:
Merci, monsieur le président.
Premièrement, on m'avait dit que j'aurais 10 minutes, alors j'ai préparé une déclaration en conséquence. Si vous me le permettez, je parlerai français.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie également les membres de ce comité de nous permettre de venir témoigner aujourd'hui devant vous.
[Traduction]
Vous comprendrez sans doute que je suis un peu nerveuse d'être ici, de sorte que je ferai de mon mieux pour vous expliquer notre situation.
[Français]
C'est avec grand intérêt que nous avons pris connaissance des travaux du comité et c'est un privilège que de pouvoir contribuer à l'avancement d'une cause qui marque profondément nos vies respectives, ainsi que la vie de nos quatre enfants.
Mon époux, le sergent Claude Rainville, s'est retiré des Forces armées canadiennes en décembre 1998, à l'âge de 37 ans, après 20 ans de loyaux services. À titre de technicien en mouvement, traffic technician, il a passé la majeure partie de sa carrière à bord d'un Hercules C-130. Il a participé à un grand nombre de missions, notamment 17 mois en Haïti et à Damas. Il a participé à la guerre du Golfe, à la guerre Iran-Irak, au soutien au Rwanda, etc.
En juillet dernier, il a reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique du Centre Sainte-Anne. Depuis, il y suit des traitements intensifs et prend des médicaments.
Notre présence aujourd'hui constitue pour lui un véritable défi. Les dernières années ont été exigeantes et difficiles, mais aujourd'hui, nous comprenons enfin pourquoi. Je tiens aussi à vous informer qu'il est tout disposé à répondre à vos questions, mais qu'il est encore très vulnérable. C'est donc pour cette raison que, s'il était dans l'impossibilité de répondre à une question en raison d'une réaction émotionnelle, il aimerait, monsieur le président, que je puisse répondre en son nom.
Dans un premier temps, j'aimerais brièvement expliquer les raisons pour lesquelles il a été diagnostiqué neuf ans après avoir été libéré honorablement des Forces armées canadiennes.
Premièrement, en 2005, après un autre arrêt de travail associé, à cette époque, à un burnout , il a souhaité, en désespoir de cause, réintégrer les rangs des Forces armées canadiennes.
Deuxièmement, en février 2006, il a appris qu'il était refusé en raison d'une dépression majeure, diagnostiquée avant qu'il ne quitte les Forces en 1998. C'est à ce moment que nous avons pris connaissance du contenu de son dossier médical militaire et avons réalisé qu'une erreur magistrale avait été commise à son égard. Au moment de sa libération, la cote 4(a), indiquant qu'il était en parfaite santé et qu'il n'y avait aucune restriction à sa réintégration au sein des Forces canadiennes, lui avait été attribuée. Le médecin qui l'a examiné dans le cadre de son examen médical de libération avait pourtant indiqué qu'il souffrait d'une dépression majeure.
C'est donc en mars 2007, à la recommandation de son frère, qui est également un ancien militaire, que mon époux a contacté Anciens Combattants Canada afin d'obtenir une l'aide psychologique quelconque, ne sachant plus vers qui se tourner. Il faut mentionner qu'au cours des années suivant sa libération, il a consulté un certain nombre de professionnels de la santé afin que ces derniers l'aident à s'intégrer au monde civil et à gérer ses nombreuses difficultés.
D'entrée de jeu, je ne peux me prononcer sur l'ensemble des programmes offerts par Anciens Combattants Canada, puisque nous sommes toujours en attente de réponses. Loin de moi l'idée de critiquer le système actuellement en place, mais j'estime que le processus d'accès à ces programmes pourrait, à certains égards, être mieux adapté afin de répondre plus efficacement aux besoins des clients. Je m'explique.
D'abord, au moment du premier appel, en mars 2007, il y a donc quelques mois, mon époux a clairement demandé de l'aide, et c'était l'ultime cri d'alarme. On lui a alors demandé la nature de tous les problèmes physiques et psychologiques qu'il éprouvait. L'adjointe de l'agent de pension lui a expliqué qu'elle lui ferait parvenir des formulaires et qu'il n'avait qu'à les retourner avec les expertises médicales exigées avant la mi-juillet. Elle lui a également expliqué qu'on communiquerait avec lui pour obtenir une évaluation psychiatrique du Centre Sainte-Anne.
Jusque-là, le processus semblait relativement simple pour moi, parce que mon époux, lui, était parfaitement convaincu qu'Anciens Combattants Canada travaillait de connivence avec les Forces armées canadiennes et qu'ils feraient tout pour lui nuire.
