propose que le projet de loi , soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
-- Monsieur le Président, je suis heureux de prendre la parole sur ce projet de loi.
Leona Freed est une amie qui a été victime de violence physique de la part de son ex-mari. Toutefois, comme elle avait trois enfants, elle est restée avec son mari cinq ans, avant de finalement partir. Pour un grand nombre de femmes, le fait de mettre un terme aux mauvais traitements qu'elles subissent marque le début d'une nouvelle vie. Dans un tribunal de la famille, les biens sont partagés également et le juge tranche les questions liées aux pensions alimentaires.
Toutefois, cela n'a pas été le cas pour Leona. Le fait de quitter son mari lui a causé des problèmes encore plus importants. Le droit de la famille ne s'appliquait pas dans le cas de Leona, et il ne s'applique toujours pas à un grand nombre de femmes comme elles, à cause du lieu où les mauvais traitements ont été infligés. Dans le cas de Leona, c'était dans une réserve autochtone appelée Hollow Water, à environ deux heures de route au nord de Winnipeg.
Personne n'était là pour protéger Leona, pas même la loi. Il n'y a qu'une poignée de réserves, sur les 600 ou plus qui existent au Canada, qui ont des lois sur les biens matrimoniaux. Dans nos réserves indiennes, qui sont en majorité des réserves patrimoniales, c'est littéralement la politique du chacun pour soi.
Lorsqu'un mariage prend fin, il n'existe aucune règle pour assurer un traitement équitable ou une protection adéquate à la partie vulnérable, qui est le plus souvent la femme. La législation provinciale s'applique uniquement à l'extérieur des réserves. Les règles diffèrent quelque peu d'une province à l'autre, mais au moins il y a des règles en place pour garantir la protection des droits de chaque partie.
Les réserves du Canada relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, mais la Loi sur les Indiens ne prévoit rien relativement à cette question, de sorte que nous avons un problème, ou du moins les femmes autochtones ont un problème. Par conséquent, nous ici devrions nous occuper de cette question.
Lorsque leur relation prend fin, ces femmes se retrouvent dans une zone d'incertitude juridique qu'elles ne devraient jamais connaître.
Le problème est-il nouveau? Non, il n'est pas nouveau. En 1988, une commission d'enquête sur la justice autochtone au Manitoba recommandait la prise de mesures face à cette situation, tout comme un bon nombre d'autres groupes, qui incluent, entre autres: la fameuse Commission royale sur les peuples autochtones, en 1997; le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies qui, en 1998, soulignait l'absence de droits sur les biens matrimoniaux pour les Autochtones et nous implorait de prendre des mesures à cet égard; le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, dans son rapport provisoire publié en 2003 et intitulé Un toit précaire: Les biens matrimoniaux situés dans les réserves, qui demandait la prise immédiate de mesures; et le Comité permanent des Affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes qui, en 2005, recommandait lui aussi que des mesures soient prises.
Le ministre des Affaires indiennes et le gouvernement ont entrepris un processus consultatif en collaboration avec l'Assemblée des Premières Nations et l'Association des femmes autochtones du Canada. C'est admirable, comme l'a été tout ce qui s'est fait dans le passé en termes de rapports, études, audiences, commissions, consultations, groupes de travail et comités. Malheureusement, aucune de ces initiatives n'a donné lieu à des mesures concrètes et les femmes autochtones demeurent victimes d'injustices. De plus, malgré les bonnes intentions du ministre, il est possible que d'autres facteurs, comme la tenue d'une autre élection fédérale, entraîne de nouveaux délais.
Les journalistes s'intéressent à cette question. Un article est d'ailleurs paru dans le Globe and Mail cette semaine. Voici ce que John Ibbitson a déclaré au sujet des consultations:
Tout ce que nous pouvons espérer, ce sont des progrès sur lesquels le prochain gouvernement pourra s'appuyer pour arriver à de véritables réformes à l'avenir. L'expérience nous porte cependant à croire que nous assisterons à une succession d'échecs.
On peut légitimement douter que des mesures seront prises à la suite des consultations. Le projet de loi vise à passer de l'inaction à l'action. Il étendrait l’application des lois provinciales en matière de biens matrimoniaux aux réserves et fixerait des règles provisoires en attendant que le gouvernement fédéral prenne des mesures ou que les Premières nations élaborent leurs propres codes conformes à la Charte. Autrement dit, le projet de loi instaurerait la primauté du droit là où ce concept n'existe pas.
C'est exactement ce que les comités du Sénat et de la Chambre ont recommandé à l'unanimité, mais certains invoqueront des arguments qui entraîneront d'autres délais. Les détracteurs du projet de loi feront valoir que le dossier est compliqué. Ils ont entièrement raison. On invoque depuis longtemps l'argument de la complexité pour miner le droit à l'égalité et les droits de la personne pour les Autochtones. Mettre un terme aux souffrances personnelles des Autochtones du Canada devrait être une motivation suffisante pour agir.
De toute évidence, c'est l'avis du Winnipeg Free Press, dont l'éditorial du 16 octobre disait:
Les détails pratiques de l'application de la loi sont complexes; bien des habitants de la réserve vivent sous le seuil de la pauvreté et n'ont aucun accès aux tribunaux ou aux avocats. Il est grand temps que les hommes et les femmes des Premières nations puissent se prévaloir du même recours juridique de base que les autres Canadiens lorsque leur mariage échoue. Des dizaines d'années de complications juridiques et d'études ne suffisent peut-être pas à [la députée de Winnipeg-Centre-Sud]. Les Autochtones attendent une telle loi depuis trop longtemps.
Je partage ce point de vue.
Il est évident que certains chefs autochtones veulent conserver le pouvoir qu'ils détiennent en l'absence de lois régissant les biens matrimoniaux. Ils sont d'avis qu'ils sont les mieux placés pour prendre des décisions sur l'attribution des biens dans le meilleur intérêt collectif des membres de la bande. Pourtant, de nombreux autres chefs savent que l'officialisation et la dépolitisation de ces décisions sont dans le meilleur intérêt des personnes, des chefs et des conseils. Malgré cela, certains veulent jouer une partie de ping-pong juridique avec cette question. Ils prétendent que la collectivité devrait établir ses propres codes. Voici ce que j'en pense.
