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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 015 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 30 avril 2009

[Enregistrement électronique]

(1235)

[Français]

    C'est la 15e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.

[Traduction]

    Il s'agit d'une séance télévisée, alors j'inviterais tout le monde à parler le moins fort possible afin de bien entendre les intervenants sur le système audio.
    Aujourd'hui, un bon nombre de personnes sont assises à la table pour répondre à des questions, mais deux témoins importants comparaîtront devant nous. D'abord, Jayne Stoyles est la directrice générale du Centre canadien pour la justice internationale.
    Mark Arnold et François Larocque sont avec vous, madame Stoyles, n'est-ce pas?
    Nous sommes très heureux de vous avoir tous ici.
    Stephan Kazemi est aussi un témoin, et il est accompagné par deux de ses avocats, Kurt Johnson et Mathieu Bouchard.
    Je propose que nous commencions par M. Kazemi et que nous entendions ensuite Mme Stoyles.
    À titre d'information, nous avons en général plus ou moins dix minutes pour les déclarations préliminaires. Ensuite, c'est la période de questions. La durée de ces questions dépend du fait que les témoins ont pu respecter les dix minutes allouées pour leurs déclarations.
    Cela étant dit, monsieur Kazemi, voudriez-vous commencer?
    Allez-y. Parlez naturellement et nous vous entendrons.
    Je parlerai en français.

[Français]

    Mesdames et messieurs les membres du sous-comité, je vous remercie pour votre bienveillante invitation à témoigner de mon expérience, qui est beaucoup celle de ma mère, Ziba Kazemi, comme elle était connue de ses amis et de moi-même.
    Je tiens à souligner que la rédaction de ce texte fut un exercice pénible. Trop souvent, j'ai fait face à l'indifférence et à l'incompréhension des autres, incapables d'imaginer la douleur que j'ai ressentie et que je ressens toujours, presque six ans plus tard. Trop souvent, le préjudice que cause la perte d'une mère et de son amour dans des circonstances si tragiques m’a paru échapper à certains à qui je m'adressais.
    Pourtant, cet effort de rédaction, un geste parmi tant d’autres, me donne aussi pleine satisfaction, car la poursuite de la justice est vraiment tout ce qui me préoccupe. Selon moi, sans justice, il ne peut pas y avoir de paix.
    Lorsque je suis arrivé au Canada en 1993 depuis la France où je suis né, avec ma mère Ziba Kazemi, une expression nous a tous deux marqués et fait jaser: « C'est pas pire ». Une expression qui nous venait des gens, du peuple. Eh bien, mon message aujourd'hui est simple: la torture, il n’y a pas pire.
    Est-ce évident? Et si c'est évident, comment le Canada peut-il conférer l’immunité aux tortionnaires? Quel prétexte de souveraineté justifie que l’on empêche que justice soit faite contre ceux et celles qui poussent à l'extrême le supplice de leurs semblables, qui meurtrissent le corps humain? À quel point ces règles et préceptes peuvent-ils être désincarnés, démembrés, voire détachés de la réalité humaine pour assurer l’impunité à celui ou celle qui mutile, brûle ou égorge ce corps et ce coeur que la vie nous a donné?
    Ma mère était une photojournaliste professionnelle. À travers son art, elle voulait informer, rejoindre et sensibiliser les gens. Elle donnait une voix au peuple des pays sur lesquels elle focalisait, et même de l’espoir. Son grand souhait, et je la cite: « mettre fin à ce silence quasi unanime de la communauté internationale où l’un légalise la torture et l’autre légifère le pouvoir absolu. Briser le silence des uns et le lavage de cerveau des autres. »
    Je suis accompagné de mes avocats, qui sauront répondre aux éventuelles questions d'ordre juridique. Quant à moi, mon témoignage devant vous aujourd’hui se veut plus personnel, afin qu’il puisse peut-être donner un visage aux drames que des millions vivent chaque jour en silence, loin des caméras, trop souvent oubliés.
    Je suis donc le fils. Je suis celui qui a crié, protesté, cherchant justice. Celui qui a refusé d’attendre passivement que des notes diplomatiques aient un effet quelconque. Je suis celui qui a voulu que le monde entier sache ce qui est arrivé à sa mère, et que notre gouvernement et nos lois nous trahissent trop souvent, indignes du souvenir d’une mère, de son fils, et du pays pourtant ouvert et respectueux qui les accueillit jadis.
    Je me permets de citer un court passage d’un texte écrit par ma mère, Ziba, au sujet de son pays d’origine, l’Iran:
Voilà 20 ans que l’Iran transfigure sous le regard de ses enfants horrifiés et éberlués. Ils constatent leur patrie ployée sous le poids de l’analphabétisme politique qui s’accroche au pinacle de son pouvoir et qui spolie leur fortune au même rythme qu’il a poussé à la multiplication de sa population. L’Iran, un pays millénaire formé autour d’une mosaïque de diversités raciales, culturelles, linguistiques et religieuses. L’Iran étendu sur une nappe de richesses et côtoyant une géopolitique de grande importance, l’Iran qui fit rêver tant de créateurs et d’âmes sensibles et, à présent, épouvante le rêve des siens.
    Voilà, je suis là, près de six ans après le violent kidnapping de ma mère par le gouvernement iranien. Après l’avoir enfermée, frappée, broyée, giflée, beurrée, massacrée et tenté de l’indigner, ils, les membres du gouvernement de l’Iran, l’ont étouffée six pieds sous terre.
(1240)
    Avant la mort de ma mère, voire durant les jours et les semaines qui ont suivi son décès, j'étais très naïf. D'une naïveté courante, certes, de celle qui croit que l'État, le gouvernement d'un pays, est responsable de la protection de ses citoyens. Aujourd'hui, je constate que cet idéal se butte dans la réalité à de nombreuses limites, lesquelles trouvent en partie leur source dans un manque de volonté politique, y compris au sein du gouvernement canadien. En fait, trop souvent, l’intérêt supérieur de l’État prend le dessus sur la liberté ou même sur la vie des individus qui pourtant la constituent.
    Vous m'avez appelé ici, je comprends, pour témoigner de mes sentiments et de mon expérience dans cette affaire et en regard de cette loi que l'on a au pays et qui confère aux États de même qu’à leurs fonctionnaires brutaux, voire sanguinaires, une immunité complète vis-à-vis leurs victimes. Alors voilà, vous l’avez: c'est l'impression et le sentiment avec lequel je vis depuis cinq ans et demi, celui que mon gouvernement s'est moqué et se moque de moi. Car non seulement ses efforts initiaux furent-ils vains, mais il résiste et s’oppose au recours maintenant entrepris contre les autorités iraniennes, soutenant l’application de la Loi sur l’immunité des États à l’Iran et à ses fonctionnaires dans cette cause.
    J’ai sacrifié jusqu'à ce jour de nombreuses et belles années de ma vie pour justement faire un exemple de ce cas, de mon expérience, et surtout de celle de Ziba, afin que de tels événements ne se reproduisent plus. Je suis ainsi fier d’assumer ma responsabilité personnelle dans cette affaire, et je souhaite que le gouvernement canadien en fasse autant, que ce soit en regard de la cause de ma mère ou dans les mesures qu’il peut entreprendre pour assurer le respect des droits de la personne au niveau international, tant en Iran qu’ailleurs sur la planète.
    Le Haut-commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies ainsi que le Comité contre la torture ont, ces dernières années, vivement recommandé au gouvernement du Canada de permettre aux victimes de torture de trouver recours devant les tribunaux canadiens. Les documents pertinents se trouvent sur le site Web de la Fondation Ziba Kazemi — zibakazemi.org. Se trouve aussi sur notre site Web le rapport du Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression en Iran, Ambeyi Ligabo, un homme que j'aime beaucoup. Il y consacre plusieurs pages au cas de ma mère. Il s’agit d’un rapport très bien rédigé, où M. Ligabo décrit avec force détails le cas de ma mère et souligne au passage le climat d’impunité qui règne en Iran, climat auquel nous contribuons en maintenant la même immunité au Canada.
    D’ailleurs, quelque temps après la publication de son rapport, le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression en Iran s’est joint à deux autres rapporteurs spéciaux des Nations Unies pour indiquer au monde entier leur profonde inquiétude face à ce climat d’impunité toujours irrésolu, celui-là même sous lequel sévissent les pires violations des droits de la personne.
    Je vous ai entretenu de mon amertume et de mon désarroi, mais je réalise aussi et apprécie infiniment ces fleurs qui ont été récoltées dans ce champ de misère. Je parle de notre système, le système canadien. Je parle des lois et structures qui marchent et s’appliquent en faveur des gens, du peuple. Je parle aussi des fleurs que ces mêmes gens ont plantées tout au long de ma route et j'ai la conviction que le temps est venu de planter une nouvelle fleur, qu’il est temps de rendre justice aux plus grandes victimes de ce monde. Il est temps de lancer un message clair et concis au monde entier: nous, les Canadiens, ne tolérons pas la torture.
    Je souhaite que le Canada devienne un leader. Que les tortionnaires du monde entier prennent garde, car ils pourraient désormais devoir faire face à leurs victimes, voire perdre une cargaison commerciale ou deux pour compenser les douleurs qu’ils infligent dans leur folie. Mesure futile? Non, car ces bourreaux, qu’ils soient d’Iran ou d’ailleurs, ne comprennent souvent qu'un seul langage, et c'est celui de l'argent. En permettant à leurs victimes d'obtenir compensation devant les tribunaux canadiens, on rejoint ces individus là où cela leur fait le plus mal. On ne les guérira pas de sitôt, j'en ai bien peur, mais la fin de l'impunité dont ils jouissent présentement les contraindra peut-être petit à petit à freiner leurs gestes. N'est-il pas de plus grande dissuasion que la certitude de devoir répondre de ses actes?
(1245)
    Ce que je veux, c'est la justice. Ce n'est évidemment pas une question d'argent, moi qui me démène depuis plus de cinq ans, perché devant les portes de l'enfer, moi qui vis ma vie au jour le jour avec cette affaire plantée au centre du coeur. Pour moi, c'est une mission que de contribuer à la justice de façon significative, suite à ce que j'ai vécu, de transformer un événement tragique en une semence d'où germeront des millions de fleurs, un monument vivant à la mémoire de ma mère.
    Enfin, tout au long de cette route, parmi nos défaites, nous avons eu une belle et grande victoire, celle des gens. Nous avons eu la chance de rejoindre et de toucher le coeur des gens. Je reçois toujours, presque six ans après la tragédie, des encouragements, des signes, des salutations, des lettres, des hommages de la part d'inconnus qui eux aussi croient en la bonté, en la vérité, des gens qui croient en la justice, qui croient en ma mère, en moi, qui ne nous ont pas oubliés, qui nous regardent toujours.
    Même si, à ce jour, la justice nous échappe, même si, malgré le parfum et la beauté des autres fleurs qui l'entourent, la justice reste pour l'instant éclipsée, nous, les gens, la soutenons toujours et voulons lui insuffler un souffle de vie nouveau. Une justice qui ne soutient pas les gens est une justice qui ne marche pas, qui est elle-même malade et déséquilibrée. Au Canada, la justice permet la torture de ses propres citoyens avec pleine immunité. Telle est la réalité, tels sont les faits.
    Mesdames et messieurs, merci de m'avoir accordé votre temps si précieux. Je vous donne rendez-vous, je l'espère, dans un avenir rapproché, dans un monde sans peur, un monde libre, un monde qui peut commencer ici, chez nous, au Canada.
     À bientôt.
    Merci, de votre témoignage, monsieur Kazemi.

