SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 28 octobre 2010
[Enregistrement électronique]
[Français]
À l'ordre, s'il vous plaît. Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, nous sommes le 28 octobre 2010, et il s'agit de la séance no 28.
[Traduction]
Nous procéderons aujourd'hui à un examen rapide des droits de la personne et de la liberté d'expression en Chine. Deux témoins se joignent à nous par vidéoconférence depuis New York, soit Jianli Yang, fondateur et président de Initiatives for China, et Maran Turner, directrice générale de Freedom Now.
Je rappelle aux membres du sous-comité que la réunion d'aujourd'hui est télévisée et que nous disposons seulement d'une heure, malheureusement.
Je vais laisser nos témoins s'exprimer. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de vous entendre. Je vous invite simplement à présenter votre déclaration préliminaire. En temps normal, nous demandons aux témoins de s'en tenir à une dizaine de minutes, mais nous vous laisserons un peu de latitude.
La parole est à vous.
D'accord. Je peux bien commencer.
Je m'appelle Maran Turner et je suis la directrice générale de Freedom Now. Freedom Now est un organisme neutre et à but non lucratif qui a son siège à Washington D.C. Sa mission est d'œuvrer pour la libération des prisonniers d'opinion partout dans le monde, c'est-à-dire des personnes emprisonnées ou détenues pour leurs propos, leurs croyances ou leur association avec certaines personnes. Notre mission est de travailler pour chacun d'eux et de mobiliser les ressources légales et politiques et de faire appel aux relations publiques pour aider à obtenir leur libération.
Je vais vous donner un peu de contexte sur notre organisation et vous expliquer pourquoi c'est un honneur tout spécial de me trouver à côté de M. Yang. Notre organisation s'est engagée en faveur de M. Yang. Activiste de longue date des droits de la personne, M. Yang était lui-même à la place Tiananmen, puis il a eu le malheur d'être condamné à cinq ans d'emprisonnement en Chine — sous prétexte, je crois, d'espionnage pour le compte de Taïwan, chef d'accusation très fréquent à l'époque.
Aujourd'hui établi aux États-Unis, M. Yang est un activiste des droits de la personne bien en vue et continue de se dépenser sans compter pour les droits de la personne en Chine. À mes yeux, son expérience lui donne une connaissance particulière de l'incarcération en Chine, ainsi que de la réalité vécue par les activistes des droits de la personne dans ce pays.
Permettez-moi de faire un point rapide sur la situation en Chine pour les dissidents aussi bien que pour la primauté du droit. Les choses se présentent plutôt mal pour les intellectuels indépendants. De plus en plus, les activistes, les pratiquants d'une religion, les avocats et les journalistes exercent leurs activités à leurs risques et périls, et mettent malheureusement leur famille en danger aussi.
Beaucoup affirment que la situation empire et que le gouvernement est engagé dans une répression sans merci. Les défenseurs des droits de la personne sont harcelés, intimidés et surveillés, et on cible aussi leurs familles. Les détentions arbitraires se multiplient, tout comme les disparitions, phénomène effrayant illustré par le cas de Gao Zhisheng, dont je vais parler.
Au milieu de tout cela, l'image de la Chine a connu un véritable renversement ces dernières années. Le pays a réalisé des progrès économiques impressionnants. Tandis que le monde assiste à cette amélioration de sa position, le débat sur les droits de la personne est mis en veilleuse, c'est triste à dire, et les choses continuent comme avant. Des progrès ont été enregistrés en matière de droits de la personne, mais c'est le plus souvent pour la forme seulement. Quand des mesures concrètes sont prises, c'est parce que le gouvernement y trouve son compte et que le monde a les yeux tournés vers la Chine.
On dit depuis quelque temps déjà que la notion de primauté du droit bat en retraite. Comme je l'ai mentionné, on cible des activistes et des dissidents individuels, qui sont mis en état d'arrestation avant de subir un procès. À quelques rares exceptions près, ils sont inculpés en vertu de l'article 105 du code criminel chinois, qui traite de subversion ou de séparatisme. Le plus souvent, on les accuse de simple incitation à la subversion ou au séparatisme, notions qui n'ont ni l'une ni l'autre une interprétation judiciaire ou législative. La loi est incroyablement vague — et bien entendu, la notion d'incitation est plus vague encore.
La preuve invoquée contre des dissidents comme M. Yang, Liu Xiaobo et Gao Zhisheng, dont je discuterai bientôt, est leurs propres paroles, leurs expressions, leurs écrits. S'attaquer juridiquement à la libre expression est inadmissible selon nos valeurs et notre culture, et c'est tout aussi vrai pour les Chinois. Le gouvernement chinois prétend respecter lui aussi la liberté d'expression, qui figure dans sa constitution. La Chine a signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui contient des dispositions protégeant la liberté d'expression et la liberté d'association, et prohibant la détention arbitraire. La Chine ne l'a pas encore ratifié, mais elle l'a signé; comme ses propres lois contiennent beaucoup des mêmes dispositions, il ne fait aucun doute qu'elle se doit de le respecter.
Il faut savoir que le gouvernement chinois affirme non pas qu'il enfreint une loi, qu'elle soit chinoise ou internationale, mais plutôt qu'il observe le droit et qu'il respecte aussi la liberté d'expression, sauf quand elle menace la sécurité. Et il se trouve que ceux qui sont ciblés, qui sont arrêtés et accusés de menace à la sécurité, sont justement ceux qui s'élèvent contre le système à parti unique et appellent à la réforme démocratique. Autrement dit, la sécurité qui tient tant à cœur au gouvernement n'est pas la sécurité du peuple, mais celle du parti.
Tout cela nous donne à penser, me donne à penser, que le gouvernement se laisse gagner par la paranoïa au sujet de sa propre sécurité, et qu'en conséquence il sévit plus fortement encore contre les dissidents.
Des milliers de gens sont surveillés, harcelés et emprisonnés, et finissent pas disparaître. Deux cas emblématiques, que nous venons vous exposer aujourd'hui, sont des cas auxquels Freedom Now est fière de prendre part, puisque nous représentons aussi bien Gao Zhisheng que Liu Xiaobo.
