La deuxième diapositive précise en gros les trois grandes nouveautés sur le plan de notre attitude en matière de conformité des centres offshore. Premièrement, la révolution est très présente, quant à la tolérance zéro devant le non-respect de la norme, et les politiciens savent maintenant très bien que les jours des paradis fiscaux sont comptés. Deuxièmement, la coopération internationale entre les administrations fiscales cède le pas à la coordination internationale, et je vais y revenir un peu plus tard. Troisièmement, le secteur financier a soumis nos systèmes fiscaux à des pressions à cause de la crise bancaire, bien sûr, mais aussi à cause de la façon dont les banques recourent à des stratagèmes de planification fiscale.
Ce sont les enjeux à l'étude.
Sur la troisième diapositive, qui pose la question de savoir pourquoi ce regain d'intérêt survient maintenant, vous verrez certains des facteurs. Ils peuvent relever de trois catégories.
Citons, premièrement, le processus de mondialisation. Autrement dit, la mondialisation est devenue réalité et nous devons apprendre à nous y adapter. Elle comporte bien des avantages pour nos citoyens et pour nos sociétés.
Viennent ensuite les scandales récents. Je vois que vous avez discuté du scandale de UBS aux États-Unis et du scandale au Liechtenstein; c'est un très petit État, mais le scandale a été lourd de conséquences pour 41 autres pays.
De toute évidence, le troisième facteur est la crise financière: les gouvernements ont maintenant besoin de plus d'argent et doivent montrer à leurs citoyens que le fardeau fiscal est réparti équitablement.
Conjugués, ces facteurs des trois dernières années nous amènent à constater que la fin de l'ère du secret bancaire approche et que les fraudeurs de l'impôt ne seront plus protégés. Le secret bancaire est présent à divers degrés dans tous les pays, mais aujourd'hui, très peu de pays y recourent pour protéger les fraudeurs de l'impôt. Je crois que c'est un progrès majeur. C'est manifestement le G20, de concert avec l'OCDE, qui a été le fer de lance de cette mesure particulière. Bien honnêtement, je ne crois pas que les progrès constatés depuis 2009 se seraient matérialisés sans l'appui du G20.
Le graphique de la cinquième diapositive donne le nombre d'accords d'échange de renseignements à des fins fiscales et de conventions fiscales répondant à la norme de l'OCDE qui ont été conclus entre les divers sommets du G20. Il en existe maintenant près de 600. Je travaille dans ce domaine depuis 30 ans et je sais qu'il faut beaucoup de temps pour conclure un accord. Je trouve remarquable que 600 accords aient été signés depuis janvier 2009.
La norme — diapositive 6 — est très simple. En gros, nous devons coopérer pour faire obstacle au non-respect. En réalité, la norme que nous appliquons dans nos discussions avec les paradis fiscaux correspond à ce que nous appelons la norme d'échange de renseignements sur demande. Autrement dit, si le Canada demande à la Barbade ou aux États-Unis des renseignements vraisemblablement pertinents à des fins fiscales au Canada, la Barbade ou les États-Unis doivent répondre. Bien entendu, il faut que le pays auquel la demande a été faite possède de l'information fiable et que l'administration fiscale ait le pouvoir de les obtenir facilement.
Il est aussi important que les accords comportent des mesures de protection de la confidentialité des renseignements sur les contribuables. Nous avons toujours insisté sur cet élément comme étant essentiel à la signature des accords.
La norme est universellement acceptée par les Nations Unies, le G20 et tous les pays du monde, et nous en sommes particulièrement heureux.
Passons maintenant à la diapositive 7.
Les accords, c'est bien beau, mais ce que nous voulons, ce sont des changements bien réels. C'est pourquoi nous avons créé le forum mondial sur la transparence. Il réunit maintenant 96 pays. Ce forum a permis d'établir un mécanisme d'examen par les pairs qui garantit que les accords se traduisent par des gestes concrets. C'est un mécanisme plutôt rigoureux. Nous avons déjà réalisé 18 examens. Des 18 pays examinés, 6 ont échoué, dont la Barbade et le Panama, pour ne nommer que ceux-là.