[Traduction]

    Madame Stoyles, à vous.

[Français]

    Membres distingués du comité, je vous remercie beaucoup de cette occasion de discuter d'une question de très grande importance pour le Canada. Il est très possible de rendre la justice pour les survivants des violations des droits de la personne en Iran et de prévenir ce type de violation dans le futur.

[Traduction]

    Distingués membres du comité, j'aimerais vous remercier de m'avoir invitée à vous entretenir d'une question très importante, la nécessité de modifier la Loi sur l'immunité des États et, plus précisément, de la question de l'immunité qui empêche les victimes de torture en Iran ainsi que leurs familles, des gens comme Stephan, d'obtenir justice.
    J'aimerais également remercier Stephan pour le courage dont il fait preuve lorsqu'il raconte ce genre d'histoire et pour la bataille qu'il continue de livrer afin que justice soit rendue.
    J'exerce les fonctions de directrice générale au sein du Centre canadien pour la justice internationale ici à Ottawa. Le CCJI est une organisation caritative qui travaille auprès des survivants de la torture, des génocides et d'autres atrocités afin d'obtenir réparation et de traduire les auteurs de ces actes criminels en justice. Je suis avocate et j'ai dirigé la campagne mondiale pour établir la Cour pénale internationale.
    J'aimerais présenter rapidement mes collègues qui se joindront à cette discussion; les deux font partie du réseau du CCJI.
    Mark Arnold est un avocat de Toronto, spécialisé en contentieux civil, il s'est employé, au cours des dernières années, à obtenir justice devant les tribunaux canadiens à l'égard des actes de violation des droits de la personne commis à l'étranger. Il a représenté M. Houshang Bouzari, un survivant à des actes de torture commis en Iran qui demeure maintenant au Canada, dans une action en justice intentée contre le gouvernement iranien. J'aimerais mentionner que M. Bouzari est ici, à la tribune, aujourd'hui.
    François Larocque est un professeur de droit à l'Université d'Ottawa. Il a étudié la question de l'immunité pendant de nombreuses années et est intervenu dans le dossier Bouzari au nom de l'organisme sans but lucratif, Juristes canadiens pour les droits de la personne. Il s'occupe également de deux affaires en cours concernant la Loi sur l'immunité des États.
    Comme vous l'avez entendu de façon très succincte et poétique, la famille de Zahra Kazemi attend encore que justice soit faite. Nous avons entendu comment Mme Kazemi, qui était citoyenne canadienne, a été torturée dans une prison iranienne simplement parce qu'elle a pris des photos lors d'une manifestation. Ses blessures révèlent que, pendant qu'elle subissait la torture, elle a été victime de violence sexuelle de la part de représentants iraniens qui lui ont aussi fracturé plusieurs os, dont le crâne. Évidemment, elle est morte plus tard des suites des blessures qui lui ont été infligées.
    Son décès remonte à près de six ans et personne n'en a été tenu responsable. Avec des tiraillements et sous des pressions internationales importantes, le régime iranien a admis avoir une certaine responsabilité dans l'affaire, mais personne n'a encore été reconnu coupable. La famille de Mme Kazemi, notamment Stephan, comprenant trop bien l'inutilité de l'enquête menée en Iran, a intenté une poursuite à Montréal contre le gouvernement de l'Iran et trois représentants iraniens. L'Iran prétend à présent qu'il ne peut faire l'objet d'une action en justice en vertu de Loi sur l'immunité des États. Le tribunal tranchera cette question plus tard au cours de la présente année.
    Plusieurs différences distinguent le cas de Mme Kazemi d'une tentative antérieure, infructueuse, de tenir l'Iran responsable d'actes de torture, et c'était le cas de M. Bouzari, mais il est à tout le moins probable que l'action en justice concernant Mme Kazemi échouera également en raison du libellé limitatif de la Loi sur l'immunité des États. Cette hypothèse repose sur l'affaire de M. Bouzari. En 1993 et 1994, ce dernier a été emprisonné, battu, fouetté et traumatisé de même qu'assujetti à des simulacres d'exécution pendant près de huit mois.
    À l'instar d'un employé précédent oeuvrant dans le secteur pétrolier iranien, il a été engagé par un consortium d'entreprises voulant développer les ressources pétrolières en Iran. Il a été torturé parce qu'il a refusé de répondre à des demandes de pot-de-vin de la part du fils du président de l'Iran. Quelques années après la libération de M. Bouzari par les représentants iraniens, lui et sa famille ont déménagé au Canada. L'action en justice qu'il a intenté en Ontario contre le gouvernement iranien a cependant échoué. Même si l'Iran n'a pas défendu la cause, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé que la Loi sur l'immunité des États soustrayait l'Iran aux poursuites concernant des actes de torture. L'autorisation d'interjeter appel de la décision auprès de la Cour suprême du Canada a été refusée.
    Le résultat concret de l'affaire Bouzari est que les résidents du Canada qui sont ou qui ont été torturés en Iran, comme dans d'autres régions répressives, ne peuvent obtenir justice. M. Bouzari ne peut absolument pas retourner en Iran pour intenter un recours devant les tribunaux en Iran, et l'enquête sur le décès de Mme Kazemi à Téhéran montre clairement qu'il est impossible d'avoir un processus impartial en Iran.
    Les demandeurs dans ces deux actions en justice demeurent au Canada; il est donc peu probable qu'un tribunal d'un autre pays se déclare compétent pour juger les actes commis dans ces deux cas. Les tribunaux canadiens deviennent donc une solution de dernier recours. En rejetant l'action intentée par M. Bouzari en Ontario, on a ainsi complètement refusé de lui rendre justice et il est possible que la famille de Mme Kazemi essuie le même refus. J'aimerais ajouter que l'action en justice de Maher Arar contre les gouvernements de la Syrie et de la Jordanie a été rejetée pour les mêmes motifs d'immunité. Si la poursuite en justice de la famille de Mme Kazemi ne peut être exercée, les survivants de la torture ne pourront probablement plus avoir accès aux tribunaux canadiens.
(1250)
    Le principe de l'immunité des états tient fondamentalement à une question de respect de leur souveraineté. En général, l'immunité empêche les tribunaux d'un pays de juger les mesures officielles ou souveraines d'un autre pays. Ce principe vise également à empêcher les ruptures des relations diplomatiques lorsque les tribunaux en arrivent à des conclusions qui peuvent différer des décisions prises par le gouvernement de l'époque. De nos jours, cependant, la plupart des nations reconnaissent qu'elles ne doivent pas être préservées de tout, en particulier lorsqu'elles se livrent à des activités qui ne relèvent pas de leur loi principale souveraine. La Loi sur l'immunité des États du Canada, adoptée en 1982, rend compte de cette approche restrictive face à l'immunité. En d'autres mots, il ne s'agit pas d'accorder une immunité totale.
    Certes, la loi part du principe que les gouvernements étrangers bénéficient d'une immunité de juridiction à l'égard des tribunaux canadiens, mais la loi énonce des exceptions où l'immunité ne peut être accordée. Par exemple, les États étrangers ne bénéficient pas d'une immunité en matière de responsabilité civile dans le cas d'activités commerciales ni ne bénéficient d'une immunité dans les cas de décès, de lésions corporelles ou de dommage matériel survenus au Canada. Ces exceptions découlent du fait que les activités sous-jacentes ne sont pas considérées comme étant de nature souveraine. Également, la communauté internationale considère actuellement que la torture est un acte qu'il n'est pas approprié d'entreprendre pour un état souverain. Dans la hiérarchie du droit international, l'interdiction des actes de torture arrive en tête et est l'équivalent, sur le plan international, d'une norme constitutionnelle. Cette interdiction engage toutes les nations, et aucun pays n'a le droit de commettre des actes de torture quelles que soient les circonstances. La torture n'est pas un acte qui peut faire l'objet d'une immunité.
    L'obstacle actuel créé par le libellé de la Loi sur l'immunité des États dans les poursuites civiles est accentué par le fait que la justice est aussi presque totalement absente dans les causes criminelles. Au cours des neuf années suivant l'adoption de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre qui visaient à habiliter les tribunaux criminels canadiens à juger les suspects accusés d'avoir commis des atrocités à l'étranger, le gouvernement canadien n'a poursuivi qu'une seule personne. Une disposition similaire du Code criminel en ce qui concerne la torture n'est pas appliquée.
    Le Programme canadien sur les crimes de guerre consacré à la poursuite de ces cas n'a pas vu son financement augmenter au cours de ses dix années d'existence. Au nombre des quatre ministères participant au programme, nous croyons comprendre que les deux qui sont affectés aux enquêtes et aux poursuites dans les affaires criminelles, à savoir la GRC et le ministère de la Justice, ne touchent qu'environ 8 p. 100 des fonds attribués au programme. L'Agence des services frontaliers du Canada et Citoyenneté et Immigration Canada, qui mettent l'accent sur l'exclusion et le renvoi des présumés criminels de guerre et font totalement fi de la nécessité de justice, reçoivent la part du lion du budget.
    Ce déséquilibre en matière de financement a des conséquences réelles et pratiques pour la GRC et le ministère de la Justice. En effet, il semble qu'une seule poursuite au criminel à la fois puisse être possible. Étant donné qu'il peut y avoir au moins 1 500 présumés tortionnaires et criminels de guerre qui vivent au Canada, il est presque impossible d'imaginer que le programme utilise ses ressources très restreintes pour poursuivre une affaire, comme celle de Mme Kazemi, dans laquelle les individus responsables sont à l'extérieur des frontières canadiennes.
    En raison de son recours à la Loi sur l'immunité des États pour refuser un recours aux survivants de la torture, le Canada manque à ses obligations juridiques au terme de la Convention contre la torture. L'article 14 du traité exige que les parties offrent une mesure de réparation et de dédommagement aux survivants de la torture. Après le jugement rendu dans l'affaire Bouzari, le Comité contre la torture des Nations Unies, l'organisme chargé de surveiller la mise en oeuvre adéquate de la convention, a procédé à un examen périodique de la conformité du Canada au traité. Les membres du comité étaient parfaitement au courant de l'affaire Bouzari et ont rejeté l'argument du gouvernement canadien, selon lequel les pays ne sont pas tenus d'offrir un dédommagement pour les actes de torture commis à l'intérieur de leurs frontières. Il a plutôt indiqué clairement dans son rapport final que, aux termes de l'article 14, les États doivent offrir un dédommagement à tous les survivants de la torture, peu importe l'endroit où les actes de torture ont été commis. Le comité a fait état de « l'absence de mesures effectives d'indemnisation civile des victimes de torture dans toutes les affaires » en ce qui concerne le Canada et il lui a recommandé de revoir « sa position concernant l'article 14 de la convention en vue d'assurer l'indemnisation par la juridiction civile de toutes les victimes de torture ».
    En modifiant la Loi sur l'indemnité des États, le Canada peut également commencer à recourir à la dissuasion pour empêcher la commission d'autres actes de violation des droits de la personne. Les mesures de dissuasion ne peuvent voir le jour que dans le cadre d'un système solide combinant les sanctions pénales et civiles et tenant responsables tant les personnes que les gouvernements. Je comprends qu'il y aura des préoccupations relativement au fait qu'une telle initiative ouvrira la porte et inondera les tribunaux canadiens de poursuites contre les actes de violation des droits de la personne qui ont été commis à l'étranger. Cela dit, le système judiciaire a déjà mis en place des contrôles pour rejeter les dossiers qui ne devraient pas se retrouver devant les tribunaux. Les juges doivent toujours s'assurer que la poursuite a un lien réel et important avec la province où ils siègent. Dans le cas de M. Bouzari, le lien principal en Ontario était qu'il résidait dans la province au moment où il a intenté un recours. La Cour d'appel n'a pas décidé si c'était suffisant pour reconnaître la compétence, parce qu'elle a rejeté la demande pour des raisons d'immunité. Uniquement parce qu'il n'y avait aucun redressement possible en Iran, il n'était pas facile alors de traiter le problème.
(1255)
    Même s'il existe un lien réel et important avec une province canadienne, une poursuite ne sera exercée que si le Canada est le meilleur endroit pour entendre l'affaire. Si un autre pays est en meilleure position à cet égard, en raison peut-être de la preuve ou de l'endroit où se trouvent les témoins, et si ce pays respecte les garanties procédurales, un tribunal canadien peut rejeter l'action en justice. En conséquence, les tribunaux canadiens ne se chargeront que des affaires pour lesquelles le Canada est le meilleur endroit et le dernier recours.
    La levée de l'immunité à l'égard de la torture ne transformera pas soudainement les tribunaux canadiens en chiens de garde surveillant les mécanismes internes des autres pays ou n'exigera pas qu'ils mettent leur nez dans tous les secteurs d'activité d'un gouvernement étranger. Elle permettra plutôt l'inspection d'un petit nombre de cas relatifs aux actes les plus abominables que l'on puisse imaginer, lorsque les nations responsables ne peuvent le faire ou refusent de le faire.
    Cette façon de faire limitera aussi l'interruption de la libre-circulation de la diplomatie étrangère. En fait, la dénonciation des actes de torture commis en Iran par l'entremise des tribunaux irait directement dans le sens de la politique du Canada à l'égard de l'Iran. Le Canada a joué un rôle de chef de file en faisant adopter, à l'Assemblée générale des Nations Unies, des résolutions dénonçant les pratiques en matière de droits de la personne de l'Iran, notamment celle qui a été adoptée à la fin de 2008.
    La position que nous défendons aujourd'hui n'est pas nouvelle ou originale. La question a beaucoup été étudiée et débattue pendant un certain nombre d'années. En novembre dernier, le CCJI a été l'hôte d'un atelier concernant les recours civils devant les tribunaux canadiens dans les cas de torture et d'autres atrocités. L'atelier a réuni des experts provenant de toutes les régions du Canada, notamment des praticiens et des universitaires. Les participants ont convenu de la nécessité de réformer la Loi sur l'immunité des États pour prévoir une exemption en cas de torture ou d'autres atrocités.
    Plusieurs années plus tôt, l'International Human Rights Clinic de la faculté de droit de l'Université de Toronto, de concert avec une foule d'experts, a recommandé une modification à la loi, qui par la suite a été présentée comme projet de loi. Nous avons remis à chaque membre une copie de la modification proposée, qui peut servir de point de départ à un nouveau projet de loi. Les membres ont également discuté d'autres types de modifications à apporter à la loi, dont certaines ont été présentées en tant que projets de loi d'initiative parlementaire.
    Un tel système est possible. Les États-Unis autorisent les victimes d'actes de torture et d'autres atrocités à poursuivre les individus qui sont responsables de ces actes criminels. Ces poursuites ont rarement surchargé le système et, en fait, les tribunaux se sont avérés pleinement capables de rejeter les demandes n'ayant aucun fondement en droit ou d'en réduire le nombre.
    Même si on ne peut généralement recourir aux lois américaines pour sanctionner d'autres États, le Congrès a créé une exception explicite au Foreign Sovereign Immunities Act qui permet d'entreprendre des poursuites contre un petit nombre de pays, notamment l'Iran. De même, on note une tendance mondiale vers la levée de l'immunité en ce qui concerne les actes de torture et d'autres atrocités commis dans un contexte civil. En fait, il faut comprendre que dans de nombreux pays, il n'existe pas d'équivalent à notre Loi sur l'immunité des États.
    La communauté internationale convient, dans une très large majorité, que la torture est illégale dans toutes les situations et que, dans une société moderne, c'est un acte répugnant. En accordant l'immunité aux régimes qui pratiquent la torture, le Canada non seulement ne s'acquitte pas de ses obligations en vertu de la Convention contre la torture, mais il manque à son devoir moral d'accueillir les victimes et de leur donner espoir.
    La modification de la Loi sur l'immunité des États permettra au Canada de prendre clairement parti pour les survivants plutôt que pour les tortionnaires. Le comité pourrait ainsi contribuer de façon concrète à la prévention des violations extrêmes des droits de la personne à l'échelle internationale dont les membres ont entendu parler dans le cadre de leur enquête sur la situation en Iran.
    Merci beaucoup du temps que vous nous accordez aujourd'hui.
(1300)

