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FAIT Rapport du Comité

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L'OMC ET LA PROMOTION DES VALEURS SOCIÉTALES
DANS LE MONDE

« Ce qu'en disent les Canadiens »

Il faudrait être fou pour affirmer que le commerce international est nécessairement mauvais ... En fait, un régime équitable de commerce international pourrait tous nous libérer de la pauvreté et de l'oppression, distribuer la richesse de façon plus équitable et permettre aux gouvernements de vour au bien-être de leur population ... Le problème, c'est que les organisations mondiales alimentent l'avidité des grandes sociétés au détriment des gens ordinaires. Les grandes sociétés n'ont pas de conscience parce que les responsabilités ne sont pas assumées par une personne en particulier. Et quand les responsabilités ne sont pas assumées par une personne en particulier, personne n'est responsable. C'est aux gouvernements qu'il revient alors de prévoir les mesures de contrôle et de protection qui s'imposent. (Témoignage)

Sister Anne Bezaire
Ecumenical Coalition for Economic Justice of Wallaceberg
Vendredi, 30 avril 1999
Windsor

De nos jours, la plupart des pays imposent des normes élevées au chapitre des droits des travailleurs et de la protection de l'environnement. Il est faux de dire que les pays vont abaisser leurs normes de travail et de protection de l'environnement pour soutenir la concurrence. En fait, c'est le contraire qui se produit. Il faut comprendre clairement que les signataires de l'OMC ne vont pas faire des compromis au niveau des normes en matière de travail, de santé, de sécurité ou d'environnement pour attirer des investissements étrangers. (Témoignage)

Gordon Peeling
Association minière du Canada
Mardi, 27 avril 1999
Toronto

Étant donné que les sociétés se préoccupent essentiellement du montant de leurs bénéfices, il me paraît bien naïf de s'attendre qu'elles se réglementent elles-mêmes. On n'a d'autres choix que d'imposer des normes de comportement et de les faire respecter. (Témoignage)

Marion Odell
Mardi, 27 avril 1999
Toronto

Je pense que la plupart des Canadiens ne voudraient pas de libre-échange avec des pays qui persécutent les syndicalistes, les minorités ethniques ou religieuses, ou qui ont tout simplement des gouvernements instables ou dictatoriaux. (Mémoire)

John Murray
"Alternatives North"
Mercredi, 28 avril 1999
Edmonton

Nous estimons que toutes les politiques gouvernementales, ce qui comprend la politique en matière d'échanges et d'investissement internationaux, doivent accorder la priorité à un ensemble de valeurs humaines que les accords doivent honorer et non compromettre et fouler du pied :... dignité humaine, responsabilité mutuelle, équité sociale, équité des sexes, équité économique, équité fiscale et préservation de l'environnement. Le Canada, et en particulier les pays développés, doit avoir la liberté de mettre en oeuvre des solutions innovatrices pour remédier à la pauvreté et aux inégalités, pour préserver les normes de travail et pour répondre aux aspirations des Autochtones. (Témoignage)

Merv Harrison
"Multi-Faith Social Justice Circle of Saskatoon"
Vendredi, 30 avril 1999
Saskatoon

Si la condition pour que nous soyons plus performants en matière de commerce international est que nous devenions sud-coréens ou américains et que nous prenions les caractéristiques économiques de ces pays-là, je considère qu'il y a un problème et que nous devons alors faire l'exercice intellectuel de nous opposer à l'expansion du commerce international et de trouver des solutions alternatives. Autrement dit, le commerce international, oui, mais pas à n'importe quel prix, surtout pas au prix de notre personne internationale, de notre rôle à jouer sur la scène internationale et de notre spécificité canadienne. (Témoignage)

Thomas Lavier
Jeudi, 25 mars 1999
Montréal

Qu'est-ce que l'Église connaît à l'économie? Nous n'en savons peut-être pas beaucoup sur les nombreuses théories économiques, mais nous en savons plus qu'il n'en faut sur les réalités économiques du monde d'aujourd'hui, sur l'incroyable souffrance qu'éprouvent tant de gens dans le monde. Nous en imputons la faute à la volonté de certains gouvernements de permettre aux multinationales d'imposer leur volonté au niveau des échanges internationaux. (Mémoire)

Reverend Tony Haynes
Diocèse catholique romain de Saskatoon
Vendredi, 30 avril 1999
Saskatoon

