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Monsieur le Président, j'interviens pour répondre à la question de privilège qui a été soulevée peu de temps avant la récente semaine de relâche. Le député a fait allusion à des allégations d'un fonctionnaire du ministère de la Justice qui font actuellement l'objet d'un litige devant la Cour fédérale. Il a affirmé que si ces allégations sont vraies, cela signifie que la Chambre a été induite en erreur. Je rejette fermement cette insinuation.
Le leader du gouvernement à la Chambre a répondu immédiatement à cette question de privilège et a soulevé dès le départ trois objections de procédure contre cette dernière. Premièrement, elle n'a pas été soulevée à la toute première occasion. Deuxièmement, elle porte sur une question de droit. Troisièmement, il faut prendre en compte la convention relative aux affaires en instance.
Comme mon collègue l'a signalé, le demandeur a déposé une plainte à la Cour fédérale le 14 décembre 2012. La Cour fédérale a instruit une requête relative à cette procédure judiciaire le 15 janvier 2013, ce qui a donné lieu à une série d'articles de journaux et à d'autres commentaires sur cette affaire au cours des jours suivants. Toutefois, aucune question de privilège n'a été invoquée lorsque la Chambre a repris ses travaux le 28 janvier 2013.
Lorsque j'ai comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, le 6 février, pour parler du projet de loi , la députée de m'a posé des questions au sujet de l'article 4.1. Le député de n'avait pas encore soulevé la question de privilège, même si sa collègue, la porte-parole néo-démocrate en matière de justice, se disait prête à discuter en long et en large de la question.
Qui plus est, je crois comprendre qu'il a été question de l'article 4.1 et des rapports dont il exige la production à au moins cinq reprises à la Chambre depuis le début de 2013. Nul besoin de préciser, dans ce cas-là, que le député aurait pu soulever la question de privilège bien avant le 6 mars 2013.
Le leader du gouvernement à la Chambre a ensuite expliqué qu'il s'agissait en fait d'une question de droit.
Or, selon le commentaire 168(5) de la sixième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, le « Président ne décide d'aucune question d'ordre constitutionnel ou juridique, bien qu'il soit permis de soulever une question de ce genre par rappel au Règlement ou sous forme de question de privilège ». Il s'agit d'un élément établi depuis longtemps.
Le même principe se trouve énoncé à la page 180 de l'ouvrage Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, publié en 1916 par sir Jean Bourinot. Il a d'ailleurs été invoqué dans de nombreuses décisions de la présidence.
On a déjà demandé au Président Milliken de déterminer si le contenu d'une partie des Comptes publics respectait la Loi sur la gestion des finances publiques. Voici, monsieur le Président, ce que votre prédécesseur a dit à ce sujet, le 12 décembre 2012. La citation se trouve à la page 2600 des Débats:
Bien entendu, il ne revient pas au Président de décider si l'agence agit en conformité avec la loi. Comme je l'ai déjà dit récemment dans diverses décisions, c'est un principe bien établi que le Président ne se prononce pas sur des questions de droit.
Il est évident [qu'il y a] une divergence d'opinion sur l'interprétation des points juridiques découlant des faits de cette affaire. Il s'agit là d'un point de débat et il existe plusieurs possibilités pour en discuter à la Chambre ou en comité. Comme il ne s'agit pas d'une question de procédure, je n'ai pas à en traiter plus longuement.
Le Président Fraser abondait lui aussi dans le même sens. Voici ce qu'il disait dans la décision qu'il a rendue le 9 octobre 1990, que l'on trouvera à la page 13620 des Débats:
[...] il n'appartient pas au Président de la Chambre de juger de questions constitutionnelles. Son rôle n'est pas d'interpréter les diverses opinions juridiques qui peuvent avoir cours dans le pays.
Dans une décision rendue le 25 octobre 1963, Lucien Lamoureux, alors vice-président, a refusé de répondre à la question de savoir si un projet de loi relevait de la compétence constitutionnelle du Parlement, comme on peut le lire à la page 488 des Journaux. Parmi les précédents qu'il a invoqués, il a même cité une décision de 1864 du président Wallbridge de l'Assemblée législative de la province du Canada.
Beaucoup plus récemment, toutefois, c'est-à-dire le 24 octobre 2011, vous avez vous-même rendu, monsieur le Président, une décision concernant le projet de loi , Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Dans cette décision, que l'on peut lire à compter de la page 2404 des Débats, vous avez résumé la position dans laquelle vous vous trouviez à l'époque, laquelle, je dirais, correspond à celle où vous vous trouvez présentement:
[...] il importe de faire une distinction claire entre interpréter les dispositions d'une loi — ce qui ne relève pas de la compétence de la présidence — et veiller à ce que la Chambre emploie des procédures et des pratiques saines dans l'examen des mesures législatives —, ce qui, bien entendu, est le rôle de la présidence.
Le leader du gouvernement à la Chambre fait finalement valoir que les allégations auxquelles renvoie le député de sont devant les tribunaux. D'ici à ce que l'affaire soit réglée, la Chambre devrait s'abstenir, comme elle le fait habituellement, et éviter de préjuger ou d'influencer le résultat du recours en justice auquel je participe en tant que procureur général du Canada. Néanmoins, je me sens dans l'obligation de répondre aux arguments présentés.
Dans le cas présent, pour conclure qu'il y a, à première vue, matière à question de privilège, il faudrait prouver que la Chambre et les députés ont été entravés dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires. Malgré ses allégations, le député a admis dans son exposé n'avoir « aucune preuve que l'actuel ministre de la Justice ou l'un de ses prédécesseurs a délibérément fourni des renseignements inexacts à la Chambre, même implicitement ».
Voici ce qu'on peut lire sur les questions de privilège à la page 141 de la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes:
Le rôle du Président se limite à décider si la question qu'a soulevée le député est de nature à autoriser celui-ci à proposer une motion qui aura priorité sur toute autre affaire à l'ordre du jour de la Chambre.
Le député de veut donc que le Président se fie à des allégations non prouvées présentées par un demandeur dans le cadre d'une procédure judiciaire. À mon humble avis, si cela doit devenir le critère selon lequel on met de côté les travaux de la Chambre, qu'ils soient d'initiative ministérielle ou parlementaire, il serait très facile de paralyser les travaux du Parlement en invoquant les allégations non prouvées de n'importe quel demandeur. C'est pourquoi je vous invite, monsieur le Président, à décréter qu'il n'y a pas matière à question de privilège.