[Français]

    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Passons maintenant à la période de questions. Nous commençons généralement avec les questions de sept minutes pour passer ensuite à celles de cinq minutes; il demeure cependant essentiel que les questions et les réponses soient aussi courtes que possible. Cela étant dit, nous sommes prêts à commencer.
    Monsieur Silva.
    Merci monsieur le président.
    Je veux remercier tous les témoins qui sont ici aujourd'hui. Je dois avouer que c'est un groupe impressionnant que le comité reçoit.
    Je commencerai par une question à Mme Stoyles. L'enjeu et les faits ont été exposés, mais au-delà de cet enjeu et de ces faits, vous avez mentionné quelques modifications nécessaires. J'aimerais que vous précisiez davantage les modifications qui doivent être apportées à la Loi sur l'immunité des États et auxquelles nous devrions donner suite en tant que membres du Parlement siégeant à ce comité.
    Merci beaucoup de soulever cette question.
    Je dois préciser, si les membres sont d'accord, que toutes les questions qui me sont posées s'adressent également aux collègues qui m'accompagnent aujourd'hui. Peut-être devrais-je aborder un premier aspect et voir s'ils ont quelque chose à ajouter.
    Si j'ai bien compris, votre question vise à obtenir des précisions sur l'amendement que nous proposons. Il y a différentes opinions quant au libellé exact, et je crois que c'est un élément dont nous devons discuter ensemble; toutefois, l'essentiel de la demande présentée aujourd'hui porte sur une exemption à l'application de la Loi sur l'immunité des États dans le cas d'actes de torture et, nous l'espérons, dans le cas d'autres atrocités comme les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides. Le libellé de l'amendement serait assez semblable à celui qui existe déjà dans la loi concernant les activités commerciales et les activités criminelles commises au Canada.
    Nous avons fourni un exemple du libellé élaboré par la Clinique du Programme de droit international de la personne de l'Université de Toronto. On a donc passé en revue tout le texte de loi pour en clarifier le libellé. Nous serons heureux de discuter ultérieurement des amendements proposés et demanderons à notre groupe de spécialistes de revoir encore une fois le texte afin de déterminer si la formulation est exacte ou si d'autres termes seraient plus appropriés.
    Puis-je répondre aussi à cette question?
    Monsieur Silva, je suis ravi que vous ayez posé cette question sur les amendements que nous demandons. Cela nous permet de faire un autre pas important en avant. Mes attentes vis-à-vis du comité aujourd'hui se résumaient à un engagement à inscrire cette question à l'ordre du jour. Maintenant que vous vous êtes engagés à l'inscrire à l'ordre du jour, nous pouvons procéder à l'étude des amendements nécessaires.
    Nous avons ici toute une brochette de spécialistes des questions légales et il y en a beaucoup d'autres que nous pouvons consulter partout au pays. Nous pouvons élaborer des amendements pour vous et le Parlement peut présenter les amendements qu'il juge nécessaires. Ce que nous voulons, c'est votre engagement, en tant que député, à inscrire à l'ordre du jour la question des amendements à la Loi de l'immunité des États qui visent à protéger les victimes de torture.
    Merci de votre question.
(1305)
    Si nous devons nous réunir à une date ultérieure, peut-être pourriez-vous nous transmettre toute l'information par écrit afin que les membres du comité puissent en prendre connaissance. Je sais qu'il y a parmi nous de très nombreuses personnes qualifiées, mais je veux m'assurer que nous serons en mesure de transmettre tous les renseignements nécessaires aux membres de notre comité.
    Vous n'avez qu'à communiquer avec nous ou à téléphoner à Jayne, nous sommes à votre disposition. Nous sommes prêts à rencontrer n'importe quel membre de ce comité, à l'endroit qui vous conviendra. Cette question est très importante. Nous devons protéger les Canadiens et les autres personnes vivant au Canada qui ont souffert de ces actes violents.
    Lorsque le Canada a signé et ratifié la Convention contre la torture, nous avons également élaboré une série de lois visant à respecter le protocole international. Croyez-vous que le Canada n'est pas allé suffisamment loin quant aux mesures prises pour mettre en oeuvre la convention et que, par conséquent, nous ne sommes pas tout à fait conformes à cette convention contre la torture? Est-ce bien ce que vous affirmez?
    Je peux m'adresser à vous dans l'une ou l'autre des langues officielles, mais il arrive parfois que le français prenne le pas sur l'anglais.
    Lorsqu'il a ratifié la convention contre la torture, la toute première mesure législative que le Canada a prise a été la mise en oeuvre du volet pénal de l'équation. Le crime de torture a été ajouté au Code criminel en se fondant sur les principes de justice universelle. Toutefois, l'article 14 n'a pas été mis en oeuvre de façon explicite. D'ailleurs, le Comité contre la torture des Nations Unies en a fait état dans le rapport qu'il nous a transmis en 2005.
    Je sais que le Canada ne formule aucune réserve au sujet des traités internationaux, alors aucune réserve n'a été émise par le Canada. Contrairement à d'autres pays qui ont ratifié la convention et exprimé des réserves à cet égard, le Canada n'en a émis aucune. En fait, nous n'avions pas encore déterminé toutes les modalités de la législation nationale permettant de respecter nos engagements internationaux. Est-ce bien cela que je dois comprendre?
    C'est exact.
    Cette situation pourrait faire l'objet d'une longue discussion en soi, mais il y a plusieurs raisons qui peuvent être avancées pour expliquer une telle situation. L'une d'entre elles est peut-être qu'il nous semblait plus sage de procéder étape par étape. En fait, il est très rare que les conventions, voire chacun des articles d'une convention ou d'un traité, soient mis en oeuvre intégralement. Ce que l'on constate souvent, particulièrement dans le cas de mesures législatives sur les droits de la personne, c'est le recours à une approche de mise en oeuvre article par article. On pense parfois que les lois canadiennes assurent toute la protection nécessaire prévue dans le traité en question. Cependant, ce n'est pas le cas de l'article 14 de la convention contre la torture. Il n'y a aucune modalité explicite de mise en oeuvre de l'obligation d'accorder un recours civil aux survivants de la torture.
    J'aimerais ajouter quelque chose au sujet de l'examen du dossier du Canada par rapport à la Convention contre la torture des Nations Unies, examen selon lequel le Canada manque à ses obligations juridiques en vertu de cette convention. Ce constat est fondé essentiellement sur une interprétation de la Loi sur l'immunité des États par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Bouzari. En effet, dans cette décision, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué qu'étant donné que la Loi sur l'immunité des États existe et protège des gouvernements comme celui de l'Iran contre toute poursuite civile, cela signifie que les actes de torture doivent avoir été commis au Canada pour que la victime puisse obtenir un recours, ce qui, de toute évidence, n'est pas l'intention de la convention contre la torture. D'ailleurs, le comité des Nations Unies a fait clairement savoir que telle n'était pas son intention au moment de la rédaction de la convention contre la torture. En fait, cette convention vise à offrir un dédommagement à tous les survivants de la torture, peu importe l'endroit où les actes de torture ont été commis, et l'interprétation qu'en a fait le Canada est beaucoup trop restrictive.
    Cette affaire a mis en lumière la nécessité de modifier la Loi sur l'immunité des États de façon à préciser qu'aucune immunité ne doit être accordée aux fonctionnaires des pays qui commettent des actes de torture.
    Nous sommes également signataires du statut créant la Cour pénale internationale, un autre enjeu important au regard de la Loi sur l'immunité des États. Alors, est-ce que le Canada viole deux conventions, la Convention contre la torture des Nations Unies et celle de la Cour pénale internationale, deux conventions qu'il a signées?
(1310)
    Je peux répondre à cette question.
    Il n'existe dans le Statut de Rome aucune obligation directe d'accorder un recours civil dans le cas de crimes visés par ce statut. Alors, je ne dirais pas que le Canada viole le Statut de Rome en n'accordant pas des mesures de recours. Je dirais que, dans notre cas, nous commettons plutôt une infraction à la Convention contre la torture.
    Ceci étant dit, nous croyons que pour tous les crimes visés par la loi internationale — actes de torture, génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre — nous pourrions offrir tout un éventail de recours, tant au criminel qu'au civil. C'est un argument qui pourrait être avancé, mais pour répondre à votre question, il n'y a aucune obligation directe découlant du Statut de Rome.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Madame Thi Lac.

[Français]

    Merci à tous d'être là. Vous êtes venus nombreux afin de nous éclairer sur un sujet important.
    Je vais d'abord m'adresser à M. Kazemi. On perçoit dans votre allocution que votre deuil est réel et on a senti que le décès de votre mère et la cruauté inhumaine dont elle a été victime sont inacceptables. Effectivement, être victime de torture, d'agression et de sévices sexuels est une chose que l'ensemble de la population devrait dénoncer. Je vous dis que le combat que vous menez est entendu ici aujourd'hui.
    Vous avez parlé de justice. Vous avez dit à de nombreuses reprises durant votre témoignage que vous considérez que justice n'a pas été rendue. Pouvez-vous me dire en deux minutes quand vous considérerez que justice a été rendue?
    Ce sera lorsque mes demandes, qui datent de près de six ans, seront exaucées. La première est le rapatriement du corps de ma mère, qui n'a rien à faire à Shiraz en Iran. C'est la première fois que je le dis, ma mère avait un souhait personnel qu'elle m'a communiqué, celui d'être exhumée. Son dernier souhait n'a pas été respecté. D'autre part, même si elle n'avait pas voulu être exhumée, elle devrait être enterrée ici auprès de moi.
    La deuxième est que les responsables avérés de ce crime soient jugés et poursuivis. Le responsable de ce crime, c'est très clair, est le gouvernement de l'Iran. Je ne peux pas viser une personne ou deux, puisque les tortionnaires ne sont pas les seuls responsables. Le responsable, c'est le gouvernement de l'Iran. C'est un cas très clair, on ne peut plus clair, de couverture. Le gouvernement en entier a, pendant toutes ces dernières années, démontré par sa propre bêtise qu'il était responsable et qu'il avait lui-même tous les détails de cette affaire. Que ce soit la Commission de l'article 90, que ce soit les différents partis d'opposition, c'est une bataille politique en Iran, mais tous les partis savent la vérité et sont donc complices dans cette affaire. Le gouvernement iranien est responsable de ce crime.
    Je vous remercie beaucoup pour ce complément d'information.
    Je vais adresser ma question aux témoins. La personne qui se sent la plus interpellée ou qui croit avoir la meilleure réponse pourrait peut-être me répondre.
    Madame Stoyles, vous avez mentionné que les États-Unis autorisaient les victimes d'actes de torture et d'autres atrocités à poursuivre les responsables de ces actes. De quelle façon les Américains procèdent-ils? Cette façon pourrait-elle être la même pour le Canada? Vous avez également dit que le Congrès américain a institué une exception pour pouvoir sanctionner d'autres États à cet égard. Madame Stoyles, cette exception pourrait-elle s'appliquer à des cas comme celui de la mère de M. Kazemi ou comme le cas dont vous nous avez parlé en début d'exposé?
(1315)

[Traduction]

    Merci.
    Je vais peut-être commercer, à moins que Mark ne souhaite intervenir?
    Pour dire les choses très simplement, dans la mesure où je comprends bien le droit américain, les États-Unis ont une loi semblable sur la souveraineté des gouvernements étrangers et sur l'immunité des gouvernements étrangers; sous le régime de cette loi, il existe une exception, pour ce que l'on appelle, je crois, les « pays qui soutiennent le terrorisme ». En vertu de cette exception, de nombreux jugements sont rendus contre l'Iran par les États-Unis. Je consulte actuellement un avocat américain au sujet de certaines des causes de ce genre aux États-Unis. C'est de cette façon que ces dossiers sont traités là-bas.
    L'autre chose que je dois mentionner — et que je me dois de souligner à votre intention — c'est que nous avons parmi nous aujourd'hui M. Houshang Bouzari, l'homme aux cheveux blancs que vous voyez derrière moi. Il a survécu à la torture. Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons défendu sa cause jusqu'à la Cour suprême du Canada, où M. Bouzari a été débouté, sur la question de la souveraineté des gouvernements étrangers. Nous avions alors fait valoir que le droit international avait préséance sur les lois intérieures du Canada et nous avons été déboutés sur cet argument. Cela ne fait que renforcer la nécessité de modifier la loi canadienne, si nous souhaitons assurer la protection des victimes de torture qui ne peuvent obtenir justice ailleurs.
    Cela ne veut pas dire que nous allons nous mettre à intenter des poursuites devant des tribunaux étrangers, comme aux États-Unis et en Angleterre. Ces pays ont des tribunaux compétents. Nous voulons simplement rendre justice aux personnes qui ne peuvent obtenir justice dans d'autres pays.
    Il existe des exceptions aux États-Unis. C'est à vous qu'il revient de déterminer comment rédiger cette loi au Canada, et nous sommes en mesure de vous aider à le faire.

