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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 057 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 2 mai 2017

[Enregistrement électronique]

(1300)

[Traduction]

    La séance du sous-comité des droits internationaux de la personne est ouverte.
    Il s'agit d'une séance spéciale portant sur un sujet qui nous a été présenté par le député David Anderson et le député Marwan Tabbara, c'est-à-dire le camp de réfugiés de Dadaab au Kenya et sa fermeture imminente.
    Nous accueillons trois témoins. Avant de leur céder la parole, j'aimerais faire de brèves présentations.
    Jean-Nicolas Beuze est le représentant au Canada du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR. Il a déjà témoigné devant ce comité au moins deux ou trois autres fois. Son témoignage aujourd'hui portera sur la situation humanitaire à l'intérieur du camp.
    Abdirahman Haiye — bienvenue monsieur — est un étudiant de première année à l'Université Dalhousie. Il est arrivé au Canada du complexe de réfugiés de Dadaab, où sa famille réside encore. Il est venu en 2016. M. Haiye est un récipiendaire d'une bourse d'Entraide universitaire mondiale du Canada. Félicitations, monsieur.
    Ahmed Mohamed est un étudiant de troisième année à l'Université de Toronto. Bienvenue, monsieur Mohamed. Il est arrivé au Canada en 2015 du complexe de réfugiés de Dadaab, où des membres de sa famille résident encore. M. Mohamed est aussi récipiendaire d'une bourse d'études d'Entraide universitaire mondiale du Canada. Félicitations à vous aussi, monsieur.
    Nous commencerons par M. Beuze, puis nous céderons la parole, messieurs, pour entendre votre expérience.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux de revenir comparaître devant le Comité.
    Je tenterai d'être bref, parce que je crois qu'il est plus important pour vous d'entendre directement nos collègues, des réfugiés somaliens, qui ont eux-mêmes vécu ce que cela signifie de vivre à Dadaab.
    Permettez-moi de préciser le contexte avec certains chiffres. Je vous rappelle tous que le Kenya est l'hôte de la troisième plus grande population de réfugiés en Afrique, avec près d'un demi-million de réfugiés, dont 90 % sont dans les camps de Dadaab et de Kakuma. La grande majorité, 300 000, vient de Somalie.
    La Somalie a la quatrième plus grande population de réfugiés du monde, avec environ 900 000 réfugiés somaliens un peu partout dans le monde. Aussi, n'oublions pas le million de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, les PDI. C'est une crise qui dure depuis très longtemps. Nous en sommes déjà à la troisième décennie de cette crise; il nous faut trouver une solution au triste sort de ce million environ de réfugiés.
    Dadaab, avec le gouvernement du Kenya et le HCR, a fait l'objet d'une vérification à l'été 2016, et nous pouvons donc vous donner des chiffres assez précis. À l'heure actuelle, il y a 280 000 réfugiés à Dadaab. La très grande majorité vient de Somalie. De ce nombre, nous avons pu déterminer que 40 000 personnes étaient ce que nous appelons des « doubles inscriptions », des gens qui soit figurent deux fois dans notre base de données, soit sont des Kenyans avec pièce d'identité vivant soit à proximité des camps, soit à l'intérieur même, mais ne sont pas des réfugiés comme tel. Des 280 000 réfugiés environ en décembre 2016, 69 000 ont déclaré être intéressés à retourner en Somalie.
    Comme je l'ai toujours mentionné devant le Comité — parce que l'argent fait partie de l'équation, hélas — le HCR au Kenya a demandé 250 millions de dollars pour 2017, dont 173 millions étaient précisément destinés aux réfugiés somaliens. Des 250 millions de dollars, on a reçu 2 % — je répète, 2 % —, et quand nous essayons de voir les affectations de crédit pour les réfugiés somaliens, 0 % de l'argent a été reçu à ce jour.
    Il en va de même pour le HCR en Somalie, dont le but est la protection d'un million de PDI et le soutien des rapatriés. Nous avons demandé 85 millions de dollars et n'avons reçu que 6 % de ce financement. Si l'on compare cela aux autres chiffres liés aux autres crises qui monopolisent l'attention, les montants demandés ne sont pas si élevés. Les principaux donateurs sont la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, l'Australie et la Suisse. Le Canada nous a accordé, pour l'Est et la Corne de l'Afrique, 19 millions de dollars en 2016 et 14 millions en 2017, et ce, pas seulement pour le Kenya et la Somalie, mais pour l'ensemble de l'Est et de la Corne d'Afrique qui souffre de famine. De plus, comme vous le savez, le ministre Hussen a récemment déclaré que 21 millions de dollars canadiens ont été accordés à tous les partenaires pour la réaction aux crises en Somalie, la sécheresse et la famine.
    Nous sommes très reconnaissants envers le gouvernement du Kenya pour la coopération que nous obtenons de lui et pour le fait qu'il maintient la frontière ouverte et respecte le principe du non-refoulement. Tous les retours en Somalie sont donc tout à fait fondés sur des décisions volontaires et éclairées des réfugiés qui sont présentement à Dadaab.
    Comme vous l'avez mentionné, monsieur le président, il a été annoncé en novembre que le camp sera fermé. La haute cour du Kenya est intervenue en février avec une décision à laquelle le gouvernement fait appel. Nous travaillons très étroitement avec le secrétariat des affaires des réfugiés, qui a été créé par le gouvernement du Kenya et chargé de trouver une solution.
