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CIIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent du commerce international


NUMÉRO 047 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 8 mars 2011

[Enregistrement électronique]

(0855)

[Traduction]

    Bonjour. C'est la 47e séance du Comité permanent du commerce international. Ce matin, la discussion portera sur l'entente avec AbitibiBowater.
    Pour nous aider, nous recevons des témoins du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Nous accueillons Don Stephenson, qui est déjà venu nous voir à maintes reprises. Il est le sous-ministre adjoint de la politique et des négociations commerciales. Il est accompagné de John O'Neill, directeur de la politique commerciale sur l'investissement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
    Je demanderais à M. Stephenson de commencer par une brève déclaration, après quoi les membres pourront poser des questions aux témoins.
    Bonjour. Merci de me donner l'occasion de prendre la parole devant le comité.
    En ma qualité de sous-ministre adjoint chargé de la politique et des négociations commerciales, j'ai la responsabilité de gérer la négociation des accords commerciaux internationaux du Canada, et de veiller à la gestion et à l'exécution des accords, y compris de gérer les différends en vertu de ces accords.
    Mon collègue John O'Neill est responsable de la gestion des négociations et des litiges en vertu des traités du Canada sur l'investissement.
    Les discussions du comité portent aujourd'hui sur un différend entre un investisseur et l'État, en application des dispositions du chapitre 11 de l'Accord de libre-échange nord-américain, différend engendré par une mesure prise par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.
    Le 16 décembre 2008, l'Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador a adopté une loi pour exproprier certains des actifs provinciaux d'AbitibiBowater, y compris son usine de papier journal de Grand Falls-Windsor, les centrales hydroélectriques de la rivière Exploits et du lac Star ainsi que certains droits relatifs à l'eau et au bois d'oeuvre.
    Comme l'a déclaré Danny Williams, alors premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, la province a choisi de prendre ces mesures lorsque AbitibiBowater a annoncé sa décision de fermer son usine de papier journal de Grand Falls-Windsor en mars 2009.
    Après l'adoption de la loi par Terre-Neuve-et-Labrador, l'entreprise et le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ont mené de longues discussions concernant l'indemnité appropriée à accorder pour ces biens, mais n'ont pas été en mesure de s'entendre sur un règlement mutuellement acceptable.
    Il est évident, dans la loi et dans ses déclarations publiques, que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador comprenait qu'il ne s'agissait pas de déterminer si AbitibiBowater avait droit ou non à une indemnité par suite de cette expropriation, mais bien de déterminer à quel montant cette indemnité devait s'élever.
    Les dossiers publics montrent que l'une des principales questions empêchant l'entreprise et le gouvernement provincial de s'entendre était l'évaluation des biens, compte tenu des coûts possibles d'assainissement de l'environnement liés aux biens qu'AbitibiBowater a possédés ou exploités au cours des 100 dernières années à Terre-Neuve-et-Labrador. Il est important de noter que la plupart des coûts possibles d'assainissement sont liés à des biens autres que ceux qui ont fait l'objet de l'expropriation.
    En avril 2009, comme AbitibiBowater et Terre-Neuve-et-Labrador n'avaient pas été en mesure de s'entendre, l'entreprise a présenté un avis d'intention de soumettre une demande de règlement de différends entre un investisseur et un État contre le Canada, aux termes des dispositions du chapitre 11 de l'ALENA. Dans cet avis, l'entreprise demandait une indemnité d'au moins 300 millions de dollars.

[Français]

    Le chapitre 11 de l’ALENA et les autres traités internationaux sur l’investissement conclus par le Canada n’interdisent pas à un gouvernement d’exproprier des biens privés pour une question de politique publique. Toutefois, ils obligent ce gouvernement à accorder une indemnité pour ces biens en fonction de leur juste valeur sur le marché.
    Qui plus est, en vertu du droit interne de la plupart des provinces, y compris de Terre-Neuve-et-Labrador, le gouvernement peut procéder à des expropriations à des fins d’intérêt public, mais il doit verser une indemnité. Il convient de souligner que, même si l’ALENA ne contenait pas de dispositions relatives au règlement de différends entre les investisseurs et les États, les entreprises peuvent entamer des procédures auprès des tribunaux nationaux en vue d’obtenir une indemnité en cas d’expropriation. En outre, le versement d’une indemnité en cas d’expropriation d’une propriété appartenant à des intérêts étrangers constitue une obligation prévue dans le droit international coutumier, indépendamment de l’ALENA.

[Traduction]

    Au printemps 2009, AbitibiBowater faisait face à une situation financière difficile et a demandé, le 16 avril 2009, la protection contre les créanciers en vertu du chapitre 11 du Bankruptcy Code des États-Unis, puis le lendemain, la protection en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies du Canada.
    Pendant l'année qui a suivi l'avis d'intention émis par AbitibiBowater, on a mené des discussions en vue de trouver un terrain d'entente sur le montant de l'indemnité devant être versée à l'entreprise. Le 25 février 2010, comme les trois parties n'avaient pas encore réussi à conclure une entente, AbitibiBowater a décidé de recourir à la prochaine étape de la procédure arbitrale et a déposé une notification d'arbitrage à l'endroit du gouvernement du Canada aux termes du chapitre 11 de l'ALENA, demandant au moins 500 millions de dollars en dédommagement.
    D'après AbitibiBowater, l'assemblée législative provinciale a exproprié ses actifs et ceux de ses filiales canadiennes de manière discriminatoire, sans suivre l'application régulière de la loi et sans tenir compte de l'intérêt public, ce qui n'est pas conforme aux obligations du Canada dans le cadre de l'ALENA. L'entreprise a par la suite affirmé que l'assemblée législative provinciale ne s'était pas conformée aux exigences de l'ALENA en matière d'indemnisation.
(0900)

[Français]

    L’entreprise a fait valoir que, par l’entremise des mesures prises à Terre-Neuve-et-Labrador, le Canada a enfreint les dispositions de l’ALENA relatives au traitement national et au traitement de la nation la plus favorisée, car la mesure visait particulièrement les activités d’AbitibiBowater au Canada, plutôt que de s’appliquer à toutes les entreprises locales ou aux entreprises appartenant à des intérêts étrangers qui ont également fermé des usines dans la province. Elle a aussi allégué que la méthode d’indemnisation, qui empêchait l’entreprise de plaider sa cause devant les tribunaux, était également discriminatoire.
    AbitibiBowater a également affirmé que la loi violait le principe de traitement juste et équitable en vertu de l’obligation du Canada relative à la norme minimale de traitement dans le cadre de l’ALENA, alléguant que l’expropriation était arbitraire, irrationnelle et discriminatoire, qu’elle allait à l’encontre des attentes légitimes d’AbitibiBowater dans un cadre commercial et juridique stable, et que l’entreprise n’était pas traitée équitablement par rapport aux autres investisseurs.
    De plus, la disposition sur l’expropriation et l’indemnisation de l’ALENA prévoit qu’aucune des parties ne pourra exproprier un investissement, sauf pour des raisons d’intérêt public, sur une base non discriminatoire, en conformité avec l’application régulière de la loi et moyennant le versement d’une indemnité. L’entreprise a affirmé que la loi ne satisfaisait à aucun de ces critères pour qu’une telle expropriation soit légitime.

[Traduction]

    Au printemps 2010, il était devenu clair que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ne voudrait, ou ne pourrait, contribuer financièrement à un accord d'indemnisation en raison de demandes en instance pour l'assainissement de l'environnement visant des sites anciens ou actuels d'AbitibiBowater dans la province.
    Après avoir examiné ses options, le gouvernement du Canada a décidé de continuer les discussions de conciliation avec l'entreprise, lesquelles se sont poursuivies au printemps et à l'été de l'année dernière. Le 24 août 2010, le gouvernement du Canada et AbitibiBowater ont annoncé qu'une entente avait été conclue à la satisfaction mutuelle des deux parties, sans avoir recours à un arbitrage onéreux.
    L'entente a été structurée pour faire en sorte qu'elle n'entre pas en vigueur avant que le plan de restructuration de la société aux États-Unis et au Canada n'ait été approuvé par les tribunaux. Cela s'est produit en décembre 2010. Grâce à cette entente à l'amiable, AbitibiBowater a retiré de manière irrévocable et permanente sa revendication, aux termes du chapitre 11 de l'ALENA, de 500 millions de dollars à l'endroit du Canada, et le gouvernement du Canada a versé la somme de 130 millions de dollars à AbitibiBowater.
    Le gouvernement du Canada a fait preuve de la diligence requise en s'assurant que toutes les conditions de l'entente à l'amiable avaient été respectées. Pour que le règlement à l'amiable entre en vigueur, les tribunaux de la faillite américains et canadiens devaient d'abord approuver l'entente à l'amiable en soi, et ensuite approuver le plan général de restructuration d'AbitibiBowater.
    Enfin, selon les modalités de l'entente à l'amiable, une fois que les approbations des tribunaux ont été obtenues, l'entente est entrée en vigueur seulement lorsque tous les délais d'appel ont été écoulés. Cela a fait en sorte que le paiement a été fait à une entité canadienne qui continuait de mener des activités au Canada. Le versement de la somme de 130 millions de dollars était fondé sur une évaluation de la juste valeur sur le marché des actifs expropriés de la société à Terre-Neuve-et-Labrador. Par conséquent, l'entente à l'amiable était entièrement conforme aux engagements du Canada en vertu de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux de 2006.
    Le gouvernement du Canada, qui est constitutionnellement responsable des relations internationales du Canada, a réglé ce différend au profit des intérêts économiques à long terme du Canada. En parvenant à cette entente, le gouvernement a évité des procédures judiciaires potentiellement longues et coûteuses qui, au final, auraient abouti au paiement, par le Canada, d'une indemnité à AbitibiBowater pour les actifs expropriés. En outre, cette approche réaffirme l'engagement du gouvernement du Canada à maintenir un contexte commercial fondé sur des règles qui facilite le libre-échange et encourage les investissements.
(0905)

[Français]

