:
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens d'abord à vous remercier de m'avoir invitée à m'adresser à vous cet après-midi. Je me réjouis en outre de l'intérêt que vous portez à la situation des droits de la personne en Érythrée.
Je vais d'abord vous donner un aperçu du contexte.
[Traduction]
En 1993, après une guerre sanglante de 30 ans, ce pays s'est séparé de l'Éthiopie pour accéder officiellement à l'indépendance. Malgré sa volonté de devenir un pays démocratique, respectueux des droits humains et des libertés fondamentales, l'Érythrée est devenue l'un des pays les plus fermés et répressifs de la planète. Il s'agit d'un État policier autoritaire que la revue Foreign Policy a qualifié de « Corée du Nord de l'Afrique ».
Le président Isaias Afewerki, qui a gouverné ce pays pendant la plus grande partie de sa lutte remarquable pour l'indépendance, tire désormais parti d'un différend frontalier persistant avec l'Éthiopie pour garder en permanence son pays sur un pied de guerre. Par ailleurs, un différend frontalier persiste également avec Djibouti, et l'Érythrée apporte son soutien à des groupes d'insurgés en Éthiopie et en Somalie, dans une tentative pour déstabiliser la Corne de l'Afrique. En 2010. l'Érythrée comptait 5,5 millions d'habitants et était le neuvième pays dont sont issus le plus grand nombre de réfugiés dans le monde.
J'aborderai maintenant les relations entre le Canada et l'Érythrée. Nos deux pays entretiennent des relations plutôt tièdes, voire difficiles. L'Érythrée s'isole de plus en plus et, même s'ils maintiennent tous les deux des relations diplomatiques, ni l'un ni l'autre n'a d'ambassade dans l'autre pays. L'Érythrée est représentée au Canada par son ambassade à Washington et elle a un consulat général à Toronto. Pour sa part, le Canada a un consul honoraire à Asmara et son ambassadeur à Khartoum est accrédité en Érythrée. Pour illustrer le caractère difficile de nos relations bilatérales, il convient de mentionner que notre ancien ambassadeur en Érythrée n'a jamais été invité à présenter ses lettres de créance.
[Français]
À cela s'ajoutent d'autres difficultés dans le domaine de l'aide humanitaire et du développement. En 1998, l'Érythrée a en effet détourné près de 10 000 tonnes métriques d'aide alimentaire canadienne pour nourrir son armée. En 2001, face à cette situation, le Canada a décidé de renoncer à son aide au développement bilatérale au profit de ce pays. Par ailleurs, en 2005, à la suite d'autres actes d'ingérence du gouvernement érythréen, le Programme alimentaire mondial a cessé d'acheminer l'aide alimentaire financée par le Canada et a quitté le pays. Le gouvernement érythréen demeure hostile à tout ce qu'il perçoit comme une ingérence étrangère et il continue de priver ses citoyens d'une aide alimentaire dont ceux-ci ont désespérément besoin.
En raison de l'isolement de l'Érythrée, des restrictions qui y sont imposées aux visiteurs étrangers et de son hostilité face à toute ingérence étrangère apparente, les visites de représentants canadiens s'y font rares, et la plupart des demandes de visa sont rejetées. Il est donc difficile de se faire une idée claire de la situation dans ce pays. Nous devons, pour cela, nous en remettre largement à des sources telles que des institutions des Nations Unies et des organisations non gouvernementales qui oeuvrent en faveur des droits de la personne.
[Traduction]
Tous s'accordent — par tous, j'entends notamment les organisations non gouvernementales et onusiennes —, pour dire que la situation des droits humains en Érythrée est extrêmement difficile. L'armée a la mainmise sur presque chaque aspect de la vie civile, ce qui est à l'origine de certaines des violations des droits humains les plus fréquentes et flagrantes, y compris le maintien de la conscription pour une durée indéterminée, la torture, des châtiments inhumains et dégradants ainsi que des détentions et des arrestations arbitraires.
Il semble que l'on ait renoncé, immédiatement après sa ratification, à appliquer la Constitution de 1997, qui renferme différentes dispositions relatives au respect des libertés démocratiques et des droits de la personne. C'est ainsi que la primauté du droit n'est qu'une vue de l'esprit, du fait que la plupart des dispositions de la Constitution restent encore à appliquer.