...ma principale objection au cadre de tous ces accords est l'hypothèse dominante que le commerce est plus important que n'importe quelle autre activité humaine ou que la santé environnementale de notre planète. Cette hypothèse est tellement tenue pour acquise par les partisans du libre-échange qu'ils ont complètement oublié que l'hypothèse même doit être justifiée. Mais comment pouvez-vous expliquer les récentes actions de l'OMC qui ont renversé des lois nationales conçues pour protéger l'air propre, les espèces en danger, la sécurité de la chaîne alimentaire, la diversité culturelle, l'hygiène publique et les droits de la personne? (Témoignage)

Dr. Shane Koscielniak
Lundi, 26 avril 1999
Vancouver

Dans toute négociation, il faut penser d'abord et avant tout à prendre des décisions responsables, en particulier au niveau économique, que l'on peut justifier à ses propres yeux, aux yeux de sa collectivité et, en bout de ligne, aux yeux de Dieu... Il doit exister des mécanismes permettant de renverser des décisions commerciales internationales lorsque celles-ci vont à l'encontre du rôle légitime d'administrateur responsable des États souverains. Si ces décisions ne sont pas renversées, l'Organisation mondiale du commerce devra prendre l'initiative d'incorporer ces objectifs plus larges aux accords eux-mêmes. (Mémoire)

Roger Petry
Saskatchewan Synod Evangelical Lutheran Church in Canada
Vendredi, 30 avril 1999
Saskatoon

Je terminerai par une citation [de] ...Herman Daly, qui a déjà travaillé à la Banque mondiale...Cet auteur affirme que le onzième commandement devrait être: «Tu ne permettras pas une inégalité illimitée dans la distribution de la propriété privée». Dans tout débat sur l'Organisation mondiale du commerce ou dans toute négociation commerciale, la question de l'inégalité devrait être primordiale. Notre société ne sera pas saine Daitant que ces inégalités, auxquelles les autres ont déjà fait allusion, existeront, car elles causent des dommages incalculables. (Témoignage)

Derwyn Davies
Lundi, 26 avril 1999
Winnipeg

Il ne faut pas réduire les gens à leur condition de consommateurs ou d'investisseurs, car cela reviendrait à faire abstraction de leur capacité, en tant que citoyens, d'établir des relations démocratiques et de protéger les intérêts de leurs voisins et de leur communauté. (Témoignage)

William R. Adamson
Vendredi, 30 avril 1999
Saskatoon

... les ententes futures doivent contenir des dispositions permettant aux pays, ou à des structures politiques locales, d'empêcher certaines choses d'être assimilées à des produits... Les pays et les collectivités doivent pouvoir refuser qu'on assimile certaines choses à des produits. C'est un enjeu important au Canada où beaucoup de gens continuent de se battre pour que les soins médicaux et l'éducation continuent de relever des pouvoirs publics. Dans d'autres sociétés, ce type de préoccupation englobe aussi le territoire, les connaissances traditionnelles ou autochtones, et la propriété intellectuelle. (Mémoire)

Jim Handy
Professeur, Université de la Saskatchewan
Vendredi, 30 avril 1999
Saskatoon

Il devrait être inconcevable de penser que l'adoption d'un ensemble commun de règles régissant le commerce et l'investissement est incompatible avec le bien-être social. Malheureusement, ce ne l'est pas. L'exclusion de la société civile de décisions qui la touchent aussi profondément risque non seulement d'aboutir à de mauvais accords commerciaux, mais aussi de susciter des troubles croissants dans le monde entier. (Mémoire)

Warren H. Peterson
"Saskatchewan Health Coalition"
Vendredi, 30 avril 1999
Saskatoon

J'espère que lorsque vous allez négocier ces accords commerciaux, que ce soit à l'OMC ou ailleurs, vous allez penser à ces générations futures, à ces enfants. Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui-non pas que ça me plaise tellement d'y être-mais c'est parce que je pense à l'avenir que nous préparons à mes petits-enfants et aux vôtres. (Témoignage)

Cynthia Cooke
Lundi, 26 avril 1999
Winnipeg

Bien que le monde dans son ensemble s'enrichisse et que les machines font maintenant ce que les habitants des soi-disant pays industrialisés faisaient auparavant eux-mêmes, nous n'avons pas encore trouvé de façons d'apaiser les souffrances des pauvres. Ainsi, un des malheureux «effets secondaires» de la croissance économique est la destruction de l'environnement, tout comme l'un des malheureux effets secondaires des bombardements en Yougoslavie est la mort de civils, ce qu'on appelle les dommages collatéraux. Pendant combien de temps encore le monde tolérera-t-il ces effets secondaires? (Témoignage)

