CLAR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE
COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 22 février 2000
Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): À l'ordre. Nous sommes prêts à commencer. Je vois que nous avons le quorum.
[Traduction]
J'espère que le fait de manquer des votes ne distrait pas trop tous les membres du comité.
Notre premier témoin de ce soir
[Français]
est M. Wayne Norman, professeur au Centre for Applied Ethics. La désignation est la même en anglais et en français.
Monsieur Norman, vous êtes le bienvenu à ce comité. Merci d'avoir accepté de comparaître devant nous. La règle est que vous disposez de 10 minutes au plus pour faire votre présentation. Ensuite, 35 minutes seront allouées aux questions des députés.
Vous avez donc la parole pour 10 minutes.
M. Wayne Norman (professeur, Centre for Applied Ethics; témoigne à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président.
Messieurs, mesdames, c'est pour moi, universitaire, un grand honneur que de vous adresser la parole aujourd'hui.
Depuis une bonne dizaine d'années, j'étudie les problèmes de citoyenneté dans diverses sociétés, des sociétés multinationales. J'ai aussi eu l'occasion d'étudier et d'écrire des articles sur la sécession en général et sur une théorie normative en philosophie politique sur la sécession, laquelle va sans doute se refléter dans mes réflexions sur le projet de loi C-21.
[Traduction]
J'aimerais situer mes propos sur l'évaluation du projet de loi C-21 en examinant quatre situations.
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): C'est le projet de loi C-20.
M. Wayne Norman: Oh, le C-20. Je me suis trompé de salle. Je suis désolé.
Des voix: Oh, oh!
M. Wayne Norman: Il est intéressant de comparer la situation qui se produirait si le projet C-20 était promulgué avec trois autres situations.
La première est celle qui existait avant 1998 au Canada, c'est-à-dire avant l'avis de la Cour suprême au sujet du renvoi sur la sécession, quand il n'existait aucune procédure constitutionnelle explicite concernant la légitimité d'un référendum sur la sécession ou les obligations qu'auraient le gouvernement fédéral ou d'autres si une majorité simple avait voté en faveur de ce référendum.
La deuxième situation est celle qui existe aujourd'hui, le statu quo, qui, je suppose, est celle dans laquelle nous nous retrouverions si ce projet de loi n'était pas promulgué, et c'est celle qui correspond au cadre de référence fourni par les juges en 1998.
La troisième situation, comme je l'ai mentionné, est celle qui se produira si le projet de loi actuel est promulgué sous sa forme actuelle.
Et nous pourrions comparer cela avec une quatrième situation dans le cas de la promulgation d'une version modifiée de ce projet de loi.
Je parlerai des trois premières. À mon avis, depuis l'avis émis par la Cour suprême en 1998, le monde est bien meilleur qu'auparavant. C'est une nette amélioration du point de vue de la démocratie et de la primauté du droit au Canada. Je pense que la promulgation du projet de loi C-20 représenterait ce que nous pourrions appeler une amélioration mineure mais importante, ou mineure mais utile par rapport au statu quo.
• 1935
Je dirai simplement quelques mots à propos de la situation antérieure
à 1998 et des problèmes que j'y vois; je pense que ce que nous avons
observé lors des référendums de 1980 et 1995 était qu'il s'agissait
d'un exercice démocratique louable où on trouvait tous les atours de
la démocratie: une loi moderne sur la tenue d'une campagne, une
question et une démarche sanctionnées par une assemblée nationale, des
rassemblements populaires pacifiques et de vigoureux débats publics,
tout ce que l'on veut avoir dans une démocratie. Mais, en fait, la
voie démocratique telle que définie en vertu du principe de la
primauté du droit s'est interrompue au moment du dépouillement des
votes. Nous avons donc eu une démocratie jusqu'au vote puis, après le
vote, un avenir incertain sans cadre constitutionnel pour le définir.
Ces référendums étaient un peu comme un vote de grève—il y a
peut-être ici des députés du NPD qui pourraient me corriger—quand il
n'y a pas de syndicat et quand on est dans un pays sans législation
syndicale, c'est un peu comme un vote au Parlement quand on ne sait
pas que ce pourront être les règles après le vote et si les dirigeants
actuels abandonneront même le pouvoir en faveur du parti qui a gagné
ce vote. La situation ressemblait beaucoup à cela avant l'arrêt de la
Cour suprême.
Pour terminer cette idée, le problème qui se posait ne tenait pas tant au PQ et à sa tentative de rallier l'opinion publique du Québec en faveur de la souveraineté, mais plutôt au fait qu'il y avait une lacune béante dans notre constitution. Elle ne prévoyait rien pour assurer la primauté du droit après un vote sécessionniste. À cet égard, elle ne différait aucunement de presque toutes les autres constitutions jusqu'en 1998. Pour moi, l'arrêt rendu par les juges en 1998 a eu pour effet d'ajouter à notre constitution certains éléments concernant la procédure à suivre en cas de sécession. Nous avons donc maintenant dans notre constitution une sorte de procédure établissant comment mener et réglementer les activités politiques portant sur la sécession.
Je crois que l'arrêt de la Cour suprême est un document très impressionnant, mais ce n'est pas ce dont nous sommes censés parler ici aujourd'hui. Je pense qu'avec cet arrêt et cette interprétation de notre constitution, elle représente probablement maintenant le point de vue officiel le plus éclairé sur la sécession qui existe dans le monde démocratique développé. Bon, d'une certaine façon, cela ne veut pas dire grand chose, parce que la plupart des constitutions excluent ou interdisent expressément la possibilité de sécession ou sont muettes à ce sujet. Mais, quoi qu'il en soit, c'est une nette amélioration dans la mesure où cela permet aux activités liées à la sécession de prendre place dans une sorte de cadre juridique.
Alors, si tel est le cas, pourquoi avons-nous besoin du projet de loi C-20? Y a-t-il un avantage quelconque à l'adopter? J'en vois cinq.
Premièrement, je pense qu'il est pleinement conforme à l'avis donné par la Cour suprême en 1998.
Deuxièmement, il élargit et clarifie les dispositions régissant la sécession précisément dans les domaines à propos desquels la Cour suprême a demandé aux élus de le faire.
Troisièmement—et il y a plusieurs facettes à cela—, il permet aux citoyens du Canada et du Québec de savoir beaucoup plus clairement ce qui se passerait après un référendum et, dans une certaine mesure, avant un référendum sur la sécession. Dans ce sens, il est plus clair que les 80 pages de l'arrêt de la Cour suprême, même si ce document se lit très bien. Mais les citoyens ordinaires participant à une campagne référendaire pourraient plus facilement savoir exactement ce qui se passerait après leur vote. Il montre aussi clairement, dans une large mesure, quelles mesures auraient été prises en 1980 et 1995 si ces votes sécessionnistes avaient été couronnés de succès. En d'autres termes, en 1980 et en 1995, le gouvernement du Canada aurait dû décider si la question était assez claire pour entamer des négociations sur la sécession et il aurait dû décider, au vue de la question, si la majorité était aussi assez claire. En d'autres termes, le troisième avantage est que les électeurs peuvent savoir beaucoup plus clairement que par le passé ce qui serait arrivé en fait et ce qui arriverait à l'avenir.
• 1940
Quatrièmement, je pense que la promulgation de ce projet de loi
aurait des effets positifs et dynamiques sur la qualité des débats
politiques, en particulier au Québec, avant et pendant tout futur
référendum. En d'autres termes, je pense qu'en particulier, on
insisterait beaucoup plus à tout le moins sur la nécessité que la
question soit claire.
Cinquièmement, je pense que les éléments de ce projet de loi et les arguments avancés en sa faveur par le ministre sont conformes à certains principes communément acceptés et solidement fondés de la démocratie constitutionnelle. En fait, en lisant le discours prononcé aujourd'hui au Parlement par le ministre pour défendre son point de vue, j'ai été frappé par le fait que les philosophes politiques qui examineraient ces propos sur la démocratie les trouveraient extrêmement banaux et, de toute évidence, presque entièrement vrais.
Pour terminer, j'aimerais dire seulement quelques mots à propos de ce qu'est la démocratie dans une démocratie constitutionnelle, ce qui, je suppose, est quelque peu lié à la question de savoir s'il est légitime d'exiger une majorité claire dans les référendums. Je voudrais dire la chose suivante à propos de la démocratie.
Il y a réellement cinq choses que doit prendre en considération toute théorie approfondie de la démocratie, aussi bien en littérature qu'en philosophie politique. Premièrement, quasiment tout théoricien qui a jamais été pris au sérieux dans l'histoire de la pensée démocratique a dit que la démocratie ne se limitait pas à la simple décision majoritaire, cette idée étant avancée de deux façons. Les États démocratiques reconnaissent aussi souvent comme légitimement démocratiques des victoires acquises avec moins de 50 p. 100 des suffrages. En fait, dans le système parlementaire canadien, comme nous le savons tous, un parti peut effectivement gagner en ayant non seulement moins de 50 p. 100 des suffrages, mais même moins de voix qu'un autre parti, ce qui peut être légitime dans un cadre constitutionnel démocratique. De même, presque tous les théoriciens de la démocratie envisagent la possibilité d'exiger dans certains cas une majorité élargie ou spécialement élevée. Un cas typique est celui des amendements constitutionnels.
Deuxièmement, ce n'est pas simplement une procédure pour additionner des préférences. Penser que la seule chose dont il faut se soucier en démocratie est de savoir si on a additionné correctement les préférences est une vision trop limitée.
Troisièmement, la qualité du débat est aussi importante en démocratie.
Quatrièmement, il est important de garantir aux groupes minoritaires et défavorisés la possibilité de se faire entendre et d'amener les membres de la majorité à établir des contacts avec eux.
Cinquièmement, la démocratie comprend un ensemble d'institutions et de procédures de prise de décision afin d'offrir les conditions les plus favorables à long terme à un gouvernement juste et efficace.
La dernière chose que je voudrais dire à propos de l'évaluation d'un texte législatif comme celui-ci est que la démocratie n'a pas seulement de multiples facettes, mais c'est aussi un des principes politiques fondamentaux pertinents, notion que l'on retrouve dans l'avis de la Cour suprême. Cette dernière a aussi tenu compte d'autres principes: le fédéralisme, le constitutionnalisme et la primauté du droit, les droits des minorités, et on pourrait aussi ajouter les droits de citoyenneté. Toutes ces choses sont pertinentes, et je crois qu'en vertu de ces considérations, il est légitime d'exiger dans le cas présent une majorité spécialement élevée, une majorité élargie, une majorité qualifiée.
Je m'en tiendrai là et je vous inviterai à me poser des questions.
Le président: Merci beaucoup. C'est très bien.
Monsieur Hill.
M. Grant Hill (Macleod, Réf.): Je vous remercie de l'intérêt que vous manifestez envers les travaux du comité et pour votre présence ici.
De nombreux commentateurs ont parlé de la majorité et laissé entendre qu'un chiffre de 50 p. 100 des suffrages plus un n'est pas suffisant, mais ils se sont montrés très réticents à dire quel chiffre serait suffisant à leur avis. J'ai déjà posé la question suivante à plusieurs reprises; pourriez-vous nous donner une idée du minimum—le plancher, si vous voulez—que vous trouveriez acceptable.
