SCRA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT OF THE STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
SOUS-COMITÉ SUR LA LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION DU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le vendredi 28 mai 1999
Le président (M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Sous-comité sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Nous accueillons M. Paul Williams, le directeur général de la Société John Howard, que j'invite à faire une présentation d'environ 10 minutes, après quoi suivra une période de questions des députés qui durera une vingtaine de minutes.
M. Paul Williams (directeur général, Société John Howard): Avant de commencer mon allocution, je prononcerai quelques mots en français pour souligner le fait que bien que ma présentation orale soit en anglais cet après-midi, nous vous avons remis des exemplaires de notre mémoire dans les deux langues officielles. Si vous formulez des commentaires ou posez des questions en français, j'essaierai d'y répondre en français.
[Traduction]
Merci à vous, monsieur le président, ainsi qu'aux membres du comité.
La Société John Howard du Québec, que je représente, comme vous le savez sans doute, est affiliée à la Société John Howard du Canada, mais comme toutes les autres sociétés John Howard, nous sommes une organisation communautaire autonome et nous offrons des services bilingues au Québec.
Notre principal objectif est la prévention et le contrôle de la criminalité et de la délinquance. Voici exprimée simplement notre philosophie: la crainte du châtiment à elle seule n'empêche pas la perpétration de délit.
Nos principaux moyens de lutte contre le crime et la délinquance sont employés dans le cadre d'une intervention clinique longitudinale auprès de chaque détenu. Idéalement, nous essayons de suivre le délinquant dès que possible après son arrestation, pendant son incarcération et jusqu'au moment de son retour dans la communauté.
Nous avons de nombreuses années d'expérience en établissement, de même que dans un rôle de surveillance des détenus en libération conditionnelle, ce qui nous permet de formuler certaines observations. Vous conviendrez sans doute que la valeur d'une loi se mesure par la manière dont elle influence ceux qu'elle vise—autrement dit, par le degré de concordance entre la lettre et l'esprit de la loi.
Cela peut sembler évident, mais la justice pénale est une affaire de personnes. Les contrevenants, les victimes, les policiers, ceux qui administrent les peines, etc., sont tous des personnes. Nous estimons que la réussite ou l'échec d'un système dépend dans une large mesure des relations entre ces diverses personnes.
Au cours des années, nous avons constaté qu'on prenait refuge de plus en plus derrière des mesures bureaucratiques, mises en évidence par une prolifération de lignes directrices d'origines diverses, venant habituellement du haut de la hiérarchie, et qui avaient pour résultat une approche impersonnelle. Les mesures d'évaluation statiques que nous connaissons bien et qui sont employées par les services correctionnels et par la Commission des libérations conditionnelles sont parfois entre les mains de décideurs qui ne sont pas nécessairement compétents, en pratique, pour s'en servir.
• 1305
Nous avons observé qu'on donnait trop d'importance au délit
seulement sans tenir compte de la dynamique de l'individu impliqué,
une utilisation des catégorie artificielles, en fonction du crime
ou de certains regroupements—par exemple, les infractions de
l'annexe I et de l'annexe II, ou les regroupements associés aux
motards, au crime organisé, aux groupes criminels divers, etc.—et
finalement, une compilation informatisée des données, parfois sans
qu'on en ait tenu compte de la validité et de la fiabilité.
En général, nous avons pu voir que le fossé s'est creusé entre les détenus et l'ensemble des employés des services correctionnels, ainsi qu'une surutilisation de l'incarcération comme solution à des problèmes. Ce que je veux dire par là, c'est que nous pensons souvent à la détermination de la peine comme étant la principale source des problèmes de surutilisation de l'incarcération. En fait, le problème vient aussi des retards dans la libération des détenus sous condition ou leur incarcération parce qu'ils ont commis un quasi-délit. Cela se traduit par un pourcentage élevée de suspensions techniques. Il y a par ailleurs une sous-utilisation d'un des meilleurs programmes du SCC, la permission de sortir. Les permissions de sortir sont de moins en moins utilisées, particulièrement dans les établissements à sécurité moyenne. Et finalement, on semble incapable de faire preuve de gros bon sens dans la prise de décisions.
Je peux vous en donner un exemple, un cas très récent: un détenu de 65 ans qui avait purgé 44 ans en pénitencier, depuis l'âge de 17 ans. Je ne veux pas dire 44 années d'affilée, mais 44 des 48 dernières années. Il est actuellement en «placement à l'extérieur». Il sort tous les jours de l'établissement à sécurité minimale, de 8 h 30 jusqu'à 16 heures ou 16 h 30.
Notre société le suit depuis déjà bon nombre d'années, et de manière plus intensive depuis environ six ans. Personnellement, je le vois deux fois pas mois depuis qu'il est en établissement à sécurité minimale. Je suis allé le voir à l'heure du lunch, lorsqu'il était en placement extérieur, il y a environ trois semaines. Son agent de libération conditionnelle était là. Je me suis présenté à lui. Je ne le connaissais pas, mais je connaissais son patron et quelques-uns de ses collègues, puisque j'ai déjà travaillé pour les services correctionnels, avant de travailler pour le secteur privé.
Lorsque j'ai revu ce détenu deux semaines plus tard, il m'a dit que son agent de libération conditionnelle était revenu le voir le lendemain et lui avait dit de ne pas socialiser avec quiconque quand il était à l'extérieur. On parle de l'organisation qui prêche la réinsertion sociale. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un homme de 65 ans qui a passé 44 ans en prison. Manifestement, les seuls véritables contacts qu'il ait sont dans le monde criminel. Je ne crois pas faire partie de ce monde-là. Je croyais qu'en le voyant à l'heure du repas, sans gruger dans sa journée de travail, serait une chose positive pour garder contact et renforcer ses progrès. Cet agent de libération conditionnelle a anéanti ces efforts.
Je vous donne cet exemple parce que ce mode de penser, cette attitude que j'ai vu évoluer avec le temps résulte de ce dont j'ai parlé plus tôt: de la prolifération des lignes directrices. De nos jours, il n'y a plus de décisions personnelles, ou s'il y en a, elles sont erronées, faute d'expérience.
Je crois qu'à cause des contraintes, il ne me reste pas beaucoup de temps. Au sujet de la Commission nationale des libérations conditionnelles, nous avons observé qu'au lieu de ce qu'on voyait autrefois aux audiences, soit des discussions souvent très intenses entre les intéressés—les membres de la Commission, le détenu, les services correctionnels et les membres de la communauté qui connaissent le détenu—qui permettait d'arriver à une décision équitable, par une acceptation bilatérale de ce qui pouvait se faire comme libération conditionnelle, nous voyons maintenant une atmosphère aseptisée, où s'expriment essentiellement des avocats qui semblent débattre davantage de la procédure que de quoi que ce soit d'autre.
• 1310
Je peux vous en donner deux petits exemples. J'ai
personnellement participé à une audience, il y a environ trois ans,
pour un détenu qui avait un grave problème de toxicomanie, du moins
un problème qui durait depuis longtemps. À l'époque, je travaillais
avec lui depuis deux ans, en le voyant chaque semaine au sein d'un
groupe, en établissement, et chaque mois, de manière plus
personnelle. Je pensais donc pouvoir le représenter devant la
commission. Quand j'y suis arrivé, la chose la plus importante
était les documents préparés par l'établissement. Malheureusement,
l'agente de gestion de cas, comme on l'appelait à l'époque, qui
était censée présenter le dossier n'avait vu ce même détenu qu'en
trois occasions, au cours des deux dernières années. Ce qu'elle
avait préparé semblait être le plus important. Nous proposions de
libérer le détenu, par complètement, mais en semi-liberté, dans une
maison de transition spécialisée dans les contrevenants
toxicomanes. Cette proposition a été refusée. Il a purgé toute sa
peine.
Si on regarde l'historique des 30 dernières années de la Commission nationale des libérations conditionnelles, on constate une progression naturelle l'amenant à ce qu'elle est aujourd'hui, en commençant par l'avènement de la surveillance obligatoire, jusqu'aux articles supplémentaires de la loi, sur le maintien en incarcération, ainsi que le nombre accru de conditions imposées unilatéralement à la libération d'office et, finalement, l'assignation en résidence.
Nous estimons que c'est un problème à long terme, qui se traduit par une difficulté pour la commission d'accorder des libérations conditionnelles. Les pourcentages baissent.
Nous estimons que tout a commencé il y a une trentaine d'années, quand on a confié la nouvelle liberté surveillée à la commission. Comme je l'ai déjà dit, avec la liberté surveillée et par le maintien en incarcération et la libération d'office, on a converti la Commission des libérations conditionnelles, qui à l'origine octroyait la libération conditionnelle en un appareil de détention.
La Société John Howard du Canada le montrait bien dans son exposé, en citant les statistiques de libérations pour 1996-97: le pourcentage de libérations par procédure d'examen expéditif était plus élevé que pour les libérations conditionnelles totales et le pourcentage de libérations d'office l'était aussi.
Nous savons que la Commission nationale des libérations conditionnelles s'intéresse à tous ces types de libération, mais de manière très différente. Comme je l'ai déjà dit, initialement, la commission devait s'occuper de libération en utilisant le dossier, par une procédure relativement simple, pour trouver une solution à des comportements complexes. Nous constatons aujourd'hui que c'est devenu une procédure très complexe qui aboutit souvent à des solutions simplistes.
Comme je l'ai déjà dit, le paradoxe s'est créé à l'avènement de la liberté surveillée. Je peux vous donner un exemple de ce que je veux dire, pour que tout soit clair: si je purge une peine de trois ans et que je me présente devant vous après un an, soit le tiers de la peine, pour demander une libération conditionnelle, vous devez décider si, à vos yeux, je suis prêt à terminer ma peine dans la communauté, à certaines conditions. Vous refusez. Je retourne en prison, je purge une autre année, et je reviens un an plus tard, après les deux tiers de la peine. Je ne comparais pas devant vous, mais vous décidez que je serai libéré d'office, avec les mêmes conditions que vous m'avez refusées il y a un an, pour ma libération conditionnelle. Voilà la situation que nous avons depuis le début des années 70 et nous en voyons maintenant les résultats.
Je pense que c'est en partie une surlégifération, et c'est certainement une surbureaucratisation.
• 1315
Ce que nous recommandons... Je dois dire que nos
recommandations pourront vous paraître brutales. Je crois qu'elles
le sont. Mais je veux qu'il soit clair que nous ne les avons pas
pondues sans réflexion préalable. Vous ne serez peut-être pas
nécessairement d'accord, mais nos recommandations découlent de
notre expérience.
Je dois dire que j'ai eu beaucoup de chance dans ma carrière. J'ai travaillé pour le Service pénitencier canadien, puis pour les Services correctionnels comme psychologue d'établissement, puis comme consultant. J'ai travaillé à la McGill University Forensic Clinic, comme chercheur. À l'époque, nous avons eu le bonheur de mettre sur pied et de poursuivre un programme très spécialisé dans l'État de New York, pour le service correctionnel de l'État de New York, un centre de diagnostic et de traitement pour les délinquants récidivistes, soit justement le genre de délinquants que nous avons dans nos pénitenciers, ici. J'ai eu bien de la chance, c'est une excellente expérience pour nous.
Le président: Je vous demande de terminer, pour qu'il reste du temps pour les questions.
M. Paul Williams: Je terminerai en vous disant que je vous déballe tout cela pour que vous compreniez que c'est à cause de notre expérience que nous proposons que la Commission nationale des libérations conditionnelles ne s'occupe plus du tout des autres formes de libérations conditionnelles, à part la libération conditionnelle totale et la semi-liberté. Par conséquent, nous proposons aussi qu'on recourt davantage à la communauté, et que la surveillance des détenus en libération conditionnelle ou en semi-liberté, en vertu d'un contrat bilatéral, soit effectuée par des organisations compétentes de la communauté elle-même, autrement dit, par des organisations communautaires. Nous croyons que le Service correctionnel canadien est assez expérimenté pour assumer la responsabilité des autres formes de libération.
Merci.
Le président: Merci pour cet exposé.
[Français]
Monsieur Perron, je vous accorde cinq minutes.
M. Gilles-A. Perron (Rivière-des-Mille-Îles, BQ): Je ne ferai que quelques brefs commentaires. Je m'appelle Gilles Perron et je suis député de Rivière-des-Mille-Îles.
M. Paul Williams: Bonjour.
M. Gilles Perron: Je suis un nouveau membre de ce sous-comité et j'aimerais savoir si vous adoptez la même ligne de pensée que toutes les autres sociétés John Howard.
M. Paul Williams: Oui, on a établi...
M. Gilles Perron: Le mémoire que vous nous avez présenté devrait donc refléter le discours que nous avons entendu à Toronto.
M. Paul Williams: Non, pas nécessairement. Chaque société John Howard dans chaque province du Canada est autonome. Nous sommes des membres affiliés de la Société John Howard du Canada. Nous y avons adhéré sur une base volontaire. La Société John Howard du Canada n'a pas de politique écrite à laquelle doivent se soumettre ses agences. Nous échangeons de l'information, partageons les expériences que nous vivons et sommes d'accord sur de nombreux points, mais pas nécessairement toujours.
M. Gilles Perron: Vous semblez beaucoup travailler au niveau pénal. Si je vous demandais d'identifier un système pénal exemplaire dans le monde, quel serait-il? Celui des États-Unis, de l'Angleterre, de la France ou de l'Italie?
M. Paul Williams: J'ai acquis de l'expérience directe dans l'État de New York, ainsi que dans les systèmes fédéral et provincial. J'ai servi pendant environ dix ans comme membre de la Commission québécoise des libérations conditionnelles.
À mon avis, il n'y a pas de système idéal. Notre système actuel est plus ou moins idéal et il ne sera jamais idéal. On essaie souvent d'établir une comparaison avec les États-Unis, bien que la situation y soit très différente; les États-Unis sont dix fois plus grands que nous et les problèmes y sont dix fois plus nombreux. Malheureusement, il semble que dix ans plus tard, notre système connaisse les mêmes problèmes qu'aux États-Unis. On semble se diriger dans la même direction aujourd'hui en ayant comme premier recours l'incarcération. Bien que nous soyons conscients que les pénitenciers sont nécessaires, ils ne devraient toujours n'être qu'un dernier recours. Ils sont malheureusement le premier recours des tribunaux, de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du Service correctionnel du Canada, qui tentent de régler les problèmes en ramenant des gens au pénitencier plutôt que de les régler dans la communauté, ce qui serait souvent possible.
• 1320
Quand c'est possible, on devrait toujours régler les
problèmes à l'extérieur parce
que l'incarcération a des effets très négatifs. On ne
tient pas assez souvent compte de ce fait, ce qui ne
contribue pas à l'établissement d'un système bien
équilibré.
M. Gilles Perron: Merci, monsieur Williams.
Le président: Merci, monsieur Perron.
[Traduction]
Monsieur Wappel.
M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Williams, j'ai quelques brèves questions. Je commencerai par un commentaire.
Je comprends évidemment que vous avez beaucoup plus d'expérience que moi du quotidien du système, mais je dois vous dire que j'ai assisté à quatre audiences de libération conditionnelle de divers types—seulement quatre, je dois le reconnaître—et qu'à aucune de ces audiences je n'ai vu d'avocats, ni ai été témoin de lourdeur de procédure.
M. Paul Williams: Je vois.
M. Tom Wappel: Et dans tous les cas, j'ai cru constater de la compassion et des échanges directs entre les membres de la commission et le détenu. Je ne dirais pas que vos observations sont erronées, je vous décris simplement mon expérience très limitée.
Merci pour votre mémoire écrit. À la page 4, vous dites au deuxième paragraphe, au sujet de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qu'il y a un «... faible pourcentage de détenus sortis en libération conditionnelle (contra bilatéral) par opposition à ceux qui sont libérés en surveillance obligatoire...». Cette étonnante affirmation est-elle confirmée par des statistiques et s'agit-il de statistiques pour le Québec ou pour l'ensemble du pays?
M. Paul Williams: Les statistiques auxquelles je me suis référé viennent de l'exposé de la Société John Howard du Canada. On y donne les statistiques pour 1996-97. J'en ai une copie ici, mais juste comme ça, je crois qu'on y parle de 12 p. 100 de libérations conditionnelles totales, de 14 p. 100 de la procédure d'examen expéditif et de 80 p. 100 de libérations d'office. Il y a donc une différence marquée. Je parle ici uniquement de ces statistiques.
Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Je passe environ trois jours par semaine à l'établissement Leclerc, à Montréal, soit le pénitencier où l'on ramène les détenus en suspension technique. Quelqu'un peut revenir à Leclerc, sans avoir nécessairement commis de crime, simplement pour un quasi-délit.
Je ne passe pas beaucoup de temps avec les détenus en suspension technique, mais j'en vois un certain nombre et j'essaie de ne pas croire tout ce qu'ils me disent. Je leur demande de me fournir aussi des documents. Comme je me suis déjà occupé de supervision de libérés conditionnels autrefois, je suis étonné des raisons invoquées pour ramener les détenus au pénitencier. Je me demande pourquoi on agit ainsi. On vante les services des pénitenciers: on parle de gestion de la colère et de tous ces autres programmes fantastiques...
M. Tom Wappel: Cela m'amène à ma question suivante.
M. Paul Williams: Bien. Désolé.
M. Tom Wappel: Peut-être que je n'ai pas bien compris ce que vous dites et je voudrais des explications.
M. Paul Williams: Bien.
M. Tom Wappel: Vous dites qu'il y a 80 p. 100 de libérations d'office.
M. Paul Williams: Oui.
M. Tom Wappel: C'est à peu près ce que vous avez dit.
M. Paul Williams: Oui, c'est exact.
M. Tom Wappel: Peu m'importe que ce soit 80,9 p. 100...
M. Paul Williams: Bien.
M. Tom Wappel: Je m'étonne que ce soit si peu, honnêtement, parce que quand on arrive à la libération d'office, on devrait être sorti de prison, à moins qu'il y ait... Il y a des critères très précis dans la loi, comme vous le savez, pour pouvoir garder quelqu'un en prison.
M. Paul Williams: C'est exact.
M. Tom Wappel: Je ne crois donc pas que le chiffre de 80 p. 100 soit élevé. Je pense que c'est peu si on parle de libérations d'office, à moins que ce soit un chiffre comparatif, par rapport, comme vous le disiez, aux libérations conditionnelles bilatérales. Est-ce que ce sont les chiffres dont vous vous souvenez?
M. Paul Williams: Je vais apporter quelques procédures, puisque ce que vous dites ne correspond pas avec ce que je voulais dire.
Si on prend 100 p. 100 des détenus libérés d'un établissement pénitencier en 1996-97, 12 p. 100 sont libérés par la procédure d'examen expéditif. La commission s'en occupe. Excusez-moi, c'est 14 p. 100—12 p. 100 pour la libération conditionnelle totale et...