À cette époque, je tiens à vous le souligner, nous avions entamé une bataille — et ce n'est pas un jeu de mots — avec les Forces armées canadiennes afin de faire officiellement reconnaître l'erreur de 1998 et de rectifier le motif de libération attribué à cette époque. Je vous épargne les détails, mais je vous prie de me croire que j'aurais bien des choses à dire à ce sujet au comité de travail de la Défense nationale.
Bref, dans ce contexte, mon époux était très méfiant face à Anciens Combattants Canada, en raison de son état psychologique, mais aussi parce qu'il méconnaissait cette instance. Effectivement, peu de temps après ce premier appel, nous avons reçu une panoplie de formulaires à remplir: des demandes de pension d'invalidité, des demandes de réadaptation, etc.
Je ne sais plus de quelle façon on nous a mis en contact avec une personne ressource du SSBSO, qui a fixé une rencontre avec nous pour nous donner quelques conseils quant à l'élaboration des dossiers associés aux troubles physiques et psychologiques de mon époux, et pour nous informer brièvement des étapes à venir.
J'ai déjà eu à gérer moi-même un programme de subvention locale, et mon travail consiste notamment à aider des communautés à élaborer des demandes de subventions provinciales et fédérales. Lors de cette rencontre, il était clair que cette personne n'agissait pas pour le compte des anciens combattants, et j'ai immédiatement saisi l'ampleur de la tâche qui m'attendait.
J'ai donc élaboré tous les documents en question, notamment pour chacune des affectations à l'étude. J'ai mis des heures à questionner mon époux, à fouiner dans ses dossiers militaires et ses photographies et à le faire parler de ses expériences douloureuses. Cela a été aussi pénible pour lui que pour moi, impuissante face à tant de souffrances. Mais le résultat a semblé satisfaisant, puisque l'agent de pension de mon époux lui a dit que c'était la deuxième fois qu'il voyait un travail aussi complet et qu'il pouvait acheminer tels quels les dossiers à Charlottetown à des fins d'analyse. La grande majorité de chacune des demandes représente un document de 10 à 20 pages.
Il m'est difficile de concevoir qu'Anciens Combattants laisse l'entière responsabilité aux clients de l'élaboration de tels documents, sans aucun appui concret. Je réalise aujourd'hui que ces mêmes documents, conjointement aux expertises médicales, constituent les assises de toute l'aide à venir. Je ne peux donc que constater un trou de service évident.
L'adjointe de l'agent de pension nous a bien indiqué, effectivement, que nous pouvions la contacter en cas de besoin, mais elle n'aurait probablement pas passé des heures au téléphone avec nous à questionner mon mari sur les liens entre ses troubles actuels et son service militaire, ou encore à mesurer l'impact de ses troubles sur sa qualité de vie. Elle n'aurait pas pris le temps de regarder ses photographies avec lui afin de lui indiquer celles qui pourraient clairement appuyer ses propos.
Ensuite, joindre les responsables des dossiers n'est pas une sinécure non plus. Souvent, il nous est même impossible de laisser un message dans une boîte vocale. Après nous avoir demandé la raison de notre appel, la personne qui répond au centre d'appels au Nouveau-Brunswick, ou je ne sais où, nous indique qu'elle laissera elle-même le message à l'intervenant et que nous serons contactés plus tard. Parfois — et c'est une expérience vécue —, le message est laissé à la mauvaise personne. On ne nous dit si quelqu'un d'autre pourrait répondre à nos questions. Rien. Quand le client est déjà très fragile sur le plan émotionnel, ce n'est rien pour aider à sa cause.
En septembre dernier, j'ai tenté de rejoindre un certain M. Goyer, le supérieur de l'agent de pension de mon époux, afin de lui faire part de ces constats. J'ai expliqué à sa secrétaire qu'il y avait un trou de service et j'ai même poussé l'audace jusqu'à proposer mes services si un projet-pilote voyait le jour. Je savais pertinemment que cela n'apporterait rien de concret, mais au moins, j'estimais avoir fait mon devoir de citoyenne.
Quelques semaines plus tard, un coordonnateur, dont je ne me rappelle plus du nom, m'a contactée afin de me convaincre de l'efficacité du processus. Mais je maintiens encore à ce jour ma position, qui est sans équivoque.
Quand même, c'est grâce à l'évaluation psychiatrique exigée que mon époux a pu être pris en charge par le Centre Sainte-Anne et bénéficier de ses services. Nous ne pouvons faire d'autre que de saluer le professionnalisme, le dévouement et l'efficacité de cette équipe extraordinaire. Au moment des premières consultations, la fragilité émotionnelle de mon époux était telle que je suis sincèrement convaincue que sans l'intervention des membres de cette équipe, il ne serait pas ici devant vous.