     En résumé, le versement de la somme de 130 millions de dollars à AbitibiBowater était une juste compensation pour les biens expropriés par un gouvernement au Canada. Le droit des gouvernements d'exproprier des biens à des fins publiques, moyennant une indemnisation adéquate, n'est nullement mise en cause par cette compensation.
    J'espère que l'information que j'ai présentée ce matin sera utile aux membres du comité. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Stephenson. C'est fascinant.
    Nous allons commencer par...
    Eh bien, quel plaisir — avec dissidence.
    Des voix: Oh, oh!
    ... une personne fière d'être de Terre-Neuve-et-Labrador.
    Bon sang, pas avec dissidence.
    Monsieur Simms.
    Je suis renversé par vos commentaires impressionnants, tout simplement renversé. Merci beaucoup.
    Je suis heureux de revoir tout le monde. Merci, monsieur le président, de m'accueillir comme témoin. Comme vous le savez, cette affaire m'intéresse parce que l'usine de papier et les actifs dont il est question se trouvent dans ma circonscription.
    Très rapidement, sur quoi portaient les discussions auparavant? Quand j'examine cette question... L'usine de papier nous pose un problème: il faudra procéder à un grand nettoyage pour assainir la région et les terres. Je sais que l'affaire est devant les tribunaux en ce moment, et que la province est en Cour suprême. Mais entre-temps, avant le transfert de cette somme, et pendant les longues discussions qui ont été menées, a-t-on abordé l'idée que le gouvernement fédéral contribue sur deux fronts, par exemple au nettoyage environnemental ou même au transfert de la pension de certains employés qui ont quitté l'entreprise pour aller travailler pour la province? De telles discussions ont-elles eu lieu ou si les discussions ont simplement porté sur le fait que le gouvernement a mal agi et qu'il allait indemniser l'entreprise?
    La seule question à laquelle le gouvernement du Canada a participé directement lors des discussions concernait l'entente de l'expropriation en vertu de l'ALENA. Nous n'avons pas participé directement aux discussions entre l'entreprise et la province en ce qui concerne le paiement des pensions ou les coûts liés à l'assainissement de l'environnement.
    Ce que j'avais compris — et cela provient de nombreuses sources —, c'est que l'entreprise avait parlé au gouvernement fédéral de l'assainissement de l'environnement, qui aurait été une façon de régler le différend dans l'ensemble.
    Eh bien, je ne sais pas, John, si vous êtes au courant de telles...
    Non. À ma connaissance, il n'y a pas eu de discussions avec l'entreprise au sujet de l'assainissement de l'environnement. La question a certainement fait partie des discussions trilatérales, mais pas dans les détails, plus en ce qui concerne le montant que Terre-Neuve-et-Labrador serait disposée à payer dans le cadre de l'entente. Mais les détails à savoir qui fait quoi pour nettoyer le site ont été discutés entre la province et l'entreprise.
    Et il n'y a eu aucune discussion sur...? Le gouvernement fédéral n'a pas participé à cette discussion de quelque façon que ce soit?
    Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international y a participé. À ma connaissance, aucun autre ministère n'y a participé.
    Vous avez dit qu'au départ, il y avait une demande de règlement de différend entre un investisseur et un État de 300 millions de dollars. Expliquez-nous encore une fois comment la demande est passée de 300 à 500 millions de dollars. Que s'est-il passé? Comment en sommes-nous arrivés au paiement final de 130 millions de dollars? Je veux dire, il est évident que vous reconnaissez votre culpabilité.
    Il y a eu une expropriation...
    Je comprends, mais au même moment...
    C'était difficile de le nier.
    Des voix: Oh, oh!
(0910)
    Croyez-moi: c'est difficile à nier.
    Pour ce qui est des valeurs que l'entreprise a attribuées aux diverses demandes de règlement qu'elle a soumises en vertu de l'ALENA, il nous est impossible de savoir exactement comment elle en est arrivée à la décision. Comme je l'ai expliqué, la demande de règlement comportait plusieurs volets. Lorsqu'il a été question d'évaluer les actifs qui avaient été expropriés, nous avons étudié du mieux que nous le pouvions leur juste valeur sur le marché, et la décision a été prise à la lumière des résultats.
    Vous avez mentionné que l'entreprise aurait aussi pu porter l'affaire devant les tribunaux, alors pourquoi n'a-t-elle pas choisi cette voie? Avait-elle discuté de cette possibilité par opposition au chapitre 11...? Vous avez dit que par la voie normale des tribunaux, elle aurait pu poursuivre la province devant les tribunaux. Est-ce exact?
    Selon le cours normal des événements au Canada, oui, vous pouvez poursuivre devant les tribunaux du pays les gouvernements qui vous ont exproprié, afin que vous puissiez obtenir une indemnité. Dans le cas qui nous occupe, la province avait adopté une loi qui interdisait de porter l'affaire devant les tribunaux provinciaux.
    Très intéressant.
    Donc à cette étape-ci, où nous en sommes actuellement, l'entreprise a évidemment échappé à la faillite et nous lui avons versé 130 millions de dollars. Y a-t-il d'autres discussions en cours avec Abitibi, mis à part ce qui se passe en ce moment-même, ou si tout est réglé?
    Eh bien, le différend a été réglé en vertu de l'ALENA. Je ne sais s'il y a des discussions entre d'autres ministères et AbitibiBowater à d'autres sujets.
    À votre connaissance, il n'y a pas de discussions en cours actuellement?
    Non.
    M. Scott Simms: Merci.
    Vouliez-vous...?
    Merci beaucoup d'être ici ce matin.
    Je suis un peu confuse. Vous avez dit qu'il n'y avait pas eu de discussions et que le gouvernement n'avait pas joué de rôle avant la conclusion de l'entente. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Je sais que tout ça fait partie du processus établi dans le chapitre 11, mais je trouve quand même ça un peu bizarre que la province ait été capable de prendre une mesure aussi drastique — les expropriations sont peu fréquentes au Canada — pour laquelle le gouvernement fédéral, et les contribuables canadiens, je dirais, assument une responsabilité aussi importante, sans avoir pris part, semble-t-il, à la décision au départ.
    Cela m'étonne un peu que les contribuables canadiens soient à la merci de la décision sans avoir été consultés au préalable. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Sentez-vous bien libre de nous faire part de vos opinions...
    Des voix: Oh, oh!
    M. Don Stephenson: Je n'ai pas d'opinion...
    Mme Martha Hall Findlay: ... au lieu de vous en tenir aux positions officielles.
    Eh bien, tout d'abord, je me demande s'il est exact de dire que les expropriations sont peu fréquentes au Canada, parce que je crois que tous les ordres de gouvernement procèdent très souvent à des expropriations dans le cours normal de leurs activités.
    Pour être claire, l'expropriation d'une grande entreprise par un gouvernement qui ne fait pas de place en vue de construire une autoroute ou le genre de choses que nous voyons habituellement... À l'exception de ces raisons, ce type d'expropriation n'est pas très fréquent au Canada, je tiens à le préciser.
    J'en prends bonne note. Je veux seulement faire observer qu'au Canada, il y a des lois et une pratique des normes pour ce qui est de l'indemnité à accorder à la suite d'une expropriation.
    Dans le cas qui nous occupe, nous comprenons que des discussions ont eu lieu entre l'entreprise et la province au sujet de la cessation de ses activités à Terre-Neuve-et-Labrador, mais nous n'avons pas pris part à ces discussions, et nous n'avons pas pris part à une discussion avec la province de Terre-Neuve-et-Labrador avant sa décision d'exproprier l'entreprise et d'adopter la loi. Il s'agit d'une mesure provinciale.
    Je n'ajouterai rien à la question. Je vais simplement souligner que c'est ce que vous avez dit dans votre déclaration, alors ça n'a pas vraiment répondu à ma question.
    Eh bien, nous n'avons pas pris part aux discussions en ce qui concerne cette expropriation.
    La question concernait le commentaire. La question portait sur la capacité du gouvernement fédéral et de ses contribuables d'assumer la facture et d'être responsables d'une indemnité aussi importante sans avoir pris part à la conversation au préalable, mais merci.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Hall Findlay. Nous aurons peut-être l'occasion de poser la question au second tour.
    Nous passons maintenant à M. Laforest.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Bonjour, monsieur O'Neill et monsieur Stephenson.
    Monsieur Stephenson, vous avez dit qu'en dehors de la disposition prévue au chapitre 11, il y avait de toute façon des dispositions du droit international qui permettent aux entreprises d'entamer une poursuite. Pourriez-vous nous donner plus d'explications? J'ai pris des notes, mais...
(0915)
    Malheureusement, on n'a pas emmené un expert juridique, un avocat du ministère, pour expliquer les normes et les lois internationales. Je n'en sais pas plus que ce je qu'ai dit dans mon commentaire, c'est-à-dire que c'est coutumier.
    En gros, est-ce que cela signifie que s'il n'y avait pas de chapitre 11 dans l'ALENA, il y aurait quand même eu possibilité pour AbitibiBowater d'intenter une poursuite?
    Absolument, et surtout en commençant par les tribunaux nationaux, sous la loi nationale.
    Est-ce que cela signifie aussi que le chapitre 11 est inutile si, de toute façon, les entreprises ont un recours en vertu d'une loi internationale? Pourquoi a-t-on voulu inscrire le chapitre 11 dans l'ALENA? Est-ce pour protéger davantage les entreprises, ou pour protéger davantage les gouvernements?
    C'est pour protéger davantage, surtout les investisseurs canadiens qui investissent dans d'autres pays, et pour garantir qu'ils peuvent défendre leurs droits devant les tribunaux nationaux ailleurs. Cela donne aussi une assurance à ceux qui voudraient investir au Canada qu'ils ont différentes options pour défendre leurs droits.
    En ce qui concerne le commerce international, est-ce vous qui êtes responsables de la supervision ou de la vérification de la conformité des ententes relativement au chapitre 11? Est-ce que c'est le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui doit surveiller tout ce qui se passe en ce qui concerne l'ALENA, les ententes, les expropriations?
    Non, le gouvernement du Canada et mon ministère ne surveillent pas toutes les actions de toutes les provinces et municipalités relativement à l'expropriation ou à d'autres sujets. Nous sommes responsables, comme signataires des ententes internationales, de la protection de ces droits au Canada, mais nous n'avons pas la capacité ni la responsabilité de surveiller toutes les décisions des gouverneurs provinciaux, territoriaux et municipaux.
    Il n'y a donc pas de liste de toutes les expropriations majeures qui ont eu lieu.
    Non.
    On ne parle évidement pas d'un terrain exproprié par une municipalité ou un gouvernement, on parle plutôt d'une entreprise qui investit au Canada ou au Québec.
    Exactement.
    Ainsi, plusieurs centaines de tels événements peuvent se produire sans que le ministère du Commerce international en soit informé. Aussi, quand il y a un différend, c'est parce qu'une entreprise conteste devant les tribunaux.
    C'est cela.
    De même, vous n'êtes pas toujours au courant quand une telle situation se produit.
    Non. On est au courant si l'entreprise conteste en vertu de l'ALENA, mais si elle conteste devant une cour provinciale, on ne l'est pas nécessairement.
    Dans l'ensemble des clauses de l'ALENA, y a-t-il un mécanisme qui permette de négocier à nouveau lorsque certains problèmes se présentent? Comme dans le cas du chapitre 11, les signataires de l'ALENA s'entendent-ils pour dire qu'ils pourraient mieux définir la notion d'expropriation, d'investisseur ou d'investissement? Est-ce un sujet qui doit être discuté à nouveau?
    Oui. Il y a quelques années, les trois parties signataires de l'ALENA se sont entendues sur la clarification de certaines clauses ou procédures comprises dans l'ALENA. C'étaient des interprétations.

[Traduction]

    Quelle phrase a-t-on utilisée, John? A-t-on parlé de clarifications ou d'interprétations?
(0920)
    On a utilisé le terme « note d'interprétation ».
    C'était une note d'interprétation.

[Français]

    C'est-à-dire que les trois parties se sont entendues sur l'interprétation d'une clause et ont produit une note d'interprétation que les tribunaux doivent suivre.
    Selon notre analyse, la définition d'expropriation est assez floue. Cette situation peut même être à l'avantage d'investisseurs qui voudraient contester presque toutes les lois à caractère social ou environnemental d'un gouvernement ou de l'une des parties signataires. On considère que cela limite, d'une certaine façon, la possibilité des gouvernements provinciaux et du gouvernement du Canada d'adopter des lois.
    Je sais bien que vous n'êtes pas les signataires ou les négociateurs, mais je désire quand même m'exprimer.
    Peut-être que Claude pourrait compléter.
    Puis-je répondre ou commenter?

[Traduction]

    Je crois que ce sujet devra faire partie du prochain tour.
     Merci. C'est tout.

[Français]

    Il a un commentaire.

[Traduction]

    Puis-je répondre?
    Bien sûr.

[Français]

    L'ALENA n'a pas changé la définition de l'expropriation dans la loi canadienne. Il y avait déjà, dans la loi canadienne, la notion d'expropriation directe, comme dans ce cas-ci, ou d'expropriation indirecte, qui implique d'autres types de mesures qui ont pour effet de vous enlever votre investissement. Cela n'a pas changé avec l'ALENA.
    Également, les gens peuvent, pour des raisons indirectes comme un règlement environnemental ou autre, se plaindre en vertu de l'ALENA ou devant la cour du pays contre les mesures des gouvernements. Toutefois, s'ils le font en vertu de l'ALENA, ce ne sera pas avec succès. Je n'ai pas été témoin de situations où la réglementation de gouvernements visant la protection de la sécurité des individus ou de l'environnement a été contrainte.

[Traduction]