Barry M. Hammond
Lundi, 26 avril
Winnipeg

L'OMC et la promotion des valeurs sociétales dans le monde

Le gouvernement a toujours maintenu que nos échanges commerciaux nous permettent d'exporter non seulement nos produits, mais aussi nos valeurs; que l'économie mondiale doit être un milieu humain où le bon gouvernement, la démocratie et la primauté du droit font partager à toutes les couches de la société les fruits de la libéralisation du commerce. Nous n'avons jamais cru qu'il était nécessaire de vendre notre âme pour vendre nos marchandises. Et tout comme nous avons la responsabilité de protéger les droits individuels et de maximiser les chances dans notre propre société, nous croyons avoir des obligations semblables à l'égard de la communauté mondiale que nous sommes en train de créer par la libéralisation du commerce.

l'honorable Sergio Marchi, ministre du Commerce international1

...les pressions de plus en plus fortes exercées dans certains milieux en vue de mesures commerciales unilatérales sont un résultat paradoxal de la recherche actuelle de solutions mondiales aux questions environnementales, sociales et autres. Mais quelles normes environnementales, quelles traditions culturelles, quels systèmes politiques représentent une norme universelle? Laquelle de ces valeurs et de ces normes devrait être imposée à d'autres pays? Et voulons-nous vraiment que l'OMC soit juge et partie et gardienne de nos valeurs environnementales, sociales et morales? Non seulement nous voudrions que le système commercial joue un rôle qui ne lui a jamais été destiné, mais, pire encore, c'est le moyen le plus sûr d'empoisonner l'esprit de collaboration internationale dont nous avons désespérément besoin pour commencer à nous attaquer aux défis plus vastes du prochain siècle.

Renato Ruggiero, ex-directeur général de l'OMC2

En quête de valeurs publiques mondiales

Dans sa dernière allocution publique comme directeur général de l'OMC, M. Ruggiero a lui-même suggéré un début de solution à l'impasse mentionnée ci-dessus. « La mondialisation doit être plus qu'un slogan ou la vague expression d'un sentiment commun, a-t-il déclaré. Nous devons trouver de nouvelles valeurs mondiales qui peuvent être partagées par toute la collectivité mondiale, à l'heure où elle subit tant de transformations3. » Mais il est loin d'avoir tout dit. Quelles sont ces valeurs exactement? Comment peut-on les intégrer dans les règles et les pratiques du régime international de commerce et d'investissement? Et quel est précisément le rôle que l'OMC peut et doit jouer à cet égard? Voilà les questions sur lesquelles le Comité se penchera dans ce chapitre.

Même si les accords OMC sont nombreux, c'est en vain que l'on pourrait en chercher un qui porte sur ce que l'OIT, dont le siège est situé à proximité de celui de l'OMC à Genève, appelle les « dimensions sociales » du commerce dans ses documents officiels. Cela s'explique en partie par le legs historique de la Charte de la Havane et du projet avorté d'OIC, qui laissa seulement le GATT, instrument beaucoup plus limité, pour faciliter le commerce, grâce à son principe fondamental de non-discrimination. Le régime du GATT n'était pas dénué de valeurs et son article XX sur les exceptions générales permettait notamment aux gouvernements (les parties contractantes) d'exercer une discrimination légitime en fonction de certains critères publics. Il fallait toutefois s'assurer que les mesures en question seraient les moins restrictives possible pour le commerce. Les mémoires remis au Comité par les groupes syndicaux et environnementaux en particulier ont fait valoir ceci : ce facteur et les règles subséquentes régissant les normes des produits, telles que les groupes spéciaux de règlement des différends du GATT et de l'OMC les interprètent, ont eu pour effet de rétrécir au lieu de préserver la portée de la réglementation d'intérêt public à l'égard de l'environnement de la santé et de la sécurité publiques.

La valeur première préconisée par le régime du GATT était sans contredit celle d'un commerce libéralisé sur une base non discriminatoire. L'adhésion au GATT n'imposait presque pas d'autres obligations concrètes aux pays pour ce qui est des valeurs internationales. De plus, parce que le GATT n'a jamais été intégré au système de l'ONU, ses normes ont évolué sur une voie bien distincte pendant son premier demi-siècle d'existence. Certains diront que ce fut une bonne chose, car les règles plus étroites du GATT semblent avoir mieux atteint leurs objectifs que bien des initiatives de l'ONU. Pendant que l'ONU multipliait les déclarations, le GATT travaillait tranquillement à sa raison d'être, les pratiques commerciales. Or, l'OMC est issue du cadre du GATT. Comme un témoin l'a indiqué dans son mémoire : « L'OMC est le reflet d'un parti pris institutionnel selon lequel le commerce est purement une question économique. Sa structure isole ce parti pris des autres domaines d'intérêt public, notamment culturel, social et environnemental4 »