La route sera encore bien longue et bien ardue avant de vivre dans une certaine sérénité, mais déjà les améliorations sont perceptibles.
L'équipe du Centre Sainte-Anne est devenue en quelque sorte une bouée de sauvetage psychologique, bien sûr, mais aussi administrative. C'est ce qui m'amène à soulever un autre point qui porte sur la clarification et la coordination des rôles de l'ensemble des intervenants qui travaillent aux dossiers.
Les intervenants du Centre Sainte-Anne constatent l'ampleur de la gravité de l'état de mon époux. Ils tentent tant bien que mal d'intervenir auprès d'Anciens Combattants Canada afin de faire accélérer le processus d'analyse des dossiers et d'attribution d'aide financière, notamment auprès de l'agent de pension et de la conseillère de secteur.
L'arrimage et la coordination des services actuellement en place sont déficients. À titre d'exemple concret, mon époux a cessé ses activités professionnelles le 23 juillet dernier. Je me dois de vous mentionner que bien qu'il travaillait officiellement, cela faisait des années que j'accomplissais plus de 70 p. 100 de sa tâche de travail, en plus de la mienne. Nous n'avions pas d'autre alternative, car sa pension militaire et mon salaire n'étaient pas suffisants pour soutenir notre famille. Donc, à la suite de son arrêt de travail commandé par le Centre Sainte-Anne, le travailleurs social qui s'occupait de mon époux en a informé les agents d'Anciens Combattants Canada, afin qu'il ait accès au programme d'aide rapidement. J'ai même envoyé, au mois de juillet dernier, un courriel à l'agent de pension de mon époux pour l'informer que ce dernier était en arrêt de travail. L'agent a mentionné à mon époux, et je cite:
[Traduction]
« Nous ne vous laisserons pas tomber, monsieur Rainville. » Depuis ce temps, pas de nouvelles.
[Français]
Aujourd'hui, quatre mois plus tard, mon époux a épuisé ses 15 semaines de prestations de maladie de l'assurance-emploi. Il n'a pas droit aux assurances privées, puisque ses problèmes de santé mentale ne sont pas directement reliés au travail et qu'il a connu d'autres périodes d'arrêt de travail similaires. Nous ne savons toujours pas, à ce jour, à quelle forme d'aide il pourrait avoir droit concrètement.
Bien qu'incapable de le faire, il considère retourner travailler en janvier pour subvenir à nos besoins, non pas parce qu'il est apte à le faire, mais parce que mon seul salaire ne suffit pas à soutenir la famille. Heureusement que nous sommes bien organisés, puisque en octobre dernier, la conseillère de secteur de mon époux lui a demandé de lui retourner un formulaire de réadaptation qu'elle ne trouvait pas. Nous avons pu lui acheminer la copie que nous avions numérisée en avril dernier.
Hier, nous avons appris que l'aide relative à la réadaptation était en attente. Puisque mon époux n'a pas de numéro de pension et que ce service était également en attente de l'évaluation psychiatrique du Centre Sainte-Anne, document que nous avons pourtant acheminé à d'autres services d'Anciens Combattants Canada, c'est lui qui a dû contacter son travailleur social afin que son examen et son rapport soient acheminés par télécopieur ce matin même.
Serait-il possible d'envisager d'attribuer au client un gestionnaire de dossier qui pourrait recevoir, coordonner et acheminer aux différents services les informations qui le concernent et l'affectent directement? Ce genre de manque de coordination ne fait que retarder, encore une fois, le processus et augmenter l'angoisse de mon époux ainsi que la mienne.
Finalement, j'aimerais porter à votre attention que depuis 2000, dans tous les dossiers médicaux de mon époux au niveau civil, tous les professionnels de la santé qu'il a rencontrés — que ce soit son médecin de famille, deux psychiatres, un psychologue et j'en passe — ont inscrit, soit dans le cadre d'une évaluation officielle ou au dossier, la mention de syndrome post-traumatique. Pourtant, personne ne l'a référé ou dirigé au Centre Sainte-Anne ou ne l'a au moins informé de son existence. Si seulement un de ces professionnels avait mentionné le nom du centre, les dernières années auraient pu être bien meilleures pour tous les membres de notre famille. Est-ce dû à une méconnaissance de la ressource? Je n'ai pas de réponse à cette question.
Je tiens à vous dire que vivre avec quelqu'un atteint du syndrome post-traumatique comporte son lot d'impacts et de conséquences pour tous les membres d'une famille. Malgré tout, sans me vanter, je crois avoir réussi à minimiser les dommages. J'ai 35 ans et j'ai parfois l'impression d'en avoir 70. J'aurais vraiment apprécié recevoir l'aide du Centre Sainte-Anne avant cet été, pour Claude, pour nous et nos enfants.