[Français]

    Je vais me permettre de renchérir un peu et expliquer plus exactement comment ont fait les Américains pour codifier cette exception.
    Comme Me Arnold vient de dire, les États-Unis ont rédigé une liste d'États qui, selon eux, appuient le terrorisme. Aujourd'hui, quatre États figurent sur cette liste. Il s'agit de Cuba, de l'Iran, du Soudan et de la Syrie. Il n'y a pas très longtemps, la Corée du Nord, la Lybie et l'Irak figuraient également sur cette liste, mais ces trois pays ont été rayés de ladite liste. Les États-Unis ont donc normalisé leurs relations avec ces pays. Bref, ils ont inscrit ces quatre pays sur la liste. De cette désignation découle plusieurs conséquences, dont le fait de nier l'immunité pour des poursuites civiles amorcées par des citoyens des États-Unis uniquement. Le recours n'est pas disponible pour les étrangers qui auraient été torturés à l'extérieur des États-Unis. Seuls les citoyens des États-Unis ont accès à ce recours qui fait en sorte que l'immunité sera refusée. C'est une façon de procéder très limitée et aussi très problématique.
    Si vous me demandez mon avis professionnel, je dirai que ce n'est pas la voie que le Canada devrait suivre. Le Canada devrait adopter une position davantage fondée sur le droit international et plus respectueuse des principes généraux du droit international.
    Madame Stoyles, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