     Merci.
    Monsieur Julian.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
    C'est une affaire très préoccupante à plusieurs points de vue différents. J'aimerais poser une série de questions.
    Pouvez-vous confirmer que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a dû payer ou a payé environ 30 millions de dollars en indemnités de départ, qui auraient dû être versées par AbitibiBowater, et nous dire comment cette somme s'est inscrite dans l'évaluation qui a permis d'accorder 130 millions de dollars à une entreprise qui, au cours des quatre prochaines années, prévoit réaliser des profits de 1,5 milliard de dollars? Demander aux contribuables canadiens d'assumer la facture dans ce cas-ci, c'est faire un mauvais usage de leur argent, quand on s'attend à réaliser des profits de cette ampleur et que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador se charge de verser les indemnités de départ.
    L'autre question que j'aimerais poser concerne les droits donnant ouverture à une indemnisation. Les droits d'usage de l'eau, en vertu des lois canadiennes, ne peuvent pas faire l'objet d'une indemnisation, et je me demande encore une fois quelle était l'étendue de l'évaluation.
    Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador se charge des indemnités de départ. On a des droits qui ne donnent pas ouverture à une indemnisation. Comment le ministère a-t-il évalué la situation? Je suppose qu'il a recommandé le paiement. Comment le ministère a-t-il évalué le paiement de 130 millions de dollars?
    Eh bien, pour ce qui est de la première partie, par rapport aux 30 millions de dollars versés par la province en indemnités, il s'agit d'une décision prise par le gouvernement provincial, et non le gouvernement fédéral. Nous n'avons pas participé directement à cette discussion ou décision. C'était une question qui était distincte sur le plan juridique de celle de l'expropriation des actifs. C'était la question examinée en vertu de l'ALENA et nous n'en avons pas tenu compte dans le règlement touchant l'expropriation.
(0925)
    Si je comprends bien, les contribuables canadiens, par l'entremise de Terre-Neuve-et-Labrador, ont versé des sommes qu'AbitibiBowater devait à ses travailleurs, et ça n'a pas été pris en compte dans le calcul qui a mené au paiement de 130 millions de dollars à AbitibiBowater.
    Ça n'a pas été pris en compte dans la décision du gouvernement du Canada de verser une indemnité de 130 millions de dollars par suite de cette expropriation. Il est possible — et je souligne le mot « possible », parce que vous devrez poser cette question à un représentant du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador — que cela ait fait partie de leurs discussions et des motifs qui les ont poussés à décider de ne pas payer et de ne pas participer à l'indemnisation de cette entreprise.
    En ce qui concerne le deuxième...
    Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a-t-il effectué d'autres paiements?
    Non. Leur décision de verser ou non une indemnité s'appuyait notamment — et le premier ministre l'a déclaré publiquement — sur la responsabilité des coûts d'assainissement de l'environnement après toutes ces années.
    En ce qui concerne la deuxième partie de la question, qui se rapporte à l'évaluation, nous avons évalué la juste valeur des actifs. Comme des discussions de conciliation sont toujours en cours entre la province et d'autres investisseurs concernant les mêmes installations, je préfère éviter d'entamer une discussion détaillée sur les évaluations que nous avons faites de ces biens. En outre, ces évaluations ont fait partie de la négociation d'une entente confidentielle et elles contiennent des renseignements commerciaux confidentiels.
    Nous en sommes donc maintenant à 170 millions de dollars en tenant compte du fait que les contribuables canadiens ont versé des sommes pour AbitibiBowater. C'est évidemment très utile pour notre rapport, et je pense qu'en tant que comité, nous devrons discuter pour déterminer dans quelle mesure nous pouvons obtenir cette évaluation, cette information.
    Le deuxième aspect troublant de cette situation — et je pense que vous le comprendrez — est le fait que le bureau principal d'AbitibiBowater est situé au Canada. Nous nous retrouvons donc devant une autre situation où une entreprise canadienne utilise les dispositions relatives aux différends entre un investisseur et l'État pour changer son appartenance.
    Pouvez-vous confirmer que les dispositions du chapitre 11 de l'ALENA ont été initialement conçues pour protéger les entreprises étrangères? La question de savoir s'il était sage de mettre ces dispositions en place est probablement discutable, mais nous nous retrouvons maintenant devant une situation où les entreprises canadiennes peuvent se prévaloir des dispositions du chapitre 11 si, pour des raisons fiscales ou autres, elles ont établi leur personne morale à l'extérieur du Canada.
    C'est évidemment très inquiétant quand on pense à l'accord commercial Canada-Europe qui permet essentiellement aux entreprises de partout dans le monde de se prévaloir du chapitre 11, à condition qu'elles aient établi leur personne morale au bon endroit. C'est un autre aspect qui inquiète de nombreux Canadiens.
    Pouvez-vous confirmer que le bureau principal d'AbitibiBowater est situé au Canada et que le chapitre 11 n'a pas été conçu afin que les entreprises canadiennes puissent l'utiliser contre le gouvernement canadien?
    Je vais laisser John répondre à cette partie, mais oui, l'ALENA visait à protéger les investisseurs étrangers au Canada ainsi que les investisseurs canadiens dans les deux autres pays.
    En ce qui concerne AbitibiBowater, l'entreprise a été constituée en personne morale dans un autre pays de l'ALENA, ce qui leur donne accès au mode de règlement des conflits de l'ALENA, y compris le chapitre 11. Je ne suis pas tout à fait certain de l'historique de l'entreprise, et peut-être que John peut nous donner plus de détails à ce sujet, mais une entreprise canadienne, Abitibi, et une entreprise américaine, Bowater, ont fusionné pour donner AbitibiBowater.
    Mais leur bureau principal est à Montréal?
    Le siège social de l'entreprise est situé à Montréal. AbitibiBowater est née de la fusion d'Abitibi Consolidated, une entreprise canadienne exerçant certaines activités aux États-Unis, et de Bowater Incorporated, une entreprise américaine exerçant aussi certaines activités au Canada. En vertu de l'accord de fusionnement, la nouvelle entreprise, AbitibiBowater, a été constituée en personne morale au Delaware et a établi son siège social à Montréal.
    Elle continue d'exercer de nombreuses activités commerciales tant aux États-Unis qu'au Canada. Par conséquent, au regard du chapitre 11 de l'ALENA, il s'agissait d'un investisseur étranger qui exerçait d'importantes activités commerciales dans son pays d'origine, les États-Unis.
(0930)
    J'ai bien peur que nous devions passer à la prochaine série de questions, mais ces questions étaient très intéressantes et très utiles. Merci. Je suis certain qu'elles intéressent de nombreux Canadiens.
    Monsieur Keddy.
    Merci, monsieur le président.
    Je souhaite la bienvenue à nos témoins.
    J'ai été quelque peu troublé par ces questions, en fait, mais peut-être s'agit-il seulement de mon parti pris naturel.
    Monsieur le président, lorsque j'examine l'ensemble de la situation, je pense — sans vouloir contredire mon collègue de Terre-Neuve-et-Labrador — qu'il s'agissait d'un problème de longue date entre la province de Terre-Neuve-et-Labrador et AbitibiBowater qui, malheureusement pour les travailleurs de Terre-Neuve, n'a pas pu être résolu. À ce que je comprends, il y avait deux possibilités, et j'aurais besoin de certaines clarifications.
    Si le chapitre 11 n'existait pas, vous auriez pu passer par les tribunaux au Canada. Ou vous auriez pu suivre le mode de règlement du chapitre 11 et, avec un peu de chance, trouver un processus plus simple et plus rapide donnant lieu à une décision qui, je le crois honnêtement, aurait finalement profité à la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Cependant, ces emplois sont perdus, et c'est ce qu'il y a de plus dommage.
    Si ça ne s'était pas produit — et je réalise que vous n'êtes accompagnés d'aucun conseiller juridique —, si le chapitre 11 n'existait pas, je crois que ce litige serait toujours devant les tribunaux. Qu'en pensez-vous?
    C'est difficile à dire.
    M. Gerald Keddy: Vous n'avez vraiment pas...?
    Non. Je crois que ça aurait été contesté d'une manière ou d'une autre devant les tribunaux, mais comme je l'ai dit, la province de Terre-Neuve a adopté une loi interdisant l'accès à la procédure normale permettant de défendre ces droits dans les tribunaux provinciaux.
    D'accord; vous l'avez déjà mentionné.
    L'autre question que je me pose concerne l'indemnité relative aux pensions et la réparation des dommages causés à l'environnement, deux questions qui devaient être réglées par l'entreprise et la province. Je ne vois là rien d'inhabituel, et je ne comprends pas pourquoi le gouvernement fédéral devrait participer à ce processus, même si certaines questions de mes collègues semblent pointer dans cette direction.
    Si le chapitre 11 a été mis en place pour une raison... et soyons honnêtes, cette disposition a été mise en place pour qu'il existe un mécanisme de règlement des différends lorsque deux organisations ont des opinions divergentes et qu'elles n'ont d'autre choix que d'aller devant les tribunaux. Avec un peu de chance, ces tribunaux sont impartiaux et tiennent compte de toutes les lois existantes. Dans l'affaire qui nous occupe, il a fallu que le gouvernement du Canada paie 130 millions de dollars.
    Je ne vois pas quelle autre possibilité nous avions pour régler cette situation.
    J'ai l'impression que mes collègues laissent entendre qu'il aurait peut-être fallu que cette situation soit réglée à Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis un peu surpris d'entendre cela, particulièrement de la part du NPD.
    Je ne crois pas que nous ayons d'autre choix au Canada que de respecter les lois fédérales. Malheureusement, dans cette affaire, nous sommes allés à l'encontre des règles du commerce international et nous avons dû payer.
    Ai-je simplifié la situation à outrance?
    Mme Martha Hall Findlay: C'est un « nous » très inclusif.
    M. Gerald Keddy: Effectivement, mais c'est la situation avec laquelle nous nous sommes retrouvés.
    Je crois que certaines parties de cette affaire sont simples, alors que d'autres sont plus complexes. La partie la plus simple, c'est qu'une entreprise a été expropriée, et qu'il fallait lui verser une indemnité...
    M. Gerald Keddy: Absolument.
    M. Don Stephenson: ... de quelque manière que ce soit.
    Il y a eu plusieurs complications dans cette affaire.
    Pendant que j'y pense, John m'a rappelé que vous souhaiteriez peut-être vérifier si la province a présenté une demande relativement à l'argent qui a été versé en indemnités de fin d'emploi dans le cadre de la procédure de faillite au Canada, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Nous ne savons pas si une telle demande a été présentée. Il me semble — je ne suis pas avocat — qu'il s'agirait là d'une demande légitime de la part de Terre-Neuve-et-Labrador. Ce fait devrait donc être vérifié.
    En vertu de la loi et des procédures d'arbitrage international, les entreprises peuvent soumettre à l'arbitrage international leurs différends avec d'autres entreprises à tout moment. La Cour d'arbitrage international de Londres a été établie pour résoudre les litiges commerciaux qui existent entre les entreprises.
    L'ALENA a permis — comme nous le faisons dans toutes nos ententes de protection des investissements, et comme le font la plupart des pays dans leurs ententes bilatérales de protection des investissements — aux investisseurs d'accéder aux mêmes procédures d'arbitrage international en ce qui concerne les décisions prises par les gouvernements. C'est la partie originale. Le reste semble assez simple.
(0935)
    Oui.
    Pour être clair, je pense que nous avons tous passé un certain temps à examiner le chapitre 11 et à essayer d'en comprendre toutes les subtilités. Mais — et à nouveau, peut-être que je simplifie à outrance — il faut un mécanisme de règlement des différends. Celui-là ne vise pas seulement les organisations étrangères. Il vise aussi à protéger les investissements canadiens à l'étranger et au Canada.
    Je ne comprends donc pas la vive résistance qui existe à l'égard du chapitre 11; ce mécanisme de règlement des différends profite en fait aux investisseurs canadiens et assure le traitement équitable des investisseurs étrangers. Il est possible qu'on ne soit pas satisfait de chaque règlement, mais il est nécessaire d'avoir un processus fondé sur des règles pour régler les désaccords internationaux épineux et souvent difficiles, de même que les désaccords qui ont lieu ici au Canada parce que les gouvernements ont adopté certains règlements, règles ou lois, ou parce que les entreprises refusent d'obéir.
    Il est nécessaire d'avoir un système. Il existe peut-être un meilleur système, mais je n'en connais pas.
    Je suis d'accord avec cette question.
