale, et il le recommande fortement. Mais les choses peuvent changer en un an. Je pourrais vous en donner des exemples, mais le temps me limite.

    Pendant quatre ans, j'ai participé, en tant que représentant du barreau de ma section, à des nominations, des désignations ou des recommandations au poste de juge. Je vais utiliser un exemple précis. Dans mon comté en ce moment, un poste de juge est vacant à la Cour supérieure puisque M. le juge Untel nous a annoncé il y a six mois qu'il prendrait sa retraite au mois de mars. Pourquoi ne pas créer un comité lorsqu'un poste de juge est vacant? Ce comité entendrait les candidats et candidates et ferait des recommandations. On pourrait discuter de qui le composerait. Évidemment, les audiences de ce comité seraient confidentielles. Cela me paraît essentiel et je n'y dérogerai pas. Toute mon expérience me dit qu'on a intérêt à ce qu'un comité rencontre les candidats et candidates, et que ce soit confidentiel à cause de questions importantes.

    Quant à la transparence, vous pouvez publier aujourd'hui des lignes directrices. Toutefois, on ne sait pas qui fait partie du comité. C'est un peu secret, « confidentiel », si vous me permettez l'expression. On met son nom sur une liste, et on étudie.

    Lorsque j'étais bâtonnier, un membre de ce comité m'a téléphoné pour me demander ce que je pensais de quelqu'un. J'ai demandé pour quel poste on pensait à cette personne. On m'a répondu que c'était comme juge à la Cour supérieure. Je lui ai alors fait remarquer que la Cour supérieure s'occupait de divorces et qu'il fallait donc juger son expérience en divorce. C'est ainsi, monsieur le ministre.

    J'ai beaucoup de mal à accepter qu'un comité qui est à Montréal — puisque mon exemple se passe au Québec — ne vienne pas siéger en région pour nous dire que oui, il pourrait recommander telle ou telle personne et la mettre sur la liste, mais au moment de la vacance, et non pas six, sept, huit, douze ou quinze mois à l'avance, comme cela se fait actuellement.

    Je sais qu'il y a beaucoup de nominations, mais est-ce envisageable, selon vous?

¿  +-(0945)  

    Ensuite, vous dites que vous faites des recommandations au Cabinet. Est-il arrivé qu'une de vos recommandations soit refusée et qu'on vous demande de l'étudier à nouveau?

    Enfin, y a-t-il quelqu'un dans votre entourage ou dans votre cabinet qui étudie les nominations pour s'assurer qu'elles soient conformes lorsqu'elles arrivent du comité? Je parle de la situation actuelle, que je déplore, évidemment.

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Monsieur Lemay, il s'agit là de considérations très importantes, à savoir la transparence et la confidentialité ainsi que le moyen, si moyen il y a, de les réunir.

    Je vais avoir recours à l'exemple que vous avez donné, c'est-à-dire le fait que nous ne sachions pas qui siège à un comité. À ce jour, c'est en effet le cas. Cependant, une de mes recommandations aujourd'hui — et il s'agit là d'une demande que j'ai faite au commissaire à la magistrature fédérale — est qu'on publie le nom des personnes qui siègent à ces comités. Je suis ouvert à vos commentaires à cet égard, mais je dois vous dire franchement qu'il y a peut-être un problème ici .

    Lorsqu'on ne connaît pas les noms des membres d'un comité, il est difficile de faire des pressions sur le même comité. À partir du moment où on les connaît, cela peut s'avérer possible. Jusqu'à maintenant, on ne publiait pas leurs noms, afin de protéger les membres du comité au cours du processus et de mieux préserver l'indépendance de celui-ci, voire son intégrité. Toutefois, assurer la transparence est peut être plus important que de protéger la confidentialité des noms. C'est la raison pour laquelle j'ai fait cette suggestion. Cela ne va pas nécessairement changer le processus pour le mieux, mais on verra.

    Par ailleurs, vous avez parlé du recours aux comités lorsqu'il y a des postes à combler. Vous avez demandé pourquoi on ne procédait pas par voie de concours dans de tels cas. Ici, il s'agit essentiellement d'une question d'efficacité. Comme vous avez pu vous-même le constater, il y a environ 1 100 juges en fonction et près de 50 nominations à faire chaque année. Les tribunaux institués par le fédéral font l'objet d'un important mouvement d'effectifs. Comme je l'ai dit déjà, le système permet que les nominations se fassent rapidement quand des postes deviennent vacants.