Premièrement, ce projet de loi respecte les aspirations des Premières nations en matière de gouvernance. Il prévoit des mécanismes intérimaires de protection en attendant que les collectivités puissent se prendre complètement en main et prendre les décisions appropriées sur la façon de procéder.
Deuxièmement, il ne s'agit pas d'un dossier nouveau, car cette question préoccupe les réserves depuis des années. Pourtant, seulement un petit nombre de celles-ci ont élaboré des règles sur les biens matrimoniaux. Sans les mesures appropriées, les Autochtones, en particulier les femmes, risquent d'attendre encore bien des années avant d'obtenir justice.
Troisièmement, pourquoi faudrait-il réinventer la roue? Un certain nombre de chefs autochtones à qui j'ai parlé reconnaissent ouvertement qu'ils ont bien d'autres dossiers prioritaires à régler, notamment ceux de la qualité de l'eau, du développement économique et des problèmes sociaux. Leurs ressources sont limitées. Emprunter et appliquer les codes provinciaux temporairement ou même définitivement, comme certaines bandes ont dit vouloir le faire, serait à la fois rentable et approprié.
Certains chefs et conseils cherchent actuellement à obtenir des exemptions aux interdictions de fumer provinciales. Je suis au courant de deux cas au Manitoba et en Saskatchewan et on me dit qu'il y en a d'autres. Cela s'applique notamment à des projets envisagés par certaines bandes dans le domaine du jeu. Ces bandes s'inquiètent sûrement des questions de compétence inhérentes au fait d'adopter une certaine catégorie de codes provinciaux et d'en rejeter d'autres. Je demande instamment à ces chefs de donner la priorité à l'égalité des droits des membres de leur bande plutôt qu'aux recettes du jeu. Cela n'est pas une perspective réjouissante.
L'édition de cette semaine du Hill Times contient un article dont le grand chef Phil Fontaine est l'auteur. Il y est écrit que:
[...] après une décennie de recherches, l'Université Harvard n'a pas réussi à dégager un seul exemple de développement durable qui n'implique pas la reconnaissance et l'exercice de la souveraineté tribale: l'affirmation par les tribus de leur droit et de leur capacité de se gouverner elles-mêmes.
Beaucoup de députés appuient cela. Toutefois, les progrès visant l'autonomie gouvernementale des Autochtones sont entravés par des inquiétudes très répandues à propos de la responsabilisation. Ces inquiétudes découlent d'histoires de dépenses non justifiées et d'abus de pouvoir ainsi que d'exemples fréquents de malaise social dans les réserves. Ces préoccupations existent à l'intérieur comme à l'extérieur des réserves. Les Autochtones comme les non-Autochtones ont ces inquiétudes. La question, c'est comment remédier à ces problèmes de gouvernance dysfonctionnelle.
M. Fontaine a ensuite dit: « En fin de compte, le pouvoir vient du peuple ». Mais est-ce possible quand les gens ont peur de parler? L'absence de droits de propriété chez les Autochtones nuit à leur volonté et à leur capacité de parler lorsqu'ils constatent des actes répréhensibles ou qu'ils en font l'expérience directe.
À juste titre, de nombreuses femmes autochtones vont s'opposer à l'autonomie gouvernementale tant et aussi longtemps que leurs droits ne seront pas protégés. Elles et tous les Canadiens doivent avoir l'assurance qu'il y a un système de freins et de contrepoids pour contrebalancer les abus de pouvoir éventuels par les dirigeants communautaires. L'établissement de règles relatives aux biens matrimoniaux dans les réserves est bénéfique sur le plan de la responsabilisation, car ces règles remplaceraient un processus décisionnel qui peut être discrétionnaire et arbitraire par un processus clair et apolitique.
Une nation souveraine ne peut exister sans des individus souverains. Cinq cent mille femmes autochtones assurées du respect de leurs droits peuvent accomplir ce que 5 000 bureaucrates fédéraux ne pourront jamais faire: améliorer la gouvernance et accroître la reddition de comptes dans les réserves du pays.
Je demanderais aux députés, au nom des Canadiens qu'ils représentent, d'appuyer ce projet de loi lorsque la Chambre en sera saisie de nouveau au début de l'année prochaine.
Lorsqu'elle a dû se battre pour protéger ses enfants et ses biens, Leona Freed était seule et sans protection. Nous avons maintenant l'occasion de protéger Leona et des milliers de femmes autochtones comme elle et de reconnaître les droits des Autochtones en matière de biens matrimoniaux. L'adoption de ce projet de loi nous permettrait d'unir nos forces pour défendre les intérêts des femmes autochtones du Canada.
Les députés se demandent peut-être pourquoi je soulève cette question alors que le gouvernement a déjà entrepris un processus de consultation. C'est un dossier que je défends depuis longtemps. J'ai visité plus de 100 collectivités des Premières nations à titre de porte-parole de mon parti lorsque nous étions dans l'opposition. Comme plusieurs de mes collègues, j'ai personnellement entendu le récit d'histoires tragiques, de grandes difficultés et d'épreuves qui m'ont été racontées par des femmes qui ont vécu ces moments difficiles, qui ont été des victimes, qui ont été maltraitées et qui ont été chassées de leur maison et de leur réserve. Encore aujourd'hui, alors que nous nous penchons sur ce projet de loi, rien n'a changé.
Dans une société où trop de gens se prétendent à tort victimes de toutes sortes de situations, les femmes autochtones sont réellement victimes d'une injustice intolérable, une situation qui contrevient aux dispositions de notre Charte à l'égard du droit à l'égalité et à l'article 35 de la Loi constitutionnelle.
Chers collègues, notre choix est clair. Nous pouvons laisser cette injustice se poursuivre ou nous pouvons y mettre un terme en adoptant ce projet de loi.