    Nous allons passer à la deuxième série de questions, d'une durée de cinq minutes. Nous souhaitons que les questions et les réponses ne dépassent pas ce délai.
    Nous allons commencer avec Mme Hall Findlay.
    Merci, monsieur le président.
    J'espère être très brève, parce que je veux céder la parole à mon collègue M. Simms.
    Le problème, pour mon collègue M. Keddy, n'est pas que nous sommes en désaccord avec le chapitre 11 ou avec les règles. Nous comprenons tout à fait qu'ils sont nécessaires. Cependant, il est toujours possible d'entamer des négociations avant d'entreprendre une action en justice.
    Où était donc le gouvernement fédéral pendant les discussions entre le gouvernement provincial et AbitibiBowater, lorsqu'il était question de la responsabilité d'Abitibi en ce qui concerne la restauration du site, par exemple? Il y avait peut-être là une possibilité. Au lieu de simplement émettre un chèque de 130 millions de dollars après coup, le gouvernement fédéral aurait pu utiliser cet argent pour assurer la restauration du site et ainsi contribuer à la réalisation de ce processus au lieu d'aider seulement l'entreprise.
    Je ne m'oppose pas au chapitre 11 ou à l'existence des règles. Je les comprends entièrement. Mais si nous ne pouvons rien faire à ce sujet maintenant, peut-être aurons-nous appris que nous devons intervenir plus tôt et nous investir davantage.
    Je pense que mon collègue M. Julian a soulevé une question intéressante concernant l'applicabilité du chapitre 11 et la nationalité de diverses entreprises. Je pense qu'il vaudrait la peine qu'on se penche là-dessus.
    Monsieur Simms.
(0940)
    Oui. Je n'aurais pas pu l'exprimer mieux moi-même.
    Normalement, j'aime entrer directement dans le vif du sujet, mais nous avons en quelque sorte été arrêtés au passage par certains commentaires qui ont été émis.
    Je comprends ce que vous dites, monsieur Keddy, mais à ce sujet, pour les gens qui habitent dans ce secteur, près des terrains qui ont été expropriés, dans l'intérêt de la société en général, j'aurais préféré — et je pense que c'était possible — que les 130 millions de dollars soient versés pour nettoyer les sols, même s'il ne s'était s'agit que de cela, plutôt que pour se débarrasser de quelqu'un.
    Je veux dire qu'on parle toujours de compétence, mais nous avons estimé que nous avions l'autorité nécessaire en Nouvelle-Écosse pour nettoyer les étangs de goudron de Sydney. Je pense que dans cette affaire, nous aurions pu agir de la même manière, mais ça nous amène à discuter de la question plus large de la restauration des sites industriels et du manque d'engagement à cet égard. Parce qu'en ce moment, nous sommes toujours devant les tribunaux pour régler la question de l'assainissement de l'environnement, et le prix à payer pourrait dépasser les 500 millions de dollars. Quelqu'un va devoir payer pour ça, et nous avons déjà versé 130 millions de dollars.
    Je suis heureux pour les investisseurs d'AbitibiBowater, mais c'est une situation difficile pour les citoyens qui vivent près des voies navigables, etc. Il a souvent été invoqué qu'au commencement, l'entreprise s'est vu donner libre accès à tout ce dont elle avait besoin, tout ça dans le but de créer des emplois. Nous parlons d'événements qui se sont passés il y a 100 ans, j'en suis conscient, mais certains de ces éléments doivent être pris en compte.
    Voilà le point que je voulais aborder depuis le début, et la question est la suivante: y a-t-il eu des discussions ouvertes sur la possibilité de participer au processus? Parce que tout ce que je veux, c'est qu'on en ait pour notre argent, ce qui veut dire... Oui, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a versé des indemnités de fin d'emploi. Il a aussi payé un certain pourcentage des sommes qui était dues à des créanciers locaux.
    Mais en attendant, je veux poser une brève question sur ce qui a été dit, et je pense que la discussion porte sur qui exactement se situe où. Je suis d'accord pour protéger nos investisseurs à l'étranger. Comme M. Keddy doit le savoir, je suis moi-même partisan du libre-échange, mais je crois en la protection offertes par les institutions.
    Mais je pense qu'il a soulevé un bon point, à savoir que je ne sais plus qui est quoi. Cette usine a toujours été une usine canadienne appartenant à des Canadiens, jusqu'au moment où elle a dû fermer — toujours. Et nous nous retrouvons maintenant dans une situation où 130 millions de dollars ont été versés à une entreprise étrangère sans que rien ne nous soit rendu en retour.
    Quoi qu'il en soit, je ne sais pas s'il y a des commentaires à faire à ce sujet. Ce sont seulement mes petits commentaires. Peut-être êtes-vous en mesure de comprendre mes frustrations. Je ne sais pas.
    Tout d'abord, je comprends qu'il s'agissait seulement d'une tournure de phrase; toutefois, le fait de dire que ces 130 millions de dollars ont servi à se débarrasser de quelqu'un est erroné ou témoigne d'une mauvaise compréhension des circonstances. Le paiement...
    Vous pouvez sûrement vous mettre à notre place...
    Oui, mais ce paiement visait à indemniser quelqu'un dont les biens avaient été expropriés par le gouvernement, ce qui semble tout à fait normal. Au sens de la loi, l'assainissement de l'environnement et l'indemnisation des biens en cause sont deux questions distinctes. Le but n'était pas d'obtenir quelque chose en retour; c'était une question sans détour...
    Mais on aurait dû obtenir quelque chose en retour. C'est ce que j'essaie de vous dire.
    M. Don Stephenson: D'accord...
    M. Scott Simms: Vous savez, vous pourriez m'en apprendre énormément sur les champs de compétence.
    Au sens de la loi, il n'y a pas de distinction parce que la valeur de l'actif est liée au passif.
    Une voix: Exactement... [Note de la rédaction: inaudible]... des biens différents.
    Voilà un autre point qui pourrait vous être utile.
(0945)
    Les biens qui ont été expropriés et ceux qui auraient soi-disant entraîné d'énormes coûts d'assainissement de l'environnement — et je ne sais pas si les allégations à cet égard sont vraies, mais j'en ai l'impression — ne sont pas les mêmes.
    Manifestement, l'un des biens expropriés — l'usine de papier journal — a entraîné des coûts d'assainissement de l'environnement qui devront être assumés par la province, d'après les discussions que nous avons eues avec elle. Cependant, les autres biens — les biens durables — qui ont été expropriés sont des centrales hydro-électriques. Les coûts d'assainissement dont parlait le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador n'avaient rien à voir avec ces centrales; ils étaient liés à d'autres biens qui ont appartenu à AbitibiBowater ou qui ont été utilisés par l'entreprise au cours des 100 dernières années à Terre-Neuve-et-Labrador, mais qui n'ont pas été expropriés.
    Merci.
    Malheureusement, notre heure est écoulée et nous devons conclure avec M. Holder.
    Vous avez cinq minutes en tout et pour tout, comme on dit.
    Merci, monsieur Holder.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier nos témoins.
    J'ai eu le privilège d'aller trois fois au cours de la dernière année dans la sublime province de Terre-Neuve-et-Labrador, pour laquelle j'éprouve une grande affection. Je tiens à le préciser parce qu'il s'agissait probablement de la façon la plus opportune et judicieuse de régler la situation, comme c'est le cas lorsque les provinces font face à des problèmes de ce genre.
    Les remarques de Mme Hall Findlay au sujet du processus de négociation m'ont fait m'interroger à propos de la responsabilité des autorités. À quel moment entrons-nous en cause?
    Monsieur Stephenson, j'ai cru comprendre, d'après vos commentaires, que nous entrons en cause une fois l'acte scellé et que nous devons prendre les choses telles qu'elles sont. J'ai trouvé très intéressant que vous disiez qu'une entreprise avait été expropriée et qu'une indemnité lui était due. Je comprends cette notion.
    Quand est-ce que le gouvernement fédéral entre en cause? Pourriez-vous s'il vous plaît clarifier ce point pour moi?
    Eh bien, au sens de la loi et dans la pratique, le gouvernement du Canada entrera généralement en cause après qu'un avis d'intention a été présenté en vertu du chapitre 11 de l'ALENA ou d'un autre de nos traités d'investissement.
    Je suppose que logiquement, le gouvernement du Canada, en tant que responsable de l'application des traités internationaux et compte tenu des obligations financières qui pourraient retomber sur lui au final, souhaitera prendre part à des discussions avec les provinces ou les investisseurs avant que l'avis d'intention ne soit présenté.
    Toutefois, au sens de la loi, ces décisions sont prises par les provinces, les territoires et les municipalités. Je crois que la question de savoir à quel moment il est préférable que le gouvernement du Canada intervienne dans le processus décisionnel est très délicate.
    À mon avis, on en revient au commentaire de M. Simms, qui a dit — et je crois que nous souscrivons tous à ce concept général — qu'il serait génial d'investir ces fonds dans l'assainissement si nous étions dans cette situation... Je me demande même si nous n'avons pas mis la charrue devant les boeufs, pour reprendre cette expression. J'essaie de comprendre. Le gouvernement fédéral aurait-il pu affecter des fonds à l'assainissement dès le départ? D'abord, cette option s'offrait-elle à nous? Ou est-ce que le gouvernement doit vraiment attendre que le chapitre 11 entre en cause, puis traiter les questions soulevées?
    Eh bien, je suppose que le gouvernement du Canada avait la liberté d'investir des fonds pour assumer les coûts d'assainissement causés par ces installations. Mais je ne sais pas si un tel investissement aurait permis d'éviter que l'expropriation des biens n'entraîne un différend dans le cadre de l'ALENA.
    Il s'agit donc de deux choses distinctes. Il n'y a pas de lien de cause à effet. On pourrait privilégier l'assainissement, mais une telle approche, si souhaitable soit-elle, n'a rien à voir avec le défi énoncé au chapitre 11 des négociations auquel on a dû faire face.
    Mais pas au sens de la loi. À ce stade-ci, toute réponse à la question de savoir si ces éléments auraient pu être réglés par le biais d'une entente n'est que spéculation.
    Pourrions-nous parler de cette entente un instant? Il me semble que c'était la méthode la plus rapide à adopter, du moins à la lumière de votre témoignage.
    C'est une hypothèse. En posant cette question, j'en viens à me demander quel aurait été le plan B si nous n'avions pas réglé l'affaire comme nous l'avons fait.
    Nous nous serions défendus devant un tribunal de l'ALENA — l'affaire aurait été exactement la même et aurait aussi porté sur la valeur des biens — parce qu'une indemnité aurait sûrement été accordée.
    Est-il juste de dire que le processus aurait certainement été beaucoup plus long et peut-être plus coûteux si nous avions opté pour cette approche?
    Eh bien, la procédure juridique aurait été coûteuse. Ce genre de procédure s'échelonne généralement sur plusieurs mois.
    C'est intéressant. À mon avis, il est question d'équité et de respect des règles en place. M. Keddy a mentionné qu'il s'agit d'un processus fondé sur des règles; selon moi, quelle que soit la nature du débat — qu'il porte sur le libre-échange avec les autres pays ou, comme c'est le cas ici, sur les dispositions du chapitre 11 applicables aux différends —, il s'agit d'un processus fondé sur des règles. C'est très bien qu'il existe ce processus pour accélérer les choses et que nous ayons cette option à notre disposition.
    J'aimerais vous poser une question au sujet d'un bref commentaire que vous avez fait — je ne sais toutefois pas si c'était pendant votre période de questions avec M. Julian. Avons-nous déjà prêté notre concours aux provinces dans le cadre d'autres différends de cette nature? J'aimerais tout simplement avoir une idée de votre expérience à cet égard. S'agit-il d'une pratique tout à fait inhabituelle ou plutôt courante?
(0950)
    Seule une poignée de différends dans le cadre de l'ALENA se rapportait à des mesures provinciales. Il s'agit de l'unique cas où une indemnité a été versée relativement à une mesure provinciale; il y a donc très peu de précédents dont nous pouvons nous inspirer.
    Je suppose que de façon générale, dans le domaine du commerce international — par exemple les affaires qui touchent l'OMC —, il est courant que le gouvernement du Canada, en tant que signataire d'un traité international, défende les provinces.
    La sublime province de Terre-Neuve-et-Labrador aurait donc sûrement apprécié que le gouvernement du Canada l'épaule dans les circonstances.
    Votre temps est écoulé.
    Je suis désolé, je ne m'en étais pas rendu compte. Dialoguer avec notre témoin est si intéressant.
    Oh, c'était un dialogue?
    Oui.
    Je suis désolé. Je croyais que c'était un monologue.
    Nous échangions et c'était agréable.
    Alors voilà.
    Quoi qu'il en soit, notre temps est écoulé.
    J'aimerais remercier nos témoins d'avoir jeté les bases de notre discussion avec brio et d'avoir éclairé le comité sur cet important sujet.
    Je vais suspendre la réunion pour deux minutes, le temps de dire au revoir à nos témoins et d'accueillir notre deuxième groupe.
    Merci.