M. Tom Wappel: Cela nous donne 26 p. 100.
M. Paul Williams: C'est exact, puis il y a environ 80 p. 100 de...
M. Tom Wappel: Ça nous donne plus de 100 p. 100.
M. Paul Williams: Si vous le souhaitez, je vais vérifier, pour vous donner un court...
M. Tom Wappel: Vous m'avez donné une idée générale. Vous prenez le nombre de libérations d'une année et vous calculez les pourcentages pour chaque type. Bien. Je comprends maintenant. Bien.
M. Paul Williams: C'est exact, oui. Ce à quoi nous voulions en venir, c'est que la Commission nationale des libérations conditionnelles s'occupe de toutes ces libérations, ou peut s'occuper aussi des libérations d'office, mais son rôle dans ce cas-là est bien différent du rôle pour lequel elle a été créée, soit les libérations conditionnelles.
M. Tom Wappel: Bien.
À la page 5, au premier paragraphe, vous dites: «Lorsque les libérés sous conditions rencontrent des problèmes, on les retourne d'emblée en institution.» Qu'est-ce qu'un «problème»?
M. Paul Williams: Par exemple, j'ai vu récemment un homme qui purgeait une peine à perpétuité et qui était retourné au pénitencier. Je me trompe peut-être sur le nombre d'années, mais je crois qu'au cours des douze dernières années, il a été libéré huit fois et ramené huit fois, jamais pour avoir commis un crime, toujours pour une violation de condition.
M. Tom Wappel: Qu'est-ce qu'une violation de condition?
M. Paul Williams: Dans son cas, si j'ai bien compris, cela se rapportait à un problème de boisson. Ce genre de choses.
Il s'agit d'une personne que je ne connais pas bien. Je peux lui dire bonjour, et si je le croise je le reconnaîtrai, mais ce n'est pas ce que j'appelle connaître quelqu'un.
M. Tom Wappel: Monsieur Williams, là où je veux en venir, c'est à ce que vous appelez une violation de condition.
M. Paul Williams: Oui.
M. Tom Wappel: S'il est en libération conditionnelle et qu'on lui demande de ne pas boire, et qu'il boit, pour moi c'est une violation de condition évidente, un choix qu'a fait le détenu. Ce n'est pas une violation de condition.
M. Paul Williams: Bien.
M. Tom Wappel: S'il prend un verre qu'il croît rempli d'eau et qu'il se trouve que c'est de la vodka, qu'il en boit, ça c'est une violation de condition.
M. Paul Williams: Oui.
M. Tom Wappel: S'il commande une bière dans un bar, il manque délibérément à sa promesse, si l'on veut, qu'il a faite dans le cadre d'un contrat bilatéral, d'agir d'une certaine façon afin qu'on le libère.
M. Paul Williams: Oui.
M. Tom Wappel: Voici ma question, toute simple: dans votre définition des problèmes, incluez-vous les choix délibérés des détenus d'agir à l'encontre des promesses qu'ils ont faites?
M. Paul Williams: Bien sûr, dans certains cas. Je répète ce que je disais justement: nous ne traitons plus du cas par cas, de la personne. Si nous libérons quelqu'un qui, par exemple, a commis des vols à main armée et a eu d'autres formes de comportement violent et qu'il doit se présenter toutes les deux semaines, par exemple, et qu'il commence à être négligent, et qu'il ne se présente plus, autrefois nous communiquions avec lui, nous lui faisions comprendre ce qu'il avait à faire et nous essayions de comprendre ce qui lui arrivait et pourquoi c'était si difficile pour lui de venir toutes les deux semaines.
Ce que je constate aujourd'hui, c'est qu'on ramène tout de suite le détenu en prison. Je pense que c'est une surutilisation de l'incarcération simplement parce que, comme je le disais au début, d'après nous l'incarcération seule, ou la crainte de l'incarcération seule, n'empêcheront pas la perpétration de délits.
Nous parlons d'hommes qui ont des problèmes de comportement depuis longtemps; il faut y travailler avec eux, et cela se fait mieux dans la communauté qu'en établissement. Mais si cela doit se faire en établissement, alors il faut le ramener. Je veux qu'on me comprenne bien.
M. Tom Wappel: Je comprends.
M. Paul Williams: Les pénitenciers sont nécessaires.
M. Tom Wappel: Ma dernière question porte sur la page 6. Je ne veux pas sembler aller trop vite, mais nous avons un horaire pour nos témoins, alors veuillez me pardonner.
M. Paul Williams: Je comprends.
M. Tom Wappel: Juste avant les recommandations, vous dites: «Nous avons peu de recommandations mais elles nous paraissent prioritaires».
M. Paul Williams: Oui.
M. Wappel: J'ai entouré quatre choses. J'ai d'abord lu les deux premiers points, et je me suis un petit peu trompé en pensant que c'était la même chose que le troisième point. Autrement dit, lorsque vous dites qu'il faut «bien distinguer entre la libération conditionnelle, qui n'est pas octroyée automatiquement, et les autres formes de libération», n'est-ce pas une autre façon de dire que la Commission des libérations conditionnelles ne devrait rien avoir à faire avec ces autres formes de libération...
M. Paul Williams: Si.
M. Wappel: Vous dites aussi que la surveillance de ceux qui sont libérés sous condition, doit refléter la différence fondamentale qu'il y a entre caractère bilatéral... et les autres... Cela ne revient-il pas encore à dire que la Commission des libérations conditionnelles ne devrait rien avoir à faire avec ces autres formes de libération...
M. Paul Williams: Non. Je pense que cela concerne plus la surveillance de la libération conditionnelle et de l'assignation à résidence de jour.
M. Tom Wappel: Cela fait donc deux, alors que...
M. Paul Williams: Oui cela fait deux choses, pour plus de clarté. Je n'y ai peut-être pas réussi, mais c'était l'intention.
M. Tom Wappel: Très bien. Merci beaucoup.
M. Paul Williams: Je vous en prie.
Le président: Merci, monsieur Williams. Merci de vous être déplacé et de nous avoir fait votre exposé.
M. Paul Williams: Merci beaucoup.
[Français]
Le président: Merci beaucoup. Nos prochains témoins seront Terrence Drummond, Georgina Drummond et William Hartzog.
Préférez-vous le français ou l'anglais?
M. Terence Drummond (témoignage à titre personnel): Nous ferons notre exposé en anglais, mais je pourrais répondre en français.
Le président: Pour que les choses soient bien claires, rappelons qu'il s'agit ici d'un sous-comité du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, et nous avons pour mandat d'étudier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Lorsque la loi a été adoptée en 1992, un article prévoyait une révision parlementaire cinq ans après son entrée en vigueur. Nous faisons donc cet examen, et nous allons transmettre des recommandations au Parlement par l'entremise du comité permanent. Nous sommes donc très intéressés par ce que vous pouvez nous dire de la loi, et par les recommandations que vous aurez à faire.
Allez-y.
M. William Hartzog (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup de nous avoir invités.
Je ne sais pas si vous êtes tous députés. Certains ont leur nom devant eux, d'autres pas.
Le président: J'ai à côté de moi des attachés de recherche qui nous aident.
M. William Hartzog: De notre côté nous sommes trois membres du groupe d'étude.
Nous allons commencer par un court exposé de M. et Mme Drummond...
Le président: Je vous en prie.
M. William Hartzog: ...et je prendrai ensuite la parole, ce que j'ai à dire est consigné par écrit. Nous avons également essayer de transmettre au comité les résultats de l'enquête qui a suivi la mort tragique du fils de M. et Mme Drummond, dans la prison de Donnacona. Comme c'est probablement la quatrième mort attribuée au suicide, à Donnacona, ce que nous avons à vous dire est extrêmement grave. Je ne veux pas sous-entendre que vous ne le preniez pas ainsi. J'ai fais moi-même partie de la Commission des libérations conditionnelles de 1996 jusqu'à il y a deux semaines, en 1999, je pourrai donc vous renvoyer à un certain nombre d'éléments qui pourraient être utiles.
Le président: Le seul ennui c'est que nous sommes limités par le temps, essayez donc...
M. William Hartzog: Nous serons brefs, et nous attendrons ensuite avec intérêt les questions.
Le président: Le comité a évidemment toute la documentation qui lui a été transmise, il pourra s'y reporter au moment de la rédaction du rapport.
M. William Hartzog: Bien sûr.
Je vais d'abord laisser M. et Mme Drummond commencer.
Le président: Certainement. Monsieur Drummond.
M. Terence Drummond: Nous sommes les parents de Jeffrey Maurice Drummond, qui est mort dans la prison de Donnacona à l'âge de 32 ans, le jour de l'Action de Grâces du mois d'octobre 1995, 50 jours avant la libération obligatoire dont il devait bénéficier. Nous vous remercions de nous avoir invités à prendre la parole, et nous apprécions beaucoup votre effort d'examen et de révision de la législation sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
Jeffrey est à l'heure actuelle l'un des trois détenus qui sont morts au cours des quatre dernières années à Donnacona, et dont la mort est attribuée au suicide. Une enquête diligentée par les Services correctionnels du Canada a conclu que Jeffrey s'était suicidé, conclusion que nous ne sommes pas prêts à accepter. Nous pensons effectivement que Jeffrey voulait être libéré le plus rapidement possible pour réintégrer la vie normale, et qu'il n'avait certainement pas l'intention de se supprimer. Les rapports d'évaluation de l'enquête communautaire sont effectivement tous parvenus à cette même conclusion.
Jeffrey laisse une fille qu'il aimait, deux frères, cinq soeurs et nous-mêmes, ses parents. Nous tenons à vous faire part de nos observations, et de notre souhait de voir réellement changer la façon dont on traite les détenus, l'attention qui leur est donnée, ainsi que la législation correspondante, afin d'éviter que ce genre d'accident tragique ne se reproduise pas dans une des prisons ou institutions pénitentiaires du Canada.
Nous allons permettre maintenant à M. William Hartzog de faire son exposé, qui lui permettra de résumer les conclusions de l'enquête que je viens de citer en expliquant ensuite les points de la loi qui doivent être modifiés ou renforcés, pour enfin indiquer là où la législation et la réglementation n'ont peut-être pas été correctement appliquées dans le cas de Jeffrey.
Après l'exposé de M. Hartzog nous pourrons répondre aux questions du comité.
Le président: Merci, monsieur Drummond.
Me Hartzog.
Me William Hartzog: Merci. M. et Mme Drummond ont un exposé écrit également, accompagné d'une lettre de leur fils.
Je vais lire cela en partie, et ensuite je passerai vite.
Je m'appelle William Hartzog. Je suis avocat du Barreau du Québec, et ancien membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, où j'ai siégé du mois de mai 1996 au mois de mai 1999. J'ai été membre à temps partiel de la Commission pour la région du Québec.
La famille Drummond m'a demandé de réexaminer l'information qui leur a été transmise par le Bureau du solliciteur général du Canada, avec pour l'essentiel le résultat de l'enquête demandée par le président régional de l'époque des Services correctionnels du Canada pour le Québec, M. Jean-Claude Perron.
Mon exposé se divise en deux parties, et comme suit: d'abord un résumé et un certain nombre de commentaires concernant l'enquête et les circonstances entourant la mort de Jeffrey Drummond; ensuite, un certain nombre d'observations concernant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous transmettrons également au comité un certain nombre des documents concernant le dossier de M. Drummond et le rapport d'enquête.
Comme l'ont dit M. et Mme Drummond, l'enquête a conclu au suicide. Jeffrey Drummond faisait l'objet d'une mesure d'isolement préventif depuis deux semaines au moment du décès, et il lui restait encore deux semaines avant de réintégrer la population carcérale normale, moment où il aurait pu éventuellement être entendu par un juge indépendant. Tout cela n'est pas contenu dans le rapport.
Cette mesure d'isolement était due au fait que les cellules étaient pleines. Comme M. et Mme Drummond l'ont noté il aurait été libéré le 3 décembre 1995, et sa mort a eu lieu le 9 octobre, soit moins de deux mois avant sa libération finale.
Tout cela a déjà été écrit, et permettez-moi de passer rapidement.
Le président: Très bien.
Me William Hartzog: Merci.
Voilà donc une mort qui a lieu deux mois avant la libération finale. L'enquête a conclu que le jour de sa mort un des gardes au moins—c'est dans les documents que nous vous avons transmis—a indiqué à l'infirmière de service qui avait rendu visite à M. Drummond dans l'après-midi, reportez-vous au rapport pour les termes exacts, que «le psychiatre devrait être appelé, car M. Drummond n'était pas le genre de personne à demander de l'aide».
L'infirmière a fait savoir aux enquêteurs qu'elle avait l'intention d'informer le psychiatre le lendemain matin... en l'occurrence, et dans les circonstances, trop tard. L'infirmière qui avait rendu visite à M. Drummond n'avait rien consigné par écrit sur son comportement qui puisse justifier quelque inquiétude que ce soit.
L'enquête indique également qu'un autre garde avait informé un psychologue, quelques jours avant la mort de M. Drummond, que celui-ci avait besoin d'assistance. Le psychologue a nié avoir été informé.
M. Drummond avait effectivement un comportement étrange, troublant, tout le personnel, à tous les niveaux, a décidé de ne pas tenir compte, et qui a même été tragiquement sous-estimé si l'on s'en tient à un rapport de l'un des gardes, puisque celui-ci de façon tout à fait cynique, et avec une absence de conscience professionnelle évidente, a écrit qu'apparemment son problème était que les autres détenus ne l'aimaient pas beaucoup parce qu'il les gênait. Je paraphrase. Reportez-vous au rapport pour l'exactitude des termes.
M. Drummond s'était montré agressif, il semblait décidé à faire de l'opposition au personnel pénitentiaire, il participait aux chahuts organisés par les autres détenus tout en agissant de façon très différente de ceux-ci; il martelait les parois de sa cellule, criait toute la nuit, sonnait constamment l'alarme, refusait de participer aux promenades, ne dormait pas et de toute évidence semblait perturbé.
Ce qu'ont dit M. et Mme Drummond sur les autres suicides de Donnaconna, au moins pour l'un d'eux—j'aimerais vous renvoyer à l'article de presse que j'ai malheureusement oublié de joindre à ma documentation—qui remonte à 1997, est tout à fait pertinent. Donnaconna pose effectivement un certain nombre de questions tragiques.
Le transfèrement de M. Drummond à Donnaconna était-il justifié, même s'il l'avait demandé? À ce sujet les avis diffèrent. Il ne s'était retrouvé en prison qu'en raison d'une suspension de sa libération d'office. Il avait été libéré au mois de mai. Il avait un certain nombre de difficultés dans la collectivité qu'il avait réintégrée. Il avait été réarrêté, jugé, et le 1er août acquitté des deux chefs d'accusation, mais condamné pour atteinte à l'ordre public, ce pourquoi il a fait l'objet d'une mesure de suspension. Il attendait bien sûr l'audience où il serait décidé de maintenir ou non cette mesure de suspension.
• 1345
Cela ne justifiait probablement pas une mesure de
transfèrement de Leclerc à Donnaconna. Il ne lui restait plus qu'à
attendre l'audience de la Commission des libérations
conditionnelles sur la suspension. Dans ces conditions, et à moins
de quatre mois d'une libération d'office, on peut commencer à
douter. J'ai souligné ce qui suit: son dossier n'a été transféré à
Donnaconna que deux semaines après son propre transfèrement. C'est
dans le rapport d'enquête.
L'enquête indique également que Donnaconna n'était pas au courant qu'il était là en attente d'une audience concernant sa suspension. On savait qu'il était là, mais on ne savait pas pourquoi. L'absurdité de la situation est telle que s'il avait été autorisé à bénéficier de sa libération conditionnelle—si cela lui avait été accordé, non pas que son comportement lui ai fait mériter, je dis cela simplement de façon théorique—il aurait été tout à fait maladroit, sur le plan technique, social et financier, de le confier à Donnaconna.
Ce n'est que très longtemps après son arrivée à Donnaconna que M. Drummond a pu rencontrer l'agent de gestion des cas qui lui était assigné. Vous trouverez tout cela dans le rapport d'enquête. Il n'y avait dans les rapports et évaluations des Services correctionnels rien qui concerne l'état psychiatrique de M. Drummond. On peut aussi ajouter que le personnel de son bâtiment, à Donnaconna, à l'époque de son décès, n'avait pas suivi de cours de prévention du suicide depuis sept à dix ans. Tout cela se trouve dans le rapport.
Rien dans le rapport n'indique que le directeur de l'institution se soit jamais rendu dans l'aile d'isolement préventif. Pourtant, la loi exige qu'il s'y rende quotidiennement. Cela figure dans la loi. On peut dire la même chose du personnel chargé de surveiller la santé mentale des détenus. Rien n'indique que ce prisonnier au comportement inquiétant ait fait l'objet de visites quotidiennes.
Même s'il n'est peut-être pas très réaliste d'imaginer que les gardes soient les amis des détenus, ils sont tout de même là pour s'en occuper et leur prodiguer des soins. J'ai souligné dans mes documents, et je l'ai fait inscrire en caractères gras, qu'il est à peu près impossible d'imaginer qu'à Donnaconna, et dans ce cas- ci, le personnel se soit montré soucieux de soins à prodiguer.
Je ne pense pas que ce soit une exagération, et je vous renvoie au devoir prescrit aux Services correctionnels par la loi, en matière de protection de la vie.
Finalement, l'enquête se contente d'une analyse de l'événement qui se limite aux notes et aux actes du personnel. C'est-à-dire que rien dans le rapport n'indique que l'on comprend l'obligation prescrite par la loi de porter assistance aux personnes qui en ont besoin.
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition convient peut-être ou a peut-être des lacunes. C'est difficile à dire à ce stade en fonction de l'expérience de M. Drummond.
La loi ne renferme aucune disposition qui permette à l'enquêteur correctionnel d'intervenir en évoquant les pouvoirs de la Loi sur les enquêtes en cas de décès—j'en traiterai de façon plus détaillée dans ma discussion sur le droit. Il s'agit sûrement d'une lacune. La loi dit «peut» mais ne dit pas «doit». Le dossier de l'enquêteur correctionnel traduit un souci nécessaire de la procédure et du respect de la mission du Service correctionnel. Sa participation pourrait diminuer la probabilité d'autres suicides.
Voici une liste des dispositions de la loi qui sont pertinentes dans ce cas. Je ferai des observations de vive voix à propos de chacune d'entre elles et je promets au comité de les mettre par écrit si nécessaire.
J'irai assez vite et vous pouvez m'interrompre et... Je sais que la séance est enregistrée, et cela sera certainement acceptable.
Les articles dont je parle ne sont malheureusement pas ceux de la dernière version de la loi. Il s'agit des articles du chapitre 20 de 1992. C'est en fait la loi qui était en vigueur au moment où M. Drummond a perdu la vie, bien qu'un grand nombre de ces articles soient toujours en vigueur et toujours pertinents. Donc, je ne sais pas si les numéros correspondront.
L'article 4 énonce les principes qui guident le Service correctionnel dans l'exécution de son mandat défini à l'article 3, qui consiste à assurer l'exécution des peines et à aider à la réadaptation.
L'alinéa 4a) prévoit que la protection de la société est le critère prépondérant. Cela va de soi.
