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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 029 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 2 novembre 2010

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Français]

    Nous entamons maintenant la 29e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce 2 novembre 2010.

[Traduction]

    Dans un instant, nous nous entretiendrons par vidéoconférence avec William Browder, fondateur et directeur général de Hermitage Capital Management, une société notamment active en Russie. Il parlera de la situation de Sergei Magnitsky.
    Toutefois, avant de commencer, j'aimerais attirer votre attention sur une série de motions qui vous ont été distribuées par la greffière ou qui le seront sous peu; j'aimerais que nous en traitions à la fin de la séance d'aujourd'hui, après le témoignage de M. Browder. Ces motions portent sur le budget du comité. Vous aurez l'occasion d'y jeter un coup d'oeil au cours de la séance de comité.
    Je ne vous invite pas à débattre tout de suite de ces questions. Si, à la fin de la séance, les gens souhaitent discuter des motions, nous devrons en reporter l'adoption jusqu'à la prochaine séance. Sinon, nous pourrons simplement les approuver vite fait.
    J'aperçois la main de M. Bagnell. Allez-y, monsieur Bagnell.
    Je ne sais pas s'il s'agit d'un rappel au Règlement, mais M. Cotler souhaitait que je vous dise qu'il regrette de ne pouvoir assister au témoignage de William Browder. Il est bien au fait de la fascinante affaire qui s'est soldée par la mort tragique de Sergei Magnitsky, et considère le témoignage de William Browder comme un important reflet de la culture de corruption et d'impunité ayant cours de nos jours en Russie. Merci.
    M. Cotler se trouve à Montréal aujourd'hui. Il est très malade.
    D'accord, merci. C'est dommage.
    Les questions préliminaires sont maintenant réglées.
    Monsieur Browder, bienvenue à cette séance de comité. Je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui.
    Nous devrions peut-être tout bonnement vous céder la parole. En règle générale, nous accordons environ 10 minutes aux témoins pour présenter leurs déclarations liminaires. Nous ne sommes pas très à cheval sur le respect de ce temps de parole. Après, nous passerons aux questions. Selon le temps qui restera, il y aura ou bien une série de questions ou encore deux séries de questions un peu plus brèves. Nous avons une heure. Nous allons donc improviser.
    Puis-je vous demander de nous renseigner au sujet de l'affaire Sergei Magnitsky?
    Merci beaucoup, honorables membres du Sous-comité des droits de la personne. Je suis très reconnaissant d'avoir l'occasion de m'adresser à vous pour vous entretenir de Sergei Magnitsky.
    J'aimerais vous raconter l'histoire de Sergei. Toutefois, avant de le faire, je vais vous parler un peu de moi et du contexte qui m'a amené à connaître Sergei, et vous expliquer comment toute cette histoire a commencé.
    Je m'appelle William Browder. Je suis le directeur général d'une société appelée Hermitage Capital Management qui, à une époque, était la plus importante société étrangère de placement de portefeuille en Russie. J'ai mis le cap sur ce pays en 1996 et j'ai commencé à y faire des placements. J'ai tôt fait d'apprendre que bon nombre des entreprises dans lesquelles j'investissais trempaient passablement dans la corruption. Pour cette raison, j'ai entrepris de militer en faveur des droits des actionnaires et contre la corruption en Fédération de Russie.
    Plus les années passaient, moins j'étais le bienvenu en Russie, si bien que j'ai été expulsé du pays en novembre 2005. On a décrété que je posais un risque pour la sécurité nationale et je n'ai jamais pu y remettre les pieds. À l'époque, je trouvais la situation déplorable, mais c'était sans savoir à quel point les choses allaient se détériorer. Dix-huit mois après mon expulsion, 25 agents du ministère de l'Intérieur de Moscou — le service de police — ont fait une descente dans mes bureaux de Moscou, tandis que 25 agents du même service faisaient de même dans les bureaux de ma société d'avocats, Firestone Duncan.
    À cette occasion, les agents ont saisi tous les certificats, timbres, sceaux et statuts en vertu desquels il nous était permis de placer de l'argent en Russie. Trois mois après que tous ces documents officiels d'entreprise ont été saisis, nous nous sommes rendu compte que ces entreprises ne nous appartenaient plus. Celles-ci, auparavant enregistrées en notre nom, avaient été frauduleusement réenregistrées, cette fois au nom d'un dénommé Viktor Markelov, un homme qui avait été déclaré coupable de meurtre. Ce nouvel enregistrement n'était possible que grâce aux documents qui avaient été saisis par les policiers lorsqu'ils sont descendus dans nos bureaux en juin 2007.
    Cette situation malheureuse nous a contraints à retenir les services de quelques avocats, dont un jeune avocat-fiscaliste de 36 ans du nom de Sergei Magnitsky. Il travaillait pour la société d'avocats Firestone Duncan. De concert avec d'autres avocats, Sergei a mené une enquête très détaillée sur les entreprises qui nous avaient été dérobées. Outre le fait que les entreprises nous avaient été dérobées, Sergei a découvert que les documents qui avaient été saisis par la police avaient servi à créer un faux passif se chiffrant à 1 milliard de dollars pour nos entreprises.
    Ces documents ont ensuite été présentés devant un tribunal russe. De faux avocats de la défense que nous n'avions jamais embauchés se sont pointés au tribunal et ont plaidé coupables d'avoir contracté de fausses obligations financières totalisant 1 milliard de dollars. Les policiers se sont ensuite servi de ces fausses obligations financières pour approcher chacune des banques avec lesquelles nous faisions affaire afin d'essayer de trouver tous les éléments d'actif que nous possédions en Russie. Heureusement, lorsqu'ils en sont venus à tenter cette escroquerie, nous n'avions plus d'actifs au pays, parce que nous pressentions qu'un tel dénouement était possible.
    Nous pensions qu'il s'agissait de la sale fin de l'histoire. Toutefois, Sergei a poursuivi son enquête et a découvert quelque chose de profondément troublant: le bureau fiscal de Moscou a été appelé à statuer sur le passif de 1 milliard de dollars et les entreprises qui nous avaient été dérobées. Les malfaiteurs se sont rendus au bureau fiscal et ont dit que ces entreprises avaient versé par erreur 230 millions de dollars en impôts. Ils ont dit que les entreprises n'auraient pas dû payer ces impôts parce qu'elles accusaient des pertes de 1 milliard de dollars. Ils ont ensuite soumis une demande de remboursement d'impôt qui leur a été accordée en 24 heures, à savoir le 24 décembre 2007. Il s'agit du plus important remboursement d'impôt de l'histoire de la Russie. En 2007, la veille de Noël, le plus important remboursement d'impôt de l'histoire de la Russie a été accordé sans qu'aucune question ne soit posée.