(1305)
    À cet égard, j'aimerais attirer votre attention sur la déclaration du président Kenyatta à l'IGAD — l'Autorité intergouvernementale pour le développement — qui étudiait en mars de cette année la situation de la fermeture du camp et du soutien à la Somalie. Dans sa déclaration, Son Excellence le Président du Kenya a réitéré l'affirmation voulant que le retour en Somalie se fera de façon ordonnée, sécuritaire et dignifiée, avec beaucoup de respect du principe de non-refoulement et du choix des personnes.
    Nous poussons trois solutions concernant Dadaab, et c'est là où, je pense, votre comité pourrait envisager de recommander au gouvernement du Canada d'appuyer ces trois solutions. Tout d'abord, il s'agit de soutenir le retour volontaire et spontané des réfugiés somaliens de Dadaab qui ont exprimé le désir de retourner en Somalie. Selon un accord tripartite conclu en 2013 entre le HCR, la Somalie et le Kenya, nous appuyons cela. Nous ne l'encourageons pas de quelque façon que ce soit; c'est aux gens de décider librement s'ils veulent retourner en Somalie. J'ai quelques chiffres. En 2014, 500 personnes ont choisi cette option. En 2015, 5 000 personnes et en 2016 30 000 personnes ont décidé de retourner en Somalie. Nous estimons que près de 63 000 réfugiés somaliens sont retournés en Somalie depuis décembre 2014 de leur propre gré, appuyés par le HCR. La proportion d'hommes et de femmes, car je sais que c'est une question importante pour ce comité, est de 50-50.
    À leur arrivée dans une des 12 régions qui ont été évaluées comme étant des régions éventuelles de retour, le HCR prodigue à ces personnes des services d'éducation et de santé, mais aussi des moyens de subsistance, d'hébergement et de protection. Toutes les personnes — y compris celles qui choisissent de ne pas retourner dans ces 12 régions — reçoivent quand même un soutien, y compris un soutien financier, quel que soit l'endroit où elles vont dans le pays. Nous organisons des visites de reconnaissance au cours desquelles les réfugiés peuvent aller évaluer la situation sur le terrain, revenir et décrire aux gens de la collectivité ce qui est possible pour eux à leur retour, quel genre de services ils recevront, et ainsi de suite. Nous nous attendons à ce qu'environ 50 000 personnes retournent cette année, et éventuellement 65 000 en 2018.
(1310)
    Monsieur Beuze, si vous me le permettez... Je sais que vous avez deux autres points à soulever, mais je veux juste m'assurer que nous ayons suffisamment de temps...
    Je serai très rapide.
    ... pour nos autres témoins.
    Certainement. Merci.
    Très rapidement, en ce qui concerne la réinstallation, c'est là où le Canada a un rôle à jouer. Nous avons de très petits quotas que les pays de réinstallation nous accordent pour les réfugiés somaliens de Dadaab ou du Kenya en général. Pour vous donner un exemple, en 2016, 902 Somaliens ont été réinstallés au Canada, 902 d'une population d'environ 300 000 réfugiés présentement au Kenya. Il reste beaucoup plus à faire, parce que nous n'avons pas assez de places pour la réinsertion des réfugiés somaliens.
    En troisième option, nous travaillons avec le gouvernement du Kenya pour appuyer la population locale, dans le but d'aider à l'insertion des réfugiés dans l'économie locale. La Banque mondiale a récemment accordé un prêt de 100 millions de dollars, comblant l'écart entre les services humanitaires et le développement, ce qui appuiera les collectivités locales hôtes, et contribuera aussi à créer des occasions de moyen de subsistance pour les réfugiés. Nous travaillons à la remise en valeur de Dadaab pour le transformer en une colonie de peuplement durable.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur Beuze.
    Nous poursuivons. Monsieur Haiye, si vous pouviez peut-être parler pendant cinq à six minutes, ce serait génial. Puis ensuite, bien sûr, nous passerons à M. Mohamed. Merci beaucoup.
    Merci beaucoup. Je vous suis très reconnaissant de cette possibilité de m'adresser à vous. Je serai très bref.
    Le HCR et ses partenaires de mise en oeuvre appellent cette opération une opération d'urgence, ce qui signifie qu'ils répondent aux besoins humains fondamentaux les plus importants. En première position, il y a la nourriture, mais on peut se poser de nombreuses questions à son égard, se demandant si des aliments sont effectivement fournis à Dadaab, et s'ils se prêtent à la consommation par un être humain normal, même si cette personne est un réfugié. Le HCR fournit des aliments par le truchement de son plus gros partenaire de mise en oeuvre, le Programme alimentaire mondial, le PAM, mais les aliments qui sont distribués sont des choses que, à mon avis, on ne donnerait même pas au bétail. C'est ce que les réfugiés donnent aux ânes — des choses comme le maïs —, et de très mauvaise qualité.
    Je suis très reconnaissant au HCR, au gouvernement du Kenya et à la communauté internationale en général de leur grande aide aux Somaliens en particulier, parce que les chiffres nous confirment que les Somaliens constituent le plus gros groupe là-bas.
    Il y a de nombreuses questions concernant les problèmes humanitaires à Dadaab, surtout [Inaudible]. Tout le monde sait que Dadaab est le plus grand camp de réfugiés au monde, mais ce n'est que récemment, quand le gouvernement du Kenya a annoncé sa décision de le fermer, que tout le monde s'est rendu compte qu'il y a un endroit appelé Dadaab. Avant cela, je crois bien que peu de gens connaissaient l'existence de Dadaab.
