JURI Rapport du Comité
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CHAPITRE 4 : LA NATURE DE L'INFRACTION
Le Comité a appris que des faiblesses dans le libellé de la loi et l'absence de conséquences pour des comportements souvent liés à la conduite avec facultés affaiblies rendent parfois difficile l'application des dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies. C'est pourquoi les personnes participant à l'examen du Comité ont recommandé un certain nombre de modifications visant à changer les éléments de l'infraction de conduite avec facultés affaiblies et à élargir la nature du comportement auquel s'applique le Code criminel.
BAISSE DE LA LIMITE LÉGALE DU TAUX D'ALCOOL DANS LE SANG
Plusieurs participants ont recommandé que l'on modifie le Code criminel pour réduire la limite légale du taux d'alcool dans le sang à des niveaux allant de 0 mg à 50 mg d'alcool par 100 ml de sang. La plupart ont soutenu que les facultés sont affaiblies à des taux inférieurs à celui actuellement permis et que la loi devrait tenir compte de cette réalité. Par exemple, le procureur de la Couronne Andrejs Berzins a recommandé d'abaisser la limite légale à 50 mg d'alcool par 100 ml de sang parce que tant qu'on la garde à 80 mg, « on fait la promotion de l'idée selon laquelle la consommation abusive d'alcool n'est pas interdite »1. De même, dans un mémoire présenté conjointement avec les Services policiers de Winnipeg, la Fondation manitobaine de lutte contre les dépendances a recommandé que la limite permise soit réduite à 0,05 ou 50 mg d'alcool par 100 ml de sang, « ce qui permettra d'en arriver à une entente et à une politique sociale visant à faire comprendre que la conduite en état d'ébriété ne doit pas être tolérée »2. Craignant que le public ne reçoive un message ambigu et estimant qu'il n'y a pas de taux d'alcool sûr pour les conducteurs, le Conseil sur l'usage abusif de la drogue préconise une limite légale de 0,02 ou 20 mg d'alcool par 100 ml de sang. Pour les mêmes raisons, Sharleen Verhulst et Jennifer Dickson ont également proposé une limite de 20 mg d'alcool par 100 ml de sang, tandis que Ken Roffel voyait en la tolérance zéro, ou 0 mg d'alcool par 100 ml de sang, le seul moyen de rendre la loi et le message qui doit être véhiculé suffisamment clairs pour les Canadiens.
Par ailleurs, les gouvernements provinciaux n'ont guère montré d'appui à la réduction de la limite légale du taux d'alcool dans le sang. Des représentants de l'Ontario ont demandé au Comité de s'efforcer surtout « d'améliorer l'efficacité des dispositions actuelles du Code criminel et la capacité de la police et des tribunaux de travailler avec la limite de 0,08 »3. Le ministère de la Sécurité publique du Québec, chez qui cette proposition a également suscité peu d'enthousiasme, a dit qu'aucune preuve scientifique ne permettait de conclure à la pertinence de diminuer la limite légale du taux d'alcool dans le sang. Reconnaissant que les conducteurs dont le taux d'alcool se situe entre 50 mg et 80 mg par 100 ml de sang constituent un danger, le ministère de la Justice du Manitoba a soutenu que des sanctions administratives, comme la suspension du permis sur-le-champ pendant 24 heures qui est pratiquée au Manitoba, conviennent mieux pour traiter la situation. Il a ajouté qu'en 1998, à l'occasion de la Conférence sur l'uniformisation des lois, la proposition de réduire la limite légale d'alcoolémie à 0,05 avait été rejetée par les représentants des ministères de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux. Le Comité constate également que la plupart des provinces et des territoires ont fait de grands progrès pour ce qui est de favoriser une alcoolémie moins élevée grâce au recours à des systèmes d'octroi des licences qui imposent des limites beaucoup plus sévères aux conducteurs débutants.
Le Comité a entendu des opinions contradictoires sur les effets possibles de la réduction de la limite légale du taux d'alcool dans le sang. S'inspirant d'études récentes, Robert Mann a déclaré que le fait de réduire à 50 mg d'alcool par 100 ml de sang la limite légale de l'alcoolémie au Canada pourrait entraîner une diminution de 6 à 18 p. 100 du nombre de décès liés à la route, ce qui permettrait d'éviter de 185 à 555 décès par an. Pour sa part, la Fondation de recherches sur les blessures de la route (FRBR) a cité des études récentes étayant ses conclusions selon lesquelles « il n'y a aucune preuve d'un effet mesurable sur la sécurité de l'abaissement du TA (taux d'alcoolémie) légal »4.