(1310)
    Sergei et les autres avocats que nous avions embauchés nous ont aidés à préparer une plainte au criminel, que nous avons déposée auprès de tous les organismes responsables de l'application de la loi en Russie. Après que la plainte a été déposée en juillet 2008, nous nous attendions à ce que de nombreux policiers et autres responsables impliqués dans ce crime soient appréhendés et déclarés coupables à l'issue d'une enquête. Toutefois, plutôt que d'enquêter sur les policiers impliqués dans ce crime, le service de police a ouvert une enquête — des dossiers criminels — en lien avec les sept avocats qui travaillaient pour nous et qui étaient issus de quatre sociétés d'avocats différentes. Cette situation m'a beaucoup perturbé; je m'inquiétais grandement des risques que couraient nos avocats. Je leur ai demandé de quitter le pays et de venir au Royaume-Uni, où je pouvais leur offrir un asile et les mettre à l'abri de tout danger auquel ils pouvaient s'exposer en Russie.
    Six des sept avocats ont accepté ma proposition, à contrecoeur. Il a été très difficile d'avoir cette conversation. Sergei Magnitsky a dit: « Non. Je n'ai enfreint aucune loi. Je refuse de quitter le pays. De plus, je suis un patriote; je n'aime pas savoir que 230 millions de dollars ont été dérobés à mon pays grâce à la complicité des policiers. »
    En octobre 2008, Sergei Magnitsky a témoigné contre les policiers qui étaient descendus dans nos bureaux et qui avaient saisi les documents. Un mois plus tard, littéralement, les mêmes policiers — en fait, trois agents qui relevaient d'un des policiers contre qui Sergei avait témoigné — se sont rendus à son domicile tôt le matin, à 8 heures, l'ont arrêté devant sa femme et ses deux enfants et l'ont placé en détention à Moscou en attendant son procès. Ils l'ont arrêté puis ont tenté de lui faire retirer son témoignage contre les policiers. Pour en arriver à leurs fins, ils l'ont torturé.
    Ils l'ont enfermé dans une cellule avec huit détenus, qui se partageaient quatre lits; les lumières demeuraient allumées en tout temps de manière à le priver de sommeil. Après quelques semaines de ce traitement, Sergei a été déménagé; cette fois-ci, en plein hiver à Moscou, il a été placé dans une cellule où les châssis étaient dépourvus de fenêtres. Rien ne faisait obstacle à l'air froid de décembre qui s'infiltrait dans la pièce; le mercure n'atteignait pas zéro et les détenus n'avaient rien pour se réchauffer. Ils ont tous contracté des infections des voies respiratoires supérieures. Sergei a ensuite été placé dans une cellule sans toilette. Il n'y avait qu'un trou dans le plancher. Les eaux d'égout suintaient du plancher.
    Chaque fois que Sergei passait de cellule en cellule, certains de ses effets personnels se perdaient. Parmi ses objets plus précieux se trouvait une bobine en métal qu'on pouvait brancher dans une prise de courant et utiliser pour faire bouillir de l'eau. Il tenait tant à cet objet parce que l'eau des prisons de Moscou contient des bactéries et d'autres parasites, ce qui la rend impropre à la consommation.
    Après avoir été privé de sommeil, contraint de vivre dans des températures glaciales et des conditions insalubres et forcé à boire de l'eau contaminée par des bactéries pendant six mois, Sergei est devenu malade. Il a perdu 48 livres et a commencé à ressentir d'intenses douleurs à l'abdomen. Il s'est rendu à l'hôpital de la prison, où on lui a diagnostiqué une pancréatite aggravée par des calculs biliaires. Une chirurgie a été prescrite le 2 août 2009.
    Peu de temps avant la date prévue de son opération, Sergei s'est de nouveau fait proposer de retirer son témoignage et de plaider coupable à un certain nombre de faux crimes de manière à justifier sa détention. Tout au long de ce processus, en dépit des douleurs physiques qu'il éprouvait, Sergei a refusé de se parjurer et de sacrifier son intégrité.
    Une semaine avant la date de son opération, l'enquêteur a soudainement retiré Sergei de la prison où il se trouvait, qui était dotée d'installations médicales, pour le placer en détention dans une prison à sécurité maximale appelée Butyrka, l'une des prisons les plus dures de Russie. Ce qu'il convient surtout de souligner, c'est qu'on ne trouve pas d'installations médicales à la prison de Butyrka. L'état de santé de Sergei s'est alors dégradé de façon spectaculaire. Il souffrait constamment des douleurs insupportables. Certaines personnes ont dit que son compagnon de cellule martelait la porte sans cesse, des heures durant, afin que Sergei soit vu par des médecins. Lorsqu'un médecin venait, il disait des choses comme: « Il aurait fallu vous faire traiter avant d'être appréhendé. »
    Les douleurs empiraient de jour en jour. La situation a fini par se dégrader à un point tel que le 16 novembre 2009, Sergei se trouvait dans un état critique. Ce n'est qu'à ce moment qu'ils l'ont de nouveau transporté dans une prison pourvue d'un hôpital. Sergei a été déménagé à la prison Matrosskaya Tishina, mais ils ne l'ont pas traité. Ils lui ont passé une camisole de force, l'ont placé dans une cellule d'isolement et l'ont laissé là pendant une heure et 18 minutes, jusqu'à ce qu'il meure.
    Il avait 37 ans. Il laisse derrière lui une femme et deux enfants.
    Chacun compose à sa manière avec l'adversité. Nous savons aujourd'hui toutes ces choses parce que Sergei avait choisi de composer avec l'adversité en prenant soin de noter soigneusement tout ce qui se passait, sous forme de plaintes concernant les abus commis en lien avec le système juridique.
(1315)
    Pendant les 358 jours de sa détention, Sergei a rédigé 450 plaintes. Nous avons un dossier complet de toutes les tortures et de tous les abus dont il a été victime parce qu'il a exposé la corruption et la criminalité des agents de police de Russie.