    J'aimerais aussi vous mentionner que tout ce qui concerne Dadaab, comme les réunions, les pourparlers ou les discussions, se fait à l'extérieur de Dadaab. Si nous avions la discussion d'aujourd'hui à Dadaab, personne n'aurait besoin d'une explication concernant les problèmes humanitaires et de droits de la personne là-bas.
    Comme je l'ai dit, la nourriture est un des premiers éléments que le HCR et ses partenaires de mise en oeuvre visent. Ce n'est pas assez. Si je dis cela, c'est que tous les enfants de moins de cinq ans finissent à l'hôpital 5 à 10 fois par mois pour cause de malnutrition. Et même à l'hôpital, il n'y a pas de médicaments qui peuvent aider.
    Essentiellement, la question de la nourriture n'est pas montée en épingle. Un autre point que j'aimerais soulever au sujet de la nourriture, c'est que les aliments de base, ou les aliments les plus couramment consommés à Dadaab ou au Kenya, ou encore dans l'Est de l'Afrique, sont des choses comme le riz. Les Somaliens sont une communauté pastorale et nous consommons quotidiennement des produits animaux, des produits d'élevage, du lait et ce genre de choses. Mais ces aliments ne sont pas là, donc un enfant qui est né et a grandi sur une ferme — avec du lait, de la viande, etc. — doit maintenant manger des choses comme le sorgho et le maïs, ce qui est hors de question. Ces aliments ne sont pas propres à la consommation. Voilà pourquoi un bon nombre d'entre nous semblent plus jeunes qu'ils ne le sont. Quand je suis arrivé ici, par exemple, on me demandait si j'avais 15 ou 16 ans, ce qui n'était pas le cas. Il y a bien trop de malnutrition, et bien trop de problèmes sur le plan de la nourriture.
(1315)
    Le peu de nourriture qui est donné, et qui, comme je l'ai dit, ne peut être consommé par un être humain normal, n'est pas une chose à laquelle on peut accéder facilement. Il faut faire la queue pendant de longues heures, et quiconque a été là-bas sait que la température varie entre 45 et 50 degrés. C'est terrible.
    Cela dure depuis 25 ans, et c'est pourquoi j'ai parlé du problème de l'opération d'urgence. Ce n'est pas une opération d'urgence. Vingt-cinq ans n'est pas une courte période; donc pendant tout ce temps, si le HCR et la communauté internationale en général avaient laissé les Somaliens ou les autres réfugiés vivant à Dadaab se débrouiller pour trouver de la nourriture, au moins ils auraient fait cela, mais ils sont dans ce que j'appelle un camp de concentration. C'est un camp de concentration. Ils ne peuvent pas aller au Kenya. Ils ne peuvent pas aller en Somalie. Ils ne peuvent rien faire [Inaudible], même s'ils veulent gagner de la nourriture par leurs propres moyens. C'est une sorte de camp de concentration. Chez nous, on appelle cela une « prison ouverte ». C'est comme cela qu'on le qualifie. Il n'y a rien à faire, surtout pour les jeunes. Nous sommes nés et nous avons grandi dans le camp. Nous avons été à une sorte d'école puis, après le secondaire, il n'y a plus rien en perspective, sauf pour ceux d'entre nous qui ont eu la possibilité de décrocher une bourse d'études.
    La situation à Dadaab est terrible, et je recommanderais que quelque chose soit fait, surtout par le gouvernement kényan. Nous ne pouvons pas être reconnaissants à l'endroit du Kenya quand le gouvernement kényan profite du camp de réfugiés, à dire franchement. Tous les gens qui travaillent là-bas sont des ressortissants kényans, et les Kényans qui travaillent pour le HCR et d'autres organismes de mise en oeuvre gagnent sept fois plus que les Kényans qui travaillent pour le gouvernement kényan. Parallèlement, le gouvernement kényan veut que les réfugiés lui soient reconnaissants de cela. De quoi sommes-nous reconnaissants? Il n'y a rien qui mérite de la reconnaissance. C'est le gouvernement kényan qui crée le camp de réfugiés.
    Quant à la mention de leur intention de fermer le camp, je ne crois pas qu'ils aient besoin de le fermer. S'ils voulaient fermer le camp, ils l'auraient fait depuis longtemps. Ce n'est pas ce qu'ils veulent.
(1320)
    Merci.
    Pouvons-nous poursuivre maintenant? J'aimerais réserver le plus possible de temps pour que nos membres puissent vous parler, à vous deux, et poser des questions aux trois témoins.
    Monsieur Mohamed, pouvez-vous nous présenter aussi un court exposé? Ensuite, nous passerons aux questions.
    Merci. Bon après-midi tout le monde. Je m'appelle Ahmed Mohamed, comme cela a été mentionné.
    C'est un plaisir pour moi de comparaître devant un comité parlementaire, et plus particulièrement le Sous-comité des droits internationaux de la personne, pour parler des questions qui me tracassent souvent.
    Aujourd'hui, j'aimerais vous présenter certains des défis et des violations aux droits de la personne qu'une personne type vivant à Dadaab subit quotidiennement. Les problèmes qui existent dans ces cas sont nombreux, mais compte tenu du temps, je ne parlerai que de quelques-uns qui, à mon avis, constituent des violations directes ou indirectes aux droits de la personne.
    Tout d'abord, il y a une corruption généralisée à tous les niveaux de la vie dans le camp. Elle s'exerce à toutes les étapes que quelqu'un doit accomplir. Par exemple, les personnes se déplaçant à l'extérieur des camps doivent avoir en plus de leur carte d'étranger, un permis de mouvement délivré par le ministère des Affaires des réfugiés. Mais il est difficile d'obtenir ces documents sans verser au moins 100 $US, ce que très très peu de gens peuvent se permettre. Parfois, j'étais malchanceux et je ne pouvais payer ce montant. J'ai dû faire environ 90 kilomètres à pied pour aller visiter mon oncle que je n'avais pas vu depuis longtemps. Ce genre d'incidents empêche la plupart des gens de sortir du camp.