Ces deux cas sont emblématiques parce que ni Gao ni Liu ne sont extrémistes. Gao Zhisheng est un avocat spécialiste des droits de la personne, ou l'a déjà été; à une certaine époque, il était l'un des dix avocats les plus en vue en Chine. Mais parce qu'il a accepté de représenter trop de personnes marginales et persécutées, en particulier des minorités religieuses comme le Falun Gong, le gouvernement chinois a concentré ses attaques sur lui. Il a été arrêté et harcelé à maintes reprises et a subi des tortures inimaginables. Il a été roué de coups de bâton et électrocuté, et des cigarettes allumées ont été posées contre son visage — tout cela pour avoir défendu certaines personnes. Il n'était pas lui-même un détracteur virulent du gouvernement, mais il représentait des personnes qui essayaient simplement de s'exprimer et de croire en ce qu'elles voulaient.
Il a essayé de rester dans les limites du système judiciaire chinois, mais quand cela s'est révélé impossible, quand il a appris que ses clients étaient encore torturés et emprisonnés, il a demandé à ce qu'on intervienne et s'est fait entendre publiquement, et il a aussi écrit des lettres ouvertes au gouvernement pour exiger qu'il mette fin à la torture. Sa dernière action a été de présenter de l'information au Congrès des États-Unis sur la situation des droits de la personne en Chine.
Mais une chose terrible est arrivée — il a disparu. C'est alarmant au plus haut point, parce que s'il est vrai qu'il y a eu beaucoup de disparitions au fil des années, leur nombre est très inférieur à celui des inculpations et des emprisonnements. Le fait qu'il s'agisse d'un avocat spécialiste des droits de la personne est particulièrement troublant.
Il a été arrêté le 4 février 2009, puis il a disparu. Nul ne savait où il était. Il était détenu par le gouvernement la dernière fois qu'il avait été vu. Quand on a commencé à poser des questions, le ministre des Affaires étrangères a dit en public que Gao était là où il devait être, paroles lourdes de menaces. On ne savait trop comment interpréter cette déclaration. La communauté internationale s'est mobilisée et les questions ont commencé à fuser de toutes parts, et c'est uniquement grâce à cet énorme intérêt international que le gouvernement chinois s'est senti obligé de faire réapparaître Gao, si l'on peut dire.
Il a donc réapparu, mais ça a duré moins d'un mois. Dans l'intervalle, il a pu s'exprimer devant la presse et parler aux membres de sa famille, mais moins de 30 jours plus tard, il avait disparu à nouveau. C'était en avril, et c'est la dernière fois que quiconque a eu des contacts avec lui. Nous ignorons où il est et dans quel état il se trouve.
J'aimerais maintenant parler de Liu Xiaobo, qui est aujourd'hui, comme chacun le sait, le célèbre lauréat du prix Nobel de la paix. Nous sommes bien entendu très contents. Je sais que M. Yang est ravi de la décision du comité du prix Nobel de récompenser l'homme exceptionnel qu'est M. Liu, qui depuis des années met à profit son intelligence et son charisme pour essayer de faire respecter les droits de la personne et de faire adopter des réformes démocratiques dans son pays. Il a été puni pour ses actes.
M. Liu est professeur de littérature à Beijing, et il a été professeur invité à l'Université Columbia aux États-Unis. Comme M. Yang et beaucoup d'autres, il est retourné en Chine durant les manifestations de la place Tiananmen. Il était l'un de quatre intellectuels qui ont négocié le retrait pacifique de certains des étudiants. Il a prêché uniquement la paix aux étudiants, et il a réussi à négocier avec les agents sur place pour assurer la sécurité de ces étudiants.
Ses actions lui ont valu 20 mois de prison. Il est resté en Chine, où il a continué de travailler à des projets et de prôner la réforme démocratique. Bien sûr, il a souvent été harcelé lui aussi et a été incarcéré. En 2008, il a été l'un des principaux rédacteurs de la Charte 08, que M. Yang pourra vous expliquer plus en détails, j'en suis sûre.
C'était tout un document, rédigé en collaboration avec plusieurs intellectuels. M. Liu en était certainement le signataire le plus ouvert et le plus franc. La charte est fondée sur la Charte 77, qui se rapporte à la Tchécoslovaquie et ne vise pas du tout une révolution radicale en Chine, mais plutôt des réformes démocratiques. Par elle, on demandait à la Chine de s'engager à agir et de prendre des mesures réelles pour respecter les droits de la personne et la liberté d'expression.
En raison de ses liens avec la Charte 08, M. Liu a été arrêté le 8 décembre 2008. La Charte 08 a été publiée deux jours plus tard.
Au départ, environ 300 personnes avaient signé la Charte 08. Lorsqu'on l'a retirée d'Internet, environ 10 000 personnes l'avaient signée et appuyée.
M. Liu, comme de nombreux autres, a été détenu pendant environ six mois et a été tenu au secret la plus grande partie du temps. Aucune accusation n'a été portée contre lui. C'est seulement après environ six mois qu'il a été accusé, évidemment, d'incitation à la subversion, soit d'avoir violé l'article 105.
Pendant son procès, auquel son avocat a eu très peu de temps pour se préparer, il a eu droit à 14 minutes avant que le tribunal ne mette fin à sa défense. Je me contenterai de dire qu'on n'a absolument pas respecté le droit à l'application régulière de la loi, ni le droit à un procès équitable tel que l'entend la communauté internationale. On lui a infligé une peine de 11 ans.
Ce crime, c'est-à-dire l'incitation à la subversion, est assorti d'une peine maximale de 15 ans; toutefois, on a infligé à M. Liu la sentence la plus longue que personne n'ait jamais reçue pour ce crime. On a interdit à sa femme d'assister au procès. Les journalistes ainsi que les diplomates n'étaient pas autorisés à entrer dans la salle d'audience. Alors ce n'était en aucun cas un procès public.
Au moment du prononcé de la sentence, par l'entremise d'une déclaration présentée par son avocat — déclaration extrêmement éloquente, je trouve, et que je tiens à vous lire —, M. Liu a dit:
Je sais depuis longtemps que, lorsqu'un intellectuel indépendant résiste à un État autocratique, le premier pas vers la liberté mène souvent à la prison. Je fais maintenant ce pas et je suis encore plus près de la véritable liberté.
