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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 020 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 8 juin 2010

[Enregistrement électronique]

(0905)

[Français]

    Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, le 8 juin 2010, nous tenons notre 20e séance.

[Traduction]

    Nous tenons aujourd'hui une séance extraordinaire où nous discuterons avec un témoin des droits de la personne en Afghanistan.
    Nous recevons Massouda Jalal, qui est surtout connue pour son travail en Afghanistan en tant que ministre de la Condition féminine. Elle a été candidate à la présidence de son pays après avoir connu une brillante carrière universitaire.
    Je viens tout juste d'apprendre qu'elle comparaît devant un comité parlementaire canadien pour la deuxième fois en une semaine. On me dit qu'elle a témoigné, en Afghanistan la semaine dernière, devant le Comité spécial des affaires afghanes. J'en informe les députés pour qu'ils consultent la transcription et obtiennent plus d'informations s'ils le désirent.
    Sur ce, je cède la parole à notre témoin.
    Veuillez commencer votre exposé. Les membres du comité vous poseront ensuite des questions. Je vous remercie.
    Mesdames et messieurs, j'aimerais tout d'abord vous remercier de l'honneur et du privilège que j'ai de m'adresser à vous.
    Je m'appelle Massouda Jalal et je suis médecin de profession. Je milite aussi pour les droits de la femme. En Afghanistan, j'ai lutté au nom des femmes, peu importe leur origine ethnique ou la région qu'elles habitent.
    J'ai été ministre à une certaine période. Dans ces fonctions, j'ai pu établir des liens solides avec le gouvernement du Canada. J'ai vu ce que les fonds et l'influence de ce pays pouvaient faire. Je suis très heureuse du soutien attentif qu'offre notamment l'ACDI aux groupes de femmes locaux. Je suis présentement directrice générale d'une ONG qui essaie d'apporter des changements pour les femmes une étape à la fois, au lieu de chercher à le faire tout d'un coup.
    Je veux faire des suggestions sur les moyens d'arriver à effectuer des changements positifs pour bâtir un avenir où les femmes et les autres groupes marginalisés jouent un rôle actif, un avenir qui ne sera pas marqué par la guerre et la violence.
    Au cas où vous ne pourriez pas écouter tout mon exposé, ou si je manque de temps, je vais résumer mes propos en quelques mots pour vous, députés canadiens: pour régler les problèmes en Afghanistan, vous devez réduire les dépenses militaires improductives et augmenter le soutien accordé aux femmes en politique.
    Après la chute des talibans en 2001, les Afghans, en particulier les femmes, étaient très optimistes. Nous savions ce que nous voulions: la paix, l'équité, la justice et la primauté du droit. Nous savions ce dont cela pouvait avoir l'air: des filles qui étudient dans les écoles et les universités; des femmes ministres, fonctionnaires et travailleuses de l'information; des lois et des institutions qui protègent les personnes vulnérables contre la violence; et l'incarcération des hommes qui gouvernaient par la force à la maison ou dans la collectivité.
    Nous voulions une population saine qui vit dans un environnement protégé. Nous nous attendions à recevoir l'aide de la communauté internationale, car nous savions que bon nombre de citoyens de pays comme le vôtre étaient en faveur de changements positifs pour que les femmes et les groupes marginalisés aient notamment une vie bien meilleure.
    Était-ce ou est-ce encore trop demander?
    Nous n'avions pas demandé que des sommes considérables soient versées dans les comptes bancaires de quelques gros bonnets. Nous n'avions pas prévu que des parties de villes seraient rasées pour bâtir des manoirs aux gens qui profitent de réseaux internationaux de narcotrafic et d'extorsion de fonds. Nous ne pensions pas non plus que le taux de mortalité maternelle resterait plus ou moins le même ni qu'il y aurait moins de policières qu'au temps du régime soviétique.
    Non — mais c'est ce qui est arrivé.
    Plus de la moitié du pays est devenue inaccessible. Ironiquement, la situation est pire que sous le régime taliban. Non seulement les despotes et les tyrans ont mené de front les négociations et obtenu des fonds, mais ils font aussi partie du gouvernement et ils ont des postes au Parlement. Justice n'a pas été rendue, même pas de façon transitoire.
    Pouvons-nous discuter et nous concentrer là-dessus avant d'envisager de « parler avec les talibans »?
    Et qu'en est-il de la démocratie en Afghanistan?
    Concernant les droits de la femme, nous avons obtenu un certain succès. Les choses ne paraissent pas toujours sombres sur le plan statistique. En 2002 et 2003, le gouvernement de l'Afghanistan a signé et ratifié des conventions internationales, dont la CEDAW, le texte qui a trait à la cour pénale internationale, la Convention relative aux droits de l'enfant et d'autres conventions importantes liées aux droits de la personne et aux droits politiques.
    On a toutefois accordé très peu d'attention à ces décisions, et il n'y a pas eu de véritables discussions. Par exemple, la ministre de la Condition féminine n'avait aucune idée que la CEDAW avait été ratifiée jusqu'à ce qu'une conseillère internationale lui dise après l'avoir appris sur Internet.
    Nous avons maintenant des dispositions pour promouvoir l'égalité entre les sexes — par exemple, dans la Constitution et les lois comme la Loi sur l'élimination de la violence. Cependant, le président a aussi permis qu'on adopte des lois discriminatoires comme la loi chiite sur le statut personnel. Comme nous avons un pourcentage requis de femmes au Parlement, il y en a plus que dans la plupart des Parlements d'Europe et des Amériques.
    Malgré tout, le gouvernement devient de plus en plus fondamentaliste. Les talibans sont là, et depuis 2010, on ne cesse de répéter qu'il faut leur parler.
    Ne vous méprenez pas: dans les faits, il ne s'agit pas d'une avancée pour les droits de la femme. Comme nous le savons tous, non seulement les talibans ne reconnaissent pas ces droits, mais ils reconnaissent à peine les femmes.
(0910)
    Depuis les accords de Bonn, les hommes et les femmes ont les mêmes droits. Une disposition prévoit également que l'âge du mariage pour les filles est 16 ans. À ce propos, les droits garantis sont malgré tout niés dans la réalité; je ne pense pas qu'un seul homme ait été condamné pour avoir enfreint cette loi. La loi chiite de 2009 sur la situation familiale restreint les déplacements des femmes chiites et les rend dépendantes de leurs maris.
    Selon la Constitution de 2004, 25 p. 100 des députés doivent être des femmes. Ainsi, la loi réserve aux femmes 68 des 249 sièges au Parlement. Toutefois, la formulation ambiguë du nouveau décret électoral de 2010 semble dire que si les femmes n'ont pas de raison d'être là, les hommes peuvent prendre leurs sièges, et vice versa.
    Les groupes religieux émettent également de plus en plus de décrets. Par exemple, l'uléma de l'Est de l'Afghanistan a récemment émis un décret qui dit que les femmes ne peuvent pas voyager sans être accompagnées d'un homme et que celles qui travaillent dans les organismes internationaux doivent être conscientes du péché qu'elles commettent en étant dans la même pièce qu'un homme.
    Le décret entraîne déjà des conséquences. À la conférence des femmes qui travaillent dans le domaine juridique tenue le 5 mai à Kaboul, les avocates et les femmes juges de cette région étaient toutes accompagnées d'un homme. Cela va clairement à l'encontre de la disposition de la Constitution sur l'égalité, sans toutefois contredire la disposition selon laquelle « on ne peut opposer aucune loi à celle de l'islam ».