    Dans les hôpitaux, on demande à certains des patients de payer pour obtenir une recommandation au HCR dans le cas de grandes complications médicales. Je me souviens d'une de mes voisines à qui on avait demandé de payer 1 000 $US pour aiguiller sa fille qui souffrait d'épilepsie chronique. L'admission aux écoles est aussi taxée. Elle n'est plus gratuite. Il faut verser des frais administratifs de 50 $ pour les nouveaux étudiants, et les parents sont tout simplement dupes. Ils pensent que c'est normal. Je me souviens d'une fois quand j'ai dit à une maman qu'elle n'avait pas à payer les frais d'administration et qu'ils étaient illégaux. Elle a été surprise de me l'entendre dire.
    La corruption endémique dans les camps revient à une négation des droits de la personne les plus fondamentaux, y compris les nécessités de la vie comme le droit à l'éducation, à l'hébergement et à la nourriture. Voilà pourquoi je considère cela comme une violation des droits de la personne. Cela nuit également au droit à l'égalité des chances dans le système d'emploi, où il est moins que probable de se faire embaucher sans avoir versé des pots-de-vin.
    J'aimerais vous parler d'un incident qui me hante. C'est arrivé à mon cousin qui vivait dans un autre camp, et c'était une personne qui avait une invalidité. Un jour, on nous a annoncé qu'il était en prison depuis cinq jours. Certains aînés sont allés le voir, mais ils ont constaté qu'il avait été transféré à une autre cellule de police à l'extérieur du camp. Il a été ramené après deux semaines pour le tribunal à Dadaab. Il avait été faussement accusé d'avoir violé une femme qu'il avait épousée légalement. Son certificat de mariage a été rejeté, et les témoins craignaient pour leur vie. Le procureur m'a dit en privé que, si j'étais venu plus tôt au tribunal, la cause aurait été réglée avec 50 000 shillings kényans, ce qui est l'équivalent d'environ 500 $US. Nous ne pouvions pas payer ce montant, et donc nous n'avons pas pu l'aider. Il a été envoyé à un tribunal provincial où il a été jugé innocent après avoir passé plusieurs semaines derrière les barreaux; et pourtant, il a eu à payer 200 $US pour une raison que je ne comprends toujours pas aujourd'hui.
    Nous avons appris par la suite que la famille de la dame en question n'aimait pas beaucoup le fait que sa fille épousait un homme invalide. Elle a concocté toute l'histoire et a soudoyé le procureur de la police. Et pourtant, même avant que le tribunal ne le libère, il était évident, pour moi du moins, que la cause était irréaliste, car mon cousin était dans un fauteuil roulant et ne pouvait se déplacer sans sa chaise, ses deux jambes ayant été paralysées à un jeune âge. Les agents de police voyaient qu'ils devaient le déplacer eux-mêmes. Ils devaient le transporter du véhicule et vers celui-ci eux-mêmes. Cela vous montre simplement à quel point ce cas était inhumain.
(1325)
    D'un autre côté, un de mes amis très fiables qui est présentement travailleur social dans les camps m'a dit récemment qu'en décembre dernier, une fillette de 11 ans a été violée par un homme qui travaillait en tant qu'employé humanitaire. Mais il a soudoyé tant la police que ses supérieurs, et a pu s'en tirer sans aucune punition.
    Ces faits désolants démontrent l'incapacité du système juridique de protéger même les personnes les plus méritantes et les plus vulnérables de la société. Je crois qu'il y a de nombreux autres cas semblables, et bien d'autres personnes ayant subi le même genre de situations que celles que je viens de vous conter, dont les voix ne sont pas entendues.
    En plus de tout cela, la police effectue quelquefois des descentes impromptues et arrête sans distinction quiconque ne porte pas sur lui sa carte d'identité de réfugié. Et quelquefois, une fois qu'on est dans une cellule de police, il est difficile d'en sortir sans avoir à acheter sa liberté. Cela crée une peur constante dans les camps, surtout chez les jeunes qui sont le plus souvent la cible de la police. C'est une triste réalité qui rend la vie dans les camps insupportable. C'est peut-être la raison pour laquelle, ou une des raisons qui forcent certaines familles à retourner en Somalie — bien que cela soit quelquefois appelé « volontaire », mais ce n'est pas une décision volontaire pour moi — où elles seront confrontées à la misère et l'insécurité.
    Si vous me le permettez, j'aimerais recommander au comité d'aller un peu plus profondément dans son étude de cas du camp de Dadaab et d'aller juger de la situation par lui-même. Faire enquête sur les violations des droits de la personne en travaillant avec les autres partenaires sur le terrain, si possible, et documenter ces violations pourraient aider à traduire en justice les auteurs.
    Le gouvernement canadien pourrait aussi envisager la réinstallation des personnes dont les droits ont été violés. Et par-dessus tout, le gouvernement canadien pourrait participer à la stabilisation de la Somalie, pays d'où viennent la plupart des réfugiés. Cela représenterait la plus grande réalisation, car cela offrirait aux réfugiés la possibilité de retourner vivre dans leur pays avec dignité, comme tous les autres citoyens de ce monde.
    Merci de votre attention.
    Merci beaucoup, monsieur Mohamed. Merci de tout cela.