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Monsieur le Président, en ma qualité de femme de la Première nation des Cris de Norway House et, du côté de ma mère, de la Première nation de Muskrat Dam, je me sens particulièrement privilégiée de pouvoir participer au débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi parrainé par le député de .
Ce projet de loi a pour objet de modifier l'article 90 de la Loi sur les Indiens, lequel porte principalement sur les immeubles et biens réels matrimoniaux, afin d'étendre l'application du droit provincial régissant les biens matrimoniaux aux terres de réserve.
L'expression biens matrimoniaux désigne la maison familiale et le terrain sur lequel elle a été bâtie, et c'est en vertu des lois provinciales que s'effectuera le partage des biens en cas de rupture d'union ou de divorce.
En apparence, le but recherché est de traiter avec doigté d'un sujet délicat. Des situations conflictuelles concernant des biens matrimoniaux, il va sans dire que tous les Canadiens en vivent et les membres des Premières nations aussi, naturellement.
Comme le projet de loi vise à modifier un élément de la Loi sur les Indiens, je compte sur mes collègues parlementaires pour qu'ils prêtent attention aux aspects entourant le projet de loi dans toute leur complexité.
Ce n'est pas d'hier qu'il est urgent de se pencher sur la question des biens matrimoniaux sur les terres des Premières nations. En effet, le vide juridique en cette matière a été mis au jour il y a plus de 20 ans par les décisions de la Cour suprême dans Derrickson c. Derrickson et Paul c. Paul. Ces décisions ont eu pour effet de faire en sorte que les lois provinciales et territoriales régissant le partage des bien matrimoniaux en cas de rupture d'union ne s'appliquent pas sur les terres de réserve.
Comme mon collègue l'a signalé, cette question a fait l'objet de maints rapports et de délibérations du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord. Celui-ci a d'ailleurs publié en juin 2005 un rapport final intitulé: Pour résoudre ensemble la question du partage des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
Depuis lors, l’Association des femmes autochtones du Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada et l'Assemblée des Premières Nations s'efforcent de trouver une solution.
J'aimerais rappeler au député de quelques considérations clés. Premièrement, il y a les droits ancestraux et les droits issus de traités. Les tribunaux ont confirmé l'existence de tels droits sur les terres de réserve et, par conséquent, ceux-ci sont protégés en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle. Il s'agit là du point de départ à toutes discussions ayant pour but de remédier au vide juridique actuel.
Des causes récentes ont permis de confirmer le fait que le gouvernement fédéral ne peut pas décider unilatéralement d'édicter des lois qui risquent de porter atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités ou encore à des intérêts autochtones; il doit d'abord consulter les Premières nations.
Il y a eu reconnaissance juridique de la compétence des Premières nations en matière d'utilisation des terres dans les réserves. De plus, en ce qui concerne le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, il faut reconnaître la compétence des Premières nations en matière de droit de la famille. Le contraire porterait atteinte au droit des Premières nations à l'autonomie gouvernementale, tel qu'il est reconnu par la Constitution du Canada.
En outre, en mai 2005, une entente a été signée entre l'Assemblée des Premières Nations et le précédent gouvernement fédéral libéral. Cette entente est connue sous le nom d'« Accord politique entre les Premières nations et la Couronne fédérale portant sur la reconnaissance et la mise en oeuvre des gouvernements des Premières nations ». Elle a établi un nouveau cadre de travail en vue de la mise en place d'un processus de développement conjoint d'une politique fédérale qui garantirait la participation des Premières nations.
Le projet de loi ne mentionne absolument pas ces processus conciliatoires essentiels et ces mécanismes juridiques.
Compte tenu des difficultés passées et présentes vécues par les Premières nations du Canada, je crois qu'il serait extrêmement improductif d'aller de l'avant avec un projet de loi qui n'est pas le produit d'un effort coopératif et conjoint fructueux.
Si le député a effectivement l'intention de s'attaquer aux graves problèmes auxquels sont confrontés les femmes et les enfants autochtones, il m'est alors difficile de comprendre pourquoi il n'a pas appuyé la motion présentée à la Chambre par le député de demandant que soit honoré l'accord de Kelowna, intitulé « Premiers ministres et dirigeants autochtones nationaux - Renforcer les relations et combler l’écart ». Cet accord a été conclu entre les premiers ministres et les dirigeants autochtones de ce pays, y compris l'Association des femmes autochtones du Canada, l'Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis.
L'accord de Kelowna constituait une première étape qui aurait permis de dégager plus de 5 milliards de dollars pour s'attaquer à des dossiers cruciaux touchant les femmes et les enfants autochtones, y compris leurs besoins quotidiens urgents dans ces secteurs: logement, eau potable, éducation, santé et constitution de ressources en santé, développement économique, et examen des structures de gouvernance, ce qui est absolument indispensable pour que les Autochtones accèdent à l'autonomie gouvernementale. J'ajouterai que cela est un facteur déterminant pour la santé des Autochtones.
Les solutions doivent venir des gens eux-mêmes et, plus tôt cette année, le 21 juin, le a annoncé la tenue de consultations pancanadiennes sur les biens immobiliers matrimoniaux. Ces séances de dialogue régionales sont nécessaires et constituent une façon de parvenir à une solution valable et durable.
J'encourage le député à examiner les conséquences d'un effort pour remplacer un processus qui est en cours. En fait, j'encourage tous les députés à tenir compte de l'importance de ce processus pour assurer la participation des Premières nations et des femmes autochtones à cette initiative de collaboration avec le gouvernement fédéral. Pour accroître le plus possible l'intégrité des consultations et mettre l'accent sur l'intention véritable des séances de dialogue régionales, et pour veiller à ce que les consultations se déroulent en toute bonne foi, j'estime qu'il n'est pas judicieux d'étudier ce projet de loi plus longuement.
Bien que j'appuie un règlement du dossier, je peux assurer à la Chambre que le projet de loi nuit au processus juridique qui est en cours. Pour réitérer mon point de vue et pour terminer, je dirai que, par respect pour le processus qui est en cours entre Affaires indiennes et du Nord Canada, l'Association des femmes autochtones du Canada et l'Assemblée des Premières nations, je ne peux trouver aucun argument positif à l'appui de ce projet de loi.