Selon le Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail des États-Unis, le pouvoir judiciaire est confronté à une pénurie de personnel qualifié et ne dispose pas de ressources financières adéquates, sans compter que son infrastructure est en mauvais état, de sorte qu'il est très difficile pour le gouvernement de garantir aux accusés un procès rapide et équitable. Les affaires de nature politique sont entendues par un tribunal spécial formé de juges qui n'ont aucune expérience ni formation juridiques. Par ailleurs, les tribunaux militaires ont compétence pour juger les affaires impliquant les membres des forces armées.
L'Érythrée est le pays d'Afrique subsaharienne qui dispose de la plus grande armée, forte de plus de 300 000 hommes en service, de telle sorte que les tribunaux militaires exercent un pouvoir important et une influence qui échappent à tout contrôle. Tous les citoyens, les femmes comme les hommes, doivent obligatoirement faire leur service militaire. Même si, officiellement, la durée de ce service est de 18 mois, il se prolonge souvent pendant des années, de sorte que de nombreux citoyens se voient privés de leurs libertés individuelles. Les élèves ne sont pas exemptés de cette conscription et doivent participer à un « camp national » pendant leur dernière année d'études secondaires.
Ceux qui ne font pas leur service militaire s'exposent à de graves sanctions. Amnistie internationale et Human Rights Watch ont tous les deux fait état d'une politique qui consiste à abattre les déserteurs qui tentent de fuir le pays. Malgré cela, un nombre grandissant d'Érythréens continuent de courir ce risque. Toutefois, les familles de ceux qui réussissent à s'enfuir sont victimes de mauvais traitements, doivent subir des interrogatoires et sont menacées d'êtres punies.
[Français]
Les détentions et les arrestations arbitraires sont généralisées. Des milliers de prisonniers demeurent sous les verrous sans être accusés formellement pendant que d'autres disparaissent.
Selon Amnistie internationale, des centaines d'anciens hauts responsables, de journalistes indépendants et de fonctionnaires arrêtés en septembre 2001 seraient toujours détenus. Parmi eux se trouvent d'anciens ministres et combattants de la guerre de libération dont le seul crime a été d'appeler à une réforme démocratique et à un plus grand respect des droits humains.
Le gouvernement refuse constamment de divulguer aux familles l'endroit où se trouvent les prisonniers. Celui-ci prétend que les prisonniers ont accès, conformément aux garanties juridiques prévues, à une nourriture et à des vêtements adéquats, à des installations d'hygiène ainsi qu'à des soins médicaux suffisants et qu'ils ne subissent pas de sévices. Human Rights Watch soutient, au contraire, que la torture est couramment pratiquée en Érythrée. D'anciens détenus disent avoir été battus, ligotés et torturés. D'autres auraient été laissés en plein soleil ou emprisonnés dans des cellules souterraines pendant de longues périodes de temps.
Par ailleurs, en raison des mauvais traitements et du refus de leur accorder des soins médicaux, il n'est pas rare que des prisonniers meurent en détention.
[Traduction]
Contrairement aux prescriptions juridiques et constitutionnelles, le gouvernement n'autorise ni la liberté d'assemblée ni la liberté d'association. De plus, il continue de faire preuve d'hostilité à l'égard de la société civile. C'est ainsi que les ONG érythréennes doivent s'inscrire auprès de l'État érythréen et qu'elles ne disposent que d'une indépendance limitée. De même, les ONG internationales vouées à la défense des droits humains sont interdites d'entrée.
D'importantes restrictions sont imposées aux déplacements des Érythréens à l'intérieur et à l'extérieur du pays. L'armée érige fréquemment des barrages routiers. Il est extrêmement rare qu'un Érythréen en âge de faire son service militaire obtienne un permis de voyage. Ceux qui se déplacent sans tous les documents requis sont passibles d'emprisonnement, tout comme les réfugiés et les demandeurs d'asile érythréens rapatriés d'autres pays.
En 2011, pour la cinquième année consécutive, l'organisme Reporters sans frontières classait l'Érythrée au dernier rang de l'indice de la liberté de presse. Il s'agit en effet du seul pays d'Afrique sans un seul organe de presse indépendant. Tous les organes indépendants ont été forcés de fermer leurs portes depuis septembre 2001, de sorte qu'il ne reste que ceux sous le contrôle de l'État. On compte un plus grand nombre de journalistes emprisonnés en Érythrée que dans tout autre pays d'Afrique. Il est rare que des journalistes étrangers soient autorisés à entrer au pays et, lorsqu'ils le sont, ils font l'objet de censure et du contrôle.