    De plus, dans un exemple de double discours presque systématique, les femmes reçoivent un enseignement différent de celui des hommes concernant la charia. On leur dit qu'elles ne peuvent pas vraiment faire autre chose qu'enseigner à l'école primaire et qu'elles ne peuvent certainement pas être juges. Certains ont manifestement oublié que le prophète Mahomet a d'abord été marié à une femme d'affaires prospère et a aussi épousé Aisha, qui a combattu dans la très célèbre bataille du Chameau.
    Sachez que ces droits dont vous entendez parler n'existent malheureusement que sur papier. En creusant un peu plus, on constate que la culture politique rigide des hommes n'a pas changé. Ces droits représentent des concessions temporaires accordées aux femmes par une loi, mais ils sont souvent niés par une autre ou tout simplement ignorés. On affaiblit de plus en plus les garanties que nous pensions avoir obtenues. Nous dépendons de la communauté internationale pour qu'elle affirme avec force que les autorités afghanes ne peuvent pas continuer à donner des droits aux femmes d'une main et à les reprendre de l'autre.
    Quels sont les autres grands problèmes à l'heure actuelle? Le gouvernement ou la communauté internationale n'a jamais pris position de manière claire et résolue à propos de la nécessité que la justice règne en plus de la paix. Je demanderais notamment au gouvernement du Canada de continuer à exercer toutes les actions diplomatiques possibles, comme menacer de retirer l'aide pour empêcher le gouvernement de l'Afghanistan de signer, selon moi, l'arrêt de mort de la démocratie.
    À quoi est-ce que je pense et de quoi est-ce que je parle concernant les années à venir pour l'Afghanistan? Je parle d'impunité. Je vais citer un discours donné par un représentant d'Amnistie internationale à Berlin, parce que j'aimerais mettre l'accent sur ce problème relatif aux droits de la personne:
La culture de l'impunité en Afghanistan peut seulement être considérée comme un soutien aux criminels et un encouragement pour eux à continuer à enfreindre les droits de la personne au pays. Ce climat dans lequel nul n'a de comptes à rendre et où règne une culture de l'impunité a cours depuis des années.
    Cela a un impact énorme sur l'accès des femmes à la justice et aux ressources. Le système judiciaire afghan bafoue le droit à la justice de nombre de femmes victimes de violence familiale et d'autres types de violence.
    Au cours de la conférence de Londres sur l'Afghanistan tenue le 28 janvier 2010, le gouvernement de l'Afghanistan a promis solennellement d'élaborer et de mettre en oeuvre un programme national de paix et de réintégration de ce qu'on appelle les éléments modérés du mouvement taliban dans la société afghane.
(0915)
    Aujourd'hui, dans les régions qu'ils contrôlent, les talibans ont considérablement réduit les droits des filles et des femmes, comme lorsqu'ils étaient au pouvoir, notamment en leur niant le droit à une éducation, à un emploi, à la liberté de mouvement et à une participation politique.
    Malalai Kakar, policière de haut rang, et Sitara Achakzai, membre éminente du conseil provincial et législatrice, ont toutes les deux été assassinées par les talibans dans la province de Kandahar en l'espace de quelques mois, entre 2008 et 2009, cependant que des écolières sont victimes de meurtres, d'attaques à l'acide et d'autres formes de harcèlement et d'intimidation par les talibans, simplement pour avoir osé sortir de chez elles pour aller à l'école. Cette année, même à Kaboul, les filles qui vont à l'école sont la cible d'attaques au gaz, ce qui entraîne l'hospitalisation d'élèves de même que des traumatismes et de la peur.
    Le problème d'impunité touche également cette soi-disant « jirga pour la paix », dont on a beaucoup parlé, et qui vient de se terminer à Kaboul. Comme la plupart des jirgas que nous avons eues, elle a eu pour effet d'accroître le pouvoir des chefs de guerre et a agi en tant que force parallèle d'opposition aux institutions démocratiques dans lesquelles la communauté internationale, y compris la population canadienne, a investi beaucoup de fonds publics.
    En fait, cette jirga était encore une fois une sorte de festival qui a permis aux hommes ayant combattu les Russes de se présenter pour recevoir des éloges et de bénéficier d'une tribune pour réaffirmer leur pouvoir militaire. Il est clair que l'impunité est au coeur de leurs exigences. Karzaï lui-même a montré l'exemple en disant des talibans qu'ils étaient non pas des criminels et des combattants, mais « nos frères en colère ».
    Je vais maintenant vous dire pourquoi je ne suis pas favorable à ce que les troupes étrangères restent dans notre pays plus longtemps que nécessaire. Je suis consciente et reconnaissante des sacrifices consentis par de nombreux pays, dont le Canada, pour le bien de notre peuple. Mais selon moi, l'argument en faveur du maintien des troupes n'est pas suffisamment solide pour justifier des pertes de vies.
    On nous avait promis que cette présence étrangère permettrait de réaliser certaines choses, mais rien de tout cela ne s'est produit. Ainsi que je l'ai brièvement dit tout à l'heure, cette présence militaire n'a pas détruit les refuges sûrs pour les terroristes. Elle n'a pas instauré le respect des droits humains ni permis à la majorité de la population de vivre une vie meilleure.
    Voici ce que je propose. En tant qu'ancienne ministre chargée de la condition féminine, j'imagine que vous ne serez pas surpris de m'entendre proposer quelque chose de très simple et très radical: faites participer les femmes. C'est la solution. J'estime que nous devons envisager des solutions autres que militaires aux problèmes dans lesquels nous nous retrouvons.
    Il ne s'agit pas tant de la question d'avoir ou non une présence des troupes. Bien entendu, elles doivent partir, et ce, en se retirant soigneusement et graduellement. Je recommande une importante transition de l'attention politique — certains parleraient d'une obsession — accordée à l'armée en tant que force de changement vers l'utilisation d'une influence diplomatique et politique pour assurer, de façon constante, la démilitarisation du pouvoir politique en Afghanistan.
    Il faut aussi accroître la participation des femmes dans les négociations politiques. La démilitarisation du pouvoir politique revient, pour moi, à diminuer le nombre de commandants afghans, de chefs de guerre, au sein du gouvernement de l'Afghanistan, et à faire en sorte qu'il soit plus difficile, pour les caïds régionaux, d'user de pouvoir et d'influence. Nous devons définir clairement un cadre de discussion avec les talibans. Un nombre accru de femmes en politique est la clé pour la démilitarisation du pouvoir politique, parce que les femmes ne s'intègrent pas facilement à ce réseau corrompu avide d'armes.
    Cela signifie que nous dépendons des pressions nationales et internationales pour assurer un nombre suffisant de femmes ministres, une présence égalitaire de femmes dans la gouvernance locale et les commissions, et des quotas relatifs au nombre de femmes dans toutes les négociations politiques. Je demande au Canada de veiller à l'application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant les femmes, la paix et la gouvernance, au moyen du soutien qu'il accorde à notre pays, l'Afghanistan. Et au même titre que vous espérez ici voir les femmes afghanes occuper des postes de pouvoir, moi-même et la plupart des Afghans que je connais espèrent que vos ambassades, vos délégations et vos équipes de négociation comportent de nombreuses femmes.
(0920)
    Le deuxième élément serait un soutien aux processus politiques réguliers, et non parallèles. Au lieu de s'impliquer dans des processus rétrogrades parallèles comme les jirgas et de discuter avec les talibans, la communauté internationale, dont le Canada, doit mettre l'accent sur la démocratie parlementaire.
    Cette année, nous avons eu davantage de femmes qui se sont portées candidates au Parlement qu'en 2005, malgré la diminution de la sécurité. Néanmoins, les femmes et autres groupes marginalisés sont confrontés à de véritables restrictions des ressources qui empêchent leur véritable participation politique et leur capacité à mener une campagne électorale ou à consulter lorsqu'elles sont en poste — par exemple, une femme doit prendre le taxi et a besoin d'une formation ou d'argent pour des panneaux publicitaires.
