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CC27 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-27


NUMÉRO 005 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 6 juin 2007

[Enregistrement électronique]

(1635)

[Traduction]

    La séance est ouverte. C’est la cinquième séance du comité législatif chargé du projet de loi C-27.
    Nous avons aujourd’hui comme témoins, James Bonta du ministère de la Sécurité publique et Larry Motiuk du Service correctionnel du Canada.
     Messieurs, nous allons commencer par vos déclarations préliminaires.
     Monsieur Bonta, je vous prie de commencer.
     Je voudrais tout d’abord me présenter et vous dire un peu qui je suis.
     Je m’appelle Jim Bonta. J’ai commencé ma carrière en tant que psychologue clinicien et pendant 14 ans j’ai été le psychologue en chef du Centre de détention d’Ottawa-Carleton. Mes travaux de recherche ont débuté alors que j’étais dans ce centre. En 1990 je suis entré au ministère du Solliciteur général, comme ça s’appelait à l’époque, où je suis devenu directeur de la recherche. J’ai passé les 30 dernières années de ma carrière à essayer de comprendre et de mieux évaluer les risques que les délinquants font peser sur la collectivité, ainsi que les problèmes qui se posent pour leur réinsertion. Pratiquement, comment pouvons-nous repérer les délinquants à risque élevé et les séparer de ceux qui représentent peu de risque? Quels genres d’intervention pourraient le plus efficacement permettre de réduire les risques de récidive?
     La recherche entreprise par Sécurité publique Canada, où j’occupe les fonctions de directeur de la recherche correctionnelle, s’est intéressée, comme certains d’entre vous le savent, non seulement aux délinquants dangereux, mais aussi à l’élaboration d’un système national de repérage, entre autres. Nous avons travaillé avec des procureurs et des tribunaux dans le cadre de projets de recherche portant sur divers problèmes.
    Je suis ici avec vous aujourd’hui pour essayer de répondre à vos questions quant à notre vision scientifique de l’évaluation du risque et de la traitabilité des délinquants.
    Merci, monsieur Bonta.
    Monsieur Motiuk, s'il vous plaît.
    Je m’appelle Larry Motiuk. Je suis actuellement le directeur général de Programmes et réinsertion sociale des délinquants à l’Administration centrale de Service correctionnel du Canada. J’occupe cette fonction depuis une année. Avant, j’ai été pendant 13 ans directeur général de la recherche à Service correctionnel du Canada. Comme le Dr Bonta, j’ai commencé ma carrière dans les services correctionnels au niveau provincial. J’ai débuté en 1979 en tant qu’étudiant en stage et j’ai travaillé dans le système provincial jusqu’en 1988; par la suite, en 1998, je me suis joint au service correctionnel fédéral.
    Mes antécédents professionnels sont principalement liés à la recherche, comme vous pouvez l’imaginez. J’ai effectué pas mal de recherches dans les domaines de l’évaluation, du traitement et de l’efficacité des programmes. Les domaines dans lesquels j’ai travaillé en particulier au Service correctionnel du Canada sont: les normes de surveillance applicables à la liberté sous condition, les délinquants sexuels, les délinquants violents à risque élevé, les processus d’évaluation et les programmes de traitement.
     J’enseigne aussi à l’Université Carleton comme professeur chercheur associé et j’ai travaillé pendant des années avec les étudiants, particulièrement dans le domaine de la psychologie. Je suis titulaire d’un doctorat en psychologie.
    Je suis là pour répondre autant que possible à toute question que vous pourriez vous poser concernant tous les problèmes liés à l’exécution de la peine, à la gestion et au traitement des délinquants au sein du Service correctionnel du Canada.
     M. Easter commencera le premier tour de questions d’une durée de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
     Bienvenue, messieurs.
     Je pense que vous avez assisté à la précédente discussion que nous avons eue avec l’Association canadienne des policiers (ACP). Je leur ai posé une question ayant fondamentalement trait à l’équilibre entre la justice et l’incarcération d’une part, et les libertés civiques d’autre part. À mon avis, l’inversion de la charge de la preuve dans notre système de justice criminelle est un grand pas en avant. C’est un grand pas. J’ignore pour le moment s’il s’agit d’un pas en avant ou en arrière, mais cela aura certainement des conséquences pour les libertés et les droits civiques.
     Dans le cadre de vos recherches, Jim, vous avez déclaré que votre travail a consisté en fait à étudier scientifiquement l’évaluation du risque et de la traitabilité. En ce qui concerne les délinquants dangereux dans l’ensemble — j’ignore même si vous pouvez répondre à cette question, et pourtant vous les avez côtoyés de très près dans votre travail dans une perspective scientifique, je suppose —, est-il bien de les priver de leurs libertés civiques ? Est-il possible que ces gens puissent se réinsérer dans la société? Ou bien s’agit-il d’une cause perdue?
(1640)
    Je vais commencer.
     Je ne peux pas parler précisément pour ce qui est des libertés civiques. Ce sujet ne fait pas partie de mon domaine d’expertise.
     Je pourrais parler de deux choses. L’une concerne la difficulté de prédire quel délinquant va récidiver. Dans la littérature scientifique, nous sommes incapables de faire des prédictions parfaites, et même dans les travaux de recherche nous hésitons constamment entre les personnes que nous pouvons identifier correctement et celles qui peuvent faire l’objet d’une fausse identification de notre part. Ce que je veux dire, c’est qu’il est possible qu’au fil des années, nous identifiions de mieux en mieux les délinquants à risque élevé, mais en même temps nous continuerons d’identifier comme dangereux des délinquants qui, en définitive, s’avèrent ne pas l’être. Nous avons plusieurs manières de procéder avec eux.