    Le jour de sa mort, nous avons fait paraître un de ces documents les plus déchirants qui consistait en une lettre manuscrite de 40 pages à l'intention du procureur général qui décrit certaines des choses dont je viens de vous parler. Nous l'avons fait paraître dans certains journaux, y compris le Novaya Gazeta, qui est un des derniers journaux indépendants de Russie. Le Novaya Gazeta a publié l'intégralité de cette lettre de 40 pages qui raconte le récit de Sergei. L'article a été intitulé: « Les carnets de Sergei en prison ».
    Ce document a réellement bouleversé tout le monde, une réaction inattendue en Russie. Les Russes ne se laissent pas atteindre facilement et sont souvent très cyniques. Cependant, ce document a prouvé que les goulags qu'on croyait disparus depuis longtemps existent toujours en Russie.
    De plus, ce document et la mort de Sergei ont montré que le contrat social, dont l'existence semblait évidente pour le peuple, n'existait plus en Russie. Les gens croyaient que, selon le contrat social de Russie, il suffisait de se tenir loin de la politique, des droits humains et des autres questions délicates pour profiter des fruits d'un régime autoritaire. La mort de Sergei, sa torture et ses conditions de détention horribles ont prouvé que même un jeune avocat-fiscaliste qui n'avait rien à voir avec ces professions controversées pouvait voir sa vie entièrement chamboulée s'il avait le malheur de travailler pour le mauvais client, d'être un patriote et de s'élever contre la corruption; que sa vie normale, son café Starbucks le matin pouvaient lui être volés, et qu'il pouvait être envoyé dans le pire donjon de Russie pour mourir.
    Après la parution de cet article dans le Novaya Gazeta, le président de la Russie a demandé une enquête sur la mort de Sergei. Malheureusement, les responsables de sa mort semblent avoir plus de pouvoir que le président russe. Après sa mort, ils n'ont autorisé aucune forme d'autopsie. Ils n'ont pas autorisé qu'un observateur indépendant assiste à l'autopsie de l'État; ils ont changé la version expliquant la cause de sa mort, prétextant d'abord une rupture de la membrane de l'abdomen pour ensuite invoquer une défaillance cardiaque. Ils ont ensuite dit qu'il est mort de causes naturelles. Ils ont par la suite tenu des audiences publiques où ils ont déclaré que Sergei ne s'était jamais plaint de sa santé, et ce, malgré les 450 plaintes documentées concernant, entre autres choses, son état de santé.
    Ça fait maintenant près d'un an qu'il est mort, mais encore personne n'a été inculpé. De plus, les personnes contre lesquelles Sergei a témoigné ont toutes obtenu une promotion: chacune d'entre elles a été promue.
    Ça montre que la corruption qui sévit en Russie est extrêmement importante, que cette corruption a des conséquences terribles et fatales, et que les responsables de celle-ci jouissent d'une impunité totale.
    Nous avons décidé de ne pas laisser la mort de Sergei impunie. Je voyage partout à travers le monde pour raconter cette histoire et pour que justice soit faite à l'extérieur de la Russie. C'est pour cette raison que je comparais devant votre comité aujourd'hui.
    Une des choses les plus importantes que nous avons faites jusqu'à maintenant, c'est la présentation d'un témoignage similaire devant un sous-comité des droits humains du Congrès américain. Je lui ai demandé d'imposer des sanctions en matière de visa et des sanctions financières aux personnes qui ont, preuve à l'appui, torturé puis, au bout du compte, causé la mort de Sergei Magnitsky. À la suite de ce témoignage et de cette demande, deux projets de loi intitulés Loi de 2010 demandant justice pour Sergei Magnitsky ont été déposés aux États-Unis — un au Sénat et un au Congrès. Au Sénat, ce projet de loi est parrainé par le sénateur Cardin, un démocrate et le chef de la Commission Helsinki, ainsi que par le sénateur McCain, un républicain. À la Chambre des représentants, il est parrainé par Jim McGovern du Massachusetts, un démocrate, et par Darrell Issa, un républicain. Il s'agit d'un projet de loi bipartite qui a été soumis aux deux Chambres, qui sera débattu et qui, nous l'espérons, sera adopté.
    Je vous demande aujourd'hui de m'aider dans cette cause et de montrer aux Russes que, même si la Russie est une contrée éloignée, et que même si ces personnes n'ont pas grand-chose à voir avec les États-Unis ou le Canada, ces gestes ne seront pas tolérés.
(1320)
    L'histoire de Sergei Magnitsky ressemble à celle de milliers d'autres personnes, excepté que, dans son cas, nous avons ce vaste témoignage documentaire, et que j'ai résolu de parler ce qui s'est passé. J'espère que nous pourrons faire en sorte que cette histoire devienne emblématique pour toutes les autres personnes qui souffrent en silence, et que nous serons capables de faire changer les choses.
    Je vous remercie beaucoup de votre temps et d'avoir écouté mon histoire.
    Merci beaucoup, monsieur Browder.
    Compte tenu du temps qu'il nous reste, nous pouvons soit faire deux tours de questions très brefs, soit un seul tour, plus long. Je crois que j'opterais pour un tour plus long, tout simplement parce que nous manquons souvent de temps, car certains intervenants dépassent parfois quelque peu le temps qui leur est alloué.
    Donc, puisqu'il nous reste 35 minutes et que quatre partis sont représentés, nous allons d'abord donner neuf minutes à chacun pour ses questions.
    Monsieur Silva, vous êtes le premier.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie M. Browder pour son témoignage. C'était très éloquent. Je crois que nous devrions faire connaître cette histoire à l'ensemble de la population canadienne afin que les Canadiens sachent ce qui se passe vraiment en Russie.
    J'ai entendu parler de ce cas et de bien d'autres et, honnêtement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il y a encore des gens qui veulent faire des affaires en Russie, à part pour les importantes ressources naturelles de ce pays. Compte tenu de tous les événements effrayants qui s'y sont produits — et je ne pense pas seulement au cas de M. Magnitsky mais à bien d'autres cas similaires dont j'ai entendu parler, quoique de manière moins détaillée —, il semble que la Russie soit toujours un endroit effrayant, un pandémonium du monde des affaires, où quiconque s'élève contre les oligarques s'attire des ennuis.