    Par le passé, l'ACDI a appuyé des projets de l'UNIFEM qui assuraient une formation et des ressources aux candidates politiques. Il faut accroître les fonds alloués à ce type d'activités. Comparativement aux sommes d'argent et aux ressources dont disposent les candidats politiques de sexe masculin, c'est bien peu de choses.
    Tout programme de réintégration devrait contraindre le gouvernement afghan à utiliser les fonds selon certaines conditions, en fonction du maintien de la responsabilité, des droits humains, des droits des femmes et autres normes internationales en matière de droits de la personne.
    Les femmes d'Asie, d'Europe et de partout dans le monde nous disent qu'elles ne veulent pas que leurs fils, leurs maris et leurs frères meurent en sol afghan. La vérité, c'est que nous ne savons pas vraiment pourquoi les militaires étrangers sont sur notre territoire; nous avons tous gobé cette vaste propagande qui a eu pour effet de détruire nos terres, de forcer les gens à quitter leur maison et d'empêcher les femmes de participer activement, en plus de faire des blessés et des morts parmi la population civile.
    La communauté internationale continue d'investir des ressources considérables dans de soi-disant efforts pour la « sécurité et la paix ». Les budgets militaires des nations européennes et nord-américaines sont également gonflés lorsqu'elles envoient leurs soldats chez nous. Même les budgets de l'ONU pour les élections afghanes sont dominés par les coûts en matière de sécurité.
    En tant que femmes, nous sommes tout à fait conscientes que la guerre ne peut réussir à établir la paix. Nous devons investir nos efforts à long terme dans des cultures de la paix. Nous devons faire partie des voix qui exigent et des cerveaux qui dirigent pour garantir le développement avant, et non après, le combat — par exemple sur le plan des écoles, des hôpitaux et de l'agriculture. Cela fait partie de notre engagement envers la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU.
    Je vous demanderais également d'effectuer une analyse sexospécifique de l'aide accordée par le Canada à l'Afghanistan, de même qu'une analyse sous l'angle de la consolidation de la paix. Veuillez nous laisser savoir combien d'argent vous avez dépensé pour les femmes, et combien est allé dans vos forces militaires. Je soupçonne qu'on alloue bien moins de ressources à la démocratisation des activités à l'extérieur de Kaboul qu'aux activités militaires internationales. Je ne pourrais toutefois vous le prouver, car il est difficile d'obtenir des données exactes sur les dépenses gouvernementales qui ne masquent pas les coûts militaires par toutes sortes de petits moyens ingénieux.
    Je vous remercie de votre intérêt constant envers mon pays, l'Afghanistan. Je sais que la population canadienne espère assister à l'instauration de la paix, de la stabilité et du respect des droits en Afghanistan. Cependant, en ce moment, les choses se présentent mal. Il y a une violence accrue, les activités des talibans ont pris de l'ampleur, et ainsi de suite.
    Je me demande parfois comment nous, les femmes afghanes, pouvons rester comme ça. N'est-il pas absurde que nous continuions ainsi, malgré le fait que les droits des femmes sont presque totalement rayés de l'ordre du jour?
    Tout est-il perdu? Voilà la question. Eh bien, je suis une optimiste, et je crois qu'il est possible d'empêcher les choses d'empirer, et de tirer profit de certaines réussites. De façon générale, les femmes sont très courageuses. Beaucoup des femmes parlementaires ne daignent même pas saluer les chefs de guerre ou autres criminels de guerre au Parlement en ce moment.
    Pour que les Afghanes et la société civile continuent de lutter, nous avons besoin que d'autres intervenants, y compris les décideurs au Canada, redoublent d'énergie et renouvellent leur engagement dans cette lutte en notre nom.
    Car nous avons toujours des rêves. Pour pouvoir les réaliser, nous devons modifier le cours de la rivière. En ce moment, la rivière semble aller dans une certaine direction; nous devons modifier sa trajectoire. Et il faut le faire ensemble.
(0925)
    Ma troisième proposition pour changer les choses et modifier le cours de cette rivière qui menace de nous détruire tous est en lien avec le genre de projets qu'appuiera le Canada dans l'avenir. Ces temps-ci, nous entendons beaucoup parler d'aide à la dette. Quel autre choix avons-nous?
    À l'échelle macroscopique, il faut se concentrer davantage sur la justice transitoire, le désarmement et la mise en place des groupes marginalisés au centre de la sphère politique — je parle ici des femmes, des minorités ethniques et des classes marginales —, parce qu'il est clair que les talibans ne constituent pas une catégorie marginalisée. Ils sont devenus essentiels à la conscience politique.
    À un niveau plus pratique et facile à comprendre, je proposerais la création de bourses d'études pour les jeunes femmes. Les femmes sont très désireuses d'acquérir des connaissances et de l'expérience, et il y a des femmes possédant un bon niveau d'anglais qui retourneraient à l'école, mais si elles ne bénéficient pas d'un soutien maintenant, elles se marieront tout simplement à un jeune âge, ce qui entraînera des taux de population plus élevés et un manque de femmes en politique.
    La Fondation Jalal, que je dirige, administre un projet de genre et de gouvernance de cet ordre, que je peux citer comme exemple. Nous voulons accroître la sensibilisation des femmes candidates relativement au rôle positif qu'elles pourraient jouer pour bâtir l'avenir, alors nous cherchons des fonds pour informer les candidates et le public au sujet de ce rôle au chapitre de la paix, du Parlement, des droits des femmes, etc. Nous voulons trouver des moyens d'appui pour les femmes candidates, pour leur permettre de mener des campagnes et de s'assurer qu'elles soient responsables envers les électeurs de leur province.
    Je voudrais demander aux Canadiens de nous appuyer pour la création de cultures de la paix en Afghanistan. Dans notre pays, nous constatons que la rhétorique de l'après 11 septembre, de même que les pressions exercées par les lobbies militaires, ont fait en sorte que notre société devienne plus militarisée que jamais. On nous dit que la sécurité est l'objectif suprême. On nous interdit de dire le contraire. Personnellement, j'affirme que c'est mal. Nous devons nous opposer à cela.
    Nous, les femmes, savons que les guerres, les barbelés et les hommes armés ne garantissent pas notre sécurité. Nous savons que la violence, le plus souvent, vient de ceux dont nous sommes les plus proches, c'est-à-dire nos maris et nos familles.
    Donc, pour ce qui est de la question des fonds, le gouvernement canadien devrait exercer une pression importante et continue sur le gouvernement afghan pour faire en sorte qu'il n'y ait pas d'impunité. Il doit également continuer à parler franchement à notre gouvernement, sans accepter de garantie superficielle, pour veiller à ce que les droits humains, y compris ceux des femmes, soient respectés, et que toute privation de ces droits soit dénoncée et empêchée.
    Le gouvernement canadien devrait établir très clairement qu'il ne tolérera pas les tentatives du gouvernement afghan pour légitimiser les résultats de la soi-disant jirga pour la paix, qui visent à faire régner l'impunité et à bafouer les droits des femmes, des enfants et des autres groupes marginalisés. Cela implique également de nous assurer que le gouvernement afghan s'engage pleinement à renforcer la primauté du droit et la reddition de comptes pour les violations des droits humains qui ont eu lieu par le passé, au cours de l'intégration des Talibans.
    Merci de votre attention.