M. Wayne Norman: Le plancher serait certainement 50 p. 100, le minimum absolu. Je suis en faveur de l'idée de ne pas citer un chiffre déterminé dans ce cas-ci. Je pense que cela dépend en partie de la question et je pense qu'on pourrait considérer qu'il y a une sorte d'échelle mobile. Peut-être que plus la question est claire, moins on désire s'assurer qu'il y ait eu un vote assez fort en sa faveur.
• 1945
Ce qu'il est important de ne pas oublier est qu'aussi bien dans le
droit québécois que dans la Constitution canadienne, le référendum n'a
pas de valeur légale en soit. En fait, pour dire les choses un peu
brutalement, c'est, en réalité, quelque chose qui donne plus de poids
aux exigences de ceux qui veulent transférer la discussion politique à
une autre tribune, c'est-à-dire des négociations avec le gouvernement
fédéral ou d'autres partenaires fédéraux. Bien entendu, plus le vote
est fort, plus ils sont en bonne position pour négocier et plus la
légitimité de leur revendication est forte.
Je ne pense pas qu'il serait bon de préciser un chiffre, mais j'ajouterais à cela une petite restriction qui est pertinente au moins du point de vue de la réflexion. Si on fondait un pays, je pense qu'il devrait y avoir dans sa constitution une clause sur la sécession, tout comme il y a une formule d'amendement ou une division des pouvoirs s'il s'agit d'une fédération. En particulier dans un État plurinational ou hétérogène, je pense que c'est une chose qui devrait normalement figurer dans la constitution, précisément parce que la question de la sécession peut se poser, qu'il y ait ou non une clause de cette nature. Si elle se pose, il vaut mieux qu'elle puisse être réglée conformément au principe de la primauté du droit.
Si des partenaires fédéraux fondaient un État et voulaient avoir une clause de sécession, je pense qu'ils fixeraient probablement un certain chiffre dans la constitution, peut-être quelque chose comme les deux tiers, comme à Saint-Kitts-et-Névis, par exemple. Ce serait en partie parce que cela offrirait une issue possible s'il y avait une réelle oppression et qu'un groupe veuille quitter le pays. Ses membres pourraient alors voter massivement dans ce sens. Mais si la barre était placée assez haut, cela découragerait aussi les acteurs d'adopter une orientation politique sécessionniste. Ils s'orienteraient peut-être vers une autre voie pour défendre leur cause.
Cela dit, au point où nous en sommes, 133 ans après la création de notre pays, je ne pense pas qu'on pourrait fixer un chiffre absolu de cette nature et l'inclure dans la Constitution sans l'accord de tous les partis.
M. Grant Hill: C'est, bien entendu, un des problèmes. Les deux côtés ne sont pas d'accord là-dessus. On dit, d'un côté, qu'un changement de la majorité, même s'il n'est pas indiqué expressément, revient à relever la barre. C'est un argument légitime, un débat légitime. Si je formulais une constitution, il ne me viendrait jamais à l'idée de fixer au départ ce chiffre à 50 p. 100 des suffrages plus un. Comme vous l'avez laissé entendre, vous ne le feriez pas non plus. Il y a le risque de donner l'impression qu'on change le niveau de la barre.
M. Wayne Norman: Si vous me permettez simplement de faire un commentaire, je ne pense pas qu'on soit en train de relever la barre. Je fais peut-être erreur, mais je ne pense pas que, lors des deux campagnes référendaires antérieures, le gouvernement fédéral se soit jamais engagé à négocier sur la base d'une majorité de 50 p. 100 des suffrages plus un en faveur d'une question, quelle qu'elle soit. De toute façon, il y aurait eu un débat entre les membres du Cabinet et entre les députés du parti gouvernemental au sujet de la clarté de la question et de la sorte de majorité qui était nécessaire.
Si les sondages avaient révélé un effritement de la majorité quelque temps après le vote, je pense que cela les aurait influencés. Si les sondages avaient révélé que, je ne sais pas, disons 15 p. 100 des gens n'avaient pas correctement compris la question et si la majorité avait été très faible, cela aurait eu des répercussions sur la situation. La barre n'a jamais été fixée à 50 p. 100 des suffrages plus un dans le passé, tout au moins pas par les deux parties, je ne pense donc pas qu'on puisse dire qu'elle serait relevée.
M. Grant Hill: J'ai été frappé par une question qui a été soulevée quand on a présenté tout le concept de clarté, et c'était que cela allait enflammer les passions séparatistes. Je n'ai rien constaté de tel. Pour autant que je puisse en juger, il n'y a pas eu un regain d'intérêt pour la séparation. J'aimerais savoir si vous avez une idée quelconque de la raison pour laquelle cela ne s'est pas produit.
M. Wayne Norman: Eh bien, je vis maintenant en Colombie- Britannique, et je suis séparé de l'opinion publique du Québec par deux splendide pistes de ski et un long trajet en avion, je suis donc beaucoup moins informé que vous à ce sujet.
Les Québécois ont montré qu'ils étaient aussi avertis et pondérés, qu'ils aimaient autant la démocratie et le débat démocratique que n'importe qui d'autre dans notre pays où ailleurs dans le monde démocratique. Il y a beaucoup de choses à dire à propos de l'importance de la clarté de la question pour la démocratie et de la clarté de la majorité pour la démocratie, pour ce type de changement également que, je pense, les Québécois prennent au sérieux.
[Français]
Le président: Monsieur Turp, s'il vous plaît.
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Merci, monsieur Milliken.
[Traduction]
Je ferai simplement un commentaire: les acteurs fédéraux n'ont jamais pris aucun engagement au sujet du chiffre de 50 p. 100 des suffrages plus un. Certains l'ont peut-être fait, mais ils ne l'ont dit qu'après les référendums. En 1980 et 1995, c'était un chiffre tout à fait suffisant pour gagner un référendum, et ils ont alors pris l'engagement de respecter ce chiffre. Avec ce projet de loi C- 20, on semble faire volte-face, vous savez. Ils ne s'étaient pas engagés à respecter une majorité de 50 p. 100 des suffrages plus un auparavant, et ils n'ont pas dit qu'ils s'y engageaient après. Il y a, dans le projet de loi C-20, tous ces critères sur lesquels ils pourraient s'appuyer pour ne prendre aucun engagement au sujet de ces 50 p. 100 des suffrages plus un.
[Français]
Ma question s'adresse à un philosophe politique. Un philosophe politique n'est pas seulement préoccupé par la légalité, mais aussi par la légitimité, n'est-ce pas? Certains philosophes politiques considèrent aussi le consensus comme une façon de conférer aux lois de la légitimité. Je crois que le projet de loi C-20 ne fait pas consensus. Il ne fait certainement pas consensus dans ce Parlement, puisqu'il y a deux partis qui s'y opposent. Il ne fait certainement pas consensus au Québec, parce que trois partis représentés à l'Assemblée nationale s'y opposent, et en général, la société civile s'y oppose également.
Alors, que vaut une loi qui ne repose pas sur une légitimité que pourraient lui offrir les partis politiques et d'autres groupes?
[Traduction]
M. Wayne Norman: Merci beaucoup pour cette question. Il y a plusieurs choses à dire à ce sujet.
Premièrement, vous avez d'abord parlé des justifications qui sont importantes pour un philosophe politique, et il m'a semblé que votre critère de légitimité reposait entièrement sur ce que ressent la population. Je pense qu'il y a d'autres arguments qu'on peut invoquer à ce sujet, et je pense qu'il y a d'autres arguments qui peuvent influer sur ce que ressent la population. Dans une certaine mesure, le débat sur ces questions ne fait que commencer, et il est très sain d'avoir un tel débat ici, au Québec et dans d'autres pays du pays.
Pour ce qui est de l'illégitimité de l'adoption d'un projet de loi comme celui-ci par le Parlement parce que des partis politiques s'y opposent, ce n'est pas inhabituel pour un projet de loi. Même des lois et des projets de loi importants peuvent être acceptés ou rejetés pour des raisons partisanes. En particulier, pour ce qui est de la pertinence de son rejet par les partis du Québec—c'est- à-dire le fait que les partis provinciaux du Québec sont contre, par opposition au Bloc—, c'est quelque chose qui n'a pas d'importance dans le sens où c'est une loi pour le gouvernement fédéral. Elle dit au gouvernement fédéral comment il est censé agir à l'avenir pour défendre les intérêts de la population du Canada qu'il représente.
Le fait que de nombreuses personnes en dehors du Québec—et probablement une majorité des politiciens fédéraux—étaient contre les lois linguistiques du Québec n'avait pas d'importance relativement à la légitimité éventuelle de ces lois au Québec. Dans une large mesure, je pense qu'elles étaient légitimes, et le fait que le gouvernement fédéral ou les politiciens d'autres provinces étaient contre n'avait aucune importance.
[Français]
M. Daniel Turp: Vous savez, quand on y pense, un des arguments invoqués pour justifier que la Constitution de 1982 est légitime, c'est que 72 ou 73 des député québécois à la Chambre des communes avaient voté en faveur de ce rapatriement et que cette légitimité égalait celle de l'Assemblée nationale, qui avait voté contre le rapatriement.
• 1955
Donc, l'argument de la légitimité résidait dans la représentativité
des députés québécois à la Chambre des communes pour la Constitution
de 1982. Alors, si on applique logiquement cet argument au projet de
loi C-20, il n'aura pas de légitimité parce qu'il y aura 50 députés du
Bloc québécois et du Parti conservateur du Québec qui auront voté
contre le projet, auquel se seront aussi opposés les trois partis
politiques de l'Assemblée nationale.
Alors, il faut être logique. Si la légitimité dépend de la représentativité et de l'accord des députés fédéraux pour la Constitution de 1982, la légitimité du projet de loi C-20 doit aussi dépendre de son acceptation ou non par les députés québécois de la Chambre des communes.
[Traduction]
M. Wayne Norman: Je suppose que personne n'aime devoir parler de 1982 en disposant de peu de temps pour cela. Vous voulez établir un parallèle entre la situation actuelle et ce qui a légitimé ou non la promulgation ou l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982. Il y a une différence frappante qui fait que j'ai du mal à savoir comment répondre à cette question. La Loi constitutionnelle de 1982 avait des conséquences sur les pouvoirs de l'Assemblée nationale dans des domaines qui intéressaient les partis et le gouvernement du Québec, alors que le présent projet de loi, d'après ce que je peux constater, ne porte aucunement atteinte aux pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec.
[Français]
M. Daniel Turp: C'est bon.
Le président: Monsieur Bachand.
M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Merci, monsieur le président. J'ai une question.
L'article 1 parle de l'analyse de la question avant le vote, donc pendant le processus, et après le vote. L'article 1, paragraphe (6) stipule que le gouvernement du Canada n'engagera aucune négociation si ce qu'il s'est donné comme grille d'analyse ne le satisfait pas. Il y a une interdiction.
Est-ce que les provinces, elles, pourraient négocier avec le Québec?
[Traduction]
M. Wayne Norman: Vous voulez dire, si elles veulent en discuter?
M. André Bachand: Non, je veux dire négocier. Si le gouvernement fédéral prend cette décision parce qu'il est lié par cet article de la loi, les provinces peuvent-elles encore négocier de bonne foi avec la province sécessionniste?