    Peut-être que vous pourriez nous parler de cela. Mais ce dont j'aimerais que vous nous parliez surtout, pendant le peu de temps que nous avons, soit neuf minutes, c'est du projet de loi qui a été déposé devant le Congrès et le Sénat américains, la Loi de 2010 demandant justice pour Sergei Magnitsky, et de la question de savoir si ce projet de loi pourrait être incorporé, en des termes similaires, dans celui de M. Cotler. Je crois que M. Cotler a assez bien résumé la situation lorsqu'il a dit que cette situation ouvrait une fenêtre sur la culture de la corruption et de l'impunité qui sévit actuellement en Russie.
    Pourriez-vous nous parler de cela?
(1325)
    Certainement.
    D'abord, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit au sujet du climat des affaires en Russie. Chaque fois que j'en ai l'occasion, je dis aux gens que c'est essentiellement un jeu de roulette russe. Il y a peut-être six chambres qui sont vides, mais si vous tombez sur la septième, vous vous faites sauter la cervelle; c'est ce qui arrivera si vous croisez les mauvaises personnes, ou si vous avez en votre possession quelque chose qu'elles convoitent.
    J'encourage donc toutes les personnes que je rencontre à ne pas investir en Russie, à cause du risque que cela représente et qui est intenable pour une personne civilisée — et je ne parle pas seulement du risque financier, mais également du danger physique. Les gens essaient de masquer cette réalité et de faire comme si ces problèmes n'existaient pas.
    La majorité des gens n'en parlent pas. Ils ont peur de parler de ce qui se passe. On m'a menacé de mort à huit occasions à cause des démarches que j'ai entreprises, mais il est important que je raconte ce qui s'est passé. Le fait que personne d'autre n'en parle ne signifie pas que ce problème n'existe pas.
    En ce qui concerne le projet de loi, j'ai discuté avec M. Cotler et je lui ai demandé si nous pourrions prendre ce qui se fait aux États-Unis et le modifier en fonction des caractéristiques propres à votre processus législatif, de manière à obtenir un résultat identique ou similaire, soit de faire savoir à la Russie qu'elle peut décider de ne pas poursuivre les malfaiteurs qui ont commis ces actes, mais qu'il n'y a aucune raison pour que nous leur accordions le privilège d'accéder à nos pays civilisés et d'y dépenser son argent.
    La Loi de 2010 demandant justice pour Sergei Magnitsky est très simple. Aux termes de cette loi, le Département d'État sera tenu de produire une liste des personnes pour lesquelles il existe, selon lui, des preuves indiquant qu'elles ont été impliquées dans la fraude que Sergei Magnitsky a mise au jour, ou qu'elles ont contribué à son arrestation illicite, aux actes de torture qui lui ont été infligés et à sa mort.
    La preuve documentaire étant si abondante dans cette affaire — nous avons les signatures des médecins qui ont refusé de lui prodiguer des soins médicaux, la signature de l'enquêteur qui l'a transféré avant son intervention chirurgicale, celle des autres responsables qui ont participé à la perquisition des bureaux —, ces listes seraient assez faciles à dresser. Par la suite, le secrétaire d'État serait tenu d'inscrire le nom des personnes concernées sur une liste, et le visa de ces personnes serait révoqué pour toujours. Tous les membres de leur famille et toutes leurs personnes à charge verraient également leur visa révoqué. Ainsi, dans un monde idéal, un tortionnaire ou un meurtrier ne pourrait pas envoyer ses enfants dans un pensionnat du Canada ou des États-Unis.
    Pouvez-vous nous fournir la liste de ces personnes?
    Nous pouvons vous fournir notre liste, qui a été établie par le sénateur Cardin. Je serais ravi de le faire, et je pourrai en fournir une copie au président dès que la séance sera levée. Nous avons une telle liste. Il nous fera également plaisir de vous en fournir la preuve documentaire.
    J'en reviens à la Russie comme débouché commercial. Je sais que, parfois, certains pays publient des avis d'alerte à l'intention des voyageurs qui partent en vacances. Est-ce que certains pays occidentaux ont mis en place un système d'alerte de ce genre, à l'intention des gens qui font des affaires en Russie?
    Malheureusement, le cas dont nous parlons n'est pas unique. Il est vrai qu'il repose sur une documentation abondante, mais il existe des centaines d'autres cas, qui ne sont pas aussi bien documentés mais qui ont été rapportés dans les médias. Certains pays publient-ils des avertissements pour que les gens d'affaires fassent attention et qu'ils soient avisés de la situation avant d'aller faire des affaires en Russie?
(1330)
    Je n'ai jamais entendu parler d'avertissements de ce genre mais c'est une excellente idée. Peut-être que le Canada pourrait être le premier pays à en diffuser. J'aime beaucoup cette idée.
    Je constate que personne n'ose dénoncer la situation. La majorité des pays font preuve d'une grande timidité à cet égard, et c'est de plus en plus vrai au fur et à mesure qu'on se rapproche de la Russie. La Russie est en position de force par rapport à ses voisins, compte tenu de son gaz naturel et des autres moyens de pression dont elle dispose. Les gouvernements sont de plus en plus prudents et craintifs; ils ne veulent pas contrarier la Fédération de Russie.
    Je crois cependant que c'est une très bonne idée. En fait, je vais la retenir et je crois que je vais en faire la promotion. C'est une idée qui me plaît beaucoup.
    J'aimerais savoir si les dirigeants russes ont réagi de quelque manière que ce soit à tout ce qui se passe aux États-Unis dans la foulée du projet de loi du sénateur Cardin. Je me demande également si l'Union européenne a adopté une motion quelconque relativement à cette stratégie.
    Je devrais préciser que j'ai également discuté de cette question avec la chef du sous-comité des droits de l'homme du Parlement européen, Heidi Hautala, et qu'elle est favorable à la prise d'une résolution par le Parlement européen. Nous travaillons à obtenir l'appui de différents groupes du Parlement européen. Si tout se passe bien, une résolution parlementaire similaire sera prise d'ici la fin de l'année.
    Il y a environ trois semaines, j'étais à Berlin et j'y ai rencontré les chefs des sous-comités des droits de l'homme des différents groupes. Ils vont tenir, en janvier, si tout va bien, des audiences comme celle que nous tenons en ce moment, afin de discuter de la possibilité de révoquer les visas. Nous venons également d'aborder ce dossier avec le Parlement britannique.