C'est toutefois à moi qu'il revient d'expliquer pourquoi le député de n'a pas réussi à démontrer le bien-fondé de ses arguments. Même si j'exerce mes responsabilités législatives avec l'aide de fonctionnaires, c'est à moi qu'il revient, à titre de ministre de la Justice, de vérifier que les mesures législatives du gouvernement respectent la Loi sur le ministère de la Justice et la Déclaration canadienne des droits. C'est un devoir que je prends bien entendu très au sérieux. Comme je vais l'expliquer, le gouvernement n'a jamais présenté de mesure législative que je considère non conforme à la Charte canadienne des droits et libertés ou à la Déclaration canadienne des droits.
En ce qui concerne la façon dont j'exerce cette responsabilité, mon obligation d'origine législative va à la Chambre des communes. Nos travaux en font foi jour après jour. À titre de ministre de la Justice, je réponds régulièrement à des questions à la Chambre et je témoigne devant des comités parlementaires qui examinent des mesures législatives gouvernementales. Les députés peuvent me poser des questions sur la constitutionnalité des projets de loi du gouvernement, et ils le font. Par exemple, le député de , un ancien procureur général, m'a fait parvenir à au moins trois occasions distinctes une série de questions détaillées. Toutefois, mes fonctionnaires et moi sommes des conseillers juridiques de la Couronne, et non de la Chambre des communes. En tant que ministre de la Couronne, je me présente à la Chambre et aux comités pour expliquer la position juridique du gouvernement par rapport aux mesures législatives qu'il a présentées, mais je ne suis pas la source exclusive de renseignements juridiques de la Chambre. Les députés s'adressent souvent au légiste ou au conseiller parlementaire, ou encore à des professeurs de droit ou à des avocats venus témoigner aux comités pour obtenir des opinions d'ordre juridique et les aider à évaluer les mesures législatives qui leur sont soumises. Un processus semblable existe à l'autre endroit.
La façon dont j'examine la constitutionnalité des projets de loi d'initiative ministérielle est conforme à celle de mes prédécesseurs et est de notoriété publique. En vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, en tant que ministre de la Justice, je suis le conseiller juridique officiel du gouverneur général et le jurisconsulte du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada. Une de mes responsabilités consiste à examiner les projets de loi d'initiative ministérielle présentés à la Chambre des communes en vue de vérifier si l’une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et de faire rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes. En vertu de la Déclaration canadienne des droits, je suis tenu de procéder à des examens semblables afin de déceler les dispositions incompatibles.
L'idée voulant que le Parlement ait été induit en erreur témoigne d'une incompréhension du fonctionnement réel du système. Les projets de loi d'initiative ministérielle sont examinés tout au long des processus d'élaboration de politiques et de dispositions législatives pour déterminer la possibilité de contestations aux termes de la Charte ou d'autres lois. Le processus d'examen des projets de loi d'initiative ministérielle aux fins de la conformité est dynamique et continu. L'article 4.1 fait partie d'un vaste processus qui compte trois éléments distincts, soit la consultation, l'attestation et la production de rapports.
Le volet concernant la consultation porte sur l'ensemble du processus d'élaboration de politiques et comprend la présentation de projets de loi. Habituellement, au début du processus, un ministère propose une politique. Par la suite, on peaufine la proposition et on élabore des options qui sont soumises à l'examen des ministres et qui sont assujetties au processus d'élaboration de dispositions législatives.
De hauts fonctionnaires, dont le sous-ministre de la Justice, d'autres sous-ministres et, si nécessaire, d'autres ministres et moi sommes informés des propositions de politiques qui présentent des risques juridiques. Ces risques sont mis en évidence, et ils ne se limitent pas aux situations où le projet de loi est incompatible avec la Charte. Il s'agit d'une analyse plus vaste selon une échelle de risques faibles à élevés au titre de l'incompatibilité avec la Charte.
L'attestation des dispositions législatives est un processus distinct, qui fait suite à la présentation des projets de loi d'initiative ministérielle à la Chambre des communes. Au cours de cette étape officielle, le premier conseiller législatif du ministère confirme — c'est-à-dire qu'il atteste — que le projet de loi a fait l'objet d'un examen obligatoire pour déceler toute incompatibilité éventuelle. Le processus d'attestation s'applique à tous les projets de loi d'initiative ministérielle.
Il ne faut pas confondre le fait d'attester qu'une loi est conforme à la Charte avec l'obligation de faire rapport qui est prévue à l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice et à l'article 3 de la Déclaration canadienne des droits. L'attestation est une tâche qui doit être accomplie par les fonctionnaires et qui s'applique à tous les projets de loi d'initiative ministérielle. Par comparaison, l'obligation de faire rapport incombe au ministre de la Justice, et à lui seul, et cette obligation ne s'applique que si je juge, en tant que ministre, que le projet de loi d'initiative ministérielle en question était incompatible avec la Charte ou la Déclaration canadienne des droits au moment où il a été présenté. L'article 4.1 et l'article 3 sont très clairs à cet égard. En effet, ils prévoient que le ministre doit vérifier si certaines dispositions sont incompatibles. Cela correspond à l'approche adoptée de longue date par mes prédécesseurs et par moi-même: ainsi, le ministre procède à une telle vérification uniquement si aucun argument crédible n'appuie la mesure proposée.
Un argument crédible est un argument raisonnable et légitime qui peut être soulevé devant les tribunaux et accepté par ceux-ci. Malgré les allégations citées par le député de , le critère d'argument crédible est de nature qualitative: il ne s'agit pas d'un critère quantitatif prédéterminé. L'article 4.1 emploie des termes bien précis. Il n'exige pas qu'une divulgation soit faite chaque fois qu'il y a un risque, mais plutôt que je vérifie si certaines dispositions sont incompatibles.
Je dois souligner que l'approche que j'ai décrite n'est pas nouvelle. Elle existe depuis que l'article 4.1 est entré en vigueur.
Plusieurs de mes prédécesseurs ont répondu à des questions au sujet de cette obligation à la Chambre ou lorsqu'ils ont comparu devant nos comités ou les comités de l'autre endroit. Je pense par exemple à l'honorable Pierre Blais, qui est en ce moment le juge en chef de la Cour d'appel fédérale et qui a été questionné au sujet de ses responsabilités au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, en juin 1993. Le député de a lui aussi répondu à des questions à ce sujet lorsqu'il a comparu devant ce même comité sénatorial en novembre 2005. Mon prédécesseur immédiat, qui est maintenant , a répondu à des questions connexes lorsqu'il a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lors de l'étude du projet de loi C-2, la Loi fédérale sur la responsabilité, le 29 juin 2006. J'ai moi aussi eu la chance d'expliquer la position juridique du gouvernement en ce qui concerne les projets de loi d'initiative ministérielle, notamment lorsque j'ai répondu à une question à la Chambre le 23 novembre 2007 à propos du projet de loi C-2, la Loi sur la lutte contre les crimes violents, ou plus récemment, lorsque j'ai comparu devant le comité dans le cadre de l'étude du projet de loi , que j'ai décrit plus tôt.