Voilà, monsieur le président.
:
Je suis couchée près de lui. Or, son sommeil est très agité. Il fait des cauchemars, il se réveille en panique, en sueur, il cherche son souffle. Je sais que c'est un cauchemar. Je me rappelle ses cauchemars, mais pas lui. Je peux vous dire à quoi il rêve, et c'est fréquent.
Il y a le manque de sommeil, la difficulté à garder l'équilibre au sein d'une famille. Il y a les efforts requis pour essayer d'avoir une famille normale. Il ne faut pas nier qu'il y a dysfonction dans une famille où une personne est atteinte du syndrome post-traumatique. Et quand il y a des enfants en plus, ceux-ci en subissent directement les répercussions, que ce soit à cause de l'alcoolisme, des crises d'angoisse, de l'agressivité et de tout ce qui vient avec cela.
Comme je l'ai mentionné dans mon témoignage, mon époux a réussi à travailler pendant toutes ces années. Mais au cours des neuf dernières années, il a occupé 12 emplois et il a été en arrêt de travail trois fois. Il y a toujours une espèce d'incertitude financière et la question de savoir s'il va être capable, s'il va lâcher, s'il va être congédié.
Les conséquences pour la conjointe sont terribles. Je ressens une pression terrible lorsque je me dis qu'il ne faut pas craquer, parce que si je craque, c'est toute la famille qui coule. Si je craque, il n'y aura plus de filtre entre des propos, des comportements ou des attitudes à l'égard de mon époux. Je ne blâme pas mon époux. Je veux être très claire sur ce point. Il est une victime. Mais s'il n'y a plus de filtre, ce sont les enfants qui vont en souffrir.
Je m'estime chanceuse parce que j'ai un tempérament fort. Je suis assez solide et j'ai pu réussir à contrôler l'espèce de dérive et à minimiser les impacts. Je suis chanceuse, monsieur Perron, mais j'en connais d'autres qui sont moins chanceuses. Il y a des divorces, de l'incompréhension, des enfants qui ne nous parlent plus ou qui ne veulent plus rien savoir de nous. C'est une réalité. Je connais des amis de mon mari, également militaires, qui sont dans la même situation que nous et qui vivent l'isolement social.
Il y a plein de gens autour de nous qui ne comprenaient pas, avant le mois de juillet, ce qui se passait au sujet de mon mari. Je n'ai plus de contact avec ma famille. Nos amis ne venaient plus chez nous. On était complètement isolés, parce qu'on ne comprend pas ce qui se passe et que cela a créé des frustrations entre lui et moi. Quand on recevait quelqu'un et qu'il y avait une réaction, alors je réagissais. Ce n'est pas agréable de recevoir des gens de cette façon.
Quand on ne sait pas à quoi on a affaire, l'incompréhension est encore plus grande. Depuis juillet, on connaît le diagnostic. Alors, on peut lire sur le sujet et on peut comprendre plein de choses. Mais avant qu'on nous dise quelle est la situation, on marche dans le noir et on passe son temps à se demander quand on va « sacrer son camp » et quand on va demander le divorce. En même temps, on est attachés: je connais mon homme et je ne peux pas le laisser tomber. Je refuse de le laisser tomber, mais je ne vous cacherai pas que j'y ai pensé.
[Traduction]
Monsieur le président, je demanderais à mon mari s'il est suffisamment à l'aise pour répondre à la prochaine question.
Non, il m'a demandé de répondre pour lui.
[Français]
Oui, il y a eu des périodes où l'idée du suicide lui est effectivement passée par la tête. Je vous ai dit plus tôt que si ce n'avait été du Centre Sainte-Anne, je suis convaincue — et je ne veux pas essayer de gagner votre pitié —, que je serais ici à titre de veuve aujourd'hui. On en était rendu là. Des périodes suicidaires, il y en a eu, mélangées à de l'alcoolisme, de la toxicomanie. C'est la réalité aussitôt qu'il y a un rejet.
Je vais maintenant vous parler des périodes de rejet, parce que cela ne vient pas seulement de la femme, de la famille, ça vient aussi du milieu de travail. Mon époux est entré dans les Forces armées canadiennes à 17 ans pour en ressortir à 37 ans.
Pendant toutes ces années de difficultés, après sa libération, je lui disais: « Chéri, c'est juste parce que tu as de la difficulté à t'adapter au monde civil, mon amour ». Pendant tout ce temps, on essayait d'expliquer pourquoi ses emplois ne le rendaient pas heureux, pourquoi c'était toujours insatisfaisant, pourquoi il y avait toujours des hauts et des bas, des bas creux. Chaque fois que cela se produisait dans sa vie et qu'il constatait qu'il devait démissionner parce qu'il n'était pas bien, c'était un rejet. On disait qu'il était un incapable, un pas bon, un moins que rien dans la société.