    Si nous devions tenir un concours chaque fois qu'un poste est vacant — et dans certains cas, on ne peut pas prévoir que cela va se produire —, nous aurions de graves problèmes pour ce qui est de l'efficacité du système. Je dois vous dire que j'ai moi-même fait part de cette question aux présidents des comités lors d'une réunion au mois de juin. Ils m'ont dit que cela posait un problème à l'égard de l'efficacité du processus de nomination.

    Comme je l'ai dit, je suis ouvert à toutes les suggestions et mes réponses se fondent uniquement sur l'expérience de ceux et celles qui travaillent dans le cadre de ce processus. De plus, mon expérience me permet de vous dire qu'on ne sait pas toujours à quel moment il y aura un poste à combler. Par contre, quand le poste est vacant, un comité qui a de l'expérience et les connaissances pertinentes est prêt à appliquer le processus de consultation et d'évaluation dans les délais les plus courts possibles.

¿  +-(0950)  

    Je vais demander à mon conseiller à la magistrature de répondre à cela, puisque M. Lemay a également posé une question à propos de ses fonctions.

+-

    M. François Giroux (conseiller à la magistrature, Cabinet du ministre de la Justice): À titre de conseiller à la magistrature, je m'occupe surtout de la consultation avant une nomination à la magistrature. Lorsqu'un individu est évalué et que sa nomination ne doit être effective qu'un an plus tard, la situation peut avoir changé. À ce sujet, je vous signale qu'avant la nomination d'un juge, des consultations exhaustives sont faites par l'une de ces entités: le juge en chef de la province, le juge en chef de la Cour d'appel, le juge en chef de la Cour supérieure, le procureur général de la province, le Barreau du Québec ou encore la section locale du Barreau canadien.

    Ensuite, on fait un appel auprès des candidats potentiels. Il y a donc une liste de candidats admissibles à la magistrature. Ensuite, on revoit leur fiche. On vérifie alors si leur situation a changé, s'ils ont fait faillite, s'ils font face à des accusations de nature pénale ou s'ils sont en arrérage de paiements de pension alimentaire, etc.

+-

    Le président: Monsieur Lemay, comme M. Moore avant vous, vous avez écoulé vos 12 minutes.

    Monsieur Comartin, avec la générosité que vous me connaissez, je vous cède la parole.

+-

    M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Comme tous les avocats qui travaillent dans les cours, M. Lemay ne sait pas compter, et notre ministre s'avère aussi un témoin très difficile pour les mêmes raisons.

[Traduction]

    Merci, monsieur le ministre, d'être venu nous rencontrer.

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Je dois vous dire que je vous ai cité avant votre arrivée.

+-

    M. Joe Comartin: Je m'excuse d'être en retard, mais je devais écrire et envoyer une note.

    Monsieur le ministre, je vous dis ceci en toute franchise: personne ne met en doute le rôle que vous avez joué en ce qui concerne les nominations ou pour ce qui est d'une éventuelle politisation du processus, mais je vous demande d'avoir l'honnêteté de reconnaître les faits. Les comités actuels ne sont pas tous composés de membres que vous avez nommés. Je vous l'ai dit à la Chambre et je vous le répète ici. La réalité est que — ce que j'en sais aujourd'hui n'est pas différent de la situation qui régnait sous les ministres précédents, qu'ils soient libéraux ou conservateurs, à savoir que dans ma collectivité et dans la province d'Ontario — je sais que beaucoup d'avocats membres du Barreau étaient les principaux candidats à ces postes — il est admis au départ que si l'on n'est pas associé ou si l'on n'a pas une quelconque association avec le parti au pouvoir, on ne pose même pas sa candidature. C'est encore la réalité aujourd'hui. Même si nous avons complètement et parfaitement dépolitisé le processus, ce message n'a pas été transmis, et surtout pas à la communauté juridique.

    Voici la question que je vous pose: voyez-vous une manière de nommer les membres des comités de sélection et les gens chargés de faire des entrevues avec une plus grande transparence, pour qu'ils ne soient pas simplement perçus comme des représentants nommés par le gouvernement au pouvoir?

