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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des finances


NUMÉRO 055 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 1er février 2011

[Enregistrement électronique]

(0845)

[Traduction]

    La séance est ouverte. Nous en sommes à la 55e séance du Comité permanent des finances.
    Chers collègues, je vous souhaite une bonne rentrée, en ce deuxième jour de session parlementaire.
    Dans le cadre de notre étude sur l'évasion fiscale et les comptes bancaires à l'étranger, nous entendrons trois témoins ce matin, dont un par vidéoconférence, soit M. Jeffrey Owens, de l'Organisation de coopération et de développement économiques.
    Monsieur Owens, m'entendez-vous bien? Tout est clair?
    C'est bon. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre présence.

[Français]

    Ensuite, nous entendrons M. Alain Deneault, de l'Université du Québec à Montréal. Enfin, Mme Brigitte Alepin comparaîtra à titre personnel.
    Je vous souhaite la bienvenue. Vous disposerez de sept ou dix minutes.

[Traduction]

    Monsieur Paillé, invoquez-vous le Règlement?

[Français]

    Monsieur le président, au nom du comité, je voudrais souhaiter la bienvenue à Mme Glover, nouvellement nommée secrétaire parlementaire du ministre des Finances, et offrir nos condoléances à M. Wallace.
    Aussi, je voudrais que l'on puisse envoyer une résolution de félicitations à M. Menzies, nommé ministre d'État responsable des Finances.

[Traduction]

    Le comité souhaite-t-il adopter une motion pour féliciter M. Menzies de sa nomination au poste de ministre d'État aux Finances?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Je lui transmettrai les félicitations du comité. Merci.
    Nous devrions aussi souhaiter la bienvenue à Mme Cathy McLeod, la secrétaire parlementaire du ministre responsable de l'Agence du revenu du Canada.
    Merci. Nous pouvons revenir à nos témoins.
    Allons-y. Vous aurez de 7 à 10 minutes pour prononcer votre déclaration préliminaire, puis tous les membres du comité vous poseront des questions.
    Monsieur Owens, veuillez commencer.
    Merci beaucoup.
    Je veux d'abord m'excuser de ne pouvoir être parmi vous, et féliciter le comité d'avoir choisi de se pencher sur la façon de renforcer le respect de la norme internationale, ainsi que sur les mesures à prendre concernant les questions fiscales et les paradis fiscaux. Il s'agit vraiment d'une source de préoccupation, non seulement pour le Canada, mais pour de nombreux pays.
    J'ai préparé des diapositives que nous pourrions parcourir en huit ou neuf minutes. Vous aurez ainsi une idée de la situation du Canada par rapport à d'autres pays de l'OCDE. Avez-vous les diapositives?
(0850)
    Oui, nous les avons.
    Parfait.
    La deuxième diapositive précise en gros les trois grandes nouveautés sur le plan de notre attitude en matière de conformité des centres offshore. Premièrement, la révolution est très présente, quant à la tolérance zéro devant le non-respect de la norme, et les politiciens savent maintenant très bien que les jours des paradis fiscaux sont comptés. Deuxièmement, la coopération internationale entre les administrations fiscales cède le pas à la coordination internationale, et je vais y revenir un peu plus tard. Troisièmement, le secteur financier a soumis nos systèmes fiscaux à des pressions à cause de la crise bancaire, bien sûr, mais aussi à cause de la façon dont les banques recourent à des stratagèmes de planification fiscale.
    Ce sont les enjeux à l'étude.
    Sur la troisième diapositive, qui pose la question de savoir pourquoi ce regain d'intérêt survient maintenant, vous verrez certains des facteurs. Ils peuvent relever de trois catégories.
    Citons, premièrement, le processus de mondialisation. Autrement dit, la mondialisation est devenue réalité et nous devons apprendre à nous y adapter. Elle comporte bien des avantages pour nos citoyens et pour nos sociétés.
     Viennent ensuite les scandales récents. Je vois que vous avez discuté du scandale de UBS aux États-Unis et du scandale au Liechtenstein; c'est un très petit État, mais le scandale a été lourd de conséquences pour 41 autres pays.
    De toute évidence, le troisième facteur est la crise financière: les gouvernements ont maintenant besoin de plus d'argent et doivent montrer à leurs citoyens que le fardeau fiscal est réparti équitablement.
    Conjugués, ces facteurs des trois dernières années nous amènent à constater que la fin de l'ère du secret bancaire approche et que les fraudeurs de l'impôt ne seront plus protégés. Le secret bancaire est présent à divers degrés dans tous les pays, mais aujourd'hui, très peu de pays y recourent pour protéger les fraudeurs de l'impôt. Je crois que c'est un progrès majeur. C'est manifestement le G20, de concert avec l'OCDE, qui a été le fer de lance de cette mesure particulière. Bien honnêtement, je ne crois pas que les progrès constatés depuis 2009 se seraient matérialisés sans l'appui du G20.
    Le graphique de la cinquième diapositive donne le nombre d'accords d'échange de renseignements à des fins fiscales et de conventions fiscales répondant à la norme de l'OCDE qui ont été conclus entre les divers sommets du G20. Il en existe maintenant près de 600. Je travaille dans ce domaine depuis 30 ans et je sais qu'il faut beaucoup de temps pour conclure un accord. Je trouve remarquable que 600 accords aient été signés depuis janvier 2009.
    La norme — diapositive 6 — est très simple. En gros, nous devons coopérer pour faire obstacle au non-respect. En réalité, la norme que nous appliquons dans nos discussions avec les paradis fiscaux correspond à ce que nous appelons la norme d'échange de renseignements sur demande. Autrement dit, si le Canada demande à la Barbade ou aux États-Unis des renseignements vraisemblablement pertinents à des fins fiscales au Canada, la Barbade ou les États-Unis doivent répondre. Bien entendu, il faut que le pays auquel la demande a été faite possède de l'information fiable et que l'administration fiscale ait le pouvoir de les obtenir facilement.
    Il est aussi important que les accords comportent des mesures de protection de la confidentialité des renseignements sur les contribuables. Nous avons toujours insisté sur cet élément comme étant essentiel à la signature des accords.
    La norme est universellement acceptée par les Nations Unies, le G20 et tous les pays du monde, et nous en sommes particulièrement heureux.
    Passons maintenant à la diapositive 7.
    Les accords, c'est bien beau, mais ce que nous voulons, ce sont des changements bien réels. C'est pourquoi nous avons créé le forum mondial sur la transparence. Il réunit maintenant 96 pays. Ce forum a permis d'établir un mécanisme d'examen par les pairs qui garantit que les accords se traduisent par des gestes concrets. C'est un mécanisme plutôt rigoureux. Nous avons déjà réalisé 18 examens. Des 18 pays examinés, 6 ont échoué, dont la Barbade et le Panama, pour ne nommer que ceux-là.
(0855)
    Ce sont les aspects bilatéraux de ce que nous faisons, mais nous reconnaissons aussi qu'en cette ère où les contribuables ont des revenus mondiaux et où les entreprises sont multinationales, il faut une dimension multilatérale, plutôt que bilatérale, et nous travaillons à une convention multilatérale d'assistance administrative en matière fiscale. On voit sur la diapositive 8 les étapes que nous avons franchies. D'après moi, ce qui importe, c'est qu'il s'agisse de l'idéal. C'est le rêve de tout avocat-fiscaliste ou administrateur fiscal: une convention multilatérale, et non bilatérale, qui prévoit une assistance à la cotisation établie pour l'impôt et à la perception de l'impôt, de tout impôt, quel qu'il soit: TVA, TPS, impôt sur le revenu ou impôt sur les bénéfices.
    En ce moment, 21 pays, dont le Canada, ont signé cette convention. Les pays qui ne sont pas membres de l'OCDE y auront accès dans quelques semaines seulement et nous attendons avec impatience de voir tous les pays du G-20 et, peut-être, certains pays en développement, signer la convention. C'est un outil très efficace.
    Je vous donne un exemple de sa pertinence pour le Canada. Si, par exemple, l'Agence du revenu du Canada veut vérifier une multinationale qui est présente au Japon, en France et aux États-Unis, cette convention comporte le cadre légal qui lui permet d'exécuter des vérifications mixtes. C'est donc un outil très efficace.
    Passons à la diapositive 9.
    J'ai surtout parlé des paradis fiscaux, mais l'OCDE ne s'est pas arrêtée à cela pour améliorer l'observation fiscale. Voici, sur cette diapositive, certaines des activités en question, réalisées principalement par notre Forum sur l'administration fiscale. Votre commissaire contribue beaucoup à ce forum. Quand les 43 commissaires se réunissent, ils essaient de modifier le contexte de fonctionnement des régimes fiscaux. Ils influencent le contexte.
    Prenons deux des points signalés sur la diapositive, tout d'abord, les banques et le fait que les banques ont beaucoup d'occasions de s'adonner à une planification fiscale agressive. Il y a quelques mois seulement, nous avons publié un projet de code de conduite à l'intention des banques. Nous y décrivons la façon dont nous — les autorités fiscales — pensons qu'elles devraient se comporter sur le plan de l'observation fiscale. L'autre point que je mentionnerai, c'est le dernier de la diapositive, qui porte sur la gouvernance des entreprises. Nous croyons qu'il est temps de mettre l'observation fiscale au programme, en ce qui concerne la gouvernance des entreprises.
    J'ai cinq commentaires à faire pour terminer.
    L'OCDE ne dit pas aux pays quoi faire, mais permettez-moi de vous dire qu'elle fait des suggestions que le Canada devrait envisager. Premièrement, vous n'avez pas une demi-douzaine d'accords d'échange de renseignements. Pour un pays comme le Canada, dont l'économie est très ouverte, il en faut plus. Je crois que vous devriez travailler à élargir votre réseau sur ce plan. Vous devez aussi accélérer le processus de signature et de ratification des accords. S'ils ne sont pas ratifiés, aucune mesure concrète n'est possible. Je crois que vous devriez en faire une de vos priorités.
    Deuxièmement, vous devez investir dans votre administration fiscale, de sorte qu'elle puisse profiter de ce contexte ouvert et transparent. Croyez-moi, un tel investissement donne un fort rendement. Puis-je vous donner des chiffres?
    Le Royaume-Uni investit 4 millions de livres dans son service du revenu, et il s'attend à un rendement de 7 milliards de livres. Aux États-Unis, on estime qu'un resserrement se traduira par la perception d'au moins 100 milliards de dollars. L'Espagne vient d'améliorer sa démarche en matière de conformité internationale et a perçu cette année 10 milliards d'euros. Autrement dit, il y a de l'argent à percevoir.
    Cependant, il n'est pas simplement question de revenus additionnels. C'est aussi une façon de montrer aux contribuables canadiens — les contribuables honnêtes — qu'il y a répartition équitable du fardeau fiscal.
    La troisième chose à faire, à mon avis — et pas seulement au Canada, mais dans tous les pays membres de l'OCDE —, c'est de former de nouveau les vérificateurs. Il faut leur dire que, devant un cas faisant entrer en jeu la Suisse, le Luxembourg ou le Panama — si le Canada a conclu un accord avec ces pays —, les vérificateurs peuvent maintenant demander de l'information, alors qu'ils ne pouvaient le faire auparavant. Cela s'applique aussi à l'accord que vous avez conclu avec la Barbade.
    Quatrièmement, il importe que le Canada, avec l'aide du forum de l'OCDE sur l'administration fiscale, fasse de l'observation fiscale le pivot d'une bonne gouvernance d'entreprise.
    Enfin, je crois qu'il ne faut pas aborder la question en vase clos, mais qu'il faut comprendre que la lutte contre l'évasion fiscale doit se conjuguer à la lutte contre le blanchiment d'argent, la corruption et la subornation, car c'est l'absence de transparence, la faiblesse de la réglementation et une coopération défaillante qui favorisent la prolifération de ces activités.
    Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
    Je vous remercie, monsieur Owens, pour votre exposé.