Je pourrais citer des extraits de ces échanges, mais il me semble évident qu'il n'y a là rien de nouveau et que le Parlement a la capacité d'examiner la constitutionnalité des projets de loi et qu'il se livre à cet exercice depuis longtemps.
Évidemment, nous devons nous souvenir que le droit constitutionnel évolue constamment. Nous ne pouvons être certains que d'une seule chose, et c'est que quelqu'un intentera inévitablement un recours contre le gouvernement sur une question constitutionnelle.
Cette explication devrait calmer les appréhensions du député de et de tous les autres députés.
Par ailleurs, dans notre système constitutionnel, tous les pouvoirs de l'État, c'est-à-dire le Parlement, l'exécutif et les tribunaux, ont la responsabilité de veiller à ce que les droits garantis par la Charte soient respectés. L'examen des projets de loi prévus à l'article 4.1 fait partie du système qui nous garantit que chaque pouvoir joue le rôle qui lui revient. L'exécutif examine chaque projet de loi en tenant compte des risques de violation de la Charte. Il s'acquitte de cette tâche en offrant ses conseils et en attestant, pour tout projet de loi ministériel présenté à la Chambre des communes, qu'il en a vérifié la compatibilité avec la Charte. Il revient alors aux Chambres du Parlement de débattre du projet de loi, y compris de ses incidences sur le plan constitutionnel, et de déterminer s'il y a lieu de l'adopter ou non.
L'approche qui sous-tend les obligations définies à l'article 4.1 ou à l'article 3, selon le cas, et l'examen qui a lieu font partie des rôles de tous les acteurs au sein des institutions, y compris le Parlement. Tous doivent examiner, débattre, soupeser et trouver les compromis nécessaires relativement à la Charte et aux objectifs inscrits dans les politiques publiques. Les parlementaires ont leurs responsabilités bien à eux concernant le respect de la Charte.
En somme, j'ai beaucoup de respect pour le travail des parlementaires et pour le rôle de la Chambre lorsque vient le temps de débattre des projets de loi ministériels. J'ai expliqué mon approche pour m'acquitter de mes responsabilités conformément à la Loi sur le ministère de la Justice. Je tiens compte d'une variété d'avis et de perspectives juridiques, qui peuvent ne pas toujours être concordants, puis je prends ma décision.
Il n'y a aucun mystère. Comme tous mes prédécesseurs, j'applique une approche robuste et sérieuse conformément à l'article 4.1. Même après que j'ai pris la décision qu'un projet de loi ne contient aucune disposition incompatible avec la Charte, les parlementaires peuvent débattre de ce projet de loi, y compris en ce qui a trait à sa conformité avec la Charte. Une fois que le projet de loi est adopté, il peut être contesté devant les tribunaux. Cette façon de procéder a bien servi les gouvernements et les parlementaires au fil du temps.
Pour terminer, monsieur le Président, permettez-moi de vous dire que vous disposez de plusieurs motifs procéduraux pour rejeter le recours du député sur cette question de privilège. Vous pouvez aussi vous servir de l'information que je viens de vous donner, en tant que député. Selon moi, les prétentions du député peuvent être d'ores et déjà considérées comme nettement infondées.
Enfin, je sais que le député de voudra peut-être intervenir de nouveau sur cette question de privilège. Je me réserve donc le droit, pour moi ou l'un de mes collègues, de répondre en temps et lieu si des questions n'ayant pas encore été débattues sont soulevées.
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Monsieur le Président, je suis heureux d'intervenir au sujet des questions traitées par le ministre et, plus globalement, de la question de privilège soulevée par le député de le mercredi 6 mars.
En préparant mon intervention, j'ai lu le discours du député, les réponses que le gouvernement a fournies jusqu'à présent, ainsi que les commentaires de la chef du Parti vert. Je remercie la présidence d'avoir attendu ma présentation sur cette question.
Nous débattons de la façon dont le vérifie si les projets de loi respectent la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits. Lors de son intervention, le député de a lu l'article 3 de la Déclaration canadienne des droits, selon lequel il faut vérifier si les mesures législatives sont compatibles avec les dispositions de la déclaration des droits.
Pour compléter le dossier, je vais lire le paragraphe 4.1(1) de la Loi sur le ministère de la Justice, qui dit que le ministre:
[...] examine [...] les projets ou propositions de loi soumis ou présentés à la Chambre des communes par un ministre fédéral, en vue de vérifier si l'une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, et fait rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes dans les meilleurs délais possibles.
La Loi sur les textes réglementaires contient une disposition connexe, l'alinéa 3(2)c), aux termes de laquelle il faut examiner tout projet de règlement, afin de vérifier que:
[...] il n'empiète pas indûment sur les droits et libertés existants et, en tout état de cause, n'est pas incompatible avec les fins et les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits [...]
Comme l'ont mentionné le député de et la députée de , on se demande si le ministre a respecté l'objectif et l'esprit de ces dispositions, compte tenu du fait que des tribunaux ont jugé inconstitutionnelles certaines dispositions législatives du gouvernement.
Les affaires ne manquent pas. Par exemple, dans les affaires R. c. Sheck et R. c. Smickle, jugées en Colombie-Britannique et en Ontario respectivement, le tribunal a invalidé la peine minimale obligatoire. Dans l'affaire R. c. Appulonappa, une affaire de passage de clandestins jugée en Colombie-Britannique, le tribunal a jugé que l'article contesté de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés viole les protections conférées par la Charte.
Récemment, dans l'affaire R. c. St-Onge Lamoureux, une affaire jugée par la Cour suprême, le tribunal a jugé que certaines dispositions du Code criminel concernant la conduite en état d'ébriété violent la présomption d'innocence garantie par la Charte, un précepte fondamental de la justice pénale.
Il existe d'autres affaires — en fait, une série d'affaires — où la constitutionnalité des lois présentées par le gouvernement a été contestée. Or, les tribunaux n'ont pas encore rendu de décision au sujet de ces lois et il faudra attendre un certain temps, après leur adoption et leur entrée en vigueur, pour savoir si elles sont légales.
L'argument avancé par mon collègue, lorsqu'il a soulevé la question, c'est que si toutes ces dispositions sont incompatibles avec la Constitution, il doit y avoir une faiblesse dans le processus d'examen, et c'est sur ce point-là que le a tâché de répondre.
En effet, aux termes des dispositions mentionnées précédemment de l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, non seulement les projets de loi présentés par le gouvernement doivent être examinés, mais en outre un rapport doit être déposé à la Chambre en cas d'incompatibilité. Or, nous avons été saisis d'un projet de loi contraire à la Constitution sans qu'un tel rapport ne soit déposé.
