LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des langues officielles
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 6 avril 2017
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bonjour à tous. Nous poursuivons maintenant notre séance en public.
Conformément à l'alinéa 108(3)f) du Règlement, nous reprenons notre étude sur la mise en oeuvre intégrale de la Loi sur les langues officielles dans le système de justice canadien.
Nous accueillons aujourd'hui des représentants de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law inc., soit Me Daniel Boivin, qui en est le président, et M. Rénald Rémillard, qui en est le directeur général. Nous entendrons ensuite Mes Mark Power et Marc-André Roy, qui comparaissent à titre personnel.
Messieurs, bienvenue au Comité permanent des langues officielles.
Chaque groupe va disposer d'une dizaine de minutes pour livrer sa présentation. Nous passerons ensuite à la période des questions et commentaires des membres du Comité.
Nous allons commencer par Me Boivin.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous accueillir pour traiter de ce sujet, qui est très important pour la FAJEF.
Comme on l'a mentionné déjà, je suis président de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law inc., qui regroupe sept associations de juristes d'expression française.
Comme vous le savez peut-être, la FAJEF travaille de très près avec son réseau d'associations de juristes d'expression française. Nous travaillons aussi avec des organismes nationaux juridiques comme l'Association du Barreau canadien ainsi qu'avec des gens de la communauté francophone, notamment la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la FCFA. La FAJEF est d'ailleurs membre de la FCFA. Nous sommes aussi l'un des membres fondateurs du Réseau national de formation en justice, dont vous avez accueilli des représentants il y a quelques semaines.
Je me ferai un plaisir de répondre, dans quelques minutes, à vos questions concernant les thèmes suggérés par votre comité relativement à votre étude sur la mise en oeuvre intégrale de la Loi sur les langues officielles dans le système de justice canadien. Je pourrai, en réponse à vos questions, discuter d'un sujet connexe, soit les enjeux relatifs à l'accès à la justice ainsi qu'à la promotion et l'utilisation de la langue française dans l'appareil judiciaire.
En ce qui a trait à la question de l'accès à la justice en français, les aspects problématiques et les pistes de solution ont été bien définis dans le rapport de 2015 du commissaire aux langues officielles. Ce rapport sert encore de document de base pour le travail que la FAJEF veut accomplir dans ce domaine. C'est pourquoi je voudrais traiter de l'accès à la justice dans les deux langues officielles.
Je vais commencer ma présentation en suggérant une mesure nouvelle et très particulière que nous voudrions voir le gouvernement fédéral adopter. Cette mesure est reliée à l'accès à la justice en français ainsi qu'à la promotion de cet accès.
Voici la requête en question:
Que le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes recommande au gouvernement fédéral d'adopter la meilleure façon d'étendre les droits linguistiques au divorce afin que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes puissent avoir le droit de divorcer dans la langue officielle de leur choix.
Selon la FAJEF, cela constitue la prochaine étape. Le fait qu'on soit surpris, autour de la table, d'entendre dire qu'il n'est pas possible partout au pays d'obtenir un divorce en français explique en lui-même pourquoi ce sujet est important pour la FAJEF.
Il est clair que, depuis une vingtaine d'années, l'accès à la justice en français a progressé au Canada. Plusieurs raisons expliquent ce progrès, y compris le fait que certaines provinces et certains territoires ont pris des mesures concrètes et importantes pour améliorer l'accès à la justice en français. Ces initiatives méritent d'être soulignées. Il faut aussi souligner le rôle de premier plan que le gouvernement fédéral a joué en prévoyant, à la partie XVII du Code criminel, que tous les accusés en vertu du Code criminel ont le droit de subir leur procès dans la langue officielle de leur choix, et ce, dans toutes les provinces et tous les territoires.
D'ailleurs, dans des provinces comme la Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador, l'accès à la justice et aux tribunaux en français est largement limité à ce droit devant les tribunaux, en matière pénale. Le fait que le gouvernement fédéral ait accordé à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes le droit de subir leur procès au criminel dans la langue de leur choix et qu'il ait affecté les ressources nécessaires au respect de ce droit a eu pour effet la promotion et la mise en oeuvre d'une gamme importante de mesures et de ressources destinées à promouvoir le bilinguisme judiciaire et l'accès à la justice en français dans l'ensemble du Canada. Nous croyons que, sans cet engagement et, bien sûr, sans certaines décisions clés des tribunaux, par exemple dans l'affaire Beaulac, l'accès à la justice en français n'aurait pas avancé de façon aussi importante au cours des 20 dernières années.
Le fait de mettre l'accent sur l'accès à la justice en français dans le contexte du droit criminel est logique. Après tout, il s'agit d'un important point de contact entre les citoyens et l'appareil judiciaire. Il en existe d'autres, notamment le droit de la famille, qui a des conséquences sérieuses pour un grand nombre de citoyens canadiens. Les procédures en droit de la famille ont en effet des répercussions souvent indélébiles sur la vie des Canadiens et des Canadiennes.
La Loi sur le divorce est une loi fédérale, comme le Code criminel, et pourtant le droit de divorcer en français n'existe pas dans toutes les provinces au pays. Cela n'existe pas en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse ainsi qu'à Terre-Neuve-et-Labrador, notamment.
En 2017, il nous semble au minimum incongru et incompatible avec les objectifs de la Loi sur les langues officielles et les exigences du paragraphe 41(1) de cette même loi qu'un citoyen canadien ou une citoyenne canadienne de langue française ne puisse pas obtenir son divorce en français dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada, un divorce qui est pourtant rendu en vertu d'une loi fédérale.
Je veux signaler que le succès du projet d'accroissement de l'accès à la justice en français dépend aussi largement de la capacité de fonctionner en réseau. J'étais devant vous il y a quelques mois pour parler de l'importance du réseau des associations de juristes pour faire le lien entre la communauté juridique et la communauté francophone. À l'heure actuelle, les réseaux qui existent pourraient contribuer à accroître l'accès à la justice en français dans tous les domaines du droit, y compris le droit pénal, le droit de la famille et le divorce, comme je l'ai mentionné.
En conclusion, nous croyons que la reconnaissance explicite du droit de divorcer en français dans toutes les provinces et tous les territoires au Canada ainsi que l'appui continu aux réseaux nationaux des juristes, comme le réseau de la FAJEF, auront des retombées positives pour les justiciables francophones. De plus, nous croyons qu'il s'agirait d'une bonne utilisation des ressources financières existantes, parce que plusieurs mesures nécessaires pour assurer le droit de divorcer en français ont déjà été mises en place par le Code criminel et, à certains égards, par la Loi sur les contraventions.