    Je pourrais peut-être ajouter un élément de clarification additionnel sur la façon dont les choses se font aux États-Unis. Il existe là-bas deux lois, le Alien Tort Claims Act et le Torture Victims Protection Act, qui, essentiellement, définissent des causes d'action. Ces lois apportent la possibilité de poursuivre des tortionnaires pour leurs crimes.
    Au Canada, nous n'avons pas nécessairement besoin de créer ce genre de lois de portée assez vaste. Il semble effectivement y avoir des projets qui vont dans ce sens au Parlement, qui ne portent pas spécifiquement sur la question de la torture, mais davantage sur les crimes en matière d'environnement et de travail. Nous n'avons pas nécessairement à faire la même chose au Canada. Nous pouvons utiliser les lois existantes. Nous pouvons nous prévaloir des lois sur les dommages, et sur d'autres types de dommages qui existent au Canada en recourant aux tribunaux provinciaux, dans le domaine du droit civil délictuel.
    En réalité, ce qui empêche le Canada d'agir tient au fait que la plupart des requêtes en cause sont formulées à l'encontre de représentants de gouvernements, et en cette matière, c'est véritablement la Loi sur l'immunité des États qui fait obstacle.
    Je me dois aussi de souligner que la Convention contre la torture, notre traité international en la matière, dit que, par sa nature même, la torture est commise par des gouvernements; donc s'il y a obstacle à exercer des recours contre les gouvernements étrangers, il en résulte, essentiellement, qu'il n'existe aucune possibilité de réparation. Il est tout à fait clair que s'il existe un droit à une réparation, et ce droit est très clair en droit international, nous devons modifier la Loi sur l'immunité des États pour faire progresser ce dossier au Canada. En fait, c'est aussi simple que cela, et pas aussi compliqué que le serait la création d'un système comparable à ce qui existe aux États-Unis.
(1320)
    Merci.
    Monsieur Marston, à vous la parole.
    Premièrement, monsieur Kazemi, nous tenons à vous remercier d'être parmi nous aujourd'hui, vous qui portez le fardeau des souvenirs attachés à l'incident, et de l'information que vous nous avez donnée. Je sais que tout ça doit être très troublant pour vous mais qu'il s'agit, dans une certaine mesure, d'une mission. Je le vois. Je vous ai observé pendant que vous faisiez votre déclaration et par la suite, mais je tiens à vous assurer d'une chose: les Canadiens, dans leur ensemble, croient fermement en la justice; les Canadiens en général sont très opposés à l'idée même de la torture, et en sont révulsés.
    Je suis très troublé, et je le suis depuis un certain temps déjà, parce que le gouvernement du Canada s'est rendu complice par procuration d'actes de torture. Nous avons connu l'affaire Maher Arar. Nous avons eu l'affaire Abdullah Amalki. Nous avons le cas d'Omar Khadr, aux États-Unis, ou à Guantanamo, qui est détenu par les États-Unis, alors même que notre Cour suprême et la Cour suprême des États-Unis ont statué qu'il s'agissait d'une violation de droits. Je ne veux pas politiser la discussion en poursuivant sur cette tangente, mais je suis très tenté de le faire.
    Je prendrai un engagement personnel et c'est à peu près tout ce que je peux faire ici, à savoir que je suis disposé à collaborer avec vous, si vous souhaitez soumettre une motion. Le personnel de mon bureau travaillera avec vous; si vous communiquez avec nous, nous serons là pour vous soutenir.
    Au cours des derniers mois, des gens m'ont parlé de compagnies minières du Canada et de responsabilité civile et sociale et du fait que nous manquons à nos responsabilités dans ces domaines également. Le mot « impunité » revient couramment dans les conversations à ce sujet. Tant que cette réalité ne disparaîtra pas, peu importe ce que nous ferons, il continuera à y avoir des victimes.
    Obtenir justice est très important et essentiel, mais la prévention est plus importante encore. La première mesure à prendre est de nous assurer que tous les pays sachent qu'ils auront à répondre de leur conduite. Je crois que le Canada n'a pas été à la hauteur sur la scène mondiale depuis un certain nombre d'années en raison de son inaction concernant l'adhésion facultative au protocole annexé à la Convention des Nations Unies contre la torture. J'en suis très troublé.
    Ce que je dis est davantage une déclaration qu'une question, car c'est le genre de chose qui vous touche d'une manière différente, par comparaison avec les autres témoins que nous avons entendus. Techniquement, nous parlons de l'Iran, ici aujourd'hui, et vous voyez que la discussion ne porte déjà plus seulement sur l'Iran, et cela est très significatif. Je pense que nous sommes sans doute à un point tournant ici, en ce moment même.
    Alors je vous invite à communiquer avec mon bureau. Je ne tente pas de politiser le dossier. Je le dis à l'intention de tous ceux qui, dans ce comité, souhaitent le faire. Faisons en sorte que le travail se fasse.
    Si vous souhaitez faire des commentaires sur quoi que ce soit d'autre, allez-y, car je n'ai pas la tête à poser des questions, pour être franc avec vous. Cela va bien au-delà du cas particulier.
    Je peux peut-être commenter.
    Monsieur Marston, en premier lieu, je vous remercie de votre soutien dans ce dossier.
    Vous avez parlé de la complicité du Canada. Permettez-moi d'ajouter une toute petite pièce à ce casse-tête pour le moins intéressant, si je puis me permettre, en particulier au sujet du cas de M. Bouzari.
    La Loi sur l'immunité des États renferme une disposition permettant à des pays étrangers de se voir servir une réclamation, soit dit en passant, et nous avons justement servi à l'Iran un tel avertissement en vertu de la Loi sur l'immunité des États, à laquelle l'Iran n'a pas opposé de défense. Nous sommes allés en cour et ce qui s'est produit, c'est que le gouvernement du Canada est intervenu dans la cause, a embauché des experts d'Angleterre à grands frais, les a fait venir dans la salle du tribunal et a fait valoir la position que l'Iran aurait elle-même fait valoir, si elle avait présenté la défense dans l'affaire. Dans l'affaire Bouzari nous avons dû affronter le gouvernement du Canada.
    Pour être objectif à ce propos, le gouvernement du Canada a simplement défendu sa propre loi, la Loi sur l'immunité des États, mais la situation était pour le moins paradoxale dans la mesure, où M. Bouzari, qui avait choisi le Canada comme terre d'accueil et qui était devenu citoyen canadien, faisait maintenant face au gouvernement du Canada dans sa demande pour obtenir justice. Ce que le gouvernement du Canada aurait dû faire aurait été de prendre des mesures pour modifier la Loi sur l'immunité des États.
    Je voulais ajouter cette pièce à votre casse-tête.
    Il y a une chose qui me vient en tête. George Bush fait actuellement l'objet d'une enquête, ou peu importe le nom que vous voulez lui donner, par les tribunaux espagnols.
(1325)
    Il a été mis en accusation par les tribunaux.
    Si nous procédons aux changements à la Loi sur l'immunité des États, est-ce que cela ne ferait qu'ouvrir la porte, et est-ce que ce type de cas commencerait à faire surface au Canada?
    Voulez-vous dire mettre George Bush en accusation au Canada?
    Je ne parle pas de mise en accusation. Je parle simplement des conséquences que ces changements pourraient avoir dans un cas comme celui-ci.
    En fait, la Loi sur l'immunité des États prévoit déjà une exception pour les affaires criminelles, et le Code criminel prévoit aussi des dispositions quant à l'application de la Convention contre la torture. Comme Jayne l'a dit dans son introduction, ces exceptions ne s'appliquent pas pour le moment parce que, de ce que je comprends, le bureau de la GRC qui est chargé des enquêtes sur ces crimes n'a pas tellement de budget. Mais en théorie, les crimes commis à l'étranger, en particulier les crimes contre l'humanité, peuvent être jugés au Canada, y compris si un agent de la fonction publique est impliqué, auquel cas son immunité lui est alors retirée en vertu de la Loi sur l'immunité des États. Donc, tout ce que nous dirons aujourd'hui concerne les affaires civiles. Cela équivaut à dire que l'immunité a été retirée des affaires criminelles mais pas des affaires civiles, de sorte que les victimes puissent aussi recevoir une compensation.
    Notre système de common law fait en sorte que c'est l'État qui intente des poursuites contre les suspects dans les affaires criminelles. Dans le système juridique européen, des parties privées peuvent se joindre à la poursuite et réclamer des réparations civiles. C'est ce qu'on appelle en France la « partie civile ». Une victime de torture peut donc, dans les pays européens, devenir une partie poursuivante et demander une compensation aux dépens de représentants étrangers, alors qu'ici, en Angleterre et dans les pays de common law, nous n'avons pas cette possibilité. La seule façon d'en arriver là est de retirer l'immunité qu'offre actuellement la Loi sur l'immunité des États, en particulier pour les violations flagrantes au droit international.
    Merci pour votre commentaire.