[Français]

    Monsieur Deneault, vous avez la parole.
    Je suis Alain Deneault, chercheur en sociologie à l'Université du Québec à Montréal et auteur du livre Offshore: Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, publié en France à La Fabrique et au Québec chez Écosociété. Cet ouvrage sera prochainement publié aux États-Unis chez The New Press sous le titre de Offshore: Tax Havens and the Rule of Global Crime.
    Je remercie le Comité permanent des finances de permettre à des penseurs en sciences sociales et inscrits dans le champ des humanités de se prononcer sur des problèmes liés au fisc. Comme on le sait, l'enjeu du fisc touche à des questions vitales du financement des services publics et à la capacité même de l'État de garantir le sérieux de ses institutions. On ne saurait donc limiter les compétences disciplinaires pour l'observer exclusivement sous l'angle du droit et des sciences comptables.
    L'évasion fiscale et, plus largement, les fuites fiscales occasionnent des problèmes politiques et sociaux de grande envergure. Le ministère des Finances du Québec estimait en 2005 à plus de 5 p. 100 le produit intérieur brut des pertes potentielles dans le Trésor public liées à l'évasion fiscale. À ces données s'ajoutent les fonds non recensés de l'évitement fiscal et des pratiques fiscales agressives. Il s'agit, dans le cas de l'évitement fiscal, de tactiques légales comme le transfert de prix et, dans le cas de pratiques agressives, de stratégies d'évitement d'impôt à l'interstice de la légalité et de l'illégalité.
    Contribuent également à cette hémorragie des phénomènes de dumping difficilement chiffrables, tels que les baisses d'impôt consenties par les régimes du Nord à des acteurs nantis, sous prétexte qu'on doit concurrencer directement les paradis fiscaux, ou encore la part du service de la dette que l'on doit affecter au remboursement d'emprunts auprès d'institutions financières que l'on n'impose pas suffisamment ou plus du tout.
    La Suisse, par exemple, est un pays emblématique, s'il en est, des régimes de complaisance qui ont facilité, dans l'histoire, diverses manoeuvres d'évitement fiscal. Plusieurs auteurs nous l'ont montré. La Suisse a même marqué l'imaginaire commun en paraissant comme un symbole de combine suspecte ou de transfert d'argent occulte. Cependant, se préoccuper de la Confédération helvétique ou de certaines de ses institutions bancaires, comme on s'est proposé de le faire dans le passé, peut sembler encourageant s'il s'agit précisément d'un symbole qu'on déboulonne. Or, paradoxalement, et cela a été suggéré à l'instant, la question des paradis fiscaux ne saurait se réduire à la question de la Suisse.
    Cependant, cela suscite certaines craintes. Notamment, José Gayoso, membre de l'Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens, en France, craignait qu'on profite du cas de la Suisse pour simplement condamner ce pays et mettre en valeur des paradis fiscaux concurrents. M. Gayoso reçoit une caution de taille par les propos du juge genevois à la retraite Bernard Bertossa, d'ordinaire très critique envers sa propre juridiction, qui déclare ceci dans son livre La justice, les affaires, la corruption: « C'est un fait indéniable que la City de Londres détient autant, si ce n'est plus, d'argent sale que les banques de Zurich, de Genève ou de Lugano. »
    Il ne faudrait pas que la Suisse devienne l'arbre qui dissimule la forêt. Les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, entre autres pays du G20, conviennent de la critiquer tout en ménageant respectivement le Delaware, Macao, Londres et tout un ensemble de dépendances qui constituent, dans les Caraïbes ou ailleurs, les paradis fiscaux les plus controversés de la planète. Il ne semble pas toujours que le Canada fasse exception parmi les membres du G20. À l'intérieur même du Canada, Halifax remplit l'office de centre offshore en lien étroit avec les Bermudes et la City de Londres, des sociétés agissant dans le domaine de l'assurance et des fonds à risque, un secteur déterminant dans la crise économique de 2008, et bénéficie d'avantages fiscaux importants. Le Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse, dirigé par un conseil d'administration constitué d'acteurs du secteur privé, la Nova Scotia Business Inc., prévoit également des exonérations fiscales aux sociétés offshore qui embauchent des comptables sur place plutôt que dans leur législation.
    À l'échelle internationale, le Canada se présente comme un allié des paradis fiscaux des Caraïbes pourtant déjà visés dans le passé à l'échelle internationale par l'OCDE, le GAFI ou le FMI, par exemple. Notre pays, le Canada, partage effectivement son siège au sein des instances de la Banque mondiale avec un collectif de paradis fiscaux des Caraïbes constitué des pays suivants: Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, La Barbade, le Belize, la Dominique, Grenade, la Guyana, la Jamaïque, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, de même que Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Un de ces pays est cité comme faisant l'objet d'une surveillance par l'Observatoire géopolitique des drogues pendant que maints criminologues internationaux considèrent plusieurs d'entre eux comme des plaques tournantes de la drogue en provenance de la Colombie.
    Ce sont souvent des acteurs canadiens, ou des acteurs liés au Canada dans l'histoire, qui ont créé les quartiers d'affaires de ces paradis fiscaux des Caraïbes, quand ils n'ont pas eux-mêmes rédigé les mesures financièrement avantageuses pour les banques qui y inscrivent leurs filiales. Qui ne se souvient pas, par exemple, que dans les années 1960, sir Stafford Sands pouvait être en même temps responsable des finances aux Bahamas et membre du conseil d'administration de la Banque Royale du Canada?
(0900)
    Par ailleurs, le Canada continue d'entretenir des liens privilégiés avec La Barbade. L'accord qui le lie sur la non double imposition se révèle un corridor d'amnistie fiscale permanente pour des acteurs qui pratiquent des tactiques de fuite fiscale tel que le transfert de prix.
    Le Canada élargit d'ailleurs continuellement les champs d'activité provenant de la clémence juridictionnelle de ce paradis fiscal, le domaine de l'assurance y ayant été ajouté en 2010. Par ailleurs, ne parlons pas des accords de libre-échange que le Canada signe avec le Panama et la Colombie.
    Il n'est pas rare que les sociétés extraterritoriales de service d'évitements fiscaux au Canada même aient recours à des paradis fiscaux comme le Luxembourg.
    En conclusion, il s'entend que le Parlement canadien doit faire grand cas des fuites qui concernent les comptes suisses des contribuables canadiens dans des banques comme la HSBC ou UBS, et qui ont potentiellement à voir avec des gestes d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent.
    Ce serait toutefois une erreur que d'isoler ces cas, comme s'ils constituaient des phénomènes à part. S'il s'agit d'en faire état de façon sérieuse, la question de l'évasion fiscale doit être considérée en fonction du déploiement international des législations de complaisance. Elle devra être traitée en relation avec la complaisance d'États du Nord qui se trouvent souvent à légaliser ce qui est de l'ordre des méfaits, selon l'esprit du principe d'équité et de justice qui doit rester au coeur de la question fiscale.
    La question de l'évasion fiscale doit donc être pensée en même temps que celle des différentes fuites fiscales, bien qu'elles puissent être considérées comme légales.
    Merci.
(0905)
    Je vous remercie beaucoup de votre présentation.
    Madame Alepin, vous avez la parole.
    Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de votre confiance et du respect que vous me portez aujourd'hui.
    Puisque plusieurs d'entre vous ne me connaissent pas, je vais essayer de me décrire le plus rapidement possible. Je suis comptable agréée, j'ai une maîtrise en fiscalité de l'Université de Sherbrooke et une maîtrise en administration publique de l'Université Harvard. J'ai réalisé des travaux influents sur plusieurs sujets relatifs à la politique fiscale, incluant les paradis fiscaux. Je suis responsable de la chronique fiscale dans le prestigieux CA Magazine. Je suis l'auteure du best-seller Ces riches qui ne paient pas d'impôts. Mon prochain livre sort en librairie le 17 février 2011 et est intitulé La crise fiscale qui vient.
    Le 5 janvier 2010, Jean-Pierre Blackburn, alors ministre du Revenu, a déclaré que les Canadiens ont investi dans les paradis fiscaux des sommes totalisant 146 milliards de dollars canadiens en 2009. C'est une augmentation substantielle en rapport aux 88 milliards de dollars investis en 2003. Face à la popularité grandissante des paradis fiscaux et à la difficulté de traquer les contribuables frauduleux, il est important de se demander si les mesures entreprises par le Canada à l'échelle intérieure et conjointement avec les autres pays sont suffisamment efficaces pour renverser cette tendance.
    À l'échelle intérieure, le gouvernement de Stephen Harper semble ambivalent face aux paradis fiscaux. D'une part, Jim Flaherty, le ministre des Finances, a déclaré dans le budget de 2007 que son gouvernement allait sévir à l'encontre de ceux qui évitent de payer l'impôt des sociétés en intensifiant sa lutte contre l'utilisation des paradis fiscaux outre-mer. D'autre part, dans le budget 2010-2011, il ouvre le chemin aux contribuables canadiens qui souhaitent contourner l'imposition des profits tirés de la vente d'actions d'entreprises canadiennes.
    Il faut savoir que, lorsqu'un résidant du pays avec lequel le Canada n'a pas signé de convention fiscale vend des actions de sociétés canadiennes, l'article 116 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit généralement que l'acheteur canadien doit retenir 25 p. 100 du prix de vente versé aux non-résidants et le verser au gouvernement canadien à titre d'impôt retenu à la source pour le non-résidant.
    Le budget de 2010-2011 du gouvernement fédéral élimine cette obligation pour la plupart des secteurs industriels. Ainsi, il devient facile pour les contribuables canadiens de légalement éviter l'impôt canadien sur la vente d'actions canadiennes en les faisant détenir par un intermédiaire résidant dans un paradis fiscal.
    Au niveau international, les avancées du Canada conclues avec les autres pays dans le cadre du G20, qui furent principalement expliquées par l'Agence du revenu du Canada devant ce comité lors de la réunion du 13 décembre, et par M. Owens précédemment, ont effectivement diminué le niveau de protection dont jouissent la fraude fiscale et l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux. Toutefois, le problème risque de rester et, pour aller plus loin, il faut envisager des mesures supplémentaires.
    Dans le cadre de ma présentation, je vais vous présenter deux mesures supplémentaires ou deux problèmes qui restent et auxquels on doit s'attarder.
    En vertu du système actuel d'échange d'informations, les pays qui souhaitent recevoir des informations d'un autre pays devront en faire la demande en fournissant le nom d'un contribuable, son adresse, une période donnée et le nom de la banque où ce contribuable est client. Ces informations semblent faciles à obtenir, mais dans la réalité il est très difficile pour les autorités fiscales d'associer les contribuables canadiens avec les noms et les adresses qu'ils utilisent dans les paradis fiscaux. La raison est très simple: il est peu fréquent qu'un particulier qui met sur pied un stratagème d'évasion fiscale faisant intervenir un paradis fiscal le fasse sous son nom propre. Il fera plutôt appel à des sociétés écran et à de faux bureaux qui lui servent de boîtes aux lettres.
    Mme Lucie Bergevin, directrice générale, Direction du secteur international des grandes entreprises de l'Agence du revenu du Canada, qui a témoigné devant ce comité le 13 décembre 2010, a manifesté effectivement la difficulté que je vous souligne présentement. Elle justifie les longueurs dans le processus de vérification des renseignements reçus des informateurs au Liechtenstein ou en Suisse en expliquant ceci: « Ces renseignements ne sont pas complets, nous n'avons souvent pas le numéro d'assurance sociale ou une adresse précise, alors nous devons les retrouver dans notre système, et cela risque d'être très long. »
    Pour contourner ces problèmes, plutôt que de tabler sur un échange d'informations effectué à la demande des autorités fiscales des États concernés, comme c'est le cas présentement, les pays doivent considérer la possibilité de procéder à un échange d'informations automatique qui pourrait se réaliser de plusieurs manières.  
(0910)
    Par exemple, dès qu'un contribuable ouvrirait un compte dans une institution financière dans un paradis fiscal, cette dernière devrait automatiquement avertir les autorités du pays d'origine, sous peine de fortes sanctions pécuniaires, ou encore les pays du G20 pourraient s'assurer de la mise en place, dans les paradis fiscaux, d'un fichier accessible aux autorités fiscales et judiciaires, dans lequel seraient inscrits les propriétés et comptes bancaires de toutes les sociétés, qu'il s'agisse de trusts ou de fondations.
     J'aimerais attirer votre attention sur un deuxième problème. Présentement, les propositions du G20 visent principalement les particuliers, et ce, même si la présence des multinationales dans les paradis fiscaux est plus importante. Pour s'attaquer au problème des multinationales, le Canada, en collaboration avec les autres pays, pourrait envisager deux types de solutions.
    Premièrement, on peut réformer la fiscalité applicable aux multinationales pour instaurer un régime d'imposition centralisé ou une charge fiscale unique à l'échelle mondiale. Un régime centralisé d'imposition des multinationales établirait un système fiscal plus juste, plus simple et plus efficace, et éliminerait presque instantanément la concurrence déloyale des paradis fiscaux. Toutefois, réalistement, pour des raisons politiques, cette solution paraît difficile à mettre en application à court terme, et elle ne supprimerait pas le problème des paradis bancaires et judiciaires.
    En conséquence, le reporting, soit la communication d'informations par pays, semble la solution la plus efficace. Il s'agit de demander à l'ensemble des multinationales de présenter, pays par pays, les informations suivantes: leurs activités dans ce pays, le montant de leurs actifs, le nombre de personnes employées, les relations entre les personnes liées, leurs profits avant impôts et le montant de leurs impôts payés dans ce pays.
    Les normes comptables sont un outil très puissant à cet égard, parce qu'elles ont la capacité de définir des règles identiques pour toutes les firmes internationales.
    D'ailleurs, le 5 juin 2010, à Busan, le G20 de la finance a déclaré: « Nous avons exprimé l'importance que nous accordons à la réalisation d'un ensemble unique de normes comptables internationales de haute qualité, et nous avons exhorté l'International Accounting Standards Board et le Financial Accounting Standards Board à redoubler d'efforts à cette fin. »
    En conclusion, je dirai que le système d'échange d'informations représente un effort important pour circonscrire et, effectivement, régler les problèmes. Toutefois, il est important de vérifier comment ce système sera mis en place, en pratique, et surtout de prévoir de lourdes sanctions à l'égard des organisations irrespectueuses de leurs engagements.
    Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Les membres du comité peuvent maintenant poser leurs questions.
    Monsieur Szabo, vous avez la parole pour sept minutes.
    Monsieur Owens, je vous remercie pour votre exposé.
    À en juger par l'augmentation des sommes qui sont déposées dans des comptes extraterritoriaux, et compte tenu de la grande efficacité des mesures mises en oeuvre pour récupérer cet argent — des sommes extraordinaires sont recouvrées, comparativement aux coûts — il semble que le système ne soit pas encore tout à fait au point. On a l'impression que les mesures que prennent l'OCDE et certains pays ne suffisent pas à décourager ces stratagèmes.
    Quelles sont les mesures de dissuasion qu'ont adoptées d'autres pays dont nous pourrions nous inspirer pour lutter plus efficacement contre l'évasion fiscale?
(0915)
    Messieurs, voulez-vous que je réponde à cette question?
    Je vous en prie.
    Permettez-moi un commentaire. Il est vrai qu'il y a encore beaucoup d'activités extraterritoriales contraires aux règles, mais il ne faut tout de même pas oublier que bon nombre de ces accords sont encore tout récents — de fait, la plupart des accords qu'a conclus le Canada ne sont même pas encore ratifiés — il est donc encore beaucoup trop tôt pour présager de l'efficacité que pourront avoir ces accords particuliers d'échange de renseignements.
    Un autre facteur important est celui de l'effet dissuasif. Je discute avec bien des gens du monde des affaires, des conseillers financiers, des responsables de banques d'investissement, et une chose a bien changé: lorsqu'un client canadien vient les voir et dit « Écoutez, je veux me mettre à l'abri de l'impôt; peut-être à la Barbade ou ailleurs », ils répliquent « Oubliez ça. Cette époque est révolue ». L'attitude a changé, dans le milieu des affaires, et ce n'est pas à négliger.
    La troisième chose que je tiens à dire, c'est que l'échange de renseignements ne suffira pas à tout régler. Il faut de bons outils de gestion des risques, en matière d'administration fiscale. Il faut trouver des moyens efficaces de coopérer avec les homologues, et je ne parle pas que de coopération sous forme de vérifications conjointes.
    Monsieur, très franchement, je trouve notre démarche bien passive. On dirait qu'on cherche à obtenir les renseignements après le fait plutôt que de prévenir l'acte.
    Y a-t-il ailleurs des mesures de dissuasion qui pourraient faire contre-poids à cette approche?
    Je pense qu'il y en a, dans certains pays. La France a incité ses banques qui ont des succursales dans des paradis fiscaux non coopératifs — des paradis, en fait, qui ne respectent pas les règles du jeu — à se retirer de ces pays. Ailleurs, des lois sont adoptées dans une optique d'exercice d'un contrôle plus ferme sur les sociétés étrangères, et d'autres pays encore adoptent des programmes de conformité volontaire qui misent sur l'environnement nouveau et plus transparent pour encourager les gens à déclarer de leur plein gré tous...
    Pardonnez-moi, mais le temps nous est compté.
    Y a-t-il des pays qui ont adopté d'autres lois pour élargir la portée de la notion de culpabilité lorsque de telles situations sont mises au jour? De toute évidence, pour créer une société à l'étranger ou mettre en oeuvre un stratagème sophistiqué dans le but de se soustraire à l'impôt, il faut avoir l'aide de professionnels, de comptables, d'avocats, de planificateurs ou autres. Ces professionnels sont assujettis à des codes déontologiques rigoureux; le temps n'est-il pas venu pour les gouvernements d'adapter leurs lois de façon qu'elles fassent porter une part de cette culpabilité à d'autres que les auteurs directs des stratagèmes?
    C'est juste. De fait, un certain nombre de pays, dont le Royaume-Uni, font porter une part de la culpabilité aux conseillers, de sorte que des poursuites peuvent être intentées non seulement contres les auteurs des manoeuvres d'évasion fiscale, mais aussi contre leurs conseillers en la matière. De plus, certains pays ne permettent pas de déduire de l'impôt certaines dépenses liées à des transactions avec un paradis fiscal — c'est un outil très puissant — ou encore ils inversent le fardeau de la preuve. Autrement dit, c'est aux contribuables qu'il incombe de démontrer le bien-fondé du recours à un paradis fiscal et non à l'administration fiscale de faire la preuve des motifs qui sous-tendent la manoeuvre du contribuable.
    Très bien. Si vous voulez bien, je vais maintenant m'adresser aux autres témoins.
    D'après l'expérience du Canada, savez-vous s'il existe des liens entre l'économie clandestine du pays et les activités extraterritoriales d'évasion fiscale?