Voilà donc mes quelques commentaires. Je suis certain que je pourrai répondre à d'autres questions.
Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je vous remercie de cette invitation. C'est un plaisir et un honneur d'être ici pour parler d'un autre sujet d'intérêt.
Vous devriez avoir reçu un document. Il s'agit d'une note de service en anglais et en français. La première page vous indique les quatre points que mon collègue Me Roy et moi allons vous présenter dans les 10 minutes dont nous disposons. Vers la fin, vous trouverez un extrait d'un rapport du commissaire aux langues officielles du Canada.
Je vais faire deux commentaires sur le sujet à l'étude, qui est la mise en oeuvre intégrale de la Loi sur les langues officielles dans le système de justice canadien.
Le premier commentaire porte sur la publication des jugements. Cette information figure à la page 2 du document qui vous a été transmis. Les numéros de page sont en haut à droite.
D'abord, la Loi sur les langues officielles exige que certains jugements de la Cour fédérale, mais pas tous, soient en français et en anglais. Cette exigence dépend de l'importance du jugement et de la langue choisie par les justiciables. En réalité, l'article 20 n'est pas bien mis en oeuvre. Il y a un problème du côté de la traduction de jugements fédéraux, qui est attribuable d'une part à un manque de financement dans l'appareil judiciaire fédéral, et d'autre part à une ambiguïté de l'article 20, en particulier de l'alinéa 20(1)a). Il n'y a pas de consensus dans la communauté juridique ou dans l'appareil judiciaire sur ce qui justifie qu'une décision soit traduite. Il y a des exemples concrets assez surprenants de cela, et je pourrai en parler davantage en répondant à des questions.
Il y a un deuxième problème en ce qui concerne la traduction des jugements. Plusieurs provinces ne prévoient aucune traduction des jugements de leur Cour d'appel, Cour supérieure, Cour du Banc de la Reine ou Cour suprême, c'est-à-dire celle de premier niveau. Voici une mesure qui serait très utile pour favoriser l'accès à la justice en français. Concernant la partie VII de la Loi sur les langues officielles, on pourrait augmenter les fonds pour que les cours d'appel provinciales et les cours de premier niveau puissent traduire un plus grand nombre de jugements.
Au Québec, il y avait un programme doté de 200 000 $ pour traduire vers l'anglais certains jugements rendus. Il n'est pas trop difficile d'imaginer comment cela pourrait se reproduire ailleurs, par exemple en Ontario ou au Manitoba. Or cela n'existe plus. Le rétablissement d'un tel programme serait une mesure concrète et importante pour mettre en oeuvre la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Je passe maintenant au deuxième point, qui est à la page 5 du document.
Ici, il est question du rôle du commissaire aux langues officielles du Canada. À l'origine, dans les années 1970 et 1980, les députés et les sénateurs discutaient de ce qui est aujourd'hui la Loi sur les langues officielles. Ils voulaient que le commissaire aux langues officielles joue un rôle plus important devant les tribunaux. En réalité, le commissaire aux langues officielles intervient souvent — en anglais, on dit intervenes —, mais il est très rarement la partie principale qui mène le dossier.
Prenons un exemple très concret. Vous voyagez sûrement plus que moi. Pour ma part, je vais à Ottawa une fois par semaine. Quand j'arrive à l'aéroport d'Ottawa, il est très difficile d'avoir un service en français au contrôle de sécurité. Une fois sur deux, c'est en anglais. Je porte plainte. Même si Air Canada fait des efforts, le service en français n'est pas fantastique, et je suis peut-être un peu trop poli en disant cela.
Pourquoi cela devrait-il être à moi, chaque fois, de porter plainte au commissaire aux langues officielles, de me présenter à la Cour fédérale et d'instituer une instance contre Air Canada ou contre l'Agence des services frontaliers du Canada? Il y en a peu qui le font. Ceux qui le font sont essentiellement des Gaulois, des irréductibles. Prenons l'arrêt Thibodeau c. Air Canada. M. Thibodeau, qui est un particulier et un fonctionnaire fédéral habitant à Vanier, a poursuivi Air Canada. Il a gagné, puis il a perdu en appel. Il a ensuite porté sa cause devant la Cour suprême du Canada. Le commissaire aux langues officielles était intervenant dans cette affaire. Les rôles étaient inversés; ce devrait être le contraire. Quand le problème est institutionnel, ce devrait plutôt être une institution disposant de fonds et d'un gros budget qui mène le dossier judiciaire. Ce n'est pas un problème qu'un particulier devrait avoir à régler. C'était l'intention de vos prédécesseurs, mais cela ne s'est pas réalisé.
Il faudrait modifier la Loi sur les langues officielles pour qu'elle prévoie plus expressément, plus clairement et plus concrètement quand le commissaire aux langues officielles devrait se présenter devant les tribunaux, et pas seulement en arrière-plan comme intervenant, mais au premier plan comme partie qui mène un dossier. Les détails sont dans le document.
En terminant, j'aimerais faire deux très brefs commentaires.
D'abord, en ce qui concerne l'accès à la justice en français, il faut surtout savoir où sont les gens qui parlent français. Il y a aussi la question de l'accès à la justice en anglais, mais pour le moment, je m'intéresse surtout aux francophones hors Québec. Pour savoir où sont les francophones, il faudrait un meilleur recensement. Il y a donc un lien à faire ici avec l'autre étude que vous réalisez. Le fait que Statistique Canada ne permette pas aux gens de donner des réponses multiples à la question sur la langue maternelle touche beaucoup plus que l'éducation; cela a aussi une incidence sur l'accès à la justice.
En guise de dernier commentaire, j'aimerais souligner que la Loi sur les langues officielles présente plusieurs problèmes. En général, c'est une bonne loi, mais elle est vieille. Elle n'a pas été modifiée depuis plusieurs décennies et il est temps de la repenser. Certains problèmes que nous avons soulevés aujourd'hui devraient être réglés pas seulement par des petites modifications ici et là, mais bien par une refonte de la Loi dans son ensemble. Il y a des problèmes un peu partout — recensement, services, partie VII, accès à la justice en français —, et ils pourraient être réglés si l'on revoyait la Loi dans son ensemble, plutôt que de se limiter à appliquer des pansements à la pièce.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les députés, je vais ajouter deux points pour compléter notre présentation.
Premièrement, au sujet du bilinguisme à la Cour suprême du Canada, il est évident que nous sommes en faveur de la vertu. L'ensemble des juges qui seront nommés à la Cour suprême à l'avenir devraient être en mesure d'exercer leurs fonctions dans les deux langues officielles, sans avoir recours à l'interprétation ou à la traduction simultanée. Pour cette raison, nous sommes très heureux de la mesure mise en place par le gouvernement fédéral visant à nommer à l'avenir des juges qui sont « effectivement bilingues » — c'est le terme employé par le gouvernement.