M. Liu a fait ce pas en tout connaissance de cause. Mais il ignorait qu'il recevrait le Prix Nobel.
C'était l'occasion pour la Chine de se montrer à la hauteur et de souligner l'effort de l'un des siens — quelqu'un qui ne souhaitait pas une réforme radicale, mais qui voulait que son pays fasse du progrès et qu'il prospère. Malheureusement, au lieu d'appuyer cette personne qui a été reconnue par le comité du Prix Nobel, la Chine a immédiatement isolé sa femme, Liu Xia, et l'a assignée à domicile de facto, où elle se trouve encore aujourd'hui. On lui a permis de voir son mari quelques jours après l'annonce. Nous avons pu communiquer avec elle seulement pendant quelques instants au cours de l'heure qui a suivi l'annonce, tout juste avant qu'on vienne lui retirer l'accès au téléphone et l'empêcher de communiquer. Nous savons qu'ils l'ont ensuite emmenée à Beijing et que, le jour suivant, elle a pu voir son mari. Je crois qu'elle n'a pu passer qu'une heure avec lui.
Lorsque M. Liu a appris qu'il était récipiendaire du prix Nobel, il a versé des larmes et a immédiatement affirmé que ce prix n'était pas le sien, mais qu'il le dédiait aux martyrs de Tiananmen.
À partir de ce moment, la situation s'est détériorée. Le gouvernement de la Chine n'a toujours pas levé l'assignation à domicile de Liu Xia, la femme de M. Liu. Nous n'avons plus de nouvelles d'elle. Nous ne sommes pas certains; de ce que nous savons, elle est toujours détenue chez elle, mais c'est tout. Elle n'a plus accès au téléphone, ni à Internet.
C'est là où nous en sommes aujourd'hui. Un de nos clients, un avocat spécialiste des droits de la personne, a disparu. Et un autre, qui est lauréat du prix Nobel de la paix et que le monde entier reconnaît comme étant un homme illustre croupit quelque part en prison, et sa femme est assignée à domicile.
Ce qui nous inquiète, c'est la tendance alarmante du gouvernement chinois à continuer d'agir de manière aussi désinvolte — le plus grand signe étant qu'il ait réussi à faire disparaître un éminent avocat spécialiste des droits de la personne. C'est scandaleux, tout comme le fait que sa femme soit maintenant assignée à domicile. Aucune accusation n'a été portée contre elle. Le seul crime qu'elle a commis, c'est celui d'être la femme d'un homme chinois récipiendaire du prix Nobel de la paix. Cela nous inquiète énormément.
Avant de donner la parole à M. Yang, je veux simplement dire que je suis ravie que les dirigeants mondiaux demandent la libération de M. Liu et de sa femme, Liu Xia, ainsi que la « réapparition » de M. Gao Zhisheng.
Je suis heureuse de savoir que le premier ministre du Canada, M. Harper, a parlé au nom de Liu Xiaobo et a souligné le fait qu'il a reçu le Prix Nobel. Je sais également que le ministre des Affaires étrangères, M. Cannon, a discuté de ce cas avec le gouvernement chinois.
Je crois qu'il est primordial que maintenant plus que jamais nous nous fassions entendre haut et fort, et que les dirigeants mondiaux s'unissent pour discuter de cette affaire avec le président Hu. Je répète que personne n'essaie d'imposer des valeurs au président Hu; nous demandons tout simplement à la Chine de respecter les droits et les libertés qu'elle prétend déjà respecter.
J'espère que le gouvernement canadien discutera avec le président Hu et que les recommandations des députés iront en ce sens. Le Sommet du G20 en novembre est certainement une occasion en or: c'est l'occasion pour les dirigeants mondiaux qui y participent d'unir leurs voix.
Je vais maintenant céder la parole à M. Yang.
Merci, Maran, de cette merveilleuse déclaration.
Merci beaucoup, monsieur le président, de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui, à la suite de l'annonce marquante de l'attribution du Prix Nobel de la paix à notre grand concitoyen Liu Xiaobo.
Lorsqu'il a annoncé qu'il décernait le Prix Nobel de la paix de 2010 à Liu Xiaobo, le Comité du Prix Nobel a fait, dans son paragraphe d'ouverture, une déclaration fort simple mais très profonde:
Le Comité du Prix Nobel norvégien croit depuis longtemps qu'il existe un lien étroit entre les droits de la personne et la paix. Ces droits sont un préalable à la « fraternité entre les nations » dont parlait Alfred Nobel dans son testament.
Je suis ici aujourd'hui pour vous supplier, chers représentants d'une grande démocratie, d'examiner très sérieusement cette déclaration. Les démocraties de la planète ignorent depuis trop longtemps le lien indissociable entre la démocratie et la paix dans le monde. Elles essaient depuis trop longtemps de se convaincre que le peuple chinois verra ses droits politiques automatiquement respectés lorsque la Chine adhérera à une économie de marché. Nous devons maintenant reconnaître que c'est tout à fait le contraire qui s'est produit.
Le Washington Post a tiré la sonnette d'alarme dans un éditorial du 11 juillet dernier qui s'intitulait « China's Thin Skin ». Le quotidien affirme clairement dans cet article que la tolérance des démocraties occidentales à l'égard du mépris de la Chine pour les droits de la personne et la loi ne fait qu'inciter le gouvernement à accroître ses mesures de répression. Voici une citation de cet éditorial:
Sur le plan des droits de la personne, la Chine fait si piètre figure que les dernières mesures de répression contre l'opposition politique ne devraient pas être une surprise. Mais un élément inquiétant est apparu depuis peu, selon les activistes des droits de la personne: le fait que le gouvernement ne s'empêche même plus de viser des cibles très connues [...] Cette effronterie témoigne de l'assurance grandissante de Beijing sur la scène internationale — et du fait que le gouvernement chinois pense que même s'il abuse de ses propres citoyens, il n'aura pas à en payer le prix dans ses relations avec les États-Unis ou d'autres pays.
La réaction virulente du gouvernement chinois à l'attribution du Prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo montre à quel point le monde extérieur n'a aucune prise sur Beijing. Le fait est que plus le gouvernement chinois a peur de perdre son contrôle illégitime et unilatéral du pouvoir, plus il accentue ses mesures de répression contre ses propres citoyens. Il a aliéné presque tous les segments de la société chinoise: les Tibétains, les Ouïgours, la communauté chrétienne en plein essor et les disciples du Falun Gong ainsi que les intellectuels indépendants et les dissidents, comme Liu Xiaobo et Gao Zhisheng.
Les actes de persécution du gouvernement contre ses citoyens sont plus répandus que jamais. Partout en Chine des gens de toutes les couches de la société se font incarcérer ou sont victimes d'intimidation et de torture, peu importe leur comportement. Les expulsions forcées de citoyens, pour faire place aux plans grandioses du gouvernement et enrichir ses fonctionnaires locaux, sont endémiques. En raison des Jeux olympiques de 2008, 300 000 personnes ont été forcées de quitter leur maison à Beijing. Et 18 000 familles ont été déplacées — sans compensation, ou à peu près, ni possibilité de recours — pour accueillir l'Exposition universelle de Shanghai, que l'ONU-Habitat qualifie de réalisation monumentale.