[Français]

    Pouvez-vous répéter la question, s'il vous plaît?

[Traduction]

    Je parle de l'économie clandestine, des fraudes à l'échelle nationale liées...

[Français]

    Au cours des années 1980, Mario Possamai avait remarqué qu'il y avait une façon de blanchir de l'argent par le biais de succursales de banques canadiennes. Par exemple, dans le cadre d'une enquête faite par la CBC, des recherches ont été faites en ce sens. Il y a donc eu des précédents.
(0920)

[Traduction]

    Y a-t-il dans la Loi sur la protection des renseignements personnels des dispositions qui vous gênent, qui font obstacle aux démarches des responsables de la lutte contre l'évasion fiscale, etc., ou qui restreignent ou limitent la portée des activités du gouvernement?

[Français]

    En réponse à votre question qui portait sur les cas du Liechtenstein et de la Suisse, je vous rappelle qu'il y a eu la naissance d'un nouveau phénomène relatif à la façon dont l'information a été portée à l'attention des autorités fiscales des divers pays. Ce phénomène est celui du super informateur d'impôts qui vend des listes fiscales de façon globale à des pays. Cela a été le cas au Liechtenstein et en Allemagne, où une liste fiscale a été vendue au prix de 4,8 millions d'euros.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Pour terminer, je reviens à vous, monsieur Owens. La stratégie qu'a adoptée l'OCDE m'inquiète un peu, ne serait-ce que parce que le jeu de souque à la corde politique semble nuire à l'objectif déclaré de cette démarche. Nous avons conclu des accords, c'est vrai, mais leur mise en oeuvre se fait attendre.
    Si le problème est tellement énorme, est-ce qu'un défenseur de la cause, quelque part, laisse entendre que nous n'avons pas fait tout ce qui est en notre pouvoir et qu'il nous faudrait être plus énergiques?
    Je pense que si l'entrée en vigueur des accords prend trop de temps, c'est un problème. J'estime que le Canada l'illustre bien. Il s'écoule trop de temps entre la signature d'un accord et sa ratification, et vous ne pouvez rien faire tant qu'il n'est pas ratifié. Il faut de la volonté politique de la part des pays pour passer du stade de la signature à celui de la ratification.
    Permettez-moi de revenir sur ce qui s'est dit tout à l'heure au sujet des informateurs. Tous les pays ont recours aux informateurs et, dans une certaine mesure, c'est un devoir de citoyen. Quand on sait que quelqu'un se soustrait à l'impôt, on est en principe tenu d'en informer l'administration fiscale.
    Le phénomène n'a rien de nouveau. Peut-être s'est-il amplifié, mais ce n'est rien de nouveau.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Szabo.

[Français]

    Monsieur Paillé, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
     Je vois qu'un nouveau commerce prend place à travers le monde, c'est-à-dire la vente de listes des utilisateurs de paradis fiscaux. Il pourrait être rentable de faire affaire dans ce domaine.
    Monsieur Deneault, vous avez dit qu'il y aura des réactions. Les paradis fiscaux se font sûrement concurrence, car un paradis fiscal est un commerce en soi. Il faut être un marché financier créatif. On pense à l'État du Delaware et à Halifax. Ces endroits ne sont pas situés très loin. Manifestement, ils ne se laisseront pas faire. Comme ils ont fait fonctionner un commerce très lucratif pendant beaucoup d'années, des phénomènes de défense et de contre-attaque sont présents. On le voit bien, le Canada signe des accords, mais ne les ratifie pas. Pardonnez-moi cette expression, mais il y a « du jeu dans la poulie ».
    Le Canada ne devient-il pas, pour ainsi dire, le paradis des utilisateurs de paradis fiscaux? La transaction qui a amené la Banque Scotia, dont le siège social est à Halifax, à acheter de BNP Paribas les filiales qu'elle avait à Panama, à Grand Caïman et aux Bahamas, n'est-elle pas l'illustration que le Canada est le paradis des utilisateurs de paradis fiscaux?
    Je ne pointerais pas le Canada en particulier. La plupart des pays qui se présentent aujourd'hui sur les tribunes internationales comme étant des adversaires des paradis fiscaux ont souvent une part de responsabilité en ce qui a trait à leur existence, du moins, leur existence historique.
     Étant donné que nous n'avons pas beaucoup de temps, la seule chose que j'aimerais souligner, d'un point de vue fondamental, est que si l'on se penche sur le problème des paradis fiscaux, il faut cesser de considérer qu'il y a une sorte de face-à-face pur entre de vaillants États de droit honnêtes et de méchants paradis fiscaux. Historiquement, les paradis fiscaux sont la création des États de droit.
    Les dépendances britanniques, les Îles Marshall qui sont une création des États-Unis, l'État du Delaware, la City de Londres et ainsi de suite ne doivent pas être considérés selon un mode dialectique où il y a les bons et les méchants. Si on pense qu'il faut lutter contre quelque chose d'étranger, on fait fausse route. Il faut commencer par voir quelle est la responsabilité du Canada par rapport à ce traité de double imposition vis-à-vis de La Barbade, qui est en fait un traité de double non-imposition, si on regarde les choses franchement.
(0925)
    C'est exact.
    Une question de responsabilité est en jeu.
    J'aimerais poser une question à Mme Alepin concernant la demande d'informations. Vous dites qu'il faut être des boîtes aux lettres. De ce côté-ci de la Chambre, nous nous souvenons tous du témoignage de Mme Bergevin, de l'Agence du revenu du Canada. Vous semblez nous proposer des solutions relativement faciles à mettre en place, mais elles ne le sont pas, à l'exception de la Loi sur les banques qui oblige les banques à charte à divulguer leurs opérations. Si c'est bon pour l'un, cela devrait être bon pour l'autre.
    Selon vous, qu'est-ce qui empêche le Canada de faire cela? N'est-ce pas simplement qu'il y a un manque de volonté politique?
    Non, ce n'est pas cela. Si j'étais première ministre du Canada, même avec toute ma bonne volonté, je ne pourrais probablement pas le faire, car il faut un consensus international pour en arriver à de telles pratiques relatives aux paradis fiscaux. On ne veut pas la divulgation des informations bancaires au Canada mais une telle divulgation dans les paradis fiscaux. Cela doit se négocier au sein de l'OCDE. La discussion doit avoir lieu sur le plan international.
    Le Canada peut attirer l'attention sur cette problématique et insister constamment sur l'importance d'améliorer les normes de transparence dans les paradis fiscaux. Je ne dirais pas que le gouvernement canadien manque de volonté politique. Sur ce point précis, je ne pointerais pas du doigt le gouvernement canadien.
    Vous renvoyez bien la balle à M. Owens, de l'OCDE.
    Vous dites qu'il y a 600 accords relatifs aux renseignements et que l'on en signe à bouche que veux-tu. Du même coup, il semble qu'un pays qui en a signé une douzaine se soustrait de cette espèce de liste de ce qui était auparavant les corporate bonds, ce qui est maintenant devenu les paradis fiscaux.
    D'une part, n'est-ce pas trop peu? D'autre part, il y a une espèce de système selon lequel si vous signez un accord de renseignements interpays, on donne la franchise d'impôt pour les utilisateurs de ces pays. Il me semble qu'aujourd'hui, grâce à tous les moyens de communication et tous les équipements de renseignements dont nous disposons, il est de plus en plus facile d'obtenir des renseignements. Ne trouvez-vous pas que l'analyse coûts-bénéfices...
    On signe un accord de renseignements pour faire en sorte que ces entreprises qui utilisent ces anciens paradis fiscaux ne soient pas imposées. J'ai l'impression que le prix à payer est beaucoup trop fort pour obtenir des renseignements après coup qui posent une certaine difficulté. En effet, le nom, l'adresse, le numéro de téléphone et le nom de la banque semblent être des renseignements un peu béotiens.
    Qu'en pensez-vous, monsieur Owens?

