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Je vous remercie beaucoup, monsieur Patry, monsieur Dupuis, ainsi que les membres du comité, de me donner l’occasion de témoigner en rapport avec cette importante question de sécurité publique.
Mon nom est John Muise. Je suis directeur de la Sécurité publique du Canadian Centre for Abuse Awareness. À l’intention de ceux que je n’ai pas encore rencontrés, je suis un policier à la retraite et j’ai mis fin, l’an dernier, à une carrière de 30 ans à titre de policier au Service de police de Toronto.
Durant les six ou sept dernières années, j’ai été détaché à titre de membre du bureau consultatif pour les services aux victimes d’actes criminels de l’Ontario, un organisme consultatif du gouvernement provincial sans lien de dépendance. Nous formulons des conseils sur la sécurité publique, la réforme du droit criminel et l’appui aux victimes de crimes à l’intention d’un certain nombre de procureurs généraux et d’autres membres du cabinet.
Le CCAA est un organisme caritatif non gouvernemental créé en 1993. Grâce à l’aide qu’il apporte aux victimes de la violence faite aux enfants, l’organisme s’efforce de faire de la sensibilisation quant aux véritables coûts de la négligence. Le CCAA, qui a son siège à Newmarket, en Ontario, au nord de Toronto, est dirigé par un groupe dévoué d’employés et de bénévoles qui assurent un appui à 70 organismes partenaires. Que ce soit en concrétisant les rêves d’un enfant, en aidant les victimes de crimes, en élaborant des programmes et en créant des ressources pour la prévention des mauvais traitements ou en revendiquant publiquement des modifications à la loi — c’est là mon rôle —, le CCAA s’est engagé à mettre un terme aux abus envers la personne.
Il y a quelques années, le CCAA a reçu une subvention gouvernementale pour faire le tour de la province de l’Ontario — en fait, c’est ainsi que je les ai rencontrés — pour mener une étude en table ronde afin d’explorer la meilleure façon d’améliorer le système de justice pénale de manière à accroître la sécurité publique et à protéger les enfants. Dans le cadre de leur tournée de la province, les représentants du CCAA ont parlé à 150 spécialistes de première ligne en justice pénale, à des victimes de crimes, à des survivants de mauvais traitements et à d’autres personnes intéressées.
Ces démarches ont débouché sur la publication d’un rapport. Celui-ci a été baptisé le rapport Martin's Hope en témoignage à Martin Kruze, un survivant adulte. Il fut une jeune victime innocente du scandale d’exploitation sexuelle du Maple Leaf Gardens. Dans une démarche courageuse, Martin a révélé publiquement les sévices dont il avait été victime aux mains de leur auteur. Par la suite, des condamnations ont été inscrites en rapport avec de nombreuses infractions pour exploitation sexuelle d’enfants, mais seulement quatre jours après le prononcé de la sentence d’un des accusés, qui a été condamné à seulement deux années moins un jour en maison de correction, Martin s’est tragiquement enlevé la vie. Même s’il était trop tard pour Martin, la sentence du contrevenant a été portée à cinq ans lors de l’appel.
Cet événement s’est révélé le point tournant pour le CCAA. Les membres de cet organisme ont mené leur étude qui a conduit à la publication du rapport Martin's Hope, qui comporte 60 recommandations visant des modifications — 39 s’adressent au gouvernement fédéral et 21 au gouvernement provincial de l’Ontario. Le rapport a été rendu public en novembre 2004 au quartier général de la police de Toronto.
Nous nous réjouissons de l’occasion qui nous est donnée de déposer ces mémoires. Comme on l’indique dans la préface, le rapport Martin's Hope du CCAA formule 60 recommandations. On y retrouve, entre autres, des recommandations relatives aux délinquants dangereux, aux délinquants visés par une surveillance de longue durée et aux ordonnances en vertu de l’article 810 ou aux engagements de ne pas troubler l’ordre public.
Sept des recommandations formulées dans le rapport sont pertinentes et nous les avons reprises dans un mémoire que j’ai transmis électroniquement au greffier, M. Dupuis, hier soir. Je suppose que vous pourrez le consulter, une fois qu’il aura été traduit. Je me fonde sur ce mémoire aujourd’hui.