Les cas de Liu Xiaobo et de Gao Zhisheng mettent en évidence la répression brutale de la liberté d'expression et l'affaiblissement des universitaires indépendants, des avocats spécialistes des droits de la personne et des professionnels. Le mécontentement et l'aliénation sont si profonds et si largement répandus que plus de 120 000 manifestations de grande envergure ont lieu chaque année en Chine, ce dont on fait très peu état dans les pays occidentaux.
Pour contenir ce mécontentement, le gouvernement chinois a mis en place, au cours des 20 dernières années, un état policier d'une ampleur sans précédent ou, comme le gouvernement chinois le nomme, un système de « maintien de la stabilité ». Chaque année, les Chinois consacrent plus de 5 billions de yuans provenant du PNB à cet énorme appareil de sécurité.
Ce système de sécurité est hors de contrôle. Il démontre clairement la paranoïa du régime et son attitude à l'égard de ses citoyens, qui sont considérés comme des ennemis devant être contrôlés à tout prix sur le plan intellectuel et social. Par exemple, Chen Guangcheng, l'avocat aveugle spécialiste des droits de la personne qui a été libéré récemment, est surveillé étroitement en tout temps par environ 30 agents de sécurité.
C'est devenu une pratique courante pour le gouvernement d'engager des hommes de main et des gangsters pour battre et kidnapper les dissidents et les membres de leur famille afin de les intimider pour qu'ils gardent le silence. À l'approche des dates qu'il est convenu de qualifier de délicates, les personnes jugées problématiques par le gouvernement sont intimidées, emprisonnées, assignées à résidence, harcelées ou conduites dans un poste de police — ou un restaurant, pour « prendre le thé ». Ça fait quelques années maintenant qu'on a adopté cette nouvelle façon de dire les choses; on vous amène prendre le thé. Après qu'on a annoncé au monde entier l'attribution du Prix Nobel de la paix à un Chinois, un très grand nombre de personnes, dans toutes les villes, ont été amenées au poste de police pour prendre le thé. Certaines d'entre elles ont été placées sous étroite surveillance. D'autres ont même été assignées à résidence. À Beijing uniquement, on parle de plus de 200 personnes.
Je pourrais continuer ainsi toute la journée, mais les faits parlent d'eux-mêmes. La question est de savoir si nous continuerons de nier la réalité et de permettre au gouvernement chinois de poursuivre dans cette voie autodestructrice, malgré les conséquences graves que cela entraîne pour la population chinoise et la stabilité mondiale, ou si nous aiderons le gouvernement chinois à véritablement joindre la communauté internationale en adhérant aux valeurs universelles que sont la démocratie et la primauté du droit.
À cet égard, je fais les suggestions suivantes.
Premièrement — c'est ce qu'il y a de plus urgent —, j'aimerais lancer un appel au premier ministre, M. Harper, pour qu'il établisse le dialogue avec le gouvernement chinois à propos des cas de Liu Xiaobo et de Gao Zhisheng, et d'autres cas. Je lui demande de toute urgence de discuter avec Hu Jintao au Sommet du G20, qui aura lieu le mois prochain en Corée, et de réclamer la libération de Liu Xiaobo et la remise en liberté de Liu Xia.
Deuxièmement, nous devrions remplacer la politique de patience et d'acquiescement par une politique de réciprocité. Dans nos relations avec la Chine, nous devrions mettre en lien la capacité de la Chine à profiter des fruits de notre société ouverte, par le biais des relations par traités, des échanges universitaires, des médias, etc., avec les progrès qu'elle démontre par rapport à la liberté d'expression et à l'accès à Internet dans la société chinoise. Ce qui veut dire que nous devrions exiger que nos citoyens puissent faire ce que nous permettons à ses citoyens de faire dans notre société ouverte.
Troisièmement, le Canada et la Chine ont discuté des droits de la personne entre 1996 et 2006. J'encourage vivement la reprise du dialogue, à condition que les groupes de défense des droits de la personne y participent.
Quatrièmement, le Parlement du Canada devrait mettre sur pied une fondation — l'équivalent canadien de la National Endowment for Democracy des États-Unis — afin de soutenir activement le mouvement démocratique chinois implanté en Amérique du Nord.
Je n'ai pas le temps d'approfondir ce point, mais je vais vous quitter sur ce conseil. Agissez avec force et impliquez-vous avec confiance. La réforme démocratique doit avoir lieu en Chine, non seulement pour le bien des Chinois, mais également dans l'intérêt de la paix mondiale. Nous devons aider les Chinois à réussir cette transition, et à la faire dans la paix.
N'ayez pas peur des réactions négatives du gouvernement chinois. Il sait qu'il est dans une situation précaire. Toute sa rhétorique est le bluff d'un régime désespéré qui sait que son temps est compté. Nous devons aider la population chinoise en faisant preuve de fermeté et en lui indiquant la voie à suivre. Par-dessus tout, nous devons accompagner nos paroles de mesures concrètes.
Merci.
Merci beaucoup à nos deux témoins.
Il nous reste 24 minutes, ce qui veut dire que chaque parti dispose d'une période de questions et de réponses de 6 minutes. Les partis qui sont représentés par plus d'une personne peuvent décider de diviser leur temps. La décision doit être prise par les députés qui sont présents.
Nous commencerons par M. Silva du Parti libéral.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux seulement rappeler aux témoins que nous avons six minutes pour poser nos questions et entendre vos réponses. C'est tout le temps que nous avons.
Je remercie grandement les témoins pour leur participation à cette séance. M. Cotler est un des députés qui souhaitaient ardemment que vous comparaissiez devant le sous-comité. Malheureusement, il est absent aujourd'hui, mais il s'est beaucoup intéressé à cette question et il a travaillé en collaboration avec des parlementaires et des universitaires de partout dans le monde afin de signer une déclaration pour la libération de Liu Xiaobo. Il travaille d'arrache-pied à ce dossier.
Il n'y a pas de doute sur ce que Liu Xiaobo a représenté à la suite des gestes qu'il a posés à la place Tiananmen en 1989 et de la charte qu'il a élaborée d'après celle de Václav Havel en 1977. C'était une charte de paix visant à réaliser une réforme dans le respect des droits civils et politiques. Comme vous l'avez mentionné, la Chine a signé ce pacte qui doit encore être ratifié.
