SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 9 février 2012
[Enregistrement électronique]
[Français]
En ce 9 février 2012, c'est la 21e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
Aujourd’hui, nous accueillons Alex Neve, un très fiable représentant de la section anglophone d’Amnistie internationale, dont il est le secrétaire général.
Notre greffière mentionnait justement — et je tiens à répéter ce qu’elle a dit — à quel point nous étions reconnaissants de la grande souplesse dont M. Neve fait toujours preuve en se mettant à notre disposition quand nous avons besoin de lui et en s’adaptant à notre emploi du temps. Nous lui en savons gré. Ce n’est pas une caractéristique que tous nos témoins partagent, parce qu’ils forment manifestement un groupe hétéroclite.
Nous vous en sommes reconnaissants. Merci.
Je tiens également à souhaiter un bon retour à notre collègue, M. Marston, qui se remet d’une blessure. On m’a dit que Wayne luttait avec sa conscience et qu’au bout du compte, il avait gagné…
Des voix: Oh, oh!
Le président: … mais qu’il lui en a beaucoup coûté sur le plan physique. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.
C’est exact.
Passons immédiatement au témoignage de M. Neve. Ensuite, nous procéderons aux séries de questions.
Allez-y.
Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie également de la gratitude que vous m’avez exprimée. Je vous assure que c’est réciproque. Il est clair qu’Amnistie internationale apprécie le fait que le sous-comité examine un si grand nombre d’enjeux qui nous préoccupent véritablement, et que vous nous invitiez à vous communiquer nos conseils et nos opinions.
Nous nous réjouissons certainement d’être ici aujourd’hui et nous applaudissons en particulier votre décision de porter votre attention sur la situation des droits de la personne en Érythrée pour deux raisons très évidentes. Premièrement, nous l’accueillons avec satisfaction parce que l’Érythrée est un pays qui, en général, reçoit très peu d’attention à l’échelle internationale, que ce soit de la part du Canada ou de tout autre pays. Deuxièmement, je m’en réjouis aussi parce que la situation des droits de la personne est grave dans ce pays depuis de nombreuses années maintenant — et je vais vous en dresser aujourd’hui un tableau bien que vous en soyez sûrement déjà conscients — et qu’elle mérite de faire l’objet d’un examen minutieux de la part de tous les pays du monde, y compris le Canada, et que ceux-ci exercent des pressions.
À une certaine époque, l’Érythrée était, en surface du moins, un exemple positif sur le plan des droits de la personne. Je pense que la lutte que les Érythréens ont menée pour leur autonomie et finalement leur indépendance a contribué grandement à mettre un terme à l’empire cruel de l’ancien homme fort éthiopien, Mengistu Haile Mariam, qui, pendant une quinzaine d’années, n’a rien fait pour empêcher des violations massives des droits de la personne, partout en Éthiopie et, très certainement, dans ce qui était à l’époque la province éthiopienne de l’Érythrée.
La brutalité des violations des droits de la personne que le peuple érythréen a subies était telle que, lorsque Mengistu a été renversé et qu’il a fui l’Éthiopie en 1991, entraînant finalement l’indépendance complète de l’Érythrée en 1933, les gens tant en Érythrée que sur la scène internationale étaient remplis d’espoir et de promesses.
Toutefois, Amnistie internationale a très vite commencé à entendre un autre son de cloche émanant de l’Érythrée. Je me rappelle de ma propre expérience. En 1992 et 1993, je travaillais ici, au Canada, comme coordinateur d’un programme pour les réfugiés d’Amnistie internationale. Tout d’un coup, nous avons commencé à être abordés par des gens qui fuyaient l’Érythrée et qui racontaient des histoires à propos d’un gouvernement cruel et autocratique dirigé par le président Isaias Afwerki et son Front populaire de libération de l’Érythrée qui, comble de l’ironie, a été renommé le Front du peuple pour la Démocratie et la Justice. Ces gens nous ont dit que la dissidence n’était nullement tolérée et que d’horribles violations des droits de la personne étaient commises, y compris la torture et l’exécution sommaire des partisans de tout parti autre que le FPLE.
De nombreuses personnes qui, à l’époque, s’étaient réfugiées au Canada étaient des membres ou des sympathisants du Front de libération de l’Érythrée, le FLE, un groupe de l’opposition non reconnu par le président Afwerki. Ici, au Canada, personne n’a cru leurs histoires. À l’époque, il y avait très peu d’information disponible. La communauté internationale considérait toujours l’Érythrée comme une bonne nouvelle. Bon nombre de ces personnes ont préféré se cacher ou se réfugier dans des églises plutôt que d’affronter la déportation en Érythrée. Amnistie internationale est intervenue dans bon nombre de leurs cas, mais la tâche était plutôt colossale.
Je suis vraiment frappé de voir à quel point le temps a très malheureusement donné raison à ces premiers réfugiés et, depuis leur arrivée, la tendance à commettre des violations généralisées des droits de la personne s’est enracinée et accentuée en Érythrée. Presque 20 ans après que l’Érythrée a obtenu son indépendance, je pense que la plupart des organisations internationales de défense des droits de la personne s’entendent pour dire que la situation des droits de la personne là-bas est non seulement parmi les plus graves et les plus inquiétantes du monde d’aujourd’hui, mais aussi l’une de celles qui reçoivent le moins d’attention.
Le président Afwerki est, bien entendu, toujours au pouvoir, et rien n’indique qu’il a l’intention d’organiser en Érythrée les élections qu’il remet depuis longtemps. Son parti, le Front du peuple pour la Démocratie et la Justice, est le seul à pouvoir exercer légalement ses activités en Érythrée. Cela ridiculise assurément son nom. À mon avis, la présence du mot « Démocratie » dans son appellation devrait leur laisser entendre qu’il est nécessaire d’autoriser plus d’un parti.
Il n’y a pas de système judiciaire indépendant, et la société érythréenne demeure incroyablement militarisée. Tous les adultes font face à un service militaire obligatoire qui se prolonge souvent indéfiniment pendant de nombreuses années. Les coûts d’une conscription aussi massive et de la militarisation en général grèvent la fragile économie du pays.
En outre, les besoins humanitaires s’accroissent en Érythrée. Ce pays est l’un de ceux qui ont été touchés par la grave sécheresse qui a frappé la Corne de l’Afrique. Les Nations Unies estiment que deux sur trois Érythréens souffrent de malnutrition.
En réponse à ce besoin criant, qu’observons-nous? Eh bien, le gouvernement érythréen a restreint l’aide alimentaire et l’accès à l’aide humanitaire, apparemment dans le but de contrôler et de punir la population ainsi que de limiter l’influence externe en Érythrée. En novembre, le gouvernement érythréen a informé l’Union européenne de son intention de mettre fin à tous les programmes de développement de l’UE en Érythrée.