    Nous allons entreprendre maintenant les questions, en commençant par le député Anderson.
    Merci, monsieur le président. J'aimerais remercier nos invités de leurs témoignages ce matin.
    J'ai quelques questions pour le HCR concernant le programme de rapatriement auquel vous avez participé. Le gouvernement kényan veut manifestement fermer le camp, et il a fait tout son possible pour le faire. La Cour suprême est intervenue dans cette décision. Mais pour ce qui est du rapatriement, il y a eu certaines suggestions... Je vais simplement mentionner trois points qui ont été soulevés au sujet du HCR.
    Le premier point, c'est que la participation à l'accord tripartite était essentiellement une violation du mandat des Nations unies exigeant un niveau adéquat de protection des réfugiés rapatriés, ce que vous n'avez pas fait. Le deuxième, c'est que vous n'avez pas offert les ressources adéquates, que ce soit en matière de protection ou de ressources, aux réfugiés rapatriés, ce qui est un autre élément de votre mandat. Le troisième point, c'est que ces rapatriements étaient loin d'être volontaires, qu'il y a eu coercition tant de la part du gouvernement kényan que du HCR pour forcer, essentiellement, les gens à retourner en Somalie. On se demande donc comment peut-il y avoir rapatriement volontaire quand il y a une guerre et un conflit continus, quand il y a des coupures de rations dans les camps et que des quotas et délais sont fixés, et quand des montants sont payés pour encourager les gens à quitter le camp et à retourner dans une situation où il y a non seulement la guerre, mais aussi une sécheresse qui s'annonce?
    Je me demande simplement si vous pouvez répondre à cette question, s'il vous plaît.
    Oui, notre mandat consiste en effet à protéger les réfugiés contre le retour forcé dans un pays où leur vie peut être en danger. Voilà pourquoi nous avons insisté auprès du gouvernement de Somalie et du gouvernement du Kenya — comme cela est précisé dans l'accord tripartite et l'a été à la réunion récente de l'IGAD en mars — que la nature volontaire du retour doit être évaluée de façon individuelle. C'est tout à fait ce que nous faisons, et par conséquent, nous maintenons, de concert avec le gouvernement du Kenya, le principe du non-refoulement et respectons le droit international des réfugiés à cet égard.
    Voilà pourquoi nous organisons, par exemple, les visites de reconnaissance par certains réfugiés, qui retournent dans leurs collectivités et débattent de la question — évaluant individuellement, à l'échelle de la famille —, si c'est le moment de retourner à cet endroit, d'une façon qui est propice à un retour digne et ordonné. En ce qui concerne le soutien, nous les appuyons à la fois à partir du Kenya et à partir de la Somalie. Mais je répète, quand on ne reçoit que 6 % du financement requis pour l'opération en Somalie, 2 % pour l'opération au Kenya et 0 % du financement requis spécifiquement au Kenya pour la population somalienne, vous pouvez comprendre assurément que nous sommes limités dans ce que nous pouvons faire pour appuyer leur réinsertion en Somalie.
    Voilà pourquoi je suis tout à fait d'accord avec nos deux collègues témoins aujourd'hui que la stabilisation de la Somalie est absolument cruciale. Le Canada, comme d'autres pays, doit jouer un rôle dans la réalisation de cette stabilité du point de vue de la sécurité, mais principalement aussi du point de vue de la disponibilité des moyens de subsistance.
(1330)
    Je suppose qu'on se demande comment il peut être bon pour les gens de retourner dans des villages brûlés, détruits, sans soins de santé ni alimentation ou sans une économie active, ou comment on peut s'attendre à ce qu'ils prospèrent dans cette situation.
    La Cour suprême du Kenya a décidé d'intervenir. Quelle a été la réponse du gouvernement kényan à cela? A-t-il effectivement offert un soutien aux réfugiés? A-t-il rétabli le ministère des Affaires des réfugiés? Je crois que la Cour suprême le lui avait ordonné. Cela a-t-il été fait, et ce ministère a-t-il été effectivement rétabli?
    L'ancien organisme n'a pas été rétabli, mais il y a encore un Secrétariat des affaires des réfugiés avec qui nous travaillons. Nous travaillons aussi avec le Groupe de travail national multi-organismes sur le rapatriement du gouvernement du Kenya. Ce dernier, comme vous le savez, a déposé un avis d'appel devant la haute cour pour contester la décision pour des motifs de sécurité.
    Êtes-vous au courant de ce qu'a dit M. Mohamed au sujet du coût pour les réfugiés de l'achat de cartes d'identité et de documents, des frais extraordinaires et des allégations de corruption dans le camp? Je crois que le camp fait partie de votre responsabilité. Il a parlé de la violation des droits de la personne fondamentaux. Que fait le HCR pour rectifier ces situations?
    Nous avons un vaste système en place selon lequel demander aux victimes éventuelles de fraude ou pire encore, étant donné la fréquence de l'exploitation et de la violence sexuelles perpétrées par des travailleurs humanitaires, comme cela a été mentionné précédemment, afin de veiller à ce que les victimes et les rescapés puissent porter plainte. Nous travaillons avec les autorités sur le terrain. Nous ne sommes que les Nations unies...
    Puis-je vous interrompre une seconde là-dessus? Des membres du personnel de l'ONU et des représentants de l'ONU ont été associés à plusieurs reprises à la violence sexuelle par le passé. Cela semble être un thème récurrent. Nous venons juste d'entendre ce matin l'allégation d'une autre situation où quelqu'un a été capable de se soustraire à toute responsabilité d'une attaque perpétrée sur une jeune personne. Qu'est-ce qui est fait pour rectifier ces situations?