(0930)
    Merci beaucoup, madame Jalal. Nous avons 30 minutes pour les questions et réponses. Nous pourrions disposer d'une certaine latitude à la fin, puisque personne n'a besoin de la salle après nous. Quoi qu'il en soit, chaque intervenant aura droit à sept minutes pendant ce tour de table de 30 minutes. Nous allons commencer par M. Silva, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président. Nous n'aurons probablement pas le temps d'effectuer un second tour, alors je vais partager le temps qui m'est alloué avec M. Cotler.
    Tout d'abord, je tiens à vous remercier, madame Jalal, d'avoir décidé de comparaître devant notre comité. Nous apprécions beaucoup votre présence ici, au Comité des droits internationaux de la personne.
    Nous en avons beaucoup appris en discutant avec vous hier et aujourd'hui. L'une des choses qui deviennent très évidentes, c'est que tous les gains réalisés au départ commencent maintenant à s'éroder, particulièrement en ce qui a trait à l'avancement des droits des femmes. C'est extrêmement préoccupant pour nous tous.
    La mise à l'honneur des leaders tribaux, des seigneurs de guerre, des talibans, que le président Karzai a effectuée récemment, sera au détriment, d'après ce que vous nous avez dit, des droits des femmes, car ces gens souhaitent obtenir davantage de pouvoirs et enlever leurs droits et la plus petite forme de pouvoir que peuvent avoir les femmes en Afghanistan. Donc, les changements positifs deviennent de plus en plus difficiles et hors d'atteinte.
    Vous avez souligné certaines mesures que les parlementaires canadiens et le gouvernement du Canada pourraient prendre pour contribuer à réaliser certains changements positifs dans la vie des femmes. L'une d'elles consistait à investir davantage d'argent dans les programmes destinés aux femmes. Vous avez également avancé, lors de ma conversation avec vous, l'idée d'une chaîne de télévision pour les femmes, compte tenu de la nécessité d'un financement pour faire entendre la voix des femmes sur les ondes. Les chefs de tribus semblent contrôler la majorité des ondes, et très peu de place est réservée aux femmes.
    Pourriez-vous élaborer brièvement là-dessus? Ensuite, je laisserai mon collègue, M. Cotler, poser des questions.
    Merci.
    Ainsi que je vous l'ai mentionné hier soir, depuis l'arrivée de la communauté internationale en Afghanistan, nous avons eu jusqu'ici environ 21 chaînes de télévision. Une d'elles relève du gouvernement, alors que les autres sont privées.
    La plupart de ces chaînes de télévision privées appartiennent à des chefs de guerre et à des dirigeants extrémistes de l'Afghanistan. Ils défendent leurs propres points de vue et opinons, leurs propres visions, et les femmes n'ont aucune place dans leur idéologie. Ils sont contre les droits des femmes. C'est pourquoi je propose la mise sur pied d'une chaîne de télévision pour les femmes en Afghanistan.
    Par ailleurs, une cinquantaine d'universités ont été ouvertes par ces puissants groupes d'anciens dirigeants militaires et leaders extrémistes. C'est pourquoi nous songions à la création d'une université pour les femmes à Kaboul: pour que les femmes aient un autre moyen de poursuivre des études supérieures.
    Voilà les grands projets de notre organisation. Les autres projets que nous aimerions réaliser pour contribuer à la mise en oeuvre de changements positifs pour les femmes du pays sont des programmes communautaires d'alphabétisation des femmes, parce que nous avons un taux d'analphabétisme de 89 p. 100 chez les femmes afghanes. C'est pourquoi nous voulions que ce programme soit ciblé.
    De plus, en Afghanistan, la pauvreté a un visage féminin. Les femmes ne sont pas propriétaires. Comme vous le savez, en Afghanistan, toute chose est sous domination masculine. Dans une famille, tous les biens appartiennent aux hommes. Nous voulions l'autonomie économique des femmes, alors nous avions un programme communautaire à l'échelle nationale qui visait l'autonomie économique des femmes au moyen d'une formation professionnelle et d'autres types d'initiatives.
    Par ailleurs, l'accroissement de la participation politique des femmes est de la plus haute importance. À nos yeux, avec des femmes occupant des postes de dirigeantes et investies de pouvoirs décisionnels, nous nous rapprocherons d'un changement positif dans la vie des femmes du pays. En prévision des élections parlementaires qui s'en viennent, nous voulons mobiliser la participation des femmes au moyen de l'exercice du droit de vote, en plus d'appuyer les femmes candidates, pour leur permettre de faire campagne et de transmettre leurs messages à leurs électeurs.
    Voilà les projets que nous avons prévus. Nous avons besoin de financement. Nous avons besoin de votre soutien. Sans appui, nous ne pouvons aller de l'avant. Nous avons le réseau nécessaire. Nous avons la capacité voulue sur le plan des ressources humaines. Et nous connaissons notre société: nous pourrons effectuer une mise en oeuvre réussie.
    Nous avons des idées de concepts pour mettre en place les changements, mais nous avons besoin de l'appui financier de nos partenaires internationaux. En outre, lorsque nous subissons les pressions des modes de pensée et des puissances extrémistes ou à dominance masculine dans notre pays, nous avons besoin d'un appui politique de l'étranger pour assurer notre protection. C'est ce dont nous avons besoin en Afghanistan: de réaliser ces initiatives au sein d'une organisation, comme mes initiatives réunissant des groupes de femmes dans le pays.
    Il nous faut également un soutien politique pour placer les femmes à des postes de pouvoir. Sans un soutien de cette partie du monde, nous n'avons aucune autre source... À l'intérieur de l'Afghanistan, personne n'appuie les femmes. Les véritables politiques du gouvernement afghan ne sont pas favorables aux femmes: la pensée interne, la mentalité du gouvernement, derrière la façade, est totalement et fondamentalement défavorable aux femmes.
    Même ceux qui se qualifient de libéraux démocrates ne pensent pas aux femmes de la même manière que moi. Ils parlent toujours de très petites mesures pour les femmes — signer des documents, écrire des lois sur papier — à seules fins de répondre aux demandes de la communauté internationale, puisqu'on a souscrit à certaines lois. Mais l'application et la mise en oeuvre de ces politiques posent un défi. Il n'y a pas de volonté politique. Il y a une absence de volonté politique en ce qui concerne le respect des droits des femmes dans le pays, au sein du gouvernement de l'Afghanistan.
    Un soutien politique pour permettre aux femmes d'exercer des pouvoirs décisionnels sera grandement nécessaire, et devra être appuyé par cette région du monde.
(0935)
    Malheureusement, monsieur Cotler, il ne vous reste plus que deux minutes.
    D'accord. Je serai bref.
    Je tiens également, madame Jalal, à vous remercier de vous être déplacée. Si je devais essayer de résumer votre exposé convaincant sur un sujet que j'estime être méconnu ici, au Canada, je commencerais par dire que nous devons construire une culture de paix dans une société de plus en plus militarisée et que nous devons neutraliser la culture d'impunité qui sévit dans une société qui se responsabilise de moins en moins. Cette volonté s'exprime dans l'accord de paix, etc., et dans les tentatives d'imposer l'impunité.
    C'est pourquoi je vous pose la question suivante: croyez-vous que les signes d'ouverture envoyés aux talibans aident ou nuisent à la construction d'une culture de paix et à l'éradication de la culture d'impunité?
    Les négociations avec les talibans et le fait d'essayer de les associer au pouvoir politique équivalent à leur donner les pleins pouvoirs à eux, c'est-à-dire à l'extrémisme, à la dictature religieuse. C'est tout à fait évident.
    Nous devons neutraliser les talibans. Sinon, dans un premier temps, ce sera nocif pour nous, pour les femmes du pays, puis, dans un deuxième temps, ce le sera pour la paix et la sécurité dans le monde, la paix et la sécurité de vos pays.