En raison de cette situation précaire, de grands nombres d’Érythréens, en particulier des jeunes, continuent de fuir leur pays. Quant au gouvernement érythréen, il maintient sa politique consistant à tirer à vue quiconque vu en train d’essayer de franchir les frontières qui séparent l’Érythrée des pays avoisinants.
Bien entendu, l’Érythrée fait toujours l’objet de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont un embargo sur les armes, parce que le pays soutient des groupes armés en Somalie et qu’il s’est abstenu de régler un conflit frontalier avec le Djibouti.
Enfin, le gouvernement Afwerki continue d’utiliser la peur et la souffrance occasionnées par la guerre qui, de 1998 à 2001, a opposé l’Éthiopie à l’Érythrée, comme prétexte pour commettre des violations des droits de la personne. Les relations entre les deux pays demeurent pour le moins tendues. L’Éthiopie a refusé de se conformer à la décision de 2002 de la Commission de démarcation de la frontière entre l'Érythrée et l'Éthiopie et de se retirer du village frontalier de Badme, que les deux pays se disputent.
Dans ce contexte, j’aimerais vous décrire certaines préoccupations clés en matière de droits de la personne. Je vais mettre l’accent sur les suivantes: la liberté de religion, les prisonniers d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de la presse et la conscription. Voilà les problèmes locaux en Érythrée. Mais j’aimerais également aborder trois questions ayant une dimension plus internationale, notamment le traitement des réfugiés érythréens dans les autres pays, une question de responsabilisation des sociétés ayant un lien avec le Canada et, finalement, la possibilité que les Nations Unies interviennent davantage en ce qui concerne la situation des droits de la personne en Érythrée.
La liberté de religion est grandement restreinte en Érythrée. Seuls les membres de religions permises — et il y en a quatre, soit l’église orthodoxe érythréenne, la religion catholique romaine, les églises luthériennes et l’islam — sont autorisés à pratiquer leur foi. Par contre, les membres de confessions minoritaires interdites risquent d’être harcelés, arrêtés, gardés au secret ou torturés. Bon nombre d’entre eux ont été arrêtés, alors qu’ils priaient clandestinement ou assistaient à des cérémonies religieuses, comme des mariages et des funérailles, et sont morts en détention.
Plus de 3 000 chrétiens appartenant à des religions non enregistrées sont incarcérés à l’heure actuelle, dont plus de 50 témoins de Jéhovah. En fait, plusieurs des témoins de Jéhovah détenus sont en prison depuis 1994 — donc, cela fait près de 20 ans. En mai, 64 chrétiens ont été arrêtés dans un village près de la capitale. Cinquante-huit d’entre eux étaient toujours en prison à la fin de 2011. En octobre, on a rapporté que trois chrétiens étaient morts en détention. Ils avaient été arrêtés en 2009 lors d’une descente menée à la résidence privée où ils priaient.
Un nombre important mais inconnu de prisonniers d’opinion et de prisonniers politiques sont toujours détenus. Parmi eux, on retrouve des critiques du gouvernement, des militants politiques, des journalistes, des pratiquants de diverses religions, des gens qui ont fui la conscription, des déserteurs et des gens qui n’ont pas réussi à obtenir l’asile et qui ont été déportés vers leur pays.
Bon nombre d’entre eux sont gardés au secret, notamment un groupe composé de 11 éminents politiciens et anciens membres du conseil central du FPDJ, dont trois anciens ministres. Ils ont tous été incarcérés en 2001, simplement pour avoir osé réclamer une réforme démocratique du pays. Ils sont tous au secret. Ils n’ont pas été inculpés ou jugés, et ils n’ont pas accès à leur famille ou à des avocats. On craint grandement qu’ils aient été torturés ou maltraités et que leur santé soit en danger.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas de liberté de presse. La liberté journalistique est grandement restreinte. Le gouvernement exerce un contrôle sur tous les médias. Les journalistes indépendants ont été pratiquement bannis depuis 2001. De nombreux journalistes sont gardés au secret, sans avoir été accusés ou jugés. De plus, des journalistes érythréens qui sont établis à l’étranger, en particulier ceux qui se trouvent aux États-Unis, ont signalé avoir été harcelés et surveillés par des partisans du gouvernement érythréen.
Comme vous le savez sûrement, le service militaire est obligatoire pour tous les hommes et les femmes âgés de plus de 18 ans. Il comprend une période initiale de service de 18 mois pendant laquelle ils sont forcés à travailler sur des projets étatiques ou pour des entreprises qui appartiennent à l’armée ou à l’élite du parti au pouvoir et qui sont exploitées par elles. On leur verse des salaires minimes qui sont loin de leur permettre de subvenir à leurs besoins.
Les 18 mois exigés par la loi peuvent, comme c’est souvent le cas, être prolongés indéfiniment pendant des années. Ils sont également suivis de périodes de service dans la réserve.
Comme vous pouvez l’imaginer, beaucoup de citoyens tentent d’éviter la conscription ou désertent. Ils risquent de dures sanctions qui comprennent la torture et la détention sans jugement.
Maintenant, je veux aborder les trois enjeux qui ont un caractère plus international, en commençant par les préoccupations liées aux réfugiées. De nombreux Érythréens fuient leur pays en raison de la tendance du gouvernement à violer sans relâche les droits de la personne. Les membres de leur famille qui restent derrière subissent des représailles sévères, notamment des amendes et des peines de prison. Toutes les personnes prises en train de franchir la frontière pour fuir le pays sont aussi traitées durement; bon nombre d’entre elles meurent sous les balles.
À l’heure actuelle, approximativement 250 000 réfugiés érythréens vivent à l’étranger, un nombre très important si l’on considère que le pays compte seulement cinq millions d’habitants. En fait, l’UNHCR estime que, chaque mois, 3 000 Érythréens fuient leur pays. Par conséquent, cet exode ne touche nullement à sa fin. Des responsables de l’UNHRC ont publié des lignes directrices qui exhortent les États à ne pas déporter les réfugiés érythréens vers leur pays. Cependant, certains pays dans la région procèdent régulièrement à des déportations massives. Le Soudan, par exemple, remet périodiquement des Érythréens au gouvernement de l’Érythrée.
Le 17 octobre dernier, les représentants officiels du gouvernement soudanais en ont donné un exemple choquant en remettant plus de 300 Érythréens directement à l’armée érythréenne sans même les contrôler d’abord pour vérifier s’il était possible de leur accorder le statut de réfugié. Remarquablement, cela a coïncidé avec la visite du président Afwerki au Soudan. En outre, en octobre dernier, au moins 83 Érythréens ont été déportés d’Égypte.