Le problème, bien sûr, est qu'il n'est plus réaliste de maintenir ces compartiments séparés si, comme le ministre Marchi l'a affirmé dans son Témoignage, le commerce international est devenu essentiellement local et a des effets dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. Selon le mémoire du Conseil national des femmes du Canada (Mémoire, avril 1999, p. 5) : « Même si l'OMC n'a pas été conçue pour étudier des questions sociales et environnementales, ses décisions peuvent avoir des conséquences sociales et environnementales profondes. » À Saskatoon, un témoin a cité un éditorial sur l'OMC paru dans un journal britannique : « Il ne fait pas de doute que le libre-échange peut contribuer au développement et générer de la richesse, mais seulement si les enjeux sociaux et ceux ayant trait à l'environnement et à la santé ont été pris en compte dans les règles de maintien de l'ordre. Si les règles sont écrites par les puissants et demeurent purement économiques, elles seront toujours préjudiciables à l'égard des faibles5. » Le mémoire du Conseil canadien pour la coopération international a résumé l'opinion suivant laquelle un système économique internationale qui ne contribue pas délibérément et directement au développement humain durable est sérieusement déficient. Il ne suffit pas d'énoncer les objectifs ( il faut intégrer les éléments qui feront que l'économie mondiale augmentera la capacité des gouvernements locaux et nationaux au lieu de la réduire, favorisera la protection de l'environnement au lieu de l'attaquer, et rehaussera les normes syndicales et sociales au lieu de les abaisser (Mémoire, « Bringing the WTO Back to International Humanitarian Values », 18 mars, p. 3).

Presque tous les témoins ont reconnu qu'il fallait établir d'une façon quelconque un lien entre la promotion du commerce et les autres valeurs sociétales au moment d'établir des politiques nationales et internationales. Les valeurs les plus souvent mentionnées étaient notamment : la protection de l'environnement et la durabilité des ressources, la santé et la sécurité du public, la sécurité alimentaire, la justice sociale, l'équité des sexes, le respect de tous les droits de la personne et la participation démocratique. Même si ces valeurs ne sont pas exclusivement canadiennes (la plupart étaient inspirées de différents instruments internationaux que la plupart des membres de l'OMC ont signés et qui proclament des obligations de nature universelle), on a dit clairement au Comité que beaucoup de Canadiens considèrent ces valeurs comme fondamentales pour déterminer les politiques économiques et internationales du Canada. Il s'ensuit que les négociations commerciales doivent viser davantage que la maximisation d'intérêts particuliers, ou des intérêts canadiens dans leur sens étroit, mais doivent être considérées et évaluées globalement suivant une démarche transparente avec reddition de comptes au public. Pour de nombreux témoins, ces questions étaient primordiales. Voici ce qu'a dit à ce sujet Tony Hayden, directeur de l'action sociale pour le diocèse catholique de Saskatoon :

Nous sommes tous experts lorsqu'il s'agit de débattre le genre d'avenir économique que nous voulons construire pour le prochain millénaire. Dans un sens bien réel, la question des traités internationaux sur le commerce et l'investissement est un débat de valeurs, particulièrement l'idolâtrie des valeurs de concurrence et de croissance économique illimitée propres au libre marché, sans compter l'irresponsabilité écologique et l'exclusion grandissante des moins nantis. N'est-il pas plutôt temps de nous attacher aux valeurs humaines, communautaires et même spirituelles que nos sociétés surdéveloppées ont malheureusement découragées? (Mémoire, 30 avril 1999.)

Mais comment le système commercial dans sa forme actuelle peut-il venir à bout de telles questions? On se doute bien que les démarches établies pour orienter le commerce n'ont pas été conçues pour y répondre. Relativement peu de témoins du secteur des affaires et de l'industrie ont parlé des impacts sociaux des relations commerciales du point de vue des valeurs. Mais ceux qui l'ont fait ont reconnu pour la plupart qu'il existait des liens. Ils étaient cependant mal à l'aise avec l'idée d'utiliser des instruments conçus pour abaisser des obstacles au commerce entre les pays dans le but de corriger des problèmes sociaux et de promouvoir des objectifs sociaux. Cela ne ferait-il pas rater le premier objectif tout en faisant du second un fardeau impossible? Comme Joel Neuheimer, directeur de l'accès aux marchés pour l'Association canadienne des pâtes et papiers l'a expliqué au Comité : « Le message que nous voulons transmettre est que l'OMC ne peut pas être l'organisation qui s'occupe à la fois du commerce mondial, de l'environnement mondial, du travail mondial et de tous les autres vides qu'il y a à combler. Sa vocation, son but et sa mission sont la libéralisation du commerce, et nous pensons que c'est très bien ainsi. Nous ne voulons pas que sa capacité d'action soit restreinte d'une façon quelconque comme ce serait le cas si elle devait régler d'autres problèmes sociaux et environnementaux. » (Témoignage, réunion n° 117, 22 avril 1999)