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Monsieur le Président, j'ai écouté avec attention ce que ma collègue vient de dire, et j'irai un peu plus loin qu'elle. D'abord, je tiens à dire que je suis entièrement d'accord avec elle. Je veux cependant parler de quelque chose.
Le problème a commencé en 1986, lorsque la Cour suprême a eu à se prononcer dans deux décisions: Derrickson c. Derrickson et Paul c. Paul. Je résumerai ces deux causes ainsi: les biens des Autochtones, les biens qu'ils accumulent en couple dans une réserve sont-ils saisissables, oui ou non?
C'est sur cela que la Cour suprême a dû se prononcer. Il est dit que:
[...] la Cour suprême du Canada a statué que puisque les réserves relèvent de la compétence fédérale, en conformité avec le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, les lois provinciales ne peuvent s'appliquer pour modifier les intérêts individuels dans les terres de réserve. Toutefois, des ordonnances d'indemnisation qui tiennent compte de la valeur des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et les formules utilisées par les provinces pour le partage des biens peuvent être utilisées.
Je vais vous traduire cela en français. Cela signifie qu'on ne peut pas saisir les biens qui sont dans une réserve, mais qu'on peut rendre une indemnisation, rendre un jugement qui ferait en sorte que madame obtienne un jugement de la cour basé, par exemple, sur l'évaluation des biens du couple. Je dis madame, parce que c'est généralement, à 90 p. 100, des femmes qui obtiennent des jugements de la cour. Prenons l'exemple d'un couple qui a un dépanneur dans une réserve, un commerce qui vaut un million de dollars, que madame et monsieur ont fait ensemble. Un problème matrimonial survient. La cour dit qu'on ne peut pas faire vendre les biens qui sont dans la réserve, mais qu'on peut en faire l'évaluation et fixer le montant de la pension alimentaire ou de l'indemnisation que versera monsieur.
Le problème c'est qu'on ne peut pas faire vendre les biens que possède un couple dans une réserve. C'est là que se situe le débat. Je le disais précédemment dans ma question à mon honorable collègue.
Son projet de loi part d'une très bonne intention. Nous voudrions bien le soutenir, mais nous ne le pouvons pas. Ce n'est pas parce que nous sommes de mauvaise foi, mais pour une simple et bonne raison: il faut aller beaucoup plus loin et beaucoup plus rapidement que ne le demande le projet de loi de mon honorable collègue.
Comme je l'ai dit plus tôt, ce projet de loi ne fait que camoufler le problème. Or il faut le régler. Je vais le dire en cette Chambre, pour une fois qu'un gouvernement donne enfin suite aux recommandations, qu'il crée, comme il vient de le faire, une commission présidée par Mme Grant-John, il faut laisser aller. De plus, au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, nous avons fixé un délai pour que ce projet aboutisse. Il n'est pas question que cela prenne 15 ans. De plus, contrairement au rapport Érasmus-Dussault dont on a célébré le dixième anniversaire hier, les recommandations doivent absolument être déposées sur le bureau du ministre, peu importe qui il sera, en juin 2007.
C'est un problème extrêmement complexe. Par exemple, les tribunaux ne peuvent invoquer les lois provinciales et territoriales pour émettre une ordonnance de possession concernant une maison familiale; ordonner la vente ou le partage d'une maison familiale dans la réserve pour exécuter une ordonnance d'indemnisation; interdire de vendre ou de grever une maison familiale.Tout cela dans une réserve. L'absence de droits fondamentaux et de recours relativement aux biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves a soulevé et continue de soulever des préoccupations quant à l'égalité des sexes. Cette question préoccupe effectivement diverses organisations canadiennes et internationales, y compris les organisations de femmes des Premières nations, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et des organismes des Nations Unies.
C'est un problème extrêmement complexe. Le Bloc québécois ne peut appuyer le projet de loi de notre collègue, mais il fera tout en son pouvoir pour régler ce problème. Nous allons faire ce qui doit être fait devant le comité, et même ailleurs, pour faire en sorte que les conclusions des consultations actuellement en cours, menées par les femmes autochtones du Canada et l'Assemblée des Premières Nations, soient mises en oeuvre dans les plus brefs délais après leur présentation au gouvernement.
Le Bloc québécois — et je le dis — pense qu'ici en cette Chambre, surtout dans ce dossier, personne ne fait montre de mauvaise foi. Je voudrais qu'aucun honorable député de cette assemblée puisse se faire ou tenter de se faire du capital politique sur le dos des femmes autochtones. Je vous le dis avec sincérité: ce n'est pas le cas de notre collègue qui présente ce projet de loi. Ce projet de loi est issu d'une très bonne intention, mais j'oserais dire qu'il arrive trop rapidement. C'est rare qu'on dit cela en cette Chambre, mais il ne réglerait pas la question; il ne ferait que soulever des problèmes encore plus criants, parce qu'il y a un problème constitutionnel à régler, il y a un problème de compétences.
Le ministre, qui est venu devant le comité lorsqu'il a créé la commission d'évaluation pour justement donner suite aux recommandations du comité sénatorial et du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, a dit qu'il veut des solutions concrètes et même, s'il le fallait, des projets d'amendement à la Loi sur les Indiens.
Le Bloc québécois est très sensible à cette situation. Nous sommes très sensibles à la position exprimée par notre collègue qui dépose ce projet de loi. Nous sommes donc sensibles à la situation qui prévaut dans les communautés autochtones et face aux problèmes encourus par l'absence de lois appropriées dans le cadre du partage des immeubles et des biens réels matrimoniaux. Cependant, le Bloc québécois, tout comme les Autochtones, estime que le gouvernement doit prendre des mesures pour s'attaquer à cette situation urgente. Le Bloc québécois a su rappeler et continuera de rappeler au gouvernement son obligation de consulter et de collaborer avec les Autochtones sur cet important enjeu. Il continuera de le faire sur tous les enjeux ayant un impact sur la vie des premières nations.