Ce sont les aspects bilatéraux de ce que nous faisons, mais nous reconnaissons aussi qu'en cette ère où les contribuables ont des revenus mondiaux et où les entreprises sont multinationales, il faut une dimension multilatérale, plutôt que bilatérale, et nous travaillons à une convention multilatérale d'assistance administrative en matière fiscale. On voit sur la diapositive 8 les étapes que nous avons franchies. D'après moi, ce qui importe, c'est qu'il s'agisse de l'idéal. C'est le rêve de tout avocat-fiscaliste ou administrateur fiscal: une convention multilatérale, et non bilatérale, qui prévoit une assistance à la cotisation établie pour l'impôt et à la perception de l'impôt, de tout impôt, quel qu'il soit: TVA, TPS, impôt sur le revenu ou impôt sur les bénéfices.
En ce moment, 21 pays, dont le Canada, ont signé cette convention. Les pays qui ne sont pas membres de l'OCDE y auront accès dans quelques semaines seulement et nous attendons avec impatience de voir tous les pays du G-20 et, peut-être, certains pays en développement, signer la convention. C'est un outil très efficace.
Je vous donne un exemple de sa pertinence pour le Canada. Si, par exemple, l'Agence du revenu du Canada veut vérifier une multinationale qui est présente au Japon, en France et aux États-Unis, cette convention comporte le cadre légal qui lui permet d'exécuter des vérifications mixtes. C'est donc un outil très efficace.
Passons à la diapositive 9.
J'ai surtout parlé des paradis fiscaux, mais l'OCDE ne s'est pas arrêtée à cela pour améliorer l'observation fiscale. Voici, sur cette diapositive, certaines des activités en question, réalisées principalement par notre Forum sur l'administration fiscale. Votre commissaire contribue beaucoup à ce forum. Quand les 43 commissaires se réunissent, ils essaient de modifier le contexte de fonctionnement des régimes fiscaux. Ils influencent le contexte.
Prenons deux des points signalés sur la diapositive, tout d'abord, les banques et le fait que les banques ont beaucoup d'occasions de s'adonner à une planification fiscale agressive. Il y a quelques mois seulement, nous avons publié un projet de code de conduite à l'intention des banques. Nous y décrivons la façon dont nous — les autorités fiscales — pensons qu'elles devraient se comporter sur le plan de l'observation fiscale. L'autre point que je mentionnerai, c'est le dernier de la diapositive, qui porte sur la gouvernance des entreprises. Nous croyons qu'il est temps de mettre l'observation fiscale au programme, en ce qui concerne la gouvernance des entreprises.
J'ai cinq commentaires à faire pour terminer.
L'OCDE ne dit pas aux pays quoi faire, mais permettez-moi de vous dire qu'elle fait des suggestions que le Canada devrait envisager. Premièrement, vous n'avez pas une demi-douzaine d'accords d'échange de renseignements. Pour un pays comme le Canada, dont l'économie est très ouverte, il en faut plus. Je crois que vous devriez travailler à élargir votre réseau sur ce plan. Vous devez aussi accélérer le processus de signature et de ratification des accords. S'ils ne sont pas ratifiés, aucune mesure concrète n'est possible. Je crois que vous devriez en faire une de vos priorités.
Deuxièmement, vous devez investir dans votre administration fiscale, de sorte qu'elle puisse profiter de ce contexte ouvert et transparent. Croyez-moi, un tel investissement donne un fort rendement. Puis-je vous donner des chiffres?
Le Royaume-Uni investit 4 millions de livres dans son service du revenu, et il s'attend à un rendement de 7 milliards de livres. Aux États-Unis, on estime qu'un resserrement se traduira par la perception d'au moins 100 milliards de dollars. L'Espagne vient d'améliorer sa démarche en matière de conformité internationale et a perçu cette année 10 milliards d'euros. Autrement dit, il y a de l'argent à percevoir.
Cependant, il n'est pas simplement question de revenus additionnels. C'est aussi une façon de montrer aux contribuables canadiens — les contribuables honnêtes — qu'il y a répartition équitable du fardeau fiscal.
La troisième chose à faire, à mon avis — et pas seulement au Canada, mais dans tous les pays membres de l'OCDE —, c'est de former de nouveau les vérificateurs. Il faut leur dire que, devant un cas faisant entrer en jeu la Suisse, le Luxembourg ou le Panama — si le Canada a conclu un accord avec ces pays —, les vérificateurs peuvent maintenant demander de l'information, alors qu'ils ne pouvaient le faire auparavant. Cela s'applique aussi à l'accord que vous avez conclu avec la Barbade.