Trois recommandations s’appliquent plus particulièrement à l’amendement proposé dans ce projet de loi; plusieurs autres sont accessoires et nous les avons incluses dans le mémoire.
Notre recommandation 8-5 demandait au gouvernement fédéral de modifier les articles 810.2 et 810.1 du Code criminel afin de prolonger jusqu’à concurrence de cinq ans la durée de l’ordonnance tout en prévoyant un processus permettant à la personne tenue de contracter un engagement de demander une révision judiciaire annuelle quant au maintien de l’ordonnance ou à sa modification.
Nous avons également formulé une recommandation 8-6 visant à assortir de conditions particulières les ordonnances d’engagement, y compris l’obligation de résider dans un lieu approuvé et, au besoin, de résider dans un établissement communautaire et de se soumettre à une surveillance électronique.
Une autre recommandation qui porte plus particulièrement sur ce projet de loi est la recommandation 8-9 qui demande au gouvernement fédéral d’amender l’article 753.1, les dispositions du Code criminel relatives aux délinquants dangereux, pour s’assurer que le tribunal porte une attention particulière à toute tendance que pourrait avoir le délinquant d’avoir un comportement répétitif en rapport avec la violation des conditions d’une ordonnance, y compris toute forme de mise en liberté sous conditions, notamment la mise en liberté des délinquants visés par une surveillance de longue durée, et que le tribunal porte une attention particulière aux situations où ces infractions ont donné lieu à une victimisation directe.
Comme vous pouvez le constater dans cette recommandation, l’amendement proposé par le CCAA obligerait les juges à porter une attention particulière à tout comportement répétitif. Nous sommes encouragés par le fait qu’un tel amendement portant sur la contravention des ordonnances à long terme est proposé par certains parlementaires, y compris des membres de ce comité, et nous encourageons ce comité et ses membres à donner suite à un amendement de cette nature dès maintenant, dans le cadre du présent projet de loi, ou plus tard.
Nous remarquons que certains procureurs généraux ont réclamé un amendement de cette nature, et que l’honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice, a indiqué, dans le cadre de son témoignage devant le présent comité, que son ministère explore activement cette possibilité.
Plusieurs des participants à notre table ronde avaient d’abord réclamé un amendement dit « de la troisième faute », selon lequel trois crimes graves donnant lieu à trois peines graves entraîneraient automatiquement la désignation de délinquant dangereux. Franchement, nous n’avions pas pensé à une disposition de renversement du fardeau de la preuve telle qu’elle est présentée dans le projet de loi de sorte que la recommandation que je viens de vous lire, formulée au point 8-9, constitue ce que nous jugions être un compromis acceptable, compatible avec l’article 1 de la Charte. Nous n’avions pas pris en compte la disposition de renversement du fardeau de la preuve comme elle est envisagée dans ce projet de loi, et nous félicitons le gouvernement et le ministère de la Justice de la créativité dont ils ont fait preuve en formulant cette proposition particulière d’amendement.
Pour le CCAA, l’amendement des mesures législatives visant les délinquants dangereux est simple. Nous espérons étendre la portée de la loi pour qu’elle s’applique à un plus grand nombre de délinquants dangereux que ce n’est le cas présentement et, bien sûr, de la faire dans le respect des critères constitutionnels.
Nous croyons que l’amendement proposé dans le trouve sa justification par rapport à l’article 1 de la Charte dans l’affaire Oakes, entendue en Cour suprême du Canada en 1986 — je ne crois pas qu’il s’agit d’une affaire qui a été mentionnée devant ce comité jusqu’à maintenant, mais je n’en suis pas certain — selon laquelle la cour a stipulé que les mesures utilisées doivent être équitables plutôt qu’arbitraires, proportionnées à l’objectif et, à la limite, les moins dérangeantes possible tout en réalisant l’objectif.
Examinons ce libellé dans le contexte du .
