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FAIT Rapport du Comité

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UNE ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE POUR LE NOUVEAU MILLÉNAIRE

« Ce qu'en disent les Canadiens »

L'OMC doit aussi évoluer par rapport à ce qu'elle est aujourd'hui - organisme anonyme, non démocratique et inaccessible qui établit des règles importantes pour l'économie mondiale en l'absence d'une véritable participation de la «société civile», notamment le mouvement ouvrier. (Mémoire)

Robert White et Andrew Jackson,
Congrès du travail du Canada
Mardi, 27 avril 1999
Toronto

Cette audience arrive trop tard et le problème est mal posé. Nous discutons du programme de l'Organisation mondiale du commerce, alors que nous devrions discuter de l'organisation elle-même. Nous parlons, en quelque sorte, du cadenas posé sur la porte d'une étable dont le plus bel étalon a été volé et vendu depuis belle lurette... L'Organisation mondiale du commerce a été mise sur pied de façon non démocratique; mon député n'en a d'ailleurs jamais parlé lorsqu'il était question des négociations, de son adoption et de sa mise en place. Je me demande même si on l'a consulté à ce sujet? (Témoignage)

Ann Emett
Mardi, 27 avril 1999
Toronto

... l'OMC est l'une des entreprises les plus fructueuses réalisées dans l'après-guerre. À cause de son succès, l'OMC est menacée de deux dangers. Tout d'abord il y a la tendance à surcharger l'organisation. Son succès et la nature quasi judiciaire de son régime de résolution des différends nous poussent à saisir l'organisation de questions toujours en plus grand nombre. Dans certains cas, l'OMC ne dispose pas des moyens nécessaires pour les traiter, et notamment elle devrait aborder avec beaucoup de circonspection toute la question de l'investissement et des règles régissant l'investissement. On a tendance à croire qu'en raison de ses succès passés l'OMC pourra également trouver une solution à de nouveaux enjeux. L'OMC est conçue à des fins très précises. (Témoignage)

David Runnalls
Institut international pour le développement durable
Jeudi, 4 mars 1999

Ce n'est pas facile d'amener une organisation pensée et conçue dans un but essentiellement commercial à prendre en considération des problématiques d'une autre nature ... Il s'agit non pas de transformer l'OMC en une organisation à la fois sociale, culturelle, environnementale et commerciale, mais de favoriser l'établissement de liens et de règles au niveau des relations entre les problématiques commerciales, environnementales, du travail et culturelles. C'est la direction qu'on semble prendre à l'heure actuelle. On va chercher à développer de façon institutionnelle des liens plus étroits pour favoriser, par exemple, une meilleure prise en considération des questions environnementales à l'OMC, sans pour autant faire de l'OMC une organisation véritablement environnementale.. (Témoignage)

professeur Ivan Bernier
Faculté de droit, Université Laval
Lundi, 22 mars 1999
Ville de Québec

Les Canadiens ont fait une importante contribution au programme institutionnel du Cycle d'Uruguay et notamment proposé la création de l'OMC. Nous devrions faire la même chose encore une fois. Les délégués au Comité exécutif proposé seraient des ministres et ils auraient pour mandat de veiller à ce que l'OMC atteigne ses grands objectifs, ce qui les obligerait à avoir une vue d'ensemble du fonctionnement de l'OMC et de l'évolution du système commercial. Les réunions du Comité seraient publiques et il pourrait fort bien servir de mécanisme à l'ouverture de l'organisation et à la tenue d'une série de réunions dont le public pourrait plus facilement saisir le contenu et l'importance. J'ai proposé une formule de participation fondée sur le Mécanisme d'examen des politiques commerciales. Ainsi, les quatre plus importantes nations commerçantes, dont le Canada fait partie, seraient automatiquement membres du Comité exécutif. Seize autres membres siégeraient pendant deux ans durant chaque cycle de quatre ans. Les autres membres de l'OMC se choisiraient huit représentants qui rempliraient chacun un mandat de deux ans. (Mémoire)

professeur Robert Wolfe
School of Policy Studies, Queen`s University
Mardi, 2 mars 1999

Les répercussions du régime commercial mondial se font sentir bien au-delà des transactions effectuées entre les sociétés. Elles touchent aux activités quotidiennes des Canadiens ... Désormais, nous devrons faire de l'OMC un mécanisme équitable qui dessert les besoins des pays, sans miner ou nier toutefois la capacité du gouvernement national, ou d'autres gouvernements ou organismes, de remplir leurs mandats, leurs obligations et leurs responsabilités envers les Canadiens. (Mémoire)

Michael Janigan et Andrew Reddick
Centre pour la promotion de l'intérêt public (CPIP)
Mardi, 16 mars 1999

Une institutionnalisation plus poussée du régime mondial devrait comprendre la représentation à Genève des intérêts des provinces, puisque l'effet normatif de l'OMC touche les provinces presque autant que les organes fédéraux. (Mémoire)

professeur Stephen Clarkson
Faculté de sciences politiques, Université de Toronto
Mardi, 27 avril 1999
Toronto

À la limite, le gouvernement canadien devrait peut-être envisager de regarder l'avis qui a été présenté par le Conseil privé de Londres, soit d'ouvrir la porte et de permettre, pour ce qui est des systèmes fédéraux, l'établissement, au sein de l'OMC, d'une tribune des États faisant partie des fédérations, de façon à ce que le point de vue des États constituants puisse être entendu et que les engagements pris par les fédérations puissent être calibrés. (Témoignage)

Stéphane Rémillard
Lundi, 22 mars 1999
Ville de Québec

Et quand vient l'étape de création d'institutions internationales pour gérer ces accords, replaçons le boeuf devant la charrue. Exigeons un temps d'arrêt pour les mesures qui augmentent le pouvoir de ces institutions jusqu'à ce que nous les rendions responsables sur le plan démocratique. (Mémoire)

Hugh MacKenzie et Lawrence McBreaty
Métallurgistes Unis D'Amérique
Mardi, 27 avril 1999
Toronto

Une Organisation mondiale du commerce pour le nouveau millénaire

En théorie, la structure de l'OMC est plus démocratique que celle de la Banque mondiale ou du FMI en ce sens que chaque pays a une voix. En pratique, cependant, il y a de nombreux obstacles à la participation active des pays pauvres. La procédure du « consensus négatif » adoptée par l'OMC va à l'encontre de la participation des pays peu développés - s'ils sont incapables d'assister à une réunion, ils sont réputés être d'accord. Étant donné que plusieurs réunions de l'OMC peuvent avoir lieu en même temps, il est tout simplement impossible pour les pays pauvres d'envoyer des délégués à chacune. Ces derniers ont également de la difficulté à utiliser efficacement la procédure de règlement des différends en raison des coûts juridiques élevés qu'elle suppose et des conséquences négatives possibles des mesures de rétorsion réciproques permises par l'OMC. Il reste encore beaucoup à faire pour que l'OMC devienne une institution pleinement démocratique tout à fait représentative de la communauté internationale. (Mémoire)