[Traduction]

    Je peux en parler. Je l'ai dit plus tôt, c'est un bon investissement. Pensez au Royaume-Uni. Il a investi 4 millions de livres pour rehausser la conformité extraterritoriale — et il s'attend à un rendement de 7 milliards de livres. Ce n'est pas mal du tout, comme rendement. Je pense que l'analyse des avantages par rapport aux coûts des accords d'échange d'informations se révèle très favorable à ces accords et à leur mise en oeuvre.
    La deuxième chose que j'ai à dire, c'est que puisque nous parlons de paradis fiscaux, cet après-midi, je pense qu'il faudrait préciser clairement ce que nous entendons par là. Pour moi et pour l'OCDE, un paradis fiscal, c'est un pays qui ne perçoit que très peu ou pas du tout d'impôt, qui garde le secret bancaire, qui manque de transparence et qui est mal réglementé. De tous ces critères, la clé, c'est le secret bancaire. On ne peut obtenir aucun renseignement du Panama; la Barbade ne révélera rien; rien n'a changé de ce côté.
    Je pense que ce que nous devons faire, maintenant, c'est aller plus loin que ces accords, en finir avec ces études, les achever et décider de ce que ces paradis fiscaux doivent faire de plus. Je l’ai dit, nous avons mené 18 examens. La Barbade n'a pas obtenu la note de passage; le Botswana non plus, ni le Panama. De ces 18 examens sont ressorties 64 recommandations de mesures d'amélioration. Peut-être les choses ne vont-elles pas aussi vite qu'on le souhaiterait, mais nous faisons néanmoins des progrès concrets.
    J'aurais une chose à ajouter. Je pense que quelqu'un, plus tôt, confondait certains concepts. Il y a une nuance entre évasion fiscale et recours aux incitatifs fiscaux des gouvernements. Si un pays veut offrir des incitatifs fiscaux — le Canada le fait, comme presque tous les autres pays de l'OCDE — c'est son droit souverain et nous n'avons rien contre cela. En revanche, si un pays tolère ou facilite l'évasion fiscale, c'est à mon avis inacceptable, et c'est ce contre quoi lutte l'OCDE.
(0930)
    D'accord. Bien.
     Merci.
    Nous laissons maintenant la parole à Mme Glover.
    Merci, monsieur le président. Permettez-moi de dire combien je suis heureuse d'assister à ma toute première réunion du Comité des finances. Je ne doute pas que ce sera intéressant, et je suis impatiente de participer avec les députés de l'opposition et, bien sûr, avec mes collègues, aux travaux du comité.

[Français]

    Premièrement, je veux vous remercier d'être venus témoigner aujourd'hui. Monsieur Deneault et madame Alepin, vous avez clairement indiqué qu'il s'agit vraiment d'un problème international. J'ai bien entendu vos propos et je suis entièrement d'accord.
    J'aimerais poser une question à M. Owens à ce sujet, car il est important de comprendre l'histoire des paradis fiscaux.

[Traduction]

    Monsieur Owens, j'aimerais bien que vous nous fassiez un petit historique des paradis fiscaux. Le comité a déjà entendu à quelques reprises que c'est un problème international, et que, naturellement, le Canada n'est qu'un des rouages mis en branle pour résoudre le problème.
    Vous avez parlé de quelques mesures qui, selon vous, sont positives — les accords, les examens — mais j'aimerais avoir une idée de leur échelonnement dans le temps. Quand le Canada s'est-il engagé dans la lutte contre ce problème, et quelles mesures importantes a-t-il prises jusqu'à maintenant qui ont porté fruit? J'aimerais avoir une idée des années auxquelles ces mesures ont été prises.
    Quand tout cela a-t-il commencé? Quand les retombées positives ont-elles commencé à apparaître? Quelles mesures ont porté fruit? Dites-nous tout cela en regard de la démarche internationale effectuée dans ce dossier.
    L'OCDE a lancé ce projet en 1998. À l'époque, je pense, notre stratégie pour résoudre le problème des paradis fiscaux était peut-être un peu trop simpliste. Elle était plutôt axée sur la dénonciation. Nous dénoncions un paradis fiscal répondant à la définition que je viens de donner, nous l'inscrivions sur une liste, et nous infligions des sanctions pour nous défendre.
    C'était une stratégie belliqueuse. En fait, nous avons été étonnés que les paradis fiscaux y répondent en disant « Avant de recourir aux sanctions, pourquoi ne pas dialoguer? Voyons s'il n'y a pas moyen de trouver un terrain d'entente, parce que si nous pouvons tous convenir des mêmes règles, elles seraient probablement plus efficaces que des sanctions ».
    C'est donc ce à quoi nous nous sommes attelés de 1998 à 2000, et nous avons établi une série de normes. En 2002, une entente était conclue entre les pays membres de l'OCDE et les paradis fiscaux, portant sur un accord-type d'échange de renseignements. Il n'a pas été facile d'obtenir la signature des îles Caïman, de la Barbade et de membres de l'OCDE comme la Suisse et le Luxembourg, mais nous y sommes parvenus, et c'est de cette entente que s'inspirent les 600 accords d'échange de renseignements qui existent dans le monde.
    Je pense que le point tournant a été en avril 2009, lors du sommet du G20 de Londres. C'est là que les dirigeants des pays membres du G20, dont le premier ministre du Canada, ont lancé très fermement un message au monde financier extraterritorial. « Finis les beaux jours pour vous. Nous ne tolérerons plus les paradis fiscaux. »
    J'ai moi-même été étonné qu'il nous ait fallu tellement de temps pour en arriver là. Je pense qu'il y a bien des raisons à cela, mais c'est à cette réunion tenue à Londres qu'a été diffusé un message politique limpide; ce n'était plus acceptable.
    C'est là que le changement s'est enclenché. Des pays comme la Suisse et le Luxembourg ont décidé de se joindre à nous et d'adhérer aux normes. Des pays comme le Panama et la Barbade se sont mis à parler d'en faire autant.
    Tout cela vient du fait qu'à l'époque de cette déclaration du G20, l'OCDE a diffusé sa liste — nous ne l'appelons pas une liste, mais c'est néanmoins ce que c'est — qui, en gros, divisait les pays en trois catégories. Il y avait les pays qui avaient souscrit aux normes et signé ces 12 accords, et qui appliquaient partiellement les normes. On l'appelle la liste blanche. Je ne suis pas tellement d'accord, parce qu'il ne suffit pas de signer 12 accords pour pouvoir prétendre qu'on a fait tout ce qui doit être fait. En deuxième lieu, il y avait les pays qui avaient souscrit aux normes, mais ne les appliquaient pas encore vraiment. La troisième catégorie était celle des pays qui n'avaient pas souscrit aux normes ou qui n'en appliquaient aucune.
    Comme cette liste s'inscrivait dans une stratégie de dénonciation, elle a été très efficace. C'est là que certains pays ont commencé à faire des progrès. Entre avril 2009 et le sommet du G20 à Toronto, et depuis le sommet du G20 à Séoul, le nombre de ces accords s'est multiplié.
    Maintenant, nous voudrons assurer leur application concrète. Quelqu'un a dit tout à l'heure, je pense, qu'il faut avoir en main le nom et l'adresse de la personne ainsi que le nom de la banque avant de pouvoir demander des renseignements. C'est faux. Il suffit de fournir suffisamment de renseignements pour permettre aux pays visés d'obtenir les renseignements des banques. Un numéro de compte bancaire électronique, par exemple, suffit.
    Voilà donc pour l'échelonnement de ce projet. Il se poursuivra, parce que tant qu'il y aura des impôts, il y aura des gens qui chercheront à s'y soustraire. Et tant qu'il y aura des gens qui voudront s'y soustraire, il y aura des normes extraterritoriales pour leur faciliter la tâche.
(0935)
    Très bien.
    Il ne me reste que deux ou trois minutes, mais je suis très heureuse que vous ayez parlé du Sommet du G20 qui s'est déroulé à Toronto.
    Je me souviens d'un article de journal où on rapportait que, selon vous, le ministre des Finances, M. Flaherty, faisait preuve de leadership, car il demandait aux membres du G20 de sévir contre les paradis fiscaux et d'imposer de nouvelles sanctions.
    Êtes-vous toujours du même avis, aujourd'hui?
    Oui.
    Le communiqué du G20 était très clair. Il y était mentionné que nous voulions des progrès et que, s'il n'y en avait pas, des sanctions seraient imposées.
    Très bien, merci.
    Vous avez parlé de cinq recommandations, qui sont pertinentes.
    Je veux discuter de la cinquième recommandation. Vous avez parlé d'application de la loi. Je souhaite simplement comprendre de quoi il était question, car je prenais des notes. Pourriez-vous répéter brièvement ce que vous avez dit?
    Oui, je crois que c'est à propos de la collaboration dans la lutte contre le blanchiment d'argent, la corruption, le financement du terrorisme et l'évasion fiscale. En fin de compte, ceux qui mènent de telles activités illicites profitent du manque de collaboration et de transparence.
    Les responsables des gouvernements doivent se demander si nous pouvons améliorer la coopération entre les autorités fiscales et les autres services d'application de la loi. Par exemple, si les autorités fiscales découvrent un cas de blanchiment d'argent, elles peuvent fournir les informations aux services de renseignement financier pour faire progresser l'enquête, ou si les services de renseignement financier constatent une fraude fiscale, ils peuvent en informer les autorités compétentes. C'est une approche qui met à profit toutes les ressources du gouvernement.
    Merci.
    Passons à M. Mulcair.

[Français]

    Merci, monsieur le président. À mon tour, il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Deneault, Mme Alepin et M. Owens.

[Traduction]

    Monsieur Owens, je vais vous poser une question brève.
    Le Réseau mondial pour la justice fiscale estime que les sommes retenues dans les paradis fiscaux sont bien plus élevées qu'on ne le croit à l'OCDE. Avez-vous étudié la différence entre les deux estimations? Quelle est l'évaluation actuelle de l'OCDE?
    Il est assez difficile d'étudier les chiffres avancés par le Réseau mondial pour la justice fiscale, car ils semblent augmenter de 50 milliards de dollars chaque mois. Au départ, on a parlé de 50 milliards de dollars, puis on a parlé de 250 milliards, et maintenant, on dit que ce serait environ 600 milliards. L'estimation augmente de façon continue.
    Nous avons choisi de ne pas émettre de telles estimations, car il faut admettre que nous ne connaissons pas la façon de procéder ni les données pour bien estimer l'argent détourné dans les paradis fiscaux.
    Ce dont nous sommes convaincus, c'est que le problème est important et croissant. Nous pouvons le dire, car les faits le prouvent. Par exemple, l'Irlande — un petit pays où les citoyens sont beaucoup imposés — a récupéré, l'an dernier, un milliard d'euros détourné par des Irlandais dans les paradis fiscaux des îles Anglo-Normandes. C'est énorme, car cela représente 26 p. 100 de tous les revenus reportés.
    Oui.
    Je ne pense pas qu'on puisse connaître les montants exacts, mais on peut dire sans se tromper que le problème est important et croissant, et que nous devons nous en occuper.
    C'est justement pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, et vous nous aidez beaucoup.
    Merci.
(0940)

[Français]