Il y a eu, sans aucun doute, une croissance rapide et de nombreuses transitions en Chine. Il y a certainement eu beaucoup de progrès en ce qui concerne les droits culturels et économiques, mais il y en a eu très peu par rapport aux droits civils et politiques; c'est une des questions qui nous préoccupent et pour laquelle vous comparaissez devant nous.
Les dirigeants mondiaux, y compris ceux du Canada, ont demandé la libération de ces défenseurs des droits de la personne. Nous exhortons de nouveau la Chine à écouter l'appel de la communauté internationale. Nous ne posons pas ce geste comme un acte hostile envers la Chine; nous lui tendons une branche d'olivier qui symbolise l'amitié, et nous lui demandons de faire ce qui est juste pour ses citoyens.
Vous avez énuméré une série de plans d'action que vous aimeriez voir adopter par le Canada. Mais j'aimerais également obtenir votre point de vue — avant que je partage le temps qui m'est accordé avec mes collègues — sur les mesures prises par les autres parlements dans le monde, que ce soit le Parlement européen ou le Congrès des États-Unis. Quels sont les types d'initiatives qui ont été présentées? Pourraient-elles être examinées par le Canada?
En ce qui concerne le dialogue sur les droits de la personne, nous nous sommes assurés que les ONG qui défendent les droits de la personne y participent également. C'est un processus très complexe et très secret. Mais nous aimerions certainement obtenir le point de vue des groupes de défense des droits de la personne dans le cadre de ce dialogue.
Je constate, étant donné toute l'attention accordée au gagnant du prix Nobel, que ce serait le bon moment pour nous d'engager le dialogue sur les droits de la personne de façon proactive avec la Chine.
Pourriez-vous me donner des exemples que le Canada pourrait suivre, et pour lesquels il pourrait également prendre les devants? Je crois qu'il y a une série d'étapes que vous aimeriez que le Canada franchisse. Laquelle serait prioritaire, selon vous?
En réalité, je peux vous parler uniquement des initiatives du gouvernement des États-Unis, même si je sais que de nombreux autres pays, comme l'Australie et l'Angleterre, et de nombreux dirigeants mondiaux ont à tout le moins réclamé la libération de Liu Xiaobo.
Je peux parler des initiatives particulières des États-Unis. Mis à part ce que le président Obama fait en privé, ou ce que la Maison-Blanche ou le département d'État fait, le Congrès est assez actif. Il a pris de nombreuses initiatives, par exemple en adressant des lettres au président Hu et au président Obama afin que les dossiers avancent, et en exhortant la Chine à s'engager à respecter la primauté du droit, ses propres lois et le droit international.
Monsieur Yang.
J'aimerais parler de ce qui s'est passé au sein de la communauté internationale ces dernières années.
Au cours des dernières années, tandis que le gouvernement chinois s'imposait sur la scène mondiale, grâce à sa puissance économique et à son pouvoir politique grandissants, le jeu qui s'est joué avec la Chine sur l'échiquier international, si je puis m'exprimer ainsi, a pris la forme de ce qu'on pourrait appeler un dilemme de l'« action collective ». Personne ne voulait s'opposer seul au gouvernement chinois relativement à la question des droits de la personne.
C'est précisément pour cette raison que j'ai félicité le comité du Prix Nobel de la paix d'avoir changé la donne. Maintenant que le Prix Nobel de la paix a été attribué à Liu Xiaobo, je crois que les règles du jeu doivent être changées et que le dilemme de l'action collective doit être résolu.
Maintenant, il y a une action collective. Tous les gouvernements s'expriment ouvertement, avec enthousiasme et fermeté, relativement à ce travail, et ils prennent des mesures pour inciter le gouvernement chinois à apporter de réels changements en Chine. Par exemple, le Congrès des États-Unis, comme Maran vient de le mentionner, a adressé une lettre aux chefs d'État qui prendront part à la réunion du G20, afin que le cas de Liu Xiaobo soit abordé et qu'on demande la libération immédiate de ce lauréat du Prix Nobel.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de discuter avec le gouvernement de chacun des pays, mais je présume que tous agiront de manière plus concrète pour aider les Chinois à procéder à une transition vers un régime démocratique, pour la simple raison que les règles du jeu ne sont plus les mêmes.
Bonjour. Je vais m'adresser à vous en français, madame Turner et monsieur Yang. J'ose espérer que vous m'entendez bien par l'entremise du service de traduction.
[Traduction]
[Français]
Bienvenue et merci beaucoup de vos témoignages.
Avant de parler des progrès que la Chine a faits et que vous avez mentionnés, madame Turner, j'aimerais m'adresser particulièrement à M. Yang.
J'aimerais connaître les raisons pour lesquelles vous avez milité, été un activiste, été emprisonné et avez dû quitter la Chine. J'imagine que vous avez dû laisser de la famille derrière vous. Donc, vous vous retrouvez en exil aujourd'hui en raison de vos actions, de l'activisme que vous pratiquiez en Chine.
[Traduction]
[Français]
Madame Turner, vous avez décrit la Chine de deux manières. D'une part, elle fait des progrès sur le plan de son économie, je dirais qu'elle est pratiquement devenue une superpuissance. En contrepartie, la situation des droits de la personne se désagrège en Chine.
On sait que plusieurs pays négocient actuellement avec la Chine des partenariats ou des ententes commerciales. Je pense que l'intérêt des pays industrialisés envers la Chine est plus grand en raison de ce qu'elle représente maintenant sur le plan international, du point de vue de son économie. En fait, on retrouve la Chine sur à peu près tous les continents de la planète et sa présence est très sentie.
La communauté internationale serait-elle en train d'envoyer un message selon lequel l'économie, les affaires sont plus importants, en raison de la reprise économique qu'on invoque et de l'hypothèse d'une crise mondiale, que toute la question des droits humains?
[Traduction]
Oui. Je crois qu'il est malheureusement incontestable que cela a été une conséquence de la position économique de la Chine. La Chine est indiscutablement un chef de file mondial dans le domaine de l'économie. Je n'irais pas au-delà de ça; je ne dirais pas que la Chine est un chef de file mondial à d'autres titres. Je crois qu'elle s'efforce de s'en donner les apparences, simplement parce qu'elle ne respecte pas les droits de ses propres citoyens.