Betty Plewes
Conseil canadien pour la coopération internationale
Jeudi, 18 mars 1999
Ottawa

Quel type d'Organisation mondiale du commerce faut-il pour relever les défis du siècle prochain? Quelles devraient être la portée et les limites de son mandat et de ses pouvoirs? Quels devraient être les principes et les normes qui guident ses décisions, du fait surtout qu'elle soit de plus en plus appelée à faire office de tribunal universel de règlement des différends commerciaux? Comment doit-elle structurer l'exercice de ses pouvoirs pour pouvoir à la fois s'acquitter d'une charge de travail de plus en plus lourde et complexe et répondre aux accusations de ses nombreux détracteurs? Selon ces derniers, l'OMC est devenue une énorme bureaucratie supranationale cherchant à tout contrôler, dénuée de la responsabilité démocratique nécessaire et redevable à un groupe de superpuissances et de méga-entreprises dominantes.

Ce ne sont pas là des questions auxquelles il est facile de répondre ni des sujets de débat purement théoriques. Il faut partir de l'actuelle OMC que nous avons décrite dans notre guide et qu'il aurait fallu inventer si elle n'existait pas déjà. Les témoins qui se sont présentés devant le Comité ont presque tous déclaré qu'un cadre fondé sur des règles s'imposait en matière de commerce international, même s'ils ont critiqué le mode de fonctionnement du cadre actuel. Selon la quasi-totalité des témoins entendus, il serait préférable qu'un tel cadre soit réellement multilatéral (et idéalement universel), pour que les règles régissant la gamme croissante de transactions effectuées dans l'économie mondiale deviennent plus légitimes et respectent les intérêts et les principes des peuples de tous les pays participant aux échanges. En bref, l'OMC est nécessaire et, si nous voulons la réformer, nous devons chercher sérieusement à établir quelles réformes portant sur sa charte constitutive et sur l'exercice des pouvoirs devraient être examinées en priorité à la Conférence de Seattle et après, et la façon dont les quelque 134 membres de l'OMC, (auxquels pourraient alors inclure la Chine), pourraient faire avancer ces réformes (l'Estonie a été désignée pour devenir bientôt le 135e membre de l'Organisation).

Il est bon de rappeler que le Canada a joué un rôle de moyenne puissance lors de l'édification du système commercial de l'après-guerre, puis dans la transformation du GATT, accord provisoire, en structure permanente, l'OMC; l'OMC est un organisme de type mutuel, forgé sur des principes

L'OMC n'est pas et n'a pas l'intention de devenir un organe supranational doté de pouvoirs extraterritoriaux. Ce n'est pas un gendarme qui peut astreindre les gouvernements réfractaires à respecter ses règles. Les règles de l'OMC sont librement négociées par des gouvernements souverains au sein d'un système fondé sur le consensus.

- L'ancien directeur général de l'OMC,
Renato Ruggiero1

juridiques et doté d'un organe de règlement des différends beaucoup plus solide (rappelant sur ce point l'Organisation internationale du commerce, qui n'a jamais vu le jour), quoique équipé d'institutions relativement modestes à d'autres égards. Comme le souligne Sylvia Ostry dans son mémoire, le Canada a contribué activement au travail du groupe de négociations sur le fonctionnement du système du GATT (FSG) établi au moment du lancement du Cycle d'Uruguay; toutefois ce n'est pas avant 1990 que le Canada a proposé une OMC, proposition qui a attiré l'attention de la Communauté européenne qui y a vu un moyen de contrer l'unilatéralisme américain. Ce n'est qu'à la toute fin des négociations, à la fin de 1993, qu'il a été possible de surmonter les objections américaines en matière de souveraineté, et que l'OMC a pu être officiellement établie, ce qui s'est fait en 1995 2.

Fort des cinq années d'expérience au sein de l'OMC, le Canada pourrait-il assumer encore une fois un rôle de premier plan et chercher à résoudre les questions que posent l'examen et la réforme de l'institution, qui ont déjà été inscrites à l'ordre du jour de la Conférence de Seattle? Dans le communiqué du gouvernement américain annonçant le lieu et les dates de la troisième conférence ministérielle de l'OMC, il est fait mention de l'appel du président Clinton à un « nouveau cycle de négociations accéléré », qui comprendrait, comme dimension principale, « une réforme institutionnelle visant à rendre l'OMC plus transparente, accessible et attentive aux citoyens3». Tout en mettant en garde le Comité contre « la tendance à chercher dans l'OMC un accord-cadre permettant de réglementer les domaines de la vie économique4 », Robert Wolfe a déclaré que l'OMC avait besoin d'un leadership visionnaire, pour pouvoir « continuer à inclure de nouveaux domaines et de nouveaux secteurs de l'économie mondiale au sein d'une structure de direction multilatérale unique. Eugene Beaulieu à Calgary (Témoignage, réunion no 129, 29 avril 1999) s'est rallié explicitement à l'énoncé de M. Wolfe, selon lequel « le rôle prépondérant du Canada revêt le plus d'importance au niveau des idées en matière de règles et de principes régissant le système commercial, et nos forces peuvent servir à rallier les autres membres de l'OMC5 ». Dans son mémoire, l'Institut international de développement durable (IIDD), de Winnipeg, déclare qu'en raison du rôle qu'il a joué dans le passage du GATT à l'OMC « le Canada a une part de responsabilité particulière dans la viabilité à long terme de l'organisme » (Mémoire, IIDD, avril 1999, p. 1).

Dans quelle mesure l'OMC devrait-elle être responsable de la gestion des affaires économiques mondiales? Dans quelle mesure a-t-elle besoin d'être réformée? L'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada (AMEC) est d'avis que cinq années d'expérience ne suffisent pas pour tirer des conclusions fermes et élaborer des jugements définitifs sur de nombreux domaines. Le Canada devrait résister à la tentation de chercher à « régler » certains aspects de l'OMC, jusqu'à ce nous soyons sûrs que cela est réellement nécessaire (Mémoire, AME, avril 1999, p. 7). Certes, de nombreux témoins ont fait savoir au Comité qu'ils étaient convaincus qu'il fallait effectuer des changements fondamentaux dans le système. Ils savaient parfaitement ce qu'ils n'aimaient pas, mais savaient moins bien comment concrètement transformer l'OMC pour qu'elle devienne le modèle qu'ils avaient en tête, puisque de toute façon la nouvelle structure de l'OMC devra être négociée à l'échelle internationale entre les membres actuels et futurs de l'organisme, pour avoir des chances de succès.