M. Wayne Norman: Je n'en sais rien. Je n'ai pas beaucoup réfléchi à ce scénario, qui est intéressant. Je n'arrive pas à envisager que cela puisse se produire. Vous entendez évidemment l'avis d'un grand nombre d'éminents experts en droit constitutionnel durant ces audiences, et ils peuvent vous le dire, mais il me semble que le processus établi par la Cour suprême nécessiterait un amendement de la Constitution pour qu'une province soit exclue de l'application de celle-ci. Le Parlement fédéral devrait donner son consentement. On ne pourrait certainement pas faire quelque chose de ce genre jusqu'au bout sans le gouvernement fédéral, mais j'ai aussi bien du mal à imaginer que le gouvernement fédéral ne veuille pas négocier alors que les dix autres provinces le voudraient toutes. Je n'ai réellement pas grand chose à dire à propos de ce scénario.
M. André Bachand: Pour nous, il y a beaucoup de problèmes dans ce projet de loi. Un des problèmes est que si on veut une question claire et une majorité claire, c'est une chose, mais si on veut être lié... Par exemple, pour a) et b), on peut interpréter une question de différentes façons.
Je pense qu'une des raisons—ce n'est peut-être pas une raison, mais peu importe—pour lesquelles la province a décidé de ne pas participer à cela... Comme vous le savez, les avis de la Cour suprême déclaraient qu'il incombe aux acteurs politiques, au pluriel, de déterminer si la question est claire et si la majorité est claire. Ils sont ensuite obligés de négocier avec le Québec. Mais le problème est que si vous vous placez dans une situation où vous n'avez aucune marge de manoeuvre, vous ne pouvez pas être assez souple, je pense qu'il faut trouver une issue. Les provinces pourraient-elles fournir cette issue? Je ne sais pas.
• 2000
Mais, là encore, il y a une autre chose qui ne nous plaît pas, le
fait que le gouvernement du Canada a décidé de constituer lui- même
l'organe de négociation, d'être celui qui va analyser la clarté de la
question pendant le processus, qui va analyser la question après le
processus, qui va analyser la majorité et décider si elle était
claire. C'est la seule chose qu'il prendra en considération—c'est
ainsi que fonctionne le gouvernement fédéral actuel. Il me semble donc
que cela veut dire que les provinces ne lui paraissent pas
importantes.
Mais une autre question...
M. Wayne Norman: Si je pouvais simplement répondre à cela...
M. André Bachand: Oui, mais je vais poser ma question, parce que le président va être très en colère contre moi, mais il va certainement vous laisser parler.
Une des questions que le Parti réformiste pose normalement toujours concerne la partition. Que pensez-vous de la partition compte tenu ou non du point de vue des Premières nations?
M. Wayne Norman: Eh bien, j'ai déjà fait allusion à cela dans le sens que, je pense, il est parfaitement légitime et, en fait, souhaitable qu'une constitution moderne d'un pays hétérogène contienne un article sur la sécession.
M. André Bachand: C'est du ressort des provinces.
M. Wayne Norman: Oui. Donc, si le Québec faisait sécession, je pense que le nouvel État québécois serait précisément le type d'État plurinational moderne qui devrait avoir une clause de sécession quelque part dans sa constitution, parce que le problème se posera dans cet État et il faudrait qu'il y ait une façon démocratique, légitime de déterminer qui l'emporte en cas d'affrontement politique sur la sécession. Je pense donc qu'il serait légitime qu'il y ait une clause sur la sécession dans un futur État québécois. En fait, je pense qu'il serait hypocrite qu'il n'y en ait pas.
[Français]
Le président: Monsieur Patry.
M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci, monsieur Norman, de votre visite.
J'ai trois questions et je vais vous les poser tout de suite. Ainsi, vous pourrez répondre à toutes.
Vous parlez beaucoup dans vos écrits du seuil de validité d'un référendum qui, si je ne m'abuse, serait un peu plus élevé que la majorité simple. Pourriez-vous, dans un premier temps, élaborer un peu plus sur cette notion de validité? Est-ce que, dans les faits, elle équivaudrait à peu près à une majorité claire? C'est ma première question.
Ma deuxième question va un peu dans le sens des propos de M. Claude Bachand du Parti conservateur. M. Bachand nous a répété à plusieurs reprises qu'il fallait attendre le résultat d'un référendum avant de se prononcer sur la validité. Du point de vue éthique ou déontologique, et non pas politique, est-ce qu'il serait préférable de s'entendre au préalable sur une clause de sécession ou un ensemble de mesures ou de règles? C'est ma deuxième question. Serait-il préférable de s'entendre avant un référendum sur les mesures à prendre ou d'attendre la fin du référendum?
M. Wayne Norman: C'est-à-dire d'attendre pour examiner la question?
M. Bernard Patry: Oui, exactement.
Voici ma troisième question. M. Turp vous a parlé de référendum et du nombre de personnes à la Chambre des communes et à l'Assemblée nationale. Toujours du point de vue éthique ou déontologique, que vaut un référendum comme ceux de 1980 et de 1995 qui ont porté sur une question qui ne faisait aucunement consensus à l'Assemblée nationale? Serait-il préférable, lorsque l'Assemblée nationale ou n'importe quelle assemblée pose une question, qu'il y ait un consensus minimal, du gouvernement ainsi que de l'opposition officielle, en faveur de la question?
[Traduction]
M. Wayne Norman: Je répondrai à ces trois questions dans l'ordre.
Vous avez fait référence à certains textes que j'ai écrits. Je dois signaler que la plupart des textes que j'ai écrits sur la sécession ont été publiés internationalement à l'intention d'un public international, et ce sont des théories normatives et générales de fond qui pourraient être utiles dans presque n'importe quelle démocratie multinationale avancée. Ils ne portaient donc pas spécifiquement sur le Québec.
• 2005
Les arguments que j'ai donnés en faveur de la légitimité d'une
majorité élargie pour la sécession sont des choses que j'ai répétées
dans une certaine mesure dans ces textes. Il est habituel dans les
démocraties que, pour certaines questions, en particulier pour amender
la constitution, on ajoute des exigences supplémentaires, en
particulier pour tenir certaines questions à l'écart, pour décourager
la tenue de certaines sortes de débats. Il est donc normal d'exiger
des majorités spécialement élevées pour certaines questions de ce
genre. La question de la sécession est, après tout, en fin de compte,
une question d'amendement constitutionnel, il n'est donc pas
surprenant qu'une majorité élargie soit exigée, étant donné que c'est
généralement le cas pour les amendements constitutionnels.
La deuxième question porte sur le bien-fondé d'examiner la clarté de la question avant le référendum ou pendant le référendum plutôt qu'après celui-ci. C'est une question intéressante à laquelle je n'avais jamais beaucoup réfléchi avant ce projet de loi. Je pense que, d'une certaine façon, il serait audacieux de la part du gouvernement fédéral dans le cas présent, ou de la Chambre des communes, de décider rapidement si c'est une question qu'il va prendre au sérieux et d'annoncer ce résultat, en fait, pendant la campagne référendaire, en toute vraisemblance. Je suis sûr qu'il y a beaucoup de considérations politiques qui militent en faveur ou contre cela.
On serait porté à penser, en général, du point de vue de la démocratie, que, mieux les électeurs sont informés des répercussions possibles de ce sur quoi ils votent, mieux c'est pour la démocratie en général. D'un point de vue démocratique, je suppose qu'il est bon que les électeurs disposent de cette information plutôt que de ne pas la leur communiquer.
La troisième question portait sur la légitimité de la question. Oui, bien entendu, il serait idéal que tous les partis de l'Assemblée nationale puissent s'entendre sur la question ou même sur la possibilité d'accepter des amendements. Lors des débats de l'Assemblée nationale sur la dernière question référendaire, j'ai été particulièrement frappé par la diligence avec laquelle le gouvernement du Parti québécois de l'époque s'est opposé à l'inclusion du mot «pays» avant «souverain». Je ne pense pas qu'on pourrait prétendre que la question est plus claire si on ne met pas le mot «pays». On pouvait penser que son inclusion ne la rendait pas claire, mais, de toute façon, on serait porté à penser qu'il serait bon que le parti de l'opposition puisse avoir une certaine influence.
Je pense que les habitants du Québec—et il y a des sondages que, de toute évidence, vous connaissez, qui le montrent—seraient même contents si le gouvernement fédéral ou la Chambre des communes et l'Assemblée nationale élaboraient ensemble une question de façon relativement non partisane. Je suis sûr que les gens s'en réjouiraient, et ce serait une bonne chose pour la démocratie.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à Val Meredith.
Mme Val Meredith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): Vous avez fait allusion il y a quelques instants au droit qu'aurait ou non le gouvernement fédéral d'avoir un mot à dire pour déterminer si la question était claire. Plusieurs témoins, et aussi des représentants qui sont ici, m'ont donné l'impression que, pour certains, les gens comme vous et moi en dehors du Québec, en Colombie-Britannique, n'ont pas le droit de se mêler de ce processus ou d'être consultés, que cela ne les regarde pas. Je pensais que la Cour suprême avait dit clairement dans son arrêt que ce ne serait pas seulement le Canada, le gouvernement fédéral, mais aussi les provinces qui devraient participer aux négociations.
Êtes-vous d'accord avec cette interprétation? À votre avis, les provinces devraient-elles aussi jouer un rôle, de même que les Premières nations, dans les négociations si le oui l'emportait?
M. Wayne Norman: Il y a une réponse relativement simple et une réponse plus philosophique à cette question.
La réponse simple est que la voie tracée pour ce processus constitutionnel par l'arrêt de la Cour suprême prévoit que l'entente négociée issue des négociations doit être ratifiée en tant qu'amendement à la Constitution. Je suppose que vous avez entendu des témoins experts en la matière, mais je présume qu'il s'agirait d'exiger le consentement unanime des provinces et du gouvernement fédéral pour modifier la Constitution de cette façon. Si c'est le cas, je suppose alors qu'il serait absurde que des négociations se déroulent jusqu'au bout sans se soucier de savoir si les provinces vont être prêtes à en accepter le résultat. Mais je n'ai réellement pas grand chose à dire à propos des modalités des négociations elles-mêmes ou des modalités qu'il faudrait adopter.
• 2010
Pour ce qui est du projet de loi C-20, je ne pense pas que ce soit un
pas en arrière par rapport à ce qu'a dit la Cour suprême. L'avis
qu'elle a exprimé reste le cadre de référence constitutionnel pour un
processus de ce genre.
Je pourrais aussi dire quelque chose de plus abstrait à ce sujet; il y a un problème très particulier concernant la démocratie et la sécession qui se manifeste concrètement dans votre question. C'est le fait que la démocratie à son niveau le plus élevé signifie que c'est le peuple qui décide, et cela suppose que, pour qu'une décision démocratique soit rendue, on sait qui forme ce peuple, parce que ceux qu'on a identifiés comme les gens concernés sont ceux qui gouvernent et prennent la décision. Mais la sécession est intéressante parce qu'elle pose la question de savoir qui constitue le peuple. Il s'agit, en fait, d'essayer de modifier la composition du peuple—dans ce cas-ci le peuple du Canada—et de créer un nouvel État pour le peuple du Québec.
Il est donc, en fait, difficile de régler ces deux questions d'un seul coup. Un référendum sur la sécession du Québec n'est pas comme d'autres sortes de référendum; par exemple, un gouvernement peut organiser un référendum sur le contrôle des armes à feu ou la peine capitale afin d'obtenir un avis décisif dans un sens ou dans l'autre à propos d'une question et d'être lié par son résultat. Comme je l'ai déjà mentionné, celui-ci est beaucoup plus comme un vote de grève. C'est un référendum, organisé par un gouvernement, qui est censé avoir une sorte de poids moral et de poids juridique auprès d'un autre gouvernement. Et, étant donné que la sécession modifie la composition du peuple canadien tout autant que le statut du Québec, c'est quelque chose à propos de quoi le peuple canadien doit, en fin de compte, avoir son mot à dire. Le cadre établi par la Cour suprême lui permet de le faire par l'entremise de ses gouvernements, de négociations et de l'adoption d'amendements par les assemblées législatives provinciales et fédérale.
