Passer au contenu

FOPO Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.


INTRODUCTION

Le 17 septembre 1999, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement qui est maintenant connu comme « l'arrêt Marshall ». Il est probablement juste d'affirmer que l'arrêt Marshall a créé une véritable « onde de choc » dans l'industrie de la pêche du Canada atlantique.

Donald Marshall jr., un indien mi'kmaq, avait été accusé de pêcher l'anguille hors saison, de pêcher sans permis et de pêcher à l'aide d'un filet prohibé, le tout à l'encontre de la réglementation fédérale. M. Marshall n'a pas contesté ces faits, mais a plutôt soutenu que les traités « de paix et d'amitié » de 1760-1761 lui donnaient le droit de pêcher du poisson pour le vendre et qu'il n'était donc pas assujetti à la réglementation sur les pêches.

M. Marshall avait été au départ reconnu coupable sous ces trois chefs d'accusation lors d'un procès tenu devant la Cour provinciale. Il a interjeté appel de cette condamnation devant la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse qui a maintenu la condamnation du tribunal inférieur. Il a alors porté sa cause en appel devant la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême, dans une décision majoritaire (5-2), a accueilli le pourvoi de M. Marshall « ...parce que rien de moins ne saurait protéger l'honneur et l'intégrité de la Couronne dans ses rapports avec les Mi'kmaq en vue d'établir la paix avec eux et de s'assurer leur amitié... ».

La Cour suprême a essentiellement confirmé que le Traité de 1760 accordait aux Mi'kmaq le droit d'assurer leur subsistance en se servant du produit de leurs activités de chasse, de pêche et de cueillette pour se procurer ce qu'on appelait en 1760 les « biens nécessaires ». Selon la Cour, cette expression devrait être interprétée dans le contexte actuel comme l'équivalent d'une « subsistance convenable », mais non comme l'accumulation de richesses illimitées. La Cour a également déterminé que ce droit issu du traité pourrait, par règlement, être circonscrit à ses limites appropriées.

Beaucoup de gens ont alors conclu que la décision de la Cour suprême accordait aux Premières nations mi'kmaq, malécite et passamaquoddy le droit de pêcher à tout moment de l'année et sans permis, même s'il aurait dû paraître clair dès le départ que ce n'était pas le cas. Voici d'ailleurs ce que la Cour suprême précisait au paragraphe 61 de son jugement du 17 septembre 1999 :

Des limites de prises, dont il serait raisonnable de s'attendre à ce qu'elles permettent aux familles mi'kmaq de s'assurer une subsistance convenable selon les normes d'aujourd'hui, peuvent être établies par règlement et appliquées sans porter atteinte au droit issu du traité. Un tel règlement respecterait ce droit et ne constituerait pas une atteinte qui devrait être justifiée suivant la norme établie dans l'arrêt Badger.

Néanmoins, la portée et les conséquences précises du jugement du 17 septembre 1999 n'étaient pas claires pour de nombreux intervenants dont les représentants des Premières nations et les organisations de pêcheurs commerciaux, les médias et les observateurs peu familiers avec ce dossier. Les directives émises à ce sujet par les agents des pêches du ministère des Pêches et des Océans (MPO) n'étaient pas claires elles non plus.

Tout de suite après le prononcé de la décision, des pêcheurs autochtones d'une grande partie du Canada atlantique sont partis en mer afin d'aller pêcher le homard, l'une des espèces les plus lucratives dans cette région. Des pêcheurs non autochtones, craignant pour la conservation des stocks de homard et pour la survie de leur propre gagne-pain, ont réagi avec colère à cette pêche hors saison pratiquée par des pêcheurs autochtones. Soutenant que la conservation des stocks de homard était compromise, ils ont exigé que le MPO fasse immédiatement cesser cette pêche autochtone.

Le ministère a tout d'abord réagi avec lenteur et hésitation. Le jugement de la Cour suprême semblait l'avoir pris par surprise et le chaos et la confusion régnèrent pendant plusieurs jours par la suite. Les esprits s'échauffèrent et certaines manifestions d'opposition dégénérèrent jusqu'à causer la destruction de biens, des actes de violence et des blessures. Durant cette période, le ministère et le gouvernement fédéral ont été souvent critiqués pour ne pas avoir établi de plan d'urgence en prévision de ce jugement de la Cour suprême.

Le 18 octobre 1999, la West Nova Fishermen's Coalition dépose une requête en nouvelle audition et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement si cette requête est accueillie. De plus, la Coalition demande la tenue d'un nouveau procès qui se limiterait à déterminer si l'application des règlements sur les pêches à l'exercice du droit issu de traité des Mi'kmaq pouvait être justifiée pour des raisons de conservation ou pour d'autres motifs.

Le 17 novembre 1999, dans un jugement unanime, la Cour suprême rejette la requête en nouvelle audition de la Coalition. Elle pose au même moment un geste inhabituel en fournissant une « clarification » écrite de sa décision du 17 septembre. Dans cette décision du 17 novembre maintenant baptisée « deuxième arrêt Marshall », la Cour suprême déclare que la portée de son jugement du 17 septembre était limitée et que bon nombre des ambiguïtés signalées avaient été en fait dissipées dans ce premier jugement, ce dont les gens se seraient aperçus s'ils avaient pris la peine de le lire attentivement. Cette opinion n'était pas celle de la majorité des témoins qui ont comparu devant nous. Dans le jugement du 17 novembre, la Cour traite de manière explicite de certaines des questions les plus importantes concernant la portée de son jugement du 17 septembre.