Je suis préoccupé comme mon collègue par la grave question que cette situation soulève pour tous les parlementaires.
Comme les députés le savent, et le y a d'ailleurs fait allusion, j'ai moi-même eu l'honneur d'être ministre de la Justice et procureur général du Canada. Je connais donc bien les fonctions du ministre et les obligations rattachées à ce poste aux termes de la loi.
Quand on examine la question, on peut fort bien se demander s'il existait une politique différente quand j'étais ministre et pourquoi aucun rapport de ce genre n'a été déposé à l'époque. Ma réponse à ces questions tout à fait légitimes est simple, et je crois qu'elle pourrait jeter un peu de lumière sur le processus et nous faire comprendre s'il y a atteinte à un privilège ou s'il existe un autre manquement dans le cas qui nous occupe.
Elle pourrait aussi vous aider, monsieur le Président, à vous prononcer sur la question qui vous est soumise. Tout d'abord, si le processus d'examen fonctionne comme prévu, les lacunes sur le plan constitutionnel sont signalées ou abordées à l'étape de l'élaboration de la politique. À ce stade, elles peuvent être corrigées immédiatement. Si l'incompatibilité est corrigée avant que le projet de loi soit présenté à la Chambre, il ne sera pas nécessaire de déposer de rapport. En fait, aucun rapport n'est autrement exigé.
Il convient également de mentionner que, quelle que soit la norme appliquée par le ministère de la Justice dans le cadre de ses examens, rien n'empêche le ministre de s'assurer que ses projets de loi respectent la Constitution en répondant à une norme beaucoup élevée — autrement dit, le ministère fonctionne selon une norme qui varie peut-être au fil du temps, mais le ministre peut choisir de répondre à une autre norme et d'exiger un examen plus approfondi, chose qu'il pourrait et devrait faire dans certaines circonstances.
La question de privilège qui a été soulevée à la Chambre, à juste titre, vise à déterminer si le ministre a cherché à s'assurer, conformément à ses obligations légales, de la validité constitutionnelle de ses projets de loi. Le gouvernement a adopté la position selon laquelle le processus doit bien fonctionner puisqu'aucun rapport n'a été présenté. Pour ma part, j'adhère à la position opposée selon laquelle le nombre de mesures douteuses sur le plan constitutionnel qui ont été présentées à la Chambre et le nombre de dispositions qui ont été invalidées portent à croire que le processus même est vicié.
Notamment, en adoptant à titre de lois du Parlement certaines dispositions précises de la Loi sur le ministère de la Justice, de la Déclaration canadienne des droits et de la Loi sur les textes réglementaires, les parlementaires ont déclaré qu'ils veulent savoir si les projets de loi et les règlements dont ils sont saisis sont constitutionnels. Ce n'est pas une responsabilité du ministre envers la Couronne, mais bien une responsabilité qu'il a envers le Parlement dans son ensemble. C'est l'absence de rapports présentés en vertu de l'article 4.1, malgré la présentation de lois anticonstitutionnelles et de lois faisant l'objet d'une contestation constitutionnelle, qui a amené mon collègue à soulever la question de privilège.
Comme nous l'avons entendu, notamment aujourd'hui, le gouvernement fait valoir qu'il n'y a pas matière à question de privilège, en partie parce que le député ne l'a pas soulevée à la première occasion, en partie parce que l'affaire est actuellement en instance devant les tribunaux, et en partie parce que les décisions du ministre en matière de constitutionnalité ne peuvent être remises en question.
Monsieur le Président, les arguments que je présente aujourd'hui reposent sur l'hypothèse caractéristique selon laquelle les gestes posés font outrage à la Chambre, et ce, quels que soient les arguments mis de l'avant par le , et que la question a été soulevée dans les délais prévus dans l'ouvrage d'O'Brien et Bosc.
Comme le savent les députés, alors que les privilèges sont expressément définis, l'outrage correspond — et je cite O'Brien et Bosc, à la page 82 — à « [...] d’autres affronts contre la dignité et l’autorité du Parlement [...] » qui sont aussi du ressort de la présidence.
D'ailleurs, j'ai conscience que le mot « outrage » lui-même est chargé d'une connotation très sérieuse et menaçante.
Je précise d'emblée que, contrairement à ce que certains ont affirmé, je ne cherche pas à taxer d'incompétence le ministre ou les fonctionnaires du ministère de la Justice. J'ai d'ailleurs eu le privilège de travailler avec beaucoup d'entre eux lorsque j'étais ministre. Je ne remets pas en cause les intentions du ministre. Il a soutenu qu'il ne pensait pas avoir déposé de projet de loi anticonstitutionnel. Je suis prêt à le croire sur parole. Le ministre est donc convaincu de n'avoir jamais sciemment déposé de projet de loi anticonstitutionnel.
Or, je ne parle pas de l'intention du ministre en ce qui concerne les examens fondés sur la Charte, mais bien des conséquences d'un examen de cet ordre. Ce sont elles qui engagent les responsabilités constitutionnelles qui nous incombent, à nous, parlementaires, sans parler de nos responsabilités par rapport aux questions connexes, telles que la supervision.
Comme O'Brien et Bosc l'ont expressément souligné à propos de l'outrage:
[...] la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l’outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions, ou transgresse l’autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes [...]
J'estime que l'on nuit aux députés dans l'exercice de leurs fonctions. J'irais même jusqu'à dire que, lorsqu'on leur refuse l'accès à tous les renseignements sur les projets de loi proposés, on les empêche d'assumer pleinement leur devoir de surveillance prescrit dans la Constitution.
En effet, les députés sont dans l'impossibilité d'exercer pleinement leurs fonctions et responsabilités de gardiens des deniers publics, qui leur reviennent en vertu de la Constitution, lorsqu'ils adoptent des lois qui entraînent de longues et coûteuses contestations constitutionnelles contre lesquelles le gouvernement doit se défendre aux frais des contribuables.
Lorsque les demandes de renseignements à cet égard sont constamment rejetées, les députés ont les mains liées et la dignité de la Chambre s'en voit transgressée. Pire encore, les trois mesures législatives dont je parle constituent des ordres de la Chambre à l'endroit du ministre, pour qu'il assure que les lois et les règlements gouvernementaux respectent la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits.
Dans sa décision rendue le 19 avril 1993, qui se trouve en page 18105 des Débats, le Président Fraser a déclaré ceci:
Il est difficile de concevoir un ordre de la Chambre qui puisse avoir plus de légitimité qu'un ordre contenu dans une loi adoptée par la Chambre.
Les mesures législatives sont la forme la plus catégorique d'instructions données par la Chambre. À mon avis, la violation de cette instruction, fût-elle involontaire, constitue un affront à l'autorité et à la dignité du Parlement en général, et de la Chambre des communes en particulier.