Définir les dimensions sociales et éthiques d'un régime commercial mondial

Les questions de souveraineté, d'intégrité des politiques sociales, de protection de l'environnement, de maintien de l'identité nationale et d'un meilleur partage des bienfaits du commerce ont autant de résonance au Canada qu'ailleurs. Le Canada continuera de se pencher sur ces questions et de maintenir l'intégrité de ses politiques sociales en prenant bien en considération les impacts sociaux dans la formulation des initiatives de politique commerciale. Le Canada continuera de s'assurer, avec ses secteurs public et privé ainsi qu'avec ses partenaires commerciaux de l'OMC, que la libéralisation du commerce et de l'investissement ne nuit pas aux valeurs fondamentales, aux normes, à la culture, ou au droit du gouvernement de réglementer dans l'intérêt légitime du public dans le vaste contexte de la primauté du droit en commerce international.

Rapport du gouvernement du Canada à l'Organe de révision des politiques commerciales de l'OMC, Genève, 18 novembre 1998, p. 10

À quoi ressemblerait un régime commercial mondial qui répartirait les avantages de la libéralisation des échanges économiques au sein des sociétés tout en étant sensible aux valeurs non commerciales et névralgiques des citoyens de ces sociétés? Le problème peut être double : 1) est-ce que les règles commerciales peuvent être construites de manière à éviter, ou à tout le moins à réduire au minimum, les incidences négatives sur les collectivités humaines et le monde naturel (qui constituent une source de richesse formidable en ce qui a trait au capital social et écologique pour les générations futures)? et 2) est-ce que les règles commerciales peuvent être construites de manière à promouvoir, ou à tout le moins à ne pas entraver, les politiques publiques ainsi que les initiatives privées ou mixtes ONG-gouvernements qui sont positives et qui font appel aux mesures commerciales pour atteindre des objectifs valorisés socialement6.

Les règles commerciales issues du GATT sont de plus en plus complexes, et dans l'atmosphère plus litigieuse de l'OMC, certaines réponses sont forcément complexes aussi. Nous nous pencherons en détail sur les préoccupations relatives à l'environnement et à la santé humaine au chapitre 12, ainsi qu'au travail et aux droits de la personne au chapitre 13. Pour l'instant, nous tenons à signaler la primauté de la fin par rapport aux moyens dans la société internationale; le commerce mondial libéralisé n'est pas une fin en soi, ni un article de foi, mais un moyen vérifiable d'améliorer le bien public en général.

L'idée n'est pas que philosophique; elle a des conséquences empiriques et juridiques. Comme l'indiquait le mémoire du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (Mémoire, 24 mars 1999) «Il est évident que nous pouvons produire plus, consommer plus, commercer plus, investir plus et faire circuler plus d'argent que jamais autour de la planète. Mais si cela ne s'accompagne pas d'une diminution de la faim, d'une plus grande dignité pour les travailleurs et d'un plus grand respect des droits de la personne, c'est que nous avons confondu la fin et les moyens. » (Mémoire, CIDPDD, 24 mars 1999) Le CIDPDD a ensuite fait valoir avec force que les accords OMC devaient reconnaître la primauté du droit international des droits de la personne et être sensibles à leur incidence possible sur les droits de la personne. Bruce Porter, membre du Comité des ONG sur les droits de la personne en matière de commerce et d'investissement, a suggéré au Comité d'intégrer « une sorte de disposition sur les droits de la personne dans les traités sur le commerce et l'investissement qui mettrait à l'abri des contestations les programmes ou mesures de protection ou de réalisation des droits de la personne ratifiés en droit international et adresserait ces types de questions aux organes nationaux ou internationaux ayant compétence en matière de droits de la personne7. »