    Monsieur Marston, dans vos observations, en effet, vous laissez entendre que cette question, si vous me permettez l'expression, transcende les lignes de parti, et que la question n'est pas de débattre de la torture. Nous tous dans cette salle — nous tous — nous opposons à la torture. Personne n'est en faveur de la torture.
    Au cours des trois ou quatre dernières années, j'ai rencontré plusieurs députés — Francine Lalonde, par exemple. J'étais présent ici il y a trois ans pour une conférence de presse. Le Bloc avait alors déposé le projet de loi d'un de ses députés. Mais ce projet de loi est mort dans l'oeuf.
    Environ un an et demi plus tard, j'ai rencontré Peter Julian. Je suis venu ici à Ottawa et j'ai passé la journée dans son bureau avec lui et avec d'autres personnes, afin de discuter des amendements à apporter à la Loi sur l'immunité des États. Il ne fait aucun doute que le NPD appuyait ces amendements.
    Lorsqu'il était mon député, l'honorable John Godfrey m'a rencontré dans son bureau de Toronto. Je lui avais préparé un document d'information. Il m'a donné son appui inconditionnel, et nous avons travaillé ensemble pour tenter d'ajouter ce point au programme. Son parti formait le gouvernement à l'époque.
    Monsieur Oliphant, je crois que vous êtes député de Don Valley-Ouest. Vous êtes mon député. Monsieur Oliphant, vous pouvez être sûr que je vais aller cogner à votre porte pour obtenir le même appui que M. Godfrey m'avait personnellement donné à cet égard.
    Cette question transcende les lignes de parti. Je ne suis qu'un simple avocat de Toronto. Je ne connais rien à la politique, mais il me semble que la solution la plus simple — et je peux vous paraître fou en disant cela — serait peut-être que quatre ou cinq d'entre vous, qui êtes membres des principaux partis, aillent prendre un café quelque part pour décider de mettre cette question au programme, de l'examiner, d'analyser le projet de loi et de passer l'information en revue. Cela transcende les lignes de parti. Et vous savez quoi? Vous n'avez même pas besoin d'argent pour le faire. Ça ne coûte rien. Les répercussions seraient énormes pour les droits de la personne des Canadiens, et ce, simplement pour se pencher sur une question qui ne coûte rien et qui transcende les lignes de parti.
    Nous n'avons plus de temps pour ce tour.
    Monsieur Hiebert, vous serez le prochain, mais avant de passer à vous, j'aimerais simplement souligner que je n'ai jamais entendu personne utiliser cette expression avant, « Je ne suis qu'un simple avocat de Toronto ». Je vais essayer de l'utiliser la prochaine fois que je vais dans une circonscription rurale. Ou je vais essayer de l'utiliser pendant une réunion.
    Vous n'aimez pas cette expression, ou au contraire vous l'aimez tellement que vous voulez l'utiliser? C'est mon expression; vous ne pouvez pas vous en servir.
    Je vais vous verser des droits d'auteur.
    Monsieur Hiebert.
    Eh bien, monsieur le président, je ne suis qu'un simple avocat de Vancouver, et j'ai quelques questions simples pour vous.
    Nous avons entendu des témoignages fascinants. Merci d'être venu partager vos histoires avec nous. Elles sont très touchantes.
    J'ai toutefois plusieurs questions qui me viennent. Certaines sont peut-être un peu complexes, mais d'autres sont plutôt simples.
    L'une des questions simples est la suivante: À quel moment l'affaire de M. Bouzari a-t-elle été instruite?
(1330)
    L'affaire de M. Bouzari a commencé en 2000, et je crois qu'elle est arrivée devant la Cour d'appel de l'Ontario en 2004. Ensuite, elle s'est rendue devant la Cour suprême du Canada, qui a rejeté la demande d'appel.
    Très bien. On parle donc de 2004.
    Dans votre exposé, madame Stoyles, vous avez dit que l'affaire de Mme Kazemi était différente de celle de M. Bouzari. Elles sont en effet différentes sur quelques points, mais pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
    En fait, j'allais répondre, mais je crois que je vais laisser les avocats chargés de l'affaire répondre à vos questions.
    Je dirais que la plus grande différence concernait la citoyenneté de Mme Kazemi au moment où les atrocités ont été commises. Quand Mme Kazemi a été affreusement détenue, torturée, battue, et finalement tuée en Iran, elle avait déjà obtenu la citoyenneté canadienne. Elle était domiciliée dans la province de Québec et était une citoyenne canadienne, et sa succession vivait elle aussi dans la province de Québec.
    Donc, dès le début, nous avons connu moins de problèmes de compétence que dans le cas de M. Bouzari — même si, comme Jayne l'a mentionné, les tribunaux ne se sont jamais penchés sur la question de compétence puisque, comme Mark l'a dit, il était déjà question de l'immunité d'État. L'affaire de Mme Kazemi n'a pas connu de tels problèmes. La Cour du Québec avait clairement le pouvoir d'instruire l'affaire, et je dirais que c'est là la principale différence entre les deux affaires.
    Quand M. Bouzari a été torturé en Iran, il n'avait alors pas le statut de résident au Canada. C'est à la suite de ces événements qu'il a pris un vol pour le Canada et qu'il a intenté des poursuites en justice. Je dirais que c'est la principale différence.
    Donc, vous croyez que le fait que Mme Kazemi était citoyenne canadienne suffisait à ne pas appliquer la Loi sur l'immunité des États?
    Non, ce n'est pas ce que nous disons. Ce que nous disons, c'est que, mis à part la Loi sur l'immunité des États, il n'y avait aucune autre question pour laquelle l'affaire n'aurait pas pu ou n'aurait pas dû être instruite par les tribunaux du Québec.
    Je vois.
    Et parce qu'il n'existe aucune autre question, nous nous sommes butés aux mêmes obstacles que M. Bouzari en ce qui concerne l'application de la Loi sur l'immunité des États. Nous soulevons des arguments qui n'ont pas pu être soulevés à la Cour dans l'affaire de M. Bouzari. La porte est donc ouverte, et soit nous avançons, soit nous tombons. Je crois que c'est une autre différence importante entre les deux affaires.
    D'accord.
    Je crois que c'est vous, monsieur Larocque, qui avez dit que la Syrie, l'Iran, Cuba et un autre pays ne sont, au moment où on se parle, par assujettis à la Foreign Sovereign Immunities Act des États-Unis. Quel était ce quatrième pays?
    Il s'agit de Cuba, de l'Iran, de la Syrie, et du Soudan.
    Le Soudan.
    Combien de procès ont obtenu gain de cause grâce à ces exemptions?
    Aux États-Unis?
    Oui, aux États-Unis.
    J'ignore combien exactement, mais je peux vous dire qu'il y en a beaucoup. J'en examine deux actuellement. J'en connais quatre ou cinq autres, si non plus, pour lesquels des jugements concrets ont été rendus par des tribunaux américains contre l'Iran aux États-Unis.
    D'accord, alors il est clair que beaucoup de gens ont gagné leur cause contre l'Iran.
    C'est exact. Un rapport annuel a été présenté au Congrès à ce sujet, c'est-à-dire au sujet du montant des dommages-intérêts que des États parrainant des groupes terroristes ont dû verser. Cuba et l'Iran, qui sont les deux pays les plus visés par ces poursuites, ont dû verser plus de 10 milliards de dollars à la suite de jugements rendus contre eux en date de 2007, mais des jugements ont également été rendus contre la Syrie et le Soudan.
    Selon vous, comment ces pays ont-ils été choisis? Pourquoi ces quatre pays n'ont-ils pas pu en bénéficier?
    Pourquoi n'ont-ils pas pu bénéficier de l'immunité?
    Oui, contrairement à tous les autres pays au monde.
    J'ai ma propre opinion à ce sujet. Il y a trois ans, la Corée du Nord, la Libye et l'Irak figuraient sur la liste, mais étant donné que les États-Unis ont entrepris de normaliser leurs relations avec ces pays... D'énormes progrès ont été réalisés, par exemple, en ce qui concerne la Libye. Et après le changement de régime en Iraq, la question a perdu son intérêt. Je crois que le plus surprenant, c'est que la Corée du Nord a été rayée de la liste; néanmoins, c'est arrivé.
    Lorsqu'un État est rayé de la liste, je crois que c'est considéré davantage comme une ouverture politique ou des efforts pour normaliser les relations commerciales et diplomatiques.
(1335)
    D'accord.
    Maintenant, dans vos exposés, certains d'entre vous ont laissé entendre qu'il n'était pas nécessaire que nous suivions l'exemple des États-Unis en faisant simplement en sorte de soustraire certains pays à l'application de la Loi sur l'immunité des États. Nous avons ici un modèle fourni par le programme de droit international de la personne de l'Université de Toronto.
    Existe-t-il des arguments à présenter en faveur du fait que le Canada pourrait cibler un certain nombre de pays à qui la Loi sur l'immunité des États ne s'appliquerait pas?
    À mon avis, non. Je serais très indignée de voir une liste des pays à qui la loi ne s'appliquerait pas. Cela a trait en partie à la réponse à votre question précédente sur le choix de ces pays, de ces quatre pays en particulier, aux États-Unis... Je crois comprendre que la modification apportée au Foreign Sovereign Immunities Act aux États-Unis était liée à la nouvelle loi antiterroriste entrée en vigueur après le 11 septembre. Ces pays figuraient sur la liste des États qui parrainent des groupes terroristes. C'est ce qui a incité les États-Unis à créer cette exemption.