    Le fait de donner les pleins pouvoirs aux talibans et à un groupe extrémiste en Afghanistan, qui est un centre d'extrémisme, et au Pakistan, qui est un centre mondial d'extrémisme, désavantage beaucoup la paix et la sécurité dans le monde. Il faut les neutraliser, les réprimer, les amoindrir et les supprimer.
    La solution consiste donc à donner, en politique, les pleins pouvoirs aux femmes en Afghanistan et dans les pays semblables. Oui! Autonomisons les femmes, accueillons-les dans le domaine politique et donnons-leur le pouvoir politique. Elles savent comment traiter leurs ennemis.
    Merci.
    Merci.

[Français]

    Monsieur Dorion, s'il vous plaît.
    Dr Jalal, félicitations pour le courage dont vous faites preuve.
    Vous nous décrivez une société qui est totalement dominée par la culture masculine, et vous insistez sur l'importance de faire pression pour responsabiliser les dirigeants, et en particulier pour mettre fin à l'impunité.
    Dans cette société qui est totalement dominée par les hommes, on trouve néanmoins des femmes qui sont actuellement en politique. Vous n'êtes pas la seule. Des candidates ont été élues au Parlement. J'essaie de comprendre comment elles ont pu réussir à se faire élire dans une telle société. Des règles obligent-elles les partis à présenter un certain nombre de femmes comme candidates? Étant donné que la société afghane semble reléguer les femmes à une position inférieure, comment ces femmes se font-elles élire? Qui est leur électorat? Qui les appuie? Y a-t-il des hommes qui appuient ces femmes?
    C'est la première question que je voudrais vous poser. J'essaie de comprendre comment les femmes réussissent à se faire élire dans un tel pays.
(0940)

[Traduction]

    Merci.
    Après nous être associé les seigneurs de la guerre, divers groupements militaires illégaux et ces groupes extrémistes pour l'exercice du pouvoir politique en Afghanistan, au nom de la paix et de la sécurité du pays, nous devons constater, après quelques années, disons neuf ans, que nous sommes maintenant sous le régime d'une mafia.
    Ce régime produit actuellement... Par exemple, la constitution accorde 25 p. 100 des sièges de députés aux femmes, mais, avant tous les autres partis, le régime les attribue à ses propres représentantes. Officiellement, les seigneurs de la guerre et les groupes extrémistes ne comptent pas de femmes dans leurs rangs, parce qu'ils sont contre les femmes. Mais ils ont donné ces sièges à des femmes de leurs propres familles ou groupes — également membres de leurs familles.
    Ces femmes parlementaires sont en grande partie à leur dévotion. C'est pourquoi, l'étude du projet de loi interdisant la violence contre les femmes, que j'ai rédigé en m'inspirant des normes internationales en matière des droits de la personne, a été suspendue pendant quatre ans. Les 68 femmes parlementaires l'ont laissé dormir tout ce temps dans les tiroirs du ministère de la Condition féminine sans l'examiner.
    Lorsque les extrémistes ont décidé de rédiger et d'adopter la loi sur le statut personnel chiite qui est discriminatoire et qui s'oppose à toutes les normes sur les droits de la personne, il a suffi de moins d'un mois pour son adoption sans résistance des femmes parlementaires. Voilà bien la preuve que les femmes qui occupent ces sièges sont les pantins du pouvoir interne que détiennent les extrémistes. Elles ont été à leurs ordres pendant cinq ans.
    L'adoption de la loi sur le statut personnel chiite a suscité de vives réactions dans le reste du monde et une pression qui a conduit à la promulgation de la loi interdisant la violence faite aux femmes. Cet épisode excepté, les cinq années où le parlement a compté de 25 à 27 p. 100 de femmes ont été stériles.
    Sur l'emplacement des prisons de femmes, nos centres de pouvoir interne ont lancé l'initiative et les manoeuvres politiques bien avant les autres partis, et les femmes députées nous ont écoutés. C'est pourquoi nous aurions pu accomplir bien davantage et nous aurions eu plus de succès pendant les huit ou neuf ans en question, grâce à l'appui de la communauté internationale. Malheureusement, les obstacles et la résistance effectivement suscités par ces puissances extrémistes nous ont entravés.
    Les femmes indépendantes qui militent pour les droits des femmes croient en ces droits, elles en connaissent toute la doctrine, elles sont politiquement conscientes et elles savent que l'Afghanistan ne peut pas progresser sans l'appui international. J'en suis l'exemple vivant. J'ai été limogée de mon poste de ministre de la Condition féminine parce que je faisais du travail indispensable aux femmes.
    Après mon limogeage, on a mis le holà à tout le travail que j'avais entrepris. On a bloqué la loi sur l'élimination de la violence faite aux femmes. On a paralysé le plan d'action nationale auquel j'avais consacré dix années de ma vie pour que le gouvernement afghan le mette en oeuvre pour les Afghanes. On a arrêté pour un certain temps toutes les autres politiques et stratégies que j'avais préparées pendant l'année où j'ai été ministre.
    Par la suite, le ministère de la Condition féminine n'a rien réalisé. Même après quatre années, ses réalisations sont nulles.
    Tout cela montre les machinations et le sabotage opérés contre les droits des femmes en Afghanistan. Dans ce pays, les autres militantes pour la cause des femmes n'osent pas agir de façon indépendante parce qu'elles craignent de subir mon sort — être écartées du pouvoir.
    C'est de ma propre initiative que je crée une organisation et que je travaille à prendre de plus grands risques dans le pays. Sans partisans internationaux, il est difficile pour une femme de réfléchir avec réalisme aux droits de la personne, aux droits des femmes, à la doctrine de ces droits, de travailler et de voir ses efforts couronnés de succès.
(0945)

[Français]

    Est-ce que j'ai encore du temps?
    Non, je regrette.
    Merci, madame.

[Traduction]

    Monsieur Marston, je vous en prie.
    Bonjour. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage.
    Ma question sera assez simple. Avez-vous eu l'occasion de rencontrer notre ministre des Affaires étrangères ou notre ministre de la Défense et de leur dire par où vous êtes passée.
    Non.
    Intéressant.
    Nous entendons souvent parler des prétendus exploits des Canadiens en Afghanistan concernant la protection des écoles qu'on essaie de faire fréquenter par les filles, pour leur donner un sentiment de liberté. Depuis le début de la présence des Canadiens, est-ce ce que vous observez? Une plus grande liberté des femmes qu'avant?
    Sur le plan constitutionnel, oui. Dans les faits, en 2004-2005 ainsi qu'en 2009, oui également, mais il n'y a pas de progrès; c'est un progrès en dents de scie. À cause des pouvoirs accordés à l'extrémisme en Afghanistan, les craintes et la frustration ont augmenté. Les militantes féministes afghanes ont l'impression que l'extrémisme est puissant et qu'elles seront défaites, trahies, menacées et tuées.
    C'est pourquoi, instinctivement, on devient conservateur, pour prendre du recul. Les militants étrangers du début ne viennent plus en Afghanistan; ils sont retournés à leurs maisons secondaires et ils ont cessé de s'intéresser au pays. Quant aux Afghans, certains ont joint les groupes extrémistes, pour bénéficier de leur protection, tandis que les autres, ils se sont dégonflés.
    Si on tenait des élections libres et démocratiques, est-ce que M. Karzaï l'emporterait?
    Non.
    C'est ce que je pensais.
    Ma prochaine question est probablement dépourvue d'intérêt pratique: le considérez-vous comme celui qui apportera la paix et qui fera la réconciliation?
    Non.
    Nous connaissons un peu les mauvais traitements que les femmes subissent. J'ai passé six mois en Arabie saoudite, à la fin des années 1970. Je suis curieux de savoir: que pensez-vous de la réaction des Américains aux reportages sur les sévices dont sont victimes les Afghanes?