La Chine a fait des progrès économiques extraordinaires. Je suis certaine que M. Yang sera d'accord avec moi pour dire que de nombreux citoyens chinois bénéficient de ces progrès. La Chine s'en tire beaucoup mieux qu'avant, elle est beaucoup plus prospère qu'elle l'était, du moins dans les villes. Mais il ne faut pas oublier que dans les régions rurales, les conditions de vie n'ont guère changé.
Pour en revenir au message que nous envoyons, il est indiscutable qu'il correspond à ce que vous venez de décrire. Vous avez parlé de l'ambivalence de la politique étrangère à l'égard de la Chine. D'un côté, un grand nombre de pays occidentaux, y compris le mien, les États-Unis, entretiennent de fermes relations économiques avec la Chine, et cela a eu des répercussions sur la communauté des droits de la personne, car la teneur du dialogue a changé radicalement, et pas seulement en ce qui concerne les entreprises, mais également en ce qui concerne les personnes. Quand on discute de la situation des droits de la personne en Chine, en particulier avec des jeunes, ce n'est plus comme il y a 10 ans, alors qu'on pensait immédiatement au Tibet. La situation des Ouïgours a fait couler de l'encre, jusqu'à un certain point, mais ce n'est plus comme avant. Quand il est question de la Chine, la réaction spontanée des gens n'est plus de dire: « Les droits de la personne n'y sont pas respectés. » On dit plutôt: « La Chine est une superpuissance, et nous devons composer avec cette réalité. Son développement s'est accéléré considérablement. »
Je crois que la Chine a fait de l'excellent travail pour se mettre en marché. Si quelqu'un dit quoi que ce soit contre la Chine, la Chine réagit immédiatement. Elle traite cette personne de détracteur de la Chine et affirme que ses propos participent d'une cabale visant à empêcher la Chine de se développer.
La Chine a, dans une certaine mesure, contrôlé ce dialogue; elle a contrôlé le discours, parce que l'intérêt des entreprises est très profond. Nous pouvons tous comprendre la situation, mais d'un autre côté, il n'y a rien qui empêche les deux dialogues de coexister. Rien n'empêche les gouvernements et les entreprises d'entretenir des relations avec la Chine et, en même temps, de demander que la situation progresse, car le progrès dans le domaine des droits de la personne, c'est le progrès de la primauté du droit, c'est-à-dire un progrès qui se répercute dans les contrats commerciaux et dans ce genre de choses. Les entreprises ont tout intérêt à voir la Chine améliorer sa situation, non seulement pour les citoyens de ce pays, mais également pour elles-mêmes. Elles doivent réaliser cela. Je crois qu'il est important que nous fassions comprendre ce message aux entreprises; ça ne fait aucun doute.
J'aimerais ajouter quelques mots.
En ce qui concerne la situation en Chine, nous reconnaissons que la population jouit de plus grandes libertés personnelles et économiques que dans le passé. La population a bénéficié de la croissance économique au cours des 20 à 30 dernières années. Mais si les droits politiques ne sont pas protégés — et ils ont été entièrement sous l'autorité du gouvernement chinois jusqu'à ce jour —, le peu de liberté dont jouissent les Chinois peut leur être enlevé à n'importe quel moment, si les autorités en décident ainsi. Cela se produit partout en Chine, en particulier dans le domaine de l'économie. Si leurs droits politiques ne sont pas protégés, les Chinois peuvent perdre leur maison subitement et se retrouver sans recours.
Au fil des ans, les habitants des autres pays et la communauté internationale en sont venus à croire erronément que la population chinoise, les gens ordinaires, ne revendique peut-être pas la démocratie, la liberté et le respect des droits de la personne. Le développement économique a créé l'illusion que la population de la Chine s'est désintéressée des droits de la personne.
C'est une idée fausse — totalement fausse. Quand je rencontre des gens qui soutiennent cette idée, je leur propose chaque fois une mise en situation. Je leur dis de s'imaginer qu'ils sont en Chine, avec un exemplaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qu'ils demandent aux personnes qu'ils croisent dans la rue si elles ont besoin des droits décrits dans ce document, ou si elles souhaiteraient en bénéficier. Je ne crois pas qu'il y aurait une seule réponse négative. Si vous faites cette expérience, vous constaterez que j'ai raison.
La population chinoise souhaite réellement vivre dans un pays démocratique, où les citoyens seraient libres et les droits de la personne, respectés. Les Chinois ne peuvent pas obtenir ce qu'ils souhaitent parce que le gouvernement chinois s'y oppose. Le gouvernement a mis en place son soi-disant système de maintien de la stabilité, qui fait des citoyens ordinaires des ennemis de l'État, placés sous surveillance. Si quelqu'un fait quoi que ce soit qui déplaise au gouvernement, il perd sa liberté, perd son emploi et doit faire face à des coûts qu'il lui est impossible d'assumer. Cela dissuade bien des Chinois de se porter à la défense de leurs droits et de leurs intérêts. Nous devons être conscients de cela.
Les habitants de la Chine ne seront pas offensés si le Canada ou les États-Unis adoptent une politique étrangère ferme à l'égard de leur pays. Ils seront plutôt offensés s'ils constatent que cette politique est inconséquente et hypocrite.
Je vous remercie.
Merci, monsieur le président.
Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à nos deux invités aujourd'hui.
Monsieur Yang, avez-vous déjà entendu parler de Huseyin Celil? C'est un Ouïgour qui est devenu citoyen canadien. Il est retourné en Chine pour voir s'il pourrait faire sortir du pays ses deux fils aînés. Il a été arrêté et il est en prison depuis.
Quoi qu'il en soit, en 2007, Peter MacKay, qui était ministre des affaires étrangères à l'époque, s'est rendu à Beijing, et j'ai eu l'occasion de voyager avec lui. Je veux simplement reprendre à mon compte une chose dont vous avez parlé
À un certain moment, un autre membre de l'opposition et moi avons rencontré le comité des affaires étrangères et nous avons discuté de l'évolution des droits de la personne en Chine. Les gens du comité ont parlé de l'écart entre ce qui se passait à Beijing et ce qui se passait dans les provinces. Ils disaient que Beijing était un phare de la démocratie comparativement aux provinces. J'ai étouffé un rire en entendant cela car, de notre point de vue, ce phare n'est pas toujours très lumineux.
J'aimerais que vous nous parliez de cette comparaison, car vous avez mentionné que l'administration, le gouvernement actuel, commence à se fragiliser et qu'il serait possible que des changements aient lieu. J'avais eu la même impression en parlant à ces gens, il y a trois ans.