    Mme Alepin, je vais revenir sur l'une de vos remarques précédentes parce que cela m'a interpellé. Vous avez dit qu'une des meilleures manières serait d'obliger tout le monde, même si les gens ne sont pas en train d'avoir des revenus dans un autre pays, de dire si de l'argent est placé dans un paradis fiscal. Toutefois, si on veut éviter le débat sur la définition ou non d'un paradis fiscal, il me semble que ce serait archi simple de demander à chaque citoyen de dévoiler dans son rapport d'impôt s'il a ou non un compte de banque ailleurs, que ce soit personnellement ou par personne physique ou morale interposée.
    Je ne vais pas commencer à débattre, pour revenir à M. Owens qui parlait du Delaware, si tel endroit l'est ou ne l'est pas.
    Si vous avez un compte en banque aux États-Unis ou en France, cela peut être parfaitement légitime mais on veut au moins le savoir. Est-ce qu'il y aurait une objection fondamentale à cette mesure dont on devrait être au courant?
    Oui.
    Laquelle?
    C'est qu'en pratique, les contribuables ne vont pas donner l'information. D'ailleurs, il y a une question similaire qui existe déjà dans la déclaration de revenus fédérale. On vous demande si vous détenez des biens ayant une valeur de plus de 100 000 $ à l'extérieur du Canada. En pratique, les gens qui vont dans les paradis fiscaux pour éviter l'impôt canadien ne vont tout simplement pas répondre à cette question. C'est très facile de simplement ne pas y répondre et les autorités fiscales canadiennes n'ont pas les moyens de vérifier cela.
    On a fait aussi cette constatation quand ces gens sont venus ici. Vous avez fait référence à leur présentation du mois de décembre.
    Oui.
     Il se dégageait la nette impression que c'était un peu bon enfant comme approche, voire presque naïf, j'oserais dire.
    Pour ma part, je cherche des solutions pratiques. Nous sommes des législateurs et nous sommes aux prises avec un problème qui se définit à l'échelle planétaire. Avec l'avancée évidente des technologies de l'information, l'équivalent du produit intérieur brut de la planète circule tous les quatre jours.
    Probablement que le problème fondamental que posent ces paradis fiscaux aux régimes d'imposition, c'est que nos régimes d'imposition au Canada vont avoir 100 ans en 2017. Ils ont été élaborés à une époque où les paradis fiscaux, l'Internet et le commerce électronique n'existaient pas.
    Ils sont donc fondés sur des principes d'imposition qui nécessitent une présence physique.
    Tout s'affaisse.
    Toute la question de la résidence fiscale est basée en quelque sorte sur des principes qui ne sont pas réellement ceux du XXIe siècle. Il faut qu'on se dise, vous et moi, que le Canada à lui seul ne peut pas renverser ça. Il faut une réflexion qui, tout doucement, doit commencer à se faire au niveau international.
    Vous dites « tout doucement », mais quand on est en train de perdre des centaines de milliards de dollars et qu'il y a des milliers de milliards de dollars planqués ailleurs, le « tout doucement » veut dire qu'avec les 6 000 milliards de dollars qu'on a imprimés depuis le début de la crise économique, une fois que cela aura acquis un peu de vélocité et reviendra, vous et moi allons être aux prises avec un problème d'inflation.
    Oui.
     Par contre, le même montant n'est pas productif. Ici, le paradoxe est que les gens ayant fait cet argent profitent de ces structures: une société de droit — pour reprendre justement le terme de M. Deneault —, des tribunaux honnêtes, un système d'administration publique honnête. Or tout ça coûte cher. Maintenant qu'ils ont fait de l'argent grâce à ce système et cette société de droit, ils ne veulent pas payer leur part. Voilà où réside l'injustice fondamentale.
    Pire encore — si je peux me permettre de vous le dire —, ce sont les contribuables de la classe moyenne qui doivent compenser le manque à gagner.
    Mais oui, tout à fait.
    De plus, dans les pays industrialisés, à l'échelle internationale, on observe de plus en plus une insatisfaction et une montée de la pression fiscale au sein de la classe moyenne.
    J'ai une petite question pour vous, monsieur Deneault.
    Vous connaissez bien le cas de la banque UBS? Êtes-vous au courant de la façon dont elle recrutait des clients aux États-Unis? Pour ce faire, elle avait recours à des gens bien connus et de haut niveau. Est-ce qu'on observe une tendance similaire au Canada? Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur cette question?
    Je vous avoue humblement que cela ne fait pas partie de mon champ de spécialisation.
    D'accord.
    Je me penche plutôt sur des enjeux de pensée politique relatifs aux États, aux juridictions et ainsi de suite.
    Bien. Je vais justement aborder des questions dans ce sens. Vous avez mentionné en passant l'accord de libre-échange avec le Panama et la Colombie.
    Oui.
    Pour notre part, nous avons mené une lutte de tous les instants contre la conclusion d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie. Ça me fait plaisir de vous donner l'occasion de nous faire part de plus amples informations sur les problèmes que vous avez simplement mentionnés plus tôt, faute de temps.
    En fait, le signal qu'on donne à la communauté internationale sur le plan politique pose problème. Si le Canada prétend lutter contre les paradis fiscaux mais signe un accord de libre-échange avec un pays qui est notoirement connu comme étant une plaque tournante, un lieu où les fonds du narcotrafic sont blanchis, il y a en effet un problème. J'ai cité des données de criminologues à ce sujet dans le cadre des travaux du Comité permanent du commerce international. C'est aussi un problème de responsabilité, de crédibilité. En effet, si d'une part on encourage et reconnaît des États qui permettent le blanchiment de fonds issus du narcotrafic, mais qu'on prétend d'autre part lutter contre les paradis fiscaux en participant notamment à des comités de révision par les pairs, il y a là un problème de crédibilité. C'est un facteur très important.
    Je reviens sur un point qu'il faudra un jour soulever, à savoir qu'à la Banque mondiale, une instance qui n'est tout de même pas banale, le Canada partage son siège avec un collectif de paradis fiscaux des Caraïbes. Ce collectif est souvent visé par des criminologues de haut vol qui le considèrent lié de près ou de loin au narcotrafic. Le Canada a des questions à se poser, en termes de conscience, s'il veut être crédible, s'il veut pouvoir dire éventuellement qu'il participe à un mécanisme de révision par les pairs et que sa présence rend ce processus crédible. Présentement, ce n'est pas le cas.
(0945)

[Traduction]

    Merci.
    Passons à M. Brison.
    Puis-je ajouter un bref commentaire?
    D'accord, mais veuillez être très bref, monsieur Owens. Je veux permettre aux députés de poser le plus de questions possible.
    On a demandé s'il était possible d'obliger les contribuables à dévoiler dans leur déclaration de revenus s'ils ont des comptes à l'étranger. Oui, c'est possible; bien des pays le font et peuvent imposer des sanctions.
    Merci.
    Passons à M. Brison, pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie beaucoup tous les témoins d'être ici et de nous informer sur l'importante question qui nous occupe.
    Madame Alepin, vous avez dit tout à l'heure que les responsables du gouvernement de Stephen Harper semblaient ambivalents en ce qui concerne les paradis fiscaux. J'aimerais en savoir davantage à ce sujet. Dans le passé, vous avez également écrit qu'il était possible d'en faire plus.
    Selon vous, pourquoi le premier ministre Harper est-il ambivalent à propos des paradis fiscaux? Alors que le déficit du Canada atteint 56 milliards de dollars, je m'attendrais à ce que le premier ministre et le gouvernement recensent tous les revenus possibles pour prélever l'impôt. Avez-vous une idée de ce qui rend le premier ministre ambivalent?

[Français]

    Il faudrait le demander au premier ministre.
    Dans les faits, comme je le disais dans mon témoignage, la position du gouvernement fédéral face aux paradis fiscaux semble ambivalente. D'une part, il explique fréquemment qu'il veut prendre action face aux paradis fiscaux. D'autre part, j'ai témoigné avant Noël devant une commission sur le commerce international où on négociait la signature d'une convention fiscale avec le Panama. Lorsqu'on signe des conventions fiscales avec des paradis fiscaux, on permet que des revenus qui devraient être imposés au Canada par le gouvernement canadien ne soient aucunement imposés. On leur permet de transiter dans les paradis fiscaux où il n'y a pas d'impôts et on leur permet de revenir en sol canadien sans imposition.
    Si on veut faire quelque chose ici à l'échelle du pays, c'est vrai qu'il y a beaucoup d'interventions à faire au niveau des paradis fiscaux et elles doivent se faire aussi au niveau international. Cependant, il y a quand même des choses qui peuvent se faire sur le plan intérieur, comme le fait de limiter les conventions fiscales. Je ne parle pas des conventions d'échange d'informations expliquées précédemment par M. Owens. Je parle des conventions fiscales. Il faut limiter le fait que le Canada signe des conventions fiscales avec des paradis fiscaux. Il faut effectivement augmenter les processus de vérification et investir plus d'argent dans les processus de vérification de toutes les transactions qui se font dans les paradis fiscaux. Il faut également selon moi songer à être plus imaginatif au niveau des informateurs. Il faut oser au chapitre des méthodes d'information. Je pense que la tendance qu'on a vue naître où on a des informateurs de masse est quelque chose à quoi l'Agence du revenu du Canada peut réfléchir. 
(0950)

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Deneault, vous avez parlé d'Halifax. J'aimerais obtenir des précisions sur Halifax et les Entreprises Nouvelle-Écosse inc., l'organisme d'État qui fait la promotion des affaires. Vous avez laissé entendre que les Entreprises Nouvelle-Écosse inc. sont impliquées dans des transactions concernant les paradis fiscaux et, peut-être, le détournement de fonds vers l'étranger. Ce sont des allégations graves et je souhaite que vous donniez des exemples précis.

[Français]

    On constate que par des effets d'annonces et dans la documentation officielle et ainsi de suite, il y a des incitations fiscales très importantes à Halifax qui amènent notamment des sociétés présentes aux Bermudes à embaucher à Halifax même des comptables qu'on ne trouve plus nécessairement dans les Bermudes. On se retrouve donc dans un mouvement inverse. Ce ne sont plus des sociétés qui quittent les États de droit pour s'enregistrer dans les paradis fiscaux, ce sont des sociétés qui, une fois dans les paradis fiscaux et cherchant de la main-d'oeuvre, vont à Halifax pour bénéficier d'avantages qui sont évidemment pensés pour les attirer de façon à avoir là une main-d'oeuvre en comptabilité qui permet, dans le domaine des assurances...

[Traduction]

    Vous pouvez poser une dernière question brève.
    Mais vous ne prétendez pas qu'on mène des activités illégales. Je suis certain que les responsables des Entreprises Nouvelle-Écosse inc. ne feraient pas d'annonces publiques de ce genre, car ce serait imprudent.
    Vous n'affirmez pas qu'on effectue des activités illégales, et l'évitement fiscal est différent de l'évasion fiscale. Prétendez-vous qu'il est question d'évasion fiscale?

[Français]

    Je pense effectivement que les acteurs de cette aire d'activité sont assez habiles pour ne pas donner dans l'illégalité. Ce qui me pose problème, ce sont deux choses. D'une part, c'est que l'activité qui se fait à Halifax plonge ses racines dans les Bermudes, là où il est très difficile de savoir si ce qui s'y passe est légal ou non. On sait que les méthodes de blanchiment d'argent aujourd'hui sont tellement sophistiquées qu'on n'arrive pas à distinguer ce qui est de l'ordre de l'illicite de ce qui ne l'est pas. Par exemple, le juge Jean de Maillard, entre autres choses, en parle très bien. D'autre part, aujourd'hui, on ne réglera pas le problème si on se met à distinguer ce qui est de l'ordre de l'évasion ou de l'évitement fiscal, c'est-à-dire de l'ordre de ce qui est légal ou illégal, tout simplement parce que c'est le législateur qui décide de ce qui est légal ou illégal. Donc, si on se met à légaliser des méfaits, on n'avancera pas sur cette question.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    L'hon. Scott Brison: Monsieur le président, d'autres commentaires...
    Le président: Je suis désolé, monsieur Brison. Les libéraux pourront poser au moins deux autres séries de questions.

[Français]

    Monsieur Carrier, vous avez la parole.
    Bonjour, mesdames et messieurs.
    Les renseignements bien utiles que vous nous fournissez démontrent qu'il s'agit d'un problème un peu décourageant. Madame Alepin, vous disiez tout à l'heure que, malgré toutes vos connaissances en ce domaine, même si vous étiez première ministre du pays, vous ne pourriez pas éliminer les paradis fiscaux ou l'évasion fiscale. Cela semble être un aveu d'impuissance. J'espère que ça ne se limite pas à cela. Si c'est réellement le cas, on est aussi bien de se mettre la tête dans le sable et de laisser faire les choses.
    J'aimerais vous poser une question, mais n'hésitez pas à me donner une lueur d'espoir quant à l'amélioration des choses. Prenons l'exemple de nos cinq plus grandes banques canadiennes qui comptent 79 filiales installées dans des paradis fiscaux. Comme ces pays sont qualifiés de paradis fiscaux, c'est donc dire qu'on permet à nos banques à charte canadiennes d'installer leurs filiales dans ces paradis fiscaux. De leur aveu même, elles ont fait épargner 1,3 milliard d'impôts à leurs clients en s'installant dans ces paradis fiscaux. C'est tout à fait incohérent. Les actions ne suivent pas les paroles. On veut éliminer l'évasion fiscale, mais on permet à nos institutions financières de mettre en marche tout ce système.
     J'aimerais que vous expliquiez pourquoi notre gouvernement permet aux banques à charte d'agir ainsi, comme il s'agit d'informations officielles.
(0955)
    Dans toute la réflexion entourant les paradis fiscaux, il ne faut jamais oublier un élément fondamental. Comme M. Owens l'a dit, il faut composer avec la mondialisation, qui est là pour de bon. Il est impossible de faire marche arrière. Depuis qu'on est mondialisé, lorsqu'on veut agir en matière de paradis fiscaux ou de taux d'imposition, on évoque toujours cet argument de taille selon lequel nos grandes sociétés doivent rester concurrentes internationalement.
    C'est pourquoi j'ai dit que même si j'étais première ministre du Canada, je ne pourrais pas à moi seule affronter le problème des paradis fiscaux et le régler, puisque ce doit être une démarche internationale. Probablement que je travaillerais très fort dans une démarche internationale. Or, il faut que ce soit une démarche internationale, puisque nos multinationales canadiennes doivent profiter d'un régime d'imposition qui va rester concurrentiel à l'échelle internationale.
    C'est toujours ce qui doit chapeauter notre réflexion. Malheureusement ou heureusement, chacun des États perd de son autonomie au chapitre fiscal, vis-à-vis de certaines politiques fiscales, depuis le début de la mondialisation. C'est la réalité avec laquelle on doit composer.
    Toutefois, j'aimerais revenir sur les propos de tout à l'heure. Si le Canada veut réellement agir, vous avez suggéré une bonne idée, monsieur Carrier. Il est vrai qu'on pourrait exiger des banques qu'elles limitent l'accessibilité aux comptes bancaires dans leurs succursales situées dans des paradis fiscaux. L'idée de dire au gouvernement canadien d'arrêter de signer des conventions fiscales avec des paradis fiscaux viendrait probablement en tête de la liste des idées que je privilégie personnellement.
    Justement, en ce qui concerne les ententes avec d'autres pays, bien souvent on soulève l'argument soit-disant positif selon lequel ces ententes pourraient inclure l'échange de renseignements fiscaux. L'échange de tels renseignements pourrait-il parvenir à éviter ou, à tout le moins, soulager ou limiter l'évasion fiscale?
    Tout à fait. Il s'agit tout d'abord d'établir une plateforme de discussion internationale et de s'entendre internationalement sur une façon d'agir, qu'il s'agisse de taux d'imposition minimaux, d'échange d'informations ou de réglementation mondiale. Depuis qu'on est mondialisé, l'impôt des multinationales doit se discuter à l'échelle mondiale. Dès lors qu'il est question d'un échange d'informations, que tous les pays s'entendent et qu'on applique cela progressivement, tous ensemble, c'est une idée géniale.
    C'est effectivement une très bonne idée, mais elle doit être accompagnée d'une collaboration de chacun des pays à l'intérieur même de l'État. À l'échelle interne, les pays ne doivent pas agir à l'encontre de cela et doivent affecter les ressources nécessaires à l'application de cette norme d'échange d'informations.
    Merci.