(0955)
    Reprenons le travail.
    Nous accueillons Steven Shrybman, du Conseil des Canadiens, qui nous a rendu visite à plusieurs reprises par le passé. Il est avocat des affaires de commerce international et d'arbitrage d'intérêt public. Nous accueillons aussi Brian Lee Crowley, directeur général du Macdonald-Laurier Institute et enfin, Gus Van Harten, professeur adjoint à la Osgoode Hall Law School de l'Université York.
    Encore une fois, nous allons d'abord écouter la courte déclaration préliminaire des témoins. Nous n'aurons toutefois pas beaucoup de temps pour poser des questions vu que chaque témoin prendra la parole. C'est pourquoi je vous demanderais d'être le plus concis possible.
    Commençons par M. Van Harten.
    Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un honneur de venir comparaître devant vous aujourd'hui.
    Je m'appelle Gus Van Harten. Je suis professeur adjoint à la Osgoode Hall Law School. Par le passé, j'ai enseigné à la London School of Economics, où j'ai également fait mon doctorat en droit de l'arbitrage des traités d'investissement et en droit public.
    Je vais aborder quatre grands points concernant l'affaire d'AbitibiBowater et son règlement.
    Premièrement, cette affaire et son issue illustrent la façon dont le chapitre 11 de l'ALENA et les autres traités d'investissement conclus par le Canada et prévoyant un arbitrage obligatoire entre l'investisseur et l'État peuvent entrer en conflit, de par leur fonctionnement, avec un principe fondamental du système de démocratie constitutionnelle du Canada. Je parle ici du principe qui porte que le Parlement ou l'assemblée législative provinciale peut prendre, étant donné sa suprématie, des mesures législatives ou réglementaires à l'égard de tout ce qui est soumis à son autorité constitutionnelle sans avoir à verser d'indemnité aux parties privées dont les intérêts économiques sont touchés par ces mesures.
    Il s'agit là d'un principe de démocratie parlementaire et d'une tradition de common law qui existent depuis longtemps et qui sont reconnus par A. V. Dicey et d'autres personnes. En ratifiant l'ALENA, le gouvernement fédéral a décidé de subordonner ce principe aux décisions des arbitres affectés aux recours intentés par les parties privées en vertu du traité.
    Jusqu'à présent, 28 recours ont été intentés contre le Canada en vertu du chapitre 11 de l'ALENA. Un certain nombre de ces cas n'a jamais donné lieu à l'établissement d'un tribunal officiel; toutefois, certains de ces recours faisaient suite à des mesures législatives ou à des décisions adoptées conformément aux vastes systèmes législatifs.
    Par exemple, Dow Chemicals a déposé une plainte — toujours en instance — contre le Canada parce qu'une entreprise américaine de produits chimiques s'oppose à l'interdiction d'utiliser des pesticides à des fins esthétiques prévue par la Loi sur les pesticides en vigueur au Québec. La plainte présentée par Gallo va à l'encontre d'une loi instaurée en Ontario pour finalement mettre un terme à un système d'acheminement des déchets de Toronto à une carrière dans le Nord de l'Ontario. La plainte de Centurion Health Corporation découle de l'opposition d'un fournisseur privé de soins de santé des États-Unis à la Loi canadienne sur la santé. Ethyl a présenté l'une des premières plaintes dans le cadre de l'ALENA à l'encontre d'une loi fédérale qui imposait des restrictions sur un additif ajouté à l'essence. Au terme de cette affaire, le gouvernement fédéral a notamment dû verser une indemnité. Toutes les affaires de ce type se rapportent à des mesures législatives.
    Deuxièmement, j'aimerais mentionner que cette restriction des pouvoirs du Parlement ou de l'assemblée législative provinciale pourrait avoir d'importantes répercussions sur la division des pouvoirs fédéraux et provinciaux dans le cas où des arbitres rendraient des ordonnances défavorables à un gouvernement provincial ou dans le cas où le gouvernement fédéral demanderait à une province d'assumer la responsabilité des sentences internationales visant le Canada.
    Sur le plan du droit international, comme le gouvernement fédéral a ratifié l'ALENA au nom du Canada, il doit assumer, au nom du Canada, les obligations en matière de traité qui incombent au pays dans le cadre de l'ALENA.
    Sur le plan du droit constitutionnel canadien, qui est évidemment une branche distincte du droit, c'est en grande partie le gouvernement fédéral qui doit assumer les sentences prononcées contre le Canada puisqu'il n'a pas cherché à obtenir le consentement des provinces ni à faire adopter des lois provinciales en ce qui concerne l'exécution des sentences rendues en vertu du chapitre 11 de l'ALENA dans des domaines de compétence provinciale.
    Il en est ainsi en raison du principe constitutionnel énoncé dans l'affaire des conventions de travail de 1937, selon lequel le gouvernement fédéral ne peut éviter la division constitutionnelle des pouvoirs avec les gouvernements provinciaux en concluant tout simplement, avec des gouvernements étrangers, des traités qui empiéteraient sur le pouvoir des provinces.
    Troisièmement, j'aimerais préciser que même si le mot « tribunal » est parfois utilisé pour décrire le processus de règlement des différends prévu au chapitre 11 de l'ALENA, les décisions sont prises par des arbitres. Nous ne devons pas confondre les arbitres avec les tribunaux, nationaux ou internationaux: les tribunaux disposent de certaines garanties institutionnelles d'indépendance judiciaire, mais ce n'est pas le cas des arbitres qui tranchent les affaires relatives au chapitre 11 de l'ALENA. D'importants aspects comme l'inamovibilité, l'interdiction de mener des activités rémunératrices à l'extérieur — qui est imposée aux juges — et l'objectivité de la méthode de nomination, ne sont pas prévus dans le cas des arbitres.
    En l'absence de telles garanties, on pourrait se demander si les arbitres ont été indûment influencés par des incitatifs financiers de façon à ce qu'ils favorisent les futurs demandeurs et de servir les intérêts des responsables de la nomination des arbitres et des gouvernements et autres grands acteurs qui possèdent le plus d'influence quand vient le temps de décider s'il convient d'inclure des clauses d'arbitrage aux traités.
(1000)
    La situation revêt une importance encore plus grande du fait qu'on a conféré aux arbitres — ce qui est assez exceptionnel dans le contexte actuel de justice internationale — le pouvoir de trancher des plaintes de droit public présentées par des parties privées. En fait, le pouvoir qui leur est conféré est encore plus grand que celui de tout autre tribunal international. Ces plaintes internationales n'ont pas à passer d'abord par un tribunal national ni à faire l'objet d'un processus d'examen approfondi par un tribunal national ou international. Qui plus est, les arbitres ont le pouvoir d'accorder des indemnités publiques à des parties privées par suite de mesures législatives, exécutives ou judiciaires. Il s'agit là d'un processus de règlement des différends qui ne s'apparente en rien aux processus courants de droit international ni à ceux prévus par les autres traités internationaux, y compris les traités qui autorisent les parties privées à présenter des plaintes contre l'État.
    Quatrièmement, j'aimerais tout simplement faire un survol des cas passés où, dans le cadre de traités d'investissement, le gouvernement du Canada et des investisseurs canadiens ont eu recours à l'arbitrage. L'information est tirée d'une base de données sur les cas connus en matière de traités d'investissement que je tiens moi-même à jour, avec la collaboration d'autres personnes de la Osgoode Hall Law School.
    Dans l'ensemble, le bilan du Canada en tant qu'intimé est moyen. Du nombre de recours à l'arbitrage intentés contre le Canada en vertu du chapitre 11 de l'ALENA qui ont mené à la détermination de la responsabilité des parties — au final, soit une sentence a été prononcée contre le Canada ou en sa faveur, soit une entente a été conclue —, le Canada a obtenu gain de cause à quatre reprises et a perdu quatre fois. Il s'agit d'un résultat moyen qui a été établi en comparaison avec le bilan d'autres pays; on pourrait toutefois s'attendre à un meilleur résultat, compte tenu du fait que la démocratie est bien établie au Canada et que le pays dispose, entre autres, d'institutions judiciaires de longue date. Mais il n'y a pas beaucoup de données.
    Il y a cependant encore plus étonnant: des 16 cas connus de plaintes présentées par des investisseurs canadiens contre les États-Unis en vertu du chapitre 11 de l'ALENA et contre d'autres pays en vertu de traités bilatéraux d'investissements, les investisseurs canadiens n'ont jamais obtenu gain de cause. Il existe une foule de raisons possibles pour expliquer ce piètre bilan: peut-être que les investisseurs canadiens ont intenté des affaires indéfendables, ou ont fait appel à de mauvais avocats, ou encore était-ce une coïncidence. Il n'y a pas beaucoup de données à ce sujet.
    Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que l'industrie de l'arbitrage en matière d'investissement, qui est établie à Paris, à Londres, à Washington, à New York et à La Haye, n'est peut-être pas une tribune très favorable aux intérêts canadiens. Je mentionne uniquement que c'est un sujet qui mérite davantage d'attention et de vigilance de la part des décideurs et des négociateurs de traités.
    J'ai également en ma possession un résumé de tous les cas connus de plaintes présentées contre le Canada ou par des investisseurs canadiens. Je le remettrai volontiers au greffier du comité.
    Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de venir vous rencontrer aujourd'hui.
(1005)
    Merci, monsieur Van Harten.
    Nous accueillons maintenant Steve Shrybman du Conseil des Canadiens.
    Monsieur Shrybman.
    Bonjour, mesdames et messieurs.
    Je vais vous parler de l'incidence que la décision du Canada de conclure cette entente en vertu du chapitre 11 aura sur la propriété publique et le contrôle des ressources naturelles, en particulier l'eau, qui constitue l'un des principaux sujets de préoccupation du Conseil des Canadiens.
    J'ai fourni une copie de mes observations au greffier. Malheureusement, elles n'ont été préparées qu'hier, et je n'ai donc pas pu les faire traduire, mais il m'a dit qu'elles seraient traduites et ajoutées au dossier ultérieurement. Je vous recommande de les lire. Je vais vous donner un bref aperçu de ce qu'elles contiennent, à commencer par le résumé suivant.
    L'entente conclue par le gouvernement du Canada concernant une réclamation du statut de l'État investisseur par Abitibi est un exemple probant d'investisseurs étrangers qui tentent de s'approprier des droits sur les eaux canadiennes, y compris l'eau dans son état naturel, puisque ces investisseurs ont acquis le droit d'exploiter les ressources aquatiques en vertu d'un permis ou autre. Ce faisant, le gouvernement du Canada a pour ainsi dire transformé les ressources d'eau douce canadiennes, dont la plupart sont la propriété des provinces par le biais d'une fiducie d'intérêt public, en un droit de propriété privée au profit d'investisseurs étrangers qui ont acquis le droit d'utiliser les eaux en vertu d'un permis provincial.
    Il serait difficile, dans mes observations, d'exagérer les conséquences d'une transformation aussi draconienne aux droits que les gouvernements canadiens ont toujours eus de posséder et de contrôler les ressources naturelles publiques. De plus, en reconnaissant l'eau comme une propriété privée, le gouvernement est allé beaucoup plus loin que n'importe quel tribunal arbitral international n'a osé le faire en accordant une revendication commerciale aux ressources aquatiques naturelles.
    Pour ces raisons, non seulement l'entente conclue avec AbitibiBowater ouvre-t-elle la porte à des ententes similaires aux dépends du Canada, mais elle pourrait également servir d'exemple, à l'échelle internationale, à des sociétés qui cherchent à établir leurs droits de propriété sur l'eau dans un monde où cette ressource non renouvelable commence à se faire rare.
    Ceci fait le tour du résumé et de l'introduction.
    Je continue en décrivant brièvement les circonstances à l'origine de ce règlement. Je sais que le comité s'est penché en détail sur ces circonstances ce matin, aussi je ne vais pas me répéter ou m'aventurer davantage sur ce sujet, mais je tiens à dire que j'ai examiné le projet de loi 75. Il est clair que celui-ci a entraîné l'expropriation de certains actifs appartenant à AbitibiBowater, mais aussi qu'il a permis de ramener à un usage public des permis d'exploitation aquatique et forestière qui n'ont jamais été la propriété privée d'AbitibiBowater.
    C'est en concluant une entente accordant ces droits, le droit d'utiliser les ressources à des fins publiques — dans ce cas-ci, pour créer de l'emploi à Terre-Neuve-et-Labrador — que le règlement du gouvernement à l'égard des revendications soulève les préoccupations dont je viens de vous faire part.
    J'aimerais simplement attirer votre attention sur un point du projet de loi 75 qui peut avoir été négligé ce matin. Le projet de loi 75 prévoyait le versement d'une compensation à l'entreprise pour les actifs qui lui ont été saisis. La loi donnait explicitement au gouvernement l'occasion d'offrir une indemnisation à Abitibi pour ses actifs; elle n'établissait tout simplement pas de valeur pour la propriété saisie ou le montant de la compensation devant être versée à l'entreprise.
    C'est ainsi que fonctionne la Constitution au Canada. Les gouvernements ont toujours eu le droit de s'approprier le bien privé à des fins publiques, et il a toujours été de leur ressort de déterminer le bien-fondé d'une compensation et, le cas échéant, son montant. C'est ainsi que fonctionne la Constitution.
    Quand on a proposé, au début des années 1980, que l'on ajoute à la Constitution une protection de la propriété privée, les gouvernements canadiens ont rejeté cette norme qui, comme vous le savez, a été intégrée au cadre constitutionnel des États-Unis.
    Ce que nous avons fait, donc, c'est de transformer efficacement le portrait constitutionnel de notre pays en intégrant à une entente internationale un droit de compensation dans tous les cas où une propriété est saisie — et à la juste valeur de marché de cette propriété. Ce n'est pas un droit constitutionnel, mais une règle à laquelle le Canada s'est plié lorsqu'il a négocié, dans un premier temps, l'accord de libre-échange avec les États-Unis au milieu des années 1980 puis, dans un deuxième temps lorsqu'il a réaffirmé cet engagement en souscrivant au chapitre 11 de l'ALENA, qui prévoyait aussi pour la première fois le droit, pour les investisseurs étrangers, de demander une compensation si le Canada violait les normes de cette entente internationale.
(1010)
    Le règlement entourant le litige entre Abitibi et le Canada est survenu à la suite d'une ordonnance du tribunal d'arbitrage. Vous pouvez le lire sur le site Web du secrétariat de l'ALENA. Les membres du comité le savent peut-être déjà, mais si vous examinez les modalités du règlement, vous verrez qu'à l'article 5, on peut y lire qu'en contrepartie au règlement définitif dont il est question avec AbitibiBowater concernant les actifs et les droits cités dans le document... et le texte continue.
    Dans mes observations, vous verrez que je cite les dispositions du règlement amiable, mais ce qui est important de retenir, c'est qu'il est clair que l'indemnité versée ne touche pas seulement les actifs de l'entreprise — c'est-à-dire l'usine et le moulin —, mais également les droits qui s'y rattachent. Si vous jetez un coup d'oeil à la réclamation de l'entreprise, vous verrez une longue liste de permis d'exploitation des ressources aquatiques et forestières, et d'autres intérêts que l'entreprise a acquis au fil des ans, ou plutôt au fil des décennies, dans le cadre de diverses administrations politiques et transactions avec d'autres entreprises, notamment les droits pour l'exploitation des ressources forestières et aquatiques de la province.
    Le règlement indique clairement que l'indemnité est versée en guise de dédommagement pour ces droits, mais ne fait aucune distinction entre eux. C'est donc dire que selon le règlement lui-même, toutes les réclamations de droit faites à Abitibi valent une indemnité aux yeux du gouvernement du Canada, puisqu'il n'a pas tenté d'exclure de ce règlement amiable les droits dont Abitibi souhaitait se prévaloir. Par ailleurs, en reconnaissant les droits de propriété sur l'exploitation de l'eau et des forêts comme il l'a fait, le Canada est allé beaucoup plus loin que n'importe quel tribunal international établi selon les règles de l'ALENA, ou, à ma connaissance, les règles de tout autre traité international en matière d'investissement.
    Ce qui pose encore davantage problème avec ce règlement est le précédent qu'il crée. Si vous prenez connaissance du règlement, vous trouvez une disposition qui dit que... Je vais la lire pour vous:
[Traduction] Le présent règlement amiable ne peut constituer un précédent jurisprudentiel pour toute personne, et ne doit pas être utilisé autrement que pour la seule application de ses modalités, et ne doit pas causer préjudice ou porter atteinte aux droits ou aux défenses des Parties ou aux droits de toute autre personne dans une mesure autre que ce qui est prévu aux présentes.
    Mais voilà, cette disposition est totalement inutile et le gouvernement le sait, parce qu'il sait qu'en vertu de l'article 1102 de l'ALENA, il doit fournir un « traitement national » à tous les autres investisseurs étrangers dans des circonstances analogues. Il ne peut conclure de marché ou légiférer de manière à se soustraire à cette obligation. S'il souhaite se libérer de cette obligation, il doit aller cogner à la porte des États-Unis et du Mexique et leur dire que l'article 1102 doit être revu.
    À compter d'aujourd'hui, nous devrons verser le même type d'indemnité à toute autre entreprise ayant des activités au Canada et qui est titulaire d'un permis d'exploitation aquatique ou forestière chaque fois qu'un gouvernement de ce pays décide de reprendre ces droits, que ce soit pour les besoins du développement durable, parce que ces ressources pourraient être davantage utilisées ou exploitées d'une meilleure façon, ou parce que l'entreprise n'a pas rempli ses obligations de créer de l'emploi comme elle en avait la responsabilité pour avoir le droit d'exploiter ces ressources forestières et aquatiques. Ces conditions sont applicables d'un bout à l'autre du pays. Le Canada est condamné à honorer ce type de réclamation ou à payer ce type d'indemnité dans des circonstances analogues à celle de l'affaire d'AbitibiBowater.