[Français]
L'Institute on Religion and Public Policy a déclaré que la situation de la liberté religieuse dans ce pays était l'une des pires de la planète.
Toutes les institutions religieuses doivent s'inscrire auprès du gouvernement et l'État érythréen s'ingère dans leur administration interne et leurs programmes sociaux. Les Témoins de Jéhovah font l'objet d'une intimidation et d'une surveillance particulières de la part des autorités gouvernementales étant donné que cette religion interdit à ses adeptes de faire leur service militaire.
L'Érythrée prétend qu'elle a toujours accordé une importance fondamentale à la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes. Selon l'organisme Freedom House, le gouvernement érythréen s'est engagé à améliorer la situation des femmes. Toutefois, même si les lois prescrivent l'égalité d'accès à l'éducation, une rémunération égale pour un travail égal et des sanctions pour la violence conjugale, les hommes continuent de jouir d'un accès privilégié à l'éducation, à l'emploi et au contrôle des ressources économiques. La situation des femmes en milieu rural est la plus préoccupante du fait de la persistance de pratiques traditionnelles telles que le mariage en bas âge, le versement d'une dote et la polygamie.
[Traduction]
L'examen périodique universel de l'Érythrée au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a eu lieu le 30 novembre 2009. Dans son intervention, le Canada a exprimé ses vives préoccupations sur la gravité de la situation des droits de la personne dans ce pays, y compris: les restrictions à la liberté d'assemblée, de croyance, d'expression et de religion; la criminalisation de l'activité sexuelle entre adultes consentants de même sexe; les détentions arbitraires; la torture et la mort de personnes en détention. Le Canada a formulé plusieurs recommandations à l'intention de l'Érythrée, qui portent sur les domaines les plus préoccupants.
Avant de terminer, j'aimerais évoquer brièvement les sanctions imposées à l'Érythrée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, même si ces mesures ne visent pas directement les violations des droits humains. Le Conseil de sécurité a imposé des sanctions à l'encontre de l'Érythrée en 2009, en riposte à la violation par ce pays de l'embargo sur les livraisons d'armes à la Somalie et à son non-respect d'une résolution antérieure, en vertu de laquelle le conseil lui demandait de retirer ses forces de Djibouti et de régler le différend frontalier.
Le Canada a appuyé ces sanctions en raison de préoccupations liées à la stabilité dans la Corne de l'Afrique. Il a en outre rédigé un règlement en vue de mettre en oeuvre les mesures énoncées dans la résolution 1907 du Conseil de sécurité. Les sanctions visent précisément de hauts responsables et des officiers militaires érythréens, et interdissent le commerce des armes avec ce pays.
Dans la même optique, le Canada a appuyé la résolution la plus récente du Conseil de sécurité sur l'Érythrée, adoptée en décembre 2011. Les Nations Unies y imposent des sanctions additionnelles en raison du soutien continu de l'Érythrée à des groupes d'opposition armés, et parce que celle-ci n'a pas réglé son différend frontalier avec Djibouti et l'Éthiopie. Le Canada est particulièrement préoccupé par l'information contenue dans le rapport du Groupe de contrôle sur la Somalie et l'Érythrée, qui fait état du soutien que continue d'apporter ce pays à des groupes armés, y compris le mouvement armé Al Shabaab en Somalie, que le Canada a inscrit sur sa liste des organisations terroristes en 2010.
[Français]
En conclusion, le Canada demeure préoccupé par les lacunes démocratiques de l'Érythrée et son piètre bilan en matière de droits de la personne. Au moyen des tribunes offertes par les Nations Unies, nous collaborons avec d'autres pays afin d'amener le gouvernement érythréen à promouvoir et à protéger les droits de la personne et à coopérer de manière constructive avec des acteurs internationaux dans les domaines de la bonne gouvernance, des droits humains et de la démocratie.
Merci beaucoup. Je serai maintenant heureuse de répondre à vos questions.
[Traduction]
Je serai maintenant heureuse de répondre à vos questions.