Mais, de façon inhérente, il est paradoxal d'imaginer un processus démocratique pour la sécession. Je pense que toutes les personnes présentes autour de cette table ainsi qu'à la Cour suprême et les gens qui en débattent au Québec et dans le reste du Canada sont confrontés à certains de ces paradoxes inhérents qui font que presque toutes les solutions sont des sortes de compromis.
Le président: Monsieur Pagtakhan.
M. Rey D. Pagtakhan (Winnipeg-Nord—St. Paul, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Norman.
Vous avez indiqué que, quand un pays est créé, il serait utile d'avoir une clause sur la sécession. Ma question est la suivante: vous paraît-il moralement justifié de considérer que le nombre de votes requis pour qu'un peuple fasse partie d'un pays devrait être différent de celui qui est requis quand il fait sécession de ce pays?
M. Wayne Norman: Si vous avez des anciennes colonies, ou des États ou des groupes qui sont indépendants et qui se réunissent—et c'est, d'une certaine façon, une sorte d'exercice philosophique hypothétique—pour créer un pays, chacun d'entre eux aura sa propre tradition constitutionnelle qu'il interprète à sa façon, et chacun a ses propres règles pour décider s'il peut s'engager ou non à adopter une telle démarche. Donc, dans un sens, à ce moment-là, à l'étape préhistorique du nouvel État, ce qui est réellement important, c'est l'histoire et les traditions constitutionnelles de ses unités antérieurement indépendantes. Une fois qu'elles se réunissent, elles commencent alors à créer des traditions et une histoire, des précédents et des choses de ce genre, ensemble. Dans certains cas, elles pourraient décider explicitement de s'imposer certaines obligations en établissant, par exemple, une formule complexe pour les amendements constitutionnels ou une procédure complexe pour la sécession, mais il n'y a pas nécessairement de lien entre les deux, parce que ce sont des entités politiques différentes.
M. Rey Pagtakhan: Ma dernière question concerne la majorité élargie à laquelle mon collègue Andy Scott a fait allusion tout à l'heure. Vous avez fait allusion à l'idée selon laquelle il est vraisemblable qu'on exige plus qu'une simple majorité pour modifier la Constitution. Ma question est donc la suivante: est-ce parce que—et je cherche à déterminer le fondement moral—on change l'essence de la nation qui existait avant la sécession ou est-ce parce qu'on met à l'épreuve un sens collectif de responsabilité envers la nation existante qui s'est développée au fil des ans et des décennies après sa formation?
M. Wayne Norman: Il ne s'agit pas ici simplement d'une procédure pour un amendement normal à la Constitution, mais pour une sécession. Je pense qu'il y a de multiples raisons pour lesquelles il serait logique d'avoir une majorité élargie, mais, entre autres choses, je pourrais dire que j'appartiens à une école de pensées selon laquelle, en fin de compte, la sécession est moralement justifiée seulement dans des États par ailleurs justes et démocratiques... ou est justifiée seulement quand il y a, en fait, un motif valable—lorsqu'il y a une certaine forme d'oppression ou d'exploitation systématique ou, peut-être, quand l'entente fédérale n'a pas été respectée d'une façon ou d'une autre. Il faut donc un motif valable pour pouvoir faire sécession d'un État par ailleurs juste et démocratique.
Le problème est qu'il n'y a aucun juge indépendant à qui on peut demander de dire: «Oh oui, ce groupe a un motif valable de faire sécession. Laissons-le faire sécession.» Dans une démocratie, la seule façon de régler les questions de ce genre est, en fin de compte, au moyen d'une sorte de participation électorale de type référendaire. Mais cela ne change rien au fait que, d'une certaine façon, quand des États multinationaux qui fonctionnent relativement bien et sont relativement justes et démocratiques par ailleurs se dissolvent, c'est éminemment regrettable.
Il y a, dans le monde, quelque chose comme 5 000 groupes ethnoculturels et environ 200 États, dont 90 p. 100 contiennent plus qu'un seul groupe ethnoculturel important. Nous ne pouvons pas nous représenter un monde dans lequel chacun de ces groupes aurait son propre État sans imaginer que la pire sorte de cauchemar yougoslave s'étendrait au monde entier. Cela veut dire qu'il faut qu'il y ait des peuples différents, des groupes linguistiques ethnoculturels différents partageant des États. Et si nous devons pouvoir dire, dans la communauté internationale, que nous voulons que le monde se démocratise davantage—et pour cela, en réalité, il faut que des gens appartenant à des groupes ethnoculturels différents collaborent au sein d'un même État—, il faut que nous puissions montrer de brillants exemples, comme le Canada, la Belgique, l'Espagne et le Royaume-Uni, etc., où il en est ainsi.
Je pense que si des États de ce type montrent que, même quand il n'y a pas de haine, même quand il y a des communautés démocratiques tolérantes, on ne peut pas avoir un État qui fonctionne avec des gens de langues différentes, c'est une tragédie morale pour ce qui est du modèle que le monde démocratique occidental peut présenter au reste du monde.
Le président: Je crains de pouvoir seulement accepter une brève question pour terminer. Ce sera M. Turp. Une seule question, et courte.
M. Daniel Turp: Je crains que ce soit M. Turp, oui.
Le président: Elle devra être très courte.
M. Daniel Turp: Oui, monsieur le président. Elle portera sur les majorités élargies et le chiffre de 50 p. 100 des suffrages plus un. Mais, auparavant, je voudrais réellement citer quelque chose qui va paraître dans le journal de demain.
Le président: Posez votre question, s'il vous plaît. C'est une faveur que je vous fais, parce qu'il y a plusieurs personnes qui voulaient poser une autre question. Si vous voulez lire quelque chose, je donnerai la parole à un des autres. Il y a trois autres députés qui veulent poser des questions, mais nos 45 minutes sont écoulées.
Gardez-la pour plus tard.
M. Daniel Turp: Voulez-vous réellement que je garde cela pour plus tard?
Le président: Oui.
M. Daniel Turp: En ce qui concerne les majorités élargies et le chiffre de 50 p. 100 des suffrages plus un, vous avez dit qu'une majorité élargie est justifiée, même dans ce cas-ci, parce qu'il s'agit d'un amendement à la Constitution. Eh bien, dans ce cas-ci, d'après la Cour suprême, il y a une majorité élargie parce que le mécanisme prévu pour amender la Constitution s'appliquerait. Et ça ressemble bien à une majorité élargie—sept et 50 ou l'unanimité.
• 2020
Il s'agit d'un référendum. Quand on organise un référendum,
quand on s'adresse directement à la population, c'est à ce moment-
là que la règle de 50 p. 100 des suffrages plus un est
d'application universelle, sauf peut-être dans le cas de Saint-
Kitts-et-Nevis ou de l'URSS, si vous pensez que c'est un bon
exemple à citer. Il y a donc une différence entre un amendement
constitutionnel et un référendum, et je pense que la règle
universelle de 50 p. 100 des suffrages plus un est très légitime
dans ce cas-là, quand on consulte la population.
Le président: Voilà la question.
M. Wayne Norman: La sécession d'un territoire qui se sépare d'un État démocratique est certainement un changement aussi important pour ce pays que quasiment toute autre sorte possible d'amendement constitutionnel. On pourrait donc donner des raisons semblables à toutes celles qu'on donne normalement pour expliquer pourquoi il faudrait exiger des majorités spécialement élevées pour les amendements constitutionnels: c'est une décision grave; on ne peut plus revenir en arrière; on cherche, dans la mesure du possible, à tenir cela à l'écart des activités politiques habituelles qui se déroulent jour après jour, semaine après semaine, année après année. Toutes les raisons de ce genre militeraient aussi en faveur du choix d'une majorité élargie dans ce cas-ci.
Mais il ne faut toujours pas oublier, même selon la façon dont je vois cela dans la législation référendaire du Québec, qu'on n'indique aucun chiffre, parce qu'il s'agit précisément de révéler la force de la volonté démocratique en faveur d'un certain type de changement, et plus cette force est grande, plus cette volonté sera efficace quand on passera à l'étape suivante des négociations et plus grande sera la légitimité démocratique de ce point de vue. Ce n'est pas comme un référendum sur la peine capitale ou le contrôle des armes à feu, qui permet de régler une question. C'est un référendum qui est censé vous amener, vous et un autre organisme qui n'a même pas participé au référendum, à prendre certaines mesures en votre faveur, et c'est une situation de nature très différente.
Le président: Monsieur Norman, je tiens à vous remercier au nom de tous les membres du comité d'être venu ici aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Les questions me montrent que votre déposition était très utile pour les députés. Merci beaucoup.
M. Wayne Norman: Je vous remercie beaucoup.
Le président: Le temps dont nous disposions est écoulé.
Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.
[Traduction]
Le témoin suivant est M. Roger Gibbins, président de la Canada West Foundation.
Monsieur Gibbins, je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Je suppose que vous avez fait un long voyage. Nous sommes ravis de vous recevoir ici ce soir et nous serons heureux d'entendre votre témoignage. Comme vous le savez peut-être, vous disposez de 10 minutes pour faire un exposé, puis les députés vous poseront des questions pendant 35 minutes.
Je vous remercie d'être venu. Vous avez la parole.
M. Roger Gibbins (témoignage à titre personnel): On dirait que j'ai complètement perdu la voix; je demanderai aux membres du comité de m'en excuser.
Je ferai un bref exposé, qui ne prendra pas plus de 10 minutes. Des exemplaires de mon mémoire sont à votre disposition, et ce que je peux donner comme références figure sur la dernière page.
Permettez-moi de remercier d'abord le comité de me donner l'occasion d'être ici. Je voudrais aussi, en guise d'introduction, souligner que je comparais devant le comité à titre individuel. Je ne m'exprime pas au nom du personnel ou du conseil de la Canada West Foundation. J'essaierai toutefois de vous présenter, sur le projet de loi sur la clarté, un point de revue reflétant celui de l'ouest du Canada. Comme vous le verrez, mon analyse sera de nature plus politique que juridique.
La première chose que je voudrais dire est que les principes du projet de loi C-20 sont tout à fait en harmonie avec les idées politiques qui ont cours dans l'ouest du Canada. Les partis politiques originaires de l'Ouest réclament depuis longtemps l'adoption de règles prévisibles pour les référendums sur la souveraineté tenus au Québec, et c'est ce qu'a demandé aussi mon organisation en 1996. L'esprit qui a présidé à la rédaction du projet de loi sur la clarté devrait donc jouir d'un vaste appui politique dans l'Ouest du Canada. On y verra la preuve que le gouvernement fédéral a finalement fait siennes les opinions des Canadiens de l'Ouest à propos du débat constant sur l'unité nationale.