    La stratégie mise de l'avant par la communauté internationale — elle a tenu des discussions à ce sujet au cours des premiers mois de 2010, à Londres — consiste à intégrer les talibans dans le processus, à « afghaniser » davantage le processus. La priorité va à la paix et à la sécurité, tandis que les droits de la personne, les droits de la femme et les enjeux pour la société civile deviennent secondaires.
    Il s'ensuit que, à partir de 2006, le gouvernement de l'Afghanistan a été de moins en moins attentif aux affaires concernant les droits de la personne. Il estime que la communauté internationale est d'accord avec ses priorités. Au nom de la paix et de la sécurité, il accepte souvent plus de fondamentalisme, et des activités fascistes ont lieu à l'égard de la supériorité de certaines ethnies dans les pays.
    Ce sont ces genres d'intérêts, à l'intérieur de l'Afghanistan, qui profitent de l'effort fourni par la communauté internationale pour la démocratie et le libéralisme en Afghanistan. Ces enjeux ne bénéficient pas d'une surveillance suffisante. Il s'est créé une mafia qui détient le pouvoir, et la communauté internationale n'y voit que du feu parce que ce pouvoir est clandestin, invisible.
(0950)
    Il se peut cependant que la paix et la sécurité dont il est question se situent à un niveau qui permet à la communauté internationale de se dégager et de se retirer. L'objectif premier est donc de quitter le pays plutôt que de terminer les réformes démocratiques nécessaires.
    Les seigneurs de guerre dont vous parlez, sont-ils de mèche avec les talibans?
    Idéologiquement, oui. Ils partagent la même idéologie, absolument. Ils peuvent s'entendre comme larrons en foire, en très peu de temps. Lorsqu'ils étaient ennemis, ils n'avaient aucun pouvoir. Ils luttaient pour le pouvoir. Le pouvoir politique. Maintenant, ils sont alliés, comme nous pouvons le constater. L'ancien président, le prédécesseur de Karzaï, Rabbani, a annoncé qu'il appuyait entièrement l'exercice du pouvoir politique avec les talibans, lui qui les a combattus.
    Il y a 10 ans, on a sorti le président Rabbani de Kaboul pour l'amener dans une province du Nord de l'Afghanistan, à la frontière du Tadjikistan. Il recevait l'appui des Russes pour combattre les talibans. Il les a combattus pendant cinq ans. Mais, après l'intervention de la communauté internationale, Karzaï lui a succédé à la présidence. Il a donc combattu pendant cinq ans dans une campagne qui a permis de vaincre les talibans. Maintenant, il annonce qu'il est leur ami et qu'il appuie totalement le partage du pouvoir politique avec eux.
    Pourquoi? Parce que les talibans et les seigneurs de guerre — c'est le nom qu'on leur donne — ont les mêmes bailleurs de fonds. Des extrémistes des pays arabes. C'est la même... Leurs maîtres ont donc enjoint aux deux groupes de s'allier pour obtenir le pouvoir politique en Afghanistan et, grâce à l'effort de certains pays, grâce à l'argent obtenu sous le couvert d'aide technique ou de n'importe quelle autre aide, créer un gouvernement extrémiste et lui accoler l'étiquette de démocratie. C'est pourquoi il a annoncé sa volonté de s'associer au pouvoir avec les talibans.
    Voyez-vous la machination? Ce qui les intéresse, c'est seulement l'argent. En secret, ils sont alliés. Ce sont des frères. Ils exécutent leur programme secret. Ils ne tolèrent aucune féministe ayant la vision des véritables droits de la personne en Afghanistan et ils bloquent les progrès de la démocratie et du libéralisme dans ce pays, parce qu'ils en sont les ennemis.
    On le sait que ce sont des ennemis. Dans la doctrine de la dictature religieuse, il n'y a pas de place pour les femmes. C'est pourquoi ils s'attaquent aux femmes également. C'est pourquoi je dis que la communauté internationale ou des appuis internationaux sont politiquement nécessaires pour les militantes féministes, en Afghanistan, pour qu'elles puissent survivre, être protégées et travailler à l'avancement des droits des femmes afin d'amener un véritable changement au pays.
    C'était ce que je voulais faire, mais, en 2002, la communauté internationale ne me connaissait pas. Je suis devenue candidate grâce à la popularité personnelle dont je jouissais. J'étais une activiste sociale et j'avais travaillé directement avec des milliers et des centaines de milliers de personnes, en les aidant à recevoir de l'aide des Nations Unies. C'est pourquoi ces personnes me connaissaient et qu'elles m'ont appuyée. C'était des gens ordinaires. Mais, en 2002, j'étais une inconnue pour la communauté internationale. Je disais à qui voulait m'entendre que si cette chance était donnée à une femme, je pouvais le faire pour l'Afghanistan, en toute honnêteté.
    Je savais que les hommes qui détenaient le pouvoir étaient des trafiquants et des politiciens très expérimentés. Ils font beaucoup d'argent. Je suis à Ottawa depuis deux jours et j'ai entendu beaucoup de choses de nombreux Afghans. J'ai entendu parler d'eux en Afghanistan, où ils ne possèdent pas de maison; je connaissais les détails de la vie personnelle et de la vie familiale de beaucoup de dirigeants de l'Afghanistan. J'ai entendu dire qu'ils achetaient ici des propriétés qui valent des millions de dollars. C'est pourquoi je me suis imaginé que si nous, les femmes, obtenions le pouvoir en Afghanistan, nous enquêterions sur ces biens personnels et que nous restituerions au Trésor afghan la valeur de tous les biens nationaux qu'ils ont détournée depuis l'étranger.
    J'ai entendu dire que le chef de cabinet du président Karzaï s'était acheté à Vancouver une maison d'une valeur d'un million de dollars: une maison d'une telle valeur pour une personne qui, avant, n'avait pas de maison à Kaboul. En huit ans donc, c'est l'exploit que réalise le chef de cabinet.
(0955)
    On peut donc constater que beaucoup d'argent accordé à l'Afghanistan et une part importante du revenu national de ce pays ont été utilisés à mauvais escient, parce qu'il n'y a pas de primauté du droit dans ce pays; cet argent a été dispersé dans différentes banques dans le monde et dans des pays comme le Canada. Voilà une autre source de revenus pour l'Afghanistan sur laquelle on peut enquêter et que l'on peut restituer au Trésor national.
    En outre, les seigneurs de guerre et les chefs de groupes extrémistes possèdent des millions de dollars. Nous possédons donc une richesse nationale. Avec l'appui de vos gouvernements et des Nations Unies, cette organisation, de concert avec un gouvernement afghan fort, peut lancer une enquête sur les biens personnels de ces seigneurs de guerre, ces commandants et ces chefs extrémistes.
    Tous les Afghans savent que, il y a trois décennies, leurs pères et eux-mêmes étaient très pauvres et ils n'ont plus à raconter comment ils s'en sont tirés: ils combattaient le jihad, et le jihad est mené au nom d'Allah. Mais comment est apparue toute cette richesse? Elle est le bien du peuple et elle devrait retourner au peuple. Les Nations Unies ont entrepris une enquête sous une administration précédente, il y a neuf ans, mais ils l'ont arrêtée. Elles s'informaient auprès de différentes banques du monde sur les biens des chefs de groupes extrémistes. Mais, tout d'un coup, elle a mis fin à l'enquête.
    On pourrait la relancer. Combien de biens et d'argent sont dispersés aux quatre coins du monde? C'est un sujet d'enquête, et les inculpés pourront se défendre devant les tribunaux. S'ils ne le peuvent pas — à l'évidence ils ne le pourront pas — on devrait les punir et les jeter en prison et restituer au Trésor national les biens qui appartiennent au peuple afghan. C'est un revenu très important pour l'Afghanistan.