Certains des points principaux de la décision du 17 novembre de la Cour suprême méritent donc d'être rappelés puisqu'ils sont au coeur des travaux du Comité.

Tout d'abord, la Cour affirme qu'elle n'a pas statué que le droit conféré aux Mi'kmaq par le traité ne peut pas être réglementé ni que les Mi'kmaq ont un accès garanti aux pêches à longueur d'année (paragraphe 2). La Cour souligne que le droit issu du traité a toujours été assujetti à la réglementation et que le pouvoir du gouvernement de réglementer l'exercice du droit issu du traité est à maintes reprises confirmé dans l'opinion majoritaire du 17 septembre 1999 (paragraphe 24).

Deuxièmement, la Cour affirme que l'opinion majoritaire du 17 septembre 1999 n'a pas mis en doute la validité de la Loi sur les pêches ou de l'une ou l'autre de ses dispositions. Toutefois, il est nécessaire d'énoncer des critères précis balisant l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre d'octroyer ou de refuser des permis d'une manière qui reconnaisse l'exécution d'un droit ancestral ou issu de traité et qui comporte les adaptations nécessaires à son exercice (paragraphe 33). De plus, on peut modifier le Règlement sur les permis de pêche communautaires des autochtones pour tenir compte de ce droit issu de traité limité (paragraphe 34).

La Cour a confirmé que le droit issu de traité était un droit communautaire devant être exercé sous l'autorité de la communauté locale, et qu'il était limité au territoire traditionnellement utilisé par la communauté locale (paragraphe 17).

La Cour a également signalé que son jugement du 17 septembre 1999 ne traitait pas des droits issus de traités relatifs à l'exploitation des ressources forestières, des ressources minérales, et des gisements de gaz naturel ou de pétrole. « L'opinion majoritaire du 17 septembre 1999 n'a pas décidé que l'appelant avait établi l'existence d'un droit issu de traité permettant de « cueillir » toute chose qui peut physiquement l'être. Les questions en litige étaient beaucoup plus restreintes et la décision beaucoup plus limitée » (paragraphe 20). Toutefois, la Cour n'a pas exclu la possibilité que de tels droits puissent être établis à l'avenir : « Il est évidemment loisible aux communautés autochtones de revendiquer l'existence de droits issus de traité plus large à cet égard ... » (paragraphe 20).

La Cour a souligné que la conservation constituait une priorité et rappelé la responsabilité du ministre à cet égard. « L'objectif prépondérant de la réglementation est la conservation de la ressource, cette responsabilité incombe carrément au ministre et non aux personnes autochtones et non autochtones qui exploitent la ressource » (paragraphe 40).

La Cour a également confirmé que le ministre avait le droit de réglementer la pêche pour poursuivre d'autres objectifs essentiels qui sont étrangers à la conservation. « Le pouvoir du ministre s'étend à d'autres objectifs d'intérêt public réels et impérieux, par exemple la poursuite de l'équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques et participent à leur exploitation » (paragraphe 41).

De plus, la Cour indique que le ministre dispose de toute la panoplie des outils et techniques de gestion des ressources, pourvu qu'il puisse justifier leur utilisation pour limiter l'exercice d'un droit issu de traité (paragraphe 44). La Cour a toutefois affirmé que les peuples autochtones doivent être consultés concernant les limites qu'on impose à leurs droits ancestraux ou issus de traités.

La Cour affirme que le jugement n'a pas conféré un droit à une pêche commerciale distincte. « Le droit issu de traité qui permettait aux Mi'kmaq de participer en 1760 à une pêche commerciale largement non réglementée a évolué pour devenir un droit issu de traité leur permettant de participer à la pêche commerciale largement réglementée des années 1990 » (paragraphe 38).

Enfin, la Cour soutient que le droit issu de traité ne constitue pas un droit prioritaire au sens qu'il doit être entièrement satisfait avant que d'autres usagers puissent avoir accès à la ressource : « De même, le droit qui est accordé par le traité aux Mi'kmaq de chasser des espèces sauvages et d'en faire le commerce n'est pas aujourd'hui, pas plus d'ailleurs qu'il ne l'était en 1760, un droit de chasser à des fins commerciales qui doit être satisfait avant que les non-autochtones puissent avoir accès aux mêmes ressources à des fins sportives ou commerciales. En 1999, tout comme en 1760, l'important est d'assurer aux Mi'kmaq un accès équitable aux ressources mentionnées afin qu'ils puissent en tirer une subsistance convenable » (paragraphe 38).

Cette « clarification » a contribué à atténuer l'anxiété des pêcheurs non autochtones, mais certains porte-parole des Premières nations ont plutôt considéré que cette clarification constituait un recul par rapport au jugement antérieur de la Cour qui était attribuable à des pressions politiques et ils l'ont décrit comme une « gifle ».

TENIR COMPTE DES DROITS ISSUS DE TRAITÉS

Le Comité devait avant tout se demander quelle était la meilleure façon de tenir compte de ce droit issu de traité dans le cadre de la pêche commerciale actuelle. Personne ne doute que l'arrêt Marshall a confirmé que les Premières nations mi'kmaq, malécite et passamaquoddy bénéficiaient d'un droit issu de traité leur permettant de participer à la pêche. En fait, de nombreux intervenants se félicitaient de la participation des Premières nations. Bien entendu, il subsiste également une très grande appréhension quant à la façon dont on tiendra compte de ces droits issus de traités et quant à l'impact qu'ils auront sur les pêches.