¿  +-(0955)  

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Votre question illustre bien notre dilemme. La question a été posée avec les meilleures intentions du monde, que ce soit bien clair. Mais comme vous l'avez dit, et je reprendrai presque textuellement vos mots, les comités actuels sont-ils composés de gens que j'ai nommés? Si on permet à cette impression de se répandre au sein de la population, on pourrait alors considérer que le ministre choisit lui-même les membres des comités.

    Dans les faits, quatre membres sur sept des comités sont choisis sans aucune participation de ma part. Autrement dit, les comités comptent un représentant de la magistrature, un représentant de l'Association du Barreau canadien, un autre des barreaux provinciaux et un quatrième est choisi par les procureurs généraux des provinces — tous des groupes irréprochables. Ils choisissent les candidats qu'ils jugent les meilleurs et ils mettraient leur réputation en jeu s'ils choisissaient un valet politique. Je dois supposer que chacune de ces organisations — la magistrature, le Barreau canadien, les barreaux des provinces et les procureurs généraux — ont nommé et continueront de nommer des représentants distingués. Voilà pour quatre des sept membres des comités. C'est important.

    Reste maintenant les trois autres dont je suis chargé. Pour les choisir, je commence par voir qui sont les quatre autres candidats choisis. De plus, des trois candidats qui restent, deux doivent être des non-juristes. Comment puis-je équilibrer le comité en ce qui a trait au sexe, à la région et à la langue? Supposons que dans le cas des quatre autres candidats, chaque organisme ait nommé un homme. Il n'y a donc encore pas de femme au sein de ce comité. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je devrais à tout le moins chercher s'il y a des candidates. Ou dans le cas de la représentation régionale, je devrais m'assurer que cette représentation existe, ou qu'il y a une représentation des minorités, entre autres.

    J'ai réfléchi à la nomination de ces trois candidats et je me suis dis que je ne devrais peut-être en nommer que deux. Une fois les quatre autres membres du comité choisis par les autres organisations, j'estime qu'il est à propos pour le ministre de tenir compte des facteurs que j'ai mentionnés. Et si le ministre décidait de nommer un valet politique, il ferait les frais de l'opinion publique et des critiques.

    Il faut choisir judicieusement les trois autres membres du comité. J'ai pensé à une solution, et je vous la propose. Je suis prêt à renoncer à nommer l'un des trois membres du comité. À vrai dire, je pensais proposer que le conseil des doyens des facultés de droit d'une province soit chargé de nommer un membre, puisque les comités comptent des représentants de la magistrature, des barreaux provinciaux, des procureurs généraux des provinces et de l'Association du Barreau canadien, mais il n'y en a aucun du monde universitaire. Vous avez entendu entre autres des témoignages d'universitaires. Certains professeurs se spécialisent dans les questions relatives à la nomination des juges. Pourquoi ne pas charger le conseil des doyens des facultés de droit de nommer l'une des trois personnes que je nomme à l'heure actuelle? Il y aurait ainsi dans les comités cinq membres nommés sans ma participation, et je n'en nommerais que deux qui seraient des non-juristes, en fonction des considérations que j'ai mentionnées.

    Je suis prêt à examiner ces possibilités et toute proposition que vous pourriez me faire. Pour ce qui est de votre autre observation sur le fait que seules les personnes affiliées au parti politique au pouvoir peuvent prendre la peine de présenter leurs candidatures — ou pour dire les choses plus crûment, seuls les libéraux peuvent être candidats actuellement — je crois que si le juge en chef, le président du Barreau canadien ou les procureurs généraux des provinces décidaient de ne se fonder que sur l'affiliation politique pour nommer leurs représentants au sein de ce comité, ils devraient y réfléchir à deux fois, compte tenu de ce qu'ils doivent rendre des comptes à la population. Je ne nie pas que cela puisse se faire. Je dis simplement qu'il existe une reddition de comptes.

À  +-(1000)  

    Compte tenu de cette transparence, si nous rendons publics les noms des candidats, il n'y aura plus de secret. Si je nomme quelqu'un et que sa candidature fait l'objet d'un examen public, j'ai tout intérêt à nommer le meilleur candidat possible.