Cela dit, il ne s'agit pas d'une mesure enchâssée dans aucune loi ni dans la Constitution. Ce serait donc relativement facile pour un prochain gouvernement, ou pour le même gouvernement si les circonstances changeaient, d'arrêter cette pratique et de nommer des juges qui ne comprennent pas suffisamment l'une des deux langues officielles, dans la plupart des cas le français. Ce serait donc vraiment important d'enchâsser cette mesure dans une loi ou dans la Constitution.
Comme l'a indiqué le professeur Grammond lors de sa comparution du 7 mars dernier, il est très possible que l'imposition d'une exigence linguistique, c'est-à-dire que les juges de la Cour suprême soient en mesure d'exercer leurs fonctions dans les deux langues officielles, puisse être effectuée unilatéralement par le Parlement fédéral. Or, il existe néanmoins un doute quant à savoir si le Parlement fédéral peut faire cela seul en vertu de son pouvoir sur les tribunaux fédéraux prévu à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est aussi possible que ce soit un changement qui touche l'une des caractéristiques essentielles de la Cour suprême et que, par conséquent, cela nécessite l'assentiment de sept provinces dont la population totale représente 50 % de la population canadienne.
Étant donné l'existence d'un doute, nous partageons l'avis du professeur Grammond selon lequel il serait vraiment utile que le gouvernement fédéral renvoie la question à la Cour suprême pour qu'elle tranche une fois pour toutes. Ce serait là un moyen de régler l'impasse. Cela permettrait d'éviter une situation qui pourrait faire penser à l'affaire du juge Nadon, il y a quelques années, alors que le débat avait été malencontreusement personnalisé. Il y a eu, en effet, une contestation basée sur la nomination d'un individu en particulier. Nous pensons donc que le moyen d'éviter cela et d'aller de l'avant serait de poser la question à la Cour suprême.
C'était le premier point que je voulais soulever.
Le deuxième et dernier point que je vous soumets porte sur les autres nominations à la magistrature.
Le gouvernement fédéral nomme les juges des tribunaux fédéraux. À cet effet, il existe des droits en matière de bilinguisme, en vertu de la Loi sur les langues officielles. Toutefois, la Loi est silencieuse quant à toutes les autres nominations judiciaires effectuées par le gouvernement fédéral dans les tribunaux, soit les cours supérieures et les cours d'appel des provinces et territoires.
À notre avis, il est important de mettre en place des règles, probablement en modifiant la Loi sur les langues officielles, de manière à établir des quotas ou, à tout le moins, des lignes directrices pour s'assurer que, lorsque le gouvernement nomme des juges dans ces tribunaux, il y a un nombre suffisant de juges capables d'exercer leurs fonctions dans les deux langues officielles. Ainsi, on respecterait les droits en matière d'accès à la justice des francophones partout au pays.
Nous avons retenu cinq raisons pour lesquelles cela serait utile.
Premièrement, les lois fédérales ainsi que celles du Nouveau-Brunswick, du Québec, de l'Ontario, du Manitoba et des trois territoires sont adoptées dans les deux langues officielles. Pour vraiment donner effet à la version française de ces textes de loi, il est nécessaire d'avoir des magistrats capables de les comprendre.
Deuxièmement, en matière de Code criminel, conformément au jugement dans l'affaire Beaulac, l'accusé a un droit d'accès égal aux tribunaux désignés dans la langue officielle qu'il choisit. S'il n'y a pas suffisamment de juges pour répondre à la demande, on a un problème.
Troisièmement, plusieurs régimes provinciaux et territoriaux garantissent aux justiciables des droits linguistiques devant les cours supérieures et les cours d'appel. Si le gouvernement fédéral ne nomme pas ces juges, cela ne fonctionne pas.
Quatrièmement, cela pourrait alimenter un peu la question du bilinguisme à la Cour suprême du Canada. En effet, le fait de nommer davantage de juges bilingues ou de s'assurer qu'il y a des juges bilingues dans les cours inférieures, les cours supérieures et les cours d'appel va générer un plus grand bassin de candidats potentiels à la Cour suprême.
Cinquièmement, ces règles permettraient au gouvernement fédéral de respecter l'engagement énoncé à la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
J'aimerais mentionner un dernier point avant de mettre fin à ma présentation. À vrai dire, le problème n'est pas nouveau. Depuis au moins 1995, le Commissariat aux langues officielles du Canada soulève des problèmes en matière d'accès à la justice dans les tribunaux présidés par des juges relevant du gouvernement fédéral.
Plus récemment, en 2013, le commissaire aux langues officielles du Canada publiait un rapport conjoint avec la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick et le commissaire aux services en français de l'Ontario qui soulevait un certain nombre de problèmes et présentait plusieurs recommandations en la matière. Ce rapport proposait essentiellement que le gouvernement fédéral et les provinces collaborent afin de déterminer les besoins en matière de juges capables d'accomplir leurs fonctions dans les deux langues officielles, et qu'on mette en place un processus d'évaluation systématique des capacités linguistiques et des besoins en matière de formation linguistique pour veiller à ce que ces obligations soient respectées. Le rapport n'a pas été mis en oeuvre et, à ma connaissance, il n'a pas fait l'objet d'une réponse. Ce serait une bonne idée de passer à l'action. Les premières pages présentent un sommaire de ce rapport, et vous trouverez le résumé des recommandations à l'annexe de notre document, soit aux deux dernières pages. Les points 2.1, 2.2 et 2.3 traitent de la démarche de collaboration entre le gouvernement fédéral et les provinces, et le point 5.1 traite de la mise en place d'un processus d'évaluation.
Cela met fin à ma présentation. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Je vous remercie.
Merci beaucoup, maître Roy.
Nous commencerons par M. Généreux et Mme Boucher, qui répartiront entre eux le temps de parole qui leur est alloué. Ils disposeront de six minutes.
Nous commencerons par vous, madame Boucher.
Je vais seulement poser une petite question, car je dois partir.
J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit tantôt, maître Power. Seriez-vous favorable à ce que le commissaire aux langues officielles ait plus de pouvoirs? À mon avis, il n'en a pas.
Le Commissariat pourrait-il devenir une entité propre? Autrement dit, croyez-vous que le commissaire puisse être indépendant, un peu à la manière d'un ombudsman, mais en matière de langues officielles?