Par ailleurs, pendant que j'étais là-bas, j'ai participé à un déjeuner-rencontre avec d'autres personnes. Deux de nos convives travaillaient pour des ONG. On pouvait voir qu'ils brûlaient de dire certaines choses, mais dès qu'ils disaient quoi que ce soit qui s'écartait un tant soit peu du discours officiel, les fonctionnaires qui étaient présents se tournaient vers eux et leur lançaient un regard d'acier. C'était très préoccupant.
La dernière chose que je veux dire, c'est que, lorsque je suis arrivé là-bas — nous étions extrêmement pressés, comme on l'est toujours lors de visites de ce genre —, on m'a offert d'aller voir la Grande Muraille ou la place Tiananmen. J'avais dix minutes pour voir l'une ou l'autre. J'ai choisi d'aller à la place Tiananmen pour y être, pendant ces dix minutes, aux côtés des personnes qui y ont perdu la vie.
Je voulais savoir si les témoins avaient des commentaires à formuler concernant la situation de Huseyin Celil ou l'impression de changement à Beijing et dans les provinces.
Merci beaucoup. Merci en particulier d'avoir choisi de vous rendre à la place Tiananmen pour démontrer votre solidarité à l'égard des gens qui y ont manifesté. J'apprécie réellement votre geste. Merci beaucoup.
Il existe une disparité évidente entre les villes et les régions rurales en Chine. L'écart entre les riches et les pauvres est donc un problème majeur. Lorsque mes amis des États-Unis veulent visiter la Chine, je leur suggère toujours d'aller du côté de la campagne, sans quoi ils ne comprendront pas ce qu'est la Chine.
Dans mes derniers rapports et exposés, j'explique qu'il existe deux Chine. La première, que j'appelle « Chine inc. », s'est formée graduellement après l'incident de la place Tiananmen. Dans l'autre Chine, vous n'êtes pas un citoyen chinois, mais un « shitizen », un citoyen de second ordre.
J'ai une histoire à vous raconter concernant ce terme. Ça s'est passé il y a quelques années à Shenzhen. Un représentant du parti a ouvertement agressé sexuellement une jeune fille de 11 ans, et lorsque les parents ont protesté, ce représentant a dit: « Je suis un représentant du parti. Vous n'êtes que de la merde devant moi. » Alors lorsqu'il s'agit de l'autre Chine, on parle de « shitizens », d'une manière très spéciale, pour exprimer notre mécontentement envers le gouvernement chinois.
Cette séparation en deux sociétés est sans précédent. C'est pourquoi nous pensons que la soi-disant croissance économique ne résout pas les problèmes économiques de ces gens. L'écart se creuse toujours davantage, et rien n'indique que cela cessera bientôt. Récemment, le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a émis des commentaires à ce sujet. Il a laissé voir que sans protection, sans la sauvegarde d'une réforme politique, les fruits de la réforme économique seraient perdus. Il s'agit d'un signal très important de l'intérieur du gouvernement.
Il existe donc une disparité, et cette disparité va devenir un problème grave pour les Chinois. Il nous faut maintenant réconcilier les deux Chines à l'aide d'un consensus, et ce consensus doit s'appuyer sur des valeurs universelles. Nous n'avons pas d'autre choix. C'est pourquoi la Charte 08 est si importante — parce qu'il s'agit d'un effort, d'une tentative de réunir le gouvernement et le peuple, de parvenir à un consensus pour la Chine future, une Chine libre et démocratique fondée sur des valeurs universelles.
Merci.
Malheureusement, monsieur Marston, cette question a épuisé tout votre temps, à exactement six minutes et quatre secondes.
Je me tourne maintenant vers M. Sweet du Parti conservateur. Je vois l'horloge, et vous avez suffisamment de temps pour poser vos questions et écouter les réponses.
Merci, monsieur le président. Je serai bref, parce que mon collègue a aussi quelques questions à poser.
La fin de semaine dernière, nous avons accueilli le dalaï-lama à Toronto. Il est venu inaugurer le Centre culturel canado-tibétain. Mon collègue d'en face, M. Bagnell, et moi sommes membres des Parlementaires amis du Tibet et avons aussi fait campagne en faveur de la liberté des Tibétains. Je pourrais vous parler avec éloquence de la situation du Falun Gong et de l'Ouïgour, mais je vais m'en abstenir.
La question que j'aimerais vous poser concerne vos dernières remarques. J'ai entendu de bonne source que le premier ministre Wen Jiabao avait dit publiquement que la Chine ne pouvait aller de l'avant sans réforme démocratique, et j'aimerais savoir si vous pensez que ces propos ont trouvé un écho. Je sais que les citoyens ordinaires sont d'accord, mais qu'en pense le Parti communiste chinois, et considérez-vous qu'il s'agit d'un signe encourageant qui indique que le pays est prêt à aller de l'avant?
Je vous remercie d'avoir posé cette question.
Je pense que ses commentaires sont très importants dans la mesure où il repousse les frontières de la liberté d'expression. Ses propos ont indéniablement trouvé un écho chez les citoyens ordinaires, mais ont-il suscité des réactions favorables au sein du gouvernement? Je pense que oui, jusqu'à un certain point.
J'ai téléphoné à des amis qui travaillent au gouvernement, et il sentent tous que la Chine doit progresser vers la démocratie. Nous devons cependant comprendre qu'il existe une très grande inertie au sein du système. Lorsque le numéro un ne veut pas agir d'une certaine manière, il est presque impossible de faire quoi que ce soit. Je ne crois pas que le gouvernement chinois ait un programme à ce sujet, mais si c'est le cas, ce n'est pas Wen Jiabao qui va en parler, mais Hu Jintao. Wen Jiabao est le numéro trois du système. Ce ne serait donc pas lui.
Je pense que la très forte inertie qui existe au sein du système fait en sorte que, lorsque tout le monde s'assoit dans une pièce et essaie de prendre une décision, la politique conservatrice l'emporte sur la politique libérale parce que c'est sécuritaire. Ils ne feraient pas l'erreur de dire: « Nous devons mettre en place une politique ou des mesures répressives contre les dissidents. » Personne ne ferait l'erreur de dire cela. Mais la personne qui oserait tenir des propos semblables aux commentaires de Wen Jiabao compromettrait sa position au sein de cette hiérarchie.