    Des enquêtes sont menées à l'intérieur de chacun des organismes concernés. Qu'il s'agisse du personnel des Nations unies ou des ONG partenaires, tout le monde est lié par le même mécanisme d'enquête et de punition des coupables. Pour ce qui est des sanctions criminelles, celles-ci ne peuvent être imposées par les Nations unies, parce que nous n'avons aucune compétence légale à cet égard. Seule l'autorité judiciaire du pays hôte peut le faire. Nous collaborons avec l'autorité judiciaire de tous les pays du monde pour veiller à ce que les coupables soient punis conformément au droit criminel du pays.
    Monsieur Mohamed, avez-vous une réponse à cela?
    Je comprends ce que dit le représentant de l'ONU: quand il s'agit de certaines infractions criminelles, c'est la police et le système judiciaire du pays hôte qui s'en occupent. Cependant, les réfugiés subissent quand même les mêmes problèmes. Malgré le fait qu'ils les déclarent à l'ONU, rien n'a été fait, à ma connaissance.
    Par exemple, les réfugiés ne peuvent obtenir du HCR une carte d'étranger, la principale pièce d'identité leur permettant de rester dans le pays. C'est le ministère des Affaires des réfugiés qui les délivre, et il ne les délivre que moyennant de l'argent. Quiconque ne paie pas cet argent ne peut en obtenir une. Le ministère leur dit tout simplement: « Allez au HCR », s'il ne leur en délivre pas une. S'ils s'adressent au HCR, celui-ci les renvoie au ministère des Réfugiés. Certaines personnes abandonnent tout simplement. Comme l'autre jour, ils sont arrêtés dans la rue pour ne pas avoir les documents qu'ils sont censés avoir en tant que réfugiés. Ils sont mis en prison par la police, et ils doivent encore payer de l'argent pour être libérés.
    Oui, je comprends, mais je me demande simplement quelles autres mesures le HCR peut prendre pour veiller à ce que les gens... Les gens souffrent encore. Le HCR essaie de faire quelque chose, mais les gens souffrent quand même.
(1335)
    Merci, monsieur Mohamed.
    Nous passons maintenant à M. Tabbara.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins qui sont ici aujourd'hui pour nous aider à éclairer cette triste situation. Le moment est très opportun.
    Ma question s'adresse à M. Beuze. Je vais parler de trois sujets dans le peu de temps que j'ai: la sécurité, la vulnérabilité et le modèle de l'Ouganda.
    Commençons par la sécurité. Dans la documentation que j'ai, j'ai lu que de nombreuses attaques ont été menées par Al-Chabaab et que la sécurité est un grand problème pour le gouvernement kényan. Il y a eu l'enlèvement des travailleurs humanitaires étrangers en 2011-2012, puis l'attaque du centre commercial en 2013 qui a causé la perte de nombreuses vies. Par conséquent, la sécurité est un gros problème. Y a-t-il des mesures quelconques qui ont été envisagées pour la sécurisation du camp en ce qui concerne qui y entre et qui en sort? Si j'ai bien compris, le camp ne peut plus recevoir d'autres réfugiés, mais quelle est la situation de la sécurité à l'intérieur du camp? Je crois que c'est la cause profonde réelle. La sécurité est le principal problème. Pouvez-vous nous parler de la sécurité?
    Merci beaucoup.
    Le camp se trouve très près de la frontière. L'accès au territoire du Kenya relève exclusivement des autorités kenyanes.
    Les Nations unies ne décident pas qui entre et qui n'entre pas dans le territoire du Kenya. Nous n'avons pas la compétence, les moyens, ni la possibilité juridique d'évaluer qui peut être un combattant, qui peut être associé à certains groupes armés, et qui est une personne civile.
    Les camps doivent être peuplés de civils. Le statut de réfugié ne s'applique qu'aux civils, et les personnes qui ont été impliquées dans des activités armées, y compris des activités criminelles, ne peuvent être incluses. Comme cela a été précisé précédemment, l'inscription des réfugiés n'est pas de notre ressort. Cela relève du mandat du gouvernement du Kenya. Comme dans tout autre pays du monde, c'est le gouvernement hôte qui décide qui est inscrit en tant que réfugié ou non.
    Normalement, le gouvernement hôte demande l'appui du HCR. Dans certains cas, il confère ce pouvoir, cette compétence au HCR dans son ensemble.
    Ce n'est pas le cas au Kenya, comme cela a été bien expliqué. C'est le Secrétariat des affaires des réfugiés qui a la responsabilité d'inscrire les réfugiés.
    Nous collaborons avec lui. Nous vérifions qu'aucune fraude ni corruption ne sont commises. Nous avons un rôle de surveillance, nous formons le personnel et nous avons un procédé de plainte quand il y a fraude ou corruption. Mais au bout du compte, c'est la responsabilité du gouvernement du Kenya exclusivement.
    Merci.
    Mon autre sujet, c'est le modèle de l'Ouganda. L'Ouganda a très bien accueilli et accepté un grand nombre de réfugiés. Que pouvons-nous apprendre de ce modèle? A-t-on envisagé l'idée de donner aux réfugiés, par exemple, une parcelle de terrain, comme l'a fait l'Ouganda, ou avez-vous une sorte de recommandation quelconque?
    Merci beaucoup, monsieur Tabbara.