[Traduction]

    Passons à Mme McLeod, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis également très heureuse de faire partie du même comité que vous.
    Je veux revenir sur les propos de M. Owens, qui a dit que les pertes fiscales étaient importantes et que nous devions nous occuper de la question.
    Vous semblez ne pas chercher à établir une estimation. Pourriez-vous parler un peu des difficultés que pose l'estimation des pertes fiscales?
    L'évaluation des pertes fiscales présente des difficultés théoriques et pratiques. Je dirais tout d'abord que, même si on pouvait mesurer les pertes, il ne faudrait pas chercher à récupérer tout l'impôt en souffrance. Sinon, de nombreux électeurs se plaindraient de l'excès de zèle des responsables de l'Agence du revenu du Canada. Si les pertes sont de 100 milliards de dollars, il ne faudrait pas croire qu'elles sont faciles à recouvrer.
    De plus, si on pouvait mesurer avec précision les sommes qui échappent à l'impôt, il serait sans doute très facile de les imposer.
    Je pense que la meilleure chose à faire, c'est de suivre les progrès de l'ARC. Fait-on des progrès pour ce qui est du non-respect des règles à l'étranger? Il convient de se demander si les outils de gestion du risque permettent de connaître les secteurs et les contribuables qui sont les plus susceptibles de verser dans l'évasion fiscale. Voilà comment on peut savoir si des progrès sont accomplis en ce qui a trait aux pertes fiscales.
    Les gouvernements de certains pays ont essayé de mesurer ces pertes. Le meilleur exemple est sans doute le gouvernement du Royaume-Uni, qui s'est intéressé aux pertes fiscales relatives à la taxe sur la valeur ajoutée. Je pense qu'on a constaté que les chiffres exacts sont bien moins importants que la comparaison des pertes annuelles, qui permet de savoir si le travail est efficace et si on fait des progrès.
    À mon avis, il faut simplement être très prudent. On ne doit pas croire que la lutte contre les pertes fiscales est la solution miracle.
(1000)
    Merci.
    Je présume qu'il faudrait aussi des ressources assez considérables qui pourraient également être davantage concentrées sur le processus en tant que tel.
    Je ne fais pas partie du comité depuis très longtemps. J'ai cru comprendre que certains pays n'ont pas signé le moindre accord. Aussi, un certain nombre de pays ne passent pas à la phase 2, comme vous l'avez mentionné, et il y en a d'autres qui font très bonne figure sur le plan des mesures qu'ils appliquent et de la voie qu'ils suivent. Pouvez-vous m'expliquer simplement quelles sont les répercussions, quelles mesures nous envisageons de prendre à l'égard des pays qui n'ont pas signé d'accord et ce qu'il en est des pays avec lesquels nous avons conclu un accord, mais qui ne s'y conforment pas très bien? Pouvez-vous nous parler un peu de tout cela?
    Nous avons préparé un document d'information à l'intention du comité qui décrit, en ce qui a trait à la signature d'accords, où en sont les 96 pays qui ont participé au forum mondial. Depuis avril 2009, la grande majorité de ces 96 pays sont entrés dans la catégorie des pays qui ont signé plus de 12 accords.
    Lorsque nous avons établi ce seuil de 12 accords, nous considérions cela comme très ambitieux. Nous avons été très étonnés de constater que les pays l'ont vite atteint, mais il ne faut pas penser que ce nombre constitue l'objectif ultime. Même si un pays a conclu 12 accords, il se doit d'accepter toute demande de signature d'un accord provenant d'autres pays. Il ne faut pas percevoir ce seuil comme un plafond, mais plutôt comme un plancher, qui constitue la base.
    Actuellement, un très grand nombre de centres financiers territoriaux et extraterritoriaux ont signé des accords. Ce sont tous de bons accords, car nous vérifions qu'ils respectent les normes de l'OCDE. Nous avons effectué jusqu'à maintenant 18 examens, qui nous ont permis de constater que 12 pays sont dotés du cadre nécessaire à un échange de renseignements efficace, mais que pour 6 pays ce n'est pas le cas. Il s'agit principalement de pays qui ne disposent pas d'accords internationaux adéquats — des accords en matière d'échange de renseignements fiscaux ou de double imposition — ou bien de pays qui ne bénéficient pas de l'accès nécessaire aux renseignements. Nous avons déterminé les changements que ces 6 pays doivent apporter et nous allons vérifier s'ils procèdent à ces changements au cours de la prochaine année.
    Il vous reste 30 secondes.
    Vous avez dit qu'on passait d'accords bilatéraux à des accords multilatéraux. A-t-on bien progressé à cet égard?
    Oui, tout à fait. Ce n'est jamais facile de passer d'un accord bilatéral à un accord multilatéral, mais au bout du compte, si nous voulons nous attaquer à des contribuables partout dans le monde, qu'il s'agisse de particuliers ou de multinationales, il vaut mieux disposer de conventions multilatérales. Ces conventions ont toujours été conclues entre des pays de l'OCDE, mais nous voulons maintenant inclure d'autres pays du G20 qui ne sont pas membres de l'OCDE ainsi que des pays en développement.
    Ce ne sera pas facile et cela prendra du temps. Il faut aussi penser aux questions liées à la confidentialité. Par exemple, le Canada ne donnera aucun renseignement à un pays s'il n'est pas certain que ce pays est en mesure de garder les renseignements confidentiels. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que l'avenir repose en grande partie sur l'établissement d'accords multilatéraux avec le plus grand nombre de pays possible.
    Merci.
    La parole est à M. Pacetti.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui. Il s'agit de sujets intéressants. J'ai quelques questions à poser, mais je devrai peut-être m'en tenir à une seule.
    Ce n'est pas que je sois perplexe, mais j'essaie encore de comprendre quelle est la véritable raison pour laquelle on veut faire affaire avec une banque à l'étranger, surtout dans le cas des citoyens canadiens. Je crois comprendre qu'il y a un aspect criminel et un aspect légitime et que l'un des deux est lié à une raison valable.
    Je ne pense pas comprendre quelle est cette raison valable. Où se trouve la limite? Dans quels cas peut-on faire affaire avec une banque à l'étranger ou un paradis fiscal? Ma question s'adresse aux trois témoins.
(1005)

[Français]

    Je crois que vous l'avez soulevé, madame Alepin, ou que vous y avez répondu un peu en disant que c'est un problème global et que les compagnies à l'étranger doivent avoir une place pour transiger ou avoir une entente. Si on va vers une entente globale, y aura-t-il encore de la place éventuellement pour des paradis fiscaux?
    Selon moi, si les pays industrialisés ou l'ensemble des pays s'entendent de façon multilatérale sur une approche face aux paradis fiscaux, je pense que de façon quasi instantanée cela peut éliminer le problème de la concurrence déloyale causée par les paradis fiscaux. Le problème est qu'en ce moment, on est à la croisée des chemins.
    On est où?
    On est à la croisée des chemins. C'est que chacun des pays a perdu son autonomie au niveau fiscal en regard de l'imposition des multinationales. D'autre part, les pays ne sont pas prêts à laisser tomber l'autonomie financière que pourrait leur imposer une discussion globale par rapport à l'imposition des paradis fiscaux. Ainsi, nous sommes comme dans une impasse où on sait qu'il faut agir au niveau international, mais on n'est pas encore tout à fait prêt. Ce que fait l'OCDE est très bien. On échange de l'information et c'est un bon début. À mon avis, c'est sujet à amélioration et, pour les raisons que j'ai mentionnées un peu plus tôt, il faut apporter des améliorations au système. En somme, c'est une première initiative où les pays s'entendent pour faire face à ce problème mondial.
    Merci.

[Traduction]