Le Bloc québécois est au fait que les femmes autochtones — comme je le disais précédemment — et l'Assemblée des Premières Nations sont en pleine ronde de consultation auprès des membres des premiers peuples. Ils demandent et auraient voulu que nous reportions l'étude de ce projet de loi après la consultation.
Bien évidemment, il y aura probablement un autre gouvernement. On ne sait pas ce qui va se passer au cours des prochains mois. Six mois en politique, c'est une éternité. Toutefois, c'est certain que même si ce projet de loi devait ne pas être agréé par cette Chambre, il y a quand même actuellement des travaux qui se font et qui continueront de se faire, et les recommandations devront être déposées avant juin 2007. Au mois de juin 2007, nous nous assurerons qu'elles seront bien déposées et débattues rapidement en cette Chambre.
Nous, du Bloc québécois, croyons que le gouvernement doit attendre les résultats des consultations en cours, menées par l'Assemblée des Premières Nations et les femmes autochtones du Canada, afin d'en intégrer les recommandations au contenu du projet de loi en question.
Le Bloc québécois, de concert avec les représentants élus des premiers peuples, demande le report du débat. Nous aurions bien voulu, mais aujourd'hui, nous ne le pouvons pas. Il faut faire le débat. Alors nous allons le faire, et nous allons malheureusement voter contre ce projet de loi.
Je réitère en cette Chambre l'affirmation que je n'accuse pas mon confrère et collègue de vouloir se faire du capital politique, bien au contraire. Il a soulevé en cette Chambre un problème criant qu'il faut régler, mais ce n'est pas la bonne façon de le régler.
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Monsieur le Président, je suis heureuse de prendre la parole sur ce sujet important, mais je ne recommanderai pas aux néo-démocrates d'appuyer ce projet de loi.
Néanmoins, comme le député qui a présenté le projet de loi l'a indiqué à raison, on a déjà beaucoup trop tardé à s'occuper de ce problème sérieux, qui a été mis en évidence par la Commission royale sur les peuples autochtones, par trois comités parlementaires, par sept organismes des Nations Unies chargés des droits de la personne, par des chefs de file représentant les femmes des Premières nations et par l'Assemblée des Premières Nations.
Il est vraiment malheureux qu'on considère ce problème comme très grave depuis plus de 20 ans et que les hommes, les femmes et les enfants des Premières nations n'aient toujours pas obtenu la solution qu'ils méritent.
Un certain nombre de députés ont mentionné qu'il y avait une consultation en cours. Je pense que c'est bel et bien le noeud de la question.
Par le passé, nous avons souvent pris des décisions, dans l'exercice de nos fonctions de parlementaires, sans avoir suffisamment consulté les gens. Nous avons adopté des politiques et des lois sans veiller à ce que les gens qui doivent subir les conséquences de nos décisions puissent avoir leur mot à dire. Il ne s'agit pas seulement de les consulter, mais aussi de leur permettre de prendre part aux décisions et à la définition des solutions. Souvent, les consultations ont pris la forme de dialogues superficiels au bout desquels nous demandons aux gens de partir pour nous permettre de prendre une décision derrière des portes closes.
Je suis d'avis que nous sommes en présence d'un problème si fondamental pour les hommes, les femmes et les enfants des Premières nations qu'il est absolument essentiel que les gens qui auront à subir les conséquences de la décision qui sera prise puissent participer à la démarche du début à la fin. En fait, c'est le genre de philosophie qui inspire les néo-démocrates lorsqu'ils disent que les décisions devraient prises de cette manière lorsqu'il est question des Premières nations, des Métis et des Inuits. Nous disons qu'il faut prendre les décisions en se parlant de nation à nation. Nous disons que les Premières nations doivent avoir concrètement un mot à dire et être considérées comme de vrais partenaires dans le processus décisionnel.
Dans une note émanant du bureau du chef national, celui-ci indique que notre travail serait guidé par la reconnaissance et la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Premières nations et que la solution doit être propre aux Premières nations. Par conséquent, en nous penchant sur un projet de loi qui n'est pas propre aux Premières nations, nous contrevenons, selon moi, à ce principe fondamental.
Pour ceux qui pourraient croire que les femmes ne plaident pas cette cause, je précise que l'Association des femmes autochtones du Canada participe au vaste processus de consultation en cours, processus qui se déroule plutôt rondement. Il a débuté en juin. L'Assemblée des Premières Nations et l'Association des femmes autochtones du Canada collaborent donc à ce processus qui devrait être terminé en décembre 2006. Mme Grant-John s'est engagée à envoyer un rapport au ministre au début du printemps, et le ministre a promis de présenter une mesure peu après.
Nous pouvons assurément attendre la fin de ce processus consultatif qui ne manquera pas de porter fruit. Selon l'Association des femmes autochtones, il est essentiel que le point de vue des femmes soit écouté et que celles qui sont et qui seront directement touchées par la mesure participent au processus de consultation au cours des prochains mois.
L'Assemblée des Premières Nations a produit d'excellentes notes d'information. J'invite les députés qui n'ont pas de réponses à certaines de leurs questions à se rendre sur le site web de l'Assemblée des Premières Nations et à consulter ces documents qui pourront assurément les éclairer.
On s'inquiète du fait que l'adoption du projet de loi ne changerait rien au fait que l'application des lois provinciales sur le territoire des Premières nations pourrait être inconstitutionnelle. Cette question reste sans réponse.
Il importe de bien comprendre que les choses doivent être faites de façon très respectueuse. Une note d'information de l'assemblée aborde la question des vides juridiques concernant les réserves dans la législation. Les Premières nations ont des lois traditionnelles qui pourraient aider les couples à partager leurs biens lors d'un divorce ou une séparation, mais le gouvernement fédéral ne reconnaît pas ces lois.
Par conséquent, ce n'est pas tant le fait que beaucoup de collectivités des Premières nations n'aient pas de loi sur ces questions, mais plutôt que le gouvernement fédéral ne reconnaît pas certaines lois qui existent.