Quatrièmement, il importe que le Canada, avec l'aide du forum de l'OCDE sur l'administration fiscale, fasse de l'observation fiscale le pivot d'une bonne gouvernance d'entreprise.
Enfin, je crois qu'il ne faut pas aborder la question en vase clos, mais qu'il faut comprendre que la lutte contre l'évasion fiscale doit se conjuguer à la lutte contre le blanchiment d'argent, la corruption et la subornation, car c'est l'absence de transparence, la faiblesse de la réglementation et une coopération défaillante qui favorisent la prolifération de ces activités.
Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Je suis Alain Deneault, chercheur en sociologie à l'Université du Québec à Montréal et auteur du livre Offshore: Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, publié en France à La Fabrique et au Québec chez Écosociété. Cet ouvrage sera prochainement publié aux États-Unis chez The New Press sous le titre de Offshore: Tax Havens and the Rule of Global Crime.
Je remercie le Comité permanent des finances de permettre à des penseurs en sciences sociales et inscrits dans le champ des humanités de se prononcer sur des problèmes liés au fisc. Comme on le sait, l'enjeu du fisc touche à des questions vitales du financement des services publics et à la capacité même de l'État de garantir le sérieux de ses institutions. On ne saurait donc limiter les compétences disciplinaires pour l'observer exclusivement sous l'angle du droit et des sciences comptables.
L'évasion fiscale et, plus largement, les fuites fiscales occasionnent des problèmes politiques et sociaux de grande envergure. Le ministère des Finances du Québec estimait en 2005 à plus de 5 p. 100 le produit intérieur brut des pertes potentielles dans le Trésor public liées à l'évasion fiscale. À ces données s'ajoutent les fonds non recensés de l'évitement fiscal et des pratiques fiscales agressives. Il s'agit, dans le cas de l'évitement fiscal, de tactiques légales comme le transfert de prix et, dans le cas de pratiques agressives, de stratégies d'évitement d'impôt à l'interstice de la légalité et de l'illégalité.
Contribuent également à cette hémorragie des phénomènes de dumping difficilement chiffrables, tels que les baisses d'impôt consenties par les régimes du Nord à des acteurs nantis, sous prétexte qu'on doit concurrencer directement les paradis fiscaux, ou encore la part du service de la dette que l'on doit affecter au remboursement d'emprunts auprès d'institutions financières que l'on n'impose pas suffisamment ou plus du tout.
La Suisse, par exemple, est un pays emblématique, s'il en est, des régimes de complaisance qui ont facilité, dans l'histoire, diverses manoeuvres d'évitement fiscal. Plusieurs auteurs nous l'ont montré. La Suisse a même marqué l'imaginaire commun en paraissant comme un symbole de combine suspecte ou de transfert d'argent occulte. Cependant, se préoccuper de la Confédération helvétique ou de certaines de ses institutions bancaires, comme on s'est proposé de le faire dans le passé, peut sembler encourageant s'il s'agit précisément d'un symbole qu'on déboulonne. Or, paradoxalement, et cela a été suggéré à l'instant, la question des paradis fiscaux ne saurait se réduire à la question de la Suisse.
Cependant, cela suscite certaines craintes. Notamment, José Gayoso, membre de l'Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens, en France, craignait qu'on profite du cas de la Suisse pour simplement condamner ce pays et mettre en valeur des paradis fiscaux concurrents. M. Gayoso reçoit une caution de taille par les propos du juge genevois à la retraite Bernard Bertossa, d'ordinaire très critique envers sa propre juridiction, qui déclare ceci dans son livre La justice, les affaires, la corruption: « C'est un fait indéniable que la City de Londres détient autant, si ce n'est plus, d'argent sale que les banques de Zurich, de Genève ou de Lugano. »
Il ne faudrait pas que la Suisse devienne l'arbre qui dissimule la forêt. Les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, entre autres pays du G20, conviennent de la critiquer tout en ménageant respectivement le Delaware, Macao, Londres et tout un ensemble de dépendances qui constituent, dans les Caraïbes ou ailleurs, les paradis fiscaux les plus controversés de la planète. Il ne semble pas toujours que le Canada fasse exception parmi les membres du G20. À l'intérieur même du Canada, Halifax remplit l'office de centre offshore en lien étroit avec les Bermudes et la City de Londres, des sociétés agissant dans le domaine de l'assurance et des fonds à risque, un secteur déterminant dans la crise économique de 2008, et bénéficie d'avantages fiscaux importants. Le Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse, dirigé par un conseil d'administration constitué d'acteurs du secteur privé, la Nova Scotia Business Inc., prévoit également des exonérations fiscales aux sociétés offshore qui embauchent des comptables sur place plutôt que dans leur législation.