Je pense que ces commentaires ont trouvé un écho auprès de nombreuses personnes du gouvernement, mais ça ne signifie pas que des changements auront lieu demain. Il faut que des citoyens provoquent les forces démocratiques au sein de la société civile et créent un schisme au sein du gouvernement, divisent le parti en deux. Lorsqu'ils seront unis et devront demeurer publics, les gens chez qui les propos du premier ministre Wen Jiabao ont trouvé écho choisiront de travailler avec les forces civiles, les forces démocratiques. C'est ce qui permettra d'introduire de véritables changements en Chine.
Merci, monsieur le président.
Plus tôt dans vos témoignages, vous avez tous les deux parlé de la manière dont les pays occidentaux utilisent leurs relations économiques avec la Chine pour promouvoir les droits de la personne. Vous avez par la suite mentionné que le respect de la primauté du droit est essentiel pour les entreprises.
Selon vous, dans quelle mesure le gouvernement chinois est-il conscient que les réformes économiques qui ont eu lieu et la croissance économique à venir requièrent l'établissement de relations avec des entreprises de l'extérieur de la Chine, et que l'élément de confiance essentiel à ces relations est en fait la primauté du droit?
Pensez-vous que le gouvernement est conscient qu'il est nécessaire pour la Chine d'établir un système intègre fondé sur la primauté du droit et profondément ancré, de façon à ce que des entreprises de l'extérieur puissent établir les relations qu'elles attendent pour aller de l'avant?
J'ai un bref commentaire à formuler.
J'espère évidemment qu'il en est conscient et je pense qu'à un certain point il lui faudra admettre ce fait. En ce moment, malheureusement, de nombreuses entreprises n'imposent pas cette exigence au système chinois. Elles se rendent volontiers en Chine pour y faire des affaires sans qu'il s'agisse d'un préalable. Mais si les affaires se perpétuent, le gouvernement chinois devra un jour ou l'autre entamer une certaine réforme. Autrement, je crois que la situation sera de plus en plus problématique et que cela découragera les entreprises.
Cela dit, je ne peux deviner ce que pense le gouvernement chinois. Je crois que M. Yang serait plus à même de répondre à cette question.
Merci, Maran.
Oui. Je crois — et je me fie ici à mon expérience personnelle et aux propos d'amis travaillant au sein de la fonction publique — que même les dirigeants les plus influents reconnaissent au moins l'importance de la primauté du droit pour les affaires. Le problème est attribuable, comme je l'ai dit, à la nature du système et aux groupes d'intérêts.
Un peu plus tôt aujourd'hui, j'ai dit qu'en Chine, on trouve deux Chines. L'une d'elles est la « Chine inc. », qui se forme graduellement depuis 20 ans, soit depuis le massacre de la place Tiananmen. Cette Chine inc. est née parce que le gouvernement chinois s'est rendu compte qu'il devait, pour survivre, intégrer les intellectuels et les capitalistes. Pour rester en place, il a créé un groupe d'intérêts très puissant en Chine.
Le gouvernement a utilisé quelques stratégies pour survivre. Tout d'abord, il y a eu la croissance économique; le gouvernement avait compris que sans cette croissance, il perdrait sa légitimité du jour au lendemain. Ensuite, il y a eu les mesures visant la conservation de la stabilité et le renforcement du service de police, afin de mettre sur pied le système de maintien de la stabilité, qui voit le grand public comme un ennemi. Puis, il y a eu ce sentiment nationaliste, que l'on appelle l'éducation patriotique. Et pour finir, il y a eu la corruption, qui est devenue l'une des stratégies de survie du gouvernement chinois. La corruption est devenue une stratégie pour les intellectuels, l'élite — l'élite économique, l'élite intellectuelle et l'élite politique — de tous les niveaux, les fonctionnaires d'un peu partout au pays. Peu importe le but poursuivi, tout est toujours acceptable, sauf les mesures qui pourraient entraver le pouvoir du gouvernement central. En fait, on utilise la corruption en échange de la loyauté. Au fil du temps, cette façon de faire formera — c'est même déjà commencé — un groupe d'intérêts très puissant que même les dirigeants les plus influents ne pourront contrôler.
Ainsi, le gouvernement reconnaît l'importance de la primauté du droit pour la croissance économique — pas seulement pour le reste. Il a besoin de la primauté du droit, mais dans la situation où il se trouve, il ne peut stopper le groupe d'intérêts. Voilà pourquoi le premier ministre Wen Jiabao a pris la parole. Son discours ne montre pas qu'il souhaite faire quelque chose, mais seulement qu'il a perdu espoir dans le système. Il souhaite le dire et en pleurer, avant son départ.
Pour régler ce problème, ce n'est pas seulement avec le gouvernement que nous devons travailler; nous devons prendre des mesures à l'égard de la société civile, de la population. Nous devons nous investir directement auprès des citoyens de la Chine, et les aider à créer et à construire une force, soit une force démocratique. Sans cela, je ne crois pas que le groupe d'intérêts que je viens de vous décrire se retirera de lui-même.
Merci.
Merci beaucoup.
Cela met fin aux questions, et malheureusement, nous avons pris tout le temps que nous avions. En fait, nous en avons même pris un peu plus.
Je vais profiter de l'occasion pour remercier nos deux témoins, M. Yang et Mme Turner. Nous vous savons extrêmement gré d'avoir accepté à si court préavis de venir faire le point pour nous sur une situation qui est sans doute la plus importante actuellement en matière de droits de la personne — et je crois que nous serions d'accord sur ce point. Ainsi, je voudrais vous exprimer notre gratitude. Merci beaucoup.
Chers collègues, avant que je ne lève la séance, j'aimerais vous aviser que des changements ont été apportés à l'ordre du jour de la réunion de mardi prochain. En raison d'un problème d'horaire imprévu, nous traiterons d'un autre sujet, et de nouveaux témoins prendront la parole.
Jeudi, nous allons voir si nous pouvons nous réunir une demi-heure plus tôt — la greffière communiquera avec vos bureaux — pour nous occuper des travaux du comité. Nous espérons que cela sera possible. Sinon, nous devrons nous arranger autrement et peut-être prévoir une autre réunion. Je sais que ce n'est le souhait de personne. Nous nous occuperons donc de cela en dehors des heures de travail. Mais le but sera de trouver un moment pour discuter de deux ou trois choses — du calendrier et de questions d'ordre financier — que nous devons faire approuver. Je m'arrêterai ici.
Merci beaucoup. La séance est levée.
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