Il est ensuite question dans le document de l'importance de s'assurer que l'on écoute les gens. Les lacunes législatives sont soulignées, mais on souligne également le fait que les immeubles matrimoniaux ne constituent qu'un seul facteur dans une longue liste de facteurs qui se répercutent sur la vie des collectivités des Premières nations. Cela renvoie à la pénurie chronique de logements, à la pauvreté dans les réserves et au fait que beaucoup de femmes et d'enfants n'ont pas accès à des maisons de transition où ils peuvent trouver de l'aide en cas de violence à la maison.
Il est vrai que l'on a récemment fait des annonces au sujet d'environ 35 maisons de transition, mais il y a 633 collectivités des Premières nations au Canada et beaucoup de femmes de ces collectivités n'auront pas accès à ces maisons. Encore une fois, nous sommes devant un projet de loi qui porte sur un élément unique parmi toutes les questions complexes avec lesquelles de nombreuses collectivités des Premières nations sont aux prises.
J'ai parlé de la pénurie chronique de logements et du manque de maisons de transition et j'ajouterai à cela le manque de processus consultatifs dignes de ce nom. Il n'y en a pas. Les tribunaux eux-mêmes ont déclaré que des consultations devaient être menées avec l'intention sincère de s'occuper sérieusement des préoccupations des Premières nations et que la représentation des Premières nations devait être sérieusement envisagée et, lorsque possible, intégrée de façon claire dans le plan d'action proposé.
C'est ce que les tribunaux ont déclaré. Dans ce contexte, je ne vois pas comment nous pourrions appuyer le projet de loi. Il n'inclut aucun processus de consultation. Si des consultations devaient avoir lieu au sujet du projet de loi, il faudrait de nombreux mois avant que commence seulement à apparaître une piste de solution. D'ici là, les consultations qui sont en cours seraient terminées, aussi je préconise que nous attendions l'issue du processus en cours.
Beaucoup d'éléments doivent être pris en compte. C'est pourquoi, comme l'a à juste titre souligné notre collègue, la question est complexe. L'Assemblée des Premières Nations a dressé une liste de questions dont il faut tenir compte dans ce dossier complexe.
Une des questions est celle des titres autochtones et des droits issus de traités. Les terres de réserve sont protégées par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle. On ne peut pas négliger cet aspect.
J'ai déjà parlé de consultations et de conciliation, mais je signale qu'il faut justifier toute tentative de transgression d'un droit constitutionnel. J'estime qu'on ne peut justifier l'imposition du droit provincial sans avoir obtenu l'autorisation préalable des Premières nations.
La compétence des Premières nations sur l'aménagement de leurs territoires est reconnue en droit. Il y a des droits collectifs et des droits individuels. Il nous faut reconnaître que les approches diffèrent d'une personne à l'autre dans ce dossier. D'après mon document, « l'attribution selon la coutume fait aussi partie du droit coutumier des Premières nations, et il est douteux que le droit provincial puisse s'appliquer à cette forme traditionnelle de gestion des terres de réserve des Premières nations ».
Ensuite, il y a la reconnaissance juridique de la compétence des Premières nations sur les questions familiales. Encore une fois, de nombreuses Premières nations ont déjà des lois en vigueur relatives à la séparation des ménages. Il faut tenir compte de ces lois quand nous envisageons des solutions dans les collectivités des Premières nations. Il s'agit de la reconnaissance, par le gouvernement fédéral, de la compétence des Premières nations en matière de droit de la famille.
J'ai seulement soulevé quelques points, mais je pense qu'ils démontrent la complexité de la question. Comme je l'ai indiqué, diverses entités se sont déjà essayées, mais aucune d'entre elles n'a fait le dur travail nécessaire à l'élaboration d'une solution.
À propos du processus de consultation en cours, j'aimerais dire qu'il ne consiste pas simplement à recueillir plus de renseignements à propos de l'état actuel des choses. Le processus de consultation en cours donnera lieu à des recommandations concernant l'élaboration de solutions, il ne consiste pas simplement à recueillir des faits, mais bien les éléments d'une solution. C'est une partie importante de ce casse-tête très complexe.
Il faut tenir compte des valeurs traditionnelles quand nous élaborons des solutions. Il faut reconnaître la protection des droits des Autochtones issus des traités. Il ne faut tolérer aucune abrogation des droits collectifs, et aucune dérogation à ceux-ci. Il faut protéger et préserver les terres des Premières nations pour les générations à venir, renforcer les familles et les collectivités, reconnaître les domaines de compétence des Premières nations et mettre en oeuvre des solutions communautaires.
J'estime que les députés devraient s'opposer au projet de loi. Ils devraient plutôt appuyer l'excellent travail que font les Premières nations d'un bout à l'autre du pays.
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Monsieur le Président, je salue les efforts que mon collègue, le député de , a déployés à l'égard de cette question et l'important travail qu'il continue de faire pour les familles autochtones de tout le Canada.
J'interviens aujourd'hui au sujet de la mesure législative dont la Chambre est saisie, plus précisément le projet de loi , une proposition de modification à la Loi sur les Indiens concernant le partage des immeubles et des biens réels matrimoniaux situés sur une réserve. J'appuie entièrement l'objet du projet de loi , mais je ne peux appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle.
La question des immeubles et des biens réels matrimoniaux situés sur une réserve constitue une injustice fondamentale qui ternit la démocratie canadienne et engendre des souffrances pour de nombreuses femmes autochtones, leurs enfants et leurs familles. Le gouvernement reconnaît la souffrance liée à cette question et est déterminé à y remédier.
Toutefois, ce serait une erreur d'adopter le projet de loi . Cette mesure législative n'est pas le fruit du vaste effort de collaboration qui serait nécessaire à la mise en oeuvre d'une solution efficace et durable. Pour élaborer une solution efficace, il faut comprendre et apprécier la complexité de ce très grave problème. Il faut également s'assurer que la solution tient compte des préoccupations et des idées de toutes les personnes concernées, c'est-à-dire les collectivités autochtones d'un océan à l'autre.