+-

    M. Joe Comartin: Monsieur le ministre, je serais davantage rassuré si — et c'est la proposition que je vous fais — l'un de ces huit éléments comportait une disposition disant expressément que l'affiliation politique ne doit pas être un critère. Cela ne fait pas partie des huit éléments de votre code d'éthique, d'après ce que je peux voir. Si cela s'y trouve, c'est de façon très générale. Je sais qu'on ne peut pas poser de telles questions aux candidats, mais une affirmation plus catégorique à cet égard dans le troisième élément, pour indiquer que ce n'est pas un critère, serait plus efficace. Vous avez peut-être l'impression de l'avoir déjà fait.

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Je puis vous dire que je partage votre intention et votre objectif. Je croyais que nous l'avions déjà fait, puisque nous avons indiqué dans le code d'éthique: « Aucune question sur les idées ou les allégeances politiques d'un candidat ou d'une candidate ne doit être posée. »

    On peut supposer que l'objectif est atteint, puisque parmi les critères qui servent à examiner les candidatures, aucun ne porte sur les allégeances politiques. Nous l'avons donc précisé, ajoutant ensuite:

Si un candidat ou une candidate a mentionné avoir milité activement dans un parti politique, aucune inférence favorable ou défavorable ne doit en être tirée, si ce n'est l'aptitude du candidat ou de la candidate à s'impliquer socialement.

    Je suis certes prêt à apporter d'autres précisions, si vous jugez que c'est nécessaire. Le but est d'indiquer que les allégeances politiques n'ont aucun poids. Elles ne doivent servir ni à appuyer ni à exclure les candidatures.

+-

    M. Joe Comartin: J'ai une autre petite question. Lorsque les noms des candidats sont remis au comité consultatif, le comité reçoit-il les noms de tous les candidats qui ont postulé à ce poste?

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Le comité examine toutes les candidatures. C'est pourquoi ces comités sont un peu comme des comités permanents, et c'est pour cette raison qu'on ne pourrait créer un nouveau comité chaque fois qu'il y a un candidat, parce qu'il faut qu'il y ait une certaine continuité dans l'évaluation des candidatures. Le comité examine chaque candidature et décide si le candidat doit être fortement recommandé, recommandé ou non recommandé — sauf bien sûr dans le cas des juges des cours provinciales; ils ne sont pas pris en compte dans cette façon de procéder.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Autrement dit, ce processus s'applique aux avocats qui présentent leur candidature. Supposons qu'il y ait un poste vacant dans une instance supérieure. Un juge d'une cour provinciale ne participe pas à un appel de candidatures. On peut supposer que le dossier de cette personne a déjà été examiné. Je dois avouer qu'à mon avis — et j'ai adopté cette opinion quand j'ai constaté que cela ne s'était pas fait auparavant — les juges des cours provinciales ne devraient pas être empêchées de siéger dans des instances supérieures ou dans des cours d'appel.

    Dans les nominations que j'ai faites, je me souviens avoir fait passer un juge de la Cour provinciale du Québec à la Cour d'appel de la province, pour lire par la suite que c'était la première fois qu'une telle promotion était accordée. Mais les juges de cours provinciales n'ont pas à se plier à ce processus de candidature, qui ne s'applique qu'aux avocats.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Comartin. Votre période de 12 minutes est terminée. Nous passons à M. Macklin.

    Monsieur Macklin, vous avez la dure tâche d'essayer de limiter le ministre au temps qui lui est imparti.

[Traduction]

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Merci , monsieur le président.

    Je remercie nos témoins de nous consacrer leur temps aujourd'hui.

    Quand on y réfléchit, il est certain que nous avons réalisé de grands progrès. La question qui se pose est de savoir ce que nous pouvons faire pour améliorer ce qui existe déjà. Hier, j'ai écouté avec intérêt M. Trudell, qui représentait le Conseil canadien des avocats de la défense. Il a parlé de ce qu'il a vécu pendant un certain nombre d'années à titre de représentant au sein d'un comité consultatif.

    Il en est venu à la conclusion — et je dois dire qu'il s'est montré assez persuasif — qu'il faudrait peut-être ajouter des entrevues au processus, à l'interne, que ce soit au moyen du comité consultatif d'origine ou au moyen d'un comité de sélection subséquent. Je ne crois pas qu'on ait défini comment ce serait mis sur pied.