Au cours des dernières années, Amnistie internationale a malheureusement été forcée de prendre une série de mesures d’urgence au nom de réfugiés érythréens qui risquaient une déportation imminente ou d’autres violations des droits de la personne. Il y a quelques semaines à peine, le 31 janvier pour être précis, nous avons pris des mesures d’urgence pour protéger six Érythréens emprisonnés en Ukraine qui avaient été menacés et battus, et qui risquaient une déportation éventuelle. Le 2 novembre dernier, nous sommes intervenus d’urgence pour défendre les droits de 118 hommes érythréens qui risquaient tous d’être déportés sous peu d’Égypte vers l’Érythrée.
Le 20 juin dernier, nous avons pris des mesures d’urgence pour protéger sept Érythréens qui risquaient d’être déportés du Kenya vers l’Érythrée. Les autorités kényanes ne leur permettaient même pas de demander le statut de réfugié sous prétexte qu’ils étaient arrivés au Kenya en passant par d’autres pays plutôt que directement d’Érythrée. Cette exigence serait plutôt difficile à satisfaire, étant donné que l’Érythrée et le Kenya ne sont pas limitrophes.
Ce ne sont que trois exemples parmi tant d’autres. Nous sommes intervenus d’urgence pour défendre les droits de la personne d’Érythréens à risque en Libye et aussi dans un certain nombre de pays d’Europe. Ce qui est encore plus cruel pour les Érythréens, c’est qu’ils sont souvent victimes de traitements extrêmement durs aux mains des trafiquants de la région. Par exemple, selon certaines sources crédibles, des contrebandiers et des trafiquants ont pris en otage 300 Érythréens dans le désert du Sinaï en Égypte — ils seront libérés contre rançon et sont victimes de mauvais traitements.
Beaucoup d'entre eux semblent avoir tenté de trouver refuge en Israël. Dans certains cas, les autorités égyptiennes ont procédé à des arrestations massives de migrants dans la région. Elles ne vérifient pas si les personnes arrêtées sont des victimes de la traite de personnes ou des demandeurs d'asile. La plupart seront tout simplement déportées.
Ce qui est inquiétant, c'est que l'Égypte n'autorise pas le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à s'entretenir avec les migrants qui sont arrêtés dans le Sinaï. De plus, les gardes-frontière égyptiens abattent régulièrement des personnes qui tentent de traverser en Israël à partir du Sinaï. Au moins 85 personnes ont été tuées au cours des cinq dernières années; la plupart étaient des Érythréens.
Voilà la situation des réfugiés. Je voudrais maintenant vous parler d'une question concernant une entreprise canadienne. C'est assez incroyable. C'est un pays très fermé et dont l'accès est très limité, je suis sûre que vous en conviendrez, mais ce qui est intéressant, c'est qu'il existe un lien canadien très étroit qui se développe à l'intérieur de l'Érythrée. L'entreprise canadienne Nevsun Resources, dont le siège social est situé à Vancouver, exploite une importante mine d'or, d'argent, de cuivre et de zinc à Bisha, en Érythrée. La construction de la mine a commencé en septembre 2008, et les activités de production commerciale ont débuté il y a à peine un an, soit en février 2011.
Beaucoup d'allégations très graves et troublantes ont été soulevées à propos des mauvaises conditions de travail et du traitement sévère infligé aux travailleurs par les forces de sécurité du gouvernement stationnées dans la mine et aux environs. Amnistie internationale a également reçu des renseignements crédibles selon lesquels des entreprises locales, dont les services ont été retenus par Nevsun Resources, soumettent des conscrits au travail forcé. Je m'attends à ce qu'Elsa Chyrum, dont vous entendrez le témoignage la semaine prochaine, ait plus de détails à vous fournir à ce sujet. Amnistie internationale, qui s'est vu refuser l'accès en Érythrée, n'a pas été en mesure de faire une enquête ni de vérifier les allégations. Nous en prenons note et nous estimons qu'elles sont troublantes. Le simple fait que Nevsun exerce ses activités dans un pays si répressif, dont le comportement en matière de droits de la personne est épouvantable, comporte de très importantes responsabilités sur le plan des droits de la personne.
Compte tenu de cela, la description de la situation en Érythrée que l'on trouve sur le site Web de Nevsun semble pour le moins étonnante. On résume la situation politique ainsi: « État à parti unique. Pas de corruption. L'embargo sur les armes et les sanctions de l'ONU n'ont aucun impact sur l'entreprise ». On fait référence à la culture en disant simplement qu'elle est « 50 p. 100 islamique, 50 p. 100 chrétienne ». Plus loin, on dit que les religions chrétienne et musulmane sont les plus répandues et qu'elles sont « réparties également dans la société et le gouvernement ». Je ne m'attends pas à ce qu'on fasse une critique percutante de la situation des droits de la personne, mais ce genre de description fourbe des conditions qui existent dans ce pays est profondément troublante.
Une section portant sur la responsabilité sociale n'inspire pas plus confiance. Elle est principalement de l'envergure de la philanthropie et des platitudes. Il n'est nullement question d'une politique précise en matière de droits de la personne ni d'une politique détaillée visant à apaiser les inquiétudes au sujet de leur relation avec les forces de sécurité érythréennes. Il n'est pas question non plus d'une collaboration avec les autorités érythréennes relativement à la situation désolante des droits de la personne dans ce pays.
Comme je l'ai dit, Amnistie internationale n'a pas eu l'occasion d'examiner les activités de Nevsun, et nous n'avons pas rencontré ses dirigeants ni communiqué avec eux. Étant donné la taille du projet, l'influence que l'entreprise aurait auprès des dirigeants érythréens et le fait qu'elle sera inévitablement confrontée, dans le cadre de ses activités, à des défis très importants sur le plan des droits de la personne, je suggère que le sous-comité invite ces personnes à venir s'exprimer directement devant ses membres.
Qui plus est, le Régime de pensions du Canada, fait intéressant, possède presque 2,5 millions d'actions de Nevsun. Dans une certaine mesure, tous les Canadiens sont concernés, puisqu'ils sont présents en Érythrée.
Ce qui est peut-être encore plus pertinent, c'est le fait que le Conseil de sécurité de l'ONU, dans sa plus récente résolution sur l'Érythrée, soit la résolution 2023 adoptée le 5 décembre 2011, se déclare préoccupé par « le fait que le secteur minier érythréen peut servir de source de financement pour déstabiliser la région de la corne de l'Afrique ».