    Je suis en relation avec le ministre polonais des Affaires étrangères, qui a déclaré publiquement que, si d'autres pays adoptaient des mesures de révocation des visas — et il faisait référence aux États-Unis en particulier —, la Pologne emboîterait le pas. La Pologne est importante parce que ce pays fait partie de l'espace Schengen, ce qui signifie que, si la Pologne révoque le visa des fonctionnaires concernés, ils ne pourront plus voyager dans aucun pays de l'espace Schengen, qui comprend toute l'Europe. Nous travaillons également avec quelques autres pays de l'espace Schengen en ce moment même.
    Ce sont donc des démarches d'envergure, et nous avons approché de nombreux pays. Essentiellement, nous voulons créer un effet domino qui fera en sorte que les malfaiteurs ne pourront plus voyager. C'est une perspective qui effraie au plus haut point non seulement les malfaiteurs qui ont commis ces actes, mais les autres également, car, si ces derniers constatent que c'est une mesure dissuasive qui empêche les violations des droits de la personne — et il n'y a actuellement aucune mesure dissuasive... Tout le monde condamne la situation, mais personne n'agit. C'est la première fois qu'il m'est donné de voir que des mesures vraiment concrètes sont prises à l'endroit d'auteurs de violations des droits de la personne.
    J'aimerais également ajouter que tous ceux qui s'opposent aux violations des droits de la personne en Russie sont extrêmement favorables à cette démarche. Ils implorent tous les dignitaires étrangers, tous les présidents, tous les membres du Congrès qui se rendent en Russie de mettre en place de telles mesures. Lyudmila Alexeyeva, qui dirige le groupe Helsinki en Russie et qui est une des militantes pour les droits de la personne les plus en vue de ce pays, a rencontré le président de l'Allemagne, et elle lui a fait cette demande. Elle a rencontré des dirigeants du Département d'État des États-Unis, et elle leur a demandé la même chose.
    Ces gens appellent ces mesures de tous leurs voeux. Ils veulent que cela se fasse, pour que le règne de l'impunité soit aboli. Alors, si je suis capable de rassembler une communauté internationale de personnes qui souhaitent faire quelque chose de vraiment concret pour s'opposer aux violations des droits de la personne, ma démarche serait alors la suivante.
    Le cas de Sergei Magnitsky est le point de départ, mais je souhaiterais que la portée de cette loi soit élargie, que nous disposions ultérieurement d'une loi qui pourrait s'appliquer aux autres cas de violation des droits de la personne et aux autres pays. Cela ferait en sorte que les auteurs de telles violations ne pourraient plus voyager ni dépenser leur argent, et qu'ils devraient y réfléchir sérieusement avant de se mettre à torturer des prisonniers.
    Merci beaucoup. Malheureusement, le temps est écoulé.
    C'est maintenant au tour de Mme Deschamps.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vais m'adresser à vous en français, monsieur Browder.
(1335)

[Traduction]

    Je n'entends rien pour l'instant.
    Vous parlez en français, mais j'entends de l'anglais.

[Français]

    Je veux moi aussi vous remercier de votre témoignage. La situation que vous décrivez est à la fois inquiétante et incroyable. Malgré tous les faits que vous mettez en perspective, il est vraiment étonnant que rien n'ait été fait à la veille du premier anniversaire du décès de M. Magnitsky. C'est quand même une histoire aberrante.
    M. Silva a fait un bon survol des questions qui nous interpellaient à la suite de votre témoignage. Vous pourriez peut-être parler de la réaction des fonctionnaires russes aux actions que vous avez entreprises aux États-Unis en ce qui concerne les deux projets de loi qui sont présentement à l'étape de la lecture. Dans l'entourage de M. Poutine, on doit commencer à s'inquiéter ou à réagir au travail que vous faites à l'étranger. Je suis convaincue que, pour cette raison, on suit de très près tout ce que vous entreprenez, non pas nécessairement pour venger votre collègue Sergei, mais pour rétablir sa crédibilité.

[Traduction]

    Vous avez raison. Les Russes suivent de très près nos activités, et la force de leur réaction est une façon pour nous de mesurer les progrès réalisés. En réponse à la loi — la Loi de 2010 demandant justice pour Sergei Magnitsky —, le ministre des Affaires étrangères de la Russie a fait une déclaration et n'a certainement pas mâché ses mots: il a dit que c'était ignoble, que c'était un retour à la guerre froide et que la Russie était très mécontente, entre autres choses.
    Cette déclaration en dit long. Premièrement, que les 60 fonctionnaires qui ont torturé et tué Magnitsky peuvent maintenant compter sur le soutien officiel du gouvernement de la Russie.
    Deuxièmement, cette déclaration m'indique que nous avons touché une corde sensible. Si on en fait une politique officielle, c'est que d'autres personnes qui commettent d'autres actes répréhensibles sont véritablement inquiètes des conséquences qu'aura cette situation. Les personnalités les plus haut placées qui figurent sur la liste des 60 fonctionnaires sont un procureur adjoint et un sous-ministre de l'Intérieur, mais si le ministre des Affaires étrangères se dit préoccupé, c'est évident que d'autres membres du gouvernement de la Russie le sont aussi.
    D'un côté, je suis heureux de voir que nous avons mis le doigt sur un point névralgique, mais de l'autre, j'espère qu'une réaction virulente de la Russie n'effraiera pas certains des parlementaires européens avec qui je suis en discussion. Vous savez qu'en Europe, les risques que la réaction s'étende au commerce, aux exportations de gaz, et j'en passe, sont beaucoup plus tangibles.
    Ma situation n'est guère mieux. Les Russes feront tout en leur pouvoir pour me menacer et me discréditer. Ils mettront en œuvre tout ce à quoi ils peuvent songer pour nous mettre des bâtons dans les roues. La réputation de la Russie est profondément entachée.
    J'ai une stratégie très simple. J'espère qu'un jour ou l'autre, la tache qui ternit la réputation de la Russie prendra plus d'importance que le désir de protéger ceux qui ont tué Sergei Magnitsky, et qu'on procédera à leur arrestation. En attendant, je continuerai à défendre cette cause devant vous et devant vos collègues des autres parlements du monde parce que c'est la seule façon de faire changer les choses.

[Français]

    Avant que vos deux projets de loi ne soient déposés devant les autorités américaines, une lettre a été envoyée à la secrétaire d'État, Mme Clinton. On dit ici que c'était en avril dernier. Mme Clinton a-t-elle répondu à cette lettre dans laquelle on demandait de suspendre les visas des fonctionnaires russes reliés au décès de Sergei?