L'alinéa 4b) énonce que l'exécution de la peine tient compte de toute information pertinente. On pourrait alors se demander pourquoi on transférerait un homme sans son dossier et sans assigner un agent de gestion des cas pendant deux semaines. J'estime que cela est pertinent. La loi est peut-être adéquate, mais l'application peut poser problème ici. Je sais que cela ne relève pas de votre mandat, mais nous aimerions quand même en faire état.
L'alinéa 4d) indique que le service doit prendre les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants et que ces mesures doivent être le moins restrictives possible.
L'alinéa 4e) énonce que les délinquants—et nous sommes bien entendu tous d'accord—continuent à jouir des droits et privilèges reconnus à tous les citoyens, avec des restrictions.
• 1350
L'alinéa 4g) prévoit que les décisions du Service
correctionnel doivent être claires et équitables et que les
délinquants doivent avoir accès à des mécanismes efficaces de
règlement des griefs.
L'alinéa 4h) oblige le service à respecter les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu'entre les sexes.
Le président: Je vais vous interrompre un instant, maître Hartzog. Sur notre version de la loi, l'article 19 prévoit qu'en cas de décès ou de blessures graves d'un détenu, le service doit...
Me William Hartzog: Je ne suis pas encore arrivé là. Ce n'est pas ce que je disais.
Le président: Très bien.
Me William Hartzog: Ce que j'ai dit à propos de «doit» et «peut»...
Le président: Il s'agirait des enquêteurs correctionnels.
Me William Hartzog: C'est exact.
Le président: Oui, d'accord.
M. William Hartzog: La loi prévoit que le commissaire peut ordonner une enquête par la commission. Nous estimons que cela serait sans doute une obligation utile.
Je suis désolé que les numéros d'articles ne correspondent pas mais les principes sont les mêmes et un grand nombre d'entre eux restent en vigueur.
De toute évidence, le mandat du Service correctionnel est la prise en charge et la garde des détenus en préparation à leur libération. Puis nous arrivons à ce qui était à l'époque l'article 6, concernant le gouverneur en conseil. Cela concerne directement la prise de règlements par le gouverneur en conseil. Il ne s'agit pas de règlements pris par le commissaire. Comme ils sont pris par le gouverneur en conseil, ils ont une poids législatif en ce qui concerne le contrôle et la gestion, la prise en charge et le contrôle et tous les autres aspects pertinents.
Je sauterai maintenant à l'article 19, qui est le même que votre article 19, lequel prévoit qu'en cas de décès ou de blessures d'un détenu, le service doit faire enquête et remettre un rapport au commissaire.
Je suppose que l'enquête régionale qu'ils ont faite était ce genre d'enquête. Nous n'en sommes pas entièrement sûrs mais il y a eu enquête. La loi prévoit que l'enquêteur correctionnel doit recevoir un rapport. Il serait probablement pertinent que l'enquêteur correctionnel ait le mandat de s'occuper de façon plus précise des cas de décès et d'invoquer les pouvoirs de la Loi sur les enquêtes, comme je l'ai déjà indiqué.
L'article 22 prévoit que le ministre peut prendre des règlements et verser une indemnité. À ce stade, les Drummond n'ont pas demandé d'indemnisation et cela n'a pas non plus été soulevé par le Service correctionnel ou le solliciteur général du Canada. Il faudrait peut-être que le règlement prévoit des mesures d'aide. Devrions-nous d'abord intenter des poursuites, ou devrait-il y avoir... Je pense que l'enquête a permis de constater qu'il y avait eu erreur ou négligence—non pas une négligence délibérée, mais ce que je considère comme de la négligence. C'est un aspect important.
En ce qui concerne l'article 23, l'obligation de transmettre des renseignements, au moment du transfèrement d'un détenu, les responsables devraient avoir les renseignements personnels concernant le détenu ainsi que les motifs de sa détention.
L'article 24 prévoit que les renseignements doivent être tenus à jour. Nous estimons que l'enquête a établi que s'ils avaient eu des renseignements plus à jour, ils auraient pu intervenir de façon plus appropriée. Il ne s'agit pas d'une plainte, d'une doléance ou d'une chicane. Il s'agit d'une situation qui a entraîné la mort.
L'article 28 prévoit qu'un détenu doit être transféré dans le milieu le moins restrictif possible, en tenant compte des besoins du détenu.
En ce qui concerne l'article 31, c'est-à-dire l'isolement préventif, il semble que M. Drummond a probablement été d'abord mis en isolement préventif, même si le rapport ne l'indique pas, et a probablement comparu devant un conseil d'audience. Il a été mis en isolement parce que les cellules de détention étaient pleines mais aussi probablement à cause d'une infraction. Cela ne fait aucun doute. Je pense qu'au départ il a fait l'objet d'un isolement préventif.
De toute évidence, pour ordonner l'isolement préventif d'un détenu, il faut avoir des motifs raisonnables. Il faut arriver à la conclusion qu'il n'y a aucune autre solution possible. La loi de 1992 prévoit, à l'alinéa 31(3)c), que le directeur du pénitencier doit s'assurer que l'isolement est nécessaire. Cette responsabilité pourrait être déléguée, je suppose, à un subalterne, mais nous estimons qu'il devrait y avoir une participation plus directe de la part du directeur de l'institution. La loi par la suite exige que le directeur du pénitencier visite le détenu chaque jour où il est en isolement. Comme je l'ai dit, le rapport n'indique pas que cela a été le cas.
• 1355
L'article 32 énonce que toutes les décisions sont fondées sur
les règles énoncées à l'article 31—c'est-à-dire les mesures les
moins restrictives et les plus appropriées—et nous savons que
l'article 33 énonce la marche à suivre dans le cas des détenus en
isolement.
L'article 36 concerne ce que j'ai indiqué à l'instant à savoir l'obligation de la part du directeur de visiter l'aire d'isolement chaque jour. Je comprends bien que vous n'êtes pas ici pour enquêter sur ce cas. Quoiqu'il en soit, il peut s'agir d'un aspect qui mérite un examen plus approfondi et qui nécessite peut-être des dispositions réglementaires plus précises.
L'article 37 stipule que le détenu en isolement a les mêmes droits et privilèges que les autres détenus, compte tenu des restrictions nécessaires.
Je mentionne uniquement l'article 38 parce qu'il énonce l'existence d'un régime disciplinaire. Comme l'enquête l'a indiqué, il n'est pas évident que M. Drummond a été mis en isolement par suite d'une mesure disciplinaire. On ne sait pas au juste s'il a eu une audition. Est-ce que vous comprenez cela?
L'article 40 indique quelles sont les infractions disciplinaires. Je n'ai pas l'intention de m'étendre là-dessus, mais nous savons que l'article 42 prévoit qu'un avis écrit doit être remis au détenu indiquant le motif de sa mise en isolement ou de la mesure disciplinaire. Il faut savoir pourquoi, savoir s'il s'agit d'une infraction mineure ou grave, et vous avez ensuite une série de procédures.
Je comprends que c'est une chose de vous dire qu'on a mal manoeuvré dans cette affaire et une autre de vous dire que vous devriez prévoir, dans la loi, une protection suffisante. En ce qui concerne l'article 69, nous dirions que même si habituellement nous pourrions croire qu'un traitement inhumain, cruel ou dégradant à l'égard d'un délinquant est une chose évidente pour la plupart d'entre nous—c'est-à-dire la cruauté et une hostilité délibérée, la torture et des choses de ce genre—je pense qu'il est possible d'établir que le fait de priver un détenu de services de santé et de ne pas fournir ces services à temps pourrait être considéré comme un traitement inhumain, pour ne pas dire cruel.
J'attire l'attention des honorables députés sur l'article 72 concernant votre droit de visiter n'importe quel pénitencier au Canada, n'importe quelle prison et n'importe quel détenu.
Il est important de souligner qu'en ce qui concerne les soins de santé, aux articles 85, 86 et 87, nous définissons ce que l'on entend par soins de santé. Nous définissons les soins de santé mentale, et à l'article 86, le service est obligé de fournir les soins de santé essentiels et d'assurer un accès raisonnable aux soins non essentiels. Dans ce cas, nous estimons que les soins essentiels qu'il aurait dû recevoir ne lui ont pas été offerts.
L'article 87 prévoit que le service doit toujours tenir compte de l'état de santé du délinquant et des soins qu'il requiert dans toutes les décisions qui touchent le délinquant.
Je passe maintenant à l'article 90 qui prévoit une procédure de règlement en cas de grief. Vous savez pourquoi vous êtes détenu. Vous pouvez présenter grief et vous pouvez vous plaindre. Il faut assurer au délinquant un libre accès à la procédure.
L'article 86 énonce que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements. À notre avis, il y a un certain nombre de règlements dont il est important, à notre avis, que le comité tienne compte et qu'il devrait peut-être examiner.
Nous savons que le gouverneur en conseil formule des recommandations concernant le placement des détenus, conformément à un autre article et concernant leur transfèrement. Il faudrait déterminer si le règlement est satisfaisant en ce qui concerne les transfèrements sans documentation. Il ne faut jamais transférer quelqu'un—même si d'après ce que l'on entend, cela se fait souvent—sans leurs documents, sans indiquer à ceux qui reçoivent les détenus, qui ils sont ou ce dont ils ont besoin.
Quant aux règlements concernant l'administration de l'isolement... Nous n'avons pas en fait préparé de document d'information pour vous sur cette question. C'est peut-être un aspect qui exige un examen plus approfondi.
Nous savons également que d'autres personnes que les membres du personnel peuvent effectuer des audiences disciplinaires, et c'est le régime du président indépendant.
L'alinéa 96y) énonce que les procédures à suivre en cas de décès d'une détenu, doivent être préparées par le gouverneur en conseil. Il y aurait peut-être lieu d'améliorer ces dispositions et de les examiner de façon plus approfondie... Vous lirez le rapport d'enquête et vous constaterez que le président de l'enquête était préoccupé par ce décès. Il ne s'agit pas d'indifférence ici, mais à notre avis d'un examen insuffisant des raisons pour lesquelles cela s'est produit. C'est donc prévu par les règlements et il faudrait peut-être examiner la question.
• 1400
L'article 96 prévoit la prise d'un règlement concernant
l'attribution d'une cote de sécurité. M. Drummond a été transféré
à Donnacona de Leclerc. Il avait été suspendu, et il avait besoin
d'une audience postsuspension. Il pouvait sortir, il pouvait
rester. S'il restait, il n'avait que quatre mois à purger. Oui, il
répondait aux normes de Donnacona en raison de son comportement
personnel—difficile, hostile, agressif, peut-être difficile,
peut-être violent—mais ce n'est pas le seul établissement qui peut
accueillir ce genre de détenus. Il devait également avoir une
audience dans deux semaines. Donc, pourquoi l'ont-ils transféré?
Ce que nous espérons faire, comme nous l'avons répété à maintes reprises, ce n'est pas de vous demander d'examiner ce qui s'est passé mais de vous demander d'examiner les lacunes de la loi.
Le président: Maître Hartzog, vous allez nous fournir certaines recommandations en fonction du cas Drummond, n'est-ce pas?
Me William Hartzog: Nous nous ferons un plaisir de le faire. Notre intention à ce stade était de vous communiquer nos préoccupations. Mais oui, nous pourrions vous fournir plus de renseignements.
Le président: De toute évidence, je vous ai laissé beaucoup plus de temps que prévu pour cette raison même, à savoir pour obtenir de l'information, mais il serait des plus utiles pour le sous-comité si vous pouviez nous fournir certaines recommandations particulières en fonction de cette expérience.
Me William Hartzog: Oui. Je vais simplement terminer par l'article 167, qui énonce le rôle et les obligations de l'enquêteur correctionnel.
En tant que simples citoyens, parents d'un détenu décédé, il est difficile d'engager un avocat qui a le temps et les ressources nécessaires pour procéder à un examen suffisamment approfondi de la loi, qui est de toute évidence une entreprise considérable, comme vos attachés de recherche le savent certainement.
Nous espérons vous avoir dit ce que nous estimions être certains problèmes. Nous serions certainement prêts à revenir et à répondre par écrit. J'espère ne pas avoir pris trop de temps, au cas où vous avez des questions à poser aux Drummond. Comme vous le savez, la présentation de cet exposé est une décision conjointe.
Le président: Je pense que nous avons nettement dépassé le temps qui nous est alloué.
[Français]
Monsieur Perron, avez-vous des questions à poser?
M. Gilles Perron: J'aimerais faire un court commentaire. Le cas qu'on a devant nous est-il encore en cour? Où en est-il rendu?
Me William Hartzog: Il n'y a aucune poursuite ou aucune mise en demeure. Pour le moment, il n'y a qu'une demande d'information. Au début, les Drummond ne favorisaient pas un recours en dommages, mais cela est tout de même envisageable. Pour le moment, ils souhaitent mieux comprendre ce qui s'est passé et peut-être entamer des discussions à l'égard d'un dédommagement. Il n'y a pas de poursuite. Il y a simplement eu le décès et la demande de renseignements, et on est en train de l'évaluer. Le solliciteur général a répondu en fournissant les résultats de l'enquête. Il est très regrettable qu'on n'ait pas aussi fourni les résultats de l'enquête de la Sûreté du Québec. Nous n'avons pas non plus certains documents qui pourraient provenir du coroner. On a ses conclusions mais... Donc, il n'y a pas de poursuite au moment où l'on se parle. Il n'y a même pas de début de poursuite.
M. Gilles Perron: J'espère que vous allez nous envoyer vos recommandations.
Me William Hartzog: Je le ferai en toute sincérité. Étant donné les résultats de l'enquête, je ne peux m'empêcher de conclure que bien qu'on regrette énormément ce qui s'est passé, on ne s'est pas donné pour mission de ne plus jamais permettre ce genre de chose. En 1997, il y a eu un autre suicide à Donnacona. Que nous sachions, c'est le quatrième. C'est extrêmement grave quand un gardien dit que le problème d'un détenu, c'est que les autres détenus ne l'aiment pas parce qu'il dérange, alors qu'il est presque en délire. Il a déliré pendant deux jours, sinon quatre. C'est un court laps de temps. Oui, nous nous engageons à vous faire des recommandations.
• 1410
Les Drummond ont peut-être quelques petits commentaires
à faire sur ce que j'ai dit.
Le président: Je dois d'abord donner la parole à M. Wappel.
Me William Hartzog: D'accord.
[Traduction]
M. Tom Wappel: Je tiens à vous remercier d'être venus. Permettez-nous de vous exprimer toutes nos condoléances pour la disparition de votre fils. Je suis sûr qu'aucun parent ne veut survivre à ses enfants. Quand quelqu'un s'enlève la vie, c'est toujours tragique.
Nous aimerions avoir vos recommandations tout de suite, car nous commençons nos délibérations mardi, et plus vous pourrez nous les fournir rapidement... Il n'est pas nécessaire de présenter des arguments détaillés, étant donné que nous avons entendu votre témoignage. De simples recommandations suffiront.
Il semblerait qu'à première vue, d'après votre exposé, il s'agit surtout d'un problème au niveau de l'application correcte des procédures, des lois et des articles qui existent déjà. Cela bien entendu ne relève pas de notre mandat.
Donc essentiellement, je crois que vous recommandez en particulier qu'en cas de décès à un pénitencier, l'enquêteur correctionnel devrait systématiquement effectuer sa propre enquête. C'est donc clairement ce que vous recommandez en particulier.
Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Wappel.
Me William Hartzog: Je pense que nous avons le service correctionnel le plus démocratique au monde. Le Danemark a peut-être un système progressiste ou peut-être certains pays européens, mais notre intention n'est pas de dire qu'il s'agit d'un service correctionnel qui n'est pas investi d'une mission adéquate. Bien au contraire, et les Canadiens peuvent être fiers des valeurs et des protections qui sont énoncées dans cette loi. Je suis convaincu qu'un grand nombre des membres du personnel, des directeurs et des chefs régionaux ont pris eux-mêmes ce même engagement.
[Français]
Je n'ai aucunement l'intention d'insinuer que la mission est inadéquate. Au contraire, je crois que c'est une des meilleures missions qui existent au monde et une des plus démocratiques. Il s'agit de l'une de celles qui respectent le plus les droits des détenus. Il y a encore du chemin à faire, mais
[Traduction]
Je pense qu'il est nécessaire que nous déclarions, du moins personnellement, que nous en sommes fiers, que le service a sa propre mission tout comme la Commission des libérations conditionnelles. Mais il faut nous demander: quelles mesures devons-nous prendre en ce qui concerne la loi?
J'ai enseigné le droit au Rwanda. La Constitution du Rwanda est extrêmement avancée et garantit
[Français]
la présomption d'innocence et ainsi de suite. Cette constitution est irréprochable. Il y a cependant eu dans ce pays un génocide de 500 000 personnes.
[Traduction]
Les lois sont importantes et doivent être revues. Je félicite le commissaire de son examen qui, à mon avis, est extrêmement utile.
[Français]
Le président: Monsieur Perron.
M. Gilles Perron: Vous venez de dire que le système carcéral du Danemark était un système dont on pourrait retenir certaines idées.
Me William Hartzog: Oui, mais je dirais aussi que le nôtre se compare favorablement aux systèmes les plus progressistes. Je ne pense pas qu'il y ait de failles structurelles, flagrantes ou insidieuses, dans notre loi. Pour ma part, j'accorde un très grand vote de confiance à la mission, aux principes, au respect du détenu, au régime disciplinaire et à tout le reste. Il y a d'autres systèmes dans lesquels on a peut-être tendance à moins incarcérer, mais ce n'est pas la faute de la Loi sur le système correctionnel; c'est plutôt une autre mentalité. Oui, je voulais faire un compliment à d'autres systèmes, mais non insinuer que le nôtre...
• 1415
Les droits démocratiques inscrits dans cette loi sont plus
qu'adéquats, à mon avis. Il y a la Charte des droits
et libertés.
Le président: Merci, monsieur Perron. Maître Hartzog, merci beaucoup.
[Traduction]
Monsieur et madame Drummond, merci beaucoup d'être venus.
Comme M. Wappel l'a indiqué, notre comité va préparer sous peu des instructions à l'intention des attachés de recherche. C'est pourquoi nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous fournir l'information en question.
Me William Hartzog: Je pars pour la fin de semaine, j'amènerai mon petit ordinateur avec moi et j'essaierai de vous envoyer l'information par télécopieur mardi.
Le président: Je vous remercie.
Me William Hartzog: Je tiens à vous remercier d'avoir permis aux Drummond de venir témoigner—et moi aussi.
Le président: Notre témoin suivant est Alice Katovitch. Si vous voulez bien vous avancer.
Je crois comprendre que M. Jean-Jacques Ranger vous accompagne.
Mme Alice Katovitch (témoignage à titre personnel): Il est ici, mais il prendra la parole après moi.
Le président: Très bien. Vous avez la parole. Je vous demanderais de ne pas prendre plus de 10 minutes pour présenter votre exposé afin de laisser le temps aux membres de vous poser des questions.