     Le problème de traitabilité est l’un des plus difficiles, tout particulièrement quand il s’agit de délinquants à risque élevé. Il y a à l’heure actuelle beaucoup d’ouvrages de recherche qui démontrent que certains types de programmes de traitement peuvent s’avérer très efficaces pour la réduction de la récidive, lorsqu’ils ciblent les personnes qu’il faut dans la collectivité. En fait, le traitement approprié peut réduire le risque de récidive d’environ 30 p. 100 en moyenne, si l’on se fonde sur plus de 200 études expérimentales et quasi-expérimentales menées en la matière.
     Je vais juste essayer de mettre cela en contexte pour tout le monde. Les taux de réussite pour le traitement chimiothérapique du cancer du sein se situent autour de 12 p. 100. Le fait de prendre de l’aspirine pour prévenir une crise cardiaque a un effet d’environ 3 p. 100. Alors, quand nous pouvons envisager un traitement pouvant réduire la récidive ou avoir un succès d’environ 30 p. 100, c’est assez stupéfiant.
     Une des caractéristiques des ouvrages de recherche sur le traitement c’est qu’il y a très peu de travaux portant précisément sur les populations à risque élevé. En tant que chercheur, tout ce que je peux dire c’est que je ne suis pas sûr que les traitements que l’on applique aux délinquants à risque moyen et à risque un peu élevé peuvent s’appliquer au groupe à risque élevé qui intéresse votre comité.
    Au cours de la précédente présentation aussi, l’un des arguments avancés pour passer à l’inversion du fardeau de la preuve est le fait que certains délinquants ne participent pas aux programmes ou au processus. Ce qui m’amène à vous poser cette question: comment arrivez-vous à évaluer le risque pour ensuite appliquer un traitement si le délinquant refuse de participer à un processus d’évaluation en tant que délinquant dangereux?
(1645)
    Peut-être que je peux parler sur le plan général. Le Dr Motiuk pourra peut-être expliquer ensuite comment ça se passe au Service correctionnel du Canada.
     En général, en ce qui concerne l’évaluation du risque, il y a plusieurs manières de procéder sans la coopération directe du client. On peut évaluer le risque en recueillant des renseignements provenant d’autres sources et pas uniquement des antécédents criminels que l’on peut évidemment trouver dans les dossiers de la police, mais d’autres facteurs à risque comme l’emploi, l’abus d’alcool ou d’autres drogues. On peut obtenir l’information appropriée en prenant contact avec des personnes qui connaissent ce client.
    Larry.
    Pour répondre à la question concernant l’évaluation sous un angle pratique, je dirais que, dans le système correctionnel fédéral, nous avons adopté un processus très détaillé qui nous permet, dès l’admission du délinquant et le commencement de l’exécution de la peine, d’évaluer le niveau de risque, les besoins, les exigences en matière de sécurité, les programmes nécessaires pour le service des délinquants. Cela a pour but d’élaborer un plan correctionnel détaillé impliquant le délinquant. On procède aussi dès le commencement à l’évaluation de la motivation de l’intéressé à s’impliquer dans ce plan.
     Pour ce qui est d’évaluer les personnes considérées comme des délinquants à risque élevé, notamment ceux qui à leur arrivée ont déjà la réputation d’être dangereux ou d’être des délinquants sexuels, ce que nous faisons c’est que souvent nous les soumettons à des évaluations spécialisées ou supplémentaires, pour déterminer le risque chez les délinquants sexuels en particulier ou d’autres risques aussi. Nous faisons intervenir des psychologues et des psychiatres dans ces évaluations qui sont conduites selon une approche multidimensionnelle destinée à apprécier tous les cas individuellement, afin de déterminer en priorité les risques qu’ils représentent et leurs besoins, d’établir un plan correctionnel et de rechercher les interventions susceptibles de réduire la probabilité de récidive. C’est ensuite que commence le processus susmentionné dès les premières étapes, et c’est la phase initiale du processus de gestion du délinquant dans l’univers correctionnel.
     Tout cela concourt en fait à trouver un placement convenable pour chaque délinquant. En ce qui concerne la sécurité qui doit entourer les délinquants, elle s’articule autour de trois considérations: la sécurité du public, la sécurité de l’établissement, du personnel et des autres délinquants et enfin, le risque d’évasion du délinquant, le cas échéant.
    En général, il faut 90 jours pour réaliser cette évaluation. Il faut intégrer les informations provenant de la police, des tribunaux, et tous les autres documents disponibles relatifs au délinquant, afin d’arriver à une sorte de conclusion ou d’aperçu concernant chaque cas.
     Nous impliquons ensuite les délinquants dans l’élaboration de ce plan correctionnel. Nous attendons d’eux qu’ils s’y impliquent. Il faut dire que ce ne sont pas tous les délinquants qui vont s’impliquer dans leur plan ou y coopérer, c’est tout à fait normal, et ce ne sont pas tous les délinquants qui vont demeurer en traitement. Il y a un pourcentage d’entre eux qui vont décrocher et certains d’entre eux vont être retirés du programme. C’est ce groupe, ceux qui ne demeurent en traitement, qui préoccupe le plus parce qu’il représente un risque élevé de récidive.
     Ainsi, s’agissant de la manière dont nous évaluons avec exactitude tout cela, on peut dire qu’il y a plusieurs méthodes: les évaluations de la motivation, les évaluations statistiques et l’intervention de plusieurs professionnels outillés pour les évaluations du risque. Tout cela permet de formuler une conclusion pour chaque cas. Une réévaluation est faite au cours des diverses étapes d’exécution de la peine et les modifications sont apportées selon que le client a tiré ou non profit des programmes.
    Merci, Dr Motiuk. Nous devrons nous en arrêter là.