Rappelons-le, il s'agit ici d'instructions législatives, de directives législatives qui concernent les responsabilités des députés. Cette question ne touche pas seulement le ministre et la Couronne; elle va au-delà de l'opinion du ministre, car elle traite des responsabilités constitutionnelles qui découlent de ces mesures législatives.
Dans sa décision, le Président Fraser donnait les directives suivantes, qui sont particulièrement pertinentes:
[...] le dépôt de documents constitue une procédure fondamentale pour la Chambre. À titre de règle qui nous gouverne, elle permet aux députés d'avoir accès à l'information dont ils ont besoin pour traiter efficacement des sujets soumis au Parlement.
Les députés ne peuvent remplir leur rôle s'ils n'ont pas accès aux documents dont ils ont besoin pour faire leur travail et on manque à nos règlements et on oublie même les exigences de la loi.
Dans O'Brien et Bosc, on cite une liste d'outrages survenus au Royaume-Uni, qui comprend le genre d'outrage dont il est question ici:
sans excuse valable, refuser de répondre à une question, ou encore de fournir une information ou de produire des documents dont la Chambre ou un comité exige la production;
sans excuse valable, désobéir à un ordre légal de la Chambre ou d’un comité;
empêcher ou entraver une personne qui exécute un ordre légal de la Chambre ou d’un comité.
Je dirais que les observations du Président Fraser à propos des instructions législatives concernent aussi ce qu'on appelle « ordre légal » dans le régime britannique. Je soulève les autres motifs de « refuser de répondre à une question, ou encore de fournir une information » en raison de la façon dont les Présidents ont souvent rendu des décisions sur des questions de privilège épineuses, à défaut de trouver un meilleur terme.
Souvent, les Présidents déplorent le fait que les questions faisant l'objet d'un recours au Règlement sont en réalité des points de débat. Pareillement, les Présidents ont affirmé que, bien qu'il y ait parfois motif à grief, le cadre parlementaire prévoit d'autres moyens de traiter l'affaire en cause que de soulever une question de privilège ou de faire une allégation d'outrage. Les Présidents peuvent aussi déclarer que l'affaire est une question constitutionnelle qui n'est pas de leur ressort.
J'affirme que les autres moyens pour prendre connaissance des résultats de l'examen de la compatibilité avec la Charte fait par le gouvernement, lequel engage les responsabilités constitutionnelles des députés, n'ont strictement mené à rien. Pour en donner un exemple, j'attire l'attention sur la question 975, dont une réponse a été donnée verbalement le vendredi 23 novembre, réponse dans laquelle le gouvernement a affirmé qu'il jouissait d'un privilège relativement aux rapports qui sont préparés en vertu de l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice et relativement à leur préparation.
Comme l'a dit mon collègue de , le gouvernement peut renoncer à n'importe quel privilège avocat-client, et celui qui a vraiment un privilège ici, c'est sans doute le Parlement, qui, en exigeant ces documents, affirme légitimement ses privilèges et son pouvoir. Il convient de souligner que ce n'est pas le ministre qui demande qu'un examen soit fait; c'est plutôt la loi qui exige que le ministère de la Justice fasse un examen. C'est le Parlement qui l'a demandé. C'est une chose que nous ne devons pas oublier lorsqu'il est question d'outrage. C'est la question de l'outrage que je vous soumets, monsieur le Président, sans réserve, car elle couvre toutes les questions dont j'ai parlé et, plus particulièrement, nos responsabilités constitutionnelles en qualité de parlementaires, responsabilités que le Président partage, et les instructions données dans les lois du Parlement que le gouvernement doit suivre et dont il doit répondre devant le Parlement. Ce n'est pas une affaire qui ne concerne que le gouvernement et la Couronne.
De plus, en ce qui concerne le critère employé pour l'examen, je vous renvoie à l'échange que j'ai eu avec le le mardi 6 novembre 2012 dont il a parlé au Comité de la justice. Lors de cet échange, je lui ai demandé à plusieurs reprises quel critère était appliqué par le ministère. Le ministre n'a jamais vraiment répondu à cette question.
J'ai posé une question semblable dans cette enceinte au le mardi 29 mai 2012. La question se trouve à la page 8447 des Débats. Aucun critère n'a été précisé dans ce cas non plus.
Je vous assure que vous n'avez qu'à jeter un coup d'oeil rapide aux Débats pour y trouver facilement des questions adressées par les députées au gouvernement relativement à la constitutionnalité de ses projets de loi. Ce problème n'est pas nouveau. La Chambre s'inquiète beaucoup à ce sujet depuis déjà un certain temps, et elle a raison de s'inquiéter puisque ce sont son autorité, sa dignité et l'intégrité des décisions législatives qu'elle prend et qui sont incarnées dans les lois adoptées par elle qui sont en jeu dans ce dossier.
En ce qui concerne le critère d'examen dont le ministre a parlé et la façon dont l'examen est effectué, ma collègue la députée de nous propose de renvoyer la question au Comité de la justice pour qu'il l'étudie.
Il ne faut pas croire que seule l'opposition s'inquiète à ce sujet, car le député conservateur d' est allé jusqu'à suggérer à la députée de de déposer la motion. Il a déclaré ceci: « Je comprends parfaitement votre motion et votre volonté de veiller à ce que la loi résiste à toute contestation fondée sur la Charte. » Le comité a d'ailleurs voté en faveur du dépôt de la motion, ce qui n'a été possible que grâce à l'appui du Parti conservateur.
Au cours du débat subséquent, le député a en fin de compte voté contre la motion et s'est justifié en disant que le Comité de la justice ne pouvait pas étudier la motion parce qu'une procédure judiciaire était en cours et parce que ce comité n'était pas le bon forum pour tenir un tel débat.
Les parlementaires de tous les partis ont manifesté des inquiétudes à ce sujet, qui intéresse tout le monde, sans égard à l'allégeance politique.
Malheureusement, nous n'avons pu obtenir de réponses à nos questions au cours des délibérations normales, à la Chambre et dans les travaux du comité. D'autres démarches n'ont pas donné davantage de résultats, notamment mes questions inscrites au Feuilleton et les demandes d'accès à l'information faites par des journalistes. Par conséquent, il me semble que vous devriez être d'accord avec moi pour dire que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre devrait se pencher sur la question.
Pour ce qui est de l'argument entendu aujourd'hui encore qui veut qu'une procédure judiciaire reliée à la question soit en cours et qu'elle nous empêche de l'aborder, permettez-moi de faire valoir deux points brièvement.