Un certain nombre de témoins, quoique désireux de voir se maintenir l'efficacité de l'actuelle OMC, ont convenu qu'il faudrait entreprendre dès que possible des réformes en profondeur. Selon

Michael Hart, l'OMC constitue un « point de départ valable mais insuffisant » (Mémoire, avril 1999, p. 6). L'Institut international de développement durable (IIDD) prône la promotion vigoureuse d'objectifs de responsabilité et de viabilité et a fait observer que « pour conserver son efficacité durement acquise, un organisme comme l'OMC doit continuer à faire évoluer sa structure et demeurer focalisé sur les domaines qui sont à sa portée » (Mémoire, IIDD, avril 1999, p. 1). Mme Ostry, quant à elle, a dégagé toute une gamme de « déficits » liés à l'exercice des droits démocratiques, au développement, aux capacités et à la cohérence, et a conclu que : « Si les faiblesses structurelles de l'OMC ne sont pas comblées, le fossé qui existe entre le mandat et les capacités de l'organisme se creusera et mettra en péril l'avenir d'un système fondé sur des règles et la stabilité du système économique international dans son ensemble » (Mémoire, Sylvia Ostry, avril 1999, p. 12 et suivantes, p. 28). Les professeurs Ivan Bernier et Gilbert Winham ont également signalé (dans leurs mémoires présentés à Québec le 22 mars et à Halifax le 24 mars respectivement) certains défauts et problèmes structurels (surtout dans le domaine du règlement des différends qui fait l'objet du chapitre 3), que le Canada devrait s'efforcer de rectifier lors des prochaines négociations. Finalement, Jeffrey Schott, autorité américaine en matière de système commercial, a déclaré au Comité à Ottawa que l'OMC a présenté « de sérieux défauts de naissance, surtout pour ce qui est de la structure de gestion de l'organisme, des liens avec les autres institutions internationales et de la transparence de ses opérations. ... Les prochaines négociations devront permettre de corriger ces problèmes ainsi que les omissions et les ambiguïtés notables présentes dans les accords de l'OMC » (Mémoire, Jeffrey Schott, mai 1999, p. 2).

Dans la suite du présent chapitre, nous approfondissons les améliorations que le Canada devrait chercher à présenter à Seattle concernant l'OMC, soit, premièrement, son caractère général (son mandat et ses principes) et, deuxièmement, le mode d'exercice de ses pouvoirs, et ce, dans le but d'en arriver à un organisme plus ouvert et démocratiquement plus responsable, donc mieux à même de servir les intérêts des Canadiens dans un système commercial multilatéral fondé sur des règles.

Améliorer l'OMC : Normes et mandat « constitutionnels »

Quelle est la réelle puissance de l'OMC, et dans quelle mesure devrait-elle limiter la souveraineté des États membres? Les opinons formulées par les témoins ont divergé sur ces points. À l'occasion de la première table ronde du Comité, M. Lawrence Herman a déclaré que « l'OMC est devenue la principale institution d'intégration mondiale qui établit et administre les règles de droit comme aucune autre institution ne l'a fait au cours de toute l'histoire » et que « il est dans l'intérêt du Canada d'assurer la primauté du droit à l'échelle internationale, d'accroître le rôle que joue aujourd'hui l'OMC à titre de principale institution organisatrice des affaires humaines » (Témoignage, réunion no 93, 2 mars 1999). Paradoxalement, c'est exactement ce que craignent plusieurs détracteurs de l'OMC, selon lesquels cette dernière aurait emprunté la mauvaise voie : elle aurait, en effet, concédé des droits aux entreprises que celles-ci ne devraient pas avoir, tout en négligeant les droits de la personne, et elle aurait passé outre à des règlements adoptés par des parlements démocratiques et avalisé une mondialisation qui accélère la destruction en raison des modes de production non durables, de la consommation et des échanges dont elle s'assortit.

Le Common Front on the WTO a produit un guide destiné aux écologistes que Steven Shrybman a présenté au Comité à Vancouver (le 27 avril) et qui fait référence à d'autres commentaires de M. Ruggiero. Selon ce guide, l'OMC agirait en fait « comme si elle était dotée de pouvoirs économiques pour l'ensemble de la planète » et privilégie les entreprises à l'exclusion des autres segments de la société. Selon le professeur Errol Mendes, il faudrait intégrer ces autres segments de la société au régime du GATT/OMC. Cette dernière demeure « une institution dont les pouvoirs sont relativement limités... qui est toujours fondamentalement basée sur des contrats passés entre nations qui décident de s'accorder un statut de nation la plus favorisée. Ce n'est que parce qu'elle a bâti autour de ces relations contractuelles un organe institutionnel qui s'appelle l'Organisation mondiale du commerce qu'elle attire désormais beaucoup d'attention dans le domaine des normes de travail, de l'environnement, des droits de la personne, etc. » Pour l'OMC, le diagnostic n'est pas évident, a-t-il prévenu, et les remèdes simples seront inopérants (Témoignage, réunion no 102, 18 mars 1999).

Le Comité convient qu'il faut régler certaines questions complexes qui ont trait à la « constitution » de l'OMC. Les propos tenus en septembre 1986 par le Secrétaire d'État des Affaires extérieures de l'époque au moment du lancement du Cycle d'Uruguay, à savoir que « les règles du GATT sont aussi importantes pour nous que les règles de notre constitution », ont peut-être été prématurés. Treize ans plus tard, une telle déclaration ne semble plus exagérée, étant donné l'intégration plus poussée des économies qui justifie un code de conduite universel des marchés et la contestation des lois internes du Canada par les groupes spéciaux de l'OMC, dont les décisions font grand bruit. Steven Clarkson a décrit le cadre juridique renforcé de l'OMC comme s'inscrivant dans la nouvelle génération d'accords économiques internationaux qui représente une sorte de « constitution internationale », laquelle, comme son pendant national, établit des limites (à son avis parfois non justifiées et peu avisées) sur ce que peuvent faire les gouvernements (Témoignage, réunion no 122, Toronto, 27 avril 1999). Dans son mémoire, Sylvia Ostry reconnaît avec franchise que les négociateurs ont eu raison de choisir de renforcer considérablement le régime de règlement des différends, puisqu'il n'y avait pas d'autre solution acceptable. Mais rares sont ceux qui étaient conscients d'avoir mis en place un régime constitutionnel qui aura des répercussions profondes sur le pacte social international sous-jacent, ou qui savaient que la création d'une constitution internationale entraînerait des demandes de plus en plus fréquentes dans le sens de la « démocratisation de l'OMC »6.