     C'est pourquoi, selon moi, il n'est pas exagéré de dire que les conséquences de ce règlement constituent le coup de grâce à la propriété publique et au contrôle de l'eau et des autres ressources naturelles pour ce qui est de savoir à qui seront octroyés les licences ou les permis.
    Mon temps est écoulé. Si vous prenez connaissance de mes observations, vous verrez que j'essaie d'expliquer ce que cela signifie pour une entreprise ayant un permis d'exploitation d'eau pour l'arrosage d'un terrain de golf au Québec, l'exploitation d'une usine en Ontario, ou l'approvisionnement en eau pour l'extraction de bitume en Alberta.
(1015)
    Ça a d'énormes conséquences et implications pour la propriété et le contrôle du Canada sur les ressources naturelles d'un bout à l'autre du pays. L'entente pourrait être de 1,3 milliard de dollars et ça ne changerait rien, puisque ce n'est pas une question d'argent: le problème se situe plutôt au niveau de la perte profonde du droit public en matière de ressources naturelles publiques.
    Merci, monsieur le président.
    Merci. C'est un point de vue intéressant. Je ne sais pas si c'est le bon endroit pour en parler, mais votre point est intéressant.
    Monsieur Crowley.
    Je suis directeur général du Macdonald-Laurier Institute, un centre d'études sur les politiques publiques dont le siège social se trouve à Halifax.
    D'après ce que je comprends, le comité est chargé d'étudier une question de grande importance nationale qui se divise en deux parties: tout d'abord, les 130 millions de dollars versés par le gouvernement fédéral à AbitibiBowater pour le règlement de la réclamation faite par l'entreprise en vertu des dispositions de l'ALENA à l'égard des investisseurs, et ensuite, l'incidence de ce règlement sur les décisions d'intérêt public qui seront prises à l'avenir par tous les ordres de gouvernement du Canada. On parle de deux questions distinctes, mais je vais discuter des deux.
    Comme M. Van Harten, j'ai l'intention de diviser mon exposé en quatre points.
    Premier point: les dispositions du chapitre 11 de l'ALENA ne fixent aucune limite aux gouvernements canadiens qui agissent dans l'intérêt du public par l'observation des lois et règlements, mais elles exigent que le gouvernement assume le juste coût de ses décisions, y compris pour ce qui est d'indemniser les parties dont la propriété a été confisquée ou nationalisée.
    Permettez-moi d'élaborer sur ce point. Les procédures qui ont été tranchées au détriment des gouvernements canadiens en vertu du chapitre 11 de l'ALENA, y compris le cas d'AbitibiBowater, ne consistaient pas à décider si le Canada avait ou non le pouvoir d'agir dans l'intérêt du public. Ce n'était pas là le fondement de ces décisions. En effet, ce n'est pas ce que prévoit l'ALENA, et aucun gouvernement n'aurait accepté de la signer si c'eût été le cas. Ce que prévoit l'ALENA, c'est que les investisseurs étrangers lésés dans leurs intérêts par des décisions politiques de ces gouvernements reçoivent une indemnisation appropriée.
    Dans le cas d'AbitibiBowater, par exemple, le chapitre 11 n'a pas été invoqué dans le but de renverser la décision du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador de nationaliser ces actifs. Il s'agissait plutôt d'obtenir une compensation pour les dommages causés par cette décision aux intérêts légitimes de l'entreprise et de ses investisseurs.
    De plaider en faveur de l'absence de compensation dans de telles situations n'est pas, selon moi, un plaidoyer en faveur de la souveraineté des gouvernements du Canada. Il s'agit plutôt d'un plaidoyer en faveur de l'idée dépourvue de principes selon laquelle les gouvernements devraient avoir le loisir d'ignorer les droits des parties lésées par les mesures du gouvernement, ignorer les droits des individus impuissants devant les caprices du gouvernement, comme si la règle de droit était une nuisance à laquelle il faudrait se souscrire chaque fois que cela indispose les décideurs.
    Deuxième point: le versement d'une indemnisation à la suite d'une expropriation est une question de justice et d'équité et un principe fondamental du droit canadien, pas seulement de l'ALENA. La nécessité d'une telle indemnisation est profondément ancrée dans le droit canadien et la pratique, et n'a rien à voir avec la question constitutionnelle qu'a soulevée M. Van Harten, à savoir que, du point de vue constitutionnel, il n'y a aucune limite à ce qui peut arriver. Cela ne signifie pas que les gouvernements ne devraient pas verser de compensation... Au contraire, le pouvoir qu'ont les gouvernements canadiens de saisir ma maison ou votre ferme pour des questions de grand intérêt national est incontesté. Personne ne remet ce pouvoir en question.
    Ce que personne ne remet en question non plus, c'est le fait que les individus ne devraient pas être forcés d'assumer les frais entourant une importante politique publique; le coût de cette politique devrait être assumé par les gouvernements et les contribuables qu'il représente. C'est une bonne politique, si l'on tient compte du fait que le Canada a profité énormément de l'apport d'investissements étrangers dans le passé, puisque ce type d'investissement permet non seulement la création d'emplois, mais également l'amélioration de l'expertise et de la productivité.
    Mais ce type d'investissement implique un important capital de départ, souvent de l'ordre de milliards de dollars devant être investis au cours de la première année, par exemple, pour construire une usine de traitement des sables pétrolifères, alors que les retombées peuvent prendre des années, sinon des décennies, avant d'arriver. Cette longue période de récupération après un gros investissement initial expose les investisseurs à toutes sortes de risques.
    L'un des principaux risques est que les gouvernements modifient la loi ou rompent les promesses qu'ils ont faites pour attirer les investisseurs. Il s'agit d'un risque politique qui, heureusement, est relativement faible au Canada, justement compte tenu de notre longue tradition en ce qui concerne la règle de droit, l'indépendance de nos tribunaux, et notre engagement profond envers l'équité. C'est aussi ce qui fait de notre pays un endroit très prisé auprès des investisseurs étrangers, mais des gestes comme ceux posés par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador mettent en péril la réputation que nous avons mis beaucoup d'efforts à nous forger.
    Je crois qu'il est important de souligner que les dispositions entourant la protection des investisseurs ne se veulent pas un obstacle à la démocratie, parce qu'il n'est pas question ici de la démocratie au sens où c'est la majorité qui prend les décisions. Nous, Canadiens, pensons à une autre forme de démocratie, celle où même les décisions de la majorité sont liées par les règles et les lois.
    Nous croyons, en d'autres mots, que même la majorité peut se tromper, et qu'elle ne devrait pas avoir tous les droits, notamment celui d'oppresser les minorités. Cela signifie que le constitutionnalisme et la règle de droit font partie intégrante de la démocratie au Canada, et que les dispositions visant la protection des investisseurs, de même que les règles visant à éviter que la propriété d'autrui ne soit confisquée sans indemnisation, sont fermement ancrées dans la tradition démocratique canadienne.
(1020)
    Troisièmement, en tant que pays qui investit énormément à l'étranger, nous bénéficions grandement de ces mesures de protection des investisseurs d'ailleurs, et le fait de ne pas assurer cette protection ici nuirait à notre crédibilité et aux investisseurs canadiens. J'aimerais m'arrêter un peu sur le sujet.
    Les saisies sans compensation ne constituent pas une grande source de préoccupation ou un véritable problème au Canada, parce qu'elles sont très rares, heureusement. Le problème plus large est que le Canada, en plus d'accueillir de nombreux investissements étrangers, investit beaucoup dans d'autres pays. En fait, depuis la fin des années 1990, le Canada a généralement été un exportateur net de capitaux. Mon mémoire contient des données qui montrent la validité de cet énoncé.
    Cela signifie que bien des entreprises canadiennes ont investi des millions de dollars dans des pays lointains comme le Pérou, l'Équateur, la Mongolie, le Vietnam et la Jordanie, dans des industries aussi variées que les télécommunications, les mines et les transports. Les bénéfices de ces entreprises contribuent à financer des emplois et des activités économiques au Canada, génèrent des recettes fiscales ici, et se répercutent sur les pensions et d'autres économies de retraite. Ces investissements sont bénéfiques pour le Canada et aussi pour le pays hôte, pour des raisons similaires.
    Mais bien des pays où la primauté du droit et le principe du traitement équitable par des tribunaux indépendants ne sont pas bien ancrés comme au Canada se sont souvent permis le genre de saisie de biens étrangers, sans compensation, dont il est question ici, parce que les investisseurs étrangers ne pouvaient pas être certains que leurs investissements seraient en sécurité. Pour beaucoup de ces pays, le niveau d'investissement requis pour sortir de la pauvreté n'était pas atteint, et le risque politique était simplement trop élevé. Grâce aux efforts déployés par le Canada et d'autres pays occidentaux pendant des décennies, nous avons progressivement amené ces pays à comprendre l'importance d'offrir un climat stable et sécuritaire pour les investissements étrangers, surtout par des traités bilatéraux, mais aussi des négociations multilatérales. Ainsi, le mouvement de capitaux vers ces pays s'est accru de façon notable et leurs taux de croissance et d'emploi ont connu une augmentation mesurable. J'ai inclus un tableau qui illustre ce phénomène.
    Toutefois, pour aider ces pays à comprendre l'utilité de négocier une telle protection des investisseurs, les États occidentaux partenaires comme le Canada doivent être crédibles lorsqu'ils disent se conformer eux-mêmes aux normes qu'ils demandent aux pays du tiers monde d'utiliser, et éviter le « deux poids deux mesures ».
    Même si en bout de ligne les conséquences de la décision de Terre-Neuve concernant la saisie des biens d'AbitibiBowater avaient été positives, je crois que le tort causé quant à notre crédibilité et à la sécurité des investissements canadiens à l'étranger l'aurait grandement emporté sur les avantages. Je pense avoir été clair: je crois que les conséquences de la décision de Terre-Neuve ont été négatives, et non positives.
    J'aimerais souligner en dernier lieu que ce dossier fait ressortir un manque de cohérence regrettable dans le cadre constitutionnel du Canada, en ce sens que le Canada a le pouvoir de conclure des traités et a donc la responsabilité de s'assurer que nous respectons les obligations connexes, alors que les provinces ne sont pas liées par les dispositions de l'ALENA. On peut et on doit établir un mécanisme qui obligerait les provinces à assumer leurs décisions et qui les empêcherait de refiler le coût de ces décisions aux contribuables canadiens.
    Un des points qui doivent être mystérieux pour bien des observateurs est la raison pour laquelle Ottawa et les contribuables canadiens doivent assumer les coûts d'une décision rendue à l'encontre du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador dans un dossier de compétence provinciale. Je n'apprends pas grand-chose à ce comité si je dis que cette anomalie existe parce que seul le gouvernement du Canada dispose du pouvoir de conclure des traités avec d'autres États.
    Ottawa, en tant qu'unique signataire canadien de l'ALENA, est le défendeur dans les contestations en vertu de l'ALENA, comme celles qui reposent sur le chapitre 11, et doit donc s'assurer que nous respectons nos obligations aux termes de l'accord. Il reste que les provinces ont le pouvoir de prendre des mesures contraires aux dispositions de l'ALENA. Il n'existe actuellement aucun mécanisme qui les tienne responsables de ces mesures si celles-ci obligent le Canada à payer une compensation à des partenaires de l'ALENA. Cette asymétrie existe malgré le fait qu'une grande majorité des provinces se sont prononcées en faveur de l'accord de libre-échange original, et plus tard de l'ALENA, et ont même demandé récemment l'extension des avantages de l'ALENA aux marchés des administrations fédérale, provinciales et locales vu les dispositions Buy American de divers programmes de relance créés lors de la récession.
(1025)
    Si la décision AbitibiBowater révèle un déficit démocratique quelconque, c'est bien dans le fait que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ait pu forcer le gouvernement fédéral et les contribuables fédéraux à payer les pots qu'il avait lui-même cassés. Or, ce sont ceux qui élisent les gouvernements qui doivent assumer les coûts réels de ces décisions, dont ils doivent en peser soigneusement le pour et le contre: c'est là un des principes fondamentaux de la démocratie. Le système actuel récompense les comportements répréhensibles et oblige les contribuables fédéraux à payer la facture, alors qu'ils n'ont pas leur mot à dire dans l'élection des gouvernements des provinces autres que la leur. C'est un incitatif pervers tout à fait classique.
    J'invite donc votre comité à recommander la création d'un mécanisme officiel, au moyen d'une loi fédérale s'il y a lieu, pour éviter tout risque d'exploitation du système par les provinces. Certes, l'idéal serait de procéder par la voie de la négociation, mais il me semble que le principe en jeu est suffisamment grave pour qu'Ottawa envisage de s'attribuer le pouvoir juridique de déduire des transferts fédéraux un montant correspondant aux frais juridiques qu'il a encourus afin d'assurer la défense de ce genre de décision provinciale ainsi qu'à l'indemnisation qui pourrait être octroyée. Je sais que la question est fort complexe, mais je suis sûr qu'il y a moyen de trouver une solution raisonnable.
    J'observe enfin que, précisément parce que les provinces ne sont pas assujetties aux obligations contractées par le gouvernement fédéral dans le cadre de l'ALENA, l'Union européenne a insisté pour que les provinces soient représentées à la table de négociation de l'Accord de libre-échange Canada-UE. Or, si les provinces veulent participer à la négociation de ce genre d'accord, il faut qu'elles acceptent dès le départ d'être assujetties aux obligations qui en résulteront. Faute de quoi, cela reviendrait à leur donner des pouvoirs non assortis de responsabilités, ce qui, comme on en a déjà fait l'expérience, est une alchimie nuisible aux institutions démocratiques.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Crowley, de cet exposé passionnant. Je regrette que nous n'ayons pas plus de temps. Il ne nous reste qu'une vingtaine de minutes.
    Je vais devoir imposer une limite de cinq minutes pour la première série de questions. Comme nous ne pourrons pas en avoir une deuxième, je demande aux députés et aux témoins de respecter la consigne des cinq minutes, pour que tout le monde ait la chance de parler.
    Nous allons commencer par Mme Hall Findlay, qui sera suivie de M. Guimond.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos trois témoins.
    Monsieur Crowley, j'aimerais faire un bref commentaire. À propos de ce que vous avez dit à la fin de votre intervention, j'aimerais préciser que nous avons déjà discuté de la frustration engendrée par l'absence totale de discussions entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, avant qu'il soit décidé d'en faire payer la facture aux contribuables canadiens. J'espère que nous saurons tirer des enseignements de toute cette expérience.
    Je suis parfaitement consciente du bien-fondé du chapitre 11, de sa raison d'être et des responsabilités internationales qui en découlent, et dans une perspective positive… Ce que vous avez dit, à la fin de votre exposé, est certainement quelque chose qui devrait inciter le gouvernement fédéral à agir, sinon de façon officielle, du moins au niveau de la négociation, de l'interaction, de la collaboration avec les provinces.
    Des voix : Bravo, bravo!
    Mme Martha Hall Findlay: Je voudrais toutefois poser une question au professeur Van Harten.
    À titre de diplômée d'Osgoode, je suis particulièrement heureuse de vous accueillir parmi nous. La question que je voudrais vous poser porte un peu sur ce qu'a dit M. Shrybman.
    Nous n'avons que très peu de temps à notre disposition, mais ce qui m'intéresse, c'est la liste que vous allez faire parvenir au greffier. Don Stephenson a dit que c'était la première fois qu'un tel règlement avait été négocié dans le cadre du chapitre 11, à la suite d'une expropriation. Vous, vous dites qu'il y en a eu d'autres, et c'est pour cela que j'ai hâte de voir votre liste.
    Pourriez-vous nous dire, compte tenu des remarques de M. Shrybman, quelles ramifications cela pourra avoir, en droit international, sur d'autres ressources nationales comme l'eau et les forêts?
(1030)
    Il y a un cas bien connu, celui de la société Ethyl, qui s'est produit peu après la signature de l'ALENA. Les États-Unis n'ont jamais réglé l'affaire.
    À propos de ce qu'a dit M. Shrybman au sujet du droit international, l'ALENA donne de la notion d'actifs une définition extrêmement générale, et je suis convaincu que les actifs dont il est question ici seraient considérés comme des investissements, selon la définition qu'en donne le chapitre 11 de l'ALENA. En droit international coutumier, ces actifs seraient peut-être considérés comme des biens, mais le montant de l'indemnisation à payer ferait l'objet de beaucoup de discussions. L'ALENA se fonde sur la norme Hall en droit international coutumier, tout comme l'approche américaine, alors que la plupart des autres pays ont privilégié d'autres normes, comme celle de l'indemnisation juste ou appropriée, dans les résolutions de l'assemblée générale au cours des années 1960 et 1970.
    Pour ce qui est de la loi canadienne, je préfère laisser M. Shrybman vous dire ce qu'il en pense. Je peux toutefois vous dire que l'ALENA couvre les expropriations indirectes, alors que, dans ces cas-là, la loi canadienne ne prévoit d'indemnisation qu'en cas de propriété directe des biens. Ce n'est pas ce que prévoit le chapitre 11 de l'ALENA. Tout cela est bien sûr aussi sujet à la souveraineté législative du pays, mais cette souveraineté législative, comme je l'ai indiqué, a en fait été subordonnée aux décisions des arbitres, par le chapitre 11 de l'ALENA.
    Étant donné que nous n'avons que peu de temps, monsieur le président, je vais laisser mes collègues poser leurs questions.
    Monsieur Guimond.