[Français]

    M. Ménard posera la prochaine question.
    Merci, monsieur le président.
    Tout d'abord, il aurait été intéressant que vous puissiez vous présenter devant nous avec des mémoires et de l'information. Je ne sais pas si vous en avez soumis qui n'ont pas été traduits, mais j'avoue qu'il aurait été intéressant qu'on ait une espèce d'état de la question.
    D'abord, vous êtes tous des praticiens des sciences sociales. Vous n'êtes pas issus de la communauté juridique et vous avez de l'information très particulière sur les déterminants du comportement, donc sur les variables psychologiques qui font qu'on est plus susceptible d'adopter tel type de comportement ou de poser tel type de geste plutôt qu'un autre.
     J'aimerais avoir un état de la question. J'aimerais que vous puissiez vous prononcer par écrit sur un certain type d'information. Que sait-on? Par exemple, quand on veut analyser les risques de récidive, faut-il se situer plus sur le terrain de l'inné ou sur le terrain de l'acquis? Y a-t-il des variables? Y a-t-il des circonstances qui, si elles sont réunies, sont plus susceptibles de donner lieu à des comportements de récidive?
     La richesse de ce que vous allez nous apporter dans votre témoignage sur le plan des sciences sociales nous confirmera ou infirmera que la solution sociale ne réside peut-être pas dans le droit. C'est peut-être un problème où, comme certaines personnes l'ont fait valoir autour de la table de ce comité, c'est plus sur le plan de la prévention, de la réhabilitation, du traitement que l'on doit trouver des solutions.
    Sur l'état des lieux, l'état de la connaissance d'un point de vue scientifique, est-on plus sur le terrain de l'inné ou sur le terrain de l'acquis? Y a-t-il des traitements qui peuvent être préconisés? Comment devrions-nous nous comporter face au problème de la récidive des délinquants dangereux? Est-on sur le terrain de la maladie mentale ou simplement sur celui de la délinquance? J'aimerais avoir de l'information écrite à ce sujet.
(1650)

[Traduction]

    Nous vous fournirons certainement des documents écrits pour étayer quelques-unes de ces informations.
     Nous avons fait énormément du chemin en ce qui concerne la capacité à évaluer le risque de récidive. Cela fait 30 ans que je mène des recherches dans ce domaine. À l’époque où je débutais, les évaluations du risque étaient en grande partie fondées sur le jugement des professionnels. Si vous deviez recevoir une formation de psychiatre ou de psychologue, on s’attendait à ce que vous sachiez quelle personne représentait un risque élevé et quelle autre pas.
     Nous avons sans cesse évolué et 20 ans plus tard, nous avons un aperçu plus précis des facteurs de risque les plus importants dans le comportement criminel, des facteurs plus déterminants que d’autres. Nous sommes convaincus que l’importance des antécédents criminels n’échappe certainement à aucun d’entre nous ici présents. Mais la réflexion favorisant la criminalité est l’un des indicateurs les plus importants du comportement criminel, tout comme les personnes que l’on fréquente et certainement les traits qui dénotent une personnalité antisociale. Il ne s’agit pas là de psychopathie. Je parle des traits de personnalité tels que l’impulsivité, le manque de maîtrise de soi, l’égocentrisme. Nous avons pu classer par ordre les indices les plus importants et ceux qui le sont moins.
     Comme mon collègue vous le dira sûrement, le Service correctionnel du Canada procède actuellement à une évaluation de ces facteurs sur une base fiable. Le délinquant à risque élevé...

[Français]

    Il est très important que nous ayons ne serait-ce qu'un tableau synthèse de toute cette information. Je ne pense pas que quiconque veuille lire 3 000 ou 4 000 pages. Si on avait un tableau synthèse, ce serait très apprécié. Il reste qu'on est tous des parlementaires et qu'on votera un projet de loi qui créera du droit nouveau.
    Tout à l'heure, M. Cannavino disait qu'il s'agissait de gens qui ont commis trois infractions graves. Ce n'est pas tout à fait vrai, parce que le projet de loi s'applique aussi à des infractions désignées et qu'il y a des infractions désignées qui sont peut-être moins graves que d'autres. Toutes sont préoccupantes sur le plan social, mais c'est un peu simple que de réduire cela à trois infractions graves.
    Pour un témoin expert, dont on connaît les règles de comparution selon la jurisprudence et dont je vous fais grâce, est-il possible, à partir d'une première infraction, de saisir un jury ou une cour du fait qu'il y a des risques très probants, plausibles et scientifiquement admissibles que la personne récidivera? Comme témoin expert, pouvez-vous partager cela avec une cour et ainsi éviter des souffrances ultérieures à des communautés?

[Traduction]

    Je pense que cela est possible, et je crois qu’il y a un délinquant qui a été considéré comme dangereux dès le premier délit grave. Je crois qu’il y a eu un tel cas.
    Si l’on procède à une évaluation détaillée de tous les divers facteurs de risque, il est possible de tomber sur quelqu’un qui possède des traits de personnalité antisociaux, qui a commis un grave délit, qui remplit les conditions requises par la loi et qui réunit tous les autres facteurs.
(1655)

[Français]

    Monsieur le président, c'est la première fois que je rencontre des gens du domaine des sciences sociales dans le cadre ce comité, et je suis un peu excité intellectuellement.
    Seriez-vous prêt, si on vous le demandait, à donner une formation ad hoc à des parlementaires à l'extérieur du cadre de ce comité? Je serais prêt à passer quelques heures avec vous pour prendre connaissance de la réalité clinique et de la documentation disponible à ce sujet. Il y a un large éventail de matériel qu'il faudrait s'approprier, mais dans le cadre d'un échange de ce genre, ça ne serait pas compatible avec nos travaux.
    La session devrait se terminer bientôt. Toutefois, avant de reprendre nos travaux en septembre, il pourrait être intéressant pour les parlementaires qui le veulent d'obtenir une vraie formation de quelques heures sur l'état de la situation, le portrait clinique, les variables prédictives à maîtriser. Je vais peut-être même en faire une proposition en bonne et due forme. Quoi qu'il en soit, je pense qu'on devrait retenir cette suggestion.
    C'est en effet une bonne suggestion, monsieur Ménard, mais reste à voir si M. Bonta veut passer deux heures avec vous.