Par conséquent, le Conseil de sécurité demande aux États qui comptent des entreprises actives dans le secteur minier de l'Érythrée — dont le Canada — de tracer des lignes directrices sur la diligence raisonnable afin que les activités des entreprises ne favorisent pas la violation par l'Érythrée des nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU relatives à la situation qui règne dans le pays.
Pour finir, que devrions-nous faire? Quelles sont les possibilités pour le Canada?
J'ai quatre brèves suggestions à vous soumettre en guise de conclusion.
Premièrement, bien entendu, le Canada doit continuer d'exercer des pressions directes sur l'Érythrée de toutes les manières possibles et de collaborer avec d'autres pays afin que des changements soient apportés à la situation des droits de la personne dans ce pays. Comme vous pouvez l'imaginer, le programme de changement et de réforme en est un à long terme, mais il existe. Amnistie internationale, les Nations Unies et les experts du domaine des droits de la personne ont déterminé les changements qui doivent être apportés en matière de droit, de politique, de pratique et de gouvernance afin de mettre fin à ces terribles violations des droits de la personne.
Par conséquent, le Canada doit notamment insister pour que cesse la détention secrète de prisonniers d'opinion — et je vous ai mentionné tout à l'heure qu'il y en a beaucoup — emprisonnés en raison de leurs croyances religieuses ou de leurs activités politiques, et faire pression pour que le Comité international de la Croix-Rouge ait un accès immédiat, complet et inconditionnel à tous les détenus.
Deuxièmement, le Canada ne devrait ménager aucun effort pour s'assurer que les réfugiés érythréens, dont ceux qui présentent une demande au Canada, reçoivent la protection nécessaire. Et surtout, le Canada devrait faire pression auprès des gouvernements de la région pour que cesse la pratique éhontée consistant à renvoyer les Érythréens dans leur pays. Cela pourrait se faire notamment en fournissant davantage de ressources pour aider ces pays à protéger les Érythréens et peut-être en améliorant la réinstallation au Canada des réfugiés érythréens des pays voisins.
Troisièmement, le Canada doit engager des discussions avec Nevsun Resources relativement à ses activités minières en Érythrée afin de s'assurer qu'elles renforcent la protection des droits de la personne et ne contribuent pas à la violation de ces droits. Une attention particulière devrait être portée à la possibilité que le travail forcé soit utilisé par les partenaires de sous-traitance de Nevsun.
Le Canada doit également tracer rapidement les lignes directrices sur la diligence raisonnable demandées par le Conseil de sécurité.
Enfin, le Canada devrait envisager des façons d'attirer davantage l'attention du Conseil des droits de l'homme sur la situation en Érythrée en examinant la possibilité de présenter une résolution à une prochaine séance du Conseil des droits de l'homme. Il est probablement trop tard pour le faire à la prochaine séance, qui aura lieu dans deux semaines, mais il y en a bien d'autres à venir.
Une telle résolution pourrait notamment mener à l'affectation d'un rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de la personne en Érythrée. Cela constituerait une étape des plus importante, puisque cette situation très triste des droits de la personne ferait l'objet d'un intérêt et d'un examen accrus sur le plan international.
Cela conclut mon exposé. Merci.
Merci beaucoup.
Compte tenu du temps dont nous disposons, nous ne pourrons accorder plus de cinq minutes à chacun pour les questions et les réponses, et je serai strict.
Je suggère aux députés d'essayer de poser une seule question — intégrez tout en une seule question, afin que M. Neve n'ait qu'une réponse à fournir. Je crois que cela optimisera le temps qui vous est imparti.
Nous allons commencer par M. Sweet, et sachez que l'ordre d'intervention a changé depuis peu. L'ordre sera le suivant: Parti conservateur, NPD, Parti Conservateur, Parti libéral, Parti conservateur, NPD. C'est ainsi que nous allons procéder.
Monsieur Sweet, c'est vous qui allez commencer.
Merci, monsieur le président.
Compte tenu de la gravité de la situation des droits de la personne, il est difficile de se concentrer sur un élément précis. Je remarque que sur le site Web de Nevsun, on indique que l'entreprise a extrait 379 000 onces d'or en 2011, et pourtant, les deux tiers de la population souffre de malnutrition. Il serait intéressant qu'on nous fournisse des explications à ce sujet, monsieur le président. Je crois que ce serait probablement une bonne idée de nous entendre à la fin de la séance pour demander au président de Nevsun de venir témoigner.
L'une des choses qui me laisse particulièrement perplexe, c'est le comportement des pays voisins de l'Érythrée. D'après ce que je comprends, l'Érythrée a une réputation de bourreau dans la région; Al-Shabaab et des insurgés se rendent dans divers pays.
J'ai deux brèves questions à poser. Pourquoi renvoie-t-on ces réfugiés, alors qu'on pourrait nuire au régime en leur permettant — en leur donnant les moyens — à tout le moins de se rendre dans un autre pays et de demander l'appui du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés? Vous avez parlé d'Israël à une ou deux occasions, au sujet des réfugiés érythréens qui tentent de s'y rendre.
Israël a-t-il contribué de façon importante à l'accueil de réfugiés érythréens?
Je crois que vous avez tout à fait raison de dire que l'Érythrée a une réputation bien méritée de pays fauteur de troubles dans la région, et ce pays fomente des conflits, des violations des droits de la personne et de l'insécurité dans toute la Corne de l'Afrique.
Ce que nous constatons, c'est que les pays qui renvoient les réfugiés érythréens ne sont pas ceux qui ont des rapports particulièrement hostiles avec l'Érythrée. Nous n'avons pas établi que des réfugiés érythréens ont été renvoyés dans leur pays à partir de l'Éthiopie, du Djibouti et de la Somalie — en supposant que des Érythréens voudraient fuir en Somalie, où la situation est manifestement tout aussi atroce.
Ce sont plutôt les pays qui ont une relation amicale, ou du moins une relation neutre, qui renvoient les réfugiés érythréens dans leur pays. Les pays les plus proches qui le font sont le Soudan et l'Égypte. Parmi les pays plus lointains, il y avait la Libye, surtout lorsque Kadhafi était au pouvoir.
Je crois que la tendance en ce qui concerne les expulsions correspond aux relations que l'Érythrée entretient ou non avec les pays voisins. Pour ce qui est d'Israël, je n'ai pas de chiffres à vous fournir concernant le nombre d'Érythréens qui ont pu s'y rendre. Comme je vous l'ai dit, les gardes-frontière égyptiens ont tendance, surtout dans la région du Sinaï, à essayer d'interrompre ce parcours en abattant beaucoup d'Érythréens. D'autres sont arrêtés et expulsés.