Nous reviendrons sur ces points au chapitre 13, mais quelques exemples aideront à illustrer notre idée. Alors que certains témoins estiment qu'il est conforme aux objectifs de libre-échange de renforcer les règles multilatérales pour protéger les droits de propriété intellectuelle et les droits des investisseurs, beaucoup d'autres pensent que ces droits (qui, contrairement aux droits de la personne en général, figurent de plus en plus dans les traités internationaux sur le commerce et l'investissement) peuvent entrer en conflit avec des droits de la personne plus fondamentaux8. Par exemple, des groupes de revendication en matière de santé et de consommation, des groupes étudiants et d'autres aussi ont soulevé des questions à l'égard de ce qui suit : le droit d'entrée, d'établissement et de « traitement national » pour les sociétés de services de santé et d'éducation privés; la prolongation des brevets des sociétés pharmaceutiques; la propriété industrielle et commerciale des emballages de cigarettes; l'obtention de brevets par les grandes entreprises transnationales à l'égard d'organismes modifiés génétiquement et d'autres formes de vie. De qui doit-on protéger les droits dans l'intérêt public? Qu'est-ce qui est conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne?

Au niveau de l'OMC, le défi consiste à déterminer comment on peut corriger les anomalies existantes et parvenir à une véritable cohérence entre les moyens de libéralisation du commerce et le respect des normes reconnues à l'échelle internationale. Comme l'écrit Dani Rodrik dans un nouveau livre sur les négociations commerciales mondiales, il est difficile d'imaginer une explication cohérente suivant laquelle les droits de propriété intellectuelle relèveraient de l'OMC, mais non les normes du travail et de l'environnement. De même, pourquoi devrait-on permettre aux entreprises de se protéger contre la concurrence déloyale en imposant des droits antidumping et des droits compensateurs aux producteurs étrangers alors que les syndicats n'ont pas le même privilège devant la concurrence des pays qui appliquent mal les normes du travail9.

Bien sûr, la raison pour laquelle les droits de propriété intellectuelle constituent un aussi bon exemple est qu'ils ont fait le saut à l'OMC dans l'Accord sur les ADPIC, même s'ils étaient déjà reconnus dans les traités existants sur la propriété intellectuelle et étaient visés par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. « De toute évidence, écrit Michael Hart, on a jugé important d'inscrire ces protections dans le cadre du régime commercial et de les assortir des pouvoirs d'application de ce régime. » Il ajoute : « La même approche serait peut-être nécessaire pour l'investissement, la politique de concurrence et les questions sociales 10. » Mais l'OMC est-elle à la hauteur? Comme M. Hart l'a dit au Comité à Vancouver :

Il y a un vaste consensus en ce qui concerne les droits de la personne. Il y a également un large consensus en ce qui concerne les normes de base en matière de travail è l'échelle internationale. Et on s'entend également sur la protection de l'environnement. Ce qui manque, c'est la capacité d'intégrer ces ententes au droit national et à les faire appliquer. La clé du problème est de trouver le pont entre le mécanisme de mise en application de l'OMC et ces autres ententes internationales, voilà où se trouve le défi.

(Témoignage, réunion no 120, 26 avril 1999, Vancouver)

Vers un Accord OMC sur la dimension sociale

« L'OMC plaît à ceux qui s'intéressent à la dimension sociale du commerce pour une raison : elle a des dents ».

L'honorable Warren Allmand, président du
Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, Témoignage, réunion no 108, Montréal le 24 mars 1999

Les pouvoirs juridiques de l'OMC peuvent ou non être une bonne raison de vouloir traiter les dimensions sociales du commerce sous les auspices de cette organisation. Il est clair que ces dimensions doivent faire l'objet d'arrangements internationaux, étant donné que l'approfondissement des processus d'intégration économique s'accélère et qu'à l'avenir le programme de négociations du système commercial se situera de plus en plus dans les domaines de la réglementation nationale plutôt que dans les mesures frontalières proprement dites. Durant le débat de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), échelonné sur cinq ans et alimenté par les commentaires de nombreux témoins, on a reproché de ne pas avoir incorporé une charte sociale à l'européenne au lieu des accords parallèles relativement moins musclés sur la coopération en matière d'environnement et de travail qui ont finalement été adoptés. Bien sûr, le marché unique de l'Union européenne représente un cas avancé d'intégration. Mais même si l'idée de la charte sociale s'est révélée controversée et peut-être ambitieuse à ce moment-là, elle a montré la nécessité d'un autre instrument pour empêcher l'aggravation du dumping social et environnemental contre lequel il existe de solides arguments économiques et sociaux11.