[Traduction]

     Sur ce, nous passons la parole à M. Comartin pour ses sept minutes.
    Je vous remercie, messieurs, de votre présence.
    L’un de vous a-t-il déjà témoigné en cour pour une demande de déclaration de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler?
    Non, jamais.
    Cela m'est arrivé une fois.
    Compte tenu de la manière dont vous présentez vos carrières respectives, puis-je présumer que vous vous êtes principalement consacrés à la recherche? Ou bien avez-vous aussi été chargés des évaluations et des traitements?
    Je vais parler en me référant au seul cas où je suis intervenu dans le cadre d’un subpoena. Ironiquement, ça s’est passé près de 20 ans après que j’ai quitté le Centre de détention d’Ottawa-Carleton. Nous prenons des notes cliniques et je ne sais comment elles se sont retrouvées en cour lors de l’audience pour une demande de déclaration de délinquant dangereux. Il y avait eu des notes relatives à la violence familiale et il s’est trouvé que la victime avait été un récidiviste. Par ailleurs, la personne qui avait commis le délit avait à plusieurs reprises victimisé l’individu en question pendant des années.
    En fait, on avait fait appel à moi afin que je témoigne de la véracité de l’évaluation clinique qui avait été faite à un moment donné pour établir un modèle de criminalité sur une période donnée.
    M. Ménard et moi avons indiqué clairement que nous étions opposés au recours à l’inversion de la charge de la preuve. Une des choses qui me préoccupent c’est la qualité des éléments de preuve que l’on exigera que l’accusé présente.
     Tel que je comprends la procédure, bien qu’on n’ait jamais procédé de la sorte dans le passé, un commis ou un agent de police viendra à la barre. Il dira que telle personne a précédemment commis deux délits et elle vient d’en commettre un troisième. Elles entrent toutes dans la catégorie d’infractions désignées, et ce sera tout ce qu’on présentera comme élément de preuve. La poursuite n’aura donc pas à fournir une quelconque preuve de nature psychologique ou psychiatrique.
     S’il s’agit en fait du modèle de ce à quoi on assiste, j’aimerais que vous me disiez comment les personnes accusées pourraient obtenir les éléments leur permettant de prouver à l’inverse qu’elles ne sont pas des délinquants dangereux?
    J’ignore si ce que je vais dire apportera une réponse à votre question, mais j’essaierai tout de même. Dans le milieu scientifique, en matière d’évaluation du risque, il est communément admis que l’on a besoin de multiples indicateurs de risque. Les antécédents criminels constituent l’un d’eux, et des meilleurs, mais il existe également d’autres indicateurs ayant le même pouvoir de prédiction.
     Lorsque nous parlons des facteurs de risque...
(1700)
    Dr Bonta, je m’excuse de vous interrompre, mais j’aimerais insister sur le point que vous venez de soulever. S’agissant de ces autres indicateurs, peuvent-ils être présentés à la cour avec un certain degré de fiabilité et de crédibilité par des personnes autres que des psychologues ou des psychiatres?
    Oui, je crois.
    Quelle serait donc la source de cette autre information?
    Les autres indicateurs importants pourraient tout simplement être des évaluations de la réflexion criminelle, des attitudes propices à la criminalité, et pour les élaborer on n’a pas besoin d’être un psychiatre ou un psychologue agréé...
    On pourrait donc faire appel à des psychométriciens ou à des travailleurs sociaux?
    Oui.
     Je pense que dans certains systèmes correctionnels, on pourrait même se servir des simples notes manuscrites provenant de ces professionnels pour évaluer directement la réflexion pro criminelle, pour ainsi dire. Ce que je veux dire c’est qu’on a d’un côté les facteurs de risque, et que l’opposé du facteur de risque constitue une force. Si donc vous êtes sans emploi et que vous prouvez que vous êtes employé, vous avez une force et un facteur de risque. Lorsqu’il y a abus d’alcool ou d’autres drogues, il s’agit d’un facteur de risque; dans le cas contraire il s’agit d’une force.
     Pour essayer donc de répondre à votre question, qu’est-ce qu’un accusé peut dire pour montrer qu’il présente des aspects positifs? Il peut tout simplement chercher à déterminer que les facteurs de risque sont inexistants en ce qui le concerne, et cela peut être vérifié de plusieurs manières, par exemple, par le fait qu’il travaille, ou de toute autre manière que ce soit.
    Mais, à supposer que j’occupe le siège du juge, comment vais-je comprendre la signification de ces autres facteurs sans le témoignage d’un expert?
    J’inviterais le juge ainsi que M. Ménard à assister à une réunion, et ils pourront alors être sensibilisés à l’importance des facteurs de risque. C’est quelque chose que j’ai fait personnellement en allant rencontrer les juges pour leur parler afin qu’ils comprennent la technologie du risque, étant donné qu’ils y font face quotidiennement.
    Vous devriez reconnaître, Dr Bonta, qu’étant donné le nombre limité de demandes que nous avons, et même dans l’hypothèse où ce nombre augmente quelque peu, la probabilité que la plupart des juges aient à faire face à l’une d’entre elles au cours de leur carrière est limitée à un ou deux, si l’on tient compte du fait que la plupart des juges ne sont en fonction que pendant 10 ou 12 ans.
     J’aimerais examiner avec vous un autre problème. S’agissant de la qualité de la preuve que l’on peut présenter devant la cour... Cela pose réellement un problème — et il y a eu tout à l’heure une allusion au fait que vous ayez suivi cela lors de la présentation de l’ACP — et l’un des amendements qui devraient être proposés, c’est d’inclure la disposition selon laquelle une demande pourrait être faite en vue de la désignation de délinquant dangereux dans le cas d’une personne qui, ayant déjà fait l’objet de la désignation de délinquant à contrôler, n’a pas observé les conditions qui s’y rattachent.
    En partant de ce postulat — une demande de désignation de délinquant dangereux a été présentée —, est-ce que la qualité et la quantité des éléments de preuve...? Je suppose que la quantité consisterait en une certaine gradation, étant donné que la personne a été incarcérée pour un certain nombre d’années. Cependant, se pourrait-il que la qualité des éléments de preuve — la certitude de votre évaluation en ce qui concerne la probabilité que cette personne continue indéfiniment d’être un risque pour la société — soit rehaussée en raison du temps que la personne a passé en détention? Je présume que pendant cette période de temps, on aurait entrepris des évaluations et des traitements de manière suivie, ou que des tentatives auraient été faites à cet égard.
     Objectivement, en voyant les choses de l’extérieur, je pense que si une personne avait été détenue — comme dans l’affaire Callow — pendant 20 ans, vous auriez eu longuement la possibilité d’observer, d’évaluer ses aptitudes, le risque qu’il représente pour la société. Un tel élément de preuve serait d’une qualité supérieure à celui qu’on aurait eu si la demande de désignation avait été faite il y a 20 ans, au moment de la condamnation.