[Traduction]

    Je n'ai pas eu de contact direct avec elle. Je sais que plusieurs fonctionnaires américains, dont M. Mike McFaul, conseiller à la Maison-Blanche en matière de sécurité nationale et spécialiste des affaires russes, et M. Gordon, secrétaire d'État adjoint, se sont fait poser des questions précises à ce sujet lors de leur visite à Moscou. À mon avis, ils ont délibérément répondu de manière ambiguë. Ils ont dit qu'ils ne révéleraient jamais l'identité des personnes dont le visa a été suspendu, et encore moins dans cette situation-là. Ils ont ensuite ajouté que l'affaire Magnitsky était importante pour leur gouvernement.
    La position officielle n'a pas été énoncée clairement. J'imagine qu'on court deux lièvres à la fois: d'un côté, on tient vraiment à ne pas choquer les Américains en permettant à des assassins et à des bourreaux d'entrer aux États-Unis, mais de l'autre, on ne veut pas offenser la Russie. Le gouvernement des États-Unis se trouve donc dans une situation épineuse, mais il devra choisir son camp un jour ou l'autre. Ce n'est pas le genre de situation où l'on peut ménager la chèvre et le chou, même si j'ai l'impression que c'est ce qui est en train de se passer.
(1340)
    Merci beaucoup.
    Monsieur Marston, je vous prie.
    Merci, monsieur le président.
    Soyez le bienvenu, monsieur Browder.
    Notre comité se penche sur les droits de la personne, et ça m'a frappé de vous entendre donner un nombre précis — 60 fonctionnaires — il y a quelques instants. Qui a compilé la liste des 60 fonctionnaires? Qui a déterminé quelles personnes devaient y figurer?
    Je vais revenir un peu en arrière. J'ai témoigné devant la Commission Helsinki, une commission des droits de la personne au sein du gouvernement américain qui était présidée par le sénateur Benjamin Cardin. Quand j'ai témoigné en juin 2009, Sergei était encore vivant mais il était en prison. À l'époque, j'avais demandé à la commission de m'aider à le faire sortir de prison.
    À l'instar de beaucoup d'autres membres de la Commission Helsinki, le sénateur Cardin était parfaitement au courant de tout ce qui était arrivé à Sergei. Après la mort tragique de Sergei, le 16 novembre, j'ai commencé à essayer de voir avec la commission ce qu'on pourrait faire. Grâce à l'un de mes avocats, j'ai retrouvé une loi américaine, intitulée proclamation 7550, qui autorise la non-délivrance de visa à des fonctionnaires étrangers corrompus. Les membres de la commission ont trouvé ça intéressant et ils m'ont demandé de leur donner des preuves sur l'identité des personnes qui avaient fait subir ce traitement à Sergei. Nous leur avons donc transmis un certain nombre de documents portant les signatures de personnes qui avaient refusé tout traitement médical à Sergei, d'autres qui avaient autorisé des raids à son domicile, etc. La commission a ensuite vérifié toutes les informations que nous lui avions données avant de dresser cette liste.
    Vous avez raison de dire que les règles de preuve varient selon le type d'infraction. Au pénal, il faut prouver la culpabilité sans aucun doute raisonnable. Au civil, c'est la prépondérance des probabilités. Pourtant, ce dont on parle ici, ce sont des visas, qui ne sont un droit pour personne. En effet, pouvoir se rendre dans un autre pays est un privilège. Nous parlons aujourd'hui d'une preuve fiable et suffisante à première vue qui indique qu'un crime a été commis. Je crois que ce sont les critères que le gouvernement américain a retenus dans la Loi de 2010 demandant justice pour Sergei Magnitsky. Vous avez raison d'attirer notre attention sur la façon dont ces listes sont compilées.
    Toutefois, la loi américaine ne contient pas de liste, mais plutôt une norme que doit respecter le département d'État. La liste de 60 noms est une liste que le sénateur Cardin a envoyée à la secrétaire d'État Clinton. La loi, elle, ne contient aucune liste, seulement une définition. Elle prévoit laisser les agences gouvernementales prendre une décision en fonction de la preuve.
    Je vous remercie de votre réponse.
    Après avoir entendu le témoignage que vous venez de nous présenter sur tout ce qui est arrivé à ce jeune avocat, je ne pense pas qu'il y ait une seule personne ici qui ne soit pas bouleversée par de tels abus.
    Cela dit, j'ai beaucoup de réserves quant à la façon dont ces listes sont préparées — c'est comme les listes d'interdiction de vol... C'est une question qui intéresse les parlementaires canadiens, car lorsqu'un avion canadien à destination de Cuba doit traverser l'espace aérien américain, nous devons donner des renseignements personnels sur les passagers. Mais bien sûr, ce n'est pas tout à fait le sujet.
    Dans toute cette affaire, il y a les règles de preuve et la présomption d'innocence, mais il y a aussi le fait qu'une personne devrait pouvoir confronter directement son accusateur afin de savoir quels éléments de preuve ont été réunis contre elle.
    Ce n'est pas moi qui vais défendre les industriels ou le gouvernement de la Russie, c'est bien évident, et je ne doute pas de la véracité de ce que vous nous avez raconté. Ce qui me préoccupe, par contre, c'est que la personne accusée n'a pas la possibilité de répondre aux accusations dont elle fait l'objet.
    J'ai aussi l'impression qu'on fait de la culpabilité par association, étant donné que les membres des familles des accusés seront eux aussi interdits de visa. Pourtant, nous ne sommes pas responsables de ce que font nos parents. J'ai l'impression qu'on va un peu trop loin.
    J'aimerais toutefois savoir, puisque vous avez parlé du premier ministre Gordon Brown et de son commentaire, si le gouvernement britannique est allé, concrètement, plus loin que ce commentaire.
(1345)
    Oui. En ce moment, nous discutons sérieusement, avec le bureau du procureur de la Couronne, de la possibilité de poursuivre certaines de ces personnes pour crimes contre l'humanité. Ça va donc beaucoup plus loin que ce dont nous parlons ici. Je ne peux guère vous en dire plus, pour des raisons évidentes.
    Permettez-moi de revenir sur ce que vous avez dit au sujet d'un procès équitable, car votre remarque est tout à fait judicieuse. Lorsque j'ai discuté de la loi Magnitsky avec les membres de l'équipe Cardin, il a été beaucoup question de la notion de procès équitable. La loi dispose qu'une liste sera dressée, et que ceux dont les noms figurent sur la liste seront notifiés. Ils auront donc la possibilité de se défendre et de prouver leur innocence si, pour une raison ou une autre, leur nom n'aurait pas dû figurer sur la liste. Ce n'est donc pas un processus automatique qui interdit toute réaction de la part des personnes figurant sur cette liste.