En 2005, quand il a émis le souhait de réintégrer les Forces canadiennes, c'était parce que pour lui, dans sa tête, tout le temps où il était il était dans l'armée, dans l'aviation, il était quelqu'un, il avait des succès, il avait un rang, des promotions, des privilèges, il se sentait un homme. Après sa libération, il ne se considérait plus comme un homme.
Depuis qu'on le voit au Centre Sainte-Anne, j'ai appelé à une occasion sa gestionnaire de dossier et j'étais en larmes. Je lui ai dit que je pensais qu'on arrivait à un point où les réponses n'étaient vraiment plus les mêmes, que je m'inquiétais, et je lui demandé de faire quelque chose, je lui ai lancé un appel au secours.
Oui, il y a eu des périodes de pensées suicidaires et j'ai vraiment eu peur qu'il passe à l'acte, à un moment donné.
:
Merci, monsieur Russell.
[Français]
Oui, effectivement, j'ai une ou deux recommandations à faire.
Dans le cercle de connaissances que nous avons, notre situation est loin d'être isolée, et pour tous ces couples ou ces familles qui passent par là, il y a vraiment des caractéristiques similaires.
À mon avis, le problème le plus grand est que les gens ne connaissent pas toujours les ressources disponibles. Souvent, dans les systèmes de santé que actuels, j'ai comme l'impression que les gens ne sont pas toujours aguerris face au trouble de stress post-traumatique et face à l'expérience des militaires qui les consultent.
À titre d'exemple, monsieur Russell, j'aimerais vous rappeler que mon époux a consulté régulièrement, au fil des années, psychologues et psychiatres. Et pourtant, personne ne l'a référé, par exemple, au Centre Sainte-Anne; c'est le centre que nous connaissons.
Il faut faire connaître à ces vétérans l'existence des ressources qui sont appropriées et rendre ces ressources disponibles pour ces gens. C'est la première chose.
Les gens savent que je travaille dans le système de santé québécois. Nos amis anciens militaires savent que je travaille à l'implantation de réseaux de prévention du suicide. Ils m'appellent, et c'est moi qui leur dis que le Centre Sainte-Anne est là pour eux. Je ne suis pas une spécialiste. Je ne veux pas critiquer les professionnels de la santé qui se dévouent et qui ont des charges de travail absolument incroyables, sauf que j'ai vraiment l'impression actuellement, du moins dans mon coin de pays, qu'ils ne sont pas équipés pour reconnaître et traiter ces gens, qui vivent une situation très particulière.
Donc, monsieur Russell, mes recommandations sont de faire connaître les ressources disponibles et les rendre disponibles.
Tous les deux, trois ou quatre mois, par exemple, mon époux reçoit une espèce de relevé de pension. Ce serait tellement facile d'y glisser un petit mot sur un papier. Deux ou trois fois par année, on reçoit des envois concernant la pension. Je demande seulement cela. Au cours des dernières années, je l'aurais lu, je l'aurais vu, je nous aurais peut-être reconnus là-dedans, et cela m'aurait incitée au moins à établir un premier contact.
Quand la roue tourne mais que personne n'est en mesure de nous aider, à un moment donné, on devient complètement découragé et on se demande vers qui se tourner. C'est dans ce contexte que mon époux a contacté les anciens combattants, justement, pour leur dire qu'il avait besoin d'aide, que plus personne ne pouvait l'aider. Personne ne semble comprendre ce qu'il vivait et ce qu'il avait.
C'était ma réponse.
:
Merci beaucoup, Jenifer et Claude, d'être avec nous aujourd'hui. C'est une histoire émouvante que vous nous avez racontée.
Au début de la réunion, j'ai eu l'occasion de vous parler d'une meilleure époque et de questions plus joyeuses, et j'ai été très heureuse de vous entendre dire que vous avez servi à Mount Lolo, dans ma circonscription, à Kamloops. Je vous invite à y revenir en visite; ce serait merveilleux.
Je prends des notes furieusement, j'essaie de noter tout ce que vous dites.
À l'heure actuelle, le comité cherche à améliorer le programme pour l'autonomie des anciens combattants et procède à un examen des soins de santé, qui en fait partie. Ainsi, votre témoignage contribue grandement à notre examen des soins de santé.
Vous nous avez donné un conseil très utile aujourd'hui, c'est-à-dire que les anciens combattants doivent connaître les services disponibles. J'avais l'impression que c'était le cas, mais peut-être que nous n'en faisons pas assez. Vous avez proposé d'envoyer de la publicité sur les prestations disponibles avec la correspondance envoyée aux anciens combattants; c'est une idée extraordinaire. Nous en tiendrons certainement compte.