    Vous avez environ une minute pour répondre.
    Ne peut-il pas juste dire, oui, mon analyse est exacte, Monsieur le président? Cela nous permettra de gagner du temps.
    En supposant que ce soit oui.
    Je dirai très rapidement oui, la qualité de l’évaluation est rehaussée par le temps mis pour observer le comportement du phénomène étudié. Il y a le temps d’observation. Il y a des possibilités offertes pour s’impliquer dans le traitement ou dans des interactions avec les autres. La collecte de toutes ces informations concourt à l’évaluation générale du risque, aux fins de déterminer dans quelles circonstances ou situation cet individu pourrait constituer une menace sous une forme ou une autre.
    Aussi, pour être tout à fait clair, oui, je pense qu’il est possible que la qualité d’ensemble de l’évaluation soit rehaussée, compte tenu de tout ce qu’on a pu observer pendant toute cette période de temps. Par ailleurs, si une infraction est commise pendant une période de surveillance — voir tous les aspects de l’affaire — cela permet aussi à ceux qui sont chargés de la surveillance de ces personnes de produire des éléments de preuve.
(1705)
    Nous arrêterons là cette intervention.
     Je demanderais à M. Fast de continuer.
    Merci, Monsieur le président, et merci à vous deux d’être venus ici aujourd’hui et de partager avec nous quelques-unes de vos idées sur cette question.
     Monsieur Bonta, j’ai reçu deux études différentes que vous avez rédigées. L’une, celle qui a eu lieu en 2006, a pour titre Tracking High-Risk, Violent Offenders: An Examination of the National Flagging System, et l’autre, The Crown Files Research Project: A Study of Dangerous Offenders, a été menée il y a 10 ans. Dans la première étude, je crois que vous avez fait la déclaration suivante: « Il y a désormais un consensus selon lequel il est possible de prévoir la récidive générale au sein de la population pénale ». Et vous venez juste de le confirmer il y a quelques minutes en disant que les antécédents criminels constituent le meilleur indicateur de la récidive. Ce n’est pas le seul indicateur, mais c’est le meilleur.
     Dans cette première étude, vous avez aussi indiqué qu’environ 300 000 crimes violents ou sexuels sont commis chaque année, que 57 000 d’entre eux sont perpétrés par des délinquants susceptibles de récidiver, mais qu’il n’y a que 30 déclarations de délinquant désigné, ce qui constitue moins de 1 p. 100 de la population récidiviste violente. Je crois que c’est cela l’essentiel du problème posé. Nous avons une assez grande population susceptible de récidiver et nous essayons de faire en sorte que notre législation tienne compte de cela.
     Êtes-vous capable d’affirmer, ne serait-ce que sur un plan général, que si une personne commet un délit une fois — un crime sexuel ou violent —, il y a une plus grande probabilité que cette personne récidive, que si elle commet deux crimes de la même nature, la probabilité de récidive est plus élevée, et qu’en cas d’un troisième délit, la probabilité est encore plus élevée? Êtes-vous prêt à affirmer cela?
    Ce que vous dites est en partie vrai, sur le plan empirique. Si une personne commet une première fois un crime violent sans qu’il y ait d’autres antécédents de ce genre, on pense que la probabilité de récidive est peu élevée. Cela peut paraître surprenant, mais en cas d’un crime violent tout court, sans aucun antécédent, la probabilité de récidive est faible.
     Une fois que le délinquant persiste et commence à avoir des antécédents ou un modèle de comportement violent, le risque s’accroît. Si vous avez commis un crime violent et que vous l’avez fait une fois dans le passé, oui, il y a une plus grande probabilité que vous récidiviez. Si vous l’avez fait deux fois dans le passé, la probabilité augmente encore plus, mais cette progression se fait par faibles incréments. Nos prévisions s’améliorent lorsqu’on commence à considérer les autres facteurs de risque.
    J’ai sous les yeux votre rapport, An Examination of the National Flagging System, où vous mentionnez que 57 000 de ces délinquants coupables de crimes violents et sexuels commis annuellement au Canada sont susceptibles de récidiver.
     Compte tenu de ce que vous venez juste de me dire, parmi ces 57 000, la plupart auront récidivé au moins une fois dans le passé.
    Pour cette donnée en particulier, c’est sûr, vous avez raison.
    Est-ce exact?
    Oui.
    Avez-vous pu lire le texte de notre projet de loi?
(1710)
    Oui.
    Avez-vous pu lire les dispositions sur l’inversion de la charge de la preuve?
    Oui.
    De même que les dispositions qui accordent encore au juge un certain pouvoir discrétionnaire? Exact?
    Oui.
    Êtes-vous en mesure de dire si cette loi est appropriée, compte tenu du risque élevé que représente une personne ayant été condamnée à trois reprises pour un crime sexuel ou violent?
    Je crois que c’est un peu au-delà de ma sphère de compétence en tant que chercheur, dont le rôle, en fait, est de s’intéresser principalement aux preuves que je mets à la disposition de notre groupe des politiques, et c’est à eux que revient le dernier mot en termes d’orientation politique.
    Vous n’êtes pas un avocat de la politique en soi. Est-ce exact?
    Je pense qu’il est important d’avoir une politique et plus particulièrement une politique basée sur les faits, et c’est ce qui justifie ma présence au ministère: aider les responsables concernés à concevoir une politique basée sur les faits.
    Monsieur Motiuk, est-ce aussi votre avis? Avez-vous un commentaire particulier?
    Je crois que j’abonderais dans le même sens que le Dr Bonta, étant donné qu’il reste beaucoup de questions concernant la signification de la charge inversée et des trois condamnations, en tant que définition ou en tant que critères de sélection de ceux qui seront considérés comme étant des délinquants à risque élevé.
    En ce qui concerne l’administration, ou l’évaluation du risque, on s’attendrait à ce qu’elle contribue quelque peu à l’estimation globale du risque.
    Avez-vous examiné la liste des infractions concernées pour déterminer leur gravité, de votre point de vue?
    Non, mais je présume que nombre des infractions qui sont sur cette liste sont de cette nature.
    Très graves.
    Oui, bien sûr.
    Beaucoup d’entre elles le sont.
     Pourrions-nous parler un peu plus du rapport de 2006? Monsieur Bonta, vous vous êtes concentré sur le système national de repérage. Je pense comprendre ce dont il s’agit, en général, mais beaucoup de Canadiens ont le sentiment que, quel que soit le système en place actuellement pour repérer les délinquants dangereux — même si, tout en n’étant pas désignés de cette façon, ce sont des gens qui peuvent être considérés comme présentant un risque de récidive élevé — ce système de repérage ne les a pourtant pas protégés. Ainsi, prenons le cas de Peter Whitmore, c’est l’exemple frappant de quelqu’un qui avait des antécédents d’infractions sexuelles et qui, en fait, avait été condamné à cinq ans de prison. Quand il a bénéficié d’une libération conditionnelle, il a récidivé au moins deux fois, et on l’a trouvé en compagnie de jeunes enfants. Et il y a de nombreux cas semblables que l’on peut citer et qui préoccupent beaucoup les Canadiens.