    C'est exactement ce que nous essayons de faire avec la troisième solution proposée, selon laquelle on transformerait le camp de Dadaab en un territoire durable où nous intégrerions localement les réfugiés qui décident de ne pas retourner en Somalie pour toutes les raisons que vous avez mentionnées, et parce qu'ils ont le choix de ne pas retourner. Malheureusement, pour ceux qui ne peuvent être réinstallés, la seule solution actuelle qui s'offre à eux est de les laisser là où ils sont présentement.
    Comme cela a été mentionné dans le premier témoignage, il est très difficile de trouver un gagne-pain après l'école secondaire, ou même si l’on ne termine pas ses études, parce que très peu d'investissements sont faits à l'heure actuelle dans la région où se trouve le camp de Dadaab. Il est au milieu, entre l'aéroport de Nairobi et le principal port de mer de la Somalie dans la partie sud de la côte. Par conséquent, comme dans le nord de l'Ouganda, où on l’a fait pour les Sud-Soudanais, il est possible de développer la région. Voilà pourquoi la Banque mondiale a prêté 100 millions de dollars au Kenya pour que celui-ci encourage l'activité économique aux alentours de Dadaab, ce qui aidera au bout du compte — comme vous l’avez dit — l'intégration locale des réfugiés.
    Nous croyons fortement que le Canada peut avoir un rôle de soutien dans ces efforts.
(1340)
    Ma question s'adresse à M. Mohamed et à M. Haiye. J'aimerais parler de la vulnérabilité de certains groupes, comme les femmes et les enfants, dans les camps. S'ils sont forcés de fuir pour retourner en Somalie, quels sont les vulnérabilités ou les défis auxquels ils pourraient être confrontés en Somalie?
    Merci beaucoup.
    Sur le plan des vulnérabilités en Somalie, il y aurait, entre autres, l'insécurité. Mogadishu est une des destinations possibles pour les gens qui retournent, mais nous savons que tous les jours il y a des attentats à la bombe, et l'autre jour nous avons vu les victimes civiles dans les médias. Nous avons vu ce genre d'images là-bas.
    Les gens peuvent être victimes d'Al Chabaab et d'autres gangs. Il n'y a toujours pas de gouvernement fonctionnel dans les régions où ils retourneront, et il n'y a pas de gouvernement fort qui puisse les protéger. Même l'argent donné à ces gens par le HCR peut leur être enlevé et personne ne peut les protéger, parce qu'il n'y a pas suffisamment de sécurité.
    Pour que les choses soient claires pour le Comité, c'est le HCR qui leur donne de l'argent pour retourner en Somalie, et la vulnérabilité dont vous parlez, c'est qu'ils peuvent être volés ou que cet argent peut leur être enlevé en chemin vers la Somalie. Est-ce exact?
    Oui, c'est une des possibilités. L'autre situation concerne les gens qui retournent en Somalie. Je ne peux prouver cela, mais j'ai entendu parler de nombreux cas où les gens qui sont retournés en Somalie ont perdu des membres de leur famille aux mains d'Al-Chabaab, qui les a accusés d'être des espions pour le gouvernement kényan ou d'être des gens libres à l'extérieur des camps qui ont changé leur culture, et ce genre de chose. Une fois revenus à la frontière, ils n'ont pas pu récupérer leur statut de réfugiés — ils n'ont pas pu être inscrits de nouveau — et ont dû vivre dans les camps en dépendant d'autres familles, parce qu'ils n'avaient pas les droits que les autres réfugiés pouvaient obtenir du HCR étant donné qu'ils n'étaient pas pleinement inscrits. Certaines personnes sont retournées en Somalie. Une fois qu'elles ont vu la situation là-bas, elles sont revenues dans les camps et ne peuvent plus être inscrites de nouveau.
    Merci.
    Aussi, monsieur Beuze, pouvez-vous soumettre ces trois recommandations dont vous avez parlé au Comité?
    Merci.
    Nous passons maintenant à la députée Hardcastle.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai plusieurs questions, et je vais entrer tout de suite dans le sujet, tout d'abord avec M. Haiye, de l'Université Dalhousie. Dans votre exposé, monsieur, vous avez parlé de la façon dont le Kenya profite en quelque sorte de ces camps. Vous avez dit que s'il voulait fermer les camps il l'aurait déjà fait.
    J'aimerais vous offrir la possibilité de parler un peu plus de cela, parce que vous avez été interrompu. Qu'est-ce qui vous fait croire que c'est un arrangement bénéfique? Aidez-nous à comprendre vos idées, grâce à votre expérience pratique.
(1345)
    Le gouvernement kényan retire des avantages du camp de nombreuses façons. Une d'entre elles, c'est que la plupart des gens qui travaillent pour les Nations unies et d'autres organismes de mise en oeuvre sont des ressortissants kenyans. Dans ce cas, ils ont un emploi et paient des taxes à leur gouvernement. De cette façon, le gouvernement kényan bénéficie beaucoup. Comme je l'ai dit, une personne kényane qui travaille pour les Nations unies dans le camp gagne sept fois plus qu'une personne kényane qui travaille pour son propre gouvernement. De cette façon, le gouvernement peut tirer un avantage du camp.
    D'une autre façon, la majorité du financement... Comme M. Beuze vient de le dire, la Banque mondiale a donné 100 millions de dollars américains au gouvernement du Kenya pour qu'il développe les environs. C'est drôle qu'aucun système n'ait été mis en place pour garantir que ces fonds soient utilisés aux bonnes fins ou non.