À l'échelle internationale, le Canada se présente comme un allié des paradis fiscaux des Caraïbes pourtant déjà visés dans le passé à l'échelle internationale par l'OCDE, le GAFI ou le FMI, par exemple. Notre pays, le Canada, partage effectivement son siège au sein des instances de la Banque mondiale avec un collectif de paradis fiscaux des Caraïbes constitué des pays suivants: Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, La Barbade, le Belize, la Dominique, Grenade, la Guyana, la Jamaïque, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, de même que Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Un de ces pays est cité comme faisant l'objet d'une surveillance par l'Observatoire géopolitique des drogues pendant que maints criminologues internationaux considèrent plusieurs d'entre eux comme des plaques tournantes de la drogue en provenance de la Colombie.
Ce sont souvent des acteurs canadiens, ou des acteurs liés au Canada dans l'histoire, qui ont créé les quartiers d'affaires de ces paradis fiscaux des Caraïbes, quand ils n'ont pas eux-mêmes rédigé les mesures financièrement avantageuses pour les banques qui y inscrivent leurs filiales. Qui ne se souvient pas, par exemple, que dans les années 1960, sir Stafford Sands pouvait être en même temps responsable des finances aux Bahamas et membre du conseil d'administration de la Banque Royale du Canada?
Par ailleurs, le Canada continue d'entretenir des liens privilégiés avec La Barbade. L'accord qui le lie sur la non double imposition se révèle un corridor d'amnistie fiscale permanente pour des acteurs qui pratiquent des tactiques de fuite fiscale tel que le transfert de prix.
Le Canada élargit d'ailleurs continuellement les champs d'activité provenant de la clémence juridictionnelle de ce paradis fiscal, le domaine de l'assurance y ayant été ajouté en 2010. Par ailleurs, ne parlons pas des accords de libre-échange que le Canada signe avec le Panama et la Colombie.
Il n'est pas rare que les sociétés extraterritoriales de service d'évitements fiscaux au Canada même aient recours à des paradis fiscaux comme le Luxembourg.
En conclusion, il s'entend que le Parlement canadien doit faire grand cas des fuites qui concernent les comptes suisses des contribuables canadiens dans des banques comme la HSBC ou UBS, et qui ont potentiellement à voir avec des gestes d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent.
Ce serait toutefois une erreur que d'isoler ces cas, comme s'ils constituaient des phénomènes à part. S'il s'agit d'en faire état de façon sérieuse, la question de l'évasion fiscale doit être considérée en fonction du déploiement international des législations de complaisance. Elle devra être traitée en relation avec la complaisance d'États du Nord qui se trouvent souvent à légaliser ce qui est de l'ordre des méfaits, selon l'esprit du principe d'équité et de justice qui doit rester au coeur de la question fiscale.
La question de l'évasion fiscale doit donc être pensée en même temps que celle des différentes fuites fiscales, bien qu'elles puissent être considérées comme légales.
Merci.
Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de votre confiance et du respect que vous me portez aujourd'hui.
Puisque plusieurs d'entre vous ne me connaissent pas, je vais essayer de me décrire le plus rapidement possible. Je suis comptable agréée, j'ai une maîtrise en fiscalité de l'Université de Sherbrooke et une maîtrise en administration publique de l'Université Harvard. J'ai réalisé des travaux influents sur plusieurs sujets relatifs à la politique fiscale, incluant les paradis fiscaux. Je suis responsable de la chronique fiscale dans le prestigieux CA Magazine. Je suis l'auteure du best-seller Ces riches qui ne paient pas d'impôts. Mon prochain livre sort en librairie le 17 février 2011 et est intitulé La crise fiscale qui vient.