Il en a quand même plusieurs. L'essentiel de mes propos, c'est que le commissaire, ou le prochain ou la prochaine commissaire, devrait utiliser davantage ses pouvoirs actuels et qu'il serait souhaitable que la Chambre des communes et le Sénat encadrent mieux ce pouvoir discrétionnaire, de sorte à le forcer à en faire plus, d'une part.
D'autre part, s'il en fait plus, il a bien sûr besoin de plus d'argent, ce qui signifie qu'il y a aussi lieu de majorer son budget.
Madame Boucher, outre les recours devant les tribunaux, les commissaires disposent de plusieurs autres moyens d'exercer leur pouvoir. Certains commissaires fédéraux ont le pouvoir de rendre des ordonnances, par exemple, et d'autres ont le pouvoir de trancher des affaires ou encore de forcer le recours à l'arbitrage. Il ne s'agit donc pas seulement d'exercer des recours devant les tribunaux, même si ce serait déjà beaucoup mieux s'ils pouvaient en faire davantage. Selon moi, au risque de me répéter, c'est dommage, voire ridicule, que quelqu'un comme M. Thibodeau doive se présenter lui-même devant le tribunal, le commissaire étant derrière lui, alors qu'en réalité, ce devrait être l'inverse.
J'aimerais bien continuer sur ce sujet, mais j'y reviendrai plus tard si j'ai le temps.
Maître Boivin, M. Samson a dit tantôt, à la blague, que nous pouvions nous marier dans les deux langues. Cependant, n'étant pas divorcé, je ne savais pas que nous ne pouvions pas divorcer dans les deux langues. Remarquez bien que je n'ai pas tenté de le faire non plus.
Vous proposez que le Comité suggère au gouvernement de promouvoir davantage l'accès à la justice dans les deux langues officielles pour les personnes qui souhaitent divorcer. Nous ne ferons évidemment pas la promotion du divorce à proprement parler, mais comment envisagez-vous cela? Nous parlons essentiellement d'accès à la justice, et vous êtes en train de nous dire que l'ensemble des autres éléments du système judiciaire, notamment le droit pénal, est bien couvert, contrairement au droit touchant le divorce. C'est ce que je comprends. Avant que vous ne commentiez à ce propos, ai-je bien compris que, au Nouveau-Brunswick, ce n'est pas possible non plus?
En vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles telle qu'elle s'applique à la promotion de l'accès à la justice, le gouvernement fédéral devrait prendre les mesures nécessaires pour que les citoyens puissent avoir, dans les domaines où ils en ont besoin, une interface avec la justice dans leur langue. Or, dans le cas de la procédure de divorce, ce n'est pas possible dans certains territoires et certaines provinces.
Si des gens ont accès à la justice dans leur langue dans d'autres domaines d'activité, comment se fait-il que, dans les territoires que vous avez nommés plus tôt, ils n'y aient pas accès aussi pour ce droit de la personne? En fait, il ne s'agit pas de droit de la personne. Je ne sais pas de quel domaine du droit cela relève. Cela dit, comment se fait-il qu'ils n'aient pas déjà accès à cela?
Le contentieux civil dans les provinces est généralement de compétence provinciale. Le droit de la famille et la Loi sur le divorce sont de compétence fédérale. Plusieurs aspects du droit de la famille ne touchent pas le divorce, mais lorsque celui-ci a lieu, c'est en vertu d'une loi fédérale.
Le pouvoir du Parlement de légiférer dans ses propres domaines pourrait faire pour le divorce ce que le Parlement fédéral a fait pour le droit pénal, c'est-à-dire affirmer que quand messieurs et mesdames les juges vont entendre quelqu'un relativement à ce pouvoir fédéral, ils devront offrir le service en français et en anglais.
Selon vous, nous devrions nous occuper de cet élément.
Maître Power, vous êtes en forme aujourd'hui: vous voulez qu'on change totalement la Loi sur les langues officielles. En fait, vous aimeriez que le gouvernement prenne à bras-le-corps l'ensemble de la Loi pour la rénover totalement, ou à tout le moins y apporter des ajustements majeurs.
Aucun gouvernement n'a fait cela au cours des 20 ou 25 dernières années. Je ne sais pas il y a combien d'années que cela a été fait.
Vous dites que la Loi n'est pas nécessairement désuète, mais qu'elle a besoin d'être mise à jour. Quels éléments de la Loi actuelle vous semblent les plus problématiques?
J'ai deux commentaires à faire, monsieur Généreux.
Il est inhabituel pour le Parlement fédéral de ne pas toucher à une loi importante pendant plus de 30 ans. En fiscalité, il y a des modifications annuelles.
La loi fédérale en matière de langues officielles est le produit du travail de M. Lucien Bouchard, alors qu'il était secrétaire d'État dans le gouvernement de M. Mulroney, avant qu'il fonde le Bloc québécois. Il a fait un bon travail.
C'est la dernière fois. Cela fait longtemps, monsieur Généreux. Souvenons-nous qu'à cette époque, Internet n'existait pas. C'est pourtant la révolution en matière de services.
À l'époque, M. Bouchard et M. Mulroney ont fait du bon travail. Or, les temps ont changé. Au minimum, il vaut la peine que certaines personnes revoient la question dans son ensemble.
Afin de nous faire comprendre que ces changements étaient nécessaires, pouvez-vous nous dire quels ont été les changements les plus importants apportés par M. Bouchard à la Loi, à cette époque? Cela pourrait nous rappeler le contexte. Si vous voulez, vous pouvez faire une comparaison avec les changements qu'on devrait faire aujourd'hui.
Je n'avais jamais pensé à la question sous cet angle. La question est excellente.
Avant cela, la Loi avait été votée dans les années 1960, à l'époque de M. Pierre Trudeau. La Loi n'accordait alors aucun vrai pouvoir au commissaire aux langues officielles. Je rejoins ici les propos de Mme Boucher. Donc, il n'y avait aucun véritable droit à des services fédéraux en français. De plus, l'application territoriale de la Loi était bien limitée.
Des changements ont ensuite été apportés. La version des années 1960 et celle de 1988 sont le jour et la nuit. C'est ainsi parce que la société a changé et le Canada aussi. La Charte canadienne des droits et libertés, par exemple, a été adoptée en 1982.
Le Canada d'aujourd'hui n'est plus le même pays qu'en 1988. Il est temps de mettre à jour cette loi.
Je reviens à votre question de base: vous demandiez ce qu'on pourrait faire, par exemple, en matière d'accès à la justice. On pourrait prévoir des tests linguistiques pour les juges de la Cour suprême du Canada. Comme mon collègue Me Roy l'indiquait, on pourrait le faire également pour la Cour d'appel en première instance.