    Il serait très regrettable de politiser le processus de la même manière, de décider à l'avance, par exemple, quels pays seraient les plus susceptibles de commettre des atrocités. Évidemment, cela change en fonction des changements de gouvernements et des situations nouvelles.
    Si nous ne nommons pas précisément les pays qui seraient soustraits à l'application de cette loi, pourquoi n'éliminons-nous tout simplement pas la Loi sur l'immunité des États? Si le but visé c'est de faire preuve d'une certaine sensibilité diplomatique envers nos relations internationales, pourquoi la loi s'appliquerait-elle à tous, au lieu de s'appliquer à un petit groupe de privilégiés?
    La différence, c'est que nous demandons que ceux qui ont recours à la torture, et idéalement qui commettent d'autres crimes parmi les plus graves sur la scène internationale — crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide —, ne puissent être protégés par la Loi sur l'immunité des États. Je crois qu'il s'agit d'un débat distinct, sur lequel je ne ferai pas de commentaire quant à l'utilité de la Loi sur l'immunité des États dans son ensemble. Mais l'intention qui sous-tend la Loi sur l'immunité des États, c'était de faire en sorte, par exemple, que si un ambassadeur canadien se rend dans un autre pays, il ne peut simplement pas être jugé devant les tribunaux de ce pays, et vice versa si quelqu'un vient dans notre pays.
    L'idée, c'était de normaliser les relations diplomatiques et de veiller à la protection des représentants d'États, mais le but n'a jamais été... Comme je l'ai dit dans mon exposé, l'idée est liée aux mesures souveraines, aux mesures prises par un État et qui sont essentielles au déroulement normal des affaires du gouvernement. La torture, même si la pratique ne tend pas à l'indiquer, n'est pas censée faire partie de la pratique normale d'un gouvernement dans ses activités quotidiennes.
    Il est peut-être difficile de considérer la question du point de vue opposé, mais quels sont certains arguments contre l'ouverture de la loi, contre ces modifications?
    En voici peut-être un et si quelqu'un d'autre... Évidemment, je vais répondre à votre question, mais peut-être que d'autres personnes aimeraient également le faire.
    Lorsque nous avons réfléchi à la question, nous nous sommes dit que l'un des éléments qui serait soulevé, et dont j'ai parlé dans une certaine mesure pendant mon exposé, c'est si cela aurait des incidences sur les relations commerciales que le Canada entretient avec d'autres pays. Si nous demandons à un pays comme la Chine de s'expliquer sur des actes relatifs à la violation des droits de la personne, cela affecte-t-il nos relations commerciales? Notre réponse, c'est que cela se fait déjà ailleurs, par exemple aux États-Unis ainsi que dans d'autres pays. Rien n'indique que cela a eu des répercussions sur le déroulement normal des relations d'affaires. Et nous devons garder à l'esprit que nous parlons des violations les plus graves du droit international, qui sont largement reconnues et condamnées internationalement. Donc, le fait que le Canada adopte une position voulant que des pays comme l'Iran, la Chine ou d'autres doivent faire respecter ces obligations et insiste pour qu'ils le fassent, n'est pas quelque chose qui, en ce sens, devrait compromettre les relations.
    L'autre distinction importante, c'est que nous ne sommes pas en train de parler, je le répète, comme il a déjà mentionné, de causes criminelles que le gouvernement du Canada fait valoir actuellement. Nous parlons de personnes comme M. Kazemi, qui devraient être en mesure de faire valoir une cause pour des crimes qui ont touché leur propre famille, leurs êtres chers ou eux-mêmes, s'ils ont survécu. C'est là un scénario très différent de celui du gouvernement du Canada, qui s'efforce de poursuivre quelqu'un d'autre.
    La dernière chose que j'aimerais dire à ce sujet, je le répète, c'est que cela ne signifie pas que des pays de l'Europe occidentale, le gouvernement des États-Unis et d'autres pays vont commencer à être jugés devant les tribunaux canadiens. N'importe quel gouvernement au monde qui dispose d'un système judiciaire et qui consent à examiner ce genre de cause offrirait évidemment un meilleur cadre. Comme je l'ai dit, deux critères s'appliquent: il doit exister un lien véritable et substantiel avec le Canada et, en fait, il doit s'agir du meilleur cadre pour juger la cause.
(1340)
    Une dernière question...
    Non. En fait, monsieur Hiebert, vous avez dépassé le temps qui vous était alloué.
    C'est au tour de M. Oliphant. Comme il nous reste assez de temps, je crois que les deux derniers intervenants peuvent avoir sept minutes, au lieu des cinq minutes habituelles.
    Monsieur Oliphant, s'il vous plaît.
    Je veux vous remercier de votre présence aujourd'hui et de tous vos témoignages.
    M. Marston a rendu mes premiers commentaires redondants. Merci, monsieur Marston, d'avoir exprimé ces sentiments.
    Monsieur Kazemi, ou monsieur Hachemi — je ne sais pas quel nom vous préférez —, je veux vous dire que tandis que nous nous arrêtons sur la mort de votre mère, j'espère que sa vie retient davantage notre attention pendant nos travaux. J'admire le travail qu'elle a réalisé dans les territoires palestiniens, en Iraq, en Afghanistan, en Afrique, dans les Caraïbes et en Amérique latine, où elle parlait de la vie. Tout au long de sa vie, elle a présenté les enjeux de la vie et a attiré l'attention sur la pauvreté et l'oppression. Ma motivation s'appuie davantage sur sa vie. Je crois que c'est de cette manière que nous lui rendrons hommage.
    La deuxième chose que je veux dire, c'est qu'elle a choisi le Canada. Je ne veux pas que le Canada la laisse tomber, parce que j'imagine qu'elle a choisi le Canada en raison des gens qui représentent le Canada et de ce que représente le Canada. C'est à cela que nous devons rendre hommage. Ce sera notre travail.
    Merci de votre témoignage.
    Je vous remercie sincèrement de reconnaître qu'elle était une femme magnifique et brave ainsi que l'héritage qu'elle a laissé derrière elle. C'est tout à fait vrai.
    Elle a choisi le Canada. Nous habitions en France dans des conditions correctes. Elle a choisi de venir au Canada. Elle aurait pu présenter une demande n'importe où dans le monde. Ma mère a étudié à la Sorbonne. Elle a fait sa maîtrise en cinéma avec Éric Rohmer. Elle a également obtenu un doctorat en arts et littérature. Ainsi, lorsqu'elle a présenté une demande à l'ambassade du Canada, elle a été très bien reçue. Nous sommes venus ici remplis de reconnaissance. J'apprécie le fait que vous le reconnaissiez.
    Je voulais dire que je déplore un peu — je regrette de le dire — le cas de M. Houshang Bouzari. Je crois que ça rend la situation un peu plus compliquée. Contrairement à Houshang Bouzari, ma mère ne travaillait pas avec le gouvernement de Téhéran. C'était une femme qui tenait simplement à changer le monde avec les moyens dont elle disposait: sa caméra, ses yeux et sa sensibilité. Elle a payé très cher le fait d'avoir choisi l'intégrité et de vivre selon les principes qui lui semblaient justes.
    J'espère que le Canada finira par lui rendre hommage pour son intégrité.
    Nous franchissons les étapes lentement, mais ça fait partie du processus. Monsieur Arnold, oui. Je vais continuer de travailler à la place de M. Godfrey pour d'autres électeurs, comme Ahmad Abou-Elmaati, et Dean Peroff, un autre de mes électeurs. En ce moment, je travaille avec M. Peroff, notamment sur la question des droits des citoyens maintenus en incarcération.
    Il y a deux questions en jeu. Il y a la question générale de la responsabilité du gouvernement canadien de protéger ses citoyens. Il s'agit d'une sous-question. Je m'occupe aussi de plusieurs autres questions. Mais cette mesure législative pourra également m'éclairer, parce qu'il est de la responsabilité du gouvernement de s'assurer que la citoyenneté est indivisible, et de nous protéger lorsque nous sommes à l'étranger, et ce, de façon proactive en veillant au respect des droits civils dans le monde, mais également de façon réactive en ayant recours à différentes méthodes, comme cette loi.
    J'aimerais en savoir un peu plus sur les autres pays. Je suis très heureux que Mme Stoyles ait mentionné que nous allions bientôt nous concentrer sur les exceptions prévues dans les lois sur l'immunité plutôt que sur les pays. Ainsi, les activités pourront être fondées sur des principes et ne seront pas des activités politiques — où nous indiquons nos préférés ou ceux qui sont le plus susceptibles de commettre des délits — parce que les délinquants peuvent frapper n'importe quand et n'importe où. On doit s'intéresser aux délits et non aux délinquants. Je crois que c'est ce qui devrait être ajouté à la législation.
    Je pense à l'Espagne ou au Royaume-Uni et à M. Pinochet, et je me demande si d'autres pays ont harmonisé leurs lois avec la convention et s'ils ont fait quelque chose qui pourrait nous servir de modèle. Avons-nous des connaissances à ce sujet?
(1345)
    Je peux vous en parler avec plaisir.