L'expression juridique « biens réels matrimoniaux » décrit un concept relativement simple. Elle désigne les immobilisations qui sont utilisées par une famille et qui appartiennent à l'un des conjoints, ou aux deux. Pour la plupart des Canadiens, les biens matrimoniaux comprennent une maison et le terrain sur lequel se trouve la maison. En cas de divorce, le partage des biens fait souvent l'objet de litiges, mais légalement, la question est claire. Des lois provinciales et territoriales sont en place pour protéger les intérêts des deux conjoints, selon les compétences conférées à la province ou au territoire en vertu de la Constitution. Par exemple, dans le cas d'un divorce, un conjoint ne peut pas vendre la maison familiale sans le consentement de l'autre.
Les Autochtones vivant dans des réserves sont cependant dans un tout autre monde sur le plan juridique. La loi fédérale, c'est-à-dire la Loi sur les Indiens, définit le statut des terres de réserve, et ne dit rien sur la question des biens matrimoniaux situés dans les réserves.
Ce n'est pas seulement une interprétation d'ordre administratif. La Cour suprême du Canada a rendu deux décisions selon lesquelles le droit familial provincial ne s'applique pas aux intérêts sur des biens matrimoniaux situés dans des réserves. Selon ces décisions, les réserves étant de compétence fédérale, les transferts de biens matrimoniaux situés dans des réserves ne peuvent se faire qu'en vertu du droit fédéral. Malheureusement, le droit fédéral ne prévoit rien à cet égard. La législation canadienne comporte une énorme lacune sur ce plan.
Cette lacune a des répercussions directes sur les femmes et les enfants autochtones qui voudraient se sortir d'un mariage raté. Or, les principales intéressées sont rarement conscientes du problème, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Trop souvent, une femme autochtone n'a pas d'autre choix que de quitter la maison familiale et même, finalement, sa communauté.
Les juges n'ont habituellement aucun pouvoir, parce qu'ils ne sont pas légalement autorisés à protéger les intérêts des conjoints dans les réserves, ou à transférer les biens. Même dans les cas les plus extrêmes, par exemple s'il y a violence conjugale, agressions ou conflit sur la garde des enfants, aucun tribunal ne peut ordonner le transfert d'une maison familiale située dans une réserve. La cour ne peut pas ordonner la vente de la maison ni empêcher un conjoint de la vendre ou de l'hypothéquer sans le consentement de l'autre conjoint, quelle que soit la gravité des conséquences de tels actes.
Cette lacune sur le plan juridique a souvent des conséquences dévastatrices, engendrant l'itinérance, la pauvreté et le désespoir. Les répercussions sont graves, compte tenu du nombre croissant d'Autochtones qui vivent en marge de la société et qui n'ont pas accès aux possibilités que les autres Canadiens tiennent pour acquises.
Je pense que tous les députés conviennent que la situation actuelle est intolérable. J'espère qu'ils se joindront à moi pour louer les bonnes intentions qui sous-tendent le projet de loi . J'espère aussi qu'ils reconnaîtront que la valeur de la solution proposée dans le projet de loi disparaît rapidement si l'on n'a pas tenu les consultations nécessaires afin de trouver une solution efficace et durable.
Le projet de loi propose de modifier la Loi sur les Indiens afin d'étendre l'application des lois provinciales aux biens réels matrimoniaux. Même si une telle modification est attrayante, celle-ci aurait pour effet de transférer un fardeau important aux provinces. Les provinces ont-elles dit qu'elles étaient prêtes à assumer ce fardeau? Peut-on s'attendre à ce qu'elles absorbent les frais supplémentaires liés à l'aide juridique et aux mesures d'exécution associés aux biens réels matrimoniaux? Malheureusement, nous ne connaissons pas la réponse à ces questions, parce que les provinces n'ont pas été consultées au sujet du projet de loi C-289. Ce manque de consultation est la grande lacune du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Le gouvernement veut trouver une solution relativement aux biens réels matrimoniaux qui fonctionne pour tous, c'est-à-dire les provinces et territoires, les collectivités des Premières nations, les femmes et enfants autochtones et tous les Canadiens. La contribution de toutes les parties est essentielle si l'on veut élaborer et mettre en oeuvre une solution efficace. Je suis heureux de mentionner qu'un processus de collaboration a été mis en place par le ministre, plus tôt cette année.
À l'heure actuelle, des consultations se tiennent avec tous les intervenants au pays. Cet exercice permet d'étudier et d'analyser des solutions législatives possibles en ce qui a trait aux biens réels matrimoniaux. Ces consultations ont été organisées et sont dirigées par des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, de concert avec des représentants de l'Assemblée des Premières Nations et de l'Association des femmes autochtones du Canada. J'ai pleinement confiance que cette approche axée sur la coopération va déboucher sur une solution durable à un problème qui, nous en convenons tous, perdure depuis trop longtemps.
Plus tôt cette année, nous avons eu la chance de retenir les services d'une personne très talentueuse, Wendy Grant John, en tant que représentante ministérielle dans le cadre de ces consultations. Mme Grant John est un ancien chef qui dirige avec succès son entreprise et qui excelle comme négociatrice. Elle a accepté de travailler avec toutes les parties pour parvenir à un consensus sur une solution dans le dossier des biens immobiliers matrimoniaux. En l'absence d'un tel consensus, Mme Grant John recommandera la voie à suivre.
Les mesures prises par notre gouvernement au sujet des biens immobiliers matrimoniaux vont dans le sens de la stratégie qu'il a élaborée pour s'attaquer à un large éventail de problèmes auxquels sont confrontés les Autochtones de notre pays. Il s'agit de prendre immédiatement des mesures pour assurer la qualité de vie des Autochtones. Il est question de leur fournir de l'eau potable, d'appuyer les femmes, les enfants et les familles dans le domaine de l'éducation, de promouvoir le développement économique, la formation professionnelle, l'acquisition de compétences et l'esprit d'entreprise, ainsi que de procéder à une refonte du cadre législatif pour améliorer les lois désuètes et complexes et les accords de financement qui définissent la grande majorité des relations entre le gouvernement et les Premières nations et qui, manifestement, ne fonctionnent pas. Nous accélérons aussi le processus touchant les droits fonciers issus de traités, les ajouts aux réserves et le règlement des revendications globales et particulières.