    D'après M. Trudell, après avoir entendu les candidats en entrevue, en protégeant bien sûr les renseignements qui les concernent, le comité a pu déterminer que certains candidats n'auraient probablement pas dû être fortement recommandés ou que certains candidats devraient être classés dans une catégorie différente; et à l'inverse, certains qui avaient reçu une simple recommandation méritaient, de l'avis du comité, une recommandation plus forte.

    La question est donc de savoir s'il existe une marge de manoeuvre suffisante pour qu'on puisse mettre en place une telle mesure afin d'améliorer le processus dont nous disposons déjà et, deuxièmement, s'il existait une telle possibilité, s'il faudrait envisager de perfectionner la description de poste. Autrement dit, si l'on évaluait un éventail plus vaste de candidatures, il faudrait peut-être qu'il y ait une description de poste, c'est-à-dire que le bloc de candidats non seulement existerait, mais qu'il serait redéfini lorsqu'un emploi ou un poste devient disponible. S'il existait un poste vacant assorti d'une description, serait-il utile que le comité applique cette description dans la sélection des candidats afin de vous proposer un groupe de candidats plus délimité?

À  +-(1005)  

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Je vais répondre à votre question. J'ai lu le témoignage de M. Trudell et je l'ai bien apprécié. Je dois dire que son témoignage montrait un certain manque de compréhension du processus; je le constate parfois dans les propos de certains témoins. Leurs recommandations sont bien intentionnées — comme par exemple la proposition de rendre plus publics les critères d'admissibilité applicables aux juges. Mais il faut dire que ces critères sont déjà affichés au site Web du commissaire à la magistrature fédérale.

    On y dit que des représentants de la collectivité peuvent participer à ces comités, de concert avec des avocats et des juges. En fait, ces comités en comptent déjà; je dois choisir deux représentants de la collectivité, si je puis dire, des personnes qui ne sont ni avocates ni juges.

    Les qualités requises pour siéger aux comités consultatifs et d'entrevue et la composition de ces comités peuvent être rendues publiques. Eh bien, nous avons essayé d'appliquer la recommandation de M. Trudell aujourd'hui en rendant public un code d'éthique que doivent respecter les membres du comité, ainsi qu'en publiant des lignes directrices et une lettre de mandat.

    Également, M. Trudell et le professeur McCormick voulaient réduire mon pouvoir discrétionnaire de choisir le candidat nommé en obligeant la personne qui occupe le poste de ministre à faire son choix à partir d'une liste préparée par le comité consultatif. Eh bien, je dois déjà faire mon choix à partir d'une liste rédigée par le comité consultatif, puisque c'est ainsi que le processus fonctionne.

    Autrement dit, les propos de vos témoins traduisent souvent un manque de compréhension du fonctionnement du comité, puisqu'ils réclament des choses qui se font déjà. Mais cela dit, en ce qui a trait aux entrevues — puisque c'est l'une des recommandations de M. Trudell — j'estime que c'est au comité d'en décider. Rien n'empêche un comité de tenir des entrevues. Je ne leur donne pas pour instruction de faire ces entrevues ou non. Si le comité estime que cette mesure est à propos et qu'il en a l'occasion, que ce soit pour des raisons de temps ou d'autres raisons, s'il estime que cela en vaut la peine, il est libre de le faire.

    À l'heure actuelle, si quelqu'un présente sa candidature à un poste de juge, on appliquera dans l'examen de sa candidature 16 critères fondés sur le mérite en matière de compétence professionnelle et de qualité personnelle. Le comité approuve ou rejette les candidatures en fonction de ces 16 critères.

    Serait-il utile de tenir également des entrevues? Je n'en sais rien. Si c'était utile, serait-il possible de les organiser? Compte tenu du grand nombre de demandes à examiner et de ce que les membres du comité travaillent gratuitement, à titre bénévole — et quand je les ai rencontrés, ils m'ont dit qu'ils consacrent littéralement des centaines d'heures à ce travail sans tenir d'entrevue — serait-il possible de tenir ces entrevues du point de vue de la logistique? Ces entrevues aideraient-elles à évaluer le mérite des candidats? Je laisse le comité en décider.