De toute évidence, le Comité, comme tous les Canadiens, souhaite ardemment la diminution du nombre de décès et de blessures attribuables à la conduite avec facultés affaiblies. Nous sommes toutefois préoccupés par l'absence de consensus chez les experts du domaine quant à savoir si la réduction de la limite permise du taux d'alcool dans le sang contribuerait à accroître la sécurité. De plus, nous ne pouvons pas ignorer les effets négatifs possibles d'une telle mesure. Comme le soulignait la FRBR, les policiers auraient extrêmement de difficulté à appliquer une limite légale de 50 mg d'alcool par 100 ml de sang car la plupart des conducteurs qui ont une alcoolémie inférieure à 80 mg n'affichent aucun des signes apparents d'intoxication. En outre, même si ces signes pouvaient être décelés, les policiers et les tribunaux n'auraient tout simplement pas les ressources nécessaires pour traiter le nombre deux fois plus élevé de conducteurs qui deviendraient passibles de poursuites.
À l'instar de la FRBR et d'autres organismes, le Comité craint qu'une limite légale de 50 mg d'alcool par 100 ml de sang ne recueille pas l'appui du public, surtout que les données scientifiques portent à croire que tous n'ont pas les facultés affaiblies à ce taux. Il reconnaît également que les provinces et les territoires auraient à supporter des tâches alourdies en matière d'application de la loi et à assumer la plupart des conséquences pratiques découlant de ce changement fondamental de politique. Pour toutes ces raisons et à la lumière des preuves apportées à ce propos, le Comité ne peut en ce moment se prononcer en faveur d'une modification du Code criminel resserrant la limite légale du taux d'alcool dans le sang.
LIMITES RELATIVES À LA « PREUVE CONTRAIRE »
L'alinéa 258(1)c) du Code criminel crée une présomption légale qui permet aux tribunaux d'admettre les résultats d'une analyse d'un échantillon d'haleine comme preuve de l'alcoolémie de l'accusé au moment de la prétendue infraction « en l'absence de toute preuve contraire »5. Le Comité a appris que bon nombre d'accusés qui plaident non coupables font reposer leur défense sur cet article du Code. L'accusé produit alors une preuve établissant qu'il a consommé moins d'alcool que la quantité requise pour atteindre le taux indiqué par l'alcootest. La preuve, dans ce cas, comprend habituellement le témoignage d'un expert en toxicologie afin d'établir que le taux réel d'alcool dans le sang de l'accusé était probablement inférieur au taux indiqué par l'alcootest.
Le procureur de la Couronne Andrejs Berzins s'est dit favorable à la modification du Code criminel pour que la seule « preuve contraire » qui puisse réfuter une présomption soit « un témoignage direct montrant que l'appareil a mal fonctionné ou que le test a été mal administré »6. Pour soutenir cet argument, M. Berzins a dit au Comité que les cours criminelles provinciales à Ottawa passent à peu près le tiers de leur temps à traiter d'affaires liées à la conduite avec facultés affaiblies. Des représentants du Comité des analyses d'alcool de la Société canadienne des sciences judiciaires ont reconnu qu'ils ont souvent à témoigner devant les tribunaux comme experts dans ce genre de défense7. Par conséquent, ils ont proposé que le Parlement envisage de restreindre l'interprétation de la « preuve contraire » afin d'éliminer certains des « arguments injustifiés » qui sont présentés à ce titre devant les tribunaux8.
Par ailleurs, la Criminal Lawyers Association of Ontario a souligné qu'un accusé pourrait difficilement prouver, plusieurs mois après le fait, l'exactitude ou l'inexactitude d'un appareil appartenant à la police. Cet argument est particulièrement convaincant étant donné que les articles du Code criminel rendant obligatoire la fourniture d'un échantillon d'haleine à l'accusé n'ont jamais été promulgués vu l'absence d'un « contenant approuvé » à cette fin. Cela contraste avec la présomption d'exactitude pour la lecture de l'alcoolémie, qui exige qu'un échantillon supplémentaire soit mis à la disposition de l'accusé pour qu'il puisse le faire analyser lui-même9.