Le 5 janvier 2010, Jean-Pierre Blackburn, alors ministre du Revenu, a déclaré que les Canadiens ont investi dans les paradis fiscaux des sommes totalisant 146 milliards de dollars canadiens en 2009. C'est une augmentation substantielle en rapport aux 88 milliards de dollars investis en 2003. Face à la popularité grandissante des paradis fiscaux et à la difficulté de traquer les contribuables frauduleux, il est important de se demander si les mesures entreprises par le Canada à l'échelle intérieure et conjointement avec les autres pays sont suffisamment efficaces pour renverser cette tendance.
À l'échelle intérieure, le gouvernement de Stephen Harper semble ambivalent face aux paradis fiscaux. D'une part, Jim Flaherty, le ministre des Finances, a déclaré dans le budget de 2007 que son gouvernement allait sévir à l'encontre de ceux qui évitent de payer l'impôt des sociétés en intensifiant sa lutte contre l'utilisation des paradis fiscaux outre-mer. D'autre part, dans le budget 2010-2011, il ouvre le chemin aux contribuables canadiens qui souhaitent contourner l'imposition des profits tirés de la vente d'actions d'entreprises canadiennes.
Il faut savoir que, lorsqu'un résidant du pays avec lequel le Canada n'a pas signé de convention fiscale vend des actions de sociétés canadiennes, l'article 116 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit généralement que l'acheteur canadien doit retenir 25 p. 100 du prix de vente versé aux non-résidants et le verser au gouvernement canadien à titre d'impôt retenu à la source pour le non-résidant.
Le budget de 2010-2011 du gouvernement fédéral élimine cette obligation pour la plupart des secteurs industriels. Ainsi, il devient facile pour les contribuables canadiens de légalement éviter l'impôt canadien sur la vente d'actions canadiennes en les faisant détenir par un intermédiaire résidant dans un paradis fiscal.
Au niveau international, les avancées du Canada conclues avec les autres pays dans le cadre du G20, qui furent principalement expliquées par l'Agence du revenu du Canada devant ce comité lors de la réunion du 13 décembre, et par M. Owens précédemment, ont effectivement diminué le niveau de protection dont jouissent la fraude fiscale et l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux. Toutefois, le problème risque de rester et, pour aller plus loin, il faut envisager des mesures supplémentaires.
Dans le cadre de ma présentation, je vais vous présenter deux mesures supplémentaires ou deux problèmes qui restent et auxquels on doit s'attarder.
En vertu du système actuel d'échange d'informations, les pays qui souhaitent recevoir des informations d'un autre pays devront en faire la demande en fournissant le nom d'un contribuable, son adresse, une période donnée et le nom de la banque où ce contribuable est client. Ces informations semblent faciles à obtenir, mais dans la réalité il est très difficile pour les autorités fiscales d'associer les contribuables canadiens avec les noms et les adresses qu'ils utilisent dans les paradis fiscaux. La raison est très simple: il est peu fréquent qu'un particulier qui met sur pied un stratagème d'évasion fiscale faisant intervenir un paradis fiscal le fasse sous son nom propre. Il fera plutôt appel à des sociétés écran et à de faux bureaux qui lui servent de boîtes aux lettres.
Mme Lucie Bergevin, directrice générale, Direction du secteur international des grandes entreprises de l'Agence du revenu du Canada, qui a témoigné devant ce comité le 13 décembre 2010, a manifesté effectivement la difficulté que je vous souligne présentement. Elle justifie les longueurs dans le processus de vérification des renseignements reçus des informateurs au Liechtenstein ou en Suisse en expliquant ceci: « Ces renseignements ne sont pas complets, nous n'avons souvent pas le numéro d'assurance sociale ou une adresse précise, alors nous devons les retrouver dans notre système, et cela risque d'être très long. »
Pour contourner ces problèmes, plutôt que de tabler sur un échange d'informations effectué à la demande des autorités fiscales des États concernés, comme c'est le cas présentement, les pays doivent considérer la possibilité de procéder à un échange d'informations automatique qui pourrait se réaliser de plusieurs manières.