À la suite de l'effondrement des stocks de morue du Nord et des autres poissons de fond qui est survenu à la fin des années 1980 et au début des années 1990, le ministère des Pêches et des Océans a entrepris un programme de réduction de la capacité de ces pêches. Il s'ensuivit une série de rachats de permis et la désignation d'un « noyau » de pêcheurs professionnels. Ces changements ont causé de sérieuses difficultés tant aux pêcheurs qu'aux villages de pêcheurs de tout le Canada atlantique. De nombreux stocks de poissons de fond sont en train de lentement se reconstituer, mais ils ne peuvent encore tolérer une augmentation substantielle de l'effort de pêche. Toutes les autres pêches commerciales d'importance du Canada atlantique sont actuellement pleinement exploitées.

C'est certainement le cas de la pêche du homard. En 1995, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH) signalait au ministre des Pêches et des Océans1 que dans le cas des pêcheurs de homard, « on prend trop et on laisse trop peu ». Le Conseil concluait que les taux d'exploitation étaient trop élevés, la production d'oeufs trop basse, et que le risque d'échec du recrutement est exagérément élevé [les italiques sont de nous]. Cet avis a été repris par le vérificateur général dans le chapitre 4 de son rapport de 1999 - Gestion durable des stocks de mollusques et de crustacés de l'Atlantique. Cela signifie donc qu'on ne dispose d'aucune marge pour mettre en oeuvre les droits issus de traités des Premières nations à moins que des pêcheurs commerciaux ne quittent l'industrie.

Les pêcheurs commerciaux non autochtones acceptent que les pêcheurs autochtones participent à la pêche commerciale pourvu que deux conditions fondamentales soient remplies : il ne doit en résulter aucun accroissement de l'effort de pêche, et tous les pêcheurs pratiquant une pêche, qu'ils soient autochtones ou non, devraient être assujettis aux mêmes règles et règlements.

Ces conditions sont jugées essentielles à la gestion ordonnée de la pêche et à l'atteinte des objectifs de conservation. La plupart des représentants des Premières nations semblaient réceptifs à cette approche, pourvu qu'ils participent à la négociation de ces règles :

J'ai dit que nous négocierons les règles et les accepterons, si les négociations se font de bonne foi. Si cela vise les saisons, eh bien, c'est possible, mais je tiens à souligner de nouveau que nous accepterons des règles - et non pas le statu quo actuel - dans la mesure où le gouvernement du Canada mène les négociations de bonne foi.

Bernd Christmas, Nova Scotia Assembly of Mi'kmaq Chiefs

D'un autre côté, certains, notamment la Première nation Esgenoopetitj (Burnt Church), ont clairement indiqué qu'ils n'acceptaient pas que le gouvernement fédéral réglemente la pêche (les représentants de Burnt Church ont souligné qu'ils n'étaient pas d'accord avec l'idée d'une pêche non réglementée, mais qu'ils n'accepteraient pas les plans de gestion et les « permis communautaires » imposés par le MPO).

La plupart des intervenants étaient d'avis que le moyen le plus pratique de mettre en oeuvre les droits issus de traités confirmés par l'arrêt Marshall serait d'intégrer les pêcheurs autochtones à la pêche commerciale existante au moyen d'un programme volontaire et gouvernemental de rachat des permis commerciaux existants en vue de les céder aux collectivités autochtones.

En raison des événements qui sont survenus depuis le prononcé du jugement Marshall, c'est surtout la pêche au homard qui a retenu l'attention. Cette pêche côtière traditionnelle menée à partir de petits bateaux constitue l'épine dorsale d'un grand nombre de villages côtiers du Canada atlantique. À peu près tous les intervenants étaient d'accord pour affirmer que l'obligation créée par le jugement Marshall ne s'étendait pas uniquement à cette pêche ou même à l'ensemble de la pêche côtière, et que tous les secteurs de pêche devaient participer au transfert des collectivités autochtones un accès aux ressources halieutiques. De plus, il incombe à l'ensemble de la société canadienne d'assumer le coût de ce transfert.

Il reste encore à déterminer ce que ce transfert signifiera pour ce qui est de l'accès aux ressources halieutiques. Bernd Christmas, de la Nova Scotia Assembly of Mi'kmaq Chiefs, a parlé très franchement lorsqu'il a expliqué que ce transfert visera toutes les espèces et tous les secteurs de l'industrie :

Nous allons pêcher le homard, les pétoncles et le crabe des neiges en haute mer. Si l'on essaye de nous dire que les trois milles sont la limite imposée à ce droit issu de traités, nous répondrons qu'il faudrait préciser ce qu'est la limite pour le Canada à l'heure actuelle. D'après nous, il s'agit de 200 milles. En ce qui nous concerne, nous avons le droit de pêcher à l'intérieur de cette zone. Je ne suis pas leur conseiller juridique, ils ont leurs propres conseillers juridiques.