Mme Alice Katovitch: Bon après-midi, honorables membres du Comité de la justice.
Je m'appelle Alice Katovitch, et je suis la mère d'un délinquant primaire qui a été incarcéré dans le système pénitencier fédéral en janvier 1994 par suite d'une peine de cinq ans pour vol à main armée. Sa peine de cinq ans devait prendre fin en janvier 1999.
J'ai vécu le pire cauchemar que peut vivre un parent, 24 heures sur 24 pendant quatre ans et demi, dans la crainte que mon fils soit tué ou soit poussé à se tuer dans une prison fédérale ici au Québec.
Mon fils a passé la majorité de sa peine en isolement sollicité, et a fait l'objet d'une mise en isolement disciplinaire pour sa propre protection vers la fin de sa peine.
La vie de mon fils a été menacée en 1995 lorsqu'il était dans la prison à sécurité moyenne de Cowansville. Il n'a pas été menacé par d'autres détenus, comme on pourrait s'y attendre, mais plutôt par le personnel du Service correctionnel, qui lui a dit qu'il pourrait finir par se cogner la tête comme Barnabé lorsqu'il serait mis en isolement.
Le 21 mars 1997, mon fils a été transféré à Port Cartier. Pendant qu'il attendait son transfèrement, des rumeurs ont commencé à circuler à Donnacona comme quoi les gardiens avaient payé quelqu'un pour faire tuer mon fils lorsqu'il arriverait à Port Cartier. Ces menaces de mort contre mon fils ne vous paraissent peut-être pas crédibles, mais pour mon fils, qui a dû vivre cette expérience, et pour moi-même, impuissante à faire quoi que ce soit, ces menaces étaient très réelles et nous ont terrorisés.
Les choses ont commencé à s'envenimer en 1994, lorsque le professeur de dessin technique de mon fils a décidé de l'expulser du cours. Le professeur a changé le temps qui lui avait été alloué pour faire un travail particulier sur un module, de sorte que le temps alloué par le ministère de l'Éducation est passé de 72 heures à 36 heures. Le professeur ayant modifié le nombre d'heures, il aurait été impossible pour mon fils de terminer son travail à temps, et lorsqu'il a refusé de signer le document que lui a présenté son professeur, il a été convoqué devant le comité de travail et expulsé du programme. Ce programme était très important pour la réadaptation de mon fils.
• 1420
Si le Bureau du vérificateur général n'était pas intervenu,
mon fils n'aurait pas pu terminer son programme d'études
secondaires et obtenir son certificat d'études en juin 1995 à
Cowansville.
Mon fils a essayé de régler ces irrégularités en ayant recours au processus interne de griefs et de plaintes. Ces mesures ont été utilisées contre lui et il a été condamné et convoqué devant le président des mesures disciplinaires et mis en isolement. Il a été trouvé coupable. La situation a pris une mauvaise tournure lorsque le professeur en question lui a dit: «Si tu t'en prends à l'un d'entre nous, tu t'en prends aux 300 autres agents.»
Mon fils a rapidement appris ce qu'il voulait dire par là lorsque le 23 décembre 1994, son premier Noël en détention et loin de sa famille, un gardien l'a blessé après que sa cellule ait été fouillée pour le harceler et qu'ils aient pris du sucre, du papier collant, une machine à écrire et de la vaisselle. Ils l'ont blessé puis ont déposé une multitude de fausses accusations contre lui pour justifier de le mettre en isolement pendant cinq jours, soit du 23 au 28 décembre 1994. On lui a refusé de téléphoner à un avocat et de téléphoner à sa famille. J'ai été mise au courant de la situation par un autre détenu qui m'a téléphoné et qui m'a dit que mon fils venait d'être mis en isolement.
J'ai alors téléphoné à la prison et pris des dispositions pour rendre visite à mon fils. On m'a dit de venir le 27 décembre, ce que j'ai fait. Je n'ai pas dit à mes enfants, à mes filles que leur frère avait été envoyé au trou. À l'intérieur de la prison, je leur ai dit: «Nous ne pourrons peut-être pas le voir parce qu'ils l'ont envoyé au trou comme ils disent.» Mes filles ont été bouleversées. Lorsque nous sommes entrées dans la prison, on a voulu m'en refuser l'accès, mais je leur ai dit que j'avais la permission du directeur adjoint de l'établissement et d'un autre monsieur du département des visites et ils nous ont laissées lui rendre visite mais nous étions derrière une paroi de plastique et nous ne pouvions ni le toucher ni l'embrasser.
Le président: Je vais devoir vous interrompre, madame Katovitch. Je vois que vous venez de lire une page et demie de votre mémoire et que c'est un mémoire de six pages. De plus, nous ne sommes pas ici pour juger à nouveau d'événements particuliers. S'il y a des conclusions et des recommandations que vous pouvez tirer de l'expérience du système correctionnel vécue par votre fils, c'est ce qui serait utile au sous-comité.
Mme Alice Katovitch: C'était une situation horrible, tous les jours. Ma facture de téléphone est passée de 200 $ à 500 $ par mois. Je suis très reconnaissante... Je ne sais pas pourquoi on l'a laissé faire autant d'appels, mais j'en suis reconnaissante puisque je pouvais lui parler et le rassurer relativement à son état d'esprit. Il m'a dit ce qui se passait et j'ai pris des notes.
Nous étions effrayés, vraiment effrayés, parce que nous les croyions sur parole. Je ne pouvais pas comprendre. J'ai appelé à Ottawa et rien ne s'est passé, semble-t-il.
Au sujet de l'obligation de rendre des comptes, je vais vous parler de Donnacona...
Le président: Le document a été remis au comité, nous l'avons.
Mme Alice Katovitch: À Donnacona, mon fils a demandé l'isolement parce que les gardiens lui faisaient la vie dure. Ils l'empêchaient de participer à ses programmes et disaient ensuite qu'il avait refusé de participer, rédigeant toutes sortes d'accusations. Il allait comparaître devant le comité de discipline. C'était horrible. Il a donc décidé d'aller en isolement sollicité.
Pendant qu'il y était, ils ont tout de même réussi à porter des accusations. En revenant d'une audience disciplinaire, un matin, un gardien est venu lui dire qu'il le reconduirait. Quand ils sont arrivés à la grande porte, contrôlée électroniquement, le gardien lui a dit d'avancer. Mon fils avait les mains pleines; il portait tous les documents utilisés pour sa défense, et il n'a pas pu passer la porte parce que les gardiens ne l'ouvraient pas pour lui. Le gardien qui l'accompagnait a commencé à le battre, à le tabasser. C'est documenté, il y a des dossiers médicaux. Une psychologue est sortie de son bureau pour voir d'où venait tout le bruit, elle a vu ce qui se passait; il y avait aussi là d'autres gardiens.
• 1425
Quelqu'un doit rendre des comptes. On ne peut pas se contenter
d'entendre: «Nous n'avons pas fait ça», ou «la force utilisée était
justifiée». Il y a de bons employés mais aussi de mauvais. Et on
prend leur parole plutôt que celle d'autres personnes.
J'ai suivi mon fils de près pendant ces cinq années et il a un dossier suffisamment étoffé. Il a des enregistrements des audiences internes. C'est une question très importante pour nous.
Le président: Mais...
Mme Alice Katovitch: Le président peut être juge. Il est aussi le procureur.
Le président: Malheureusement, madame Katovitch, nous ne sommes pas ici pour faire le procès du Service correctionnel du Canada. Nous sommes ici pour examiner la loi qui le gouverne et pour recevoir des recommandations, ainsi que pour en faire nous- mêmes au Parlement, sur des changements précis à la loi.
Beaucoup de ce que vous nous dites... Votre fils trouverait peut-être recours auprès des tribunaux, s'il peut prouver qu'il y a eu abus de la part des gardiens, par exemple.
Mme Alice Katovitch: Je ne suis pas venue dans un esprit de vengeance contre le Service correctionnel. Il est très important de se demander pourquoi il y a tant de décès, et je crois que quelqu'un doit se pencher là-dessus.
Mon fils a commis une erreur. Il voulait vraiment rentrer dans le droit chemin et il l'a fait, Dieu merci. Mais il y a beaucoup de gens là-bas, beaucoup de choses terribles qui leur arrivent, qui ne sont pas permises par la loi. C'est tout ce qui nous intéresse désormais. Je comprends que ce n'est qu'anecdotique, mais je voulais vous donner une idée générale de ce qui se passe en dedans.
Le président: Nous l'apprécions. Je voulais simplement bien expliquer le mandat et le rôle ou la fonction de notre sous-comité, ce qu'il fait et ce qu'il ne fait pas.
Je retiens particulièrement vos arguments relatifs à la reddition de comptes pour le Service correctionnel. Je pense que c'est une question que vous avez bien mise en évidence.
Je donne la parole aux autres membres du comité, pour qu'ils puissent poser leurs questions.
[Français]
Monsieur Perron, avez-vous des questions?
M. Gilles Perron: Bonjour, madame. Comme le président vient de vous le dire, notre rôle n'est pas de juger du cas de votre fils. Cependant, monsieur le président, je vous fais une demande: j'aimerais que nous étudiions ce cas qui nous est présenté afin que nous puissions voir s'il serait possible d'améliorer la loi ou de trouver des moyens quelconques pour remédier à des cas de ce genre. C'est le seul commentaire que j'ai à faire. Je ne peux pas simplement dire que vous avez raison ou que vous avez tort en ce qui a trait à votre fils. Par contre, je peux dire que cela nous donne de quoi réfléchir sur le système carcéral.
[Traduction]
Le président: Monsieur Wappel.
M. Tom Wappel: Madame, la loi actuelle prévoit une procédure, un recours pour les détenus: c'est l'enquêteur correctionnel. Est- ce que votre fils ou vous-même vous êtes adressés à l'enquêteur correctionnel dans cette situation et, dans l'affirmative, qu'a-t- il fait ou qu'a-t-il omis de faire, d'après vous?
Mme Alice Katovitch: Mon fils s'est bel et bien adressé à l'enquêteur correctionnel en 1994. D'après les documents que j'ai, quatre ans plus tard, il semble qu'aucune aide n'a été accordée. Le 21 mars 1997, mon fils était transféré de Donnacona à Port Cartier, et j'ai reçu des renseignements selon lesquels il se ferait tuer parce que les gardiens avaient mis sa tête à prix, à Port Cartier. J'avais une déclaration signée par un témoin. J'ai appelé l'enquêteur correctionnel qui ne m'a pas prise au sérieux. Il devait penser que c'était sans fondement. Ma fille a alors télécopié des documents au solliciteur général, au directeur à Donnacona, à l'enquêteur correctionnel, au responsable de ce bureau, et, je pense, même au premier ministre du Canada.
M. Tom Wappel: Excusez-moi de vous interrompre, madame. Si vous aviez une déclaration signée au sujet d'un complot de meurtre, pourquoi avez-vous appelé l'enquêteur correctionnel? Il fallait certainement appeler la police.
Mme Alice Katovitch: Eh bien, dans le dossier de mon fils, il y a aussi des rapports de police.
M. Tom Wappel: Mais nous parlons d'une infraction au Code criminel, de la conspiration de meurtre.
Mme Alice Katovitch: Oui, maintenant que vous m'en parlez, vous avez raison... Vous avez raison.
M. Tom Wappel: Et vous n'avez pas appelé la police.
Mme Alice Katovitch: Mais ce n'est pas à moi de le dire.
M. Tom Wappel: Je comprends. Je répète ma question: Avez-vous appelé la police?
Mme Alice Katovitch: Non.
M. Tom Wappel: Mais vous avez appelé l'enquêteur correctionnel qui a estimé que ça n'avait aucun sens.
Mme Alice Katovitch: Oui.
M. Tom Wappel: Bien. Voici maintenant ma question: Votre fils a-t-il communiqué avec l'enquêteur correctionnel, est-ce qu'on lui a parlé?
Mme Alice Katovitch: Oui, on est aussi allé le visiter, mais il n'y a jamais eu de... Il semble qu'on ne l'a pas aidé.
M. Tom Wappel: Lui a-t-on fourni un rapport? L'a-t-on mis au courant des conclusions de l'enquêteur?
Mme Alice Katovitch: Non, on ne lui a pas donné de rapport. Mais il a fait une demande d'accès à l'information à leur bureau. Dans les premiers documents reçus, je pense que la moitié de l'information était manquante sur les pages et il a déposé une plainte. Juste après sa sortie d'Archambault en février 1999, il a fait toutes sortes de demandes d'accès à l'information pour obtenir ses dossiers. On lui en a envoyé avec des pages pleines, mais il n'y avait rien à en tirer. Nous avons ces dossiers à la maison, qui n'ont aucun sens, mais absolument pas.
L'enquêteur correctionnel a dit, en 1997, lorsque je lui ai parlé de ces menaces de mort, que je devrais être très inquiète et craintive au retour de mon fils à la maison. Je dois dire que je me suis sentie vraiment troublée lorsqu'il m'a dit cela, parce que je suis une mère et que j'aime réellement mon fils. Je lui ai dit: «Bien, auriez-vous l'obligeance d'écrire dans une lettre tout ce que vous venez de me dire au téléphone?» Il a dit qu'il le ferait et il a raccroché. Il semble que je l'ai mis vraiment en colère. Je ne sais pas. C'est peut-être parce que je lui parlais de tout cela. Mais c'est la réalité. Cela s'est produit. Nous avons des documents à l'appui, et il y en a encore beaucoup d'autres.
M. Tom Wappel: Je vous remercie sincèrement.
Le président: Merci, monsieur Wappel.
Merci beaucoup, madame Katovitch, d'être venue faire part au sous-comité de votre expérience du système correctionnel.
Encore une fois, je veux insister sur le mandat du sous- comité. Nous ne passons pas en revue des cas particuliers. Il y a d'autres organismes ayant compétence pour les cas particuliers. Nous sommes ici pour examiner comment la loi fonctionne en général et pour faire au Parlement des recommandations de changements à la loi.
• 1435
Beaucoup des choses dont vous traitez dans cette note que vous
nous avez remise se rapportent à l'application de la loi, à des
incidents précis, etc. Certaines instances peuvent traiter de ces
questions et rechercher les faits et je veux que cela soit bien
clair. Mais nous apprécions que vous ayez pris le temps de venir
nous faire part de votre expérience.
Mme Alice Katovitch: Je vous remercie de m'avoir reçue, merci beaucoup.
Le président: Merci.
[Français]
Le prochain témoin sera M. Jean-Jacques Ranger. Monsieur Ranger, êtes-vous plus à l'aise en français ou en anglais?
[Traduction]
En anglais
M. Jean-Jacques Ranger (témoignage à titre personnel): Je comparais à titre personnel.
Le président: Bienvenue au sous-comité, monsieur Ranger. Nous vous demandons de présenter un exposé d'une dizaine de minutes, si vous le pouvez. Nous insistons de nouveau sur le mandat du sous- comité, qui est de présenter des recommandations générales sur des changements à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, pour le Parlement et par l'intermédiaire du Comité permanente de la justice et des droits de la personne. Vous avez la parole...
M. Jean-Jacques Ranger: Je veux m'assurer que vous avez tous un exemplaire de mon petit texte.
Le président: Oui, nous l'avons, votre exposé a été distribué.
M. Jean-Jacques Ranger: Pour commencer, j'aimerais parler de la reddition de comptes chez ce que beaucoup de personnes appellent le système, le Service correctionnel, la Commission nationale des libérations conditionnelles, et même le Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada. Bien entendu, je ne vois pas le système comme un simple système. J'y vois plutôt un ensemble de personnes qui exercent les pouvoirs qui leur sont conférés notamment par la LSCMLC, d'une manière qui touche directement d'autres personnes. Certains peuvent y voir un système, mais j'y vois un tas de gens qui prennent des décisions qui touchent très directement des personnes. Je veux que cela soit clair, parce que lorsque j'entends les mots «le système», je me demande... Il se trouve que quelqu'un a fait quelque chose, ou que quelqu'un a pris une décision directement contre une autre personne, que toutes ces décisions s'accumulent pour former ce qu'on appelle le système.
Dans mon mémoire, je parle de quelques petites choses de la loi pour lesquelles je demande une révision ou un changement, ou même un simple examen. Au sujet de la reddition de comptes en général, j'aimerais présenter au comité une proposition ou une suggestion qu'il pourrait examiner plus à fond. D'abord, je tiens à dire que je comparais ici aujourd'hui parce que j'ai trop de documents et trop de choses qui montrent clairement que le système pourrait avantageusement être modifié, comment on pourrait le modifier et quelles parties du système fonctionnent vraiment à l'heure actuelle.
J'aimerais faire quelques demandes directes avant d'aller plus loin. Si j'ai bien compris, le comité a le pouvoir de convoquer des témoins ultérieurement, pour approfondir certaines questions.
Le président: Oui, le comité peut inviter des témoins et a même le pouvoir de contraindre à comparaître des fonctionnaires, etc. Mais évidemment, nous devons être convaincus que le sujet est de portée générale et que la démarche servira bien notre examen de la loi.
Si vous avez des documents à déposer auprès du comité, n'hésitez pas à le faire. Nous recevrons volontiers toute la documentation que vous voulez nous remettre. En préparant son rapport, le comité examinera les témoignages de tous les témoins qui sont venus en personne de même que tous les documents que nous avons reçus.
M. Jean-Jacques Ranger: Puis-je vous demander combien de temps à l'avance il faut vous présenter de l'information avant que vous décidiez si vous allez convoquer ou non des témoins ultérieurement?
Le président: Nos travaux sont déjà avancés. C'est la cinquième de nos visites régionales. D'après notre calendrier, la semaine prochaine, nous commencerons à revoir les témoignages reçus et à donner des instructions à nos attachés de recherche pour le rédaction du rapport. Le temps presse. Nous nous consacrerons sous peu à la préparation du rapport.
M. Jean-Jacques Ranger: Bien.
J'aimerais parler très brièvement de la reddition de comptes. Je sais qu'il existe en ce moment un bureau que M. Wappel a mentionné, celui de l'enquêteur correctionnel du Canada. Je lui ai écrit un tas de lettres quand j'étais en prison, et à cette époque, à cause des choses que j'ai vécues, je l'appelais souvent «enquêteur correctionnel chargé du camouflage». Je ne faisais pas ça pour me faire des ennemis dans son bureau, même si à la fin, ça ne me servait à rien d'appeler à ce bureau parce que toute intervention était tout simplement hors de question. Je le faisais parce que je suis une personne très honnête et une personne très directe. J'appelle un chat un chat. Je dis les choses comme elles sont.
Bref, j'ai fait appel à l'enquêteur correctionnel à plusieurs reprises au sujet de certaines choses, et il m'est devenu de plus en plus évident que l'enquêteur correctionnel prenait les informations que je lui donnais pour les mettre dans ses dossiers à son bureau... Soit dit en passant, ces dossiers n'ont pas de date, ne sont pas signés; on y glisse des bouts de papier en goûtant certains mots qui disent ceci et cela, c'est très vague, et bien sûr cette situation pourrait avoir quelque chose à voir avec la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition elle-même, qui donne à l'enquêteur correctionnel presque carte blanche pour faire tout ce qu'il veut.