    Vous avez tout à fait raison de dire que, même si l'affaire a fait une victime, il faut éviter d'instaurer une procédure gouvernementale arbitraire. Mais il faut tout de même avoir un mécanisme qui empêche les bourreaux et les assassins d'entrer au pays.
    Je n'ai rien à ajouter en ce qui concerne la culpabilité par association. À chacun son opinion, et je comprends la vôtre.
    Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous parlez de victime d'une grave injustice. Par contre, je voulais simplement vous inciter à la prudence.
    Cette affaire est très inquiétante. On comprend facilement qu'elle ait interpellé les législateurs de divers pays. Je suis sûr que notre comité examinera attentivement ce que vous nous proposez. Je vous remercie.
    Merci.
    Merci.
    C'est maintenant le tour des conservateurs.
    Monsieur Sweet, je crois comprendre que c'est vous qui allez commencer, et que vous serez suivi de M. Hiebert.
    Je vous remercie, monsieur Browder, de témoigner devant nous aujourd'hui et de défendre la cause de Sergei.
    Ma question porte sur vos intérêts commerciaux en Russie. Sont-ils aujourd'hui tous liquidés? Vous en reste-t-il?
    Il ne me reste pratiquement rien en Russie. C'est désormais trop dangereux pour moi d'y travailler. Étant donné que je suis considéré comme un ennemi de l'État, ce pays n'est manifestement pas très propice aux affaires.
    C'est bien ce que je pensais, mais je voulais vous l'entendre dire.
    Deuxièmement, depuis que vous vous êtes fait le champion de cette cause, non seulement pour défendre la mémoire de Sergei mais aussi pour redresser de graves injustices en interdisant de visa tous les responsables, vous avez dû recevoir des menaces.
    En effet. Depuis les quelques semaines qui ont précédé la mort de Sergei jusqu'à maintenant, mes collègues et moi avons reçu huit menaces de mort ou de violence très explicites, à cause de nos démarches. C'est très inquiétant.
    Je peux vous dire que, quatre jours avant sa mort, alors qu'il était en prison et dans une situation beaucoup plus dangereuse que la mienne, Sergei a fait un témoignage détaillé des crimes dont il avait été victime et des responsables, et il a même donné d'autres noms. S'il a eu assez de courage pour le faire en prison, et que cela l'a conduit à la mort, j'ai le devoir envers lui de ne pas avoir peur et d'avoir le courage de faire ce que je suis en train de faire.
    C'est terrible de recevoir des menaces de mort, mais c'est encore plus terrible de penser à ce qui est arrivé à Sergei. Je vais continuer de défendre son nom et sa mémoire, pour que justice soit faite.
    Merci, monsieur Browder.
    Avez-vous signalé ces menaces aux autorités compétentes, et pourriez-vous nous en indiquer la nature?
(1350)
    Les menaces nous sont parvenues sous la forme de messages textes et de courriers électroniques provenant de Russie. Nous avons commencé à en recevoir avant la mort de Sergei. Un message texto, envoyé à l'un de nos avocats russes à Londres, disait précisément: « Qu'y a-t-il de pire? La prison ou la mort? ». Peu de temps après, nous avons reçu le message suivant: « L'histoire nous enseigne que n'importe qui peut se faire tuer », qui reprenait les paroles de Don Michael Corleone, dans Le Parrain.
    Dans un autre message laissé sur mon répondeur téléphonique, on entendait quelqu'un se faire passer à tabac. Après la mort de Sergei, nous avons reçu plusieurs messages de ce genre, notamment celui-ci, et je ne répéterai pas les jurons qui le ponctuaient: « Nous aurons ta peau », suivi d'une série de jurons.
    Puisque nous habitons tous à Londres, tous ces messages ont été rapportés à SO15, l'unité antiterroriste de la police métropolitaine, et un dossier a été ouvert, entre autres. Encore une fois, je ne peux pas vous donner plus de détails puisqu'il s'agit d'une réunion publique, mais je peux vous dire que c'est quelque chose qu'ils prennent très au sérieux, tout comme nous. Nous essayons donc de composer avec ces événements fort déplaisants, puisque ce régime corrompu n'apprécie pas ce que nous faisons.
    Je suis content que vous preniez tout cela très au sérieux.
    J'aimerais vous poser une dernière question au sujet de la famille de Sergei Magnitsky. Dans quelle situation se trouve-t-elle aujourd'hui? Nous savons qu'il a laissé une femme et deux enfants. Savez-vous comment ils vont?
    Nous sommes en contact très étroit. En fait, il a laissé quatre personnes à charge: deux enfants — deux garçons —, une femme et sa mère, qui était à sa charge. Nous sommes en contact étroit avec eux, et nous les aidons également financièrement, afin qu'ils puissent vivre dans les conditions que Sergei aurait aimé leur offrir.
    J'ai des conversations absolument déchirantes avec eux, à intervalles réguliers, et je ne peux même pas exprimer... Malgré toute la peine que je ressens, c'est à peine le millième de ce qu'ils doivent ressentir. C'est déjà quelque chose de perdre quelqu'un, mais quand la personne est jeune et qu'elle est morte sous la torture, ce doit être psychologiquement terrible. Nous essayons d'aider la famille à surmonter ces difficultés et à faire son deuil.
    Merci, monsieur Browder.
    Je vais donner le temps qui me reste à mon collègue, mais auparavant, j'aimerais que soit consignée au dossier la réponse à ma dernière question: la famille a-t-elle été elle aussi menacée?
    Je ne pense pas que la famille ait reçu des menaces explicites, mais elle ne me le dirait sans doute pas. Je suppose que si elle a été menacée, elle aurait peur de m'en parler au téléphone.
    Merci.
    D'après le document que vous nous avez apporté, la commission de l'ordre public de Moscou a publié un rapport en décembre 2009, dans lequel une des commissaires indique qu'il s'agit à son avis d'un meurtre prémédité.
    Le document indique également qu'en novembre 2009, Dmitri Medvedev a diligenté une enquête et que 20 responsables de l'administration pénitentiaire ont été renvoyés, y compris le sous-directeur du pénitencier fédéral, qui avait aussi des liens avec Anatoli Mikhalkin.