En terminant, j'aimerais indiquer qu'une autre façon de conceptualiser la chose serait de mettre de côté les considérations partisanes. Depuis 30 ans, tous partis confondus, que ce soit le NPD, le Parti conservateur ou le Parti libéral, on présente toutes sortes de petits projets de loi. Pensons au projet de loi de M. Dion concernant les services d'Air Canada, ou encore aux projets de loi visant la Cour suprême présentés par le NPD ou le Parti libéral. Il y a eu toutes sortes de petits projets de loi qui cherchaient tous, à leur façon, à modifier des choses qui devaient changer.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais vous remercier, chers témoins. Vos propos et vos suggestions sont clairs. Il est agréable d'entendre des idées concrètes.
J'aimerais revenir sur les propos de M. Généreux concernant la promotion de l'accès à la justice en français dans les milieux minoritaires.
Que se passe-t-il en ce moment sur le terrain? Que fait le ministère fédéral de la Justice pour promouvoir l'accès à la justice en français?
Des groupes de travail ont été formés dans la foulée du rapport de 2015 du commissaire aux langues officielles. À cet égard, il est clair que du travail est accompli. Me Rémillard et moi avons rencontré ce matin des gens du ministère de la Justice afin qu'ils nous mettent au courant de ce qui se passe. Le petit train fait son chemin.
Les difficultés auxquelles nous faisons face ont un dénominateur commun: il y a beaucoup d'intervenants dans le domaine de la justice. D'une part, il y a les juges en chef; d'autre part, il y a les provinces. Bien que les nominations relèvent du fédéral, l'administration de la justice, pour sa part, est de compétence provinciale. Il y a donc beaucoup de ponts à bâtir.
Certains ponts ont été bâtis il y a quelques années lorsqu'il y a eu des problèmes autour de la Loi sur les contraventions. Des comités ont été mis sur pied. Ces ponts ont été imposés par la cour lorsqu'un tribunal a indiqué que le fédéral devait être plus proactif dans le cas de la Loi sur les contraventions. On en est encore à bâtir ces ponts, à conclure des ententes avec ceux qui offrent des services. Or des gens dans les municipalités et les provinces, qui ne sont pas nécessairement sous la direction du fédéral, sont souvent de facto l'interface primaire avec le citoyen. C'est une difficulté.
Une autre des raisons pour lesquelles la situation est difficile, c'est l'absence dans la communauté d'un réseau solide capable d'aider le ministère de la Justice. Ce dernier, pour faire avancer les choses, a besoin d'information sur ce qui se passe sur le terrain. Or ce sont les juristes et les communautés qui peuvent répondre à ce besoin. En Ontario, cela n'est pas un problème majeur. L'Association des juristes d’expression française de l’Ontario, l'AJEFO, qui oeuvre dans cette province, est très solide, très présente et sensée. Il reste qu'on ne retrouve pas partout une telle situation.
Dans le cadre de cette étude, nous nous demandons comment nous pourrions encourager le gouvernement fédéral à appuyer l'accès à la justice en français. À cet égard, vous pourriez peut-être nous suggérer d'autres moyens concrets.
En matière d'accès à la justice en français, on entend souvent dire qu'il y a des délais. En Ontario, si l'on veut qu'une cause soit entendue en français, il faut s'attendre à des délais. En effet, il manque souvent de juges ou de protonotaires, par exemple. Diverses fonctions dans l'appareil judiciaire ne peuvent pas être remplies en temps utile. Or il faut que tout soit en place en même temps pour qu'une cause puisse être entendue en français.
Y a-t-il quelqu'un qui mesure les délais? Dans notre monde, ici, beaucoup de données nous manquent. On dit qu'on doit investir davantage, or comment peut-on s'assurer que les services vont vraiment s'améliorer?
C'est là une très bonne question. En fait, un des problèmes est que les juges en chef veulent savoir précisément combien de demandes il y a. Or une analyse quantitative devrait prendre en considération un si grand nombre de facteurs que les données deviendraient peu valides sur le plan statistique. En effet, on peut faire dire n'importe quoi à ces chiffres.
Pour cette raison, le commissaire aux langues officielles a procédé à une analyse non pas quantitative, mais qualitative. Il a réalisé des entrevues avec des gens comme moi, c'est-à-dire des gens sur le terrain, pour déterminer la nature des obstacles, et non pour essayer de quantifier les conséquences de ces obstacles.
Je suis tout à fait d'accord sur ce que Me Boivin a dit, mais j'aimerais ajouter qu'il est difficile de cerner le problème de manière quantitative. Tout d'abord, il faut plus de juges. Par conséquent, on ne peut pas tenir compte de l'ensemble des gens qui ont été découragés par ce manque de juges et qui n'ont jamais demandé de services en français en matière de justice.
C'est pourquoi il faut davantage de nominations. Il faut donc modifier la Loi ou encadrer ceci, et mettre en oeuvre le rapport du commissaire aux langues officielles. Il faut aussi s'assurer que les services en français ou dans la langue de la minorité sont offerts de façon active, non seulement par les juges, mais également par l'administration des tribunaux. Il faut donc travailler avec les gouvernements provinciaux pour s'assurer que c'est fait.
Dans votre mémoire, vous indiquez que ce n'est pas parfait au fédéral en ce qui a trait à la publication des jugements, et même que plusieurs d'entre eux ne sont pas traduits.
J'ai deux questions.
Savez-vous qui sont les traducteurs pour le compte du ministère de la Justice? Est-ce le Bureau de la traduction qui s'occupe de faire ces traductions?
Par ailleurs, a-t-on une idée du budget qui est alloué à la traduction de ces jugements?
Cette semaine, nous avons reçu des représentantes du Barreau du Québec. La bâtonnière du Québec nous expliquait les défis au Québec. On recevait auparavant le montant de 200 000 $ que vous mentionnez, mais cela a été éliminé, ce qui a beaucoup réduit la capacité de traduire les jugements.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce qui se passe au fédéral?
Je m'excuse, monsieur Lefebvre, mais je n'ai pas de réponse précise à ces questions.
Par contre, je tiens à dire que ce qu'il faut, c'est offrir activement le service, et cela passe par davantage de nominations de juges. Si on nomme plus de juges bilingues, les gens vont se présenter et demander des services dans leur langue.
C'est la même chose en ce qui concerne les jugements. Je vous donne un exemple. En 2008, quand M. Harper a prorogé le Parlement pour déclencher des élections, cela a mené au jugement de 2010 de la Cour fédérale intitulé Duff Conacher, et al. c. Premier ministre du Canada, et al. À l'époque, le groupe de Canadiens et de Canadiennes qui était le plus intéressé par cette question, selon les sondages, c'étaient les Québécois. Au Québec, on suivait cela plus qu'ailleurs. Or, le jugement de la Cour fédérale a été publié seulement en anglais, avec une mention indiquant que la version française suivrait. C'est un non-sens, monsieur Lefebvre.