Premièrement, ce dont nous discutons, c'est du fait que les parlementaires veulent qu'on étudie les diverses mesures législatives pour vérifier qu'elles respectent la Charte. En fin de compte, dans l'affaire Schmidt, le tribunal devra décider si l'interprétation du ministère ou du ministre est légitime. Le Parlement ne doit pas s'occuper de cette requête parce qu'il s'agit d'une question distincte. Autrement dit, les parlementaires souhaitent peut-être que le seuil soit plus élevé que le strict minimum exigé par la loi. L'examen de la question par un comité permettrait donc aux parlementaires, s'ils le jugent nécessaire, de modifier la loi et les règlements connexes en fonction des conclusions de cet examen.
Deuxièmement, je parlerai du privilège associé aux rapports et du processus de création de ces rapports. Si une mesure législative fait l'objet d'un examen, comme le prévoit la loi dont il est question, la constitutionnalité de ses dispositions est nécessairement évaluée. Au bout du compte, c'est le seuil fixé qui fait qu'on présentera ou non un rapport au Parlement. Les parlementaires voudront peut-être avoir accès aux rapports préparés, qu'ils soient déposés ou non. Par conséquent, il conviendrait peut-être que le comité se demande si la loi devrait être modifiée de façon à ce que ces rapports soient rendus publics plutôt que déposés au Parlement, voire qu'il précise le privilège associé au document de sorte que le ministre puisse témoigner au comité de la façon dont un projet de loi a été examiné.
Comme l'a dit notre collègue, selon la déclaration de Schmidt, la norme actuelle est un taux de conformité de seulement 5 %.
L'ancienne secrétaire parlementaire du ministre de la Justice a dit ceci au Comité permanent de la justice:
L'analyse qui est faite est de nature qualitative; elle ne repose pas sur des pourcentages ou des quotas.
Il est vrai qu'il incombe aux tribunaux de se prononcer sur la légalité de l'approche mise en application, quelle que soit cette approche, mais il incombe aux parlementaires de déterminer si l'approche utilisée est suffisante. À titre de parlementaires, nous l'avons demandé dans une loi qui exige que tout projet de loi présenté par le gouvernement respecte la Constitution. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer la tendance qui s'est amorcée, à savoir que des mesures législatives du gouvernement sont invalidées pour des motifs fondés sur la Charte et que les tribunaux sont saisis d'une vague de contestations fondées sur la Charte, sans qu'aucun rapport ne soit présenté au Parlement pour signaler des incohérences.
Comme le Président Fraser l'a signalé dans la décision susmentionnée de 1993 : « [...] il y a, dans les ministères, des fonctionnaires qui connaissent les règles et qui sont censés veiller à leur respect. »
Peut-être que le Règlement renferme des lacunes. Peut-être que le ministre interprète le Règlement de façon incomplète. Peut-être y a-t-il des normes qui ne sont pas bien comprises. Peut-être encore y a-t-il un problème de procédure. Le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre pourrait examiner toutes ces questions afin de trouver des solutions potentielles, y compris des changements législatifs si le Parlement le souhaite. À cet égard, je vous renvoie, monsieur le Président, au 42e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a été présenté à la Chambre le 7 mars, et dans lequel le comité affirme ceci:
Les privilèges de la Chambre confèrent à celle-ci notamment le droit exclusif de réglementer ses affaires internes, ce qui englobe le droit d’être maître de ses débats dans l’exécution de ses fonctions constitutionnelles.
Au nombre de ses fonctions constitutionnelles, la Chambre doit s'assurer que les projets de loi sont conformes à la Constitution. Ce principe figure aussi dans le serment dont il est question dans l'ouvrage d'O'Brien et Bosc, et je cite:
Quand un député prête allégeance à Sa Majesté la Reine en sa qualité de souveraine du Canada, il prête aussi allégeance aux institutions qu’elle représente et notamment au principe de la démocratie.
Cependant, comme l'a souligné la Cour suprême du Canada, « la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit ». Dans le renvoi relatif à la sécession du Québec, la cour a déclaré que le « principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution ».
Il ne fait aucun doute que les députés et que le Parlement, en tant qu'institution, ont l'obligation de respecter, de promouvoir, de préserver, de protéger et de défendre notre Constitution, dont la Charte des droits et libertés est la pièce maîtresse.
Monsieur le Président, j'attire votre attention sur une décision prise par votre prédécesseur le mercredi 21 novembre 2001 sur une question au sujet de laquelle il avait formulé les commentaires suivants: « L'empressement avec lequel la ministre a rempli son obligation législative après que la question eut été soulevée à la Chambre [...] ». À cette époque, des députés avaient soulevé à maintes reprises des questions au sujet de l'incapacité d'une ministre de déposer des documents à la Chambre. Il est important de signaler que le Président avait examiné l'affaire, même s'il s'était écoulé beaucoup de temps entre la première violation présumée et le moment où la question avait été soulevée.
La ministre avait fini par déposer le document en question, et le Président avait formulé les commentaires suivants:
En principe, ces irrégularités n'invalident pas l'exécution par la ministre de son obligation législative, mais elles mettent en évidence l'insouciance qui semble caractéristique de la façon dont de telles questions sont traitées par les fonctionnaires de son ministère. Si la loi avait prévu un délai pour le dépôt de ces documents, je n'aurais pas hésité à considérer cette omission, de prime abord, comme un outrage et j'aurais invité l'honorable député à présenter la motion habituelle. Toutefois, comme aucun délai n'y est précisé, je ne puis que conclure qu'un grief légitime a été soulevé. J'invite la ministre de la Justice à exhorter dorénavant ses fonctionnaires à faire preuve de la diligence requise quant au respect de ces exigences et de toute autre exigence que contiennent les lois adoptées par le Parlement. J'espère qu'à l'avenir la Chambre recevra les documents exigés par la loi en temps opportun.
Nous savons que le ministre a l'obligation constitutionnelle de déposer des rapports dans les meilleurs délais possibles. Cette formulation, bien qu'imprécise, suppose une certaine urgence. Nous devrions déjà avoir de tels rapports au sujet des projets de loi qui datent de plusieurs mois, comme la multitude de projets de loi sur la citoyenneté qui sont actuellement contestés devant les tribunaux.
Bien que ce soit au comité de proposer d'autres formulations, ce dernier devrait vérifier si de tels rapports ont été rédigés sans être déposés. Si tel est le cas, la Présidence constaterait qu'il y a effectivement présomption d'outrage, ce que devraient confirmer les divers jugements selon lesquels des projets de loi proposés par le gouvernement ne respectent pas la Charte.