On ne pourrait jamais traîner ce bureau devant les tribunaux, même s'il savait qu'un meurtre allait être commis. Aussi longtemps qu'il agit de bonne foi, il est intouchable. C'est donc un aspect très intéressant de la loi. Je pensais que c'était intéressant à l'époque où j'étais en prison, et j'ai compris que ma situation était tout à fait impossible lorsque j'ai vu ça. Mon Dieu, je me suis dit, ce sont les gens à qui je peux m'adresser pour obtenir de l'aide, et ils sont intouchables. On ne peut pas du tout... on peut écrire quelques lettres, passer quelques coups de fil au bureau du premier ministre et tout cela, mais il n'arrive rien.
Comme je l'ai dit, je me suis adressé à ce bureau à maintes reprises, je lui ai écrit beaucoup de lettres, et grâce à une demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, j'ai commencé à comprendre que les renseignements qu'ils mettaient dans mon dossier étaient souvent des renseignements partiels, et ils prenaient des pages de format juridique qu'ils pliaient bien comme il faut, qu'ils photocopiaient et qu'ils mettaient dans mon dossier pour ne pas montrer les informations critiques dont je parlais. Ce sont peut-être là des méthodes très pointues que le bureau de l'enquêteur correctionnel a apprises au fil des ans pour s'arranger avec certaines choses. Mais j'ai vu clair dans leur jeu tout de suite, et j'ai très bien compris ce qui se passait.
Pour autant que je sache, ce bureau ne fait qu'exister. Il est vrai que c'est peut-être celui qui connaît le mieux le système correctionnel. Mais avoir de l'expérience et s'en servir pour régler vraiment des problèmes, c'est autre chose. Bien sûr, on ne peut pas s'attendre à ce que ces enquêteurs quittent leur bureau demain et règlent tous les problèmes dans le système correctionnel du Canada, parce que dans deux semaines, ils perdraient tous leur travail. C'est une autre chose qu'il faut examiner.
Le président: Sachez que des groupes ont recommandé à notre sous-comité que l'on oblige le Bureau de l'enquêteur correctionnel à faire un rapport au Parlement et non à Service correctionnel Canada. C'est donc là une recommandation concrète que notre sous- comité va étudier.
M. Jean-Jacques Ranger: Quand vous dites faire rapport au Parlement, voulez-vous dire le cabinet du premier ministre, le gouverneur général, la reine, ou est-ce qu'on parle du solliciteur général?
Le président: Non, au Parlement, à la Chambre des communes et aux représentants élus qui siègent à la Chambre des communes et au Sénat. C'est ça, le Parlement.
M. Jean-Jacques Ranger: Vous savez sans doute qu'à l'heure actuelle...
Le président: Comme le vérificateur général fait rapport au Parlement, et non à un ministère en particulier.
M. Jean-Jacques Ranger: Vous savez sans doute qu'à l'heure actuelle, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition autorise l'ECC, dans des circonstances particulières—dont il y a eu bien sûr un grand nombre d'exemples depuis 1992, depuis que la loi est entrée en vigueur, sans parler de la création du bureau de l'ECC lui-même—a adressé un rapport spécial directement au solliciteur général, et l'on donnerait bien sûr le suivi voulu à un tel rapport. Je dois dire que, depuis 1992, je n'ai entendu parler que d'un seul rapport, celui qui faisait suite bien sûr à cet incident célèbre de la Prison pour femmes, lorsque Fifth Estate a diffusé dans tout le Canada tout ce qui avait été enregistré sur bande, et aussi partout dans le monde.
• 1450
Je n'ai été nullement surpris de voir que le bureau de
l'enquêteur correctionnel s'était démené comme un diable dans l'eau
bénite pour envoyer un rapport quelconque au solliciteur général le
plus vite possible afin que, comment dire... «que les choses
paraissent bien», voilà le mot.
J'ai vu ce qui s'est passé et j'ai vu des détenus se faire accuser par des agents correctionnels d'être homosexuels devant d'autres détenus. Bien sûr, je disais à ces détenus de téléphoner à l'enquêteur correctionnel et de porter plainte.
J'ai vu aussi nous revenir de ce bureau des réponses qui avaient été travaillées pour présenter une version édulcorée de l'incident. Je vais vous donner un exemple. Une lettre disait: «on nous a dit»—et on employait ces fameux mots—«on nous a dit», «il semblerait que», etc. Il n'y avait rien de très clair—c'était une terminologie très, très vague. C'est un bureau très intéressant; en fait, c'est géré d'une manière très, très spéciale.
J'ai vu une lettre un jour à propos de cet incident dont je vous parle, et on disait simplement: «On nous a dit que l'agent voulait simplement vous informer du danger qu'il y a de contracter le sida dans l'établissement si vous avez des contacts sexuels.» La lettre n'en finissait plus. C'est bien joli, tout ça, pour les droits de la personne, mais ça n'avait rien à voir avec l'incident en question. J'étais là et j'ai été témoin de cet incident.
Ce n'était qu'un incident parmi bien d'autres qui m'a fait comprendre une fois pour toutes pourquoi ce bureau existe et ce qu'il fait. À mon avis, c'est du camouflage. Ce bureau camoufle les incidents qui se passent à l'intérieur des prisons dans tout le Canada, il les édulcore et les cache de telle sorte que le public ne sera pas indigné par ces choses qui se passent de plus en plus.
Le président: Avez-vous des recommandations précises à nous faire relativement au bureau de l'enquêteur correctionnel ou au système correctionnel de manière générale?
M. Jean-Jacques Ranger: À part l'abolir, ce que je vous recommanderais fortement, à l'heure actuelle, c'est la seule chose... Vous savez, il vaut mieux avoir 5 $ dans ses poches que rien—sans vous dire par là bien sûr ce que vaut ce bureau. Je ne veux pas insinuer que ça ne vaut que 5 $. Ça pourrait être beaucoup moins ou ça pourrait être beaucoup trop; ça dépend de l'opinion personnelle de chacun.
Je vous ai apporté aujourd'hui une publication du gouvernement du Québec qui s'intitule «Comité de déontologie policière». Excusez- moi. Je dois vous faire mes excuses; c'est en français seulement, et c'est la seule copie que j'ai pu obtenir du gouvernement. Mais c'est très, très intéressant, parce que ce bureau particulier a été créé ici au Québec. En anglais, ça s'appelle Police Ethics Commissioner. Sa fonction a été créée, comme vous le verrez dans l'une des petites brochures—qui sont bilingues, parce que j'ai insisté pour en avoir—pour assurer le maintien de bonnes relations entre les agents de police et le public.
Je suis sûr que vous serez d'accord avec moi pour dire que l'interaction qu'un agent de police du Québec, qu'il s'agisse d'un agent de police de Montréal, de Québec... ça ne fait aucune différence, c'est la police du Québec qui fait affaire avec le public. Je suis sûr que vous serez d'accord avec moi pour dire que si un gars se fait arrêter pour excès de vitesse ou pour avoir grillé un feu rouge ou peu importe, ce sont les cas limités où l'on fait affaire avec des agents de police.
Le gouvernement du Québec a jugé nécessaire de créer ce bureau. On ne parle pas d'un bureau chargé du camouflage ici; on parle du bureau d'un commissaire à la déontologie policière auquel on soumet des plaintes, ces plaintes sont examinées, et il décide de ce qui va arriver après, si des sanctions s'imposent, et j'ajoute qu'on donne à la plainte le suivi voulu. On ne lui écrit pas pour dire qu'un agent vous a donné une claque à la tête parce qu'il a vu un moustique sur votre tête qui allait vous piquer; c'était peut-être une abeille, on n'est pas sûr, l'agent ne peut pas s'en souvenir, mais il vous a donné cette claque et c'était de bonne foi, croyez-moi.
Je ne parle pas de ce type de bureau; je parle de quelque chose de concret ici. Vous avez l'exemple devant vous. Vous l'avez entre les mains, c'est un bureau qui peut faire enquête, et rapidement, sur les gestes posés par les agents correctionnels, gestes qui touchent directement la vie des détenus—des détenus, de leur famille, et leur perspective de réinsertion.
Vous avez sans doute lu le rapport de Mme la juge Louise Arbour. Ce rapport critiquait fortement le Service correctionnel. Je crois qu'elle a dit un peu indirectement qu'il ne fallait attendre que cet organisme se décide à agir, parce qu'il ne le fera jamais; il faut faire appel aux tribunaux. C'est presque une intervention militaire qu'il faut.
On va peut-être me trouver idiot, mais il faut que je le dise. Quand j'étais en prison et que je voyais ce qui se passait, ma seule ambition, c'était de me réinsérer dans la société. Je me suis battu avec Service correctionnel Canada pendant je ne sais combien d'années, et tout ce que je voulais, c'était de m'inscrire à des programmes, changer ma vie, me botter le derrière, si vous me passez l'expression, et sortir de prison et ne plus jamais y retourner—et pendant que j'y étais, peut-être aider quelques autres personnes à faire la même chose.
• 1455
Il y a des tas de gens qui supplient qu'on les aide, mais la
façon dont le système est administré en ce moment, parce qu'il
s'agit de l'administration des peines, est incroyable. Tout le
système vise à prolonger l'incarcération, à générer des échecs—ça
fait tellement longtemps que je suis derrière les barreaux, je ne
peux même plus parler l'anglais, et c'est ma langue maternelle,
croyez-le ou non.
Le président: Des échecs.
M. Jean-Jacques Ranger: Oui, des échecs. Le système vise à faire échouer les détenus qui essaient de s'en sortir, à éloigner les détenus de leur famille. C'est toujours comme ça.
Je prie pour que les gens qui ont en ce moment le pouvoir d'examiner cette loi vont faire de leur mieux pour obliger le système à rendre des comptes, et qu'en même temps, on va donner au système le petit coup de pouce dont il a désespérément besoin en ce moment pour devenir efficace. Les outils sont là. Il ne s'agit que de les utiliser de la bonne manière.
Donc j'imagine que vous allez prendre connaissance de ce «comité de déontologie policière» et des brochures que j'ai. J'aimerais proposer la création d'un bureau de ce genre.
Le président: Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Monsieur Perron, avez-vous des questions à poser à M. Ranger?
M. Gilles Perron: J'aimerais lui poser une question très courte et personnelle. S'il veut y répondre, ce sera tant mieux. S'il ne veut pas y répondre, ce sera tant pis, mais c'est son choix.
Quelle a été la durée de votre sentence et depuis quand êtes-vous sorti? Avez-vous fait les étapes du médium, du maximum et du minimum dans le système pénitentiaire?
[Traduction]
M. Jean-Jacques Ranger: Pour répondre à votre question, si je l'ai bien comprise, j'ai été condamné à cinq ans de prison. J'ai passé trois ans et demi à l'intérieur de l'établissement, et j'ai profité bien sûr de cette fameuse libération d'office, que vous n'abolirez pas, je l'espère, parce que c'est le seul espoir d'un tas de prisonniers... Il y a un tas de prisonniers qui doivent rester en prison; c'est ça, la détention. C'est appliqué de manière très vague, et il est important que ça reste. Mais il y a un tas d'autres prisonniers qui vont gâcher leur vie s'ils restent en prison trop longtemps. Ils vont en sortir vidés et ils vont revenir dans la société et ne pourront pas faire ce qu'ils doivent faire pour changer leur vie et devenir des citoyens productifs. C'est important.
Oui, cinq ans. La dernière partie de votre question portait surtout...
M. Gilles-A. Perron: Vous êtes sorti depuis combien de temps, et quelles mesures avez-vous prises...
M. Jean-Jacques Ranger: Vous voulez parler de la diplômation?
M. Gilles-A. Perron: Oui.
M. Jean-Jacques Ranger: Oui. J'ai commencé dans un établissement à sécurité moyenne. J'ai essayé de participer aux programmes de cet établissement. Un agent de correction a falsifié les documents. Le témoin qui a précédé ma mère a usé d'un joli euphémisme—«modifié les dates». Cet agent a falsifié des documents fédéraux. J'ai déposé des accusations à la SQ, à Cowansville, le même service policier qui vient tout juste d'être accusé d'avoir étouffé certaines affaires là-bas. Cela n'en finit pas. Les policiers sont venus lorsque j'ai été mis en isolement, le 28. J'ai appelé les policiers dès que je suis sorti et ils ont ri. Ils ne voulaient pas venir. J'ai dû appeler le bureau de Montréal pour qu'ils viennent, et ils étaient très fâchés contre moi, et ils me criaient après.
J'ai donc commencé dans un établissement à sécurité moyenne, et parce que j'ai essayé de participer aux programmes... Soyons clairs. Si j'avais pris de la drogue pendant mon incarcération et si j'avais vendu de la drogue pour l'agent de sécurité préventive, puisque c'est ce qui se faisait... Si vous amenez de la drogue à l'établissement, il ne porte pas d'accusation contre vous. Il n'appelle pas les policiers pour dire que vous avez amené de la drogue et que vous devriez être accusé conformément à la loi. Au lieu, il vous fait venir dans son bureau pour faire un marché. Il vous laisse conserver votre drogue, mais vous devez la vendre à des détenus et lui donner la liste de tous vos acheteurs. De cette façon, l'agent de sécurité préventive peut prendre de nombreuses mesures de répression, ce qui donne une image éblouissante du travail qui se fait au Service correctionnel du Canada.
Les détenus prennent de la drogue et on leur coupe sous le pied toutes leurs chances de se réadapter. Mais les gens qui travaillent dans le système ont l'air de faire du bon travail, et je suppose que c'est ce qui importe. Ce n'est qu'une petite observation.
J'ai donc commencé dans un établissement à sécurité moyenne, et parce que je voulais participer aux programmes et que je n'arrêtais pas de «chialer», puisque c'est le terme qu'utiliseraient bien des gens... Je pensais que je demandais à quelqu'un d'intervenir pour que je puisse continuer ma réadaptation. Mais parce que je dérangeais, et je dérangeais beaucoup, j'ajouterai, le Service correctionnel du Canada a fini par s'en prendre à moi.
Le Service correctionnel a déposé contre moi des accusations graves. Chaque fois que j'appelais la police, je faisais l'objet d'une accusation grave. Il en a été de même lorsque j'ai déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne. J'ai également fait l'objet d'une accusation grave lorsque j'ai communiqué avec le ministre de l'Éducation pour faire revoir mes notes, puisque le professeur disait que j'avais échoué alors que ce n'était pas le cas. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. La GRC a fini par s'en mêler et a fait une enquête semblable à celle réalisée pour David Milgaard, une enquête dans laquelle on ne cherche pas à connaître la vérité ou à savoir si la personne disait la vérité. La GRC a été mandatée par le gouvernement fédéral pour voir quelles étaient les failles dans les faits qui se présentaient.
À cause de cela, j'ai été transféré dans un établissement à sécurité maximale. On a dit que c'était parce que j'avais présenté trop de demandes et trop de plaintes.
• 1500
Je me suis prévalu de la procédure de grief des détenus. La
plus grosse erreur qu'un détenu puisse faire, dans ce système,
c'est de se prévaloir de la procédure de grief. Après, on est
foutu. Les agents vous maltraitent, ils vous persécutent, ils vont
même jusqu'à... et surtout si cela a donné de bons résultats, comme
dans mon cas. J'avais l'habitude de dactylographier mes griefs, et
c'est pour cela qu'on a confisqué la machine à écrire.
Je suis ensuite allé dans un établissement à sécurité maximale. J'y suis resté jusqu'à ce que je dépose une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada. J'ai appris comment procéder pendant les trois mois où j'ai été en isolement.
Puis le directeur de l'établissement de Donnacona est venu me rencontrer, il m'a retiré de mon école—vite, vite, réunion d'urgence. Il m'a retiré de la salle et m'a dit, entre quatre yeux, qu'il me transférerait tout de suite à l'établissement de Drummond, un établissement à sécurité moyenne. Pour cela, il suffisait que je cesse de présenter des plaintes—que je cesse d'appeler les sénateurs, les ministres, les journalistes et les médias. Si je cessais d'appeler tous ces gens, si je cessais de nuire à la crédibilité et à l'image du Service correctionnel du Canada, on pouvait m'expédier immédiatement dans un établissement à sécurité moyenne.
Mais M. Gilbert a commis une erreur. S'il m'avait dit: «Monsieur Ranger, vous n'êtes pas un mauvais diable»... En fait, il a dit cela. Il a dit: «Vous n'êtes pas un mauvais diable, mais votre dossier est terrible parce que vous résistez au Service correctionnel du Canada». S'il m'avait dit: «Je souhaite vous transférer dans un établissement à sécurité moyenne parce qu'il y a là de bons programmes dont vous pouvez bénéficier», etc., j'aurais envisagé la chose. Mais essayer de me soudoyer, alors que tout cela se passait autour de moi, cela n'a bien sûr pas marché.
Deux semaines plus tard, j'ai dû retourner en isolement parce que les agents me disaient qu'ils allaient m'assassiner en prison à moins que je cesse.
Je viens de Pointe-Saint-Charles. Je dois vous dire que ma mère m'a très bien élevé. Quand je suis convaincu d'avoir raison, rien ne m'arrête. Quand vous êtes persuadé d'avoir raison, rien ne vous fait peur. Vous n'avez pas peur même si on vous met un pistolet dans la bouche, car vous êtes persuadé d'avoir raison et d'être dans votre droit. Si cela s'était produit, si je devais être tué parce que je voulais me réadapter dans un système, eh bien, c'est ce vers quoi je m'en allais.
[Français]
Le président: Monsieur Perron, avez-vous d'autres questions? Ça va?
[Traduction]
M. Jean-Jacques Ranger: Il me reste encore une très brève remarque.
Je suis resté en sécurité maximale. On a essayé de me retirer de l'isolement, mais je ne voulais rien savoir de cela. On m'a ensuite transféré à 14 heures de ma famille, à l'établissement de Port Cartier. J'y suis resté trois mois, puis j'ai été libéré.
Donc, pour répondre à votre question, j'ai commencé dans un établissement à sécurité moyenne. J'ai entièrement achevé mon plan correctionnel, mais parce que je me suis prévalu de la procédure de grief des détenus et que j'ai communiqué avec des gens à l'extérieur des établissements, j'ai été envoyé dans un établissement à sécurité maximale et j'y suis resté pendant plus d'un an et demi.
[Français]
Le président: Merci.
Monsieur Wappel.
[Traduction]
M. Tom Wappel: Merci de votre témoignage, monsieur Ranger.
Pour que ce soit clair, vous êtes bien le fils de Mme Katovitch, n'est-ce pas?