    Il semble donc qu'un certain nombre de mesures ont été prises à la suite de cette enquête, officiellement ou non. Ma question est la suivante: où en est la justice dans ce pays? L'enquête ordonnée par le président russe a-t-elle abouti à un rapport? Des sanctions civiles ou pénales ont-elles été prises contre les 60 personnes que vous avez identifiées? Où en est-on?
    C'est une bonne question. Je suis content que vous l'ayez posée et je suis particulièrement content que vous ayez parlé des 20 responsables de l'administration pénitentiaire
    Peu de temps après la mort de Sergei, on a beaucoup parlé du fait qu'il est décédé, et 20 directeurs de prison d'un peu partout en Russie ont été congédiés. De ces 20 personnes, 19 d'entre elles n'avaient rien à voir avec les établissements où Sergei Magnitsky a été détenu, alors il n'y avait aucun lien entre elles et Sergei Magnitsky. Plusieurs semaines plus tard, le directeur qui était responsable de la prison où était détenu M. Magnitsky a été nommé directeur adjoint d'une autre prison.
    Aucune accusation au civil ni au criminel n'a été portée contre l'une des 60 personnes dont le nom figure sur la liste, et comme je l'ai déjà dit, un certain nombre d'entre elles, y compris la personne la plus étroitement liée aux actes de torture posés contre Sergei, ont obtenu une promotion. Ça fait un an que tout cela a eu lieu, et les enquêteurs ont dit — officieusement, pas officiellement, puisque l'enquête n'est pas terminée — que personne ne serait tenu responsable de la mort de Sergei Magnitsky.
    Si vous receviez la visite de l'ambassadeur de la Russie, il vous dirait que l'enquête est en cours, qu'il faut la laisser suivre son cours. Mais il ne vous dirait pas que certaines personnes de l'équipe d'enquête font également partie des accusés. Ces personnes font enquête sur elles-mêmes.
(1355)
    Très bien. Alors nous ne pouvons pas espérer que justice soit faite dans le système judiciaire russe. Y a-t-il un inconvénient à l'adoption de la proposition que vous avez présentée, qui vise à empêcher ces personnes et les membres de leur famille d'obtenir un visa?
    S'il y a un inconvénient? C'est une bonne question.
    Ce que je dirais — et c'est un point très important —, c'est que Sergei Magnitsky n'est qu'une personne parmi tant d'autres à avoir subi ce sort. Ce n'est que la pointe de l'iceberg.
    Le seul inconvénient que je vois, c'est qu'il pourrait être impossible d'appliquer la loi à d'autres cas dans l'avenir en raison de sa portée restreinte. Ce n'est pas juste qu'une seule personne en bénéfice, alors que ça pourrait aussi en aider d'autres. Mais il faut commencer par un cas... parce que si nous essayions de faire adopter un projet de loi pour toutes les personnes qui ont fait des choses terribles, ce ne serait tout simplement pas gérable.
    Alors je dirais que nous devons réfléchir à un moyen de l'appliquer à différentes situations — pas juste en Russie, mais aussi dans d'autres pays — afin d'en arriver à une tactique pour lutter contre les abus liés aux droits de la personne. Je crois que si c'était là l'héritage laissé par M. Magnitsky, il aurait fait énormément de bien à la planète. Nous devons commencer quelque part, mais je comprends qu'une loi précise pour une personne en particulier n'est utile que si elle peut être appliquée à d'autres cas dans l'avenir.
    Nous n'avons à peu près plus de temps.
    Il semble que vous étiez sur le point de poser une autre question, monsieur Hiebert. Pourquoi ne le faites-vous pas...
    Seulement si nous avons le temps.
    Je sais que vous avez déjà parlé du fardeau de la preuve. Il semble que cet aspect poserait problème si l'on souhaitait instaurer un régime dans le cadre duquel des personnes comme celles dont il est question seraient étiquetées comme terroristes dans leur pays et se retrouveraient sur une liste d'interdiction de visa. Comment voulez-vous que le fardeau de la preuve soit établi si leur propre système judiciaire ne les tient pas responsables?
    Leur système judiciaire ne les tient pas responsables, mais supposons que je présente la preuve que nous avons soumise à d'autres à votre ministre de la Justice ou à son ministère. Si la preuve est suffisante, étant donné les règles de preuve, je crois que nous aurions une méthode tout à fait appropriée.
    Voici un parallèle: en Russie, si vous ne pouvez pas obtenir justice, vous pouvez vous adresser à la Cour européenne des droits de l'homme, à l'extérieur de la Russie, pour certains types d'affaires. C'est un type de processus différent, mais si vous ne pouvez pas obtenir justice en Russie, que vous avez une preuve prima facie de torture et de meurtre et qu'une loi de ce genre est adoptée, quelqu'un du ministère de l'Intérieur ou de la Justice analysera ensuite la preuve et dira: « Oui, c'est une preuve suffisamment probante pour que nous prenions cette décision. »
    Merci beaucoup, monsieur Hiebert.
    Et merci à vous aussi, monsieur Browder.
    Avant de partir, j'aimerais savoir si vous souhaitez ajouter quelque chose.
    Je crois que nous avons très bien traité le sujet, et je dois dire que je suis impressionné par le niveau de connaissance des députés dans ce dossier ainsi que par le niveau d'attention témoigné. Votre groupe était visiblement bien préparé.
    Je vous remercie de m'avoir donné cette possibilité de m'adresser à vous et j'espère que nous pourrons faire quelque chose ensemble dans ce dossier. Merci beaucoup.
    Merci du compliment. Si nous sommes bien préparés, c'est évidemment en grande partie parce que nous avons reçu la documentation que vous nous avez envoyée et qui a été distribuée.
    En parlant de documentation, je crois que nous avons des documents de suivi dont nous avons discutés; je vous encourage simplement à voir ce qui en est avec notre greffière. Nous veillerons à ce qu'ils soient distribués à tous les membres.
    Voilà qui clôt ce point, mesdames et messieurs. Passons maintenant à une autre question, de nature budgétaire cette fois. Nous devrions en discuter à huis clos. Est-ce que quelqu'un pourrait présenter une motion pour que nous en discutions à huis clos?
    Je le propose.
    Est-ce que tout le monde est d'accord?
    Des voix: D'accord.
     [La séance se poursuit à huis clos.]
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