Le Comité comprend la frustration des intervenants du système judiciaire face à ces défenses qui perdurent et qui, en apparence du moins, peuvent sembler non fondées. Cependant, comme l'accusé ne disposerait d'aucun moyen efficace de vérifier l'exactitude de l'alcootest, le Comité reconnaît que le fait de limiter l'interprétation de la « preuve contraire » de la façon recommandée pourrait en fait équivaloir à créer une infraction criminelle de responsabilité absolue, ce qui risque d'empiéter sur les droits que la Charte canadienne des droits et libertés confère à tout accusé. C'est pourquoi, dans les circonstances, le Comité n'appuie pas les modifications du Code criminel qui restreindraient l'interprétation de la « preuve contraire ».
CODIFICATION DU TAUX D'ALCOOL DANS L'HALEINE
Le Comité a appris que l'un des facteurs compliquant la poursuite de l'infraction proprement dite de dépassement de la limite de 80 mg d'alcool par 100 ml de sang est que les appareils mesurent le taux d'alcool dans l'haleine tandis que l'infraction est exprimée en tant que concentration d'alcool dans le sang. Par conséquent, il faudrait que les alcootests puissent faire la conversion de l'haleine au sang10. Pour éliminer la nécessité de faire cette conversion et pour retirer l'une des variables du système, il a été proposé que l'on modifie le Code criminel pour exprimer l'infraction proprement dite en microgrammes d'alcool dans un nombre donné de millilitres d'haleine.
Même s'il semble y avoir aux États-Unis un certain nombre d'États qui codifient l'infraction en fonction de la concentration d'alcool dans l'haleine et même si le Royaume-Uni utilise la concentration à la fois dans le sang et dans l'haleine, le Comité n'est pas convaincu que les avantages potentiels seraient plus grands que les complications entraînées par cette modification. Il faudrait mener une importante campagne d'information du public pour s'assurer que les gens comprennent bien la nouvelle codification de cette infraction et les raisons de ce changement. Par conséquent, le Comité n'est pas en faveur de la modification de l'alinéa 253b) à ce moment-ci.
L'Association canadienne des policiers a proposé de modifier le Code criminel afin de créer une nouvelle infraction pour défaut « de s'arrêter lorsqu'un agent de la paix l'a demandé »11. Une sanction supplémentaire a été recommandée dans les cas où les conducteurs qui refusent de s'arrêter sont en état d'ébriété. Pour appuyer sa recommandation, l'Association a déclaré que de meilleurs outils d'application des lois et un renforcement des sanctions pour la conduite avec facultés affaiblies pourraient inciter davantage les gens à ne pas prendre le volant lorsqu'ils ont bu.
Même si la création d'une nouvelle infraction est peut-être la mesure la plus efficace contre les conducteurs qui s'enfuient, le Comité croit que les répercussions générales d'une telle politique exigent un examen plus poussé que ne le permettent les limites de la présente étude. Par ailleurs, le projet de loi C-440, dont le Comité a été saisi, s'attaque précisément à cette question. Le Comité estime par conséquent que le sujet recevra une attention appropriée lorsque la disposition sera approfondie à l'étape de l'étude en comité. Afin de préparer le débat, le Comité propose que le ministère de la Justice s'intéresse au dossier de façon à pouvoir fournir de l'information sur les aspects juridiques et stratégiques pertinents et, au besoin, d'éventuelles solutions de rechange au problème.
RECOMMANDATION 1
Le Comité recommande que le ministre de la Justice examine la nature et la fréquence des fuites d'automobilistes et la pertinence de régler le problème au moyen de nouvelles sanctions dans le Code criminel.
1 Procès-verbal du 11 février 1999, 1105.
2 Mémoire au Comité, p. 9.
3 Donna Connelly Miller, Ministère des Transports de l'Ontario, procès-verbal du 17 février 1999, 1625.
4 Mémoire au Comité, p. 8.
5 D'autres exigences préalables sont aussi imposées, en ce qui concerne notamment les limites de temps suivant l'infraction et entre les échantillons.
6 Procès-verbal du 11 février 1999, 1010.
7 Louise Deheut, procès-verbal du 3 février 1999, 1645.
8 Brian Hodgson, procès-verbal du 3 février 1999, 1720.
9 Code criminel, sous-alinéa 258(1)d)(i).
10 Doug Lucas, Comité des analyses d'alcool de la Société canadienne des sciences judiciaires, procès-verbal du 3 février 1999, 1700.
11 Mémoire au Comité, p. 10.