Le gouvernement va collaborer avec les groupes autochtones ainsi que les provinces et les territoires pour concevoir et mettre en oeuvre de meilleurs cadres législatifs et accélérer les négociations afin de parvenir à des règlements justes. Notre engagement est évident dans un certain nombre de domaines où des mesures sont déjà en cours, comme les biens immobiliers matrimoniaux et notre plan relativement à la qualité de l'eau des Premières nations. En outre, dans notre premier budget, nous avons investi plus de 3,7 milliards de dollars sur deux ans pour appuyer les Autochtones et les gens du Nord, soit plus que dans n'importe quel budget précédent.
Je suis persuadé que nous ouvrons la voie à une nouvelle ère de prospérité et de justice sociale pour les Autochtones. Nous entendons collaborer étroitement avec les groupes autochtones pour concevoir et mettre en oeuvre des solutions appropriées. Pour réussir, nous allons consulter et collaborer au lieu de prendre des mesures unilatérales.
Le projet de loi demande au gouvernement d'agir seul, sans le consentement des intéressés. J'encourage mes collègues à appuyer l'approche du gouvernement à l'égard des biens immobiliers matrimoniaux, qui est fondée sur la collaboration, et à voter contre ce projet de loi, tout comme moi.
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Monsieur le Président, je suis ravi de prendre la parole sur ce projet de loi. Je félicite le député de de l'avoir présenté ainsi que les députés qui sont intervenus à cet égard, en particulier la députée de .
Nous faisons bien de débattre de ce projet de loi, car, comme tous les députés l'ont dit, il porte sur un problème très grave qui doit être réglé. Le gouvernement y travaille. Les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien travaillent très fort depuis des années sur ce problème très complexe. Il est surprenant que nous soyons saisis de ce projet de loi étant donné la complexité du problème. Il n'est pratiquement pas possible qu'on puisse traiter une question aussi complexe de façon sérieuse et équitable dans un projet de loi d'une page.
Le Canada compte de nombreux groupes autochtones et le projet de loi ne traite que de quelques préoccupations précises sur les réserves. Beaucoup d'Autochtones vivent dans des régions du Canada où il n'y a pas de réserves. C'est le cas de pratiquement tous les Autochtones de ma circonscription. Comment ce projet de loi s'appliquerait-il à eux?
Pour que l'on saisisse l'étendue du problème, il importe de dire qu'il s'agit d'une vive opposition entre deux droits qui sont garantis par la Constitution. Nous avons passé les trois ou quatre derniers jours à débattre de l'antagonisme entre ces deux droits, la liberté de religion et le droit à l'égalité. Une fois de plus, nous sommes aux prises avec un problème presque insoluble. Il y a antagonisme entre les droits autochtones reconnus à l'article 35 et les droits à l'égalité garantis par l'article 15. C'est pour cela que cette question est si difficile.
Au Canada, au fil des ans, nous avons édifié des relations très fragiles avec les peuples autochtones. Nous savons qu'ils ont habité dans ce pays pendant des milliers d'années. Ils ont des systèmes et des lois qui sont assez efficaces. Nous devrions respecter ces droits et ces lois. Ils se heurtent peut-être à notre vision de la société et à notre vision des droits. Il y a un fort antagonisme, et cela requiert des consultations que le gouvernement a amorcées, comme il vient de le dire, ce qui est excellent. Il doit y avoir des consultations approfondies pour qu'on en vienne à un plan traitant de tous les aspects complexes, et j'en ai mentionné quelques-uns.
Il est faux de croire que tous les problèmes complexes ont une solution simple. Nous devons examiner toutes les nuances. Nous devons tenir compte des divers droits autochtones, traités, ententes sur des revendications territoriales et sur l'autonomie gouvernementale, ce qui correspond justement au processus amorcé par le gouvernement.
Il me semble plutôt étrange qu'un projet de loi présenté par un député ministériel traite d'une question sur laquelle la Cour suprême s'est déjà prononcée à deux reprises en indiquant fondamentalement qu'un tel projet de loi est anticonstitutionnel. On ne peut pas passer outre aux droits des Autochtones, notamment aux droits relatifs à la famille dans les réserves, tels que définis dans la Loi sur les Indiens, pour imposer le droit familial provincial ou territorial. Je suis surpris que, lorsque le gouvernement a commencé la consultation, le parti d'en face n'ait pas choisi de faire monter un autre projet de loi dans l'ordre de priorité pour pouvoir mettre à l'avant-scène un autre dossier qui lui tient à coeur. Je serais curieux de savoir comment le projet de loi a pu être accepté par le conseiller législatif de la Chambre des communes et comment un projet de loi qui n'est pas conforme à la Constitution a pu recevoir le feu vert.
Il est souhaitable que les partis réfléchissent tous à cette question, qu'ils y accordent leur attention et qu'ils soient prêts à coopérer. On peut imaginer la souffrance que toutes les femmes ont eu à endurer à un moment ou l'autre de l'histoire parce qu'elles n'avaient pas des droits égaux et qu'elles ne pouvaient pas prétendre au partage des biens matrimoniaux. De grands problèmes peuvent en résulter. Elles se retrouvent souvent avec des enfants et doivent vivre avec eux dans une grande pauvreté tout en subissant un grand stress à cause des responsabilités dont elles doivent s'acquitter toutes seules après une séparation.
Il est certainement pertinent que nous consacrions des ressources à cette question. Le gouvernement précédent y a accordé une grande attention et je suis heureux de constater que le gouvernement actuel en fait autant. J'espère que lorsque les députés déposeront leurs recommandations, ils verront à y accorder une grande priorité et à se pencher sans délai sur la question pour que nous puissions finalement trouver une solution à ce problème dont nous reconnaissons tous l'urgence depuis de nombreuses années.
J'aimerais simplement souligner, en terminant, ce que le secrétaire parlementaire a dit à propos de l'enthousiasme avec lequel le gouvernement s'attaque aux divers dossiers. Je souhaite de tout coeur que cet enthousiasme permettra d'améliorer le processus de conclusion des traités...