Il faut de toute évidence un plan d'action constructif pour traiter de telles préoccupations au niveau de la constitution de l'OMC, en s'appuyant sur les principes toujours valables, transposés du régime du GATT, de libéralisation progressive du commerce qui soit non discriminatoire et bénéfique pour tous. Comme nous décrivons ce concept dans notre guide, nous ne le répéterons pas ici. Pour que l'OMC soit adaptée aux exigences du nouveau millénaire, il faut, d'après le Comité, que ses membres analysent à fond les principes expliqués ci-après.

« Souveraineté » et « subsidiarité »

Compte tenu de l'existence de l'OMC et des nouvelles réalités du commerce mondial, les États ont tout intérêt à « mettre en commun leur souveraineté », car il n'est plus viable pour eux de rester hors de la « communauté de plus en plus étroite que sont les partenaires commerciaux » ou, pire, de s'en retirer7. Le désir de la presque totalité des pays de faire partie du « club » semble confirmer cette hypothèse. Et, même si de nombreux pays plus petits risquent d'être désavantagés dans le système mondial, une souveraineté partagée pourrait constituer le seul moyen pour eux de limiter les poussées unilatérales des nations plus fortes, s'ils forgent des coalitions visant à réaliser des partenariats fondés sur des règles convenues d'un commun accord. De plus, pour ce qui des dilemmes associés au contrôle démocratique, Michael Hart a suggéré qu'une OMC correctement réformée et améliorée pourrait se révéler la meilleure façon de « recapturer le pouvoir politique perdu dans le sillage de l'intégration silencieuse qu'ont induite les forces de la mondialisation » (Mémoire, Centre for Trade Policy and Law of Carleton University, avril 1999, p. 6).

Pour le moment, toutefois, il revient aux gouvernements nationaux de négocier, puis de mettre en oeuvre et de respecter les règles et les disciplines de l'OMC. À en croire un certain nombre de témoins, il faut user de prudence et de circonspection de peur d'abdiquer trop tôt une trop grande portion de sa souveraineté en faveur de l'OMC. À ce sujet, Ann Weston, de l'Institut Nord-Sud, a cité l'observation formulée par Dani Rodrik, à savoir que : « Il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que les modèles de développement national convergent vers un modèle unique de bon comportement économique. ... Les décideurs de politiques devraient éviter de devenir des partisans de la mondialisation dénués de sens critique » (Mémoire, Institut Nord-Sud, mars 1999, p. 7). Les ONG spécialistes de développement international qui ont témoigné devant le Comité ont dit craindre que l'OMC ne soit utilisée pour saper les droits qu'ont les gouvernements nationaux d'appliquer leurs propres pratiques en matière d'approvisionnement. Les représentants des gouvernements locaux et autochtones qui ont témoigné en Colombie-Britannique ont évoqué des préoccupations du même ordre. En gros, on s'inquiète de voir les gouvernements adopter précipitamment des règles visant à rendre les flux de capitaux et les flux de marchandises transnationaux plus faciles et plus sûrs, sans s'assurer tout d'abord que les collectivités de chaque pays (y compris les Autochtones) conservent des droits suffisants pour poursuivre leur propre voie menant à un développement social et économique durable.

Ces questions ne sont pas tranchées. Il semble néanmoins sage de conserver une grande marge de manoeuvre pour pouvoir disposer de la souplesse nécessaire relativement aux politiques nationales et infranationales auxiliaires. L'OMC devra peut-être répondre à ces questions soulevées par la mondialisation, mais il lui faudra auparavant délimiter clairement la portée et les limites de son intervention et confiner probablement ces dernières aux règles générales s'appliquant aux secteurs commerciaux où les facteurs externes et les réactions en chaîne au niveau transnational sont tout à fait manifestes. Tâcher d'établir et de faire respecter de telles normes générales sans empiéter davantage sur le pouvoir de formulation des lois des gouvernements ne sera pas tâche aisée pour l'OMC.

« Universalité »

Même s'ils craignaient que l'on cherche à faire de l'OMC un organisme fourre-tout - comme l'a mentionné l'ambasssadeur Weekes - les témoins ont reconnu que l'OMC devenait effectivement un organisme de plus en plus mondial dans plusieurs sens du terme. Tout d'abord, ceux qui ont traité des questions d'accession à l'OMC, notamment celle de la Chine après des années de négociations, appuyaient une approche intégrée. En d'autres termes, il vaut mieux régler les problèmes que posent certains pays en tirant parti des mécanismes de l'OMC qu'exclure les pays qui n'auront pas respecté une norme idéale à laquelle, il faut bien le dire, de nombreux membres actuels de l'OMC ne satisferaient pas. Comme le mentionne une étude récente sur les négociations en dents de scie avec la Chine : « Il sera difficile de maintenir avec le temps l'intégrité du système commercial mondial si l'une des plus grandes nations commerçantes du monde refuse de se conformer aux disciplines de l'OMC8 ». Dans son mémoire, l'IIDD a expliqué de façon très claire qu'il est dans l'intérêt du Canada d'en arriver à une entente sur l'accession sui generis permettant à la Chine de devenir membre de l'OMC.

Évidemment, les pays cherchant à devenir membres de l'OMC doivent s'engager à adhérer aux principes de l'organisme, et cela soulève la question de l'application universelle des normes. Selon certains témoins, le statut de membre ne devrait jamais être sans condition, et l'OMC devrait devenir un organisme mondial responsable chargé de faire respecter d'autres normes juridiques internationales universelles, notamment les obligations dans le domaine des droits de l'homme instaurées par les Nations Unies. Il s'agit là d'une question complexe que le Comité analyse plus en détail dans la partie III. Nous signalons ce point ici, car il devra être étudié lors de l'examen de la constitution de l'OMC.

« Transparence » et « accessibilité »

Dans sa déclaration au Comité du 9 février, le ministre Marchi a déclaré que « nous devons ouvrir grandes les fenêtres du processus de l'OMC ». Les témoins étaient généralement tout à fait d'accord avec ce point de vue. Le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni ont déposé des propositions à cet égard, visant essentiellement une mise en distribution générale plus rapide des documents et un accès plus facile à l'information relative au règlement des différends9. Dans son sens étroit, la « transparence » constitue déjà un principe de base des ententes de l'OMC, dont un grand nombre contiennent des exigences en matière de notification et des négociations en matière d'accession. Les pays sont supposés afficher ouvertement toutes leurs politiques et réglementations touchant le commerce, de sorte que tous les participants au régime commercial puissent en prendre connaissance et pour que l'on puisse évaluer dans leur ensemble leur conformité aux règles de l'OMC. Pour plusieurs témoins, il ne faudrait pas aller beaucoup plus loin. Lawrence Herman, par exemple, a estimé qu'une transparence accrue ne devrait pas signifier une complète accessibilité aux mécanismes de l'OMC pour tous les nouveaux venus : « Je ne crois pas que cela serait dans l'intérêt du Canada ou que cela encouragerait la primauté du droit à l'échelle internationale si des groupes d'intérêts ou des particuliers pouvaient participer au processus de règlement des différends de l'OMC » (Témoignage, réunion no 93, 2 mars 1999). Pour Sylvia Ostry, une participation ouverte à tous pourrait se solder par une transformation de ces mécanismes, déjà surchargés, qui pourraient devenir des instruments de litige et de contestation de peu de valeur du point de vue d'un exercice des pouvoirs démocratique.