M. Jean-Jacques Ranger: Oui.
M. Tom Wappel: C'est bien de vous qu'elle parlait dans son témoignage?
M. Jean-Jacques Ranger: Oui.
M. Tom Wappel: Je vous remercie d'avoir présenté une proposition par écrit. Je peux me tromper, et cela m'arrive très souvent, mais les détenus que nous avons entendus étaient généralement en établissement. Nous n'avons pas entendu beaucoup de détenus qui aient purgé entièrement leur peine et qui soient venus nous faire part de leur expérience. Ou bien vous êtes le premier, ou bien vous êtes l'un des premiers à l'avoir fait, et notre étude touche à sa fin.
Le président: Monsieur Wappel, nous avons entendu deux ou trois groupes qui travaillaient auprès d'anciens détenus réadaptés.
M. Tom Wappel: Oui, mais je parle des détenus eux-mêmes.
Le président: Oh, oui. Nous avons entendu un groupe, Cons for Christ, qui était représenté par un condamné à vie, ainsi qu'une association de condamnés à vie.
M. Tom Wappel: Très bien, excellent.
Il est important, à mon avis, que des gens comme vous, qui ont terminé de purger leur peine et changé leur vie, participent activement à ce processus. C'est important parce que l'expérience peut être très révélatrice.
Mais comme vous le savez, il y a au moins deux angles, si non trois ou quatre, à chaque histoire. Je voudrais vous demander deux choses, plus précisément, au sujet de vos propositions. Je vous félicite de les avoir présentées par écrit et dans une forme qui permette de les examiner en parallèle avec les articles.
Ma question porte plus précisément sur l'article 71. Je ne comprends pas la raison pour laquelle vous ajoutez le paragraphe 71(4). Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ce paragraphe est nécessaire? Je suppose que d'après vous, ces gens payent le SCC pour les employer. Que voulez-vous dire?
M. Jean-Jacques Ranger: Non, j'ai été très prudent lorsque j'ai rédigé ce paragraphe. Je tiens à vous remercier de poser la question, car il faut, pour que vous l'ayez remarqué, que vous ayez fait un examen très détaillé.
La proposition porte sur le fait qu'à l'heure actuelle, il y a aux quatre coins du pays des détenus qui sont séparés de leurs familles, de leurs proches, de leurs enfants. La seule façon pour ses détenus de vraiment communiquer avec ces gens sans écrire de lettres... En prison, c'est très difficile d'écrire des lettres. C'est très difficile, lorsqu'on purge sa peine, de coucher ses émotions sur le papier; ce sont deux mondes entièrement différents.
L'un des moyens de communication le plus populaire, c'est le téléphone, comme vous le savez sans doute. Dans tout le Canada, les détenus communiquent avec leurs familles directement par téléphone, et à l'heure actuelle, ils doivent payer des factures affreuses de communications interurbaines.
Le problème, c'est que le Service correctionnel du Canada reçoit ce que j'appelle des commissions occultes et ce que Bell Canada appelle un rabais—d'énormes chèques de 75 000 $, en raison du nombre énorme d'appels interurbains que placent les détenus qui essaient de garder le contact avec leurs familles, de conserver un cordon ombilical, si l'on veut, afin de ne pas mal tourner et de recevoir l'appui de leurs familles, d'essayer de les saturer d'amour, de bonheur et d'appui. Le SCC empoche une fortune.
Pour ce qui est des familles, permettez-moi de mentionner ma mère, plus particulièrement, car la dernière fois que j'ai été incarcéré... Quand j'ai parlé à la radio de CKUT, à Montréal, on m'a renvoyé le même jour de la maison de transition vers la prison, pour trois mois, sous prétexte que j'avais mis le gouvernement dans l'embarras en tenant une conférence de presse, le 20 octobre 1998. Mais c'est une autre histoire.
J'étais à l'université, dans la classe de sciences politiques de l'honorable Marcel Danis, ici à Montréal, à l'université Concordia. Je prenais le cours de droit. Je travaillais, j'avais un emploi à plein temps et je venais de me marier. C'est incroyable de voir jusqu'où ces gens sont prêts à aller quand vous risquez de nuire à leur crédibilité ou d'exposer ce qui se fait dans le système.
M. Tom Wappel: Monsieur Ranger, pourriez-vous répondre à ma question?
M. Jean-Jacques Ranger: Oui, pardonnez-moi.
M. Tom Wappel: Vous parlez plus précisément de l'argent qui est versé, ou que vous croyez être versé—c'est peut-être vrai, je n'en sais rien—au SCC par les sociétés de téléphone...
M. Jean-Jacques Ranger: C'est exact.
M. Tom Wappel: ...pour que l'on s'abonne chez elles, suppose- t-on.
M. Jean-Jacques Ranger: Chez cette société de téléphone, c'est tout à fait exact.
M. Tom Wappel: Et vous dites que c'est répréhensible, d'une certaine façon.
M. Jean-Jacques Ranger: Tout à fait. À mon avis, la société qui fournit les services de téléphonie aux détenus... Je ne parle pas des opérations du Service correctionnel du Canada; je parle des détenus qui utilisent un téléphone payant et qui doivent payer le tarif le plus élevé pour communiquer avec leurs familles, ou d'autres personnes, au Canada ou même à l'étranger. C'est de cela que je parle.
Vous remarquerez que j'ai écrit «sous réserve de toute autre disposition de la présente Loi». J'ai ajouté cela très rapidement ce matin, parce que je sais qu'il y a des programmes de travail et que le Service correctionnel du Canada a des contrats avec certaines personnes, pour garder les détenus dans des programmes, pour les aider à se réinsérer dans la société. Je ne voulais que cela aille à l'encontre du fait qu'ils reçoivent de l'argent pour ces conversations téléphoniques. Comme vous le voyez, dans le cas de ces ristournes, c'est tout de même assez limité.
Il faudrait qu'un système soit mis en place par Bell Canada, Sprint, ACC, AT&T—il y en a tant—faisant en sorte que ces téléphones soient tout de même fonctionnels mais que le coût des communications tienne compte d'un rabais accordé automatiquement au destinataire de l'appel et non à Service correctionnel Canada. Ils font de l'argent en séparant les gens... S'ils vous séparent de votre famille, à une distance qui prend 14 heures, vous allez vraiment... La facture pour ce mois-là, pour ma mère, atteignait 500 $, croyez-le ou non; je trouve cela incroyable.
M. Tom Wappel: Je comprends, et il faut bien dire que vous n'êtes pas le premier à parler de cette question des téléphones.
Avez-vous d'autres exemples qui vous poussent à nous faire cette suggestion, ou pensez-vous uniquement au système téléphonique?
M. Jean-Jacques Ranger: Il y a manifestement des conflits d'intérêts. Je ne sais pas si vous irez là-bas, mais il y a beaucoup de conflits d'intérêts dans chaque établissement.
Les appareils électriques des détenus doivent être ouverts et vérifiés. Cela fait partie des procédures. Bien souvent, vous constaterez que ces entreprises sont dirigées par des responsables de Service correctionnel Canada et leur sont directement associées. Autrement dit, on crée un besoin, puis pour le combler, on appelle son frère ou on le fait soi même. On créé une entreprise offrant aux détenus les services nécessaires pour amener dans l'établissement leurs effets personnels, ou bien d'autres choses, et le travail est en fait effectué par le personnel de Service correctionnel Canada. C'est un conflit d'intérêts manifeste.
M. Tom Wappel: Un instant. Je ne veux pas m'étendre là-dessus, mais nous sommes allés au centre régional de réception, le CRR, et il y a là un coiffeur à contrat, qui vient faire des coupes de cheveux. Dites-vous que ce contrat devrait être refusé à quelqu'un dont un parent travaille au centre?
M. Jean-Jacques Ranger: Nous ne parlons pas de grandes villes, mais de coins reculés où ces établissements font vivre toute une petite localité.
M. Tom Wappel: Bien, prenons cet exemple. Le dernier panneau que j'ai vu indiquait 18 kilomètres de Montréal. Ce n'est quand même pas bien loin de la deuxième ou troisième plus grande ville du pays.
M. Jean-Jacques Ranger: Je ne peux pas dire que je voudrais inclure ce genre de situation, puisque cette personne fournit des services essentiels pour la santé et l'hygiène des détenus des prisons canadiennes. Ce n'est pas le genre de situation que j'engloberais dans ma recommandation.
M. Tom Wappel: Sans vouloir me lancer dans une argumentation avec vous, allons un peu plus loin. Dites-vous qu'un propriétaire d'atelier de petits moteurs à qui on demande de venir examiner un rasoir, pour s'assurer qu'il ne s'y trouve pas de pièces pouvant faciliter une évasion, par exemple, devrait automatiquement se voir refuser le contrat, s'il est un parent d'un membre du SCC? Est-ce votre position? C'est tout ce que je demande.
M. Jean-Jacques Ranger: Non, et je vous dirai pourquoi. D'abord, évidemment, les gens qui offrent ces services spécialisés sont rares. Deuxièmement, il serait difficile de faire une sélection.
Bien entendu, on ne peut qu'espérer que le Service correctionnel, qui fait partie en quelque sorte du Bureau du solliciteur général, ferait preuve de suffisamment de sens éthique et moral pour comprendre combien la situation est délicate. On voit des politiciens perdre leur poste à cause de ce genre de situation. C'est une question très délicate, qu'il faut respecter. Et s'il faut qu'il en soit ainsi, eh bien, il me semble que plus on crée d'emplois pour les gens de la localité pour des détenus, lorsqu'ils travaillent en fait dans l'établissement... Les membres du personnel des établissements ont une influence directe sur le fait qu'un détenu y restera une semaine ou un an. Tout dépend de leur opinion personnelle, qu'ils présentent dans les rapports sur l'évolution du cas.
Vous remarquerez que sous la rubrique «Exactitude des renseignements»... Je n'ai pas mis une copie de la version actuelle, j'ai écrit cela très rapidement, mais il y a un grave problème d'information, actuellement, dans le système. Il y a toutes sortes de renseignements faux, inexacts ou délibérément trompeurs qui sont versés dans les dossiers, pour justifier l'incarcération des détenus, pour prendre des décisions contre les détenus, qui les touchent eux ainsi que leur famille. C'est incroyable. Il serait ainsi plus clair que si une chose est fausse, et que vous le savez, vous ne pouvez l'écrire et elle ne peut être présentée à la Commission des libérations conditionnelles, pas plus que dans le cadre d'une audience de maintien en incarcération, etc. À mon avis, cela sera positif pour le système, à long terme.
M. Tom Wappel: Merci.
Le président: Merci beaucoup pour ce mémoire, monsieur Ranger. Comme M. Wappel, je vous remercie d'avoir présenté des recommandations bien précises. Nous l'apprécions. En outre, si vous voulez nous présenter d'autres documents, vous pouvez les envoyer au greffier, dès que possible, bien entendu.
M. Jean-Jacques Ranger: Je vais être honnête avec vous: je dois avoir au moins 75 000 pages de documents, si ce n'est 200 000.
Le président: Nous parlons évidemment de documents semblables à celui-ci, qui permettent de tirer des conclusions précises, à partir de l'ensemble de votre expérience.
M. Jean-Jacques Ranger: J'aime à croire que toute ma documentation—qui se trouve dans un placard quelque part, et non au centre—est une ressource sérieuse pour votre comité, puisque vous ne voyez que les merveilleux rapports dont les rédacteurs sont payés par le SCC, alors que mes documents montrent la vérité.
Le président: Sachez que le sous-comité à vu bien plus que les rapports du SCC. Nous avons entendu de nombreux témoins, dans nombre d'établissements; nous avons rencontré des comités de détenus dans ces établissements, à huis clos, en l'absence de qui que ce soit du SCC ou du Bureau du solliciteur général, entre autres. Nous avons fait des efforts délibérés pour essayer d'obtenir le plus d'information exacte que possible.
M. Jean-Jacques Ranger: Avez-vous prévu une procédure pour vérifier où en sont les membres des comités de détenus que vous rencontrez dans les établissements, et qui vous donnent de l'information exacte sur ce qui se passe? Avez-vous prévu une procédure pour vérifier six mois plus tard s'ils ne sont pas en liberté sous condition, même en libération conditionnelle totale, voire dans une maison de transition?
Le président: En fait, nous ne les avons vus que dans les deux ou trois derniers mois. Ils se sont tous présentés comme les représentants élus des détenus. C'est toute l'information dont nous disposons.
M. Jean-Jacques Ranger: Évidemment. Je suis souvent allé dans les établissements. Je sais ce que sont ces comités de détenus. La raison pour laquelle je n'ai jamais fait partie d'un comité de détenus, c'est qu'ils sont en quelque sorte les pantins de l'administration. Bien entendu, je ne veux manquer de respect à aucun détenu; chacun ses goûts. Mais j'y suis allé, j'ai vu comment se passaient les choses et je peux en parler.
Le président: Bien. Comme je le disais, si vous avez d'autres documents, nous serons ravis de les recevoir. Il faudra toutefois que ce soit bientôt.
M. Jean-Jacques Ranger: Y a-t-il quelque chose qui intéresse particulièrement le comité?
Le président: Non, seulement les recommandations que vous voulez faire, des recommandations précises sur des changements à apporter à la loi. C'est l'objet de nos travaux.
M. Jean-Jacques Ranger: Bien. Puis-je poser une question ou est-ce que seuls les députés peuvent en poser?
Le président: Pourquoi pas, posez votre question puis nous poursuivrons.
M. Jean-Jacques Ranger: Bien. Merci beaucoup pour votre patience.
J'aimerais savoir si on a sérieusement envisagé d'abolir les programmes dans les établissements fédéraux. Songe-t-on à supprimer les programmes, les activités de réinsertion?
Le président: Le sous-comité n'a pas reçu de recommandation de cette nature.
M. Jean-Jacques Ranger: Très bien. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Le prochain témoin sera le professeur Marie-Andrée Bertrand, à qui je souhaite la bienvenue. Si vous pouvez faire votre présentation en une dizaine de minutes, il nous restera du temps pour les questions des députés.
Mme Marie-Andrée Bertrand (professeure émérite de criminologie, École de criminologie, Université de Montréal): D'accord. Merci, monsieur le président.
En principe, vous avez reçu mon mémoire en français et en anglais depuis le mois de mars, je crois, ou quelque chose comme cela. Je ne suis pas absolument sûre qu'au milieu de tout le reste, vous ayez eu le temps de le lire, mais je vais vous le résumer en cinq minutes. Je vais essayer de ne pas faire le professeur d'université qui parle pendant deux heures et d'en arriver à des conclusions ou à des recommandations concrètes.
Je suis un professeur émérite de criminologie et j'enseigne depuis 35 ans à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. Je suis maintenant à la retraite, mais avant ma retraite, j'ai entrepris avec trois étudiantes à la maîtrise et au doctorat et une collègue une recherche sur les prisons pour femmes dans le monde. Nous nous sommes rendues dans les pays scandinaves, qui ont cette merveilleuse réputation de si bien traiter les prisonniers et d'en garder si peu en dedans, et nous nous sommes rendues en Angleterre, en Écosse et aux États-Unis dans cinq prisons modèles pour les femmes.
Nous avons fait avec cela un volume qui s'appelle Prisons pour femmes, qui a été publié en décembre dernier par les Éditions du Méridien, à Montréal, et qui a fait l'objet d'au moins deux articles, et bientôt quatre, qui s'intitulent Prisons for Women, New Prisons for Women et Different Prisons for Women. Ces articles ont été publiés dans des revues criminologiques, l'une qui s'appelle Carribean Journal of Criminology and Social Psychology, une autre qui s'appelle Criminologie, qui est une revue québécoise, et une autre qui s'appelle Women And Criminal Justice. Au fond, nous avons publié sur ce que nous avons vu.
Nos mémoires portent sur quatre points, comme vous l'avez vu, monsieur le président. Le premier, c'est la constatation que bien que les nouveaux pénitenciers pour femmes soient physiquement infiniment meilleurs que ne l'était la prison de Kingston, les programmes de formation et de travail dans ces pénitenciers ne sont guère meilleurs. Il n'y en a qu'un, à ma connaissance, qui est un programme moderne, original, proche de la vie réelle dans laquelle ces femmes vont ensuite devoir se trouver. C'est le programme de dessin industriel qui existe au pénitencier d'Edmonton pour femmes. Ailleurs, dans une prison où je vais régulièrement visiter des détenues, à Joliette, la grande industrie est l'assemblage de boîtes de carton.
• 1525
Cependant, et je le reconnais aussi
dans mon mémoire, d'autres aspects de ces
nouveaux pénitenciers ont
quelques mérites. Par exemple, dans chacun de ces
nouveaux pénitenciers, il y a un programme modèle ou
expérimental. Par exemple, à Joliette, c'est le
programme «Mères et enfants», où des mères,
des grands-mères ou des pères peuvent venir passer
quelques heures avec les détenues en compagnie des enfants
de ces dernières.
Dans tous les cas, les programmes modernes, originaux, plus humains sont accessibles à seulement 15 à 20 p. 100 des personnes présentement détenues dans ces pénitenciers, y compris le programme d'Edmonton dont j'ai parlé. J'ai vu ces activités de mes yeux à deux reprises, et j'ai rencontré les prisonnières et la directrice. Dans mon premier point, j'inclus le fait que les prisonnières fédérales au Canada n'ont toujours pas d'accès réel à l'enseignement postsecondaire.
[Traduction]
Ils doivent se battre pour obtenir des cours de correspondance au niveau postsecondaire,
[Français]
et elles doivent aussi faire je ne sais quoi pour rendre les classes intéressantes.
Monsieur le président, je me suis présentée dans des classes où l'on enseigne aux détenues dans ces nouvelles institutions. Je me suis assise dans ces classes. J'ai vu quelles sont les détenues qui y viennent. Il est vrai qu'à Edmonton, l'enseignement primaire et secondaire est organisé. Il est vrai aussi qu'il y a sept ou huit ordinateurs dans une pièce voisine. Aucun des ordinateurs n'était utilisé à chacune de mes visites. L'enseignement interactif que j'ai vu pratiquer dans une prison danoise et dans une prison américaine, à Shakopee au Minnesota, ne se fait pas vraiment dans les pénitenciers canadiens. Comme je connais les pénitenciers pour hommes et que j'y visite des détenus, je peux vous dire que les hommes au Canada et ailleurs ont accès à l'enseignement postsecondaire. C'était la fin de mon premier point.
Mon second point porte sur les niveaux de sécurité. Nous savons tous que les pénitenciers pour femmes ont été construits il y a trois, quatre ou cinq ans avec la presque promesse qu'il n'y aurait pas de sécurité périmétrique autour de ces pénitenciers. Or, deux ans après le début des travaux et quelques mois après l'arrivée des détenues dans les pénitenciers, on a construit des clôtures périmétriques à grands frais. On m'a dit que ces clôtures avaient coûté 2 millions de dollars chacune. On a construit des clôtures périmétriques doubles, et quelquefois triples, à Joliette, à Edmonton, à Truro et à Kitchener, et je n'ai pas besoin de vous parler de la sécurité au pénitencier de Burnaby. Elle est extrêmement raffinée et considérable et absolument disproportionnée à la dangerosité réelle des détenues, de l'aveu même du personnel.