Je ne comprends pas. À la Cour d'appel fédérale, tous les jugements sont publiés dans les deux langues, n'est-ce pas?
Non, monsieur Lefebvre, je m'excuse, mais ce n'est pas vrai. Prenez notre document, à la page 2. La taille de la police est de 10 points, il faut de bons yeux pour le lire, mais nous avons inscrit le libellé de l'article 20 de la Loi sur les langues officielles, la loi de M. Bouchard et de M. Mulroney, qui précise dans quelles circonstances la traduction se fait. Ce n'est pas tout le temps.
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'apporter un éclairage très important sur la question.
Je voudrais quand même souligner qu'il y a longtemps que vous travaillez, maîtres Power et Roy, sur la question du bilinguisme des juges de la Cour suprême. Vous avez écrit d'excellents documents, dont celui intitulé « De la possibilité d’être compris directement par les tribunaux canadiens, à l’oral comme à l’écrit, sans l’entremise de services d’interprétation ou de traduction », publié dans Érudit. Il y a aussi un autre document en anglais. Ces documents mettent très bien en lumière la nécessité de nommer des juges bilingues à la Cour suprême, d'abord et avant tout. De plus, vous défaites les uns après les autres tous les arguments avancés par certains soutenant qu'il n'y a pourtant pas de juges bilingues en Colombie-Britannique ou à Terre-Neuve-et-Labrador. Je vous en félicite.
Donc, vous saluez la nouvelle politique du gouvernement libéral en matière de nomination des juges à la Cour suprême, mais vous estimez que ce n'est pas suffisant. Est-ce bien ce que vous dites, maître Roy?
Nous accueillons favorablement cette mesure, puisque cela nous assure que, dans un avenir prévisible, les prochains juges vont être nommés selon des normes de bilinguisme. Nous considérons que le gouvernement est de bonne foi, qu'il va aller de l'avant et qu'il va suivre cette pratique dans un avenir prévisible. Cependant, il demeure grandement possible qu'un prochain gouvernent abandonne tout simplement cette pratique.
C'est pourquoi nous recommandons ceci, à terme. Tout d'abord, on doit s'assurer de comprendre la formule applicable. Autrement dit, il faut déterminer si le Parlement peut agir seul ou s'il faut procéder par la formule d'une modification de la Constitution. Ainsi, par ce changement, on s'assure qu'il sera obligatoire que les juges soient bilingues.
Recommandez-vous que le gouvernement actuel, au cours de ce mandat, présente un projet de loi visant à modifier la Loi sur les langues officielles ou qu'il renvoie la question à la Cour suprême afin que celle-ci détermine si le Parlement peut agir sans qu'on doive apporter une modification à la Constitution?
Nous recommandons un renvoi. La première étape est de s'assurer qu'on fait le processus comme il faut, pour éviter une débâcle comme ce fut le cas dans l'affaire du juge Nadon. En effet, on s'est servi d'un exemple précis pour contester et invalider une nomination. On veut éviter un problème semblable et toutes les conséquences politiques et de respect des tribunaux que cela a engendrées.
Maîtres Roy et Power, vous êtes des constitutionnalistes et vous recommandez un renvoi. Si la Loi sur les langues officielles était modifiée, serait-ce constitutionnel ou non? Quelle est votre opinion à ce sujet, à titre de constitutionnalistes?
J'ai lu avec intérêt les propos formulés par le professeur Grammond en mars. À première vue, je partage son opinion. Il y a de très bonnes chances que le Parlement fédéral puisse agir seul. Cela dit, tout tourne autour de ce qu'on considère être une caractéristique essentielle de la Cour suprême. Malheureusement, on peut très difficilement prédire ce que les tribunaux vont conclure. C'est une chose d'avoir une opinion de constitutionnaliste, mais c'en est une autre de prédire de quel côté la Cour suprême va pencher. Il semble y avoir de très bons arguments des deux côtés du débat. C'est pourquoi il faut agir avec prudence dans ce dossier.
Merci, monsieur le président.
Ma prochaine question concerne le fameux rapport des commissaires aux langues officielles portant sur l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Je dis « des commissaires », car il a été fait en partenariat avec d'autres commissaires.
Une des recommandations de ce rapport vise l'établissement d'un processus d'évaluation qui soit le même partout pour la nomination des juges des cours supérieures.
Le gouvernement actuel a changé un peu la formule et propose que, pour évaluer le niveau de bilinguisme, il y ait une autoévaluation plus détaillée qui se fasse au moyen d'un questionnaire. Est-ce suffisant ou devrait-on aller plus loin?
Maîtres Boivin, Power et Roy, qu'en pensez-vous?
Selon la FAJEF, l'autoévaluation en matière de bilinguisme est un pas dans la bonne direction, mais ce n'est pas suffisant. Il faut qu'il y ait une évaluation. Trop souvent dans le réseau, des gens se déterminent bilingues. Certes, ils sont suffisamment bilingues pour être capables de communiquer dans les deux langues officielles dans un cadre social, mais c'est complètement autre chose d'être capable d'entendre des témoins et de bien comprendre la preuve, car cela demande une connaissance très précise de la langue.
De nos jours, les causes entendues à la Cour suprême sont les plus complexes et les plus techniques. Ce sont des causes qui n'ont pas pu être résolues ailleurs. Les juges sont donc appelés à résoudre des questions extrêmement complexes. Dans ce contexte, le plaideur doit constamment se demander si le juge va le comprendre lorsqu'il va utiliser la terminologie technique et précise d'un principe compliqué. C'est une question que je me pose souvent dans mon domaine de pratique. C'est pour cela qu'il est essentiel d'être capable de mesurer la réelle capacité des juges qui siègent déjà et qui se disent bilingues, ainsi que la capacité de ceux qui postulent à un poste de juge désigné bilingue.
Il est tout à fait normal, voire responsable, d'exiger une certification pour confirmer que quelqu'un qui pense ou qui dit pouvoir faire quelque chose peut vraiment le faire. À titre d'exemple, je ne peux pas conduire un camion de 18 roues sur l'autoroute sans un permis, et c'est une bonne chose. Il faut que je prouve à l'État que je suis capable de circuler à 100 kilomètres à l'heure. Par ailleurs, je ne devrais pas être membre du Royal 22e Régiment si je ne peux pas m'exprimer en français assez bien pour que mon obus se rende vraiment là où mes collègues me disent qu'il doit se rendre. De la même façon, je ne devrais pas être un fonctionnaire fédéral qui donne des services de première ligne si je n'ai pas une exemption ou la cote la plus élevée en matière de service.