    Monsieur Owens, avez-vous des commentaires?
    Je pourrais répondre parce que j'ai parlé beaucoup du travail que nous effectuons sur le plan de l'échange de renseignements. En fait, nos activités sont très axées sur l'amélioration de l'observation des lois fiscales. Nous étudions comment les pays peuvent mener des vérifications conjointes, comment ils peuvent se doter de systèmes efficaces de gestion des risques, comment ils peuvent faire face aux problèmes...
    Pardonnez-moi, monsieur Owens, mais je comprends bien les aspects liés au respect des lois fiscales. Je vous demande si on peut justifier l'existence de paradis fiscaux.
    Ma réponse est oui.
    Est-ce que des multinationales légitimes doivent faire affaire avec des paradis fiscaux?
    Quand ils servent d'abris fiscaux, on ne peut pas justifier l'existence des paradis fiscaux. Par contre, leur existence se justifie en ce sens qu'ils constituent un territoire neutre où des multinationales peuvent mener des activités.
    Autrement dit, si une multinationale utilise un paradis fiscal aux fins d'évasion fiscale, c'est inacceptable.
    Mais pour quelle autre raison utiliserait-elle un paradis fiscal?
    Parfois, c'est pour bénéficier d'un cadre réglementaire et financier qui facilite les transactions. Prenons les compagnies d'assurance captives. Pourquoi des compagnies d'assurance captives américaines vont-elles à l'étranger? C'est parce qu'elles ne peuvent pas mener leurs activités aux États-Unis.
    Les multinationales ont donc des raisons valables d'utiliser des paradis fiscaux. Il en va de même pour les particuliers. Si vous habitez dans un pays d'Amérique latine où vous craignez d'être enlevé ou bien un pays où la situation politique est très instable, vous allez peut-être vouloir placer votre argent à l'étranger.
    Merci.
    Le président: Il vous reste 30 secondes.
    M. Massimo Pacetti: D'accord.
    J'ai une brève question à vous poser, monsieur Owens. Vous avez dit que les investissements effectués au chapitre du recouvrement de l'impôt donnent rapidement des résultats. Y a-t-il des bénéfices à long terme ou sont-ils momentanés? Est-ce qu'on augmente le nombre de percepteurs pour recouvrer une somme importante et puis c'est tout, ou...? Avez-vous des statistiques à ce sujet?
    Nous n'avons pas de statistiques là-dessus, mais je peux vous dire qu'une fois qu'on a ramené de l'argent dans le filet fiscal, cet argent peut très difficilement être sorti du pays à nouveau. Comme on saurait ce que possède un résident canadien dans un pays comme la Suisse, il ne pourrait pas facilement déclarer l'année suivante que cet argent-là n'existe pas. Je pense qu'il y a des bénéfices à court terme et à long terme.
(1010)
    Ne serait-il pas plus simple d'exiger une amende de 10 ou 15 p. 100 aux personnes qui ont mis de l'argent dans des comptes bancaires à l'étranger. C'est ce qu'ont fait certains pays d'Europe au lieu d'engager un grand nombre de percepteurs des impôts.
    Je ne crois pas qu'il y ait un choix. Il faut améliorer le respect des lois fiscales et les vérifications en plus de mettre en place des programmes de divulgation qui encouragent les gens à déclarer ce qui doit l'être.
    Personnellement, je n'aime pas les amnisties. Les programmes de divulgation volontaire ne constituent pas des amnisties parce que les contribuables paient leurs impôts et les intérêts. Il peut y avoir une certaine souplesse, mais il faut que ces programmes soient bien ciblés et qu'ils prévoient un délai, de façon à encourager les gens à déclarer les sommes qu'ils détiennent à l'étranger.
    Merci.
    Merci, monsieur le président.
    Merci.
    La parole est maintenant à Mme Block.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui et je remercie M. Owens de participer à la séance.
    J'ai bien aimé vos exposés. Ce qui m'apparaît très clair, c'est qu'il s'agit d'une question très complexe.
    Monsieur Owens, vous avez mentionné dans votre exposé un certain nombre de facteurs qui font en sorte qu'on doit s'attaquer à cette question. Vous avez souligné qu'il ne faut plus tolérer le non-respect des lois fiscales. Vous avez ajouté qu'il est bien d'établir des accords, mais encore faut-il prendre des mesures concrètes.
    Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « mesures concrètes » ou nous dire quelles devraient être selon vous certaines de ces mesures?
    Je le répète, il ne s'agit pas uniquement d'obtenir davantage de recettes, même si, naturellement, c'est important. Il est également essentiel que les honnêtes contribuables sachent que le fardeau fiscal est équitablement réparti. Il faut aussi que les entreprises licites ne souffrent pas d'un désavantage concurrentiel parce que des entreprises illicites ont recours à des paradis fiscaux.
    Qu'est-ce que j'entends par mesures concrètes? Essentiellement, il importe que ces ententes soient mises en oeuvre. Comme les autres pays, le Canada doit pouvoir demander aux paradis fiscaux signataires d'une entente de l'aider à faire respecter les lois et de lui fournir les données dont il a besoin pour s'assurer que les Canadiens habitant dans ces pays — le Panama et les Bermudes notamment — ne fraudent pas le fisc canadien. Ce sont les mesures qui sont prises actuellement.
    Merci.
    Je voudrais maintenant poser des questions sur les institutions financières. Les accords d'échange de renseignements à des fins fiscales favorisent-ils la transparence fiscale, la levée du voile sur le secret bancaire dans les paradis fiscaux et la diminution du nombre de centres financiers extraterritoriaux?
    Écoutez, nous avons en fait deux normes. La première traite de transparence, de sorte que sont interdits le secret bancaire et les actions au porteur. Il faut être en mesure de vérifier les ententes sur la propriété effective des actions. Autrement dit, il faut un système transparent et il faut ensuite favoriser l'échange de renseignements et partant conclure des accords.
    Je pense que, dans une certaine mesure, les pays appliquent ces normes qui ont été intégrées à 600 accords. Il suffit désormais de nous assurer de l'efficacité et de la cohérence de cette application.
    Merci.
    Il me reste une dernière question. Dans votre diaporama, il est question du projet TRACE. Pourriez-vous me donner des détails à cet égard?
    Certainement. En fait, c'est une question que je n'ai pas abordée à cause de sa complexité: Il s'agit essentiellement de trouver les moyens d'imposer les revenus tirés des instruments d'investissement collectif.
    Les gouvernements doivent parvenir à un juste milieu. D'une part, il faut que les impôts ne freinent pas l'efficacité des marchés financiers, particulièrement les marchés financiers nationaux. D'autre part, il faut s'assurer que ceux qui ont recours à ces marchés paient leur juste part d'impôts. Le projet TRACE vise à réaliser ces deux objectifs.
    Merci.
    Madame Block, il vous reste une minute et demie. Souhaitez-vous l'utiliser?
    Monsieur Hiebert...?
    C'est à vous, monsieur Hiebert. Soyez bref cependant.
    Monsieur Owens, vous parlez des examens par les pairs à la page 7 de votre diaporama. Dix-huit examens ont été acceptés. Les divers pays y sont énumérés. Certains ne sont pas passés à la phase 2. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent ces examens? Quelles sont les conséquences lorsqu'on ne passe pas à la phase 2?
    Certainement. Ce processus d'examen porte sur les 96 pays faisant partie du forum. Ces examens sont toujours effectués par deux évaluateurs venant de deux pays et par un membre du secrétariat de l'OCDE. C'est très impartial. Les règles sont les mêmes, que vous soyez un grand ou un petit pays, un centre financier extraterritorial ou national.
    Il s'agit de collecter les renseignements sur un pays donné, de les traiter et de les présenter à ce que nous appelons notre groupe d'examen par les pairs. Si le groupe estime que le pays a satisfait aux exigences, on passe à la phrase suivante. Autrement dit, on passe de la phase 1, qui porte sur le cadre légal du pays, à la phase 2, sur la présence éventuelle d'obstacles à cet échange de renseignements.
    À la suite de chaque examen, on recommande des modifications. Dans le cas de 12 pays, nous avons estimé que ces recommandations étaient négligeables et qu'on pouvait passer à la phase 2. Cependant, nous avons décidé que, pour six pays, les recommandations étaient si importantes qu'on ne pouvait passer à la phase suivante avant que les lacunes décelées ne soient corrigées.
(1015)
    Très bien. Merci.
    Nous avons le temps de procéder à une autre série de questions. Merci, monsieur Hiebert.
    Nous entendrons M. Szabo. Je vous en prie.
    Merci.
    La dernière fois dont il a été question du Programme canadien des divulgations volontaires au Parlement, c'est lorsque nous nous sommes penchés sur les déclarations fiscales de M. Mulroney.
    Les choses ont changé au Canada depuis, si j'ai bien compris. Êtes-vous au courant des modalités de ce programme régissant l'argent dans des comptes à l'étranger? Non?
    D'après le site Web du Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public, le gouvernement n'imposerait aucune pénalité à ceux qui divulguent détenir un compte secret à l'étranger, et les vérificateurs fiscaux ne peuvent remonter à plus de 10 ans lorsqu'ils établissent l'impôt à payer. Auparavant, le Programme de divulgations volontaires permettait, le cas échéant, d'imposer des pénalités et d'exiger des intérêts composés sur des dizaines d'années.
    D'après vous, le gouvernement a-t-il mis en oeuvre des mesures pour lutter contre ceux qui s'adonnent à l'évasion fiscale? Qui veut bien répondre à cette question?

[Français]

    À ma connaissance, le Programme des divulgations volontaires est resté essentiellement le même. J'ai eu à travailler dans des situations semblables. Quand des contribuables canadiens ont accumulé des sommes dans des paradis fiscaux à l'étranger et qu'ils veulent les réacheminer au pays ou quand ils ont l'impression, à cause d'informations divulguées par des informateurs de masse, que leur dossier pourrait être récupéré par les autorités fiscales, ils procèdent à une divulgation volontaire. Ça peut leur permettre d'éviter une importante pénalité fiscale, voire une peine d'emprisonnement dans des cas d'abus plus importants. Ce programme connaît tout de même un certain succès au Canada. Il s'inspire de programmes qui ont cours dans d'autres pays industrialisés.

[Traduction]

    Le recours aux paradis fiscaux est l'un des moyens les plus perfectionnés d'éviter le fisc. On parle d'une perte se chiffrant à plusieurs milliards de dollars. D'après vous, faudrait-il des pénalités plus rigoureuses et des conséquences plus graves en fonction du crime commis?

[Français]

    C'est une très bonne question. Lorsqu'on discute d'une telle situation, il ne faut pas oublier qu'essentiellement, deux genres de contribuables ont recours aux paradis fiscaux. Il y a les particuliers qui essaient simplement de faire de l'évasion fiscale en dissimulant des sommes dans des comptes à l'étranger dans des paradis fiscaux, et il y a les multinationales qui, de façon légale, ne paient pas ce qu'on pourrait considérer comme étant leur juste part d'impôt.
    Si on augmente la pénalité, on va viser les contribuables qui dissimulent des sommes dans des paradis fiscaux. C'est en effet une bonne idée d'augmenter la pénalité et, de façon dissuasive, d'essayer de limiter l'attrait des paradis fiscaux. Par contre, je suis d'avis que ça doit être accompagné de mesures complémentaires. Autrement, on risque de sacrifier des contribuables simplement parce que ce sont eux qu'on a découverts. Les mesures qu'on prend sont beaucoup orientées vers les contribuables qui font de l'évasion fiscale et qui sont principalement des particuliers.
(1020)

[Traduction]

    Je voudrais poser une dernière question. D'après vous, l'Institut canadien des comptables agréés, l'Association canadienne d'études fiscales ou le Barreau du Haut-Canada envisagent-ils des mesures pour s'attaquer au recours aux paradis fiscaux?

[Français]

    Je ne suis pas certaine que les institutions dont vous parlez soient les mêmes que celles auxquelles je me réfère. Je sais que des initiatives ont été prises. Il a été question d'augmenter certaines pénalités. Pour ma part, je vous dirais que si on opte pour une augmentation des pénalités, il faudrait aussi vérifier la situation des multinationales et leur limiter également l'attrait des paradis fiscaux. Celles-ci génèrent une part plus importante des recettes fiscales.

[Traduction]

     Merci.
    Je cède de nouveau la parole à M. Hiebert. Je vous en prie.
    Merci.
    Monsieur Owens, vous finissiez de répondre à une question. Je vous demandais des précisions sur les conséquences lorsqu'on ne passe pas à la phase 2. Une liste de pays figure à la page 7 de votre document. Sur le plan pratique, quelles sont ces conséquences? Faisons fi de l'examen par les pairs.
    C'est, dans une certaine mesure, une question de réputation, tous ces renseignements étant publiés. À vrai dire, vous pouvez ainsi apprendre pourquoi il n'y a pas eu de phase 2 pour la Barbade ou le Panama. C'est un dur coup à la réputation financière de ces pays. Aucune notation finale n'est donnée à un pays pour indiquer qu'il satisfait aux normes avant que celui-ci n'ait répondu aux exigences des phases 1 et 2. Par conséquent, les conclusions découlant de cet exercice sont très importantes puisqu'elles sont publiées. Notamment, nous avons fait savoir publiquement cette semaine que des endroits comme Saint-Marin, les Seychelles et la Barbade ne passent pas à la phase suivante. C'est passablement percutant.
    Très bien.
     Madame Alepin, vous avez parlé des multinationales qui, en toute légalité, recourent à des moyens complexes pour éviter le fisc. Vous nous avez fait valoir essentiellement que nous devions éliminer ces échappatoires. Devrions-nous donc les éliminer?

[Français]

    Oui, il est certain que si on veut adopter une approche complète, si on vise à limiter l'utilisation par les particuliers des paradis fiscaux comme moyen d'évasion fiscale, il faut concurremment limiter le recours aux paradis fiscaux par les multinationales, même si celles-ci ont recours à l'évitement fiscal ou à une planification fiscale qui ne passe pas le test de l'éthique sur le plan social.
    Autrement, on va se retrouver en présence d'un système fiscal à deux vitesses, c'est-à-dire qu'on va interdire aux particuliers le recours aux paradis fiscaux, mais le permettre aux multinationales. À court terme, on pourrait penser que c'est acceptable, mais à long terme, on risque d'abuser de la patience du contribuable moyen sur le plan de la fiscalité.
    Je pense que non seulement le Canada mais également l'ensemble des autres pays doivent appliquer une approche globale de façon à créer un équilibre entre l'évasion fiscale des particuliers, des trusts et des fondations, et les planifications fiscales abusives des multinationales dans les paradis fiscaux.
(1025)

[Traduction]

    Monsieur Wallace, il vous reste environ une minute et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux également remercier nos témoins d'aujourd'hui.
    Madame Alepin, je vous remercie d'être de nouveau parmi nous. J'étais membre du comité lorsque vous avez comparu en 2007, je crois. Je voudrais vous citer. Vous aviez alors dit:
Si on veut régler le problème des paradis fiscaux, on n'a qu'un choix, et c'est de demander à ces pays de suivre les mêmes règles que les autres, c'est-à-dire de s'asseoir. Chose certaine, nous n'allons pas atteindre cet objectif en cinq minutes. Il faut traiter de cette question à l'échelle internationale.
    Tiendriez-vous encore les mêmes propos aujourd'hui?

[Français]

    Tout à fait. Depuis l'avènement de la mondialisation, on a vu naître une multitude d'organisations, que ce soit dans le domaine de la santé et du travail ou dans une foule d'autres secteurs. Ça prend...

[Traduction]

    Je comprends.
    Je m'interroge. J'ai peut-être mal saisi l'interprète, mais je croyais vous avoir entendu dire aujourd'hui que, si vous étiez première ministre, vous ne signeriez pas ces ententes ou ces traités. En 2007, n'avez-vous pas fait valoir qu'il fallait collaborer avec nos partenaires internationaux pour nous attaquer au problème? N'est-ce pas ce que permettent de tels accords d'échange de renseignements à des fins fiscales?

[Français]

    Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
    Il y a deux sortes d'accord. Il y a, d'une part, des accords d'échange fiscaux et de renseignements fiscaux et il y a, d'autre part, des conventions fiscales que signe le Canada. Avec l'OCDE, il est question d'accords de renseignements ou d'échange de renseignements.
     Je le dis et je le répète encore aujourd'hui, si nous voulons nous attaquer à notre problème sur le plan national, le moyen à la disposition du Canada est de limiter la signature de conventions fiscales, mais il n'est sûrement pas de limiter la signature d'ententes d'échange d'informations avec des paradis fiscaux. Ce sont deux points différents.

[Traduction]

    Je suis désolé, mais nous devrons revenir sur le sujet au cours de la prochaine série de questions. Merci.
    Nous entendrons maintenant M. Pacetti. Je vous en prie.
    Merci, monsieur le président.
    Nous semblons tourner en rond. Ma question portera sur la technologie. Aujourd'hui, qu'est-ce qui est le plus difficile: frauder le fisc ou arrêter les fraudeurs?
    Ma question s'adresse à vous trois.