De nombreux témoins ont toutefois indiqué qu'ils désiraient voir les fenêtres beaucoup plus grandes ouvertes. Comme l'analyse correctement Michael Hart : « La transparence s'assortira de consultations avec un plus grand nombre d'intervenants, du désir de rendre les prises de décision et le règlement des différends plus ouverts et d'un engagement vis-à-vis de nouveaux niveaux de responsabilité » (Mémoire, Centre for Trade Policy and Law of Carleton University, avril 1999, p. 11). Une étude de l'IIDD inspirée des travaux de recherche effectués par un membre du personnel de l'OMC confirme effectivement qu'« en cas de négociations portant sur des questions de politique publique, notamment en matière de normes de santé et de sécurité ou de réglementation écologique, il n'est pas utile de maintenir le secret, car il s'agit de questions qui doivent faire l'objet d'un débat public ». La première recommandation de l'étude précisait que « les membres de l'OMC cherchent à appliquer leurs obligations en matière de transparence - dont la plupart ne s'appliquent qu'aux autres membres - à leurs propres citoyens10 ». L'Association canadienne du droit de l'environnement a plaidé en faveur d'une extension des propositions canadiennes en matière de transparence aux mécanismes de résolution des différends et aux négociations, faisant observer que le secret ne serait pas toléré dans les institutions canadiennes correspondantes et que les fonctionnaires consultent en fait les divers secteurs économiques; il y aurait donc là une situation inacceptable et déséquilibrée, « car les règles commerciales de l'OMC empêchent en fait les gouvernements nationaux d'adopter des lois visant à protéger le public » (Mémoire, Association canadienne du droit de l'environnement, 28 avril 1999, p. 1). Pour ce qui est des futures ententes, un certain nombre de témoins ont donc préconisé une divulgation pleine et entière des ébauches de textes à négocier pour que le public puisse les examiner.

« Contestabilité » et « durabilité »

Le premier de ces deux concepts est un terme de plus en plus répandu, qui a à la fois une acception technique et un sens plus général. Comme le souligne Michael Hart dans son mémoire, la « contestabilité », concept formulé dans les ouvrages d'économique, sert à réduire les pratiques faisant obstacle à la concurrence qui empêchent les marchés d'atteindre les résultats économiquement et socialement efficients dont ils seraient autrement capables. D'après les travaux récents sur l'orientation vers des marchés mondialement « contestables », il faut se pencher sur la gamme complète de politiques régissant les secteurs public et privé. D'après M. Hart : « Les gouvernements doivent commencer à envisager comment passer d'un code d'obligations conclues entre gouvernements à un code régissant le comportement du secteur privé sur le marché mondial et assorti d'institutions et de mécanismes permettant d'assurer son respect. ... Par ailleurs, un régime international régissant la contestabilité des marchés devrait reconnaître qu'une économie mondiale a besoin d'autre chose que de règles pour protéger les résultats des marchés; elle a également besoin de règles pour faire en sorte que ces résultats concordent avec des valeurs générales reflétant celles de la société civile. » (Mémoire, Centre for Trade Policy and Law of Carleton University, avril 1999, p. 9-11.)

De nombreux témoins ont convenu que les marchés internationaux avaient besoin d'un cadre de réglementation durable et « civilisant » pour « livrer la marchandise » et ne faire aucun mal, comme l'a dit Marc Lee, chercheur en économie auprès du Centre canadien de politiques alternatives, devant le Comité lors de la discussion avec M. Hart. Les représentants de l'IIDD à Winnipeg ainsi que John Kirton et Julie Solway à Toronto comptaient parmi les témoins voulant que la durabilité devienne un principe « constitutionnel » de l'OMC de manière à imprimer une orientation normative forte à l'ensemble du régime commercial. De nombreux groupes écologiques et ouvriers ainsi que des représentants d'ONG aimeraient que les futures négociations de l'OMC portent moins sur les nouvelles disciplines régissant le comportement des gouvernements - car ils prônent un plus grand pluralisme économique dans le domaine des politiques publiques - pour traiter davantage d'équité et de durabilité, concepts qui appellent des disciplines plus strictes pour les acteurs des marchés privés. De leur point de vue, des pratiques destructrices pour ce qui est de l'environnement et de la société constituent également des distorsions économiques, en raison desquelles il est plus difficile de récolter les fruits d'un régime commercial multilatéral authentiquement libéral. L'importance à accorder à cet argument suscite bien des désaccords, surtout parmi les entreprises et les divers secteurs économiques, mais il est néanmoins manifeste que les organes de l'OMC devront en tenir compte.

« Cohérence »

Pour finir, un mot d'un concept auquel le Comité reviendra au dernier chapitre du présent rapport. Plusieurs témoins, notamment Ivan Bernier, ont fait remarquer qu'il était difficile d'en arriver à une certaine concordance, même entre les multiples ententes de l'OMC. Par ailleurs, Sylvia Ostry, de l'Institut Nord-Sud, le Conseil canadien pour la coopération internationale et certains autres témoins ont signalé qu'il fallait une cohérence politique plus grande, à défaut de convergence, entre les organismes internationaux qui pourraient être tenus collectivement responsables de la conduite de l'économie mondiale. En d'autres termes, plus son mandat sera ambitieux, moins l'OMC pourra définir et assumer son mandat isolément. L'amélioration de l'OMC doit s'inscrire dans le contexte des efforts déployés en vue de la mise sur pied d'une approche intégrée relativement à l'élaboration de règles fondamentales qui conviendront à l'économie mondiale du siècle prochain. Pour l'instant, peu de progrès a été accompli à cet égard. L'ancien directeur général de l'OMC, Renato Ruggiero, a déjà proposé que la question constitue un point prioritaire à l'ordre du jour du Sommet du millénaire des Nations Unies.