[Français]

    Monsieur le président, je suis un peu déçu que nous n'ayons pas reçu de document, que ce soit de la part des fonctionnaires ou des gens qui comparaissent aujourd'hui. Nous n'avons reçu aucune note. Je ne sais pas si c'est parce qu'on est allé à Washington la semaine dernière et qu'on a par le fait même manqué de temps. M. Laforest et moi avons fait cette observation. Nous aurions apprécié que les témoins nous soumettent des notes.
    Il y a deux ans que je siège à ce comité. Nous avons souvent parlé de l'article 11. Force est de constater que c'est un sujet délicat. On parle de dérive et de flou juridique. On entend toutes sortes de choses. Je suis assez sensible aux arguments de M.  Shrybman quand il parle de tout ce que le futur nous réserve en matière de ressources naturelles. Dimanche dernier à l'heure du midi, j'ai écouté une émission à Radio-Canada dans laquelle on traitait de l'éventuelle pénurie de pétrole, d'eau et de produits alimentaires. Si on ne fait pas attention et qu'on ne prend pas tout de suite les mesures qui s'imposent, on risque de faire face à de graves conséquences.
    Monsieur Van Harten, dans votre présentation, vous avez parlé d'arbitrage et de juges qui subissent une influence, mais surtout du fait que le Canada n'a pas connu beaucoup de succès à ce jour. Ça m'a fait sursauter. En admettant que ce soit vrai, il est certain que des cas de jurisprudence ont été présentés. J'aimerais savoir sur quoi repose ce que vous avancez et, compte tenu de la jurisprudence déjà existante, comment on va arriver à sauver les meubles.