     En ce qui concerne le système de repérage en tant que tel, pose-t-il certains problèmes que vous avez pu déceler? Y a-t-il des moyens de le renforcer de façon à éviter le genre de situation que le cas de Peter Whitmore a fait ressortir l’an dernier?
    Après avoir fait une évaluation des quatre premières années pendant lesquelles le système national de repérage a été en vigueur, nous avons conclu que ce système était susceptible de permettre d’identifier et de poursuivre 18 fois plus souvent des délinquants qui ont été déclarés dangereux ou à contrôler que s’il n’existait pas.
     Cela dit, il n’est pas parfait. Je pense que les coordonnateurs du système de repérage national le reconnaissent et s’efforcent de l’améliorer. Nous tentons actuellement, dans un contexte de recherche, de trouver des moyens de perfectionner le système national de repérage. Que pouvons-nous faire pour que le repérage de ces délinquants à risque élevé soit plus exact et qu’il permette plus efficacement de les signaler à l’attention des procureurs de la Couronne de façon à ce qu’ils puissent procéder à la désignation appropriée?
    Il va falloir que nous arrêtions là, monsieur Fast.
     Madame Jennings, vous avez la parole pour cinq minutes dans le cadre de ce second tour.
     Merci beaucoup pour votre exposé.
     Étant donné vos connaissances spécialisées dans le domaine de l’évaluation des niveaux de risque pour la collectivité que présentent les gens détenus dans les établissements correctionnels et vu qu’un délinquant déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler fait l’objet d’une évaluation à son entrée dans le système correctionnel — une évaluation qui, comme vous l’avez mentionné, monsieur Motiuk, peut prendre jusqu’à 90 jours, je crois —, j’aimerais vous demander si vous avez des données indiquant que votre évaluation de ces deux catégories de délinquants ou l’évaluation qui est faite de leur cas dans le système correctionnel est incorrecte? Par exemple, prenons le cas de quelqu’un qui a été déclaré délinquant dangereux à la suite d’une évaluation que vous auriez faite ou qui aurait été faite par le Service correctionnel pendant la période de 90 jours, y a-t-il des données indiquant que, vu le niveau de risque et la menace que représente cette personne, elle aurait pu être surveillée dans la collectivité? Et si l’on prend le cas d’un délinquant déclaré délinquant à contrôler à la suite de l’évaluation effectuée par le Service correctionnel au moment de son admission, y a-t-il des données qui indiquent qu’il aurait été plus approprié de le déclarer délinquant dangereux?
     Êtes-vous en mesure de répondre à cette question?
(1715)
    À vrai dire, peut-être que non. Toutefois, en 2002, lorsque j’étais à la tête de la direction de la recherche, nous avons entrepris une étude assez exhaustive, afin d’examiner les caractéristiques des délinquants déclarés délinquants dangereux par opposition à ceux qui avaient été déclarés délinquants à contrôler. Il existait des différences énormes dans certains domaines importants. En fait, une des conclusions de cette étude était que ceux qui étaient déclarés délinquants dangereux par les tribunaux étaient véritablement des délinquants qui posaient des risques élevés. Ils avaient des antécédents de violence — de violence répétée. Et d’après les indicateurs de risque traditionnels censés les désigner comme tels, ils présentaient bel et bien les caractéristiques voulues. Donc, en fonction, disons, d’une échelle de risque, ceux qui étaient censés être… Et ils se distinguaient également de la population carcérale en général.
     Ce rapport est disponible. Il a été publié, et on peut le consulter sur le site Web.
     Il y a une échelle de risque, et ces délinquants se distinguent naturellement de la population carcérale générale par plusieurs autres caractéristiques importantes qui, nous le savons, sont de bons prédicteurs de risque.
     Pour répondre à la question de savoir si, à notre avis, il y en avait qui n’auraient pas dû être déclarés comme tels, à mon avis, non. D’autres peuvent...
    Vous parlez des délinquants dangereux.
    C'est exact.
    Bien, mais ma question portait aussi sur les délinquants à contrôler.
(1720)
    Dans le cas des délinquants à contrôler, ce n’est pas aussi clair. Il faut que nous fassions davantage de recherches dans ce domaine pour comprendre ce groupe. C’est un groupe assez hétérogène à bien des égards. Certains délinquants purgent leur peine dans des établissements sous responsabilité provinciale, et ensuite, aux termes de l’ordonnance de surveillance de longue durée, c’est à nous qu’il revient d’exercer cette surveillance. Je présume qu’ils se distinguent également du reste de la population carcérale. Étant donné que dans ce groupe il y a tellement de cas différents, il serait difficile de dire définitivement oui, ils appartiennent tous à cette catégorie, ou non, ils n’auraient pas dû y être classés. Encore une fois, cela se pourrait. Néanmoins, je pense que cela demande à être approfondi.
     Et ce qui nous a vraiment frappés, c’est que, si l’on se fonde sur ce qui est censé être un indicateur très sûr et très clair, c’est-à-dire une échelle du risque mesuré de nombreuses manières, il y a distinctement trois groupes — les délinquants dangereux, les délinquants à contrôler et les délinquants qui appartiennent à la population carcérale en général.
    Bon. Cela posé, êtes-vous en mesure de faire des observations sur l’incidence…? Vous venez de dire que les recherches montrent clairement que les délinquants dangereux, qui ont été déclarés comme tels, présentent indubitablement un risque élevé et forment un groupe complètement différent, à cause de certaines caractéristiques, du groupe des délinquants à contrôler, ainsi que de la population carcérale en général qui se trouve dans le système correctionnel.
     Dans ce cas, est-ce que l’inversion du fardeau de la preuve qui est créée en vertu du projet de loi C-27…? Il est stipulé que si le procureur demande une évaluation par un spécialiste et que l’ordonnance est délivrée, une fois que le rapport d’évaluation est versé au dossier, si la Couronne demande une audience visant à ce que le délinquant soit déclaré délinquant dangereux, le délinquant en question est automatiquement présumé être un délinquant dangereux. Et le tribunal présumera que le délinquant est un délinquant dangereux à moins que ce dernier ne démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne l’est pas.
     Êtes-vous en mesure de dire que, dans ces conditions, il n’y aurait pas un risque que des délinquants qui, normalement, dans le système actuel, seraient par exemple déclarés délinquants à contrôler soient incapables — parce qu’ils n’ont pas les ressources voulues ou autres — de démontrer que, contrairement à ce qui est présumé, ils ne sont pas des délinquants dangereux? Ils se retrouveraient donc alors classés incorrectement dans une catégorie à laquelle ils n’appartiennent pas en fait.
    Vous avez environ une minute pour donner votre réponse.