Pendant que je vous écoutais, j'ai été heureuse de vous entendre dire que vous aviez reçu de l'aide cet été. Je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet de l'hôpital Sainte-Anne. Le personnel fait un travail fantastique.
Le gouvernement essaie très fort de répondre aux besoins de nos anciens combattants. Nous tenons beaucoup à eux, et nous reconnaissons que c'est grâce à leur service que nous profitons aujourd'hui de cette démocratie.
Nous avons prévu 10 millions de dollars pour les cliniques de traitement des TSO, ou traumatismes liés au stress opérationnel, ce qui aidera de nombreux soldats; nous avons également créé un poste d'ombudsman. C'était 10 millions de dollars pour la première initiative et 5 millions de dollars pour la deuxième. L'ombudsman sera maintenant en mesure d'aider les personnes qui se trouvent dans la même situation que vous. Cela aidera beaucoup.
Si j'ai bien compris, vous avez dit qu'aucune victime du SSPT ne devrait se débrouiller seule, parce que la paperasserie est écrasante. Il s'agit d'un autre argument très constructif. Je suis très étonnée, par contre...
Vous avez dit — et je pense avoir bien compris — que le ministère vous avait offert de l'aide, mais que vous n'aviez pas l'impression qu'il s'agirait d'une aide individualisée. On vous a offert de l'aide...
:
C'est une bonne question.
Je vais vous donner mon point de vue sur ce sujet parce que, comme je l'expliquais, je comprends très bien qu'il faut remplir des formulaires, qu'il faut obtenir des données probantes pour pouvoir prendre une décision.
Maintenant, on nous demande de remplir des formulaires, de nous prononcer sur la qualité de vie, de nous prononcer, par exemple, sur des troubles que nous éprouvons, notamment le syndrome de stress post-traumatique, et on nous demande d'avoir des expertises médicales.
Je comprends qu'il est important pour quelqu'un de nommer les limitations et les restrictions associées à son état. En effet, l'expertise médicale peut bien démontrer que la personne a des limites à tel et tel niveau. Par exemple, dans la vie de tous les jours, si mon mari vous dit qu'il ne peut être parmi une foule, l'expertise médicale peut le prouver ou le démontrer. Mais le fait qu'il ne puisse jamais aller voir ses enfants lorsqu'ils présentent leurs spectacles de musique, par exemple, est une notion de qualité de vie qu'il tient à mentionner.
Alors, il s'agit de simplifier le processus et d'alléger les questions pour avoir un formulaire qui répondra mieux à la situation. Au fond, dans un questionnaire, notamment sur la qualité de vie, peu importe l'affection dont on souffre, que ce soit le syndrome de stress post-traumatique, la colonne lombaire, des problèmes d'audition, ce sont toujours les mêmes cinq ou six questions qui reviennent. Alors, lorsqu'on lui demande, par exemple, s'il est capable de conduire un véhicule, ça devient compliqué de répondre parce que son affection au dos ne lui permet pas de le faire, mais le syndrome de stress post-traumatique dont il souffre ne l'en empêche pas. Comprenez-vous que pour certaines questions auxquelles on répond par oui ou par non — et ce sont toujours les mêmes —, on a peur de se tirer dans le pied, finalement, parce que rien n'est adapté à l'affection dont on souffre.
Les formulaires pourraient donc être simplifiés, allégés. Anciens Combattants Canada pourrait tout au moins — je reviens encore là-dessus — fournir une aide, une ressource pour aider les gens à rédiger tout cela.
Je ne veux pas déposer le document dont je parle, mais ce sont toutes des réponses aux questions. On nous demande d'inclure des photos pour expliquer que... Je ne veux pas le déposer, monsieur le président, étant donné que, premièrement, c'est un document unilingue français et, deuxièmement, il contient des informations quand même privées. Je veux seulement que vous puissiez visualiser l'ampleur du travail que j'ai fait pour mon mari seulement pour une affection. Or, il souffre de cinq affections dont, notamment, le syndrome de stress post-traumatique.
Il faut aller chercher ce qu'il a fait de telle à telle année. Quels étaient son rang, sa tâche, l'année de la promotion? On nous demande une foule d'informations. C'est incroyable la recherche qu'on doit faire. Il a fallu consulter les dossiers militaires de mon mari page par page de même que ses dossiers médicaux. Pour ma part, je suis capable de le faire, mais ce ne sont pas toutes les conjointes qui le peuvent.
:
D'abord, tous les gens à qui nous avons parlé au ministère des Anciens combattants ont été d'une compréhension et d'une gentillesse exemplaires. On n'a rien à leur reprocher à cet égard.