John Paul, médiateur pour l'Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs, a été encore plus explicite sur ces attentes :

Nous envisageons bien de prendre en main le contrôle des pêches de l'Atlantique, mais certaines personnes doutent aujourd'hui que ce soit possible. Obtenir l'accès à au moins 50 p. 100 de la pêche de l'Atlantique est considéré comme un objectif réaliste. Mais l'est-ce réellement? Notre accès se fonde sur un droit issu de traité et non sur un privilège.

Il faut souligner que le MPO avait déjà transféré un nombre important de permis commerciaux aux collectivités des Premières nations avant le jugement Marshall. Ce fait n'a pas été mentionné souvent lors des discussions tenues depuis le prononcé de ce jugement :

En fait, monsieur le président, on n'a pas souligné assez que grâce à la Stratégie des pêches autochtones du MPO, neuf permis communautaires pour le homard, onze permis communautaires pour le crabe commun, de même que des permis communautaires pour le poisson de fond, le maquereau, le pétoncle, le hareng, les huîtres, l'anguille et l'éperlan, et un permis de recherche pour le requin avaient été mis en oeuvre ici à l'Î.-P.-É. avant le jugement Marshall.

L'hon. Kevin J. MacAdam
ministre des Pêches et du Tourisme de l'Î.-P.-É.

Le Comité estime qu'on devrait tenir compte des permis commerciaux déjà transférés en vertu de la Stratégie des pêches autochtones lorsqu'on tentera de mettre en oeuvre les droits issus de traités confirmés par le jugement Marshall.

On a signalé à un certain nombre de reprises que l'impôt sur les gains en capital dissuadait les pêcheurs d'abandonner la pêche. Plusieurs témoins ont proposé que le gouvernement fédéral offre une exonération cumulative et limitée des gains en capital aux pêcheurs qui acceptent de céder leurs permis.

La plupart des intervenants reconnaissaient que ce transfert des permis de pêche se ferait sur plusieurs années. Le gouvernement devrait donc acquérir ces permis lorsque c'est possible plutôt que de tenter de court-circuiter le processus dans un délai trop court, ce qui ne manquerait pas de faire monter les prix et donc d'accroître les coûts tant pour le gouvernement que pour les autres aspirants pêcheurs non autochtones :

On craint qu'un programme gouvernemental d'acquisition de permis fasse naturellement monter la valeur des permis existants, ce qui rendrait encore plus difficile l'acquisition de permis pour les jeunes qui aspirent à une carrière dans la pêche. L'achat de permis existants en vue de leur transfert à des collectivités autochtones doit se faire de manière graduelle et cohérente sur le plan géographique et sur celui des espèces de façon à réduire sinon éliminer cet effet néfaste.

A. William Moreira, c.r., avocat, Halifax

D'un autre côté, cette hausse des prix avantagerait les pêcheurs qui prennent leur retraite :

... une personne qui se retire de la pêche, peu importe ce qui arrive actuellement, elle devrait pouvoir obtenir la valeur établie par le marché. Si la création d'une pêche autochtone fait grimper les prix, je ne vois aucun problème.

Craig Avery, Western Gulf Fishermen's Association, Î.-P.-É.

Même si la pêche constitue une activité traditionnelle des nations mi'kmaq et malécite, un grand nombre de bandes indiennes n'ont guère pratiqué la pêche au cours des dernières décennies et ne possèdent donc plus les qualifications requises pour s'adonner à cette activité. Ce problème s'est aggravé au cours des dernières années à la suite de la professionnalisation accrue des pêcheurs et de l'adoption de nouvelles technologies. Par conséquent, un grand nombre des éventuels pêcheurs autochtones devront recevoir une formation pour pouvoir pratiquer cette activité d'une manière efficace et sécuritaire. Dans le cas de la pêche semi-hauturière et peut-être même hauturière, il faudra également procéder à un transfert de connaissances techniques. Une des solutions mises de l'avant serait que les pêcheurs déplacés à la suite des rachats de permis soient engagés afin de former les pêcheurs autochtones.

Ce ne sont pas seulement les pêcheurs titulaires d'un permis qui seront déplacés par le transfert d'un droit d'accès aux ressources à la suite du jugement Marshall; il y aura aussi les membres d'équipage et peut-être aussi les travailleurs des usines si les Premières nations décident de mettre sur pied leurs propres usines de transformation. Ces groupes ne peuvent bénéficier d'un programme de rachat de permis. Le Comité estime que le gouvernement fédéral devrait envisager sérieusement de trouver des moyens d'atténuer les conséquences du jugement Marshall pour les travailleurs d'usine et les membres d'équipage.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Le transfert aux collectivités des Premières nations de l'accès aux ressources halieutiques doit s'effectuer par l'entremise d'un programme fédéral et volontaire de rachat des permis commerciaux existants à mesure qu'ils deviennent disponibles.

Il faut viser l'acquisition de permis de pêche plurispécifiques de base pour le secteur local afin de les transférer aux collectivités autochtones plutôt que le transfert de permis de pêche du homard ou d'une autre espèce particulière.

Afin d'encourager la vente de permis, le gouvernement fédéral devrait offrir une exonération cumulative et limitée des gains en capital aux pêcheurs.

Des permis doivent être transférés à des collectivités des Premières nations sous forme de permis communautaires.

Là où elles sont possibles, le gouvernement fédéral devrait appuyer les ententes locales par lesquelles chaque pêcheur cède volontairement une part de son quota de casiers de homards pour faire une place aux nouveaux-venus autochtones, d'une façon qui n'augmente pas l'effort de pêche total.