    Aviez-vous d'autres préoccupations à ce sujet?

À  +-(1010)  

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Ma question était de savoir si, lorsqu'un poste devient disponible, il serait utile d'en avoir une description. Autrement dit, si le juge en chef cherchait un candidat possédant des antécédents particuliers, serait-il utile de le signaler au comité consultatif avant que vous ayez à traiter toutes les candidatures?

+-

    L'hon. Irwin Cotler: En fait, je crois que cela poserait un problème. Je vais vous expliquer pourquoi. Au moment où un juge quitte son poste, qu'il devient surnuméraire et que son poste devient vacant, le comité a déjà entrepris l'examen des candidatures en fonction des qualités professionnelles et personnelles des candidats. Lorsque le poste devient vacant, j'ai déjà en main une liste de candidats fortement recommandés.

    J'entreprends alors mes propres consultations, en me fondant sur l'hypothèse que le candidat choisi doit venir de la liste des candidats fortement recommandés. Vous vous demandez peut-être comment je peux faire la distinction entre les candidats recommandés et ceux qui sont fortement recommandés? Je me fonde sur ce qu'en disent les présidents des comités consultatifs lorsque je les rencontre. Pour être fortement recommandé, une personne doit être vraiment exceptionnelle; autrement dit, cette catégorie est réservée à un petit groupe de candidats vraiment exceptionnels. Les candidats recommandés doivent être également de qualité supérieure, ils doivent être excellents. Par conséquent, en choisissant un candidat dans la liste de ceux qui sont recommandés, on nommerait un excellent juge, mais peut-être pas quelqu'un qui appartient à ce petit groupe de personnes vraiment exceptionnelles. Par conséquent, je commence par examiner les candidatures vraiment exceptionnelles.

    Quand je discute avec les juges en chef des tribunaux en cause, ils peuvent me dire par exemple que le juge qui quitte son poste est un excellent expert du droit pénal. Compte tenu de la nature des dossiers traités par ce tribunal, ils souhaiteront peut-être que son remplaçant soit, si possible, un expert du même domaine. Ensuite, j'examine pour commencer la liste des candidats fortement recommandés. Si je ne trouve pas d'expert du droit pénal dans cette liste, je consulte la liste des candidats recommandés pour voir si j'y trouverai un expert du droit pénal.

    Dans l'accord que j'ai conclu avec les comités consultatifs sur les nominations à la magistrature, si je décide de ne pas recommander un candidat inscrit à la liste des candidatures fortement recommandées, je dois communiquer avec le comité pour le signaler et pour indiquer que le tribunal avait besoin d'un expert du droit pénal. Je demande au comité s'il est d'accord pour que je choisisse un candidat de la liste des candidatures recommandées qui semble correspondre davantage aux besoins du tribunal. Je dois consulter le comité et lui expliquer la situation.

    Je l'ai déjà fait dans un cas. Pour les raisons que j'ai mentionnées, je souhaitais utiliser la liste des candidatures recommandées plutôt que de me limiter à celle des candidatures fortement recommandées, compte tenu entre autres des besoins du tribunal. J'ai donc consulté le comité et je me suis rendu compte que je n'avais pas vraiment beaucoup de choix. La personne qui était recommandée était en fait un excellent candidat, un candidat de qualité supérieure et qui ratait d'un poil à peine la catégorie des candidats vraiment exceptionnels. Mais si le tribunal avait besoin d'un expert du droit pénal, alors d'accord.

    Il y a aussi un autre exemple, celui de nominations récentes dans une région du Québec. Dans la région de Québec, le nombre de femmes à la magistrature était inférieur à 15 p. 100. Quand j'ai examiné la liste, j'ai pensé qu'il fallait rétablir l'équilibre des sexes, et s'il n'y avait pas eu de femme parmi le nombre restreint de candidats fortement recommandés, j'aurais pu consulter la liste des candidatures recommandées pour nommer une candidate qui non seulement aurait été de qualité supérieure mais aurait aussi contribué à l'égalité des sexes et à la diversité.

    Tout cela pour expliquer comment le système fonctionne.

À  +-(1015)  

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup. J'aimerais simplement vous poser une question. Celle-ci sera très brève, et je passerai ensuite la parole au Parti conservateur. Je vais tenir compte de mon temps. Je prendrai moins de deux minutes; c'est ce que je me suis promis.