Pour ce qui est du problème souligné par le leader du gouvernement à la Chambre, qui croit que la question n'a pas été soulevée dans les meilleurs délais, je vous renvoie, monsieur le Président, à la décision dont j'ai déjà parlé. En 2001, le député de Surrey-Centre de l'époque a fait état de 16 infractions à la loi commises entre le 16 septembre 1998 et le 13 décembre 2000. Je crois que ce cas nous montre que la question peut concerner plusieurs incidents, et qu'il est tout simplement raisonnable et approprié que les députés attendent de voir si une tendance se dessine avant de porter une cause pour outrage devant la Présidence.
Nous avons attendu, et nous avons maintenant vu et démontré que le gouvernement a tendance à présenter à la Chambre des projets de loi douteux sur le plan constitutionnel. En ce qui concerne les projets de loi qui nous occupent, dont certains aspects sont jugés inconstitutionnels, mentionnons que de tels projets de loi posant problème sur le plan constitutionnel sont maintenant devant les tribunaux. Je crois que la question dont nous sommes actuellement saisis est semblable à celle dont j'ai parlé et qui date de 2001.
À toute personne qui pourrait croire que ces affaires sont du passé, je signale que le 12 mars dernier, la Cour d'appel de l'Ontario a tranché dans une affaire concernant la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, de 2009. Sans invalider la loi, elle a fait les observations importantes suivantes:
[...] l'interprétation de la loi encouragée par la Couronne donnerait lieu à un traitement injuste et inégal de délinquants dans des situations semblables ainsi qu'à des violations potentielles des droits des délinquants au titre des articles 7 et 12 de la Charte.
Le juge chargé de l'affaire indique également:
À mon avis, l'argument de la Couronne a pour effet de demander à la Cour de remanier [le texte législatif] [...]. Il ne fait aucun doute que le Parlement est libre de modifier les principes et les objectifs en matière de détermination de la peine qu'il a lui-même adoptés et qui sont inscrits dans le Code, tant que ces nouvelles dispositions ne violent pas la Charte.
Le juge pose ensuite la question suivante:
[...] si le Parlement cherchait effectivement à se distancer si nettement de ces principes fondateurs du droit canadien en matière de détermination de la peine (admettant qu'une modification si radicale de la loi résisterait à un examen constitutionnel) [...]
Pour être charitable, on pourrait conclure que le juge voulait dire que le libellé inadéquat de la loi a évité que celle-ci ne soit invalidée car il pouvait être interprété de telle façon qu'elle ne contrevient pas à la Charte. Cependant, si les intentions du gouvernement étaient bel celles énoncées dans ses présentations, il devait certainement être conscient des éventuels problèmes liés à la Charte et, partant, il aurait dû présenter un rapport au Parlement.
Voilà les éléments qui constituent le fondement de mes arguments étayant l'allégation d'outrage. Le projet de loi a-t-il été examiné? Un rapport a-t-il été rédigé? Si oui, pourquoi n'a-t-il pas été présenté? Quel rôle le ministre a joué dans le processus d'examen? Qu'en est-il des obligations constitutionnelles du Parlement à cet égard?
En terminant, je pense réellement qu'à l'heure actuelle le processus d'examen constitutionnel est assujetti à une norme nettement trop faible, voire à aucune norme. Si elle existe, cette norme permet au ministère de présenter des lois anticonstitutionnelles tout en affirmant qu'elles ont été examinées mais sans pour autant présenter un rapport à ce sujet.
Il va sans dire que les parlementaires n'ont jamais voulu que le processus d'examen ne se limite à une autorisation automatique, et personne ne peut affirmer que nous cherchions à faire adopter des projets de loi anticonstitutionnels. Cependant, on ne peut pas non plus dire que le ministre respecte l'ordre que la Chambre lui a donné en droit s'il présente au Parlement des mesures législatives qu'il a approuvées et qui sont censées avoir été vérifiées mais qui s'avèrent anticonstitutionnelles, problème qu'un examen en bonne et due forme aurait révélé prime abord.
J'estime donc qu'un comité devrait se pencher sur cette question d'outrage et en faire rapport, comme le propose mon collègue, quelles que soient les affaires actuellement en instance.
J'aimerais également rappeler au gouvernement le pouvoir qu'il détient, mais qu'il exerce très peu, de renvoyer à la Cour suprême du Canada les questions pour lesquelles il a des doutes sur le plan de la constitutionnalité. En effet, je suis fier que le gouvernement dont j'ai fait partie ait posé une telle question au sujet du mariage entre personnes de même sexe, à savoir précisément si la proposition législative était:
[...] conforme à la Charte canadienne des droits et libertés? Dans la négative, à quel égard et dans quelle mesure?
Peut-être le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, dans son examen des solutions possibles en l'occurrence, suggérera-t-il que le gouvernement procèdent plus souvent à des renvois lorsqu'il a des doutes.
En conclusion, le gouvernement doit examiner ses projets de loi avec plus de rigueur plutôt que de nous présenter des projets de loi déficients sur le plan constitutionnel, comme le confirment les tribunaux, et, ce faisant, de nous entraîner dans un outrage à la Chambre. Nous devons remédier à la situation le plus rapidement possible pour le bien de l'institution que constitue le Parlement et pour le bien de tous les Canadiens.
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Monsieur le Président, j'ai écouté avec intérêt les propos de l'ancien ministre de la Justice. Je voudrais simplement soulever certains points à la suite de la question de privilège soulevée par mon collègue de . Il s'agit d'une question extrêmement importante, qui peut parfois sembler cosmique à l'occasion des différents débats que nous entendons. Nous avons l'impression de nous retrouver sur les bancs d'école, à la faculté de droit, en train de suivre un grand cours de procédure 101, voire de niveau doctoral.
Pour l'exprimer très simplement, la question de privilège soulevée par mon collègue de touche à ce que nous avons de plus précieux en cette enceinte, à ce que nous devons tous tenter d'atteindre le plus fortement possible, soit le respect de la primauté du droit. Quand nous recevons les projets de loi gouvernementaux, qui proviennent du gouvernement ou du Sénat, même si je ne suis pas toujours favorable sur le plan politique au contenu de certains de ces derniers, je ne me posais pas particulièrement de question au regard de leur légitimité ou de leur compatibilité avec la Charte ou la Constitution. Dans mon esprit, ainsi que dans l'esprit de la presque totalité des collègues en cette Chambre, il s'agit d'une chose à laquelle nous nous attendions de la part du gouvernement. Il s'agit d'une obligation légale, et il doit s'en assurer.
Si nous n'avons pas eu le fameux certificat du ministre de la Justice, dont le collègue de nous a longuement parlé, qui précise que ce projet de loi pose problème du point de vue de la Charte, nous devons présumer qu'il respecte la Charte ou qu'il est conforme à la Constitution.
Pendant les Fêtes, un recours émis par un fonctionnaire de l'État, juriste de profession et l'un de ceux dont le travail est essentiellement d'aider le ministre et de faire l'étude approfondie des projets de loi, nous disait qu'il s'inquiétait qu'on lui demande de faire quelque chose d'illégal.