J'ai entendu dire qu'un nombre important réussissent à se rendre en Israël. Je ne pense pas que ce soit un très grand nombre, mais il est clair qu'il s'agit d'une destination finale pour bien des Érythréens. Beaucoup considèrent Israël comme un lieu sûr.
Je crois qu'il me reste environ une minute. Vous avez parlé d'à peu près tous les groupes, et je sais que votre temps était limité. J'aimerais vous poser une question au sujet des femmes et des enfants.
Les femmes et les enfants sont-ils victimes de cruauté? Il est évident que lorsque vous parlez de malnutrition à grande échelle, c'est habituellement le groupe qui en est victime. Avez-vous des données empiriques à nous fournir relativement à certaines allégations au sujet des femmes et des enfants?
C’est évident qu’on retrouve des femmes parmi les prisonniers politiques et les prisonniers d’opinion qui sont détenus en raison de leurs croyances religieuses ou de leurs convictions politiques. Amnistie internationale a répertorié de nombreuses prisonnières d’opinion en Érythrée.
Nous savons qu’à certaines reprises des femmes ont été violées ou ont été victimes de sévices sexuelles en prison. Nous en sommes très inquiets. De manière plus large, comme vous l’avez mentionné, de très graves problèmes humanitaires en Érythrée affectent beaucoup les femmes et les enfants; il s’agit très certainement des conséquences de la sécheresse.
Les familles, les femmes et les enfants, sont souvent abandonnées, parce que de nombreux hommes — ce ne sont pas seulement des hommes, mais c’est souvent le cas — essayent de s’enfuir, et ils subissent de graves conséquences, dont l’emprisonnement. Cela inclut souvent des femmes et des enfants.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Neve, merci de votre rapport très approfondi, comme toujours. Cela ne me surprend pas venant de votre part, mais cela semble particulièrement plus omniprésent; je fais allusion à l’omniprésence croissante des violations dans ce pays. Je tiens d’abord à rendre à César ce qui appartient à César.
Je vais me montrer un peu critique envers le gouvernement, mais ce sont les députés ministériels qui nous ont proposé de mener cette étude. Je crois que c’est donc de bonne guerre de le mentionner. Je vous rappelle qu’il y a quelques années nous avons essayé d’adopter à la Chambre des communes le projet de loi C-300 sur la responsabilité sociale des entreprises. En fin de compte, le projet de loi a été rejeté.
En examinant vos commentaires sur les lignes directrices des Nations Unies, je remarque qu’ils correspondent aux lignes directrices dûment requises que nous aurions voulu adopter à la Chambre des communes. On retrouve une mission des Nations Unies en Érythrée et en Éthiopie. Savez-vous si les gens ont accès au pays? De plus, le Canada joue-t-il précisément un rôle dans cette initiative?
Je ne suis pas au courant de l’ampleur du rôle du Canada dans ce cas précis. À certaines reprises, les Canadiens ont manifestement joué des rôles considérables dans diverses initiatives des Nations Unies en ce qui a trait à l’Éthiopie et à l’Érythrée. Il faut bien entendu souligner que Lloyd Axworthy a déjà été nommé envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU pour l'Éthiopie et l'Érythrée.
Le Canada a certainement participé activement aux initiatives par le passé. Par contre, je ne suis pas au courant de l’ampleur de la présente participation des Canadiens.
En ce qui a trait à l’accès en Érythrée, faisiez-vous allusion, par exemple, à la permission de visiter les prisons?
Je crois que nous avons accès au pays. Je ne connais pas les détails, mais je crois que l’ONU a un certain accès au pays. Cependant, il est très difficile d’avoir accès aux prisonniers. Comme je l’ai mentionné, nous devons passer par le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR...
... pour obtenir l’accès. Je ne sais pas si les enquêteurs ou les rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont un tel accès. C’est évident qu’étant donné le...
Cela ne me surprend pas, mais je voulais que vous me le confirmiez.
Parle-t-on beaucoup du gouvernement canadien, de notre relation et de notre position sur les droits de la personne dans le pays? Je ne me souviens pas d’avoir entendu notre gouvernement faire beaucoup de commentaires au sujet de la situation en Érythrée. En avez-vous entendu?
Comme partout sur la scène internationale, très peu d’attention au Canada a été accordée à la situation en Érythrée. Je ne pointe pas particulièrement le Canada du doigt. Je crois que c’était une tendance à l’échelle du globe. Personne n’a vraiment porté attention à la situation en Érythrée, ou personne n’a vraiment exprimé d’inquiétudes à ce sujet.
Si un pays comme le Canada faisait preuve d’un certain leadership non seulement en faisant des pressions sur le gouvernement érythréen, mais aussi en participant à des initiatives multilatérales, comme le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la situation pourrait évidemment enfin progresser.
J’appuie certainement ce que le gouvernement a dit à ce sujet, à savoir qu’il souhaite convoquer devant le comité le président de l’entreprise canadienne en cause. À mon avis, c’est crucial de préciser nos attentes. Si nous ne le faisons pas par l’entremise d’un projet de loi, nous pouvons certainement le faire en jetant la lumière sur cette situation pour que les gens se rendent compte des problèmes potentiels. Je ne dis pas que cette entreprise a fait quelque chose de mal, mais je dis que le potentiel est bel et bien réel. Nous savons qu’ailleurs les sociétés minières canadiennes commencent à engager des milices, ce qui soulève un tout autre problème.
Je présume que j’arrive à la fin de mon temps.
Une question me brûle les lèvres. Vous dites qu’environ 200 000 personnes sont expatriées de l’Érythrée. En tenant compte du nombre de gens qui ont réussi à s’enfuir, combien de gens ont été tués? Quelques-uns ont réussi à s’enfuir, mais le nombre pourrait vraiment être tragique...
Je ne crois pas avoir vu de données fiables à ce sujet. On nous rapporte, par exemple, que des réfugiés ont été tués en dehors du pays après avoir réussi à traverser la frontière. J’ai mentionné que 85 réfugiés, dont bon nombre d’Érythréens, qui essayaient de se rendre en Israël ont été tués dans la péninsule du Sinaï au cours des cinq dernières années. Par contre, étant donné l’accès impossible à des renseignements tangibles dans le pays, nous ne connaissons tout simplement pas le nombre de personnes tuées par les forces érythréennes au moment où elles approchaient de la frontière ou qu’elles essayaient de la traverser pour se rendre dans un pays voisin. Nous savons maintenant que c’est un problème très grave.