Prochaine étape

L'examen, par les membres de l'OMC, d'un « Sommet du millénaire » à la Conférence de Seattle qui aura lieu plus tard cette année devrait constituer l'occasion d'amorcer une réflexion collective sur l'orientation constitutionnelle de l'organisme. Un tel examen devrait viser à redresser les lacunes fondamentales évoquées plus haut et plusieurs autres dont nous traiterons à la prochaine section. Le Comité estime que le Canada est bien placé pour atteindre ce résultat grâce à son sens de la diplomatie.

Recommandation 3

Qu'à la Conférence ministérielle de Seattle, le Canada encourage l'établissement d'un groupe de travail de haut niveau sur l'avenir de l'OMC, chargé de proposer des améliorations au système à la conférence ministérielle suivante. En tout premier lieu, on examinerait les éléments constitutionnels suivants : « souveraineté » et « subsidiarité » quant à la portée et aux limites de l'intervention de l'OMC dans l'avenir, « universalité » des obligations des membres, « transparence » et « accessibilité » de l'institution, application des principes de « contestabilité » et de « durabilité » au système commercial, « cohérence » entre toutes les composantes du système de l'OMC et avec les mandats des autres organismes internationaux.

Améliorer l'OMC : exercice démocratique des pouvoirs et structures de responsabilité

Jeffrey Schott a écrit que « la situation institutionnelle accrue de l'OMC a soulevé maintes inquiétudes chez les organisations de travailleurs, les environnementalistes et les organisations non gouvernementales (ONG), au sujet des nouveaux pouvoirs conférés à cet organisme supranational. Toutefois, contrairement aux opinions de ses plus ardents détracteurs, l'OMC n'a pas créé un monstre bureaucratique et ses fonctionnaires internationaux n'ont aucunement usurpé la souveraineté nationale des gouvernements qui en sont membres11 ». Certains de nos témoins contesteraient cette dernière affirmation, surtout ceux représentant les groupes environnementalistes et les groupes de défense de la santé publique inquiets des préjugés libre-échangistes, dont sont à leur avis entachées les décisions des groupes spéciaux de l'OMC, et des obstacles que le monde des affaires oppose à tout resserrement de la réglementation en matière de santé et de sécurité. Il est toutefois vrai que l'OMC n'est pas un grand organisme pour ce qui est du personnel et du budget, et que tout programme de réformes institutionnelles en profondeur devra prendre en compte le fait qu'elle est fortement surchargée. Comme Schott l'a déclaré au Comité : « Le manque de ressources freine déjà les activités de l'OMC. Les responsabilités de cette dernière ont déjà été grandement élargies à l'issue du Cycle d'Uruguay, mais les pays membres n'ont pas fourni de ressources suffisantes pour donner suite aux nouvelles négociations commerciales, administrer le volume croissant de différends, mener les examens des politiques commerciales et les négociations complexes en matière d'accession ainsi que pour collaborer avec la Banque mondiale et le FMI relativement aux réformes commerciales des pays en proie à une crise financière. » (Mémoire, Jeffrey Schott, mai 1999, p. 2.)

D'autres témoins ont également commenté la nécessité pour l'OMC de s'attaquer aux problèmes du renforcement des capacités, surtout en ce qui concerne la participation de la majorité des pays en développement, dans le contexte des efforts déployés pour surmonter le déficit au niveau du fonctionnement démocratique de l'organisme. L'ambassadeur canadien à l'OMC, John Weekes, qui a présidé le Conseil général de l'OMC en 1998, a fait remarquer que la dotation des 35 organes permanents se réunissant au sein du système de l'OMC représente un défi même pour un pays comme le Canada (Témoignage, réunion no 134, 11 mai 1999). Comme les préoccupations des pays en développement auront une incidence sur toutes les questions traitées lors de toutes les futures négociations, il serait bon, à son avis, que le Canada apporte un soutien technique supplémentaire, du moins aux pays dont les revenus sont les plus faibles. Richard Blackhurst, directeur de l'analyse et de la recherche économiques entre 1985 et 1997 au secrétariat du GATT/OMC, fait remarquer que :

Deux tiers des pays moins avancés déjà présents à l'OMC ne sont pas représentés à Genève. ... Cela est grave parce que l'OMC est un organisme piloté par ses membres, dans lequel les délégués jouent un rôle beaucoup plus actif au niveau des activités quotidiennes que dans tout autre organisme économique international. ... Si l'on ne fait pas en sorte d'aider ces pays très bientôt, ils ne pourront participer de façon significative aux négociations de l'OMC portant (au minimum) sur l'agriculture et les services qui commenceront avant l'an 2000 ... la demande d'assistance technique dépassera bientôt dans une très large mesure les capacités du Secrétariat de l'OMC12.

Le Comité presse le gouvernement d'envisager des projets concrets, tels que ceux qui sont avancés par Ann Weston, de l'Institut Nord-Sud, et par Sylvia Ostry, visant à accroître la capacité de conduite des affaires et de négociation de l'OMC de manière à faciliter un fonctionnement efficace qui évitera la marginalisation des pays les plus pauvres. Nous reviendrons sur ce point dans les questions de mise en oeuvre au chapitre 3.

Représentation véritable, intérêts de la société et supervision démocratique par les parlements

Concernant la capacité de l'OMC d'agir d'une manière plus démocratiquement responsable, il faut se pencher sur de graves questions de nature politique en plus de celles de nature technique. Un premier problème tient au fait que l'OMC, sorte de mutuelle dont les membres se réunissent en conférence ministérielle plénière tous les deux ans seulement, n'a pas d'organe « exécutif » ou directeur proprement constitué et pouvant être tenu responsable de l'établissement des orientations générales, de la gestion et des prises de décision en temps voulu. L'impasse récente provoquée par le choix d'un successeur à Renato Ruggiero, au poste de directeur général, pourrait être riche d'enseignements, si elle attire l'attention sur le déficit plus profond en matière de commandement. L'OMC n'a pas l'équivalent du Conseil de sécurité des Nations Unies ni des conseils des gouverneurs de la Banque mondiale ou du FMI. Ce vide structurel a été rempli dans les faits par la Quadrilatérale, constituée du Canada, des États-Unis, de l'Union européenne et du Japon. Selon certains analystes, ces derniers constituent un comité directeur non officiel. Leurs déclarations, comme celle que leurs ministres du commerce ont prononcée à la toute dernière réunion à Tokyo à la mi-mai et dans laquelle ils disaient appuyer le lancement d'un sommet du millénaire à Seattle et se prononçaient en faveur d'une accession rapide de la Chine à l'OMC, sont perçues comme des décisions émanant de l'organe de direction. Et pourtant plus de 100 pays en étaient absents! Robert Wolfe, Sylvia Ostry et Jeffrey Schott, en particulier, prônent la création d'un comité de direction officiel afin de contribuer à la résolution du problème. Pour le Comité, un tel organe devra mettre sur pied une structure représentant les diverses régions à tour de rôle de manière à être le porte-parole de l'ensemble des membres et non de quelques privilégiés.