On a donc construit ces clôtures périmétriques, mais voilà que malgré cela, les détenues difficiles sont envoyées dans des prisons à sécurité maximum et supermaximum pour hommes. Si mes renseignements sont exacts, il y a quatre anciennes détenues de la prison de Joliette qui sont maintenant dans des pénitenciers pour hommes.
• 1530
Deuxièmement, permettez-moi de vous rappeler les
motifs qui ont fait que l'on a entouré les pénitenciers
pour femmes de clôtures périphériques. Des évasions
s'étaient produites au pénitencier d'Edmonton, mais
c'était surtout à la suite d'un acte de violence
absolument regrettable qui s'était produit dans la
prison pour femmes d'Edmonton, où une détenue en avait
tué une autre.
Lorsqu'on parle d'évasions des pénitenciers pour femmes, c'est tout simplement que des femmes ne sont pas revenues au pénitencier après un congé. On ne voit pas bien ce que la sécurité périphérique peut corriger à cela.
Mon troisième point est lié au précédent, monsieur le président. En fait, au pénitencier d'Edmonton, j'ai eu le grand étonnement de ma vie, et pourtant j'ai vu beaucoup de choses dans ma vie. Les deux tiers des détenues du pénitencier pour femmes d'Edmonton sont autochtones. Si des femmes commettent des crimes qui, d'après le droit pénal canadien, méritent l'incarcération, je n'ai rien contre le fait qu'elles soient condamnées à l'incarcération, mais le problème que nous avons tous a trait à la proportion d'autochtones dans le Service correctionnel du Canada. C'est clair qu'il y a là un problème fondamental.
Ce qui, à mon avis, avait été entendu à la suite du rapport de Mme Arbour, c'était que les détenues autochtones avaient obtenu qu'une institution respectant leur culture et leur forme de vie leur soit ouverte, ce qui a été fait. Il y a donc le Healing Lodge pour les détenues autochtones. Malgré cela, seulement un petit nombre de détenues autochtones, celles qui aux yeux des autorités correctionnelles méritent un type de contrôle minimum ou peut-être médium, se trouvent au Healing Lodge, alors qu'à ma connaissance, il y a plus de 50 femmes autochtones qui sont présentement en train de purger des peines à la prison d'Edmonton.
Là encore, on se demande pourquoi, si l'on a créé une institution pour les femmes autochtones, elles ne s'y trouvent pas. Bien franchement, certaines des femmes autochtones m'ont dit qu'elles ne souhaitaient pas s'y trouver, parce qu'elles se retrouvaient là dans un environnement culturel assez contrôlant par ailleurs, auquel elles ne pensaient plus appartenir. Cela montre, il me semble, les difficultés auxquelles on s'expose quand on crée des structures qui, finalement, ne répondent pas tout à fait bien à la réalité.
J'arrive à mon quatrième et dernier point, et à quelques recommandations. Mon quatrième point a trait aux libérations conditionnelles. Je pense, monsieur le président, que je peux parler de cela?
Le président: Oui.
Mme Marie-Andrée Bertrand: D'accord.
Ce que j'ai eu l'occasion de voir, en visitant fréquemment une détenue particulière et ensuite plusieurs détenues à la prison de Joliette, ce sont les conditions dans lesquelles ces personnes sont vues par les commissaires. Des réflexions me viennent, dont quelques-unes, je l'avoue, m'ont été inspirées par des détenues et d'autres par l'observation que j'ai pu faire d'audiences auxquelles j'ai été admise de façon exceptionnelle.
Le choix des commissaires qui sont appelés à entendre des audiences dans les pénitenciers pour femmes, à mon avis, doit être non seulement un choix aussi impartial, non politique et de non-cousinage que pour les hommes mais, de surcroît, on devrait faire en sorte que les personnes qui viennent entendre les demandes de femmes détenues aient une sensibilité particulière à ces demandes. Je cite dans mon petit mémoire deux phrases qui ont été prononcées, l'une en ma présence, l'autre qui m'a été rapportée par l'agent de gestion de cas et par la détenue.
• 1535
Une commissaire, cette fois, disait: «Étant donné que
vous avez purgé huit ans et demi de votre peine, il
vous reste seize ans et demi à purger; je ne vois pas
pourquoi nous vous admettrions à un placement de jour
qui vous permette de commencer à fréquenter les
services communautaires et à travailler.»
Or, cette détenue était déjà en placement de jour
depuis plusieurs mois.
Je ne sais ce que vous en pensez, monsieur le président, mais il me semble que ce n'est pas à la commissaire qui est en train d'entendre une audience de décider que cette personne va faire effectivement 25 ans dans ce pénitencier. Cette personne a le droit de penser et de faire en sorte qu'après 15 ans elle puisse être non pas tenue quitte mais bénéficier d'un autre régime.
Deuxièmement, voici la phrase que j'ai moi-même entendue: «J'espère que vous ne pensez pas devenir enceinte et avoir un enfant.» Je ne dis pas que la personne qui a prononcé cette phrase était mal intentionnée. Je dis que c'est une phrase qui est, à mon avis, sexiste. C'est un propos qui n'est pas acceptable quand on est un commissaire en train d'écouter les demandes de personnes qui veulent, pour toutes sortes de raison, obtenir des libérations de jour ou faire reconsidérer la durée de leur sentence.
C'étaient donc mes quatre considérations. Je les ai résumées à la page 5 de mon mémoire. Si j'avais des recommandations à faire, ce serait les suivantes.
Il est possible d'instaurer des programmes de formation et de travail qui soient modernes, proches de la vie à l'extérieur des prisons et de donner l'accès aux études supérieures aux femmes présentement emprisonnées dans les pénitenciers canadiens. Cela se fait ailleurs. Certaines femmes qui se sont battues pendant des années dans des pénitenciers canadiens, comme Mme Horii, par exemple, ont finalement obtenu gain de cause et dû être emprisonnées dans un pénitencier pour hommes pour avoir accès aux études supérieures.
Deuxièmement, il serait juste de ne pas imposer aux femmes une détention plus contrôlante que ne le justifie leur dangerosité sociale, c'est-à-dire le risque qu'elles représentent pour la société.
Troisièmement, il faut vraiment mieux sélectionner les commissaires qui doivent aller dans les pénitenciers pour femmes et, à mon avis, leur proposer une formation préparatoire. Je vous remercie.
Le président: Merci, professeur Bertrand.
Monsieur Perron, avez-vous des questions?
M. Gilles Perron: Seulement un commentaire.
Vous avez très bien résumé ma pensée. D'ailleurs, j'en discutais avec votre ancienne étudiante; je ne comprends pas comment il se fait que les femmes ne peuvent pas avoir de programmes. C'est peut-être à cause du nombre de femmes dans l'institution mais, à mon point de vue, ce n'est pas une raison.
Il y a peut-être un point sur lequel je suis un peu en désaccord avec vous, et c'est les clôtures. Je me demande pourquoi on a changé d'idée. Dites-moi si je me trompe: est-ce que ce ne serait pas que les clôtures sont plus pour les personnes à l'extérieur du domaine que pour celles qui sont à l'intérieur de la prison?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Si on veut empêcher le public de rejoindre les pénitenciers pour femmes, en d'autres termes, si on veut faire que tout le milieu extérieur ait des obstacles infranchissables à contourner pour s'approcher des détenue...
M. Gilles Perron: Ce n'est pas seulement pour cela; c'est aussi au point de vue de la mentalité.
Mme Marie-Andrée Bertrand: De l'opinion publique.
M. Gilles Perron: À Joliette, nous avons un édifice à logements voisin de la prison. Est-ce que les gens qui demeurent dans cet immeuble auraient peur de rester dans cet immeuble parce qu'il y a de mauvaises prisonnières à deux pas d'eux? Est-ce pour cela qu'on a mis une clôture?
Mme Marie-Andrée Bertrand: C'est possible, monsieur le président, mais, à mon avis, la sécurité périphérique a aussi été inventée pour empêcher les criminels de s'évader.
• 1540
Deuxièmement, je dirais qu'on a eu de bons exemples de
l'opinion de la population
qui vit près des pénitenciers pour femmes et des
centres communautaires pour femmes qui ont eu des démêlés avec la
justice ici même à Montréal, lorsque la Maison
Thérèse-Casgrain
a voulu s'installer à
Notre-Dame-de-Grâce. La communauté avoisinante a
prétendu que ce serait dangereux pour les
enfants, pour la mentalité et la
moralité du voisinage. On a finalement dit
qu'on refusait son établissement dans ce quartier, bien
qu'il soit possible que ces femmes soient tout
à fait aussi sociables que d'autres femmes. Il
serait tout
à fait possible d'avoir un centre communautaire
correctionnel dans un quartier comme
Notre-Dame-de-Grâce sans que la population s'enfuie.
Pour revenir à votre objection, ma critique est encore bien plus radicale que celle que j'ai eu l'occasion d'exprimer, et je vous remercie de me donner cette occasion de préciser ma pensée. Les niveaux de sécurité qu'on a cru légitimes et bons pour les hommes détenus ne sont toujours pas disponibles pour les femmes. C'est là un fait. Même des femmes qui habitent un cottage, une maison dite à sécurité minimale, à Joliette doivent franchir pour sortir tous les mêmes obstacles sécuritaires et les mêmes procédés bureaucratiques que les femmes qui viennent d'arriver et qui sont dans le premier pavillon, où l'on est présumément détenu à sécurité max, max, max.
Je reconnais que ces maisons gérées par les détenues sont bien conçues et représentent un grand progrès, mais il demeure que toutes les détenues sont soumises à un régime de sécurité périmétrique qui fait en sorte que les contacts avec l'extérieur sont extrêmement compliqués. Pour visiter une détenue à sécurité minimale ou moyenne, je dois franchir des obstacles bureaucratiques par lesquels je ne serais pas tenue de passer dans les pénitenciers à sécurité moyenne ou minimale pour hommes. Je crois que c'est une situation inéquitable. Vous avez probablement raison de dire que cela s'explique par le petit nombre de personnes, mais c'est une mauvaise excuse, une excuse économistique et un problème de culture. La culture des services correctionnels du Canada est masculine; elle est mâle. Je comprends cela, mais je crois que cela n'est toujours pas un traitement équitable pour les femmes.
Le président: Merci, monsieur Perron et madame Bertrand.
[Traduction]
Monsieur Wappel.
M. Tom Wappel: Merci.
Professeur Bertrand, j'aimerais qu'on se concentre sur cette question en particulier, afin que je sois sûr d'avoir bien compris.
J'ai cru comprendre d'après votre exposé que, selon vous, il ne devrait pas y avoir de périmètre de sécurité autour d'une prison pour femmes.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Non. Je m'excuse...
M. Tom Wappel: Vous êtes donc d'accord que certaines femmes devraient être incarcérées dans des établissements dits à sécurité maximale?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Oui.
M. Tom Wappel: Oui?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Oui, merci pour votre question. Est-ce que je peux juste ajouter quelques mots?
Je crois avoir répété à maintes reprises qu'environ 15 p. 100 de toutes les femmes incarcérées dans le monde... D'après le personnel et les directeurs et les procureurs dans tous les pays que nous avons visités, environ 15 p. 100 des femmes incarcérées doivent être surveillées de près, ce qui signifie qu'elles ne devraient pas être libres de quitter l'établissement pénal pour se rendre en ville ou dans un quartier sans être accompagnées. Voilà ce que je dis.
Je dis également que pas moins de deux tiers des femmes reconnus coupables d'une infraction à une loi fédérale et incarcérées dans les maisonnettes qui servent de prison aujourd'hui ne devraient pas y être.
M. Tom Wappel: Pourquoi?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Parce que la sécurité maximale n'est pas nécessaire pour ces femmes. Je ne fais que répondre à votre question.
M. Tom Wappel: Mais êtes-vous en train de nous dire que ces femmes qui vivent dans ces maisonnettes se trouvent dans un milieu à sécurité maximale?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Je dis que le périmètre de sécurité qu'on a construit par la suite, après coup, autour des établissements à Joliette, à Kitchener et à Truro...
M. Tom Wappel: Eh bien, pourquoi a-t-on construit ces clôtures? C'est parce que les femmes qui se trouvaient dans ces établissements ont abusé de la confiance des gens qui les ont construits sans clôtures; elles se sont échappées et elles ont récidivé.
Mme Marie-Andrée Bertrand: C'est absolument faux. Voici les faits. Ce qui s'est passé à Edmonton, c'est qu'une prisonnière en avait tué une autre. Si mes renseignements sont exacts, quatre autres prisonnières se sont échappées; aucune d'elles n'a commis de meurtre, et deux d'entre elles sont revenues d'elles-mêmes dans l'espace d'une semaine.
M. Tom Wappel: Mais c'est à cause de cet incident et en réaction à l'indignation des gens qui voyaient ces personnes s'enfuir et abuser de la confiance qu'on leur avait faite.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Oh, c'est tout autre chose.
M. Tom Wappel: N'est-ce pas exact?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Oui, abuser de la confiance des gens à Edmonton, abuser de la confiance de qui au juste? Je ne sais pas. Et l'abus de confiance...
M. Tom Wappel: De la société. Vous devriez en être consciente.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Eh bien, je dirais de la société à Edmonton.
M. Tom Wappel: Oui.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Je n'ai rien contre la société à Edmonton. Je dis seulement que ce n'était certainement pas—et je peux vous en assurer—tout le Canada, ni toutes les Canadiennes, ni tout le personnel travaillant en milieu carcéral au Canada qui exigeaient qu'on dépense 2 millions de dollars par périmètre de sécurité à chaque établissement en février 1996. Ce n'était certainement pas le cas.
Si vous voulez, je peux vous apporter les articles de journaux décriant la construction de ces clôtures et les décrivant comme étant complètement injustes, une généralisation et ne valant certainement pas 8 millions de dollars.
M. Tom Wappel: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Wappel.
[Français]
Professeur Bertrand, merci beaucoup de votre présence. Nous avons reçu votre mémoire. Puisque notre attachée de recherche est l'une de vos anciennes élèves, nous l'étudierons de façon très approfondie.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Je n'ai pas eu le bonheur d'enseigner à Lyne, mais je l'estime bien. Au revoir.
Le président: Merci.
[Traduction]
M. Tom Wappel: Monsieur le président, je crois avoir une constitution plus faible que vous ou que mon collègue. J'aimerais, si possible, faire une pause de deux minutes, parce que je ne veux pas manquer ce que notre dernier témoin aura à nous dire.
[Français]
Le président: Faisons une pause de deux minutes.
Le président: Nous poursuivons notre travail.
Notre prochain témoin est Monsieur Patrick Altimas, directeur général de Maison L'Intervalle Inc.
[Traduction]
Monsieur Altimas, vous avez dix minutes pour faire votre exposé après quoi nous allons passer aux questions des députés.
[Français]
M. Patrick Altimas (directeur général, Maison L'Intervalle inc.): Merci, monsieur le président.
J'aimerais vous remercier de m'avoir invité à partager mon expérience avec vous. Vous excuserez ma nervosité. C'est la première fois que je comparais devant un comité de la Chambre des communes. Je n'ai pas eu le temps de préparer un texte. C'était impossible dans le contexte où je me trouve actuellement. Je vais essayer d'être bref.
Cela fait 25 ans que je suis criminologue et que je travaille dans le domaine correctionnel adulte à différents niveaux, tant au niveau public que privé. Depuis six ans, je suis directeur général de la Maison L'Intervalle inc., un organisme spécialisé en santé mentale et justice qui offre des services à des contrevenants adultes qui ont des problèmes au plan de la santé mentale.
• 1600
Le CRC L'Intervalle, qui est une de nos
constituantes, a un contrat avec le Service
correctionnel du Canada depuis 1989.
Il y a un problème au Service correctionnel au
niveau de la santé mentale
depuis 1989. On est passés
de 25 à 20 places en 1994, et on
a encore réduit ce nombre à 15 places en 1998, parce que le
Service correctionnel du Canada ne nous envoyait pas
assez de clients.
Mon but n'est pas de vous faire part de notre situation particulière, mais simplement d'illustrer le fait que depuis la mise en application de la Loi sur le système correctionnel de 1992, on a de la difficulté à préparer des cas, particulièrement les cas de ceux qui ont des problèmes sur le plan de la santé mentale.
Également, depuis la mise en oeuvre d'amendements qui ont été apportés à la loi en 1994, si je ne me trompe pas, c'est-à-dire l'ajout de la libération d'office avec assignation à résidence, la population à L'Intervalle a changé considérablement.
En 1997-1998, par exemple, 48 p. 100 de nos clients avaient un statut de libéré d'office avec assignation à résidence et seulement 15 p. 100 se retrouvaient en semi-liberté, alors que les maisons de transition avaient été conçues, à l'origine, pour recevoir une clientèle en semi-liberté. Cela modifie passablement la qualité de la clientèle, si on peut dire, ainsi que sa motivation. Les clients nous arrivent sans qu'il y ait eu une décision de les libérer parce qu'ils arrivent à la date de leur libération d'office. Le taux de suspension de la libération d'office de ces clients est donc de 50 p. 100, alors que le taux de suspension est de 25 ou 30 p. 100 dans les cas de semi-liberté.
Dans le cas de l'application de la procédure d'examen expéditif, on constate le même type de phénomène. On aurait pu croire que ces gens étaient motivés, mais en réalité, 50 p. 100 de ces clients se retrouvent suspendus pour bris de conditions.
Ma pratique me démontre qu'il y a nécessité de revoir certaines choses au niveau de la loi et de son application. Par exemple, je conteste depuis des années la notion d'examen expéditif. Dans mon esprit, cette notion est une trahison de la notion même de libération conditionnelle. Je m'explique.
Quand la libération conditionnelle a été conçue, il s'agissait d'une décision prise par une commission après une évaluation de divers facteurs présentés par un individu pour savoir s'il méritait ou non une libération conditionnelle. Dans le cas de l'examen expéditif, on renverse la machine et on dit: «Vous serez libéré à moins qu'on puisse prouver qu'on ne doit pas vous libérer.» Dans ce cas, le seul facteur qui compte est le délit qui a été commis. C'est comme si on tenait compte d'un seul facteur, alors que la décision de libérer quelqu'un ou pas est en réalité beaucoup plus complexe.
Naturellement, dans la pratique, on a vu que la Commission des libérations conditionnelles avait parfois semblé assez ridicule, si on peut dire, dans certains cas où la personne répondait aux critères, mais faisait partie du crime organisé, ou était quelqu'un dont on pouvait présumer qu'il était actif au niveau criminel et le serait probablement encore pendant quelques années.
Cette notion d'examen expéditif m'apparaît inopportune dans le contexte des services correctionnels et de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Si on veut s'assurer que les gens ne restent pas trop longtemps à l'intérieur des pénitenciers quand ce n'est pas nécessaire, on pourrait revenir à la notion de l'admissibilité à la semi-liberté au sixième de la peine. La commission serait obligée d'étudier chaque cas au sixième de la peine pour s'assurer qu'on n'oublie pas les gens dans les pénitenciers. À ce moment-là, il y aurait une évaluation qui serait la même pour tout le monde, avec les mêmes critères pour tout le monde, et on pourrait s'assurer qu'une étude soit faite au bon moment pour tout le monde.