     J'ai entendu parler d'un chef extrémiste qui possédait 20 millions — 20 millions! — à lui seul dans une banque à l'étranger. Tous ensemble, ils valent des centaines de millions de dollars, ce qui permettrait la reconstruction de l'Afghanistan. Tous les désirs que nous avons d'être libres et de vivre dans un Afghanistan respectueux du droit, rayonnant, heureux et en bonne santé, un Afghanistan démocratique, tous ces désirs, nous pouvons les réaliser grâce à cela, avec la valeur des biens qui ont été confisqués au peuple afghan.
    Merci.
    Merci.
    Je vous ai laissé dépasser le temps qui vous était attribué, parce que c'est le témoin qui parlait. Pour permettre une dernière série de questions aux conservateurs, je vais dire que l'horloge indique moins sept.
    Nous commençons avec M. Hiebert, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je partagerai le temps qui m'est alloué avec mon collègue.
    Merci, madame Jalal, de vous être déplacée et d'avoir fait pour nous le point sur la démocratie en Afghanistan.
    Pendant votre exposé, vous avez parlé assez longtemps de l'état du régime parlementaire de votre pays. Cela m'a amené à penser aux progrès réalisés au cours de la dernière décennie. Il y a 10 ans, avant l'intervention de la communauté internationale dans votre pays, auriez-vous eu la liberté d'être candidate à une élection?
(1000)
    Non, évidemment non. Le pays était sous la botte des talibans. On ne m'aurait pas autorisée à sortir de ma maison sans chaperon masculin. Je n'avais pas le droit de montrer mon visage. J'étais incapable de travailler. J'étais privée de toute possibilité d'apprendre, si je le voulais. J'étais éloignée de toute vie économique, politique, sociale et culturelle. C'est tout. Je devais rester à la maison et prendre soin des enfants. Rien de plus.
    Le changement a donc été spectaculaire.
    D'un point de vue légal, rien n'empêche les femmes de prendre part à la vie démocratique; la constitution de 2003 leur permet de le faire. De ce côté, oui, les choses ont changé. Il y a toutefois une marge entre le permettre légalement et concrétiser l'intention de la loi. Il est difficile de créer des occasions pour que les femmes puissent se réaliser.
    Comme l'indique mon mémoire, les pratiques s'opposent parfois à la constitution de l'Afghanistan. Par exemple, dans l'Est du pays, le conseil des Oulémas a annoncé qu'il n'autoriserait aucune femme à sortir de chez elle sans être escortée. On tente donc encore de restreindre les déplacements des femmes. D'autres restrictions sont aussi appliquées. Des menaces et des problèmes de sécurité nous forcent à sortir les jeunes filles des écoles et à renvoyer les enseignantes à la maison; elles ne peuvent plus travailler. De nouvelles embûches ne cessent de se dresser sur le chemin des femmes, qui mènent encore une vie recluse et qui sont limitées dans leurs déplacements.
    Pour ce qui est de renforcer le régime démocratique de votre pays, que doit-il se passer à l'interne selon vous pour que les élections se déroulent dans la liberté et la justice, et pour que des procédures démocratiques adéquates soient appliquées entre les élections?
    Le gouvernement de l'Afghanistan, ainsi que la commission électorale, doivent veiller à ce que le processus soit transparent. De cette façon, il est possible de mobiliser la population, les hommes comme les femmes, pour que tous puissent prendre part au processus électoral. On s'assurerait ainsi d'avoir des élections plus justes que celles que nous avons connues.
     Toutefois, le gouvernement en place a lui-même triché: aux dernières élections, en 2004 et en 2009, pour le conseil présidentiel et les conseils provinciaux, un million de votes ont été falsifiés. La commission et le gouvernement sont responsables de cette tricherie. Alors pouvons-nous vraiment leur faire confiance? Les mêmes personnes sont à la barre du gouvernement et de la commission. Elles ont manipulé les élections. Le niveau de frustration au sein de la population est aujourd'hui à son paroxysme, justement parce que le gouvernement a agi de la sorte.
    Vous avez parlé de la jirga de paix, mais j'aimerais que vous me parliez des autres jirgas. Leur but initial était de permettre les rapprochements, mais elles ont plutôt pour effet de paralyser le Parlement. Elles ont changé le profil du pouvoir.
    C'est exact.
    Le Canada, par l'entremise de l'ACDI, et les États-Unis, par l'entremise d'USAID, ont investi dans la formation des parlementaires et de l'appareil judiciaire sur les principes de la démocratie. Vous avez dit à mon collègue qu'il y avait eu de grandes améliorations, mais que la situation des droits de la personne s'était aussi dégradée au cours des dernières années.
    Le régime de justice transitionnelle que prévoyait l'Accord de Bonn de 2001 n'a jamais été mis en oeuvre. Cela crée des failles dans le système. La justice transitionnelle devait permettre de remettre à la justice les seigneurs de guerre, les chefs extrémistes et les criminels de guerre.
    Plutôt que de les envoyer devant les tribunaux, on les envoie au Parlement, au Cabinet, bref au pouvoir politique. Ce sont donc eux qui tiennent les rênes. Ils se votent des lois d'impunité et influencent le processus de démocratisation pour qu'il penche de plus en plus en leur faveur.
    C'était une erreur de ne pas mettre en oeuvre le régime de justice transitionnelle. Au lieu de cela, nous leur avons remis le pouvoir politique dont ils avaient besoin pour remodeler l'Afghanistan à leur manière, et ce, grâce à des moyens externes. Et par-dessus tout, on achète la paix auprès des extrémistes talibans en leur offrant des postes de pouvoir.
(1005)
    Vous nous avez dit dans votre témoignage qu'il n'y avait pas de talibans modérés.
    Non. Ce n'est que le nom qu'ils se donnent pour pouvoir amadouer la communauté internationale. Ce n'est rien de plus qu'un titre, car la réalité est tout autre. Il n'y a pas de « talibans modérés » ou de « talibans extrémistes ». Ce ne sont que des noms qu'ils utilisent lorsqu'ils ont une demande à formuler auprès de la communauté internationale, pour la convaincre de faire quelque chose.
    Sinon, nos seigneurs de guerre, nos groupes extrémistes qui siègent au pouvoir en ce moment, et les talibans ne sont pas différents les uns des autres. Ils ont tous les mêmes visées. Ce sont des fondamentalistes. Ils veulent installer une dictature logistique en Afghanistan, et ils le font avec l'aide des démocraties...
    Nous en avons probablement une bonne idée, mais j'aimerais vous demander en terminant de qui vous parliez quand vous nous avez dit que le maître leur avait suggéré, aux seigneurs de guerre et aux talibans, de s'unifier. J'imagine que vous faisiez référence à leurs partenaires de financement.
     Oui.
     Pouvez-vous nous nommer les pays qui appuient cette initiative?
    Si on m'en donnait les moyens, je pourrais le découvrir, car il faut user de manoeuvres pour y arriver. On se doute cependant que ce sont de grandes puissances économiques. Avec les activités qu'ils mènent en Afghanistan… ils peuvent lancer sans problème une chaîne de télévision, et avec les pouvoirs médiatiques qu'ils ont grâce aux stations de radio, aux chaînes de télévision, aux journaux et aux magazines, tout cela est très facile pour eux.
    Ces gens sont très riches, et lorsqu'il y a une élection, ils paient pour que leur candidat soit élu. Ils sont aussi capables de s'acheter des postes de pouvoir au gouvernement, et ils le font à très gros prix. Ils ont tellement d'argent qu'ils paient leur entourage pour acheter des maisons dans des secteurs politiques stratégiques de Kaboul et d'ailleurs, sur nos terres, et ils y installent les membres de leur parti.