[Français]

    Vous pouvez parler en français ou en anglais.

[Traduction]

    Merci. Je vais commencer en anglais; je passerai peut-être au français.
    Tout d'abord, il faut dire que tous les pays du monde n'ont pas une loi sur l'immunité des États. En fait, nous faisons partie d'une minorité. Ce sont principalement les pays de common law qui, ironiquement, ce sont historiquement abstenus de codifier, qui ont adopté des lois sur l'immunité des États: le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni. Cependant, certains pays du Commonwealth n'ont pas de loi sur l'immunité des États, la Nouvelle-Zélande étant le principal exemple. Ils entreprennent des procédures concernant l'immunité, et traitent la question de l'immunité, strictement en s'appuyant sur la common law, les normes coutumières faisant automatiquement partie de la common law. C'est de cette manière qu'ils fonctionnent. C'est assez simple et direct, vraiment.
    Ironiquement, la plupart des pays de droit civil n'ont pas de telles lois, c'est notamment le cas en Europe continentale. En fait, aucun de ces pays, à ma connaissance, n'a de loi sur l'immunité des États. La France, la Belgique, l'Italie et l'Espagne n'ont pas de loi sur l'immunité des États. Leurs tribunaux nationaux appliquent le droit strict et le droit international. Ils n'ont pas à se casser la tête pour harmoniser leur législation nationale aux normes internationales. Ils en font une question de droit, tout simplement.
    J'aimerais porter à votre attention une étude de cas intéressante. Il s'agit d'un litige entre l'Italie et l'Allemagne. Je crois que la première affaire remonte à 2004. En fait, l'affaire a débuté bien avant, mais elle a été portée devant la Corte Suprema di Cassazione, la Cour suprême de l'Italie, en 2004. On l'a appelée l'affaire Ferrini, Ferrini contre l'Allemagne. Il s'agissait essentiellement d'un homme qui a intenté des poursuites pour crimes de guerre et d'autres atrocités, y compris des actes de torture commis à son endroit pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a été déporté en Allemagne, détenu dans des camps et soumis au travail forcé. Il se retrouve maintenant au XXIe siècle à poursuivre l'Allemagne qui, incidemment — on doit le souligner —, est le principal partenaire commercial de l'Italie. Les deux pays sont de bons amis, mais les tribunaux italiens exercent une action en justice contre l'Allemagne pour les atrocités qui ont eu lieu, sans s'appuyer sur une loi sur l'immunité des États; c'est une poursuite qui est strictement fondée sur le droit international coutumier. La Corte Suprema di Cassazione l'a constaté dans un jugement qui a depuis été confirmé à 14 reprises. Il y a donc 15 jugements italiens dans lesquels on a reconnu qu'il n'y a pas d'immunité en droit international pour ce qui est des crimes contre l'humanité et des infractions au jus cogens, des crimes relevant de la justice universelle. C'est un précédent important qu'il ne faut pas oublier.
    Encore maintenant, l'Allemagne et l'Italie demeurent de bons amis. Ce matin, j'ai navigué sur le site Web du bureau de l'Allemagne à l'étranger, et il y a un onglet pour chaque pays de l'Union européenne et l'onglet pour l'Italie est très positif. Ils soutiennent que leur relation est plus solide que jamais, malgré leur différend évident sur la portée que doit avoir l'immunité dans ces lois.
    C'est un précédent intéressant qui démontre que ce genre de différend ne met pas un terme aux relations avec les pays étrangers.
    Est-ce que les modifications proposées en 2004 dans le cadre du Programme de droit international de la personne de l'Université de Toronto couvrent cette question? Êtes-vous satisfait de ces modifications? Pensez-vous que le libellé devrait aller plus loin ou moins loin?
    J'ai participé à cette conférence. En fait, Stephan était là et M. Bouzari aussi. Vous vous souviendrez que William Sampson, qui a été victime de torture en Arabie saoudite, a également assisté à cette conférence.
    Nous étions plutôt satisfaits des modifications proposées à cette époque. Une étude doit toutefois être réalisée. Il y a beaucoup de questions auxquelles il faut répondre. Vous avez posé un grand nombre de ces questions aujourd'hui. Je suis satisfait de ces modifications, mais ce n'est pas moi qui ait le dernier mot à cet égard.
(1350)
    Merci.
    Le dernier intervenant pour aujourd'hui sera M. Sweet.
    J'espère que le dernier intervenant sera mon collègue M. Hiebert. Il aimerait poser une dernière question et je ne crois pas que j'utiliserai toute ma période de sept minutes.
    Je n'ai aucune objection à me répéter. Monsieur Kazemi, monsieur Bouzari, il est impossible pour nous de vraiment comprendre toute la douleur que vous avez vécue. Vous avez non seulement nos plus profondes condoléances mais également l'assurance que nous nous engageons à tout faire pour un jour vous venir en aide et obtenir justice et qu'enfin la page soit tournée.
    Je suis inquiet, monsieur le président, du fait que compte tenu de l'historique de ce dossier, personne du ministère de la Justice n'ait été appelé devant le comité. Mon collègue a même dû poser la question pour connaître les motivations de cette absence. Ce n'est pas juste qu'ils aient à répondre des circonstances qui entourent cet échec. Je crois que cela réduit de beaucoup notre capacité à obtenir tous les faits.
    Cela dit, nous ferons avec ce que nous avons, le plus efficacement possible.
    Connaissez-vous la Coalition canadienne contre le terrorisme? J'en connais un peu plus sur leur quête que sur la vôtre, mais selon vous, quelles seraient les principales différences entre leur processus, avec lequel ils cherchent réparation pour les victimes du terrorisme et votre quête qui cherche réparation pour les victimes de torture en particulier?
    Je suis au courant de la loi que cette coalition a présentée, je crois, par le sénateur Tkachuk.
    Oui.
    Elle a été réintroduite mardi cette semaine pour la première lecture.
    Ce qui est particulièrement bien avec ce projet de loi, et je crois que nous avons un exemple...
    Est-ce le projet de loi C-272?
    Je crois qu'on lui a attribué un nouveau numéro. Je crois que c'est maintenant le projet de loi S-233.
    De toute façon, le préambule de ce projet de loi énonce le même principe qui motive notre demande. Il reconnaît à la base que ces normes péremptoires du droit international sont supérieures et prévalent sur d'autres normes telles que l'immunité des États. Lorsqu'il y a conflit entre les normes, les normes péremptoires ont préséance sur la norme de niveau inférieur qu'est l'immunité des États.
    Ensuite ils poursuivent, essentiellement en codifiant une modification de la Loi sur l'immunité des États pour le terrorisme sur la base que le terrorisme est une violation des normes péremptoires du droit international. Il s'agit du même principe, et cette formule, cet esprit, peuvent également sous-tendre le projet de loi que nous voulons présenter concernant la torture, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, le génocide, le terrorisme et les homicides extrajudiciaires. Il semble que tout cela soit une évidence au niveau du droit international. Ces actes fautifs sont très largement reconnus comme étant illégaux et allant à l'encontre de l'ordre public international.
    Dans ce cas, est-ce que certains amendements ne pourraient traiter du projet de loi précis, surtout s'il est présenté rapidement, et ainsi représenter tous vos sujets d'inquiétude?
    Bien sûr nous avons étudié cette proposition et nous avons réfléchi au fait d'y ajouter ces crimes, parce qu'ils se situent exactement au même niveau. Les crimes terroristes font bien sûr l'objet de l'attention du public de façon plus soutenue sur la scène mondiale depuis le 11 septembre et je crois que c'est pourquoi ces tentatives très précises ont avancé rapidement. Il existe d'autres atrocités, qui manifestement sont tout aussi graves.
    Dans un sens, c'est une question qui s'adresse à vous. Une des questions que nous nous sommes posées est de savoir si ce processus, la tentative de trouver une définition du terrorisme, est si difficile qu'il freinera l'adoption de la loi. C'était un de nos sujets de préoccupation parce que nous savons qu'il a été très difficile de s'entendre sur une définition à l'échelle internationale. Et nous nous demandions si nous devions séparer les choses clairement et entamer un autre processus qui traiterait d'une autre série de crimes internationaux.
    Bien sûr. Il faudrait que j'aie ce projet de loi ainsi que votre proposition côte à côte.
    Monsieur Arnold.
(1355)
    Êtes-vous en train d'essayer de séparer de façon logique le terrorisme de la torture?
    Non, pas du tout. J'essayais de voir s'il serait possible de combiner en un seul les efforts déployés sur les deux fronts. Nous débattons de cette question depuis des années et je suis sûr que vous voulez voir du résultat. C'était le seul objet de ma question.
    Monsieur Larocque, vous avez fait quelques observations intéressantes. Depuis combien d'années les États-Unis invoquent-ils cette loi, cette exemption à la Loi sur l'immunité des États, en vertu de laquelle ils changent les acteurs qui sont exemptés?
    La première modification qui autorisait les poursuites judiciaires contre les États appuyant le terrorisme a été adoptée en 1996, mais elle ne s'appliquait pas qu'au terrorisme. Son application s'étendait également à la torture et à l'homicide extrajudiciaire.
    Depuis 1996, quelques administrations se sont succédé. Craignez-vous que la normalisation — la présente administration évoquant la possibilité de normaliser ses relations avec l'Iran — puisse entraîner un changement à cet égard?
    La liste pourrait raccourcir, effectivement.

[Français]

    Je dois faire une intervention à la Chambre dans environ cinq minutes. Je vous salue et je m'excuse de devoir quitter ainsi.

[Traduction]

    J'ai une question qui porte sur des observations qui ont été faites précédemment.
    Monsieur Larocque, il a été mentionné que vous travaillez actuellement sur deux causes reliées à la Loi sur l'immunité des États. Pouvez-vous nous en parler un peu?
    Pas beaucoup, à ce stade-ci, je le crains.
    Je cherche à obtenir, au nom d'Amnistie Internationale, la permission d'intervenir dans l'affaire Kazemi au Québec, et la décision à cet égard n'a pas encore été rendue. La cour n'a pas encore décidé de notre sort.
    Il y a un autre litige semblable actuellement en cours et dans lequel je joue un rôle en Ontario, mais je ne veux pas trop entrer dans le détail.
    Je peux vous comprendre.
    Vous avez mentionné que quelques pays seulement ont adopté des lois sur l'immunité des États et que, en règle générale, la plupart des pays ne l'ont pas fait. Quels sont les États qui se sont dotés de lois sur l'immunité des États?
    Deuxièmement — et ce sera ma dernière question — considérant que vous ne réclamez pas l'élimination de la loi mais seulement qu'on y apporte une modification, reconnaissez-vous qu'elle a un rôle bénéfique à jouer?
    J'ai donc posé deux questions.
    Elle a incontestablement un rôle à jouer. Je ne suis pas un expert politique, mais je pense qu'il serait difficile de revenir en arrière, de remettre en cause l'existence de la loi, un point c'est tout.
    Quels sont les pays qui en ont adopté une?
    Ce sont essentiellement des pays du Commonwealth pour la plupart, et les États-Unis. Quand le Canada a adopté sa loi, c'était pour être au diapason de ces pays, qui sont les principaux partenaires commerciaux du Canada: les États-Unis, le Royaume-Uni ainsi que beaucoup de pays d'Afrique qui font partie du Commonwealth.
    Donc, la plupart des 55 ou 56 pays du Commonwealth ont adopté une loi de ce genre.
    Je pourrais trouver cette information pour vous, si ça vous intéresse, mais je dirais que la majorité des pays du Commonwealth en a adopté une, à l'exception notable de la Nouvelle-Zélande.
    En fait, la plupart des pays de droit civil n'en ont pas; j'excepte l'Argentine, dont je sais qu'elle en a adopté une; elle reprend essentiellement, en des termes tout simplement différents, les dispositions que contient notre loi.
    Nous en sommes presque arrivés à la fin de notre réunion. J'aimerais poser une courte question complémentaire, si je peux me permettre.
    À moins que je fasse erreur, il est un principe de la common law suivant lequel le roi ne commet jamais le mal. Alors je suppose que l'intention de la Loi sur l'immunité des États n'était pas de créer des motifs d'immunité là où il n'en existait pas auparavant, mais plutôt de mettre en place une formule modérée de réduction limitée des occurrences d'immunité qui s'y trouvaient déjà aux termes de la règle conventionnelle de la common law. Est-ce que j'ai bien compris?
(1400)
    L'histoire de l'immunité des États en droit international s'est jouée à plusieurs niveaux. Elle tient essentiellement à l'augmentation du commerce international au XIXe siècle. Tandis que les États prenaient le pied sur le marché et commençaient à se comporter comme des entités privées, on trouvait inéquitable qu'ils puissent jouir d'une immunité absolue s'ils manquaient aux obligations d'un contrat ou s'ils violaient les conditions d'une convention contractuelle.
    C'est pour cette raison que les premières exceptions au principe d'immunité ont été élaborées. Il en existe d'autres maintenant. La Cour suprême a souligné que la liste n'était pas exhaustive. Notre objectif est de déterminer de nouvelles exceptions pour ce dont nous discutons précisément aujourd'hui: les crimes contre l'humanité, la torture et les crimes de compétence universelle.
    Merci à vous et merci à tous les témoins que nous avons entendus. Votre contribution a été très utile et je pense que tous les membres du comité vous sont reconnaissants d'avoir pris le temps de venir présenter votre témoignage.
    La séance est levée.
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