LA CONSERVATION

Tous les intervenants considèrent la conservation de la ressource comme primordiale.

Voici en quels termes des témoins autochtones ont décrit leur rapport à la pêche :

Pour nous, la pêche a toujours été sacrée. Nous avons toujours respecté et conservé la ressource. Nous avons toujours accepté de la partager avec les nouveaux venus et nous continuerons à le faire. Toutefois, la véritable conservation de la ressource doit jouer un rôle central dans sa gestion. Or, la Loi sur les pêches, la réglementation connexe et les politiques du MPO ne remplissent pas ce critère, et ces lois et politiques doivent donc être changées.

George Ginnish
chef de la Première nation d'Eel Ground, Miramichi

Les témoins non autochtones nous ont entretenus d'une manière tout aussi passionnée de la conservation. Un grand nombre d'entre eux avaient vécu l'effondrement des stocks de morue et ne souhaitaient nullement revivre cette expérience avec d'autres stocks. Certains pêcheurs avaient fait des sacrifices considérables au cours des dernières années afin de s'assurer que les stocks demeurent en santé. Ils s'inquiétaient donc surtout qu'un accroissement de la pression de pêche ne vienne compromettre la viabilité de ces stocks.

Les témoins ont reconnu que si on ne se préoccupait pas de la conservation, tout le monde risquait d'en souffrir :

Nous croyons qu'il est impératif que tous les groupes fassent preuve de prudence de manière à ne pas faire disparaître la ressource. Après tout, est-ce que ces groupes seraient intéressés par 50 p. 100 ou 100 p. 100 de rien? Il est temps que toutes les parties cessent de faire des demandes exagérées et de faire monter la barre. Il est temps que les parties opposées cessent de penser à elles-mêmes et commencent à penser à la ressource. Il est temps que toutes les parties s'asseoient à une même table et concluent des ententes sensées sur le partage des ressources.

Bruce Whipple
Northumberland Salmon Protection Association, Miramichi

On a soulevé à de nombreuses reprises la question de l'insuffisance des mesures de conservation prises par le MPO :

Au sujet de l'application de la loi, je pêche depuis six ans et il n'est arrivé qu'une fois qu'un agent des pêches ne monte à bord de mon bateau. On n'a jamais mesuré nos prises ou vérifié si elles comptaient des femelles oeuvées ou des homards de trop petite taille.

Chris Wall, Malpeque Harbour Authority, Î.-P.-É.

Ils doivent patrouiller de Tabusintac jusqu'à la limite supérieure de la baie Miramichi et ils n'ont qu'un bateau. Je pêche en mai et juin et ils n'ont vérifié mes prises qu'une fois en deux mois, et ils étaient censés tout faire pour surveiller étroitement la pêche cette année. J'aimerais les voir aux alentours davantage dorénavant. Ils ne disposent tout simplement pas des ressources voulues. Ils ont trop de gestionnaires de secteur et de cadres et personne sur le terrain pour faire le travail.

Kevin Cassidy, pêcheur de Miramichi

Quant à votre dernière question sur l'importance de la pêche illégale, je pense que personne ne connaît la réponse. Je suis certain que le MPO ne la connaît pas parce qu'il a réduit d'environ les deux tiers son personnel sur le terrain au cours des 15 dernières années. Nous n'avons pas la réponse parce que les braconniers travaillent habituellement de manière à ne pas se faire voir. Je suis d'avis qu'il est probable que le braconnage dans notre province est énormément moins répandu qu'il ne l'était il y a15 ou 20 ans.

Fred Wheaton
Fédération de la faune du Nouveau-Brunswick, Moncton

Non seulement ce ministère dispose-t-il d'un nombre insuffisant d'agents de surveillance des pêches, mais ces agents sont sous-équipés. Il ne disposent pas d'assez de bateaux et ceux qu'ils ont sont souvent trop petits pour s'aventurer de manière sécuritaire en mer ou encore pour remonter des casiers à homard afin de les vérifier. En fait, l'inaction du MPO à la suite de l'arrêt Marshall a exacerbé des tensions qui étaient déjà très grandes parce que plusieurs croient qu'on ne surveille pas suffisamment la pêche de subsistance dans certaines zones.

Nous ne pouvons souligner trop l'importance de la conservation et d'une application efficace des lois et règlements. La conservation est au coeur du mandat du ministère des Pêches et des Océans. La Cour suprême, dans son jugement du 17 novembre 1999, a rappelé que la réglementation visait avant tout à assurer la conservation de la ressource et que cette responsabilité incombait au ministre et non aux autochtones et aux non-autochtones qui l'exploitent. De plus, le Comité a demandé à de nombreuses reprises une application plus efficace des lois et règlements2.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Les pêches doivent être gérées de manière à garantir la conservation des ressources halieutiques à long terme.

Une application efficace de la loi et des règlements est cruciale pour garantir la conservation des ressources. Le MPO doit donc appliquer de manière rigoureuse et impartiale les règlements sur les pêches.

Le MPO doit disposer des ressources dont il a besoin pour s'acquitter de ses obligations en matière de conservation des ressources. Il doit donc pouvoir compter sur un nombre suffisant d'agents de surveillance et ces derniers doivent posséder l'équipement requis pour s'acquitter de leurs tâches d'une manière sécuritaire et efficace.