L'autoévaluation ne fonctionne pas. Sur ce point, je vais beaucoup plus loin que la FAJEF, dont la position est trop modeste et probablement trop généreuse à l'endroit du gouvernement. Voici pourquoi.
Je ne veux pas être juge, mais si je voulais l'être, je remplirais le formulaire que tout juge doit remplir. Voici une des questions sur la langue:
Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de comprendre les observations orales présentées en cour :
en anglais:
en français:
Cela n'a pas de sens que des candidats à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta ou à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse fassent une autoévaluation en matière linguistique. Je veux bien que les juges Rowe, Rothstein ou d'autres rencontrent un comité de parlementaires, mais c'est trop tard. Ce n'est pas une fois qu'une candidature est annoncée officiellement qu'on va tester en direct à CPAC les connaissances linguistiques du candidat. On le fait dans le cas des fonctionnaires et des membres du Royal 22e Régiment, et on devrait le faire aussi dans le cas des juges, qu'ils soient à la Cour suprême du Canada ou ailleurs.
Je vais continuer sur cette lancée. Je ne veux pas tourner autour du pot, parce que M. Choquette a bien posé ses questions, mais je vais me permettre un commentaire. Quand je vais m'acheter un timbre, le préposé ou la préposée au comptoir postal doit être bilingue. Or, en 2017, le gardien de mes droits, lui, n'a pas besoin de me comprendre pour pouvoir me défendre dans mes revendications en matière de droits linguistiques. C'est ce que vous nous expliquez aujourd'hui.
Vous avez suggéré de renvoyer la question à la Cour suprême. Y a-t-il à court terme une façon logique, sans que cela soit trop agressif et sans que cela crée trop de dommages collatéraux, de s'assurer que le gouvernement, celui-ci et ceux qui suivront après chaque nouvelle élection, a l'obligation de nommer des juges bilingues dans les cours supérieures? Il faut davantage que de bonnes intentions de la part du gouvernement. Est-il possible qu'une loi soit adoptée rapidement et facilement? Pourrait-on apporter une modification quelconque à une loi existante?
Une chose peut être faite: on peut légiférer en matière d'évaluations linguistiques. Si on ne peut pas modifier la Loi sur la Cour suprême, comme le propose le projet de loi de M. Choquette, par exemple, de manière à rendre obligatoire la nomination de juges bilingues, on peut rendre obligatoire l'évaluation de chacun des candidats dont les noms vont être soumis au gouvernement pour nomination. Ainsi, on s'assure au moins que le gouvernement prendra des décisions fondées sur des faits. Cela ne va pas au bout de ce que nous voudrions, mais, au moins, on fait une partie du chemin.
Afin que ce soit bien consigné dans le compte rendu, pourriez-vous nous dire par quels moyens on peut arriver à cet objectif?
Il y a plusieurs moyens pour accomplir cela. On peut proposer une modification à la Loi sur les langues officielles.
D'accord, c'est parfait, merci.
Je m'excuse de procéder rapidement, mais j'ai beaucoup de questions. Il y a tellement de sujets passionnants en ce qui a trait aux droits linguistiques.
Maître Boivin, permettez-moi d'aborder quelque chose d'un peu plus technique. Je suis de la génération d'avocats qui se situe entre le silex et le boulier chinois. Lors de ma dernière année en droit est apparu le logiciel Quicklaw. C'est une façon d'aller consulter la jurisprudence de façon électronique. Cela est apparu alors que les ordinateurs ne fonctionnaient pas bien et que leur moteur tournait longtemps.
Je me souviens que, au Nouveau-Brunswick, cela avait posé un problème. Autant que possible, nous faisons traduire les documents. Avant cela, nous attendions le livre des jurisprudences. Au Nouveau-Brunswick, ce livre était bilingue. Vous vous souvenez sans doute de la vieille reliure noire qui arrivait. Tous les six mois, nous attendions pour mettre un de ces livres à jour.
Puis est arrivé Quicklaw, pour le nommer. Il y en a d'autres, maintenant. Toutefois, ces gens qui offraient de la jurisprudence par l'entremise d'Internet ou de sites Web n'étaient pas soumis à la Loi sur les langues officielles. Nous voyions souvent des décisions qui nous étaient présentées sur ces sites uniquement dans une langue.
Tout à l'heure, vous parliez de l'apparition d'Internet dans la perspective des langues officielles. C'est un problème, même dans une province qui traduit ses décisions et les rend simultanément dans les deux langues, comme cela se fait à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, par exemple.
Comment peut-on s'assurer que ceux qui produisent de la jurisprudence par l'entremise d'Internet le font également dans les deux langues?
Toute la question des outils nécessaires à la pratique du droit qui viennent du monde commercial représente un gros problème pour les francophones en situation minoritaire, parce que le marché commercial n'est pas assez grand pour justifier la dépense. Le problème est réglé en partie par le remplacement progressif des bases de données commerciales par des bases de données à but non lucratif.
La base de données qui est de plus en plus utilisée maintenant est mise sur pied par CanLII. L'ensemble des Barreaux des provinces y participent dans le but de favoriser l'échange d'information plutôt que de faire des profits. Bien entendu, rien n'est gratuit, mais au moins, des ententes sont faites avec des organismes à but non lucratif qui n'ont pas pour seule préoccupation d'essayer de faire de l'argent avec la communauté des juristes.
On pourrait discuter longuement de certains logiciels qui aident en droit de la famille ou qui proposent des modèles d'actes en matière de testaments et de successions, par exemple, mais qui ne sont pas du tout disponibles à l'extérieur du Québec, là où il y a pourtant un marché francophone.
Il est important d'aider ces projets au moyen de financement versé aux organismes communautaires. En ce moment, par exemple, il y a un projet en Ontario qui aide l'AJEFO et le Centre de traduction et de documentation juridiques à sélectionner les causes importantes à la Cour d'appel de l'Ontario en vue de les diffuser dans les deux langues. C'est par des projets comme celui-là qu'on peut au moins commencer à bâtir une jurisprudence.
Bien entendu, comme pour tout domaine, plus on bâtit la terminologie, plus on est capable de produire facilement des décisions dans les deux langues, puisque les juristes et les jurilinguistes n'ont pas besoin de réinventer la roue.
Bien sûr, le fait d'avoir une obligation prévue par une loi serait l'idéal. En attendant, c'est en accordant du financement aux organismes communautaires et aux réseaux qui existent déjà qu'on sera capable de faire des projets.
Merci beaucoup.
Je vais passer du coq à l'âne.