À quel point exerce-t-on une pression sur la diaspora canadienne? Il semble que ce soit semblable à ce qui se passait avec les Tigres tamouls.
Selon moi, la situation devient très claire partout dans le monde. Même si je n’ai pas tous les détails, je suis certain que les membres de la communauté érythréenne au Canada s’inquiètent que des partisans ou même des agents du régime érythréen soient très actifs. Ils exercent une pression. Je sais que de nombreux rapports concernant, par exemple, des journalistes érythréens indépendants travaillant aux États-Unis démontrent que ces ressortissants font l’objet de surveillance et sont victimes de harcèlements. Voilà un autre chapitre inquiétant de cette histoire.
Monsieur Neve, c’est toujours un plaisir de vous voir. Merci de témoigner de nouveau.
J’ai un temps limité et j’aimerais me concentrer sur quelque chose que nous avons appris lors de la dernière séance, à savoir l’impôt de la diaspora. Je ne sais pas si vous en avez fait mention dans votre exposé.
On nous a appris mardi que les Érythréens qui habitent dans d’autres pays, à savoir bien entendu les expatriés, sont forcés de verser un pourcentage de leur revenu au gouvernement érythréen. Selon la résolution du 5 décembre dernier du Conseil de sécurité des Nations Unies, ces fonds servent à acheter des armes et du matériel connexe destinés, notamment, à des groupes d’opposition armés. Le point 10 de cette résolution condamne le recours à l’impôt de la diaspora.
Un article est paru dans le National Post en décembre quelques jours après l’adoption de la résolution. L’article faisait mention de cette situation et d’un document sur lequel mon personnel a réussi à mettre la main. C’est un document qui vient du consulat général de l’Érythrée à Toronto. Il s’agit d’un formulaire qui sert, selon ce que nous en comprenons, à recueillir un impôt de l’ordre de 2 p. 100 auprès des Érythréens qui vivent au Canada. On semble dire qu’il y aura des conséquences pour ceux qui ne le paient pas, mais je ne peux pas le confirmer.
Qu’est-ce que notre gouvernement pourrait faire pour prévenir ou bannir cette pratique? Nous savons que de nombreux groupes terroristes et d’autres groupes qui ont été bannis au Canada se servent de notre pays pour recueillir des fonds. Nous avons déjà abordé le sujet. Cependant, j’aimerais vous entendre à ce chapitre. Que savez-vous au sujet de l’impôt de la diaspora? Selon vous, que pourrions-nous faire pour contrer cette pratique?
Nous n’avons pas fait de recherches sur le sujet, mais nous sommes bien au fait de son existence. Je crois que vous avez tout à fait raison. Que nous faut-il de plus qu’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui condamne cette pratique? Le Conseil de sécurité des Nations Unies a demandé au gouvernement érythréen de cesser cette pratique, mais a aussi demandé aux autres pays, ce qui inclut certainement le Canada, dans la mesure où cette pratique existe ici, de prendre des mesures en ce sens. Il faudra examiner les lois qui peuvent ou qui ne peuvent pas être utilisées par le gouvernement canadien pour ce faire. Je suis certain que les avocats du ministère de la Justice pourraient très bien vous conseiller à ce chapitre.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies appelle clairement les nations à agir. Les membres en sont arrivés à cette conclusion, parce qu’ils ont souligné les façons dont, selon eux, l’impôt est utilisé pour déstabiliser la Corne de l’Afrique, y compris les problèmes de sécurité et le soutien érythréen envers la Somalie. Il s’agit de graves enjeux. Il n’est pas très difficile de nous imaginer que cet impôt fournit peut-être également des ressources qui facilitent les violations des droits de la personne en Érythrée même. Les mesures pourraient faire partie d’une stratégie plus étendue pour aborder les enjeux que j’ai mentionnés dans mon exposé.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies appelle les nations à agir. Le Canada n’a pas besoin d’une autre raison pour prendre des mesures.
Connaissez-vous d’autres pays qui imposent leur diaspora au Canada? En avez-vous déjà entendu parler en ce qui concerne d’autres pays qui violent les droits de la personne?
Il y a certainement des allégations qui ont été documentées dans le passé concernant des moyens semblables pris par les Tigres tamouls au sein de la diaspora tamoule. C’est le seul exemple dont je suis au courant, mais je ne serais aucunement surpris d’apprendre que cela se produit également dans d’autres communautés.
Les communautés d’expatriés sont perçues par bon nombre de gens, bien entendu par les membres de la famille, mais aussi par les gouvernements, comme une incroyable source de revenus. Je suis persuadé que parfois ces gens succombent à la tentation.
D’un point de vue libertaire ou autre, pourquoi un gouvernement ne voudrait-il pas mettre un terme à une telle pratique sur son territoire?
Eh bien, j’imagine que parfois on se retrouve aux prises avec des questions difficiles sur la souveraineté, et ces gens ont peut-être la double nationalité. Les gouvernements ont certainement le droit d’imposer leurs ressortissants, même s’ils vivent à l’étranger. On doit composer avec des subtilités juridiques que les avocats du ministère de la Justice et les responsables doivent démêler. Nous avons clairement ici un important point de départ; nous avons l’une des autorités prééminentes sur la scène internationale en matière de droit, le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui demande de mettre un terme à cette pratique et de prendre des mesures en ce sens. Par conséquent, je dirais qu’il incombe au Canada et aux autres pays de trouver des moyens de le faire légalement.
Je tiens simplement à souligner également l’importance de la séance, parce que je crois que les droits de la personne en Érythrée n’ont pas été un sujet d’actualité au Canada et sur la scène internationale. Cette situation a permis d’encourager une culture d’impunité, mais cette culture se veut davantage une culture d’ignorance par rapport à ce qui se déroule en Érythrée.
J’aimerais ouvrir une parenthèse. Un nombre considérable d’Érythréens vivent en Israël. Ils n’ont pas été déportés en Érythrée, mais ils n’ont pas non plus obtenu le statut de réfugié. La loi israélienne sur le statut de réfugié est honnêtement sous-développée. Donc, ces Érythréens sont sur le territoire israélien, mais le gouvernement ne sait pas comment aborder la situation, autrement qu’en choisissant de ne pas les déporter pour l’instant. En effet, comme je l’ai constaté sur place, on retrouve en Israël un nombre considérable de réfugiés africains qui viennent, notamment, du Soudan et de l’Érythrée.
Vous avez parlé des catégories de violations. J’aimerais aborder la liberté de presse et les journalistes. Comme vous le savez, environ 20 hommes et une femme qui font partie d’un groupe connu sous le nom de G15 ont été arrêtés, mais nous n’avons pas de nouvelles de ces gens depuis 2001. Connaissons-nous le statut de ce groupe?