Il convient de former des autochtones comme agents des pêches à part entière, ayant la capacité de contrôler une partie ou la totalité des pêches ou d'exercer d'autres activités d'application de la loi.

La tolérance doit être nulle à l'égard des infractions en matière de pêche. Les sanctions touchant la pêche illégale ou l'achat de poisson capturé illégalement doivent prévoir des peines minimales pour guider les tribunaux et donner un traitement plus équitable aux contrevenants.

LA GESTION DES PÊCHES

Le MPO devrait revoir son mode de gestion des pêches afin de tenir compte des droits issus de traités. À la suite du jugement Marshall, le ministère devra consulter les Premières nations avant de rédiger et d'instaurer ses règlements. Des témoins ont indiqué que le MPO aurait également intérêt à revoir ses méthodes de manière à consulter davantage les pêcheurs non autochtones.

Il semble évident que la plupart des gens, qu'ils soient autochtones ou non, souhaitent trouver des solutions et seront en mesure de le faire si on leur en fournit les moyens. Nous avons pu observer le fonctionnement de ce principe dans la baie Saint Mary's de la zone de pêche du homard 34.

Une des choses intéressantes concernant cette entente est qu'elle a été conclue entre des élus qui sont directement en contact avec les utilisateurs de cette ressource. En d'autres termes, elle a été conclue sans la présence des médias. Elle a été conclue sans la présence d`avocats. Sans vouloir vous offenser, elle a été conclue sans la présence de politiciens. Elle a été conclue par des gens qui vivent dans ces localités côtières rurales. Ce sont eux qui auront à vivre avec les solutions que nous trouvons maintenant. Je pense que c'est ainsi que nous procédons.

Arthur Bull, coordonnateur
Bay of Fundy Inshore Fishermen's Association, Halifax

Les ententes conclues au niveau local fonctionneront généralement mieux simplement parce que les gens ont participé davantage à leur conclusion. Elles seront en outre davantage respectées et leur application sera moins coûteuse que si ces mesures avaient été imposées de l'extérieur, par le MPO ou Ottawa. Toutefois, de nombreuses organisations ne disposent pas des ressources financières ou techniques nécessaires pour résoudre elles-mêmes leurs problèmes. Le MPO doit également améliorer ses communications avec son personnel régional et local de manière à ce que ces derniers puissent à leur tour transmettre l'information voulue aux collectivités et pêcheurs locaux.

Dans certains cas, les ententes de cogestion existantes (comme celles sur la pêche du crabe des neiges) peuvent servir de modèles en vue de l'intégration des pêcheurs des Premières nations à la pêche commerciale. Certains comités de bassin versant font déjà participer les Premières nations à la gestion du saumon de l'Atlantique.

Souvent, les structures de gestion de certaines espèces ont atteint un stade de maturité permettant de garantir la conservation de la ressource et la gestion ordonnée de la pêche. Dans ces cas, la meilleure solution pourrait bien être d'intégrer les pêcheurs des Premières nations en apportant peu ou pas de modifications à la structure de gestion existante.

Il est préférable que tous les participants aux pêches commerciales soient assujettis aux mêmes règles et règlements. Il est possible que cette solution ne soit pas applicable dans certains cas. La pêche de subsistance du saumon de l'Atlantique pratiquée par les autochtones pourrait être un exemple. Néanmoins, il faudra absolument s'assurer à l'avenir que tous les pêcheurs soient régis par une seule structure de gestion.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Une pêche commerciale donnée qu'elle soit pratiquée par des autochtones ou non, doit être assujettie aux mêmes règles et règlements pour tous.

Le MPO doit appliquer les mêmes règles à tous et doit donc disposer des ressources et du personnel voulus pour s'acquitter de cette mission.

Il faudrait promouvoir la gestion coopérative et communautaire des pêches.

Il faudrait examiner si les ententes de cogestion sur la pêche du crabe des neiges et les structures des comités de bassin versant pour le saumon ne pourraient pas servir de modèles en vue de l'intégration des pêcheurs autochtones aux autres pêches.

LA PÊCHE DE SUBSISTANCE

La « pêche de subsistance » pratiquée par les autochtones constitue un dossier particulièrement litigieux. Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones du Canada. Cette disposition ne précise toutefois pas la nature et le contenu des droits protégés. En 1990, l'arrêt Sparrow a confirmé que les autochtones bénéficiaient d'un droit inhérent à la pêche à des fins de subsistance, sociales et cérémonielles, et que ce droit n'était assujetti qu'à la conservation de la ressource.

Plusieurs soutiennent et certains chefs autochtones reconnaissent même que cette pêche s'est dans une grande mesure transformée en une pêche commerciale de fait.

... il fallait faire quelque chose concernant cette pêche de subsistance parce qu'elle est en train de tuer l'industrie.

C'est pour cette raison qu'on m'a tabassé. On m'a volé pour 12 000 $ d'engins de pêche. Le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse est l'endroit où cette pêche clandestine et illégale du homard était et est encore la plus pratiquée au Canada. Le MPO estimait que 500 tonnes de homards avaient été débarquées illégalement en 1988 seulement.