Me Power ou Me Roy, j'ai cru comprendre que la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick est automatiquement révisée tous les 10 ans. On a cru bon, sauf erreur, d'insérer cette disposition dans la loi. Ainsi, tous les 10 ans, le gouvernement en place, peu importe le parti au pouvoir, a le devoir de réviser et de mettre à jour cette loi en fonction de l'évolution de la société.
C'est exact. Il y a environ 15 ans, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a déclaré invalides quelques-uns des articles de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. À l'époque, M. Lord était le premier ministre de la province. Il a donc eu un an pour réécrire la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, et c'est ce qu'il a fait.
Avant cette révision, cette loi n'avait pas été modifiée depuis l'époque de M. Robichaud. Elle était donc désuète. L'une des choses que M. Lord a faites a été d'inclure un article qui dit que, tous les 10 ans, l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick doit revoir sa loi.
Il en va de même dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et un peu partout au Canada. En fait, un processus semblable est prévu dans des domaines autres que la langue. Il est donc normal pour une assemblée parlementaire de revoir régulièrement des textes importants. On le fait dans le cas des langues officielles ailleurs, à d'autres paliers de gouvernement. On le fait en fiscalité. On devrait aussi le faire en ce qui concerne la Loi sur les langues officielles du Canada.
Merci beaucoup.
Nous allons céder la parole à M. Généreux pour une dernière intervention de sa part.
Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse davantage à Me Power ou à Me Roy. Je ne sais pas si Me Boivin sera en mesure d'y répondre aussi.
Hier, j'ai reçu une lettre du bâtonnier du Barreau du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Me Clément Massé. Dans sa lettre, il fait part de deux de ses observations. Premièrement, il parle du dossier de la nomination des juges qui chemine à un rythme beaucoup trop lent, selon lui. Sa deuxième observation touche le nouveau formulaire conçu par le gouvernement fédéral qui sert à présenter une candidature à la Cour suprême. Ce formulaire représente la nouvelle façon de faire du gouvernement fédéral actuel.
On parle donc ici d'accès à la justice autant en anglais qu'en français partout au Canada. Cependant, au Québec, les avocats qui travaillent dans les milieux ruraux ou en région sont beaucoup moins souvent appelés à plaider ou à défendre des causes devant les cours d'appel, les cours supérieures ou les cours fédérales de première instance, par exemple la Cour fédérale ou la Cour canadienne de l'impôt. Dans le formulaire en question, il est clair que les gens doivent avoir une expérience pertinente devant ces instances pour être éventuellement nommés juges dans des cours supérieures. En fait, Me Massé considère que cela est potentiellement discriminatoire.
Quelle est votre opinion à cet égard? Avez-vous eu l'occasion de consulter le formulaire en question?
Oui, je l'ai devant moi. Je ne suis pas certain de la façon de répondre à votre question. Je vais donc tenter de le faire, mais peut-être que Me Boivin ou d'autres voudront tenter de compléter la réponse.
Je comprends, monsieur Généreux.
Je dirais donc deux choses. La ou le juge en chef régional ou provincial a quand même la responsabilité d'affecter ses ressources humaines selon les besoins, selon les absences pour cause de maladie, selon la demande relative aux dossiers. Cependant — et cela peut être d'intérêt pour le Comité —, encore faut-il que la ou le juge en chef ait des ressources humaines à affecter. Cela nous ramène donc à la nécessité de nommer un nombre suffisant de juges, qu'ils soient affectés à Montréal ou ailleurs.
Oui, mais permettez-moi de conclure rapidement sur ce sujet. Dans le document que nous vous avons remis, nous reprenons des extraits du rapport du commissaire aux langues officielles. Au point 2.3., il recommande de « définir le nombre approprié de juges et/ou de postes désignés bilingues ». Si on peut désigner des postes bilingues dans la fonction publique fédérale, on peut désigner des juges bilingues, que ce soit dans les secteurs régionaux ou ailleurs. Cela se fait.
J'ai deux questions à poser, en particulier.
Certains juges et experts se prononcent contre la nécessité de recruter suffisamment de juges bilingues. Quels sont leurs arguments et comment pouvez-vous y répondre? En fait, vous dites que tout est possible, mais certains en doutent. Que répondez-vous à ceux qui disent que c'est une tâche impossible?
Les deux arguments que j'entends le plus souvent sont les suivants.
Premièrement, on dit que le bilinguisme n'est pas une compétence et qu'on devrait donc favoriser les juges qui connaissent le mieux le droit ou qui ont une expertise particulière, plutôt que les juges qui sont bilingues.
À cela, je réponds que le bilinguisme est, de fait, une compétence. Les juges sont appelés à interpréter des lois bilingues, alors ils doivent être en mesure de comprendre les audiences qui se déroulent devant eux dans une langue ou dans l'autre et de faire des analyses eux-mêmes en lisant leurs propres documents.
Le deuxième argument est le manque de candidats. On présume qu'en Alberta ou au Manitoba, il n'y a pas de juristes bilingues, ce qui est faux.
Me Power et le professeur Grammond ont écrit conjointement un texte sur la question. Il y a, dans chaque juridiction au Canada, des candidats bilingues.
De plus, les temps changent. Le bilinguisme est de plus en plus accepté au Canada. De plus en plus de gens sont fiers d'apprendre les deux langues.
Lundi, j'écoutais le juge Brown à la conférence Michel-Bastarache. Il expliquait qu'il avait grandi dans l'Ouest canadien, où il avait appris le français et où il lui avait été possible de le conserver.
De plus, tout récemment, le juge Rowe, qui vient de Terre-Neuve-et-Labrador et qui est bilingue, a été nommé juge à la Cour suprême. Pourtant, personne ne croyait qu'il y avait des juges bilingues à Terre-Neuve-et-Labrador.
C'est très bien. Je suis convaincu maintenant. C'est excellent.
J'ai un dernier commentaire à faire, avant de terminer. J'écoutais les discussions, et tout revient au manque de promotion des droits linguistiques. Le lien que Me Power a fait est très important. Il y a un manque de promotion des services bilingues à l'aéroport, alors les gens n'exigent pas le respect de leurs droits. Dans le domaine de l'éducation, on ne fait pas suffisamment la promotion des droits prévus à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le manque de promotion est un problème que nous devrons régler d'une façon ou d'une autre.
Merci.
Je vous remercie de ce commentaire, monsieur Samson.
Chers confrères, je vous remercie beaucoup de cette excellente présentation et de la discussion que nous avons eue avec vous.
Encore une fois, au nom des membres du Comité, je vous remercie beaucoup.
La prochaine réunion aura lieu mardi prochain. C'est alors M. Nater qui présidera la séance.
La séance est levée.
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