    J'aimerais ajouter aussi que je ne crois pas que le gouvernement kényan ferme ce camp pour des raisons de sécurité. Je me souviens avoir entendu une fois qu'Al Chabaab contrôlait une ville à 10 kilomètres du siège frontalier des forces armées kényanes. Pendant tout ce temps, rien ne se passait. Je ne comprends pas pourquoi brusquement le gouvernement du Kenya prétend que des membres d'Al Chabaab sont cachés dans le camp. Non, il n'y a pas de membres d'Al Chabaab cachés dans le camp. Ceux-ci sont triés et vérifiés de la même façon que les réfugiés le sont par le gouvernement du Kenya et les camps de réfugiés. Ils ne pensent même plus que les réfugiés sont des musulmans, ou quelque chose comme ça.
    Je ne crois pas donc qu'il y ait des raisons de sécurité et, comme je l'ai dit, ce sont certaines des nombreuses raisons pour lesquelles le gouvernement kényan bénéficie beaucoup plus que les réfugiés ne bénéficient de l'aide humanitaire.
    Monsieur Mohamed, voulez-vous parler davantage de cela aussi?
    Allez-y, je vous prie.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais en dire un peu plus à ce sujet. Avoir des réfugiés dans ces camps peut aussi être à l'avantage du gouvernement du Kenya d'une autre façon. Certains des réfugiés, surtout ceux qui sont venus il y a longtemps, ont établi des entreprises dans les camps. J'ignore si les services humanitaires de l'ONU sont conscients de cela ou si c'est permis. Mais les autorités fiscales du Kenya vont dans les centres d'affaires des réfugiés à la fin de l'année et perçoivent un impôt sur le revenu. Elles les font payer pour le terrain; elles les font payer pour l'entreprise.
    Je connais certaines personnes qui n'ont même pas assez d'argent pour payer cela, mais c'est quand même exigé d'elles, sinon leur boutique sera fermée. C'est une des façons. C'est une façon d'obtenir des revenus également.
    Bon.
    Monsieur Haiye, vous pourriez peut-être répondre d'abord, puis M. Mohamed. Vous avez parlé un peu des membres d'Al Chabaab. Que pensez-vous d'eux? Réussissent-ils à recruter des Somaliens vivant dans le camp de Dadaab?
    Je ne pourrai pas parler beaucoup de cela. Mais d'après ce que je sais, et ce que savent les gens dans le camp, il n'y a jamais eu de réfugiés qui ont été recrutés. C'est une chose qui n'a jamais été mentionnée. En fait, les attaques terroristes d'Al Chabaab sur le camp et dans d'autres parties du Kenya ont été menées par des ressortissants kényans, la plupart d'entre eux de la région côtière du Kenya où il y a un ou deux groupes de musulmans. Toutes ces attaques terroristes ont été menées par des Kényans, parce qu'après les enquêtes qui ont été effectuées, on entend dire que ce sont des Kényans, puis rien n'est fait après ça.
    On met toujours ça sur le dos de membres d'Al Chabaab cachés dans le camp. C'est simplement du bouche-à-oreille. Mais quand les membres sont révélés, ce sont principalement des Kényans. Il n'y a jamais eu, à ma connaissance, mention d'un réfugié de Dadaab retournant à Al Chabaab, parce que c'est la raison pour laquelle nous avons fui. Personne ne veut jamais retourner au même problème. Merci.
(1350)
    Allez-y, monsieur Mohamed. Vous vouliez ajouter quelque chose.
    Oui. Une des raisons pour laquelle je dirais que la plupart des gens dans les camps ne sont pas des recrues d'Al Chabaab, c'est que, tout d'abord, ce sont des gens qui en savent au moins suffisamment au sujet du monde, et ils sont bien informés quant aux problèmes causés par Al Chabaab et ce genre de choses. Une autre chose, c'est que pour une personne qui a un emploi, l'argent ou une autre forme d'encouragement ne suffit pas à la motiver à adhérer. L'ONU est là et d'autres organisations non gouvernementales ont essayé de donner aux élèves qui ont terminé leurs études secondaires une sorte d'emploi qui leur permette de gagner environ 80 $ par mois. C'est une motivation pour eux de gagner leur vie.
    Nous savons que les gens qui joignent les rangs d'Al Chabaab le font principalement parce qu'ils n'ont pas d'emploi ou ne savent pas ce que fait Al Chabaab. À cause de ces deux principales raisons, ils pourraient ne pas être... Bien que le gouvernement du Kenya accuse la plupart des jeunes de faire partie d'Al Chabaab, il n'a jamais montré le cas d'un réfugié menant une attaque contre le gouvernement kényan.
    Merci.
    Essayons d'accepter deux courtes questions. Nous commencerons par Mme Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, messieurs, pour votre témoignage aujourd'hui.
    Monsieur Beuze, quand pensez-vous que le camp sera entièrement fermé?
    Nous ne prévoyons pas que le camp sera entièrement fermé. Nous essayons de faire en sorte qu'il soit transformé en une collectivité durable où des moyens de subsistance et des débouchés seront offerts aux réfugiés ainsi qu'aux collectivités locales environnantes. C'est ce vers quoi nous travaillons avec le gouvernement du Kenya et avec le soutien de partenaires en développement et aide humanitaire.
    Nous allons lever la séance.
    [Difficultés techniques]
    Le président: J'aimerais remercier les trois témoins, surtout nos deux témoins étudiants aujourd'hui. Vous nous avez donné une perspective précieuse grâce à ce que vous savez et ce que vous avez vécu. Nous apprécions le fait que vous ayez communiqué ce savoir au comité aujourd'hui.
    Et à M. Beuze, merci d'avoir comparu devant nous de nouveau.
    La séance est levée.
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