Wayne Spinney
Lobster Fishing Area 34 Advisory Committee

... je ne sais pas qui étaient ces autochtones qui sont allés pratiquer la pêche de subsistance dans la baie St. Mary's et écouler leurs prises sur une sorte de marché noir commercial, mais notre régime est bien géré. Si quelqu'un agissait de la sorte, il serait poursuivi et abandonné ... Deuxièmement, peu importe qui sont ces braconniers - mais je ne crois pas qu'ils existent - il faut quelqu'un pour acheter leurs prises sur ce marché noir et ce ne sont pas des autochtones. J'en suis certain.

Roger Hunka
facilitateur pour les droits des autochtones
Native Council of Nova Scotia

Comme on ne dispose pas de données fiables sur les prises de la pêche de subsistance, les estimations des débarquements sont inexactes. Toutefois, mêmes les estimations les plus basses montrent que les prises dépassent de beaucoup la consommation plausible à des fins de subsistance.

Les chefs autochtones signalent que dans une certaine mesure, les ventes commerciales sont simplement attribuables au fait que les gens ont exercé ce qu'ils croyaient être leurs droits de commercer découlant de traités :

Je suppose que ces gens ont été forcés d'agir ainsi simplement parce que le gouvernement fédéral et le gouvernement du Canada ne reconnaissaient pas leurs droits issus de traités; en un sens, ils exerçaient ces droits issus de traités. Ces droits sont maintenant confirmés. La Cour suprême a rendu son jugement et confirmé que les traités leur donnaient bien le droit d'agir ainsi. Ils ont bien le droit de pêcher à des fins de subsistance et à des fins cérémonielles, et ils peuvent vendre le produit de cette pêche.

Chef Charlie Sark, Première nation Lennox

Parmi les autres facteurs mentionnés, notons les taux de chômage très élevés dans la plupart des collectivités autochtones et l'absence de tout autre avenue de développement économique. On justifie aussi les ventes commerciales par la nécessité d'assumer les coûts liés à la pêche :

Ils n'étaient pas censés les vendre, mais il leur a fallu trouver un moyen de payer le moteur hors-bord, le capitaine, le bateau ou encore l'essence.

Wayne Spinney
Lobster Fishing Area 34 Advisory Committee

Certains ont signalé qu'au fur et à mesure que les pêcheurs autochtones commenceront à pratiquer la pêche commerciale, ils seront de moins en moins enclins à se servir de la pêche de subsistance pour réaliser des gains financiers :

Dorénavant, si vous voulez pratiquer la pêche commerciale, voici les nouvelles directives, de toutes nouvelles règles, et c'est de cette façon que vous allez commencer à pratiquer la pêche commerciale. Le jugement Marshall a donc éliminé le besoin du marché noir.

Roger Hunka
facilitateur pour les droits des autochtones
Native Council of Nova Scotia

Aucun des témoins entendus par le Comité n'a indiqué que cette pêche de subsistance commerciale et donc illégale n'impliquait que des autochtones. Certains témoins ont soutenu que des « braconniers » non autochtones se servaient de cette pêche de subsistance pour camoufler leurs activités. De plus, ces ventes illégales ne pourraient être réalisées s'il n'y avait pas d'acheteurs et ces derniers sont surtout non autochtones.

La pêche de subsistance du homard est inquiétante parce qu'elle se poursuit tout au long de l'été, alors que les homards se sont rapprochés des côtes pour muer. À cette période, on retrouve de fortes concentrations de homards dans certaines zones. Ces homards sont plus mobiles parce que l'eau est plus chaude et ils sont affamés après la mue. Leur capture est donc plus facile qu'à tout autre moment de l'année. Des témoins ont déclaré au Comité que les casiers mis à l'eau durant cette période pourraient facilement permettre de capturer 10 fois plus de homards que durant la saison régulière.

... bien sûr, tout le monde sait que les homards ont mué et qu'ils sont affamés; ils sortent de la boue et ils meurent de faim, il est alors très facile de les attraper, probablement 10 fois plus facile qu'au cours de la saison où nous les pêchons. Ainsi, quand un autochtone met 10 casiers à l'eau, il s'agit en fait de plus de 200 casiers en raison de la période de l'année.

Chris Wall, Malpeque Harbour Authority

Même si des témoins autochtones nous ont déclaré qu'ils pratiquaient des mesures de conservation comme le marquage d'un V et la remise à l'eau des femelles oeuvées, d'autres témoins nous ont expliqué que les homards transportent leurs oeufs à l'intérieur de leur carapace à cette période de l'année et que l'élimination d'un grand nombre de femelles oeuvées causait des dommages disproportionnés aux stocks. En plus de ces préoccupations liées à la conservation, ces homards capturés peu après la mue sont d'une qualité inférieure et donc d'une valeur commerciale moindre.

Des témoins se sont plaints que le MPO ne surveille pas suffisamment la pêche de subsistance et n'applique pas les règlements à ce sujet comme il se doit. Certains ont même allégué que les agents des pêches du MPO auraient reçu l'instruction de fermer les yeux sur le braconnage. D'autres témoins autochtones se sont toutefois plaints qu'ils avaient été harcelés par des agents du MPO alors qu'ils pratiquaient une pêche de subsistance.

Ils disent que le MPO ne fait pas son travail. L'an dernier, je suis allé à la pêche deux jours différents au cours de la même semaine. Le premier jour, le bateau a été arrêté trois fois. Le deuxième, ce fut deux fois. Si les non-autochtones ne sont arrêtés qu'une seule fois et les autochtones le sont à tous les jours, je suis d'avis que c'est là du harcèlement. Le MPO fait vraiment son travail, mais j'ai parfois l'impression que ses agents n'ont été embauchés que pour surveiller les pêcheurs autochtones.