Pour ce qui est de l'exercice démocratique de l'autorité de l'OMC, un second problème tient aux relations de l'organisme avec les interlocuteurs autres que des gouvernements et avec les citoyens des sociétés sur lesquelles les décisions de l'OMC ont de plus en plus d'effet. Étant donné ses origines conservatrices et minimalistes venues du GATT et les réticences constantes de certains de ses pays membres, l'OMC s'est lentement ouverte au concept de la participation des ONG et de la « société civile ». Mais, comme les autres organismes intergouvernementaux tels que les Nations Unies et la Banque mondiale, l'OMC dispose désormais d'une gamme de mécanismes visant à « améliorer le dialogue avec la société civile », notamment des réunions d'information régulières à l'intention des ONG, une portion de son site dédié à la question, la diffusion des énoncés de principe des ONG aux membres de l'OMC et, au cours des quelques dernières années, la tenue de colloques annuels sur des questions de commerce et de développement ou de commerce et d'environnement auxquels des centaines d'ONG d'un peu partout au monde sont invitées. Toutefois, de nombreuses ONG doutent toujours d'avoir atteint une visibilité importante et demeurent mécontentes du peu de progrès au chapitre de la transparence, de l'accessibilité et de la responsabilité vis-à-vis du public13. Un grand nombre de témoins se sont prononcés en faveur d'une consolidation de la participation grâce à des améliorations institutionnelles qui devraient, entre autres choses, pour reprendre la liste du Mouvement canadien pour une fédération mondiale (Mémoire, Mouvement canadien pour une fédération mondiale, avril 1999) :

· viser un accès élargi et plus rapide aux documents de travail;

· permettre au public de jouer un rôle d'observateur lors des délibérations relatives aux règlements de différends et devant un organe d'appel;

· prévoir l'examen obligatoire des mémoires d'amicus curiae;

· prévoir la participation des ONG aux réunions de l'OMC et l'amélioration des consultations entre l'OMC, les ONG, les gouvernements membres et les entreprises.

Pour ce qui est de ce dernier point, le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (CIDPDD) a précisé dans son mémoire que l'OMC pourrait s'inspirer des enseignements de la Conférence de la Havane et des modalités de sa propre charte constitutive pour institutionnaliser la participation des ONG de sorte que celles-ci contribuent aux droits et aux politiques commerciales internationales « en qualité d'experts, en donnant leur réaction aux compromis possibles, en présentant de nouvelles idées dans les débats de fond, en obtenant l'appui du public nécessaire à l'approbation par le Parlement et en jouant le rôle d'organe de surveillance des engagements du gouvernement »14. Le CIDPDD a donc recommandé « que les groupes de la société civile aient la possibilité de présenter leurs points de vue, de façon régulière, devant les comités de l'OMC, et que cette dernière prenne des dispositions pour que les ONG aient accès aux débats et aux délégués officiels à la Conférence ministérielle et aux autres réunions de haut niveau » (Mémoire, CIDPDD, mars 1999, p. 20-21).

Une participation accrue des ONG peut toutefois être source de complications, les gouvernements ayant notamment à « juger de la manière dont des ONG sont représentatives d'intérêts spéciaux et de l'opinion publique en général 15». Dre Nola-Kate Seymoar, qui a témoigné devant le Comité à Vancouver le 27 avril, a laissé entendre que les ONG elles-mêmes savent en général quels sont les porte-parole les plus représentatifs. Elle comptait également parmi les témoins qui préconisaient la mise sur pied de mécanismes par lesquels les citoyens pourraient faire entendre leur voix lors de négociations et auxquels participeraient tous les niveaux de gouvernement, notamment provincial, local et autochtone. Au Canada même, il serait utile, pour résoudre le problème de la représentation à l'échelon national, de mettre en oeuvre un processus consultatif public suffisamment bien construit, comme le demande le Comité dans sa première recommandation. L'OMC, quant à elle, devrait étudier sérieusement la possibilité de reconnaître des représentants autres que des États-nations, qui pourraient obtenir éventuellement un certain statut selon le processus auquel ils prennent part, tout en prenant soin de donner voix au chapitre aux organismes de la société civile de pays en développement, et ne pas simplement écouter les ONG des pays du Nord, mieux financées et dont le programme pourrait être suspect aux yeux de la plupart des gouvernements des pays du Sud.

Par ailleurs, si l'OMC procède à des réformes visant à se doter de meilleurs organes de direction et de meilleurs liens avec les sociétés, quelle sera la place des institutions cruciales en matière de médiation et de délibération que sont les gouvernements parlementaires représentant les divers membres?

Selon une étude récente portant sur l'ensemble des questions de responsabilité liées à l'OMC, il n'y a pas de système de « freins et de contrepoids », et le rôle des parlements nationaux mérite une attention particulière puisqu'ils ne jouent, à quelques exceptions près, qu'un « rôle très marginal dans l'orientation du système commercial multilatéral ». En plus de renforcer le rôle des parlements dans la formulation des politiques commerciales au sein des divers pays (voir la première recommandation du Comité), l'OMC devrait, d'après les auteurs de l'étude, s'équiper d'un mécanisme formel lui permettant de recevoir la contribution des parlementaires, laquelle ne se limiterait plus à une présence occasionnelle d'observateurs lors des conférences de l'OMC. Les auteurs suggèrent même de créer un « parlement de l'OMC 16». Un certain nombre de témoins appuyaient dans l'ensemble l'instauration d'une surveillance parlementaire parmi les mesures visant à promouvoir la démocratisation de l'OMC. Par exemple, le Conseil canadien pour la coopération internationale a envisagé une réforme des structures de l'OMC « pour permettre une supervision parlementaire du travail des ministres du Commerce qui s'acquittent des négociations » (Mémoire, CCCI, mars 1999, p. 6). D'autres, comme le Sierra Club (Mémoire, Sierra Club, avril 1999), acceptaient le concept « d'assemblée parlementaire » de l'OMC avec plus de réticence, soucieux peut-être qu'ils étaient que cette asemblée nuise à l'intérêt porté aux relations OMC-ONG et à la légitimité politique de ces dernières.