    Ils arrivent également à former des partis politiques en l'espace d'une seule nuit, à les inscrire au gouvernement et à former des organisations, et sans grande difficulté. On peut donc facilement en conclure que des sources très puissantes sont derrière eux et que celles-ci leur versent des sommes phénoménales. Notons par ailleurs que c'est une sorte de mafia qui s'est installée au pouvoir. Un possède une entreprise de construction, et son frère, qui est en politique, l'aide à obtenir des contrats auprès des sources militaires américaines et internationales. Leur autre frère... c'est parce qu'ils ont de l'argent et que leur compte en banque est bien garni.
     Il n'y a qu'un seul critère à respecter: il faut avoir 10 millions de dollars en banque pour gagner le contrat d'un projet de construction de routes d'une valeur de 40 millions de dollars. Et qui a l'argent nécessaire pour obtenir le contrat? Le frère du seigneur de guerre. Alors il se présente bien mis, fraîchement rasé, et cravaté, pourquoi pas, devant le contributeur (la base militaire américaine, par exemple), et on lui confie les projets.
    Vous voyez, ils s'approprient toutes les occasions économiques qui se présentent en Afghanistan. Le citoyen moyen ne peut pas faire concurrence à ces gens-là. C'est pourquoi la population afghane n'a toujours pas gagné d'autonomie. Elle a pu profiter de l'amélioration de quelques services généraux au cours de ces neuf années de règne de son gouvernement, mais c'est tout. On a maintenant la liberté légale de travailler ou d'obtenir une éducation, mais pour ce qui est des possibilités économiques, elles sont dans les mains des groupes extrémistes en Afghanistan.
    Les intervenants libéraux et démocrates venus du Canada et des États-Unis sont des technocrates. Quand ils ont vu que ces groupes avaient autant d'argent, les technocrates ont décidé de conclure des partenariats avec eux. Par exemple, nous avons un seigneur de guerre comme vice-président de l'Afghanistan. Il s'appelle Fahim.
     Fahim est un homme riche, et c'est pour sa richesse que le président l'a nommé vice-président. Pourquoi? Parce que les frères du président et les frères de Marshal Fahim ont conclu des ententes économiques. Ils ont en effet acheté les mines de l'Afghanistan avec un partenaire international, alors c'est ainsi que le rapprochement s'est fait et qu'ils sont devenus président et vice-président.
    Et qu'en est-il des femmes? Vous savez que nous ne sommes même pas dans la course.
     Et le grand public, et la société civile? Jamais. Les citoyens ordinaires ne peuvent pas faire concurrence. Les classes sociales se sont divisées, et la première classe se compose des seigneurs de guerre et des chefs extrémistes et de leurs familles, de même que des technocrates occidentaux, qui ont conclu des partenariats avec eux pour en tirer des avantages économiques... La société civile et les femmes ne peuvent toujours pas tirer profit de ces possibilités. On peut peut-être trouver un emploi ici et là, mais jamais profiter des occasions qui sont réellement lucratives ni gagner du pouvoir économique.
    Ils ont aujourd'hui mainmise sur les pouvoirs économiques et politiques. Si personne n'intervient et qu'on laisse aller les choses de la sorte, ce seront ceux qui détiennent les pouvoirs économiques qui décideront des pouvoirs politiques et de nos dirigeants en Afghanistan. Et ceux qui détiennent les pouvoirs économiques, ce sont les seigneurs de guerre, les chefs extrémistes et leurs familles. Et si le Parlement veut suivre, ses dirigeants auront aussi leur part du gâteau.
(1010)
    Donc, lors des prochaines élections, les candidats appuyés par ce groupe vont l'emporter, comme Karzai l'a emporté aux dernières élections, grâce à leur soutien. La communauté internationale l'a appuyé parce qu'il savait bien s'exprimer en anglais. On savait qu'il avait vécu en Virginie, aux États-Unis, qu'il détenait sa carte verte là-bas et que sa famille y habitait depuis une trentaine d'années. Ce sont les mérites qu'on lui avait attribués. Et comme c'est un homme posé aux bonnes manières, il a su gagner la confiance de la communauté internationale.
    Mais à l'interne, qui l'ai aidé? Ce sont les extrémistes. Il a conclu un partenariat avec les extrémistes pour partager le pouvoir avec eux. Il leur a dit qu'il n'appliquerait jamais le régime de justice transitionnelle; j'entends souvent Karzai dire aux extrémistes « Remerciez Dieu ». Karzai évite le tribunal à ces personnes en échange de leur appui. C'est ainsi que les choses fonctionnent en Afghanistan.
    Il a raison. Il est honnête avec eux. Il tient parole. C'est vrai que la justice transitionnelle n'a jamais été mise en oeuvre, et c'est ce qui a engendré toutes ces failles. C'est la source de tous les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises aujourd'hui, et face auxquels la communauté internationale se perd en conjectures.
    Appliquer le régime de justice transitionnelle sera comme traiter la maladie, même s'il est un peu tard pour le faire. Pour nous en sortir, il faut traduire les criminels en justice, faire enquête sur leurs biens personnels et retourner à l'État ce qui appartient à l'État, et pour cela, il faudra la collaboration des Nations Unies et du gouvernement de l'Afghanistan.
    Mais les extrémistes ont aujourd'hui trop de pouvoir sur le gouvernement de l'Afghanistan. Il n'y a personne pour prendre les mesures qui s'imposent, ou en tout cas personne qui ne veuille se mouiller. Et aucun mécanisme ne nous permet de le faire non plus, parce que maintenant tous les membres de ces partis et de ces groupes ont leur place au gouvernement. Ce n'est donc pas possible.
    Cependant, quand la communauté internationale est intervenue en 2001, tous ces extrémistes ont tremblé de peur. Ils étaient en état de choc, car ils croyaient qu'on ferait valoir les principes des droits de la personne et qu'ils seraient reconnus coupables de leurs crimes devant le Tribunal international de La Haye. C'est le sentiment général qui régnait chez les Afghans. Puis, six mois plus tard, deux ans plus tard, et petit à petit, ils ont retrouvé suffisamment de courage pour se tenir debout et faire ce que bon leur semble.
    Merci beaucoup.
    Monsieur le président, puis-je faire une annonce rapidement?
    Oui, allez-y, monsieur Silva.
    Je veux simplement informer le comité que Mme Jalal va s'adresser ce mercredi à tous les membres du Parlement, de 15 à 16 heures, dans la salle 306 de l'édifice de l'Ouest. Nous vous encourageons à inviter vos collègues à assister à cet événement.
(1015)
    Si je ne me trompe pas, elle tiendra aussi une conférence de presse dans quelques instants.
    Oui, à 10 h 30.
    Très bien. C'est bien sûr un dossier important, et Mme Jalal doit se préparer pour la conférence de presse.
    Je vous remercie, madame Jalal, d'avoir accepté notre invitation, et je remercie les membres du comité d'avoir pris le temps qu'il fallait pour mener à bien cette réunion.
    Avant de suspendre la séance, je dois rappeler aux membres du sous-comité qu'ils ont jusqu'à 17 heures aujourd'hui pour soumettre les changements proposés au rapport sur l'examen périodique universel. Je vous prie de transmettre toutes vos suggestions à notre greffier avant 17 heures.
    Nous allons bien sûr reprendre la séance à 13 heures pour entendre nos témoins du Bélarus. L'audience aura lieu dans la salle de lecture, juste en face. Merci beaucoup.
    La séance est suspendue.
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