    Je sais que certains sont d’avis d’interpréter les données en ce sens. Je veux dire, ces délinquants pourraient ne pas avoir les ressources voulues à cause de certains facteurs de risque. Peut-être ne peuvent-ils pas faire valoir la stabilité d’emploi ou peut-être n’ont-ils pas les ressources nécessaires pour se défendre eux-mêmes. Ce sont des choses dont je ne suis pas sûr.
     Pour répondre à la question de savoir s’il y a une marge d’erreur dans certaines de ces évaluations, nous n’avons pas encore tiré des recherches des conclusions définitives permettant d’établir cela clairement. Y a-t-il un certain nombre de délinquants qui devraient être déclarés délinquants à contrôler? Je ne sais pas. Il faudrait examiner cela en ciblant plus particulièrement ce groupe, parce qu’il y a également certaines caractéristiques communes. Ils posent régulièrement un risque plus élevé. Je ne veux pas que le comité pense qu’il n’y a pas de risque. Il y a certains facteurs de risque qui sont les mêmes que chez les délinquants dangereux, et certains autres qui leur sont particuliers. Et c’est une question que l’on doit résoudre au cas par cas.
    Je vous remercie de votre réponse.
     La parole est maintenant à M. Norlock.
     Je vous remercie, messieurs, du témoignage que vous nous avez donné aujourd’hui. Je le trouve très instructif.
     Monsieur Motiuk, je vois, d’après vos antécédents, que vous avez étudié la psychologie dans son ensemble, pas seulement la psychologie criminelle. Avez-vous fait des études portant sur le comportement humain en général?
    Oui.
    Ne seriez-vous pas enclin à convenir avec moi que nous pouvons étudier le comportement criminel et la probabilité de récidive, mais qu’à titre de législateurs, et lorsque nous examinons différents types de textes législatifs, nous avons aussi la responsabilité de nous intéresser à la victime? Seriez-vous d’accord pour dire qu’il faut que nous fassions cela également?
    Dans la mesure où l’on comprend les modèles de victimisation du délinquant, on peut en tirer des informations très importantes pour l’évaluation du risque. Nous savons cela. Par ailleurs, des recherches nous ont appris que les délinquants dangereux se distinguent des délinquants à contrôler sur le plan de la victimisation, d’après les personnes qu’elles choisissent comme victimes et en tant que groupe. Cela fait partie de la structure que nous avons créée pour délimiter le groupe à étudier, je dois le préciser.
     De fait, la relation avec la victime, ainsi que le nombre et les caractéristiques des victimes sont des éléments importants dans le cadre de l’examen et de l’évaluation du risque chez ces individus, parce que pour établir dans quelle mesure ils sont dangereux, il faut comprendre les circonstances et le contexte qui prédisposent à ces situations. Cela fait partie de l’évaluation du risque.
     Lorsque nous effectuons des évaluations au moment de l’admission des délinquants au sein de la population carcérale, nous recueillons systématiquement des informations à cet égard dans chaque cas, et particulièrement chez ceux qui ont été impliqués dans des actes de violence contre des personnes.
    Très bien. Cela conduit en fait vers deux voies parallèles, et c’est très bien.
     La voie sur laquelle je voudrais m’engager est celle de la victime, par opposition au criminel qui vise une personne en particulier pour en faire sa victime. Lorsque nous avons discuté avec certains autres témoins, l’un d’entre eux en particulier a indiqué que nous devions prendre les victimes en considération — en tout cas, il l’a clairement suggéré.
     Je veux dire que du point de vue des victimes, lorsqu’une personne a eu un comportement antisocial à l’égard non seulement d’un groupe particulier — une question que je vais aborder, je l’espère, si je dispose de quelques minutes —, mais de victimes particulières, il faut que ces victimes puissent tourner la page sur l’acte criminel dont elles ont été la cible. Un des facteurs qui peut aider à tourner la page est de savoir que la personne qui a commis l’acte criminel en question, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, va probablement ne pas pouvoir récidiver, surtout si cette personne a déjà commis cet acte criminel auparavant.
     Bref, je veux dire que le criminel peut être derrière les barreaux — et vous pouvez donner votre opinion là-dessus, s’il vous plaît — en prison, physiquement, mais la victime, elle, se retrouve aux prises avec la peur continuelle d’être à nouveau victime. Je parle des cas graves, comme le viol et la pédophilie, et de leurs répercussions sur la victime qui peuvent durer toute une vie. La victime a besoin de savoir au moins que l’auteur de ces actes, particulièrement si c’est la deuxième ou la troisième fois qu’il les commet, et en l’occurrence, nous parlons de la troisième fois, ne va pas encore commettre ce délit.
     Alors, nous pouvons bien nous préoccuper du fait que nous enfermons quelqu’un physiquement — les conditions mises à part —, mais ne devrions-nous pas nous assurer que nous n’enfermons pas émotionnellement la victime pour le reste de sa vie?
(1725)
    J’aimerais signaler ceci à propos des victimes d’infractions très graves. Il existe certaines dispositions qui les concernent, par exemple, elles sont prévenues lorsque le délinquant en cause est transféré d’un établissement à un autre ou dans un établissement où le niveau de sécurité n’est pas le même ou encore au moment où il est remis en liberté. Les victimes peuvent aussi témoigner lors des audiences de libération conditionnelle, et leurs déclarations sont prises en compte à toutes les étapes du processus d’évaluation du risque posé par les délinquants, ainsi qu’en de multiples occasions durant la période où ils purgent leur peine, lorsque des décisions doivent être prises.
    M. Bonta, peut-être.
    J’aimerais juste ajouter quelques observations générales sur la psychologie de la victimisation. J’ai effectué plusieurs recherches afin d’évaluer des programmes de justice réparatrice dans le cadre desquels les victimes rencontrent les auteurs des actes criminels perpétrés contre elles. Mes lectures sur le sujet m’ont appris une chose: tout comme les délinquants, les victimes n’ont pas toutes les mêmes besoins. Certaines cherchent à résoudre différemment le problème auquel elles font face et dans lequel elles se sentent enfermées à cause de l’acte dont elles ont été victimes.
     Je suis d’accord avec vous: toutes les victimes veulent être sûres d’être en sécurité. Pour certaines, être assurées que le délinquant en cause est enfermé dans une prison où il ne pourra plus faire de mal est suffisant, mais il y a des victimes — j’en ai rencontrées — qui disent: « Cela ne me permet pas de tourner la page. Il faut que je fasse autre chose. » C’est donc un problème très complexe. Dans certaines études, on cite le cas de victimes ou de membres de la famille de victimes, aux États-Unis, qui sont allés dans le quartier des condamnés à mort, rencontrer l’auteur de l’acte criminel en cause, pour pouvoir tourner la page et que leur vie puisse reprendre son cours.
    Pour l’audience aussi, la fin est proche.