[Français]

    Monsieur Deneault, avec la technologie d'aujourd'hui, est-il plus facile de repérer les gens qui contreviennent aux lois? Est-il plus facile pour les gouvernements d'attraper les criminels?
    On pourrait certainement postuler que la technologie est en cause pour contourner le fisc, d'une part, et pour attraper ceux qui le contournent, d'autre part.
     Il reste intéressant de voir comment, dans les modalités existantes pour traquer les fautifs — textes officiels, mesures, accords, ententes, commissions, bref, tout ce qui peut être généré à titre formel —, il y a toutes les dynamiques informelles qui constituent un problème. Trois sociologues français ont enquêté sur ce sujet, notamment sur la façon dont les banques ont appliqué des mesures antiblanchiment signées à l'échelle internationale et comment le passage de la théorie à la pratique suppose des sauts qualitatifs importants. C'est une chose qu'il ne faut pas omettre.
     Il y a donc des techniques, des accords, des ententes et des normes, mais ensuite on verra si, en pratique, ça fonctionne le jour où les services de santé seront satisfaisants, le jour où l'éducation sera mieux financée et le jour où on verra l'État bénéficier réellement de plus de revenus. Tant que ce n'est pas le cas, on peut se dire qu'il y a beaucoup d'éléments du processus qui consistent à coincer les fraudeurs fiscaux et il y a beaucoup d'éléments où les échappatoires sont possibles.
    Merci.
     Madame Alepin, qu'en dites-vous?
    La question est excellente. D'ailleurs, je serais curieuse d'entendre M. Owens répondre à votre question.
     En effet, Internet permet à un contribuable d'apparaître dans un million de juridictions et d'en disparaître en une seconde, s'il le veut. Il est certain que cela facilite l'évasion fiscale et rend l'administration plus difficile par les autorités fiscales. C'est facile pour un contribuable de disparaître. Ainsi, qui se cache derrière une adresse électronique?
(1030)
    Selon mon expérience, il est facile d'agir pour les gens de l'ARC si vous avez un numéro d'assurance sociale. Ils fonctionnent avec le numéro d'assurance sociale. Toutefois, si une personne essaie d'éviter le fisc, quand elle va ouvrir un compte à l'extérieur du pays, elle ne donnera pas son numéro d'assurance sociale, comme vous l'avez dit dans votre présentation.
    Il semble que les fonctionnaires du ministère des Finances et de l'ARC progressent très lentement quand ils cherchent à améliorer et renforcer les lois qui sont présentement en vigueur.
    Tout à fait. C'est un problème. C'est un problème que les autorités fiscales analysent présentement. Ces gens cherchent comment adapter leurs méthodes de vérification dans un monde électronique.

[Traduction]

    Monsieur Owens, pourriez-vous aborder le volet international?
    Volontiers. En peu de mots, la nouvelle technologie a été profitable à la fois au fraudeur et à l'administrateur fiscal. Tout bien considéré, l'avantage appartient probablement au fraudeur. Grâce à un simple clic de souris, on peut aujourd'hui transférer des milliards de dollars d'un pays à l'autre. Muni d'une carte de crédit ou d'un compte à l'étranger, vous pouvez effectuer des transactions partout dans le monde.
    Les administrateurs fiscaux doivent se tenir au diapason des progrès technologiques pour faire obstacle rapidement aux fraudes fiscales commises grâce à la nouvelle technologie.
    Merci.
    Merci.
    Monsieur Paillé, s'il vous plaît.

[Français]

    Quand on dit oser avoir des méthodes d'information et qu'on regarde toutes nos affaires, j'ai l'impression que l'Agence du revenu du Canada est dépassée. On fonctionne encore avec le numéro d'assurance sociale, qui date des années 1940, au moment où on avait des timbres dans un cahier rose pour notre assurance-chômage. Certaines choses évoluent avec le temps.
    Je reviens sur la question de la volonté politique. On parlait de Halifax, tout à l'heure, et l'enjeu inquiétait notre collègue des Maritimes. Oui, c'est légal, mais à un moment donné, cela ne devient plus légitime ni éthique. D'ailleurs, on a vu qu'un ancien ministre des Finances, devenu premier ministre libéral du Canada, utilisait lui-même pour ses bateaux des paradis fiscaux particuliers. Cela s'est produit il n'y a pas longtemps.
    J'aimerais insister sur un point. Vous avez dit qu'il était bien beau de coincer le particulier, à qui cela fait mal, mais qu'il fallait aussi coincer l'entreprise qui, sur le plan de la fiscalité, vaut beaucoup plus que le particulier. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais le cheminement de l'argent m'apparaît ici être le même que dans le cas de l'argent issu de la drogue. Monsieur Deneault, vous avez fait référence à la narcofiscalité. Il est bien beau de vouloir arrêter les jeunes de la rue ou les prostituées qui consomment n'importe quoi et de remonter jusqu'au revendeur de drogue. De la même façon, ne serait-il pas plus utile et plus focalisé d'aller chercher, en même temps que les particuliers et les entreprises qui utilisent légalement les paradis fiscaux, les intermédiaires, c'est-à-dire les banques, les courtiers et les professionnels qui aident ces gens à utiliser illégalement ou de façon trop forte les paradis fiscaux? Ne serait-ce pas une avenue permettant d'aller chercher l'importateur, l'équivalent du revendeur?
    On a des considérations qui sont clairement politiques et qui ne doivent pas être seulement techniques. Effectivement, il importe de savoir comment un législateur peut arriver à faire preuve de souveraineté politique, c'est-à-dire qu'il soit capable de décider.
    Toutes vos préoccupations sont très riches et pourraient faire l'objet de séminaires. Toutefois, j'aimerais revenir sur un point très précis, et je pense aux écrits de Jean de Maillard, juge français en exercice aujourd'hui qui écrit sur ces questions. Il dit qu'on se trouve aujourd'hui dans une situation analogue à celle du trafic de la drogue dont vous parliez. C'est un juge qui parle. Selon lui, le droit aujourd'hui est en fait utilisé par les multinationales pour mettre hors concurrence tous ceux qui ne sont pas sur le même registre qu'elles. Effectivement, on utilise le droit en quelque sorte pour voir des citoyens ou des PME assumer des impôts importants, tandis qu'elles ont toute la latitude offshore pour bénéficier de régimes fort avantageux. C'est un problème.
    Comment le règle-t-on? Jean de Maillard lui-même est tiraillé devant cette contradiction historique qui est la nôtre, qui ne correspond pas à sa pensée, à savoir qu'on pourrait, d'un trait de crayon, faire disparaître les paradis fiscaux. Ce sont des dépendances britanniques ou encore américaines. Le Canada a des ententes avec ces pays. En même temps, il semble que les acteurs qui bénéficient des paradis fiscaux entretiennent un rapport de force très grand avec le législateur, de telle sorte que celui-ci est toujours en train de louvoyer pour ménager des intérêts qui ne sont pas explicités.
(1035)
    Il faut dire que l'acteur ou l'utilisateur de paradis fiscaux a des liens importants avec la sphère gouvernementale. Il est question du législateur, mais aussi de l'appareil gouvernemental. N'avez-vous pas parfois l'impression que le gouvernement entend, écoute, comprend, mais ne manifeste absolument aucune volonté? M. Wallace soulignait que Mme Alepin avait comparu devant ce comité en 2007. Il faut continuer, il va finir par comprendre à un moment donné. En 2011, il y a des différences entre les conventions fiscales et les conventions de renseignements.
    Je voudrais terminer en parlant du Programme des divulgations volontaires. Dans le fond, on s'attend à ce que les gens demandent pardon au gouvernement parce qu'ils n'ont pas demandé la permission et que leur franchise entraînera une franchise de pénalité.

[Traduction]

    Très bien.

[Français]

    N'avez-vous pas l'impression que c'est payer trop cher...

[Traduction]

    Merci.

[Français]

    ... par rapport à la situation?
    Veuillez donner une réponse très brève, s'il vous plaît.
    Me demandez-vous si j'ai l'impression que c'est payer trop cher?
    Oui, parce que, actuellement, on dit aux entreprises qu'elles ne paieront pas de pénalités si elles font une divulgation volontaire. Il me semble que c'est payer trop cher.
    Pour le gouvernement.
    Pour le gouvernement.
    C'est parce qu'il faut alléger la pénalité. Il faut donner la carotte pour que la personne fasse sa divulgation volontaire. C'est la façon de procéder, il n'y en a pas réellement d'autre. Sinon, il faut mettre en suspens le Programme des divulgations volontaires.
    La question est tout de même très bonne. Effectivement, c'est difficile de dire que dans ces situations, on va donner l'absolution. De façon politique ou même éthique, on a une difficulté face à cette façon de penser, mais c'est toute l'essence du Programme des divulgations volontaires qui repose là-dessus.

[Traduction]

    Merci.
    Nous entendrons maintenant M. Wallace. Je vous en prie.
    Merci.
    Je vous remercie de ces précisions, madame Alepin. Je voudrais simplement ajouter ceci: au début de votre exposé, vous avez parlé de l'ambivalence du gouvernement de notre premier ministre. Vous avez ensuite déclaré que, même si vous étiez première ministre du Canada, vous seriez incapable de résoudre le problème et que ce n'est pas par manque de volonté politique.
    Je saisis la différence entre un AERF et une convention fiscale. Nous avons conclu, je pense, près de 90 conventions fiscales. Le Canada est l'un des pays qui en a signé le plus.
    Vous proposez que le gouvernement poursuive dans cette voie et signe encore plus de conventions fiscales. Vous ne croyez pas beaucoup aux AERF, car vous estimez qu'il ne faudrait pas en conclure avec les pays qui, d'après vous, sont des paradis fiscaux.

[Français]

    Non.

[Traduction]

    Nous en avons signé 11 ou 12, et nous avons entrepris des négociations avec 14 autres pays. Faudrait-il cesser de conclure ces accords importants?

[Français]

    Je vais le redire pour que ce soit très clair. Premièrement, si j'étais première ministre -- et cela s'adresse à n'importe quel chef d'État sur la planète -- à l'échelle intérieure, si je ne travaillais pas conjointement avec les autres pays, il serait quasiment impossible de pouvoir régler le problème des paradis fiscaux. Deuxièmement, je pense que la démarche entreprise par l'OCDE concernant les accords d'échange de renseignements est une très belle démarche, et j'encourage le Canada à signer le plus possible d'accords et à prendre les moyens nécessaires pour les mettre en application. Troisièmement, en ce qui a trait au fait que le Canada signe des conventions fiscales avec des paradis fiscaux, je trouve que c'est lamentable et triste.
    Je trouve que si on veut, à l'échelle du pays, limiter le problème des paradis fiscaux, c'est un des seuls moyens dont le Canada dispose. Encore au mois de décembre 2010, j'étais ici en train de discuter d'un accord avec le Panama qui démontre que le Canada semble continuer à vouloir signer des conventions fiscales avec des paradis fiscaux.
    C'est vous qui avez posé la question.
(1040)

[Traduction]

    Je pense que c'est ainsi que vous réglez le problème. Vous ne résoudrez rien en ne signant pas ces accords ou ces conventions fiscales, d'autant plus qu'ils comportent des normes améliorées. C'est pourquoi il faut poursuivre dans cette voie, contrairement à ce qu'elle fait valoir.
    Merci infiniment.
    Nous ne voulons peut-être pas continuer dans cette veine.

[Français]

    Je ne comprends pas.

[Traduction]

    Je vais prendre la relève. Je voudrais poser une question à M. Owens.
    Si j'ai bien compris, Mme Alepin propose que le gouvernement négocie le plus d'accords d'échange de renseignements possible, n'est-ce pas?

[Français]

    Oui, tout à fait.

[Traduction]

    Tout à fait, et le gouvernement devrait non seulement les signer, mais également les ratifier.
    Très bien. Merci.
    Allez-y, madame Alepin.

[Français]

    Oui, tout à fait. Lorsque j'ai commencé à pratiquer la fiscalité et lorsque je l'ai écrit dans mon premier livre, je trouvais cela lamentable qu'on ne puisse pas avoir accès à des informations dans les paradis fiscaux. Donc, j'admire cette démarche qui n'est pas parfaite, mais c'est un très, très bon début.

[Traduction]

     Merci.
    Ma dernière question s'adresse à M. Owens.
    Mme Block vous a interrogé sur l'efficacité de ces accords d'après l'OCDE. Pouvez-vous vous prononcer ou est-il trop tôt pour le faire?
    Il est effectivement trop tôt pour porter un jugement sur les accords conclus par le Canada. Il en a signé beaucoup, sans cependant les ratifier. Si je prends l'exemple des autres pays, je constate que les accords signés et ratifiés se révèlent déjà efficaces.
    Prenons l'exemple de l'Irlande, dont je vous ai parlé. Sans ces accords, l'Irlande n'aurait pas pu récupérer les milliards d'euros d'impôts impayés par les Irlandais détenant un compte bancaire dans les îles Anglo-Normandes. Les pays qui ont pris davantage l'initiative que le Canada ont déjà vu leurs recettes fiscales augmenter.
    Très bien. Merci.
    Je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu aujourd'hui sur cette question très importante. Nous poursuivrons notre étude jeudi. Si vous souhaitez ultérieurement nous faire part d'autres commentaires, je vous invite à le faire. Nous veillerons à ce que tous les membres du comité les reçoivent. Nous tenons tout particulièrement à remercier M. Owens, qui se trouve dans les bureaux de l'OCDE à Paris.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup de vos présentations et de vos réponses.

[Traduction]

    La prochaine réunion aura lieu jeudi.
    La séance est levée.
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