Non. Vous avez tout à fait raison. Ils sont emprisonnés sans contact avec l’extérieur, sans accusation, sans procès et sans avoir accès à leur famille ou aux services d’un avocat. Amnistie internationale a mené une bonne campagne l’an dernier pour souligner le 10e anniversaire de leur arrestation et de leur emprisonnement, et l’organisme continue de présenter leur cas comme des emblèmes criants de la tendance en Érythrée à l’emprisonnement politique et aux prisonniers d’opinion.
Oui. De plus, le groupe comprenait trois anciens ministres, des personnes très importantes et très influentes qui ne prenaient certainement pas les armes et qui ne commettaient pas de crimes et n’encourageaient pas les autres à en commettre. Ils demandaient simplement une réforme démocratique dans leur pays, et ils l’ont payé très cher.
Nous avons traité des cas de personnes emprisonnées ailleurs. Dans le cas qui nous occupe, il est question d’un groupe manifestement non violent qui revendique tout simplement la démocratie et la liberté d’expression. Or, ces gens sont détenus sans contact avec l’extérieur depuis des années, nous n’avons pas de nouvelles d’eux, et peu semble être fait pour leur venir en aide. Est-ce juste?
Vous avez tout à fait raison. J'imagine que des gouvernements, y compris le gouvernement canadien, ont eu l'occasion de faire valoir leur position auprès des dirigeants de l'Érythrée et de leur faire comprendre très clairement qu'ils voulaient voir ces prisonniers relâchés. Toutefois, en l'absence d'un effort concerté de la part de la communauté internationale pour faire pression sur l'Érythrée à cet égard et à l'égard d'autres violations des droits de la personne, cela ne donne pas de résultats.
Il semble qu'aucune ONG n'a accès à l'Érythrée, mais qu'en est-il des Nations Unies, qui ont leur propre mission de surveillance sur ce pays? Ont-elles accès aux prisonniers? Sont-elles intervenues à l'égard de la violation des droits de la personne?
D'après ce que j'ai compris, mais je ne peux pas vous le garantir, les Nations Unies n'ont pas accès aux prisons ni aux centres de détention, pas plus que le Comité international de la Croix-Rouge. Avoir accès aux prisonniers serait un premier pas vers le règlement du conflit. Il faut y voir. Évidemment, aucun des rapporteurs spéciaux de l'ONU ne peut mettre pied en Érythrée. Amnistie Internationale, Human Rights Watch et les autres organismes internationaux de protection des droits de l'homme n'ont pas accès à l'Érythrée. Tout ce qui concerne l'administration du pays est tenu dans le secret. Comme vous le savez, c'est ce genre de restrictions qui mènent au non-respect des droits de la personne.
C'est un autre argument en faveur de vos recommandations, soit de permettre à la Croix-Rouge d'entrer en contact avec les détenus et d'affecter un rapporteur spécial de l'ONU à la situation de l'Érythrée.
Merci.
Évidemment, même si par un quelconque miracle le Conseil des droits de l'homme devait désigner un rapporteur spécial cette année, compte tenu de l'état actuel des choses, je doute fort que le gouvernement érythréen permettrait à cette personne d'entrer au pays. Ce ne serait pas la première fois qu'un pays refuserait l'accès à un rapporteur spécial désigné, mais ce serait à tout le moins une première étape à franchir dans le processus de défense des droits de la personne des Nations Unies, démontrant ainsi un intérêt accru à ce qui se passe en Érythrée.
Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Neve, pour votre exposé.
Nous savons que les Nations Unies ont imposé des sanctions à l'Érythrée. Pourriez-vous nous dire quelles répercussions les sanctions de l'ONU ont-elles eues sur le conflit armé en Érythrée?
Un embargo sur les armes a été décrété, mais l'Érythrée demeure de toute évidence un pays hautement militarisé et ses forces armées sont bien équipées. Je n'ai pas d'étude à vous citer pour démontrer d'où proviennent ces armes.
Malheureusement, nous savons que dans notre monde moderne, des pays transgressent régulièrement les embargos sur les armes décrétés par l'ONU. En fait, juste avant de venir ici, j'étais dans les studios de la CBC de l'autre côté de la rue pour parler du rapport qu'Amnistie Internationale a fait paraître aujourd'hui, qui montre comment la Chine, la Russie et le Bélarus ont éhontément enfreint les embargos sur les armes décrétés par l'ONU au Darfour, qui n'est pas très loin.
Je ne dis pas que la Russie, la Chine et le Bélarus sont responsables du transfert d'armes en Érythrée. Ce sont toutefois des pays qui font souvent fi des embargos sur les armes décrétés par l'ONU. C'est évidemment une tendance inquiétante, et cela démontre une fois de plus que les efforts déployés par la communauté internationale pour mettre fin à la crise en Érythrée n'ont pas les résultats escomptés.
Je trouvais que la situation des droits de la personne était inquiétante dans ce pays, mais j'en suis encore plus convaincu après avoir entendu votre témoignage. Merci pour cette très intéressante présentation.
La question qui me triture depuis longtemps, c'est pourquoi les efforts déployés par notre gouvernement, et les autres d'ailleurs, ne sont-ils pas à la hauteur des violations commises à l'échelle internationale? On pourrait s'attendre à ce que plus les abus sont graves, plus le gouvernement canadien intervient activement pour exercer de la pression.
Dans le cas qui nous occupe, j'aimerais savoir pourquoi, selon vous, nous n'avons pas déployé autant d'efforts que nous l'aurions dû.
Oh, si seulement j'avais la réponse à cette question. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous vivons dans un monde rongé par l'inégalité, l'hypocrisie et des lacunes manifestes lorsqu'il est question des mesures que prennent les États, individuellement ou multilatéralement, pour mettre fin à de terribles violations des droits de la personne comme celles qui se passent en Érythrée.
Je crois qu'il y a des explications évidentes à cela. Manifestement, lorsqu'il s'agit d'une partie du globe qui offre peu d'intérêt sur le plan géopolitique et commercial ou sur le plan de la sécurité, il est probable que la situation des droits de la personne attirera peu l'attention. Aussi, lorsqu'il est question d'une région avec laquelle on entretient des relations difficiles, instables et litigieuses sur le plan géopolitique et politique et au niveau de la sécurité, cela signifie bien souvent que les considérations politiques auront préséance sur le respect des droits de la personne. Dans une certaine mesure, l'Érythrée correspond à ces deux profils. La Corne de l'Afrique, la situation de la Somalie, les craintes de terrorisme, Al-Shabaab, les très importants couloirs maritimes de la mer Rouge — ce sont là quelques-uns des facteurs qui font qu'il s'agit d'une importante partie du globe. Par contre, l'Érythrée est un pays jeune. Peu importe la raison, l'Érythrée n'a jamais été vue comme un joueur important dans ce grand tableau. Je pense que cela explique en partie pourquoi les choses sont comme elles le sont. Parfois, c'est simplement parce qu'au moment d'établir les priorités, certains pays ne faisaient pas partie de la liste. L'Érythrée a manqué de chance à ce niveau.