[Français]

    Madame Freeman, vous avez la parole pour les cinq minutes qui restent.
    Merci d'être là. J'ai trouvé votre présentation extrêmement intéressante.
    Ma question s'adresse au Dr Bonta.
    Dans votre exposé, vous avez mentionné que dans au-delà de 200 études, on dit qu'il existe des traitements pour prévenir la récidive et que ces traitements peuvent réduire jusqu'à 30 p. 100 le risque de récidive.
    Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet pour qu'on comprenne exactement de quel genre de traitements il s'agit?

[Traduction]

    Alors, en quelques mots, nous savons maintenant que les traitements les plus efficaces ont certaines caractéristiques.
     Premièrement, la puissance et la fréquence de la thérapie doivent correspondre au niveau de risque que présente un délinquant, et par conséquent, les délinquants qui posent les plus grands risques ont besoin de traitements beaucoup plus puissants, administrés sur des périodes bien plus longues. En fait, si l’on administre un traitement puissant à des délinquants qui posent peu de risques, cela n’a pas d’effet sur la récidive ou cela peut même empirer leur cas.
     Deuxièmement, nous savons quels devraient être les objectifs des traitements. Sur quoi les programmes devraient-ils être ciblés en priorité? Il s’agit des facteurs de risque dont je vous ai parlé: pensées propices à la criminalité, réseaux sociaux. On a pensé, à un moment donné, que des choses comme l’estime de soi étaient importantes. Nous savons maintenant que la seule chose que produisent les thérapies axées sur l’acquisition d’une meilleure estime de soi, ce sont des criminels qui ont confiance en eux-mêmes.
     Nous savons aussi, et c’est le troisième facteur important, que les thérapies cognitivo-comportementales sont de loin les plus efficaces. Il y de très nombreuses méthodes de counseling qui s’inscrivent dans le cadre de ce traitement. Si des délinquants à risque élevé suivent un programme ciblé sur ce que nous appelons les besoins criminogènes et sur les facteurs de risque appropriés, et s’il s’agit d’une thérapie cognitivo-comportementale, d’après les travaux de recherche qui portent sur le sujet, on constate, en moyenne, une réduction de la récidive de 30 p. 100 dans le cas où ce genre de programme est donné dans la collectivité. Donné en établissement, le même programme produit une baisse de la récidive d’environ 20 p. 100. Cela nous montre que le programme donne de meilleurs résultats lorsqu’il est offert dans la collectivité par opposition à en établissement.
(1730)

[Français]

    Madame, cela vous suffit-il? Il reste deux minutes.
    Oui, ça va aller.

[Traduction]

    J’aimerais remercier les témoins, ainsi que les membres du comité.
     Cette audience a été, et sera sans doute, la plus agréable que j’ai eue ou que j’aurai l’occasion de présider. Merci beaucoup.
     La séance est levée.