[Traduction]

    Ce qu'il faut savoir, c'est que ce sont les tribunaux qui interprètent les normes très générales des traités. Ils donnent une interprétation de concepts très importants comme celui de la propriété indirecte ou de l'expropriation réglementaire. Ils donnent une interprétation de ce qui est discriminatoire. Ils donnent une interprétation de ce qui est un traitement juste et équitable.
    Si on compare les interprétations juridiques données par différents tribunaux, même s'il est normal qu'il y ait des différences d'une affaire à l'autre, la loi générale devrait plus ou moins être la même dans tous les cas, quel que soit l'État qui est poursuivi, quelle que soit la nationalité du plaignant, etc.
    J'enseigne le droit international de l'investissement à l'université, et j'ai constaté très nettement que, lorsque des poursuites sont intentées par des investisseurs canadiens contre les États-Unis, les tribunaux donnent des interprétations de l'ALENA qui sont à tous égards plus favorables à l'État, et que lorsque des poursuites sont intentées contre le Mexique ou les États-Unis, les interprétations sont souvent plus favorables aux investisseurs. Il me suffit de citer comme exemple la décision ADF sur le traitement national.
    Je vais vous donner un autre exemple. Les poursuites intentées par Glamis Gold contre les États-Unis portaient sur le traitement juste et équitable. La société alléguait — comme AbitibiBowater l'a fait contre le Canada — que le gouvernement n'avait pas répondu à des attentes légitimes en ne maintenant pas un climat d'affaires stable. L'argument du traitement juste et équitable, qui fait partie de l'article 1105, a été rejeté par le tribunal dans l'affaire Glamis contre les États-Unis, mais il a été retenu dans l'affaire toute récente qui a opposé Chemtura au gouvernement canadien.
    C'est finalement le Canada qui est sorti gagnant de l'affaire Chemtura, mais ce qui est intéressant, c'est de voir comment la loi a été interprétée, car jusqu'à présent — même s'il n'y a pas eu beaucoup de cas de ce genre —, il est manifeste que les États-Unis ont bénéficié de plus d'interprétations favorables à l'État que ça n'a été le cas pour le Mexique et le Canada.
(1035)
    J'aimerais ajouter quelque chose, en termes plus simples. Ce que M. Van Harten veut dire, c'est que les tribunaux ne sont pas indépendants, contrairement aux tribunaux canadiens, et que, comme les arbitres dépendent du nombre d'affaires qui leur sont confiées, il n'y en a pas un qui va se prononcer contre les États-Unis. Ils savent bien que le Congrès des États-Unis ne tolérera pas qu'un tribunal international privé décide qu'une action prise par le gouvernement américain justifie l'indemnisation d'un investisseur étranger. C'est aussi simple que ça.
    Ces arbitres savent également que les gouvernements canadiens tolèrent précisément ce genre d'abus, et c'est ce qui explique pourquoi les résultats sont aussi différents lorsque les poursuites sont intentées par des Canadiens contre les États-Unis et lorsque les poursuites sont intentées par des Américains contre le Canada. En termes simples, c'est ça la situation.
    Merci.
    Monsieur Julian.
    Merci.
    J'aurais beaucoup de choses à vous demander à tous les trois, mais je n'ai que cinq minutes, alors je vais aller droit au but.
    Monsieur Shrybman, vous avez été très clair en ce qui concerne le précédent dangereux que la somme consentie l'été dernier à AbitibiBowater constitue pour les droits d'utilisation de l'eau que détient cette entreprise ou que toute autre entreprise pourra détenir à l'avenir. Pensez-vous que le gouvernement fédéral en ait fait une évaluation appropriée avant de prendre cette décision?
    Nous nous rendons déjà compte — et ce n'est que notre première réunion sur le sujet — que la somme en jeu ne se limite pas à 130 millions de dollars, et qu'il y a aussi 30 millions de dollars d'indemnités de départ, de coûts de remise en l'état du site... bref, il s'agit de quelques centaines de millions de dollars. Autrement dit, nous sommes en train de faire un cadeau de près de un demi-milliard de dollars à AbitibiBowater. Manifestement, le gouvernement n'a pas calculé toutes les conséquences de cette décision sur le plan financier, mais pensez-vous qu'il l'ait fait sur le plan juridique?
    Monsieur Van Harten, je vous remercie de votre déclaration. Étant donné que les arbitres chargés d'interpréter les dispositions du chapitre 11 reçoivent de l'argent des entreprises qui dépendent de leurs décisions, et vous avez soulevé la question de l'indépendance de la justice, ne pensez-vous pas que toute cette affaire n'est finalement qu'un simulacre de justice, faute d'une expression plus appropriée?
    Il est aujourd'hui démontré qu'AbitibiBowater est une entreprise canadienne qui a son siège à Montréal, et qu'elle utilise une disposition d'exemption pour se prévaloir du chapitre 11. Nous savons que d'autres entreprises comme Pacific Rim utilisent les dispositions sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans le but de changer leur nationalité.
    La décision concernant AbitibiBowater encourage-t-elle une entreprise qui veut intenter des poursuites n'importe où sur la planète à invoquer les dispositions du chapitre 11 pour poursuivre le gouvernement canadien au sujet d'une décision qu'il a prise dans l'intérêt public?
    Commençons par M. Shrybman.
    Il y a deux explications possibles au fait que le gouvernement canadien ait décidé de régler le différend plutôt que de se défendre. Première explication, AbitibiBowater était dans une situation de détresse, le gouvernement voulait l'aider financièrement, et c'était une façon commode de le faire sans créer un précédent qui encouragerait n'importe quelle entreprise au bord de la faillite à lui demander la même chose. Voilà pour la première explication.
    Deuxième explication, le gouvernement fédéral du Canada ne croit pas beaucoup à la propriété publique des ressources naturelles canadiennes. Il préférerait que toutes ces ressources soit privatisées, l'eau comme les forêts. Comme il ne peut manifestement pas l'afficher ouvertement dans son programme politique, c'était pour lui une façon détournée d'atteindre cet objectif.
    Mais ce qui est important, ce ne sont pas les motifs du gouvernement, mais plutôt les conséquences de ses décisions. En vertu de l'ALENA, les gouvernements canadiens, qu'ils soient provinciaux ou fédéral, ont l'obligation d'accorder le traitement national, ce qui correspond au traitement le plus favorable qui puisse être accordé à un investisseur étranger dans des circonstances similaires.
    Au Canada, il y a des dizaines de milliers d'entreprises qui ont des permis pour utiliser l'eau ou les forêts des terres domaniales. N'importe laquelle d'entre elles pourrait se trouver un investisseur étranger aux États-Unis et prétendre, par l'intermédiaire de celui-ci, que personne d'autre ne peut utiliser l'eau que son permis l'autorise à exploiter pour arroser son terrain de golf, pour irriguer ses cultures, ou même pour embouteiller du Coca-Cola pour le marché américain, à moins de lui payer des droits. Or, jusqu'à la décision du gouvernement canadien, ces ressources ont toujours fait partie du domaine public, et ont toujours été détenues en fiducie par les gouvernements canadiens, dans l'intérêt des Canadiens des générations actuelles et futures.
    C'est ça la conséquence de cette décision, et c'est ça qui est important. Peu importe la raison, que ce soit un plan diabolique pour privatiser les ressources naturelles ou simplement un expédient politique pour aider financièrement une entreprise au bord de la faillite. Le gouvernement a décidé de ne pas se défendre, et les conséquences en sont claires pour n'importe quel juriste spécialisé dans ce domaine.
(1040)
    Merci.
    Monsieur Van Harten, qu'avez-vous à dire au sujet de ce simulacre de justice, et au fait qu'AbitibiBowater puisse invoquer le chapitre 11?
    En réponse à votre deuxième question, je dirai que la recherche du forum le plus favorable, d'une part, et les opérations circulaires, d'autre part, sont des pratiques bien établies. La première consiste à créer une société de portefeuille dans un pays tiers, afin de pouvoir invoquer le traité sur l'investissement de cet État pour poursuivre l'État dans lequel on détient des actifs. C'est une pratique courante dans les arbitrages d'investissement. Le Canada l'autorise, mais ce n'est pas le cas de tous les pays.
    Les opérations circulaires sont plus controversées. Cette pratique permet à des investisseurs nationaux de créer une société de portefeuille à l'étranger afin de pouvoir intenter des poursuites contre leur propre pays. Le cas le plus célèbre est l'affaire Tokios Tokelès contre l'Ukraine, dans lequel une société de portefeuille établie en Lituanie, qui appartenait à 99 p. 100 à des Ukrainiens, a été autorisée par les arbitres à invoquer un traité signé entre l'Ukraine et la Lituanie, au motif que — et je cite — « l'origine des capitaux n'est pas pertinente » à la définition d'investissement.
    Cette décision a été prise par deux des arbitres à qui l'affaire avait été confiée. Le plus surprenant, c'est que l'arbitre-président a exprimé son opposition à cette décision au motif qu'elle allait à l'encontre de l'objectif de la convention du CIRDI, qui est de promouvoir l'investissement étranger. L'arbitre-président s'est désisté.
    Merci.
    Soyez bref, il ne reste qu'une minute.
    Simplement…
    Je suis désolé, mais j'aimerais bien que M. Van Harten parle du simulacre de justice.
    Je suis désolé, monsieur Crowley.
    Monsieur Julian, il faut lui donner le temps de répondre.
    Monsieur Crowley, voulez-vous poursuivre?
    Je serai très bref, monsieur le président. J'ai entendu tout ce qui a été dit au sujet des lacunes de la procédure d'arbitrage. Je comprends et partage bon nombre des réserves qui ont été exprimées.
    Mais en réalité, il n'y a que deux solutions quand on n'est pas satisfait de l'arbitrage. La première consiste à s'en remettre à une sorte de bras de fer entre le Canada et des États-Unis, sans la moindre règle, ce qui était à peu près ce qui se passait avant la signature de l'accord de libre-échange, et croyez-moi, c'était bien pire que le statu quo actuel. La deuxième consiste à améliorer la procédure d'arbitrage ou, mieux, à créer de nouvelles institutions judiciaires qui régiraient les textes juridiques qui lient les trois pays d'Amérique du Nord. Je pense que ce serait la meilleure solution.
    Ce n'est pas parce qu'on n'est pas satisfait de la procédure d'arbitrage qu'il faut se débarrasser des règles qui régissent les relations entre nos trois pays.
    Merci.
    Je vais donner la parole à M. Cannan.
    Merci, monsieur le président.
    Je n'ai qu'une petite question à poser, puis je céderai la parole à M. Trost.
    J'aimerais revenir sur un commentaire qui a été fait au sujet de l'eau. Notre gouvernement a toujours dit, notamment au sein de ce comité, que l'eau à l'état naturel n'est pas une marchandise. Ce n'est ni une marchandise ni un produit et, par conséquent, elle n'est nullement assujettie aux accords commerciaux. Nous avons plusieurs fois entendu des membres du Conseil des Canadiens soulever cette question.
    Je tiens à ce que les choses soient claires. C'est un dossier qui me préoccupe, en tant que Canadien. L'extraction en vrac d'eaux limitrophes, pour quelque raison que ce soit, y compris l'exportation, est formellement interdite, et les provinces ont pris des mesures pour protéger les eaux qui relèvent de leur juridiction. Je tenais à ce que cela soit bien clair.
    J'aimerais maintenant poser une question à M. Crowley au sujet du chapitre 11.
    Voulez-vous dire que le chapitre 11 doit être conservé dans sa forme actuelle, et que c'est un instrument efficace, vu l'objectif qui lui a été assigné?
(1045)
    Merci.
    Il est à mon avis indispensable d'avoir un système fondé sur des règles quand on fait du commerce avec les États-Unis, et c'est ce que nous avons avec l'accord de libre-échange. Une fois que vous avez des règles pour régir les relations entre le Canada et les États-Unis, il faut bien des gens compétents pour interpréter ces règles. C'est indispensable.
    Le système d'arbitrage que nous avons actuellement est-il efficace? Il est en tout cas bien meilleur, comme je le disais tout à l'heure, que l'autre solution, où c'est la loi de la jungle qui s'applique et la partie la plus puissante qui gagne à tous les coups. Je reconnais pour autant que des remarques très pertinentes ont été faites au sujet du système d'arbitrage.
    Dans le cadre des négociations qui ont récemment été annoncées par le premier ministre Harper et le président Obama, dans la logique des institutions que nous avons déjà mises en place pour la gestion de la frontière, entre autres, je pense que nous devrions essayer d'améliorer le processus d'arbitrage afin que nous ayons davantage confiance dans l'indépendance des arbitres. On a peut-être exagéré tout à l'heure leur manque d'indépendance, mais il n'en reste pas moins qu'il y a toujours place à l'amélioration.
    Merci.
    Je suis d'accord pour dire qu'il faut avoir des règles équitables, et qu'il faut aussi qu'on sache à quoi s'attendre.
    Allez-y, monsieur Trost.
    J'aimerais poser une question à M. Crowley.
    D'autres témoins nous ont dit que les groupes spéciaux d'arbitrage tranchaient généralement en faveur du gouvernement américain, quand celui-ci était poursuivi par des investisseurs, mais qu'ils tranchaient généralement en faveur des investisseurs, quand c'était le Mexique ou le Canada qui étaient poursuivis. Je me demande si les investisseurs voient les choses de la même façon.
    Si c'est le cas, lequel de ces trois pays représente alors le plus grand avantage économique aux yeux des investisseurs? Serait-ce le Canada et le Mexique, qui sont plus favorables aux investisseurs, ou serait-ce plutôt les États-Unis? Dans la perspective des investisseurs, quel pays représente le plus grand avantage économique?
    Je ne comprends pas très bien toute cette discussion. Il est évident, à mes yeux tout au moins, que l'ALENA vise à protéger les investisseurs contre des mesures comme celle qu'a prise le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.
    On a fait remarquer ici que certains tribunaux ne le font pas. Que faut-il en conclure?
    Il faut en conclure, à mon avis, que nous devons redoubler d'efforts pour mieux faire respecter les dispositions de l'accord. Si certains déplorent que l'accord est correctement appliqué au Canada mais pas aux États-Unis, alors employons-nous à négocier et à mettre en place de meilleures institutions au Canada et aux États-Unis, afin que l'accord soit correctement appliqué aux États-Unis.
    Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il faudrait changer les règles au Canada simplement parce qu'elles ne sont pas correctement appliquées aux États-Unis. J'avoue que ça m'échappe.
    Monsieur Crowley, ce n'est pas moi qui le dis.
    J'avais bien compris.
    Je me demandais simplement si ça pouvait représenter un avantage pour le Canada.
    J'ai expliqué, dans ma déclaration liminaire, qu'il était important de donner ce genre de protection aux investisseurs étant donné l'ampleur des investissements qu'ils doivent faire au départ, avant d'engranger des profits bien des années plus tard. Il faut créer un climat d'affaires stable pour attirer les investisseurs.
    Le Canada est la destination d'un grand nombre d'investissements étrangers. Tout ce qui contribue à leur garantir qu'ils seront traités de façon juste et équitable s'ils investissent au Canada est, à mon avis, une bonne chose.
(1050)
    Merci, messieurs Crowley, Van Harten et Shrybdman. J'aurais bien aimé que la réunion dure une heure de plus. Je pense que ça aurait été utile pour tout le monde. Quoi qu'il en soit, c'est le créneau horaire qui nous est attribué.
    Nous avons une question d'administration interne à régler. Je vais inviter les témoins à quitter la salle et demander aux membres du comité de rester encore 30 secondes pour examiner le budget de fonctionnement de la réunion que nous venons d'avoir. Il s'agit de rembourser les dépenses éventuelles des témoins. Je ne pense pas que nous atteindrons ce chiffre, loin de là.
    Une voix: J'en fais la proposition.
    Sur la proposition de M. Silva, et avec l'appui de M. Trost, je mets aux voix le budget de fonctionnement du Comité permanent du commerce international, pour son étude du règlement AbitibiBowater.
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Merci.
    Nous nous reverrons mardi, dans la même salle 306, je crois, mais nous vous remettrons un avis de convocation demain.
    La séance est levée.
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