En 1990-1991, on a voulu renverser le gouvernement brutal de Mengistu en Éthiopie. La communauté internationale s'est rangée derrière le peuple érythréen et a souhaité son autonomie et son indépendance; elle était aussi en faveur de la venue d'un nouveau gouvernement à la tête de l'Éthiopie. Les deux se sont réalisés.
C'est courant dans le monde des relations internationales. Les États ont du mal à changer leur fusil d'épaule quand ils se rendent compte que le joueur sur lequel ils ont misé est moins que parfait. L'Érythrée et l'Éthiopie sont des ennemis jurés, mais dans ni l'un ni l'autre des cas la communauté internationale ne fait suffisamment pression pour mettre fin aux violations des droits de la personne. Il y a lieu de se demander si c'est parce qu'on voit encore ces pays comme des endroits où on respecte les droits de la personne, et que la majorité des gens ne reconnaissent toujours pas que la réalité est devenue tout autre.
Merci.
La présumée collusion entre les sociétés minières et ce gouvernement particulièrement répressif me préoccupe grandement, et c'est aussi une préoccupation pour tous les Canadiens. Une autre société mène des activités en Érythrée, NGEx, qui extrait de la potasse là-bas, je crois. Je ne sais pas si vous avez eu vent de présumées violations des droits de la personne de la part de cette société.
Je ne suis pas au courant des activités de cette société. Comme je l'ai dit à propos de Nevsun, peu importe ce que nous savons ou pas, ou ce que nous avons été en mesure de confirmer ou non, le seul fait qu'une entreprise décide de s'établir dans un pays si répressif, où les violations des droits de la personne sont monnaie courante, nous indique qu'elle est fort probablement mêlée d'une façon ou d'une autre à la piètre situation des droits de la personne dans ce pays. J'ose le dire, même s'il est vrai que les faits reprochés à Nevsun n'ont pas encore été confirmés. Il est donc important de s'assurer que ces entreprises ont, à tout le moins, mis en place des politiques claires et sérieuses, et qu'elles y ont consacré suffisamment d'attention et de ressources, en vue d'améliorer la situation des droits de la personne dans les pays où elles se sont établies. Je ne pense pas que les entreprises en opération en Érythrée se donnent toute cette peine.
J'ai bien peur que le temps alloué à cette question ne soit écoulé. C'est en fait là-dessus que se termine notre série de questions.
J'ai juste une dernière chose à vous demander. Vous nous avez dit qu'il y a presque 20 ans il y avait déjà des Érythréens au Canada. Y a-t-il une communauté importante d'expatriés érythréens au Canada? Sont-ils nombreux?
Ils sont assez nombreux. Je ne pourrais pas vous donner de chiffres, mais c'est certainement une communauté importante. C'est une communauté organisée, qui a des associations et des centres communautaires. Je sais qu'elle se concentre surtout à Toronto, mais j'imagine qu'elle est aussi présente dans d'autres régions du pays.
Est-ce qu'Amnistie a été en mesure de faire quelque chose pour les proches de ces familles; je veux parler des personnes qui sont opprimées ou emprisonnées en Érythrée qui ont de la famille au Canada. Est-ce que ce serait pire d'attirer l'attention sur quelqu'un là-bas, comme c'était le cas en Éthiopie au temps du régime Mengistu? Comment pourraient se présenter les choses?
Pardon, voulez-vous savoir si nous pouvons travailler avec les Érythréens établis au Canada qui ont des proches emprisonnés là-bas?
Oui, ceux qui ont un frère ou un parent, peu importe, emprisonné en Érythrée. Êtes-vous en mesure de travailler avec eux?
Amnistie Internationale a effectivement été contactée par des gens au Canada qui étaient dans cette situation. Tout ce que nous pouvons faire pour les aider, c'est de leur assurer que nous militons pour la résolution de ces problèmes. Comme je le disais, il y a plus de 3 000 prisonniers d'opinion là-bas, pour des questions de religion, et c'est sans compter tous les autres. Nous ne pouvons pas régler tous les cas un à un. Nous devons souvent regrouper certains enjeux ou certains thèmes pour nos campagnes. Nous avons suivi certains cas qui sont devenus emblématiques de tous ces prisonniers.
Mais évidemment, quand des gens au Canada peuvent nous fournir de l'information sur ce qui arrive à leurs proches là-bas, par exemple, c'est une source d'information extrêmement importante.
En fait, il y a une dernière chose que je n'ai pas bien comprise. Tout le monde a entendu parler des guerres de religion. Dans un pays, ce sont les musulmans qui s'en prennent aux chrétiens, ou encore les hindous qui s'en prennent aux musulmans, et ainsi de suite.
Ici, c'est un peu inhabituel. Si on devait rassembler des personnes de convictions religieuses différentes, j'ai du mal à voir comment des orthodoxes, des musulmans, des luthériens, et la quatrième religion...
... et les catholiques sont protégés, alors que tous les autres sont victimes d'une oppression virulente. C'est une situation inhabituelle.
Êtes-vous en mesure de nous expliquer pourquoi les choses sont comme elles le sont? Le savez-vous?
Tout ce qui me vient en tête c'est « bonne question ».
J'imagine que si vous poursuivez cette étude vous pourrez poser la question à des sociologues ou à des politologues, qui seraient en mesure de vous donner plus de détails à ce sujet. C'est un phénomène très intéressant et il vaut la peine de se demander pourquoi ces quatre religions en particulier sont privilégiées — ce qui ne veut pas dire pour autant que leurs fidèles ont la vie facile...
... mais ils ne sont pas vilipendés de façon horrible comme les autres pour leurs convictions religieuses. C'est l'aspect intrigant de l'histoire.
Je pense que cela s'explique entre autres par le fait que la brutalité et la répression sont au centre de tellement de décisions et de politiques en Érythrée. La logique ne prime pas nécessairement toujours.
C'est peut-être simplement parce que ces religions bénéficient d'une structure externe suffisamment solide pour acheter la paix pour leurs fidèles dans ce régime brutal.
Je pense que si nous en discutons à la prochaine séance à huis clos, parce que nous devons aborder certains points...
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