N'embarquons pas dans le dossier judiciaire. Par contre, monsieur le Président, vous devez tenir compte de l'importance de la primauté du droit. Ce n'est pas une grande surprise de voir que des tonnes d'interrogations ont été soulevées à la suite du recours de M. Schmidt, puisque cela aurait remis en question notre confiance dans le système. Sur cette base prima facie, il s'agit certainement du privilège de tout un chacun qui est remis en question.
À mon avis, s'il y a une chose que nous ne devons pas faire, c'est d'attendre la réponse d'un tribunal, de la Cour fédérale, de la Cour d'appel et de la Cour suprême. Et même s'il n'y a qu'un faible risque de 5 %, pour reprendre les pourcentages dont nous entendons parler au ministère de la Justice, j'aimerais bien que nous fassions cette analyse de l'intérieur, que ce soit par le remède que le collègue a suggéré dans sa question de privilège ou suivant la suggestion du collègue de de l'envoyer au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Il me semble d'une indécence crasse de soulever le tapis et d'y glisser ce problème en se disant que nous verrons bien ce que les tribunaux décideront.
J'écoutais attentivement le ministre qui parlait des délais. Rappelons-nous qu'en droit, un principe très clair s'applique partout, soit que la procédure ne doit pas être la maîtresse du droit, mais sa servante. On me pardonnera cette analogie très sexiste, mais on nous l'enseignait en droit où les analogies sont souvent conçues par des gars. Cela dit, la question de délai dépend de celui qui l'observe.
Le 6 février, j'ai présenté un avis de motion au Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous en avons débattu le 11 février et je l'ai ensuite déposé à la demande du collègue d' qui voulait en faire une étude approfondie. Le 13 février, nous avons continué les débats en comité sur le fait de former un sous-comité à l'intérieur du comité de la justice, afin de se pencher sur ce sérieux problème qui remet en question la confiance que nous, les parlementaires, mais aussi les membres du public par ricochet, devons avoir envers le processus.
Si la réponse du ministre est qu'on peut lui poser des questions lorsqu'il se présente devant un comité ou qu'on peut lui poser des questions à la Chambre, cela ne signifie pas que le processus est conforme aux obligations qui existent en vertu de la Charte et de la législation conçue et adoptée légalement à la Chambre.
À mon avis, les parlementaires de tous les partis confondus se doivent de porter une attention très grande et pointue à cet égard.
De plus, on doit examiner la motion de privilège de mon collègue de , et s'assurer si, prima facie, quelque chose ressort de tout cela, s'il y a des faits. On se sert beaucoup, dans le cadre de la question de privilège soulevée par le député de Winnipeg-Centre, de la requête de M. Schmidt, qui est présentement devant la Cour fédérale. On dit que c'est bien certain qu'on ne tient pas pour avérés les faits. Ce n'est pas ce que l'on dit. Par contre, un fait existe: il y a cette poursuite.
Il y a un autre fait, c'est que pas plus tard que le 8 mars, si ma mémoire est bonne, la Cour fédérale a accepté une requête de M. Schmidt. Une décision a été rendue à l'effet que le gouvernement devra prendre fait et cause des frais juridiques de M. Schmidt sur la base, cela est important, que ce recours a été extrêmement important, et que M. Schmidt n'a absolument rien à gagner par ce processus. Il ne gagne pas un emploi. Au contraire, il a été suspendu parce qu'il a entrepris cette démarche par professionnalisme. Cela étant dit, cela fait partie des faits.
Si on examine les bleus du hansard, on verra que lorsque j'ai présenté la motion et que le député de s'est exprimé sur le sujet, ce dernier a dit à un moment donné que lorsqu'il est devenu ministre de la Justice, il s'inquiétait un peu de la façon dont on tournait les coins ronds. J'utilise des termes simples, mais il l'a dit de façon plus élégante. En gros, il disait avoir déjà des préoccupations en acceptant le poste de ministre de la Justice.
Cela m'inquiète. Ce n'est pas simplement le gouvernement. Je me suis tuée à le répéter aux députés conservateurs qui se sentaient peut-être pointés du doigt par la procédure de M. Schmidt. Ce dernier n'a pas pointé les conservateurs. Ce qu'il a dit, c'est que depuis l'introduction de la Charte en 1985, c'est appliqué comme cela, et que cela cause malheureusement un problème.
À mon avis, il faut être convaincu, à la Chambre, que lorsqu'on a des projets de loi, cela ne fait pas partie de notre travail d'arriver en comité et d'aller chercher des spécialistes, alors qu'on doit parler du contenu d'un projet de loi. Cela veut dire qu'il faut s'adjoindre des spécialistes en droit constitutionnel, en ce qui concerne la Charte canadienne des droits et libertés, pour s'assurer de la légalité du projet de loi. Par la suite, on se penche sur le reste. Cela n'est pas seulement le cas des projets de loi en matière de justice. Cela touche tous les projets de loi issus du gouvernement, donc en ce qui concerne les océans et les pêches, les affaires internationales, l'immigration et les autres sujets.
Imaginons le poids que cela met sur les épaules des parlementaires qui n'ont pas l'équipement ou les ressources gouvernementales à leur disposition. Le ministère de la Justice doit s'assurer qu'on n'ait pas ces préoccupations.
Le 6 février, on a eu notre avis de motion. Les 11 et 13 février, on en a débattu en comité. Les conservateurs ont voté contre la motion que je présentais et qui visait la création d'un comité qui aurait examiné comment se déroulait le processus. J'ose espérer qu'on arrive à une conclusion avant qu'on ne se la fasse imposer par la cour. Cela aurait été une médecine un peu plus douce que ce qui risque de se produire dans l'avenir.
Mon collègue de présente maintenant sa question de privilège. Je pense qu'il s'agit d'une question très importante.
D'ailleurs, même le député d' m'a demandé de quoi je parlais lorsque j'ai présenté ma motion. Pourtant, cela avait été repris par les médias. Ce n'est pas tout le monde qui lit sur les grandes questions en matière de justice.
Chacun a ses intérêts. On ne peut pas dire que tout le monde doit forcément être au courant de tout et à tout moment; ce n'est pas un principe. À cet égard, je pense que la motion de notre collègue a été présentée dans les délais prévus.
Monsieur le Président, à mon avis, vous devez regarder cette question extrêmement sérieuse, car elle remet en question tout le lien de confiance que les parlementaires doivent avoir dans la façon dont sont présentés les projets de loi en cette Chambre, qu'ils proviennent du gouvernement ou du Sénat. J'ose espérer que vous ferez droit à la question de privilège soulevée par mon collègue.