L'argument le plus enthousiaste et le plus explicite qu'ait entendu le Comité a été présenté par le Mouvement canadien pour une fédération mondiale, le 27 avril, à Toronto :

À beaucoup d'égards, le débat sur le commerce et la gouvernance se réduit à la nécessité d'en arriver à un compromis, de concilier des objectifs de politique publique conflictuels. Dans toute communauté politique démocratique mûre, l'unique institution apte à représenter les citoyens est un parlement. L'OMC est actuellement constituée de représentants de gouvernements qui sont en fin de compte les porte-parole des institutions au sein d'un système d'État-nation, mais une assemblée parlementaire ferait entendre une voix nouvelle et différente dans le débat international sur les questions de commerce et de gouvernance.

Le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire de l'OSCE constituent de bons exemples de la façon dont des organes politiques supranationaux peuvent voir le jour et évoluer. Selon nous, le Comité devrait approuver l'objectif de création d'une assemblée parlementaire pour l'OMC. (Mémoire, Mouvement canadien pour une fédération mondiale, 27 avril 1999)

Le Comité sait bien qu'il ne sera pas facile d'atteindre un tel but. À l'instar des autres grandes réformes de fond, un tel objectif devrait être négocié par un grand nombre de gouvernements et il faudra surmonter certains obstacles. Néanmoins, nous prenons note de la réaction favorable au point de vue de l'ambassadeur Weekes, selon lequel cet objectif rencontrerait sans doute moins de résistance parmi les membres de l'OMC à Genève que l'accroissement de la participation des ONG, puisque les représentants des parlements élus ont de toute évidence pour mandat de représenter leurs citoyens dans leur ensemble.

Ayant tenu compte de toutes les considérations exprimées ci-dessus, le Comité est convaincu que le Canada jouit d'une marge de manoeuvre considérable pour faire avancer un certain nombre de questions de responsabilité et d'exercice démocratique des pouvoirs des institutions de l'OMC. Cette dernière étant toujours « en chantier », nous ne chercherons pas à concevoir du jour au lendemain une solution parfaite, mais nous concentrerons plutôt sur les améliorations réalisables et sur l'atteinte d'un consensus parmi les pays ayant une vision commune, avant, pendant et après la conférence de Seattle.

Recommandation 4

Qu'à la Conférence ministérielle de Seattle, le Canada exerce des pressions pour que l'OMC s'engage à examiner un ensemble d'améliorations institutionnelles à long terme du système de l'OMC visant à consolider l'exercice démocratique des pouvoirs, notamment en :

· augmentant les effectifs du Secrétariat de l'OMC;

· offrant une aide accrue aux pays les moins développés de manière que tous les membres puissent participer d'avantage aux processus de l'OMC;

· créant un comité exécutif de l'OMC qui soit largement représentatif;

· établissant des rapports plus institutionnalisés avec les organismes représentant la société civile et en continuant d'améliorer l'accès du public à l'information;

· envisageant de créer une Conférence permanente des parlementaires de l'OMC, composée de délégations représentatives des Parlements des pays membres.


1# « The Coming Challenge: Global Sustainable Development for the 21th Century », discours prononcé dans le cadre du Symposium de haut niveau de l'OMC sur le commerce et l'environnement, Genève, le 17 mars 1998.

2# Sylvia Ostry, «L'avenir de l'OMC», Mémoire présenté à Toronto au Brookings Trade Policy Forum, Washington, les 15 et 16 avril 1999 et présenté au Comité, à Toronto, le 27 avril. Voir également Gilbert Winham, « The World Trade Organization: Institution-Building in the Multilateral Trade System », World Economy, mai 1998, p.349-368; et Raymond Vernon, « The World Trade Organization: A New Stage in International Trade and Development », Harvard International Law Review, printemps 1995, p.329-340.

3# « 1999 World Trade Organization Ministerial to be Held in Seattle », communiqué, Bureau du représentant américain du commerce, Washington (D.C.), 1er février 1999.

4# « Le rôle du Canada à l'OMC et dans les négociations du cycle du millénaire », Mémoire, Robert Wolfe, 2 mars 1999, p. 7.

5# Robert Wolfe et John M. Curtis, « Providing Leadership for the Trade Regime », dans Fen Hampson et Maureen Molot, éditeurs, Canada Among Nations 1998: Leadership and Dialogue, Toronto, Oxford University Press, 1998, p.138-139.

6# Mémoire, Sylvia Ostry, avril 1999, p. 10-11.

7# Susan Hainsworth, « Sovereignty, Economic Integration, and the World Trade Organization », Osgoode Hall Law Journal, automne 1995, p.620-621; voir également Kent Jones, « Who's Afraid of the WTO? », Challenge, janvier-février 1998.

8# Nicholas Hardy, China's WTO Membership, énoncé de politique no 47, Washington (D.C.),Brookings Institution, avril 1999, p. 7.

9# « Transparency in WTO Work », propositions révisées par les États-Unis et le Canada et présentées au Conseil général, à Genève, le 14 octobre 1998. Dans l'énoncé de principe présenté par les États-Unis le 27 janvier 1999 et intitulé « Preparations for the 1999 Ministerial Conference », il est dit qu'il faut agir de toute urgence dans ces domaines (de la transparence et de l'ouverture) pour rétablir la crédibilité dans le procédure de règlement des différends de l'OMC.

10# Alice Enders, « Openness and the WTO », Institut international du développement durable, Winnipeg, n. d., p. 3 et 31-32 de l'exemplaire versé dans Internet que l'on peut consulter à l'adresse http://iisd.ca/trade/wto.

11# Jeffrey Schott, « L'Organisation mondiale du commerce - Programmes réalisés et chemin parcouru » (1998), p. 4.

12# Richard Blackhurst, « The WTO and the Global Economy », World Economy, 1997, p. 14. Pour un point de vue plus récent sur la question, consulter Constantine Michalopoulos, « The Developing Countries in the WTO », World Economy, janvier 1999, p. 117-143.

13# Voir le document intitulé « Joint Civil Society Statement on the WTO High-Level Symposia on Trade and Environment and Trade and Development » annexé au mémoire du 18 mars du Conseil canadien pour la coopération internationale.

14# Steve Charnovitz, « Participation of Non-governmental Organizations in the WTO », University of Pennsylvania Journal of International Economic Law, 1996 p. 340, cité par le CIDPDD dans « Trading in Rights: The Need for Human Rights Sensitivity at the World Trade Organization », 24 mars 1999, p. 20.

15# Voir Nicholas Hopkinson, Sommaire de la Conférence de Wilton Park sur le thème « The Global Trade Agenda » (Royaume-Uni, décembre 1998). C'est un point qu'a également soulevé l'ambassadeur Weekes dans son témoignage devant le Comité, 11 mai 1999.

16# Christophe Bellmann et Richard Gerster, « Accountability in the World Trade Organization », Journal of World Trade, décembre 1996, p. 50 et suivantes.