À mon avis, beaucoup appuient également le principe voulant que le monde politique canadien contribue activement à la détermination des modalités de tout futur référendum au Québec et au choix de l'attitude à prendre face à son résultat. S'il est vraisemblable que les Canadiens de l'Ouest adopteront à ce sujet un point de vue différent des autres, ce sera dû à leur conviction qu'une participation directe de la population est nécessaire. Ils sont moins portés à croire que les institutions parlementaires ou le gouvernement national refléteront adéquatement l'opinion de leurs régions. Ils conviennent néanmoins que l'affaire est trop importante pour que le Québec soit seul à décider et que tous les Canadiens doivent avoir leur mot à dire.
Le moment choisi pour déposer ce projet de loi a suscité un certain étonnement mais peu d'opposition dans l'Ouest. Il n'a certainement pas ravivé le débat sur l'unité nationale, qui est en veilleuse dans la région.
Ce projet de loi devrait donc jouir d'un appui relativement important dans l'Ouest, où il sera considéré comme conforme à la façon dont on envisage le monde constitutionnel dans la région. Il importe toutefois de signaler qu'il ne faut pas croire que l'appui accordé à ces principes généraux se transformera en appui durable à ces dispositions spécifiques.
Il est fort possible que les Canadiens de l'Ouest croient que le projet de loi sur la clarté a une portée beaucoup plus grande qu'elle ne l'est en réalité. Je ne serais pas surpris, par exemple, qu'ils croient que le projet de loi définit la question qui pourra être posée aux Québécois et détermine le seuil requis pour qu'un vote du Québec déclenche une réaction de la part du gouvernement du Canada. Le projet de loi C-20 est loin, peut-être très loin, de répondre aux attentes du public à ces égards. Il ne mentionne pas non plus qui, le cas échéant, négocierait avec le Québec.
• 2030
Enfin, les Canadiens de l'Ouest seraient surpris, et très
probablement choqués, de découvrir que ce projet de loi n'accorde
aucune place aux gouvernements provinciaux, si ce n'est en
déclarant de façon vague que la Chambre des Communes, je cite,
«tient compte» des opinions des provinces et d'autres parties. Les
Canadiens de l'Ouest ne sont pas prêts à s'en remettre au
gouvernement fédéral ou au Parlement pour déterminer comment réagir
en cas de succès d'un référendum au Québec.
Tout cela ne constitue pas nécessairement une critique du projet de loi actuel, qui, après tout, ne nous entraîne pas très loin sur une voie très hypothétique; cela veut simplement dire qu'on ne peut pas présumer que les Canadiens de l'Ouest donneront leur approbation aux modalités spécifiques du projet de loi si elles sont définies et lorsqu'elles le seront—si, par exemple, un seuil est déterminé. Il serait erroné de considérer l'appui régional actuel comme un chèque en blanc pour l'avenir.
J'aimerais maintenant me pencher sur un certain nombre de problèmes potentiels ayant trait à la condition mentionnée dans le projet de loi aux termes de laquelle, si un référendum sur une question claire avait lieu au Québec, il faudrait une majorité supérieure à 50 p. 100, et très vraisemblablement bien supérieure à 50 p. 100, pour que le Parlement et le gouvernement fédéral se montrent prêts à négocier.
Je m'attendrais à ce que l'exigence d'une majorité spécialement élevée soit initialement appuyée dans la région, mais cela pourrait créer une situation très inquiétante pour l'Ouest si un gouvernement souverainiste au Québec obtenait plus de 50 p. 100 des suffrages dans un référendum, mais pas une majorité suffisante pour entraîner l'ouverture de négociations. Pourquoi un tel résultat poserait-il un problème pour l'Ouest? Permettez-moi de mentionner rapidement trois préoccupations.
La première est la perspective d'une impasse préjudiciable. Les Canadiens de l'Ouest n'apprécieraient guère une telle impasse et demanderaient vraisemblablement l'ouverture de négociations. Une fois le seuil de 50 p. 100 dépassé, le climat politique dans l'Ouest changerait fondamentalement et les dispositions du projet de loi n'influeraient vraisemblablement pas sur ce changement.
La deuxième préoccupation, qui est reliée à la première, est qu'un seuil plus élevé que 50 p. 100 pourrait encourager les électeurs à voter oui dans un référendum au Québec en donnant l'impression qu'un vote pour le oui aurait peu de répercussions concrètes; Ottawa ne réagirait tout simplement pas. Un vote pour le oui pourrait donc devenir guère plus qu'un moyen de manifester sa solidarité avec le Québec ou un intérêt pour une réforme constitutionnelle. Toutefois, à l'extérieur du Québec, un vote pour le oui pourrait être perçu bien différemment. Il pourrait être considéré comme un moyen d'engager le pays dans un débat sans fin sur l'unité nationale, un débat que les Canadiens de l'Ouest supportent de moins en moins.
À mon avis, tout cela signifie que, réflexion faite, il y aura un appui considérable dans la région pour un seuil de 50 p. 100, un seuil tel que chaque vote compterait, et le vote en faveur de la souveraineté ne serait pas gonflé parce que les gens considéreraient ce référendum, fondamentalement, comme un vote sans conséquence. Ottawa est peut-être bien prêt à ne pas tenir compte d'un vote pour le oui, mais il y a moins de chances que l'Ouest en fasse autant.
La troisième préoccupation est qu'il est peut-être difficile de faire accepter une majorité spécialement élevée dans la culture populiste de l'Ouest. Le chiffre de 50 p. 100 possède un certain pouvoir magique et une légitimité démocratique qui fait défaut à d'autres seuils. Il est difficile, par exemple, de trouver des précédents démocratiques pour des seuils de 60, 65 ou 70 p. 100. Donc, réflexion faite, les Canadiens de l'Ouest pourraient revenir au seuil de 50 p. 100, qui est conforme à la mentalité populiste de la région.
La principale chose à mettre en relief est que, si la majorité des Québécois votaient en faveur d'une restructuration radicale de la fédération canadienne et si le gouvernement fédéral refusait de réagir, l'Ouest du Canada n'accepterait pas cette situation pendant longtemps. Beaucoup de gens y verraient une façon de faire en sorte que toutes les questions de politique publique soient évaluées en fonction de leur contribution potentielle au soutien à la souveraineté au Québec.
Si une question raisonnablement claire remportait une majorité même à peine supérieure à 50 p. 100, j'ai l'impression que les Canadiens de l'Ouest en auraient assez et insisteraient pour que des négociations soient entreprises, sans égard aux dispositions du projet de loi sur la clarté. Je veux donc dire que, dans l'Ouest, la dynamique politique évoluera indépendamment des dispositions du projet de loi sur la clarté.
• 2035
Bien entendu, on ne sait pas du tout clairement ce que
pourrait être une question claire. Les Canadiens de l'Ouest sont
probablement en faveur de la proposition d'interdire des
expressions ambiguës comme «un Québec indépendant dans un
partenariat économique avec le Canada». Dans la situation actuelle,
il y a fort peu d'intérêt dans l'Ouest pour une question qui
présuppose une réaction spécifique quelconque du reste du Canada,
y compris le désir de négocier un partenariat économique. Ce n'est
pas que les Canadiens de l'Ouest s'opposeraient nécessairement à
l'existence de divers liens économiques et politiques avec un
Québec indépendant, mais ils ne sont tout simplement pas prêts à
accepter que d'autres prétendent savoir comment leur région
réagirait.
Au moment de conclure ce bref exposé, permettez-moi de mentionner un autre problème potentiel. Comme vous le savez très bien, l'arrêt de la Cour suprême auquel répond ce projet de loi ne concerne pas uniquement le Québec. Il y est question de la façon dont le Parlement pourrait réagir à tout référendum provincial conçu pour apporter des changements à la Constitution. Donc, par exemple, cette décision ouvre la porte à un référendum en Alberta sur la réforme du Sénat.
Il faut alors se demander si le projet de loi sur la clarté présente un modèle convenant à des référendums constitutionnels tenus en dehors du Québec en vue d'une réforme de la Constitution plutôt que de la destruction du pays. Que penseraient les Albertains d'un modèle reposant sur le principe que le Parlement peut définir la question et déterminer le seuil acceptable pour un référendum provincial sur une réforme institutionnelle? J'ai l'impression que cela ne plairait pas aux Albertains. Cela donne à penser que, si ce projet de loi est considéré comme un précédent éventuellement applicable à toute proposition de réforme avancée par une province, il recevra peut-être dans la région un appui moins grand que s'il est perçu comme s'appliquant seulement aux référendums conçus pour mettre fin à la fédération canadienne plutôt que pour l'améliorer.
En résumé, les principes et l'esprit du projet de loi sur la clarté sont probablement considérés dans l'Ouest comme une initiative prise par le gouvernement du Canada pour s'aligner sur l'opinion qui a cours depuis longtemps dans l'Ouest canadien. Il devrait donc recevoir un appui relativement fort de la part de tous les principaux partis de cette région.
En même temps, le détail des dispositions du projet de loi suscite des inquiétudes. Les Canadiens de l'Ouest croient très probablement qu'il va plus loin qu'il ne le fait en réalité. Il pose également des conditions relatives au seuil à atteindre qui poseront problème pour l'Ouest. Le fait de ne pas inclure explicitement les gouvernements provinciaux dans le processus de négociation et, donc, de ne pas tenir compte de la nature fédérale du pays serait vigoureusement contesté.
Enfin, on peut craindre—et c'est peut-être une crainte plus personnelle; je ne peux pas vous dire ce qu'on en pense dans la région—que ce projet de loi ne soit utilisé comme moyen d'étouffer les initiatives constructives de réforme constitutionnelle venant de l'extérieur du Québec au lieu de les encourager. Si tel est le cas, ce projet de loi serait une réaction inappropriée à la décision de la Cour suprême qui est à l'origine de sa préparation. Si le projet de loi sur la clarté, délibérément ou par voie de conséquence, renforce le statu quo, un appui à long terme ne peut pas lui être garanti dans l'Ouest du Canada.
Merci. Je répondrai avec plaisir à toutes vos questions.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Gibbins.
Monsieur Jaffer, vous avez la parole en premier.
M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux questions, dont une porte sur la question que vous avez soulevée à propos de la participation de l'Ouest. Mais je pense que ce qui nous a préoccupés dans une certaine mesure dans l'opposition est que, même si nous appuyons en principe ce projet de loi, il n'y a pas eu suffisamment de consultations avec le reste du pays, en particulier avec les Canadiens de l'Ouest. Une des choses que, je pense, vous avez abordées, est que c'est une question très importante pour l'Ouest et que beaucoup de Canadiens éprouvent le désir d'avoir leur mot à dire.
Je vous demanderai d'abord comment vous auriez amélioré ce processus dans une certaine mesure, ou peut-être même le projet de loi, pour inclure une participation plus effective des Canadiens de l'Ouest ou des Canadiens de l'ensemble du pays?
M. Roger Gibbins: Laissez-moi me préparer à vous répondre.
Je pense que la participation des Canadiens de l'Ouest à ce processus pourrait être importante parce qu'à l'heure actuelle, le projet de loi sur la clarté n'apparaît guère sur l'écran radar dans l'Ouest du Canada. Ce n'est pas une des choses dont on débat ou dont on parle. Je crois qu'il risque d'être adopté sans qu'on ait beaucoup informé les gens de l'Ouest de ce qu'il est censé faire. C'est pourquoi ce qui m'inquiète est qu'on prendra pour hypothèse que le projet de loi reçoit un vaste appui alors qu'en réalité, les gens n'ont aucune idée de ce qu'il représente. Je pense donc qu'il existe une possibilité de faire participer la population de cette façon-là. Il y a la possibilité de tenir des audiences ouvertes à un plus large public sur cette question. Dans l'Ouest, on a du mal à comprendre pourquoi il faut se dépêcher.