Avant de s'entendre sur des règles de discipline internationales sur ce dumping, les partenaires commerciaux doivent s'être entendus jusqu'à un certain point sur des valeurs sociétales communes à l'égard des normes de comportement acceptables dans un marché équitable et libre. Cela peut aussi nécessiter une substantielle harmonisation à la hausse des normes sociales (ou, pour être plus réaliste, un accord de reconnaissance mutuelle), de préférence accompagnée par des transferts sociaux pour aider tous les participants du système commercial à respecter ces normes plus rigoureuses. Nous sommes évidemment loin de tout cela au niveau mondial. La question épineuse qui se pose à l'OMC est de savoir jusqu'à quel point elle doit prendre en charge l'étude de la dimension sociale. L'OMC pourrait à tout le moins permettre une plus grande participation des autres organisations internationales concernées à ses délibérations, notamment l'OIT, la CNUCED, le PNUD, le PNUE et l'OMS. De nombreux critiques sociaux de l'OMC doutent qu'on puisse aller plus loin en raison de la constitution actuelle de l'organisation.

À la séance tenue à Vancouver (Témoignage, réunion no 120, Vancouver, 26 avril 1999) avec Michael Hart, par exemple, Marc Lee, du Centre canadien de politiques alternatives, a fait valoir que « des organes comme l'OMC s'emploient avant tout à abaisser les obstacles posés par les gouvernements. Ils ne sont donc pas très indiqués pour discuter de questions peut-être plus prioritaires que le commerce ». Voici un autre argument qu'on a présenté : « L'ouverture à la concurrence mondiale ne devrait pas forcer les pays à mettre en péril leurs propres normes en matière d'environnement, de santé, de sécurité et de travail. Il ne sera possible de trouver des solutions globales aux divergences qui caractérisent les normes sociales et environnementales des pays que par la construction de nouvelles institutions internationales (et non en greffant de nouvelles règles à des accords commerciaux existants et à des institutions comme l'OMC) 12».

Pourtant, on ne souhaite pas ajouter de nouvelles organisations internationales et il existe déjà des normes internationales que les membres de l'OMC se sont engagés à observer dans d'autres forums. De plus, attendre la naissance d'institutions réformées laisserait en suspens les demandes actuelles visant à mieux faire respecter les normes à l'échelle internationale. Par ailleurs, les membres de l'OMC doivent s'assurer que les règles de l'organisation contribuent à renforcer, et non à surpasser, les obligations internationales en matière sociale ainsi qu'en matière d'environnement et de droits de la personne. Dans ses récents écrits, Michael Hart fait valoir que même si les bureaucraties commerciales actuelles ne sont peut-être pas idéales pour faire face à ces complexités, jusqu'à ce que les gouvernements soient prêts à s'engager dans des accords internationaux auto-exécutoires appliqués par les tribunaux nationaux, les accords commerciaux sont peut-être le moyen le plus efficace de faire respecter les obligations multilatérales et de résoudre les conflits sur les dimensions sociales du commerce. Voici un passage de l'exposé qu'il a présenté à Vancouver :

Un moyen pratique de procéder serait de négocier des règles internationales de concurrence équitable qui comprendraient des normes du travail fondamentales, des niveaux minimums de protection environnementale et d'autres dispositions du genre, à l'intérieur du cadre et des mécanismes d'application des accords commerciaux internationaux. Le fondement de telles normes pourrait se trouver dans les normes fondamentales élaborées par l'OIT, le PNUE et d'autres organismes internationaux. L'effet d'un tel code ne serait pas de réduire la concurrence entre les économies à salaire élevé et à salaire bas, mais de faire en sorte qu'un niveau d'obligations, convenu à l'échelle internationale, régisse le comportement des entreprises dans l'économie mondiale (Mémoire, Le Canada et le Cycle du millénaire., avril 1999, p.18-19, Vancouver).

Le débat sur ces questions ne fait que commencer à prendre forme. Selon Hart, il ne faudrait pas rater la chance de faire valoir le leadership intellectuel du Canada pour le prochain cycle de négociations (p. 19) : « Le Canada se doit de devancer ses partenaires commerciaux dans l'analyse des questions émergentes et dans la recherche d'options de coopération et d'établissement de règles ingénieuses mais réalistes au niveau national et international. » Le comité est d'accord! Au chapitre 1, nous avons proposé une démarche pour examiner l'orientation constitutionnelle de l'OMC. Cette démarche devrait permettre d'examiner comment les accords et les activités de l'OMC peuvent le mieux contribuer à l'avancement des dimensions sociales de la gestion de l'économie mondiale.