Cette personne à laquelle vous faites référence, en fait, changerait toute la donne. Ce pourrait être un individu que nous pourrions peut-être joindre directement. On pourrait lui laisser un message dans une boîte vocale, chose qui est très difficile à faire actuellement. Il pourrait recevoir une copie de tout ce qui concerne mon mari, soit les rapports psychiatriques, des documents du Centre Sainte-Anne, toutes les demandes, les formulaires. Il serait responsable de la distribution de ces documents et s'assurerait que tous les services sont coordonnés. Mais actuellement, il n'y a rien.
À l'heure actuelle, il faut être en mesure de joindre une personne concernant les demandes de pension et les autres services connexes qui pourraient aider mon époux. À mon avis, l'absence d'une telle personne retarde dangereusement le processus. Je dis « dangereusement », mais ce n'est pas une question d'argent, de payer des hypothèques ou de partir en voyage. Cela n'a rien à voir. En fait, on voudrait, mon mari et moi, qu'il soit en mesure d'avoir le traitement qu'il doit suivre en toute liberté d'esprit.
J'aimerais aussi vous mentionner que mon époux n'a pas l'intention de prendre sa retraite avant l'âge de 65 ans. Il veut réintégrer le marché du travail. Il est capable de le faire. Il veut le faire, mais sur des bases équilibrées. Actuellement, la lacune au niveau des services fait que tout ce traitement, par la force des choses, est remis en question.
Alors, il faut être en mesure de joindre un individu en particulier. Je vous le dis, c'est très stressant quand on veut parler au responsable de notre dossier. Lorsqu'on téléphone au centre d'appel au Nouveau-Brunswick ou je ne sais où, quelqu'un nous demande la raison de notre appel. On lui répond que c'est pour faire un suivi de notre dossier. La personne à l'autre bout du fil nous dit qu'elle va laisser un message et qu'on va nous rappeler.
Pas plus tard que la semaine dernière, il y a même eu une erreur. On avait laissé le message à la mauvaise personne. Par conséquent, on a laissé un message le 21 novembre, et ce n'est qu'hier qu'on a eu un retour d'appel. Si ces gens sont en vacances, on ne le sait pas. Personne ne peut répondre à nos questions. On est vraiment laissés à nous-mêmes pour faire des suivis de dossier, pour nous assurer qu'ils ont tous les documents. La preuve en est qu'on est en attente du rapport psychiatrique du Centre Sainte-Anne, et hier, mon époux a simplement appelé le Centre Sainte-Anne, et on lui a télécopié le rapport. Expliquez-moi pourquoi les gens d'Anciens Combattants Canada sont incapables d'aller plus vite, alors que nous pouvons obtenir une réponse dans un délai de 12 heures.
Donc, il faudrait qu'une personne coordonne l'ensemble des informations, qu'elle soit au courant de la situation du client et qu'elle soit vraiment en mesure de permettre l'accès à des services d'urgence, comme c'est le cas actuellement pour mon mari. Il existe certainement des moyens de faciliter cette attente jusqu'à ce que les dossiers soient traités à Charlottetown d'abord, et ensuite à Sherbrooke.
:
Merci, monsieur le président.
Jenifer et Claude, je vous suis très reconnaissant, comme tous mes collègues, d'avoir pris le temps de venir ici pour nous parler de façon très intime de ce que vous avez subi et de ce que vous subissez encore. C'est le genre de choses qu'il est important pour nous d'entendre et d'entendre encore.
En juin, nous avons remis un rapport sur le SSPT, comme vous le savez sans doute. Le comité a étudié la question et a entendu de multiples témoins. Très souvent, et c'est regrettable, nous avons entendu des histoires comme celle que vous nous avez relatée aujourd'hui. Comme quelqu'un l'a déjà dit, nous avions reçu un groupe de familles afin qu'elles puissent s'entretenir avec nous comme en famille. Et cela a sans doute été l'un des moments les plus poignants de toutes nos audiences. Généralement, nous entendons des professionnels, mais je pense que cela a déjà été dit.
Avec cela, vous nous faites part de certains problèmes. Je pense que cela s'inscrit dans le cadre... comme je n'ai pas le rapport sous les yeux. Parmi tout ce dont vous nous avez parlé — le processus, les problèmes de communication — je ne pense pas que ce soit un manque de compassion, mais plutôt des carences au niveau du processus, des obstacles qui gênent le processus et qui empêchent de bien communiquer.
Comme l'a déjà signalé Mme Hinton, il faut que nous rendions la tâche plus aisée aux gens. Peu importe leur niveau d'instruction, peu importe leur situation, la communication simple est toujours garante de la réussite tant au sein des familles qu'au sein des comités comme celui-ci, et cela vaut dans tous les cas.