M. Rahim Jaffer: Nous le verrons bien. Malheureusement, le comité va apparemment devoir terminer cette étude cette semaine. Mais c'est quelque chose que nous avons essayé d'encourager, parce que nous pensons que les gens de l'Ouest ont beaucoup à dire et une importante contribution à faire à ce sujet.
Mon autre question concerne ce que vous avez dit à propos des autres modifications potentielles à la Constitution qui pourraient être incluses dans ce projet de loi. Vous avez soulevé l'exemple de la réforme du Sénat en Alberta. Je pense que je serais d'accord, et je me demande quels amendements ou modifications éventuelles vous proposeriez à ce projet de loi pour lui donner une portée un peu plus générale.
M. Roger Gibbins: Je ne sais pas si je recommanderais de modifier ce projet de loi ou si je dirais qu'on indique très soigneusement qu'il porte sur une situation spécifique. Ma préoccupation n'est pas que ce projet de loi sur la clarté, sous sa forme actuelle, soit appliqué à un référendum qui aurait lieu en Alberta ou ailleurs, mais plutôt qu'on le considère comme un ensemble de principes qui pourraient être utilisés pour un référendum sur une autre question dans une autre partie du pays. Si on pouvait faire quelque chose pour éliminer cette possibilité, je pense que cela mettrait les Canadiens de l'Ouest plus à l'aise. Dans l'état actuel des choses, il me semble que si c'est un ensemble de principes pouvant régir d'autres types de référendum, ce serait un ensemble de principes qui pourrait imposer des restrictions extraordinairement limitatives pour toute initiative de réforme constitutionnelle venant d'ailleurs.
M. Rahim Jaffer: J'ai une dernière question.
Vous avez aussi abordé la question d'une majorité claire et présenté différents scénarios, surtout en ce qui concerne la réaction des Canadiens de l'Ouest. Une des questions à propos desquelles nous avons demandé l'avis des témoins est celle de savoir si ce pourcentage ou une majorité claire de 50 p. 100 des suffrages plus un, ou je ne sais quoi, devraient être stipulés dans ce projet de loi avant un référendum, ou s'il faut préciser de quoi il retourne après un référendum, à la fois après la formulation de la question et...? Qu'en penseriez-vous? Devrions-nous établir cela avant un référendum ou devrait-on attendre qu'il ait eu lieu?
M. Roger Gibbins: Mon avis personnel est que la notion de clarté laisse entendre que les règles doivent être établies avant la formulation de la question et avant la tenue du vote. J'ai l'impression que les gens de ma partie du pays supposent que cela figure probablement dans le projet de loi, qu'il précise déjà cela, et qu'ils seraient étonnés de constater que ce n'est pas le cas.
Si je peux m'étendre brièvement sur un deuxième point, je crois que les Canadiens de l'Ouest considéreraient d'abord qu'une norme extraordinairement élevée doit être atteinte pour détruire le pays, mais qu'après réflexion, ils concluraient que ce serait une situation intenable si une majorité des électeurs d'une province votaient en faveur de la séparation sans que le gouvernement fédéral réagisse et que nous nous retrouvions alors dans cette horrible impasse. J'ai l'impression que, le lendemain du jour où ce référendum aurait eu lieu, si le résultat était de 51, 52 ou 55 p. 100, les journaux de l'Ouest du Canada diraient que la situation est maintenant fondamentalement différente et que nous devons y réagir quoi que puisse dire le projet de loi sur la clarté.
[Français]
Le président: Monsieur Turp.
M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Nous avons eu ce matin un témoin qui a posé une question à un député. Il lui a demandé comment il réagirait si 50 p. 100 plus un des Québécois votaient en faveur de la souveraineté en réponse à une question claire. Le député, qui malheureusement n'est pas ici, a dit, je cite: «Je dirais personnellement que, si la question était aussi claire, nous entamerions un processus de négociation.» Le journaliste a posé cette question avant que le président du comité lui coupe la parole.
• 2045
Si on vous posait une question de ce genre, monsieur Gibbins,
une question claire, entameriez-vous un processus de négociation?
M. Roger Gibbins: Ce n'est pas une question à laquelle je serais confronté parce que je ne suis pas du tout directement concerné. Ce que je dirais est que, d'après ce que je crois que pensent les Canadiens de l'Ouest, et cela fait 20 ou 30 ans que je m'y intéresse, si le résultat du vote était de 50 p. 100 des suffrages plus un, les gens hésiteraient beaucoup à entamer une longue démarche pour essayer de ramener cette personne supplémentaire du côté fédéral. Le climat de la région changerait plutôt de façon assez fondamentale. S'il y avait 50 p. 100 des suffrages plus un, les gens diraient: «Passons à autre chose. Le Québec s'est exprimé. Voyons où nous en sommes maintenant et passons simplement à autre chose.»
M. Daniel Turp: Si je comprends bien, monsieur Gibbins, vous avez une loi sur les amendements à la Constitution en Alberta. Si cela doit donner lieu à un amendement de la Constitution, d'après la formule qui existe dans la constitution actuelle du Canada, que ce soit la formule 7 et 50 ou la formule d'unanimité... Quand les Albertains seront consultés au sujet de cet amendement visant à autoriser la sécession du Québec, je pense que la règle applicable serait 50 p. 100 plus un, n'est-ce pas?
M. Roger Gibbins: Je ne crois pas que ce soit tout à fait juste. À ma connaissance—, et je fais peut-être erreur—, le référendum provincial nécessaire est un référendum consultatif dont tiendrait compte l'assemblée législative provinciale. Je ne sais donc pas exactement comment l'assemblée législative de la province interpréterait un vote très serré. Je ne pense pas qu'elle soit si fermement liée par la loi.
M. Daniel Turp: À titre d'information, je dirai simplement que, d'après notre système constitutionnel, aucun référendum n'impose quelque chose aux gouvernements. La majorité mentionnée dans la loi sur les amendements de l'Alberta est de 50 p. 100 des suffrages plus un, ce qui est aussi le cas en Alberta.
M. Roger Gibbins: C'est exact.
M. Daniel Turp: C'est apparemment une règle acceptable pour amener un gouvernement à prendre sérieusement en considération le point de vue de la population. J'ai l'impression que les Albertains s'attendraient à ce que le gouvernement donne suite à l'opinion qu'ils ont exprimée si 50 p. 100 plus un des Albertains décidaient d'accepter l'amendement constitutionnel visant à autoriser le Québec à devenir un pays, n'êtes-vous pas de cet avis?
M. Roger Gibbins: Oui. J'essayais simplement de dire que je pense qu'il y aurait une certaine marge de manoeuvre si le vote était extraordinairement serré. C'est tout ce que je veux dire. Si, par exemple, l'Alberta était la seule province à ne pas entériner un référendum constitutionnel et si le résultat du vote était 51 p. 100 contre 49 p. 100, il n'est pas inconcevable, à mon avis, que le gouvernement provincial puisse se ranger du côté de la minorité à ce sujet. Ce serait très difficile à faire.
M. Daniel Turp: Donc, dans ce cas précis, si l'Alberta n'appuyait pas cet amendement, cela empêcherait probablement le Québec de devenir un pays.
M. Roger Gibbins: Je suppose que oui.
Le président: Monsieur Bachand.
M. André Bachand: Merci, monsieur le président.
Je pourrais vous parler en anglais, mais il sera plus facile pour moi de le faire dans mon autre langue maternelle.
[Français]
Deux éléments reviennent souvent et sont importants pour nous. Nous nous opposons au projet de loi C-20, et vous l'avez très bien souligné. Entre autres, je dois vous dire que votre présentation est rafraîchissante. En effet, pour plusieurs, le rôle des provinces n'est peut-être pas important, mais pour moi, il l'est. Vous l'avez souligné. Vous êtes un des rares à l'avoir fait. Plusieurs ont mis cet aspect de côté, disant que, de toute façon, elles seraient là plus tard, au moment des négociations.
À mon sens, et selon l'opinion du parti que je représente, cela va à l'encontre de l'opinion de la Cour suprême. C'est qu'ainsi, on se trouve encore une fois face à un gouvernement central qui décide et s'occupe de tout. Le gouvernement central nous dit de ne pas nous inquiéter, qu'il va décider, en cours de processus et en tenant compte de notre avis, si la question est claire, qu'il va examiner par la suite si la majorité est claire, et qu'ensuite il sera d'accord pour que nous puissions négocier. Il nous dit que nous n'avons pas de pouvoir, ce que la Cour suprême nous dit que nous avons.
• 2050
On a averti les provinces de se rebiffer contre cette situation
encore une fois. Cela étant dit, cela ne s'est pas fait.
C'est un commentaire que je voulais faire, monsieur Gibbins, et que je trouvais important.
Mon autre point porte sur une question que vous avez soulevée, à savoir qu'il serait peut-être bon d'avoir un peu plus de plans A dans cette façon de modifier la Constitution. La Cour suprême dit d'ailleurs, au paragraphe 88, qu'un partenaire de la Confédération peut prendre l'initiative de modifications constitutionnelles, comme celle de la sécession qui est une modification constitutionnelle majeure, et que cela entraîne pour les autres l'obligation de négocier.
Entre vous et moi, monsieur Gibbins, c'est la première fois que la Cour suprême dit que la sécession ou une autre initiative est une modification constitutionnelle. Elle laisse entendre d'autres initiatives de modifications constitutionnelles. Si la province de l'Alberta fait un référendum sur une modification constitutionnelle concernant le Sénat, que la question est claire et que la majorité est claire, il se crée, selon l'opinion de la Cour suprême, une obligation de négocier pour tous les acteurs politiques.
Une voix: C'est ça.
M. André Bachand: Ce que je vous dis, c'est que c'est une bonne nouvelle. Toutefois, je suis probablement d'accord avec vous que cela n'a peut-être pas sa place pour un projet de loi sur la sécession, qui est tout croche.
Ce que je peux vous dire, c'est que si jamais, dans l'Ouest, vous décidez de faire des modifications constitutionnelles, faites-le par référendum, par une question claire et avec une majorité claire. Les gens du Québec seront là pour s'assurer de la clarté de la majorité claire avec vous et, automatiquement, les autres partenaires seront obligés de négocier, ce que vous n'avez pas présentement. Et cela, pour moi, est une bonne nouvelle.
Il s'agissait surtout de commentaires, monsieur le président. Je vais laisser M. Gibbins répondre. Mais je peux vous dire que, pour nous, seulement sur le rôle des provinces, il est important de s'opposer au projet de loi si on ne peut pas l'amender.
Voici un autre point. Avec ce projet de loi, monsieur Gibbins, dites-vous que le fédéral intervient dans un processus que la province a entrepris, ce qui pourrait provoquer une discorde, une dichotomie dans le processus référendaire provincial, lequel pourrait porter sur la sécession, sur le Sénat ou sur n'importe quoi d'autre?
Je vous dis donc que ce que vous avez soulevé est vrai et que j'espère que les gens de partout au Canada, des Maritimes, de l'Ontario ou de l'Ouest, vont vous écouter. Je termine mon commentaire là-dessus.
Merci, monsieur le président. Merci de votre générosité.
Le président: Le témoin n'a plus qu'une minute pour répondre.