Recommandation 35

Le Canada devrait faire valoir des options d'intégration des dimensions sociales liées au commerce dans les principes constitutionnels, les accords et les structures d'activité de l'OMC. La priorité devrait être de faire en sorte qu'il y a complémentarité dans la relation entre, d'une part, toutes les règles et les pratiques existantes de l'OMC et celles à venir, s'il ya lieu, et, d'autre part, les principales obligations multilatérales dans les domaines de la protection de l'environnement et de la santé, des droits du travail et des droits de la personne en général. À plus long terme, il y aurait lieu aussi d'étudier le recours concret aux mécanismes de l'OMC pour promouvoir un plus grand respect de ces obligations.


1# Allocution devant le Comité, « Le Canada et l'Organisation mondiale du commerce : Ouvrir des possibilités dans le monde », Témoignage, réunion no 88, 9 février 1999.

2# « The Coming Challenge : Global Sustainable Development for the 21st Century », allocution au symposium de l'OMC sur « Strengthening Complementarities: Trade, Environment and Sustainable Development », Genève, 17 mars 1998.

3# Renato Ruggiero, « Beyond the Multilateral Trading System », 12 avril 1999.

4# Mémoire du Citizens' Council on Corporate Issues, Vancouver, 26 avril 1999.

5# The Guardian Weekly, 18 avril 1999, p. 12.

6# Ethical Trading en Grande-Bretagne en est un exemple. Un document publié récemment par son ancien chef, Simon Zadek, et par Harriet Lamb, de la New Economics Foundation, explore les questions émergentes associées à l'explosion du nombre et de l'importance des initiatives volontaires privées qui comportent l'établissement de normes sociales et environnementales régissant des marchandises échangées sur les marchés internationaux. Ces initiatives ont donné l'impression jusqu'à présent d'avoir « échappé au radar » des règles commerciales supervisées par l'OMC. En raison toutefois de leur importance et de leur visibilité accrues, ainsi que de la participation plus fréquente des gouvernements à leur conception et à leur mise en oeuvre, on pense de plus en plus qu'il faudra éclaircir leur lien avec l'OMC.

7# Bruce Porter, « Rethinking Trade and Investment within a Human Rights Framework », Mémoire, 28 avril 1999, Toronto, p. 8.

8# En ce qui a trait à la propriété intellectuelle, l'essentiel du savoir actuel en matière de droits de la personne est que le maintien et l'amélioration du bien-être physique humain doivent être considérés dans l'attribution des droits de propriété intellectuelle. (Voir Robert L. Ostergard fils., « Intellectual Property: A Universal Human Right? », Human Rights Quarterly, février 1999, 156-178.)

9# Dani Rodrik, dans Jeffrey Schott, 1998, p. 38.

10# Michael Hart, « Canada at the Millennium Round », 1999, p. 10.

11# On parle de dumping social lorsque les exportations profitent de prix inéquitables parce que la production a lieu à un endroit où les normes sont peu rigoureuses et mal appliquées, lorsque les échanges commerciaux et les investissements mettent à profit la médiocrité des conditions sociales et des pratiques environnementales et que les coûts de celles-ci sont externalisés. L'économiste du commerce américain Peter Morici explique que « l'élimination de cette pratique ferait monter le niveau de vie en éliminant les externalités négatives, c'est-à-dire les pratiques dont les coûts sociaux ne sont pas reflétés dans les coûts financiers des entreprises. Tout comme l'élimination des droits de douane et des contingents, l'abolition du dumping social encouragerait une répartition plus efficace des ressources et des modes de production. » (« Implications of a Social Charter for the North American Free Trade Agreement », dans The Social Charter Implications of the NAFTA, Canada-U.S. Outlook, Washington, National Planning Association, 1997, p. 8; un point de vue canadien figure dans le même volume : Gilbert Winham et Elizabeth De Boer, « Trade Negociations and Social Charters: The Case of the North American Free Trade Agreement ».) Le fait que le Mexique enregistre des salaires beaucoup plus faibles ne constitue pas du dumping social, étant donné que ces coûts plus faibles, comparativement au niveau de développement du pays peuvent constituer un avantage comparatif légitime. Le dumping est passible de poursuites seulement si les prix des marchandises à exporter sont gardés artificiellement bas par la suppression délibérée des coûts de main-d'oeuvre et d'autres intrants, ce qui nuit directement aux producteurs concurrents dans le pays importateur.

12# Kent Jones, « Who's Afraid of the WTO? », Challenge, janvier-février 1998, p. 105-106.