    Monsieur le ministre, sachez que nous sommes tous de bonne foi —  nous en avons parlé — et que nous voulons trouver la meilleure façon de procéder à la nomination des juges aux cours fédérales.

    Vous m'avez cité dans votre présentation, et je suis content de savoir qu'il y a au moins quelqu'un me lit. Cependant, j'ai beaucoup de difficulté à concilier votre affirmation à l'effet que la couleur politique n'entrait pas en considération avec les propos tenus par mon collègue Rob Moore, qui affirmait que plus de 60 p. 100 des gens qui ont été nommés au Québec depuis 2000 avaient contribué au Parti libéral. En outre, si on se limitait aux juges de pratique privée, le pourcentage grimpait à 73 p. 100. Je tenais à le signaler.

    Vous nous avez dit que tout processus qu'on suggérerait devait être constitutionnel, donc tenir compte de l'article 96 de la Constitution qui donne le pouvoir au gouverneur en conseil. Vous laissez entendre que le fait de limiter la discrétion pourrait aller à l'encontre de l'article 96. Par contre, dans la même présentation, vous avez dit que jamais vous n'étiez sorti de la liste des très recommandés ou des recommandés, acceptant donc implicitement que votre discrétion soit limitée. Vous l'avez accepté et vous dites que le processus actuel est constitutionnel.

    Si ce comité ne fait que suggérer une discrétion moins large pour vous, en quoi cela serait-il moins constitutionnel que le processus actuel qui, selon vos propres propos, limite votre discrétion?

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Premièrement, en ce qui concerne l'étude qui a été publiée et qui révèle que les personnes nommées juges dans certaines législatures étaient plus susceptibles d'avoir contribué à la caisse du Parti libéral et d'être affiliées à ce dernier sur le plan politique, il y a peut-être des explications valables à certaines de ces constatations. Cependant, cela nécessiterait un examen approfondi de l'étude et de la manière dont elle a été réalisée, ce qui n'a pas été fait jusqu'à maintenant.

    Brièvement, les résultats de l'étude, tels que présentés dans les journaux, ne concordent pas avec mon expérience du processus. Même si ces allégations étaient fondées, elles ne font qu'établir une corrélation, et non un facteur de causalité. Je répète que je ne tiens pas compte de l'affiliation politique d'une personne dans les recommandations que je présente au gouverneur en conseil.

    Deuxièmement, j'aime mieux parler de « responsabilité à la fin » que de « l'exercice de la discrétion ». Vous avez raison, le processus qui commence avec le fait que je dois faire un choix à partir d'une liste recommandée par un comité est une contrainte à l'exercice libre de ma discrétion. Toutefois, cela correspond encore à la fin du processus. Je parle de la responsabilité constitutionnelle que j'avais comme ministre de la Justice et procureur général du Canada, à savoir qu'à la fin, la recommandation sera faite par moi, à titre de ministre, et la décision finale sera prise par le Cabinet.

    Toutefois, on peut proposer des changements et des réformes qui, vous pouvez le dire, touchent à l'exercice de la discrétion, particulièrement à l'égard de l'exercice de la responsabilité constitutionnelle. Je suis ouvert à toutes les recommandations, même si elles peuvent peut-être limiter la discrétion du ministre, si la responsabilité constitutionnelle demeure, à la fin, celle du gouvernement fédéral.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Moore, il reste au ministre trois minutes. Vous êtes le dernier intervenant.

[Traduction]

+-

    M. Rob Moore: Merci.

    Monsieur le ministre, ma question est la suivante. Pourquoi tant de réticence à reconnaître que le sentiment des gens qui participent à ce processus correspond tout à fait à la réalité? Ces personnes tiennent pour acquis que l'allégeance politique exerce une influence. Vous avez dit qu'il n'y avait pas de relations de cause à effet, mais que le fait de faire un don au parti pouvait avoir une influence corrélative. À mon avis, c'est évident. Personne ne sera nommé juge simplement pour avoir fait un don au Parti libéral. Il ne suffit pas de faire un don pour être automatiquement nommé, mais il existe une forte corrélation. Ce que nous disons tous, c'est qu'il existe un lien entre l'allégeance politique et la nomination. Il existe une corrélation entre le fait de faire des dons au Parti libéral et celui d'être nommé juge au Canada.