[Traduction]
M. Roger Gibbins: Je serai très bref. D'après mon interprétation du projet de loi, il a pour objet d'imposer au gouvernement fédéral une certaine façon de réagir face à un référendum au Québec. Il n'a aucun impact sur la façon dont les gouvernements provinciaux pourraient réagir.
La deuxième chose est que les Albertains croient vraiment que la décision de la Cour suprême crée la possibilité de tenir des référendums provinciaux. On ne sait pas si le gouvernement fédéral est actuellement d'accord avec ce point de vue.
L'autre question est alors de savoir si le projet de loi sur la clarté établit un précédent pour les référendums qui pourraient avoir lieu dans d'autres provinces. J'espère que non, parce qu'il semblerait alors constituer une façon d'imposer des conditions très strictes à toute initiative positive de réforme de la Constitution.
[Français]
Une voix: C'est à M. Guimond.
Le président: Pas encore. Les témoins de tous les partis n'ont pas encore parlé.
[Traduction]
Monsieur Cotler.
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Monsieur Gibbins, je dois vous dire que je ne vois pas comment un projet de loi énonçant la marche à suivre relativement à une sécession peut être utilisé pour étouffer les initiatives de réforme constitutionnelle à l'extérieur du Québec. Vous pourriez avancer l'argument inverse en disant que légitimer une marche à suivre relativement à une sécession pourrait inciter l'Alberta à adopter une attitude plus ouverte vis-à-vis des initiatives de réforme de la Constitution. Je ne pense pas qu'il n'y ait qu'une seule issue possible. Il me semble que la situation peut évoluer dans un sens ou dans l'autre.
M. Roger Gibbins: Je conviens qu'il n'y a pas nécessairement une seule issue. Je suis tout à fait d'accord.
Ce qui me préoccupe est seulement que le projet de loi sur la clarté pourrait alors être utilisé comme un précédent en ce qui concerne la façon dont le gouvernement fédéral ou le Parlement pourrait réagir face à un référendum organisé dans une autre province sur une autre question. Je ne pense pas que ce serait inévitablement la seule issue.
Je disais simplement que si vous voulez l'appui politique des gens de l'Ouest, c'est peut-être un argument qu'il faudrait avancer. Je ne veux absolument pas dire qu'à l'heure actuelle les gens sont en train de ressasser cette question dans les cafétérias de Calgary.
Le président: Madame Redman.
Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.
J'ai une question à propos des 50 p. 100 plus un. Lors des deux derniers référendums, nous avons manifestement appris beaucoup de choses. Quand Pierre Martin et Richard Nadeau ont analysé les réactions, ils ont constaté que les intentions des électeurs avaient changé de façon spectaculaire après les référendums et qu'en fait, si certains encouragements étaient offerts, cela pourrait influencer 20 p. 100 des électeurs. Ma question est donc la suivante: si vous voulez vous en tenir au chiffre de 50 p. 100 des suffrages plus un, pendant combien de temps ce résultat est-il valable? Pendant combien de temps est-ce une réaction pertinente sur laquelle on peut se fonder pour savoir ce que pensent les électeurs?
M. Roger Gibbins: Je suis pleinement conscient de l'influence combinée des émotions, du manque de connaissance et de l'exaltation qui influencent la décision des électeurs. Je ne trouve pas surprenant que, lors du dernier référendum, 20 p. 100 des électeurs qui ont voté oui auraient pu voter différemment dans des circonstances différentes.
J'essaie d'exprimer un point de vue régional que je crois exact, et j'ai l'impression que si vous vous adressiez à des gens de Calgary ou, peut-être pire encore, de Colombie-Britannique...
Des voix: Oh, oh!
M. Roger Gibbins: ... le lendemain de l'adoption de justesse d'un référendum au Québec et leur disiez: «Écoutez, marquons un temps d'arrêt et examinons ce que nous pourrions faire pour récupérer cette majorité transitoire, parce que nous avons constaté que 20 p. 100 des gens auraient pu voter différemment dans des circonstances différentes», cela ne les intéresserait tout simplement pas. Ils répondraient vraisemblablement: «Mais nous avons passé 30 ans à essayer de consolider cela.» Proposer à nouveau à l'Ouest de recommencer pendant 30 ans pour essayer d'inverser cette tendance serait extraordinairement difficile. C'est ce que je veux dire quand je dis que, selon moi, le climat politique de la région changerait de façon tout à fait spectaculaire si le vote était couronné de succès.
Donc, le message que j'aimerais transmettre aux Québécois est que le seuil de 50 p. 100 est un seuil psychologique très réel. Les gens l'interpréteront d'une certaine façon. Donc, vous devez avoir cela présent à l'esprit, et avoir aussi présent à l'esprit que chaque vote compte, parce que la dynamique va changer.
Mme Karen Redman: Le projet de loi C-20 porte manifestement beaucoup plus sur l'aspect qualitatif plutôt que quantitatif. Si la question est claire, si nous examinons le type de majorité, la répartition des votes et la situation démographique, ce serait certainement convaincant pour les Canadiens.
M. Roger Gibbins: Peut-être que oui ou peut-être que non. Je me rappelle que j'étais avec 100 étudiants pendant le référendum de 1995 quand les résultats allaient constamment dans un sens et dans l'autre, et je me rappelle très clairement la dynamique affective de cette salle. J'avais clairement l'impression que si, à la fin de cette soirée, il y avait eu un vote de 50 p. 100 contre 49 p. 100, ils seraient sortis de cette salle en ayant changé de point de vue au sujet de l'avenir du pays. Si on croit que, dans un référendum tenu au Québec, 55 ou 60 p. 100 des Québécois pourraient voter en faveur de quitter le Canada et que personne dans le reste du pays ne prendrait cela au sérieux, je pense que ce serait faux. J'ai l'impression que les Canadiens de l'Ouest prendraient cela très au sérieux et changeraient d'avis.
• 2100
Je ne sais pas si leur esprit serait ouvert à cette analyse
démographique plus subtile à laquelle vous avez fait référence
parce qu'il faudrait un certain temps avant qu'elle soit
disponible, et l'opinion politique pourrait s'engager dans une
autre direction avant cela.
Mme Karen Redman: [Note de la rédaction: inaudible]... par rapport aux autres choses qui figurent dans le projet de loi sur la clarté.
M. Roger Gibbins: Oui.
Le président: Madame Meredith.
Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.
En tant qu'habitante de la Colombie-Britannique, je ne sais pas si j'apprécie qu'on laisse entendre que nous sommes pires que les gens de Calgary.
Des voix: Oh, oh!
Mme Val Meredith: Je voudrais vous assurer que l'opposition officielle a essayé d'obtenir la réaction des provinces au projet de loi sur la clarté, et nous avions le sentiment qu'il était très important que toutes les provinces puissent comparaître devant le comité. Nous n'y sommes guère parvenus à cause du manque de temps.
Il me semble que vos réponses manquent un peu de cohérence. Vous avez dit qu'un résultat de 50 p. 100 des suffrages plus un changerait le climat politique dans l'Ouest du Canada et que les gens seraient moins prêts à envisager quoi que ce soit d'autre que l'idée qu'il serait temps de passer à autre chose. Ensuite, quand vous avez dialogué avec M. Turp, vous sembliez laisser entendre que si le résultat était serré, il serait fort possible que cela empêche le Québec de se séparer. Si c'était 49 p. 100 contre 51 p. 100, même un chiffre de 49 p. 100 pourrait empêcher le Québec de se séparer. Cela ne me paraît pas cohérent. Pouvez-vous expliquer ce que vous vouliez dire?
M. Roger Gibbins: Ce que j'ai dit n'était pas cohérent de toutes sortes de façons, mais je ne pense pas que c'était le cas à ce sujet. Je disais que, si un référendum tenu au Québec se soldait par un résultat de 50 p. 100 des suffrages plus un, cela aurait des conséquences sur le climat politique dans l'Ouest.
La question de M. Turp était quelque peu différente. Il demandait si, dans le cas où le gouvernement de l'Alberta tiendrait un référendum pour ratifier une décision reflétant le résultat d'un référendum au Québec et où le vote serait très serré, le gouvernement de l'Alberta serait néanmoins obligé de respecter le résultat de ce vote. Je suppose que le gouvernement de l'Alberta demanderait l'avis de la population de la province et devrait ensuite intégrer cela dans son interprétation de la situation nationale, et qu'il n'est pas inconcevable qu'un premier ministre de l'Alberta puisse dire: «Seulement 48 p. 100 des Albertains ont voté en faveur de l'approbation de ce règlement constitutionnel, mais je suis néanmoins profondément convaincu que l'assemblée législative de l'Alberta devrait l'approuver.» C'est tout.
Ce sont donc deux scénarios très différents. Je pense que j'ai manqué de cohérence à d'autres égards.
Mme Val Meredith: Je vous remercie pour cette clarification, parce qu'il me semblait que vous disiez que 50 p. 100 des suffrages plus un convenaient dans un cas, mais pas dans l'autre. J'avais donc besoin d'une clarification. Merci.
[Français]
Le président: Monsieur Guimond.
M. Michel Guimond: Vous vous serez rendu compte que la citation de mon collègue Turp, tout à l'heure, est tirée d'un article de la journaliste Jennifer Ditchburn, qui est intitulé: Liberal MP would support majority in Quebec referendum et qui paraîtra demain.
• 2105
J'ai aussi en main l'article d'un autre journaliste, qui paraîtra
demain et qui est intitulé: «Lisée plonge les libéraux dans
l'embarras». Il est de la plume d'Alexandre Sirois, un journaliste
très assidu aux rencontres de notre comité et qui passe de nombreuses
soirées à écouter nos délibérations.
Le président: À l'ordre. Monsieur Guimond, j'ai une question pour vous.
M. Michel Guimond: Ma question s'adresse à M. Gibbins.
Le président: [Note de la rédaction: Inaudible] ...pour une partie de votre discours.
M. Michel Guimond: Vous essayez de me déconcentrer, monsieur le président. Vous allez m'empêcher d'aller jusqu'au bout de ma citation parce qu'on vous y nomme. Par respect...
Le président: Ce n'est pas une raison pour le citer. J'aime mieux poser des questions.
M. Michel Guimond: J'aimerais que M. Gibbins nous donne son opinion sur cet article qui paraîtra demain. Vous avez la chance de le commenter avant sa parution. Vous avez une chance extraordinaire.
Dans cet article, le député ontarien Dennis Mills a rétorqué qu'il jugeait que le projet de loi n'excluait pas qu'une majorité de 50 p. 100 plus un soit acceptable si la question était claire, dérogeant ainsi de la ligne de son parti. M. Mills a ensuite affirmé que sa communauté ne pensait pas que le projet de loi empêcherait le Québec de se séparer.
Plus loin, l'article contient une citation de M. Mills lui-même:
-
«Personnellement, je dirais que si la question était aussi claire,
nous commencerions...,» a déclaré M. Mills avant d'être brusquement
interrompu par...
Des voix: Ah, ah!
M. Michel Guimond: Je pense que je vais aller au bout de ma pensée car j'ai la difficulté à m'en empêcher.
-
...avant d'être brusquement interrompu par le président du comité, le
député libéral ontarien Peter Milliken. Celui-ci a éteint le micro de
son collègue et s'est empressé de donner la parole à un autre député
réformiste.
J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus, monsieur Gibbins.
[Traduction]
Une voix: C'est une question politique, alors faites attention.