• 1605
Donc, concernant la loi
elle-même, je verrais la possibilité de tels
changements.
Au niveau de la santé mentale, je ne peux pas dire que l'application de la loi a été un succès au cours des dernières années. Quelles en sont les raisons exactes? Je pense qu'il y a une incompréhension de la santé mentale et de la psychiatrie chez beaucoup d'intervenants, à partir des commissaires aux libérations conditionnelles jusqu'aux agents de libérations conditionnelles et aux agents correctionnels. Il me semble que le Service correctionnel et la commission devraient faire un effort pour former davantage les gens et leur donner une meilleure information sur la santé mentale. Par exemple, qu'est-ce qu'un comportement bizarre, comment peut-on le définir et comment peut-on faire en sorte qu'une personne ayant un tel comportement puisse bénéficier de bons services lorsque c'est nécessaire?
Ce n'est pas parce que le Service correctionnel n'a pas fait d'efforts. Il y a eu la création d'une unité de santé mentale en 1993 à l'établissement Archambault, mais malgré cela, il y a encore trop de détenus qui sont oubliés dans certains pénitenciers et qui ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin.
Quant aux cas de santé mentale, je peux vous assurer que quand ils viennent en maison de transition, l'encadrement qu'ils reçoivent est beaucoup plus important que ce qu'on trouve dans une maison de transition régulière, compte tenu du type de clientèle qu'on a, des problématiques qu'on constate et du niveau du risque que ces personnes peuvent présenter pour la sécurité du public. Sur papier, ces personnes peuvent sembler présenter davantage de risques parce qu'elles ont souvent des comportements violents, mais dans le contexte de la maison de transition, nous sommes en mesure de déceler rapidement les signes de désorganisation. C'est une clientèle qui se livre plus facilement et qui donne des signes plus facilement quand elle commence à se désorganiser, ce qui fait qu'on peut intervenir plus rapidement. Sur environ 300 et quelques détenus qu'on a reçus chez nous depuis 1989, six ont récidivé pendant leur séjour chez nous. Il y a eu un cas de récidive important, les autres étant plutôt mineurs. Donc, on ne peut pas dire que c'est une clientèle qui est plus à risque lorsqu'elle est libérée dans un contexte comme le nôtre.
Monsieur le président, je vous remercie du temps qui m'a été accordé. Je suis disposé à répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Perron, avez-vous des questions?
M. Gilles Perron: J'ai une seule question. Y a-t-il des femmes parmi vos clients?
M. Patrick Altimas: Au niveau fédéral, non, mais au niveau provincial, oui, parce qu'on a une maison provinciale mixte.
M. Gilles Perron: Pourquoi non?
M. Patrick Altimas: Non au niveau fédéral parce que la demande n'a pas encore été officiellement faite.
M. Gilles Perron: Par vous?
M. Patrick Altimas: Par le Service correctionnel. Des discussions ont été amorcées à un moment donné, mais vous comprendrez que le bassin de population des femmes est tel qu'il serait presque impossible de fonder une maison juste pour les femmes.
M. Gilles Perron: Il va falloir que les femmes soient davantage criminelles.
M. Patrick Altimas: C'est malheureux. Notre maison provinciale est mixte et fonctionne assez bien.
M. Gilles Perron: Est-ce que votre maison fédérale pourrait être mixte?
M. Patrick Altimas: Elle pourrait l'être si les gens du Service correctionnel acceptaient la notion de la mixité. Ce n'est pas gagné d'avance.
M. Gilles Perron: Le taux de succès de votre maison provinciale mixte est-il comparable à celui de votre maison fédérale pour mâles seulement?
M. Patrick Altimas: Au niveau provincial, les séjours sont plus souvent complétés. La structure est moins imposante et il y a moins de conditions à respecter. Le statut légal des gens est différent. Il n'y a pas vraiment de récidives pendant le temps du séjour. Il est difficile de comparer les deux parce qu'au niveau fédéral...
M. Gilles Perron: Ce n'est pas la question que je vous posais. Au plan du fonctionnement, avez-vous plus ou moins de problèmes dans une institution mixte?
M. Patrick Altimas: Je ne dirais pas qu'on a plus de problèmes. Bien sûr, il y a là des problèmes qu'on n'a pas ailleurs. Comme on dit, il faut «dealer» avec ces problèmes, mais il n'y a rien eu de grave qui aurait pu faire en sorte qu'on remette en question la mixité. Les gens et les clients eux-mêmes s'organisent pour que cela fonctionne bien. Quand on voit qu'il se présente des problèmes, qu'il s'agisse d'histoires d'amour ou de choses semblables, on intervient et les choses se règlent en général. Comme il y a une équipe traitante de psychiatres et d'infirmières, on est bien appuyés et on s'en sort passablement bien.
M. Gilles Perron: Donc, il n'y aurait aucun problème s'il y avait quelques femmes chez vous.
M. Patrick Altimas: Seulement dans la tête des gens.
M. Gilles Perron: Je parle du fédéral.
Le président: Merci, monsieur Perron.
[Traduction]
Monsieur Wappel.
M. Tom Wappel: Merci, monsieur le président.
Monsieur Altimas, vous avez dit que vous étiez un peu nerveux de comparaître devant notre comité. J'espère que vous vous sentez plus à l'aise maintenant, parce qu'à mon avis, votre exposé était excellent et vous avez bien présenté vos idées. J'aimerais brièvement résumer ce que j'ai compris de votre exposé. Je voulais simplement vous laisser savoir que vous êtes notre dernier témoin avant que nous n'entendions le commissaire, le directeur de la commission, l'enquêteur correctionnel et, enfin, le ministre, bien sûr. Voilà donc ce qui vous distingue des autres témoins.
M. Patrick Altimas: Une chance que je ne savais pas cela avant de comparaître.
Des voix: Ah, ah!
M. Tom Wappel: D'abord, j'aimerais vous demander si vous avez visité le centre de santé mentale à Archambault dont vous avez parlé.
M. Patrick Altimas: J'y vais régulièrement.
M. Tom Wappel: Comment trouvez-vous l'établissement? Est-ce un bon établissement? Est-ce qu'il réussit à aider les prisonniers, les patients?
M. Patrick Altimas: D'après ce que j'ai vu, c'est un pénitencier qui prétend être un hôpital, mais ce n'est pas un hôpital. Voilà ce que je peux en dire.
M. Tom Wappel: D'accord.
M. Patrick Altimas: Je n'entends pas être entièrement négatif, mais le centre est encore en train de se définir, si vous voulez. Cela fait six ans maintenant, mais on a encore l'impression qu'il reste du travail à faire pour changer en centre de traitement ce qui a été, ou est encore, un pénitencier à sécurité moyenne ou maximale.
M. Tom Wappel: Bien.
M. Patrick Altimas: D'après certains membres du personnel, on y travaille sincèrement. Si vous parlez aux infirmières, elles sont très dévouées et ont à coeur les intérêts de leurs patients. Elles les connaissent bien. Mais si vous parlez aux gardiens... Malheureusement, il y a encore beaucoup de gardiens, ou d'agents de correction, comme on les appelle aujourd'hui...
M. Tom Wappel: Appelez-les ce que vous voulez. C'est ce que font d'ailleurs les prisonniers.
M. Patrick Altimas: Eh bien, les prisonniers ont bien d'autres mots pour eux, mais nous n'allons pas les mentionner ici.
Certains agents de correction sont de la vieille école, et ils ont de la difficulté à s'adapter à un contexte différent où l'on insiste plutôt sur le traitement; ils ont encore l'impression de travailler avec des criminels, et non avec des patients. J'ai trouvé que leur attitude influence beaucoup leur comportement. Comme j'ai dit, le centre n'est ni un hôpital ni un centre de traitement, mais il prétend en être un en dépit du fait qu'il s'agit encore d'un pénitencier.
Il reste encore beaucoup de travail à faire et je crois que le personnel de l'établissement le reconnaît également. À l'heure actuelle, l'établissement essaie d'obtenir l'accréditation de l'Association des hôpitaux du Canada, et je crois qu'ils vont vraiment se concentrer sur cela. Mais la situation n'est pas parfaite à ce stade-ci. Je crois qu'ils doivent également—et c'est ce qu'on leur a dit pendant des années—travailler plus fort à préparer les prisonniers à leur libération.
Je vais vous donner un exemple très simple. Il y a quelques mois, nous avons reçu à la maison de transition un détenu qui était censé être prêt à la libération. Cet homme ne pouvait même pas sortir de la maison tellement il avait peur. Pendant les deux ou trois années qu'il avait passées dans l'unité des soins psychiatriques, on ne l'avait même pas encouragé à sortir dans la cour. Vous comprenez que ce n'est pas comme ça qu'on aide une personne à se préparer à la libération. Nous devons maintenant aider cet homme à sortir de la maison, à faire un tour dehors et éventuellement à prendre l'autobus, etc. On doit travailler plus à préparer ce genre de personnes à être libérées. L'établissement devrait travailler davantage avec nous à cette fin, parce que nous avons déjà de l'expérience dans ce domaine.
M. Tom Wappel: Je vois.
Nous avons eu l'occasion de visiter le centre de santé mentale au pénitencier de Kingston. Est-ce que vous y avez été?
M. Patrick Altimas: Non.
M. Tom Wappel: Si jamais vous avez l'occasion, je vous recommanderais de visiter le centre et de vous entretenir avec le directeur. Vous y verrez peut-être des forces ou des faiblesses et vous pourriez en parler avec le personnel à Archambault. Je ne doute pas qu'il y a déjà des échanges entre les deux établissements, mais vous y apporteriez peut-être un point de vue plus objectif. Ce serait peut-être intéressant pour vous. Pour ma part, j'ai appris beaucoup de choses et je crois que d'autres membres du comité ont fait la même expérience.
• 1615
Bon, pour résumer, ai-je bien compris que vous voulez qu'on
élimine l'article sur la procédure d'examen expéditif et qu'on la
remplace par l'admissibilité à la libération au sixième de la
peine? Est-ce en principe ce que vous demandez?
M. Patrick Altimas: C'est exact.
M. Tom Wappel: Vous savez que la procédure d'examen expéditif se limite à quelques critères.
M. Patrick Altimas: Oui, je sais.
M. Tom Wappel: Suggérez-vous également que si l'on revenait à l'admissibilité à la libération au sixième de la peine, ce système serait limité aux gens qui auraient répondu aux critères de la procédure d'examen expéditif?
M. Patrick Altimas: Non. Je dis que les mêmes critères devraient s'appliquer à tous les détenus.
À mon avis, l'examen expéditif est un simulacre de libération conditionnelle. Autrement dit, le seul critère qui importe est le genre de crime que le détenu a commis. Une fois que cette méthode est adoptée—et c'est en principe juste un fait—le détenu est libéré à moins qu'on puisse trouver des motifs pour ne pas le libérer.
Eh bien, il y avait un patient à l'unité de la santé mentale qui avait été libéré et envoyé chez nous. On m'a accordé 72 heures pour le voir. Je l'ai évalué et j'ai dit qu'il ne pouvait pas venir chez nous parce qu'il n'était pas prêt. Quelques semaines plus tard, on voulait l'envoyer à une autre maison. Mais il ne s'y est jamais rendu. Si vous me dites que cette personne répondait aux critères pour la libération conditionnelle, je vous aurais dit que non, à cause de la procédure d'examen expéditif.
M. Tom Wappel: Eh bien, c'est une bonne façon de terminer. La procédure d'examen expéditif est un simulacre de libération conditionnelle.
Merci.
[Français]
M. Gilles Perron: Monsieur le président, pourriez-vous me donner deux secondes?
Le président: Oui.
M. Gilles Perron: Vous m'avez eu. Vous avez dit que les vieux gardiens avaient la même façon de faire en appelant les clients...
M. Patrick Altimas: Les bagnards.
M. Gilles Perron: Oui.
M. Patrick Altimas: Ça s'appelle des bagnards.
M. Gilles Perron: Je ne sais pas si cela existe, mais croyez-vous qu'on devrait donner des cours de formation pour amener ces vieux gardiens, et même les jeunes, aux technologies de 1999? On pourrait leur apprendre à ne pas seulement donner des coups de poing, ou à contrôler, mais à avoir les bons comportements. Est-ce qu'ils ont de la formation continue?
M. Patrick Altimas: En ce qui a trait à ces agents, ils ont eu de la formation à l'ouverture de l'unité, mais je pense que c'était trois semaines ou quelque chose comme ça. Je ne pense pas que c'était suffisant, compte tenu des objectifs qu'on avait à ce moment-là. Je pense qu'on peut former quelqu'un jusqu'à la mort, mais à la base, vous ne pouvez pas changer 20 ans de pratique.
M. Gilles Perron: Un arbre qui pousse tordu est tordu, ou un arbre qui pousse droit est droit.
M. Patrick Altimas: Surtout lorsqu'on connaît l'histoire de l'établissement Archambault. Il y a eu une espèce d'émeute en 1982, avec meurtres, etc. Il y a encore des gens qui s'en souviennent et qui n'ont jamais réussi à surmonter cela, et c'est compréhensible pour les gens qui y travaillent.
M. Gilles Perron: Tant les clients que ceux qui y travaillent?
M. Patrick Altimas: Il est difficile de changer cette mentalité qui a pris des années à s'instaurer. Sûrement que certains peuvent s'adapter, mais ils auraient effectivement besoin de plus de formation et de plus de reconnaissance de leur rôle dans le système, que ce soit des agents correctionnels ou des agents de libération conditionnelle.
J'ai travaillé au Service correctionnel du Canada pendant des années et j'ai pu constater qu'on ne reconnaissait pas facilement la contribution des employés. On a davantage tendance à avoir une gestion de grand frère, ce qui fait que les gens ont peur dans ce système. Ils ont peur de prendre des initiatives et ils ne sont pas nécessairement encouragés dans leur travail.
Je pense que le rôle des agents de correction a besoin d'être clarifié davantage avec eux en les impliquant. Je suis sûr qu'il y en a des vieux de la vieille qui s'adapteraient, mais avec la formation appropriée et une implication appropriée également.
M. Gilles Perron: Est-ce que les jeunes ont une meilleure vision du système ou s'ils prennent immédiatement de mauvais plis?
M. Patrick Altimas: Lorsque qu'un jeune entre dans un contexte comme celui-là, on exerce effectivement des pressions sur lui ou sur elle afin qu'il se conforme à la ligne de parti, si je puis dire. Il en est ainsi dans un corps policier, ainsi que dans les grandes institutions. On dit souvent aux jeunes d'oublier tout ce qu'ils ont appris et qu'on va leur montrer comment travailler. Cette pression de la part des pairs et des gens du milieu est normale et elle inhérente au fonctionnement de toute institution humaine. On ne peut donc pas la circonscrire complètement. Je crois toutefois qu'il est nécessaire de continuer à déployer des efforts afin que les gens adoptent des attitudes et des comportements qui correspondent davantage à une unité de traitement qu'à un pénitencier.
[Traduction]
Le président: Une autre question, mais c'est la toute dernière.
[Français]
M. Gilles Perron: Avant de devenir gardien de prison, une personne doit-elle suivre des cours en cette matière dans un cégep au Québec ou dans une école secondaire?
M. Patrick Altimas: Oui. Il ne s'agit toutefois pas d'un cours de gardien de prison comme tel. De nombreux jeunes qui sont engagés par le Service correctionnel ont suivi des cours au cégep en techniques d'intervention en délinquance, par exemple. D'autres détiennent même un baccalauréat en criminologie et travaillent à titre d'agent de correction ou d'agent de libérations conditionnelles. La plupart des jeunes qu'on engage aujourd'hui ont acquis une formation dans ce domaine, ce qui n'était pas le cas lorsque j'ai commencé à travailler il y a 25 ans. Il y a donc eu une amélioration sensible à ce niveau.
Malgré cette formation accrue des agents, la situation ne changera pas du jour au lendemain. Une culture ne change en un ou deux ans. Moi, j'ai connu la culture pénitentiaire en 1971, à l'époque où les détenus portaient encore un uniforme affichant un numéro. Leurs favoris ne devaient pas dépasser telle longueur et leurs cheveux devaient être courts.
M. Gilles Perron: Et ils ne devaient pas porter la barbe.
M. Patrick Altimas: Non, pas de barbe. J'ai connu la fin d'une époque, la fin de ce régime militaire, comme on l'appelait. De très nombreux changements ont eu lieu depuis ce temps-là, mais certaines mentalités ont subsisté, autant chez les détenus que chez les gardiens ou le personnel des pénitenciers. Certaines choses se sont perpétuées. Il faut des années avant de modifier une culture.
Il faut se demander si on veut créer un pénitencier spécialisé en santé mentale ou un centre de traitement spécialisé en santé mentale. Le Service correctionnel n'a toujours pas répondu clairement à cette question.
M. Gilles Perron: Vous avez beaucoup parlé de formation en santé mentale. Est-ce que votre réponse s'appliquerait également au niveau des activités quotidiennes?
M. Patrick Altimas: Tout comme la plupart des autres personnes ou dirigeants qui travaillent dans le même domaine que moi au Québec, j'ai acquis une formation en criminologie. Le personnel est de mieux en mieux formé et la situation a beaucoup évolué dans les pénitenciers au cours des 20 ou 30 dernières années, mais il y a encore place à l'amélioration. Je ne saurais vous dire que parce que je détiens un diplôme en criminologie, je possède toutes les connaissances requises, je sais ce que je fais, ne me dérangez pas et je ferai quelque chose qui sera parfait. La criminologie est toujours en évolution. Nous sommes membres de la société et nous suivons son évolution. Certains changements ont été bénéfiques, tandis que d'autres l'ont été dans une moindre mesure. Depuis des années, des changements se produisent continuellement au sein du Service correctionnel du Canada.
M. Gilles Perron: Si dans notre rapport nous recommandions qu'on offre à tout le personnel pénitencier canadien une formation continue et de meilleure qualité, est-ce que vous nous appuieriez?
M. Patrick Altimas: Si vous proposez une formation significative et bien ciblée, je dirai oui.
M. Gilles Perron: Merci, monsieur.
Le président: Merci, monsieur Perron.
Votre recommandation au sujet de la procédure d'examen expéditif était très claire et M. Wappel l'a bien résumée. Vous semblez vous opposer à la libération d'office avec assignation à résidence. Pourriez-vous préciser votre pensée au sujet de votre recommandation à cet égard?
M. Patrick Altimas: Il s'agit à mon avis d'une question beaucoup plus compliquée. Si nous pouvions bénéficier d'un programme nous permettant d'étudier correctement et au bon moment les cas des détenus, et d'une préparation adéquate en vue de la libération nous n'aurions peut-être pas besoin d'avoir recours à l'assignation à résidence. À ce moment-ci, je ne saurais vous garantir que c'est le cas.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Altimas. Je remercie les membres du comité et tout le personnel de leur excellent travail. Nous ajournons nos travaux.
La séance est levée.