    Chez nos voisins du Sud, on constate parfois que l’allégeance politique est clairement prise en compte. Mais au Canada, du moins dans le cas du gouvernement actuel, on semble réticent à ne serait ce que reconnaître que la même chose existe. Vous nous avez dit, en dépit des preuves, que l’allégeance politique n’est pas prise en compte. Mais si je parle aux avocats de ma circonscription, au Nouveau-Brunswick, ils diront que ce facteur est pris en compte. Cela va sans dire. Pourquoi vous ou le ministère refusez-vous de reconnaître que les choses sont actuellement ainsi, qu’il existe un statu quo, à tort ou à raison, et que l’allégeance politique joue en partie un rôle dans la nomination des juges?

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Monsieur le président, je me présente devant vous à titre de témoin du comité. Je suis donc obligé de dire la vérité sur le processus auquel je participe. Si je vous disais que ma décision est influencée par des facteurs politiques, je mentirais tout simplement dans mon témoignage. Je dois vous dire de façon catégorique et sans équivoque que je ne tiens aucun compte de l'allégeance politique des candidats et que, dans la plupart des cas, j'ignore quelle est l'affiliation politique de ces candidats. À vrai dire, je m'en fiche totalement.

    Pour ce qui est de savoir pourquoi je ne reconnais pas l'existence d'une corrélation, eh bien, j'ai reconnu qu'il existait une corrélation, mais il y a une grande différence entre une corrélation et une relation de cause à effet. On constaterait probablement que 60 p. 100 des personnes qui présentent leur candidature à un poste de juge assistent à des parties de hockey. Et après? C'est une relation tout à fait semblable à celle qui existe pour les 60 p. 100 de candidats qui ont fait un don...

À  -(1025)  

+-

    M. Rob Moore: Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois...

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Excusez-moi... je ne vous ai pas interrompu.

+-

    M. Rob Moore: Il y a une énorme différence. Un grand nombre de Canadiens d'un bout à l'autre du pays assistent à des parties de hockey. Un petit nombre seulement font des dons à des partis politiques. Si vous faites la répartition selon les partis politiques auxquels ces dons sont faits... ce que vous semblez dire...

+-

    L'hon. Irwin Cotler: Permettez-moi de conclure, car je n'ai pas terminé ma réponse, et je ne vous avais pas interrompu.

    Ce que je veux dire par cette analogie, c'est qu'il n'y a pas de différence pour moi qu'un candidat ait contribué à un parti politique ou qu'il ait assisté à une partie de hockey. Dans les deux cas, il n'y a qu'une simple corrélation: 60 p. 100 ont assisté à une partie de hockey, 60 p. 100 ont fait un don au Parti libéral et il se peut que la même personne qui ait assisté à la partie de hockey ait fait un don au Parti libéral. Dans un cas ou dans l'autre, peu m'importe. Cela n'influe aucunement sur ma décision. Il y a peut-être une certaine corrélation, mais il n'y a pas de relation de cause à effet.

    Je dois avouer que vous n'aidez pas vos électeurs et la population canadienne à comprendre l'administration de la justice ou à y faire confiance quand vous laissez entendre que les juges qui siègent aujourd'hui n'ont été nommés que parce qu'ils ont fait un don politique. Je suis obligé de réfuter cet argument, non seulement parce qu'il est tout simplement faux, mais aussi parce que j'ai l'obligation de protéger l'intégrité de nos magistrats afin que leur travail ne soit entaché par ces allégations. C'est ce qui nuit à la confiance dans l'administration de la justice, et cela pourrait amener les gens à dire que c'est une certitude. Le fait de répéter de tels mensonges peut amener les gens à croire qu'ils sont vrais.

    Ma responsabilité consiste à vous dire qu'il n'en est pas ainsi, à partir des faits. Je ne pourrais ni approuver ni autoriser un processus qui permettrait une telle chose. Comme je l'ai dit, tout ce que vous pourrez constater, c'est une corrélation qui n'a rien de différent à mon analogie avec le fait d'assister à une partie de hockey, d'aller au cinéma ou de faire autre chose.

[Français]

-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.

    La séance est levée.