Est-ce équitable? Le projet de loi C-27 définit un ensemble restreint d’infractions graves, d’infractions primaires, où le délinquant a déjà été reconnu coupable deux fois, et condamné à purger une peine fédérale dans les deux cas, et doit maintenant se voir imposer une sentence pour la troisième fois en rapport avec une autre infraction primaire. Cela est déjà assez grave. La plupart, sinon l’ensemble, de ces délinquants auront des dossiers bien chargés qui comprennent souvent un grand nombre d’autres condamnations. Le CCAA croit que le projet de loi C-27, à cet égard, passe le test de l’équité.
Est-ce proportionné? Le but de la loi est d’incarcérer pour une période indéterminée les délinquants qui représentent un danger pour la société. Le projet de loi, selon le ministère de la Justice, inclurait dans ce processus environ 25 délinquants de plus par année, doublant possiblement le nombre actuel de délinquants actuellement estimé à 25, plus ou moins. Sur une population d’environ 30 millions d’habitants, dont la moitié sont des hommes — et les hommes sont ceux qui sont déclarés délinquants dangereux — cela ne représente qu’une infime portion de la population. C’est également une infime portion de la population criminelle et même de la population des détenus. La liste des infractions primaires nous assure qu’aucun voleur de pacotilles ne sera entraîné dans l’application de ces mesures.
Est-ce arbitraire et est-ce que cela répond au principe de la mesure la moins restrictive et la moins interventionniste? Si la disposition relative au renversement du fardeau de la preuve entraînait automatiquement la désignation de « délinquant dangereux », tout comme la loi dite « de la troisième faute », on pourrait l’affirmer. À notre avis, la mesure de protection contenue dans le se retrouve au paragraphe 3(2) qui traite l’amendement proposé de la même manière que la loi actuelle sur les délinquants dangereux, et selon laquelle il incombe au juge de décider s’il est souhaitable de placer le délinquant dans un contexte de surveillance de longue durée. Je crois donc que le principe, tel qu’il est présenté dans l’affaire Johnson, c'est-à-dire que le juge doit envisager des mesures moins restrictives lorsqu’elles sont indiquées, s’applique à cet amendement.
En outre, l’affaire Mack confirme que la preuve au-delà de tout doute raisonnable ne s’applique qu’à la question de culpabilité ou d’innocence de l’accusé, et dans l’affaire Lyons, le droit de présomption à l’innocence ne s’applique pas en rapport avec les audiences visant à faire déclarer un délinquant dangereux. Après tout, ces hommes sont déjà jugés coupables.
Qui sont ces délinquants et qui est susceptible d’être touché? Pour la plupart, ces délinquants ont été reconnus coupables à de nombreuses reprises et pour des motifs variés, probablement depuis de nombreuses années, et la grande majorité d’entre eux sont des délinquants sexuels.
Une affaire récente qui a fait les manchettes est celle de Paul Douglas Callow dont les antécédents criminels ont en grande partie été rendus publics. M. Callow est aussi connu sous le nom du violeur des balcons.
Le casier de M. Callow remonte au début des années 1970 et fait état d’un grand nombre de condamnations pour des infractions contre les biens et pour des crimes violents, y compris l’introduction par effraction et des voies de fait. M. Callow a aussi été reconnu coupable de vagabondage la nuit ou de voyeurisme.
Il a également été reconnu coupable de viol, ce qui, comme le savent la plupart d’entre vous, est une condamnation historique pour agression sexuelle avec pénétration. Elle serait comptée parmi les infractions primaires — et constituerait donc la première pour laquelle il a été condamné à quatre ans de réclusion. C’est une infraction pour laquelle il a été réincarcéré pour violation des conditions de la liberté surveillée, maintenant connue sous le nom de libération d’office.
Enfin, il a été reconnu coupable, en 1987, de cinq chefs d’agression sexuelle armée qui constituent des infractions primaires et il a été condamné à un total de 20 ans d’emprisonnement pour ces cinq condamnations. Étant donné le danger qu’il représentait, il a été incarcéré pour la durée entière de sa peine et remis en liberté à l’expiration du mandat en février dernier. Depuis sa libération, il fait l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 810.2 et a fait beaucoup parler de lui dans les actualités.