On a également mentionné le fait qu'il y avait maintenant un ombudsman. Nous étudions actuellement le programme PAAC. C'est cela en fait que nous essayons de faire. Que peut-on faire pour nos anciens combattants afin de les encourager, et plus encore, que pouvons-nous faire pour eux afin de leur permettre de continuer à vivre chez eux? Cela présente de nombreux avantages. Des avantages pour la famille et manifestement aussi des avantages financiers, mais avant toute autre chose, des avantages sociaux.
Tous les témoins nous ont dit que sans cesse se pose le problème de la pénurie de professionnels, alors que nous avons dans notre système public des médecins, des psychologues et tous ces autres professionnels dont nous avons besoin aux Affaires des anciens combattants. J'aimerais beaucoup savoir ce que vous en pensez et si vous avez une idée au sujet de la façon dont on pourrait s'y prendre pour que ces professionnels donnent un peu la priorité aux anciens combattants quand bien même nous savons que dans le système public, il y en a déjà pas assez. Voilà donc un autre secteur de préoccupations.
J'étais heureux de vous entendre dire — et vous l'avez dit plusieurs fois, il faut le reconnaître — que vous aviez été bien traités, que le problème tenait uniquement au processus. Je pense donc que le signal est clair. Malheureusement, au niveau de l'État, cela semble toujours être le processus qui fait dérailler les choses. Pour notre part, nous essayons de simplifier cela.
Pour faire peut-être un petit retour en arrière, vous pourriez peut-être nous aider à élargir le processus. Vous nous avez parlé des formulaires, mais moi je vous parle surtout des professionnels. Avez-vous une idée sur la façon dont nous pourrions nous y prendre pour intégrer et utiliser réellement les services des professionnels? Vous faites partie du système de santé, et j'imagine donc que vous avez bien une idée à ce sujet.
[Français]
La question est très difficile.
Effectivement, je suis d'accord avec vous. Je ne l'avais jamais lu, mais à vous entendre parler, je vois des comportements des enfants. Je vous donne un exemple très simple et très concret. Dans notre chambre, où dort mon mari, il y a une barre à clous et un bâton de baseball parce qu'il ne sait jamais si on va se faire attaquer; il ne dort pas si les portes ne sont pas verrouillées et cela devient une obsession. Il doit vérifier, il envoie les enfants vérifier.
Les enfants développent cette crainte du monde extérieur. En outre, par la force des choses, le jour où il va se débarrasser de sa barre à clous — parce qu'il travaille à cet égard au Centre Sainte-Anne —, je serai honnête avec vous, je me demande si ce ne sera pas moi qui commencerai à avoir peur parce que je n'aurai plus de barre à clous dans ma chambre à coucher. C'est étrange, mais c'est la réalité. Alors, effectivement, cet état est transférable aux enfants. Mais si notre fille de 21 ans allait solliciter de l'aide en disant que son père a eu un diagnostic de syndrome post-traumatique, je pense qu'elle aurait accès aux ressources, qui sont malgré tout actuellement en place mais qui auraient peut-être besoin d'un petit peu de peaufinage et de raffinement, pour l'aider à cheminer. Honnêtement, je crois que les ressources existantes pourraient très bien être reprises dans le cadre d'une thérapie par les travailleurs sociaux, les psychologues, etc.,
Par contre, pour les enfants qui vivent à la maison, c'est différents parce qu'ils sont plus jeunes. Nos enfants ont grandi dans cet environnement. Les plus vieux sont partis de la maison et grandissent un peu à l'extérieur de l'influence paternelle et maternelle. J'ose croire, si les plus vieux d'entre eux lançaient un appel à l'aide aujourd'hui, que le système en place ferait en sorte qu'on pourrait effectivement répondre à leur appel et les aider à cheminer.
En ce qui concerne les plus jeunes, qui demeurent à la maison et qui continuent à vivre avec quelqu'un qui est atteint du syndrome post-traumatique et qui doivent faire face à cette dysfonction tous les jours, il devrait y avoir effectivement plus de ressources. Je sais que le Centre Sainte-Anne fait de grands efforts pour mettre en place des ateliers, de la formation. Les travailleurs sociaux sont vraiment disponibles, mais ils ont aussi des contraintes de temps, de charge de travail et de ressources. Bref, vous connaissez la réalité mieux que moi.
Mais il faudrait effectivement qu'il y ait de l'aide pour les enfants qui vivent cela. Il devrait au moins y avoir un suivi. En ce qui concerne les plus vieux, je pense que le système en place est quand même assez performant et que les ressources pour les aider sont relativement disponibles.