Par exemple, dès qu'un contribuable ouvrirait un compte dans une institution financière dans un paradis fiscal, cette dernière devrait automatiquement avertir les autorités du pays d'origine, sous peine de fortes sanctions pécuniaires, ou encore les pays du G20 pourraient s'assurer de la mise en place, dans les paradis fiscaux, d'un fichier accessible aux autorités fiscales et judiciaires, dans lequel seraient inscrits les propriétés et comptes bancaires de toutes les sociétés, qu'il s'agisse de trusts ou de fondations.
J'aimerais attirer votre attention sur un deuxième problème. Présentement, les propositions du G20 visent principalement les particuliers, et ce, même si la présence des multinationales dans les paradis fiscaux est plus importante. Pour s'attaquer au problème des multinationales, le Canada, en collaboration avec les autres pays, pourrait envisager deux types de solutions.
Premièrement, on peut réformer la fiscalité applicable aux multinationales pour instaurer un régime d'imposition centralisé ou une charge fiscale unique à l'échelle mondiale. Un régime centralisé d'imposition des multinationales établirait un système fiscal plus juste, plus simple et plus efficace, et éliminerait presque instantanément la concurrence déloyale des paradis fiscaux. Toutefois, réalistement, pour des raisons politiques, cette solution paraît difficile à mettre en application à court terme, et elle ne supprimerait pas le problème des paradis bancaires et judiciaires.
En conséquence, le reporting, soit la communication d'informations par pays, semble la solution la plus efficace. Il s'agit de demander à l'ensemble des multinationales de présenter, pays par pays, les informations suivantes: leurs activités dans ce pays, le montant de leurs actifs, le nombre de personnes employées, les relations entre les personnes liées, leurs profits avant impôts et le montant de leurs impôts payés dans ce pays.
Les normes comptables sont un outil très puissant à cet égard, parce qu'elles ont la capacité de définir des règles identiques pour toutes les firmes internationales.
D'ailleurs, le 5 juin 2010, à Busan, le G20 de la finance a déclaré: « Nous avons exprimé l'importance que nous accordons à la réalisation d'un ensemble unique de normes comptables internationales de haute qualité, et nous avons exhorté l'International Accounting Standards Board et le Financial Accounting Standards Board à redoubler d'efforts à cette fin. »
En conclusion, je dirai que le système d'échange d'informations représente un effort important pour circonscrire et, effectivement, régler les problèmes. Toutefois, il est important de vérifier comment ce système sera mis en place, en pratique, et surtout de prévoir de lourdes sanctions à l'égard des organisations irrespectueuses de leurs engagements.
Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.
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Je peux en parler. Je l'ai dit plus tôt, c'est un bon investissement. Pensez au Royaume-Uni. Il a investi 4 millions de livres pour rehausser la conformité extraterritoriale — et il s'attend à un rendement de 7 milliards de livres. Ce n'est pas mal du tout, comme rendement. Je pense que l'analyse des avantages par rapport aux coûts des accords d'échange d'informations se révèle très favorable à ces accords et à leur mise en oeuvre.
La deuxième chose que j'ai à dire, c'est que puisque nous parlons de paradis fiscaux, cet après-midi, je pense qu'il faudrait préciser clairement ce que nous entendons par là. Pour moi et pour l'OCDE, un paradis fiscal, c'est un pays qui ne perçoit que très peu ou pas du tout d'impôt, qui garde le secret bancaire, qui manque de transparence et qui est mal réglementé. De tous ces critères, la clé, c'est le secret bancaire. On ne peut obtenir aucun renseignement du Panama; la Barbade ne révélera rien; rien n'a changé de ce côté.
Je pense que ce que nous devons faire, maintenant, c'est aller plus loin que ces accords, en finir avec ces études, les achever et décider de ce que ces paradis fiscaux doivent faire de plus. Je l’ai dit, nous avons mené 18 examens. La Barbade n'a pas obtenu la note de passage; le Botswana non plus, ni le Panama. De ces 18 examens sont ressorties 64 recommandations de mesures d'amélioration. Peut-être les choses ne vont-elles pas aussi vite qu'on le souhaiterait, mais nous faisons néanmoins des progrès concrets.