Plus d’un se demande pourquoi ce délinquant n’a pas déjà été déclaré dangereux, mais il en est effectivement ainsi. La prochaine fois qu’il commettra une agression sexuelle, qui serait considérée comme une infraction primaire applicable, la disposition de renversement du fardeau de la preuve du projet de loi s’appliquerait, dans son cas en particulier.
Je crois que c’est là une bonne chose. Le CCAA est d’avis que cela serait tout à fait pertinent. Nous croyons que M. Callow représente assez bien le type de délinquant qui serait visé par ces mesures législatives.
Qu’en est-il des dispositions du projet de loi concernant l’engagement de ne pas troubler l’ordre public? Comme je l’ai expliqué plus en détail plus tôt dans ma présentation, le CCAA a demandé à la fois la prolongation de la durée et que le Parlement précise dans la loi les types de conditions qui conviennent à l’élaboration de ces ordonnances. Notre expérience avec les types de délinquants faisant l’objet de ces ordonnances, plus particulièrement les délinquants sexuels et les agresseurs sexuels d’enfants, nous ont poussés, à l’origine, à recommander dans notre rapport Martin's Hope une période de cinq ans plutôt que de deux ans, telle que proposée, avec la possibilité que l’individu faisant l’objet de l’ordonnance puisse se présenter pour faire réduire la durée de l’ordonnance ou la modifier s’il ne représente plus un danger pour la collectivité ou si le danger est réduit. En outre, nous avons proposé un certain nombre de conditions particulières à inclure dans la loi, notamment celle de la surveillance électronique.
Nous sommes très satisfaits de la spécificité de la liste des conditions telle que proposée et nous ne voyons aucune obligation de la modifier. Lorsque l’on tient compte du fait que ces ordonnances sont, pour la plupart, réservées aux délinquants comme Paul Callow — et ne serait-il pas bien s’il était muni d’un bracelet de surveillance électronique — y compris une gamme plus vaste de conditions, en particulier la surveillance électronique, cela pourrait, comme la portion de ce projet de loi relative aux délinquants dangereux, avoir des répercussions favorables sur la sécurité publique.
Nous croyons comprendre que cette partie du projet de loi jouit d’un appui considérable au sein du présent comité et chez les parlementaires. Cela dit, nous ne nous attarderons pas à sa validité législative ou constitutionnelle.
En conclusion, le CCAA appuie le projet de loi tel que rédigé. Nous croyons qu’il est raisonnable et proportionné et aidera à accroître la sécurité du public. Comme nous l’avons recommandé auparavant, la violation d’une ordonnance judiciaire, y compris les ordonnances de délinquant visé par une surveillance de longue durée, devrait constituer un facteur qui incite le juge à porter une attention particulière à sa décision de déclarer ou non un individu délinquant dangereux.
Nous sommes ravis des échanges qui ont eu lieu dans le cadre du présent comité et ailleurs concernant le fait de considérer cela comme un déclencheur éventuel pour ramener un individu devant le juge afin qu’il soit déclaré « délinquant dangereux ». Nous sommes encouragés par le fait que vous partagiez cette opinion. Encore une fois, nous vous encourageons, soit en en faisant un ajout complémentaire au présent projet de loi ou dans le cadre d’une prochaine loi, à envisager ce type d’amendement, mais non à titre de remplacement de l’article tel que rédigé.
Pour ce qui est de la durée des soi-disant ordonnances en vertu de l’article 810, nous vous enjoignons d’envisager cinq ans plutôt que les deux ans proposés actuellement.
D’une façon ou d’une autre, le CCAA est d’avis que le projet de loi devrait être adopté et, même si nous accueillons favorablement les amendements qui peuvent renforcer le projet de loi, cela ne devrait pas retarder son adoption ou compromettre son intégrité par l’ajout des amendements de déclenchement discutés pour remplacer l’amendement actuel concernant le renversement du fardeau de la preuve.
Merci beaucoup de l’occasion que vous nous avez donnée de témoigner. J’attends avec plaisir vos questions.