M. Roger Gibbins: Je dirai d'abord que je pense que le service de traduction n'a pas complètement saisi l'esprit de vos propos, je ne sais donc tout simplement pas exactement à quoi je réponds. Je pense qu'il vaudrait mieux que je m'abstienne. Je vous présente mes excuses, mais ils n'ont tout simplement pas été transmis assez clairement pour que je sache de quoi il s'agit.
[Français]
M. Michel Guimond: Monsieur Gibbins, est-ce que vous pensez que votre communauté dans l'Ouest canadien est d'avis que le projet de loi empêche le Québec d'atteindre la souveraineté? Ce sont mes propos cette fois.
[Traduction]
M. Roger Gibbins: Est-ce que je pense que le projet de loi va empêcher le Québec d'atteindre la souveraineté?
M. Michel Guimond: Oui.
M. Roger Gibbins: Vous ne pourriez pas vous adresser à une personne plus inappropriée que moi pour comprendre ce qui se passe au Québec ou la dynamique québécoise. C'est tout simplement quelque chose que je ne connais pas. Ce que je dirais, en conformité avec mes commentaires antérieurs, est que le projet de loi sur la clarté part de l'intention admirable d'imposer un peu d'ordre dans un monde politique qui ne sera probablement pas orchestré par les conditions stipulées dans ce projet de loi. Je pense que c'est une tentative de rendre prévisible un avenir incertain.
D'après mon interprétation de la situation dans l'Ouest du Canada, la dynamique politique est si fluide et si instable que les restrictions législatives que ce projet de loi pourrait imposer ne seront pas très efficaces pour limiter les mouvements de l'opinion politique et publique dans l'Ouest ou pour l'orienter. Je pense qu'on pourrait dire le même genre de chose pour le Québec. Il y a, au Québec, une dynamique que je ne prétends pas comprendre, et je ne suis réellement pas la personne indiquée pour commenter les modifications ou changements éventuels que ce projet de loi pourrait entraîner sur cette dynamique de façon fondamentale. Je n'en sais tout simplement rien.
Le président: Monsieur Pagtakhan, une question et nous aurons terminé.
M. Rey Pagtakhan: Puis-je poser deux questions courtes?
Le président: Eh bien, posez-les toutes les deux en même temps si elles sont très courtes.
M. Rey Pagtakhan: Vous avez dit qu'un chiffre de 50 p. 100 des suffrages plus un pourrait modifier le climat dans l'Ouest du Canada après le référendum, mais votre expérience se base, bien entendu, sur des événements passés, par définition—c'est-à-dire avant l'existence de la Loi sur la clarté. N'est-il pas possible qu'après son adoption, quand il sera clairement stipulé que 50 p. 100 des suffrages plus un ne suffiront pas, le climat ne change pas puisque cet élément sera clair?
• 2110
Enfin, vous avez exprimé ce que ressentent les Canadiens de l'Ouest à
de nombreux égards pendant votre exposé et, à un moment donné, vers la
fin, vous avez dit que c'était une observation personnelle. Comment
faites-vous la distinction entre les deux, entre votre point de vue
personnel et celui des Canadiens de l'Ouest? Avez-vous récemment
réalisé des sondages?
M. Roger Gibbins: Ce sont deux excellentes questions.
Pour ce qui est de savoir si le projet de loi sur la clarté pourrait, en fait, changer la nature de l'opinion des Canadiens de l'Ouest, j'ai l'impression que c'est une possibilité, mais seulement si on l'utilise plus énergiquement pour sensibiliser la population qu'on ne le fait actuellement. Donc, oui, je pense que j'ai parlé de certaines choses en me basant sur le passé. Oui, le projet de loi sur la clarté pourrait avoir cet effet. Il faut cependant qu'il soit utilisé de façon efficace et il n'est pas assez connu pour le moment pour atteindre un tel objectif, mais ce pourrait être le cas.
Deuxièmement, j'ai du mal à séparer mes opinions personnelles de ma formation universitaire et professionnelle. Je peux simplement dire que j'ai passé toute ma vie dans cette région et que j'y enseigne depuis 1973, mais je n'ai récemment fait aucun sondage à propos de cette question. En fait, je n'ai même pas eu le temps de demander l'avis des gens de mon propre conseil, parce que l'invitation a été très tardive. Je suppose qu'il vous faut accepter une certaine confusion entre mes propos personnels et ce que je pense être un exposé objectif de la situation dans l'Ouest. J'espère l'avoir exposée correctement, mais je reconnais que les limites entre les deux ne sont pas très nettement définies.
M. Rey Pagtakhan: Merci.
Le président: Monsieur Gibbins, je vous remercie beaucoup pour votre présence ici aujourd'hui. Nous nous rendons compte que vous avez reçu un préavis très court. Au nom de tous les membres du comité, je dirai que je suis sûr que nous avons trouvé votre déposition très utile pour nos travaux au sujet de ce projet de loi.
[Français]
M. Michel Guimond: J'aimerais prendre la parole.
Le président: Très bien. Un instant!. Nous pouvons peut-être attendre le départ du témoin. Je resterai ici, prêt à reprendre les délibérations.
Une voix: Parfait.
[Traduction]
Le président: D'accord, maintenant que les témoins sont partis, nous pouvons peut-être commencer.
[Français]
Monsieur Guimond, vous avez la parole.
M. Michel Guimond: Merci, monsieur le président. Avant de débuter, j'en appelle au sens démocratique de mes collègues de la majorité libérale pour ne pas invoquer...
M. Bernard Patry: Il dit que c'est antidémocratique et là il en appelle...
M. Michel Guimond: Vous savez, monsieur le président, que je veux parler de la motion de clôture qui a été proposée lundi après-midi, que je considère antidémocratique et, par conséquent, inacceptable.
J'en appelle, monsieur le président, au sens démocratique de mes collègues d'en face. Je sais qu'ils sont des grands démocrates, qu'ils ont été élus comme moi de façon démocratique, et je leur demanderais d'éviter de me bâillonner et d'éviter de rappeler le quorum pour une troisième fois depuis lundi après-midi.
Monsieur le président, j'ai tenté de prendre la parole à plusieurs reprises. J'ai parlé lundi sur cette motion de 14 h 30 à 15 h 45 et de 21 h 20 à 21 h 55, et aujourd'hui, mardi, de 15 h 05 à 15 h 15 et de 18 h 05 à 18 h 20.
• 2115
J'en appelle au sens démocratique de mes amis libéraux d'en face pour
leur demander bien sincèrement de me laisser parler jusqu'à 15 h 30
mardi. C'est le jour où nous entendrons les prochains témoins. Le
seul moment où on pourra parler, c'est lorsqu'on entendra les
prochains témoins.
Donc, je suis persuadé que mes collègues vont y penser sérieusement avant de faire en sorte que le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales soulève la question du quorum.
[Traduction]
M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Et le président du conseil privé de la Reine.
[Français]
M. Daniel Turp: Est-ce qu'il doit venir, Stéphane?
Le président: Oui. C'est vrai, il est président du Conseil privé de la Reine.
Mr. Reg Alcock: Ce n'est pas juste de...
M. Daniel Turp: Mais il n'est pas membre de notre comité. J'aimerais bien qu'il le soit.
M. Michel Guimond: J'en étais rendu à entretenir mes collègues de la Déclaration de Calgary. Plusieurs experts ont vu dans cette insistance sur l'égalité des provinces une volonté d'encadrer la reconnaissance du caractère unique pour en limiter fortement la portée. À cet encadrement s'ajoute un silence dans la définition du caractère unique, comparable à cet égard à l'entente de Charlottetown, rejetée par les Québécois, quant à la dimension institutionnelle de la réalité québécoise, un élément pourtant important des définitions du concept de société distincte qui ont été formulées au Québec.
Le premier ministre du Québec, M. Lucien Bouchard, s'est exprimé sur la déclaration en relation avec la question de la reconnaissance du peuple québécois. Le 16 décembre 1997, il déclarait à cet égard:
-
Y a-t-il, dans ce document, une reconnaissance de l'existence du
peuple québécois? C'est ici, je pense, que l'on touche à l'aspect le
plus triste de l'histoire des relations entre les Québécois et les
Canadiens. Et lorsqu'on demandera, dans quelques années, pourquoi ces
deux peuples n'ont pas pu continuer à vivre dans le régime fédéral, on
répondra d'abord et surtout qu'il y avait pénurie de respect et de
reconnaissance: on répondra qu'un des deux peuples refusait de
reconnaître l'existence de l'autre.
M. Bouchard continue en disant:
-
Pourquoi est-il si difficile pour nos voisins canadiens
d'utiliser, pour parler de nous, des mots que nous
méritons autant que tous les autres peuples du globe?
-
Il y a chez nos voisins un refus viscéral de nous
rendre la pareille. Chaque décennie et chaque année
qui passe semble durcir ce refus. Et plus le
peuple québécois est fort, vibrant, économiquement
solide, moins nos voisins veulent nous reconnaître.
J'aimerais maintenant vous entretenir du renvoi fédéral sur le droit du Québec à accéder à sa souveraineté. De 40,44 p. 100 qu'il était lors du référendum de 1980, l'appui à la souveraineté du Québec passe à 49,42 p. 100 lors du référendum de 1995. Ce bond spectaculaire inquiétera le gouvernement fédéral. Celui-ci réagira en tentant d'infléchir le processus en sa faveur, en demandant à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur le droit du Québec à accéder unilatéralement à la souveraineté si les résultats d'un troisième référendum devaient s'avérer positif.
Pour sa part, le gouvernement du Québec a refusé de débattre ces questions devant la Cour suprême compte tenu du fait qu'elles portent sur un enjeu fondamental de nature politique sur lequel les tribunaux n'ont aucune prise et que seul le peuple québécois est habilité à trancher dans le cadre d'un référendum libre et démocratique.
Dans son mémoire déposé au mois de février 1997 devant la Cour suprême, le procureur général du Canada allègue que les Québécois ne forment pas un peuple et qu'ils doivent plutôt être considérés comme une minorité linguistique au sein du peuple canadien qui est le seul à pouvoir jouir des droits et privilèges rattachés à ce statut.
Raffinant son argumentation, il plaidera dans un complément à son mémoire que si les Québécois peuvent prétendre former un peuple au sens sociologique, historique et politique du terme, cela ne peut être qu'aux seules fins de l'exercice de leurs droits au sein de la fédération canadienne.
Une réplique à cette allégation est venue de la part d'un influent intellectuel fédéraliste du Québec, M. Claude Ryan—qui a témoigné devant nous—, ancien chef du Parti libéral du Québec et ancien ministre, dans un texte qu'il a rédigé à la demande de l'amicus curiae désigné par la Cour suprême pour présenter une contre-argumentation à celle du procureur général du Canada.
• 2120
M. Ryan s'est exprimé en ces termes:
-
Le renvoi oblige à préciser en premier lieu ce qu'il faut entendre par
le Québec...
[Traduction]
M. Reg Alcock: J'invoque le règlement, monsieur le président. J'espère que cela ne reflète pas la qualité de ce texte, mais notre honorable ami semble avoir du mal à garder un public. Avons-nous le quorum?
Le président: Je n'ai pas l'impression que nous avons le quorum.
M. Reg Alcock: Oh, je suis désolé. J'aimais bien ce texte, mais je ne peux tout simplement pas...
M. Daniel Turp: Appelez les députés.
Le président: La séance est levée jusqu'à demain matin à 9 h 30.