J'aurais une chose à ajouter. Je pense que quelqu'un, plus tôt, confondait certains concepts. Il y a une nuance entre évasion fiscale et recours aux incitatifs fiscaux des gouvernements. Si un pays veut offrir des incitatifs fiscaux — le Canada le fait, comme presque tous les autres pays de l'OCDE — c'est son droit souverain et nous n'avons rien contre cela. En revanche, si un pays tolère ou facilite l'évasion fiscale, c'est à mon avis inacceptable, et c'est ce contre quoi lutte l'OCDE.
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L'OCDE a lancé ce projet en 1998. À l'époque, je pense, notre stratégie pour résoudre le problème des paradis fiscaux était peut-être un peu trop simpliste. Elle était plutôt axée sur la dénonciation. Nous dénoncions un paradis fiscal répondant à la définition que je viens de donner, nous l'inscrivions sur une liste, et nous infligions des sanctions pour nous défendre.
C'était une stratégie belliqueuse. En fait, nous avons été étonnés que les paradis fiscaux y répondent en disant « Avant de recourir aux sanctions, pourquoi ne pas dialoguer? Voyons s'il n'y a pas moyen de trouver un terrain d'entente, parce que si nous pouvons tous convenir des mêmes règles, elles seraient probablement plus efficaces que des sanctions ».
C'est donc ce à quoi nous nous sommes attelés de 1998 à 2000, et nous avons établi une série de normes. En 2002, une entente était conclue entre les pays membres de l'OCDE et les paradis fiscaux, portant sur un accord-type d'échange de renseignements. Il n'a pas été facile d'obtenir la signature des îles Caïman, de la Barbade et de membres de l'OCDE comme la Suisse et le Luxembourg, mais nous y sommes parvenus, et c'est de cette entente que s'inspirent les 600 accords d'échange de renseignements qui existent dans le monde.
Je pense que le point tournant a été en avril 2009, lors du sommet du G20 de Londres. C'est là que les dirigeants des pays membres du G20, dont le premier ministre du Canada, ont lancé très fermement un message au monde financier extraterritorial. « Finis les beaux jours pour vous. Nous ne tolérerons plus les paradis fiscaux. »
J'ai moi-même été étonné qu'il nous ait fallu tellement de temps pour en arriver là. Je pense qu'il y a bien des raisons à cela, mais c'est à cette réunion tenue à Londres qu'a été diffusé un message politique limpide; ce n'était plus acceptable.
C'est là que le changement s'est enclenché. Des pays comme la Suisse et le Luxembourg ont décidé de se joindre à nous et d'adhérer aux normes. Des pays comme le Panama et la Barbade se sont mis à parler d'en faire autant.
Tout cela vient du fait qu'à l'époque de cette déclaration du G20, l'OCDE a diffusé sa liste — nous ne l'appelons pas une liste, mais c'est néanmoins ce que c'est — qui, en gros, divisait les pays en trois catégories. Il y avait les pays qui avaient souscrit aux normes et signé ces 12 accords, et qui appliquaient partiellement les normes. On l'appelle la liste blanche. Je ne suis pas tellement d'accord, parce qu'il ne suffit pas de signer 12 accords pour pouvoir prétendre qu'on a fait tout ce qui doit être fait. En deuxième lieu, il y avait les pays qui avaient souscrit aux normes, mais ne les appliquaient pas encore vraiment. La troisième catégorie était celle des pays qui n'avaient pas souscrit aux normes ou qui n'en appliquaient aucune.
Comme cette liste s'inscrivait dans une stratégie de dénonciation, elle a été très efficace. C'est là que certains pays ont commencé à faire des progrès. Entre avril 2009 et le sommet du G20 à Toronto, et depuis le sommet du G20 à Séoul, le nombre de ces accords s'est multiplié.
Maintenant, nous voudrons assurer leur application concrète. Quelqu'un a dit tout à l'heure, je pense, qu'il faut avoir en main le nom et l'adresse de la personne ainsi que le nom de la banque avant de pouvoir demander des renseignements. C'est faux. Il suffit de fournir suffisamment de renseignements pour permettre aux pays visés d'obtenir les renseignements des banques. Un numéro de compte bancaire électronique, par exemple, suffit.
Voilà donc pour l'échelonnement de ce projet. Il se poursuivra, parce que tant qu'il y aura des impôts, il y aura des gens qui chercheront à s'y soustraire. Et tant qu'il y aura des gens qui voudront s'y soustraire, il y aura des normes extraterritoriales pour leur faciliter la tâche.