Millie Augustine, avocat mi'kmaq, Big Cove

Le Comité s'est demandé si la pêche de subsistance du homard devait être pratiquée au même moment que la pêche commerciale. D'un côté, certains soutiennent que la conservation justifie l'établissement de saisons de pêche et que ce raisonnement devrait s'appliquer à la pêche commerciale comme à la pêche de subsistance. D'un autre côté, si la pêche de subsistance est pratiquée en même temps que la pêche commerciale, il est relativement facile d'écouler des prises sur le marché commercial. De plus, toute récolte pratiquée en dehors de la saison commerciale est très visible et donc plus facile à surveiller.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

La pêche de subsistance doit être contrôlée afin de s'assurer qu'elle constitue véritablement une pêche de subsistance et non une pêche commerciale illégale.

Il faut déterminer si la pêche de subsistance doit être menée durant les mêmes saisons que la pêche commerciale régulière.

Il faudrait étudier les saisons de pêche au homard et leur impact sur la conservation.

Le MPO devrait prendre des mesures vigoureuses pour poursuivre de manière impartiale toutes les personnes qui participent à des ventes illégales de poisson capturé à des fins de subsistance, sociales ou cérémonielles. Quiconque pris à acheter illégalement du homard une deuxième fois devrait perdre son permis, en sus de toute autre peine.

Toutes les captures de homard des pêches commerciales ou de subsistance devraient être surveillées et enregistrées afin que le MPO dispose de données fiables sur la récolte.

Il faudrait revoir les règlements touchant la pêche de subsistance afin de les resserrer et d'en simplifier l'application.

LA CONCENTRATION DE L'EFFORT DE PÊCHE

L'un des problèmes que soulève le transfert de permis de pêche du homard est la concentration possible de l'effort de pêche dans certains secteurs particulièrement fragiles comme la baie Malpeque et la baie Miramichi. Il est probable que les nouveaux pêcheurs souhaiteront pratiquer leur métier près de leur lieu de résidence ou encore dans les meilleures zones de pêche possible. On ne peut toutefois pas décider où les permis se libéreront à la suite du départ à la retraite de pêcheurs. Dans l'Atlantique, les nouveaux pêcheurs continuent habituellement à travailler à partir du port d'attache des anciens détenteurs de permis. Cette mesure assure une certaine continuité et une stabilité de l'effort de pêche tout en maintenant sa dispersion.

Les permis de pêche du homard doivent être utilisés dans la zone de pêche pour laquelle ils ont été délivrés, mais le problème de la concentration excessive peut se présenter si de nouveaux pêcheurs décident d'exploiter la ressource dans un secteur différent de cette zone parce qu'ils le jugent plus lucrative ou plus commode. Il peut en résulter une trop forte pression de pêche dans certains secteurs localisés.

Il faut donc exercer une surveillance sur les zones où les permis sont utilisés afin d'empêcher la surconcentration de l'effort de pêche dans des secteurs précis. Il faut aussi signaler que le jugement de la Cour suprême du 17 novembre 1999 n'autorise les collectivités autochtones à pêcher que dans leurs territoires traditionnels.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Au fur et à mesure que des permis sont transférés aux groupes autochtones, particulièrement pour la pêche du homard, il faut trouver une façon d'empêcher la concentration excessive de l'effort de pêche afin d'éviter de réduire la santé des stocks, en particulier dans les secteurs fragiles comme les frayères et les zones de croissance. L'effort de pêche ne devrait en aucun cas être accru, notamment au niveau local.

LES PREMIÈRES NATIONS

Les multiples opinions différentes présentées au Comité par les collectivités, organisations et pêcheurs autochtones constituent l'un des problèmes les plus sérieux actuellement. Il faut en effet se demander qui parle au nom des descendants ou collectivités des Premières nations et qui a le pouvoir d'entreprendre des négociations et de prendre des décisions en leur nom. Même si la plupart des témoins représentant les Premières nations ont déclaré que les chefs et conseils de bande des diverses Premières nations avaient le pouvoir de négocier et de prendre des décisions en leur nom, après consultation des collectivités concernées, d'autres témoins n'étaient pas de cet avis. Il y a aussi la question délicate des droits des membres des Premières nations vivant à l'extérieur des réserves et des descendants des Premières nations non inscrits.

De nombreuses collectivités autochtones de l'Atlantique souffrent de taux de chômage catastrophiques. La pauvreté y sévit et engendre de nombreux autres maux sociaux comme la maladie, la toxicomanie et le suicide. Le problème fondamental de la plupart des collectivités autochtones est qu'elles ne disposent d'aucune assise économique. La recherche d'un emploi à l'extérieur de la réserve constitue souvent une démarche inutile dans les régions à fort taux de chômage comparativement à la moyenne canadienne. De plus, ces collectivités ne disposent pas des ressources et des capitaux voulus pour se lancer dans des projets de développement économique comme des programmes de formation ou des plans de conservation. Les jeunes autochtones sont dans l'ensemble mieux formés que leurs prédécesseurs, mais comme leurs collectivités leur offrent peu de débouchés professionnels, ils doivent souvent aller chercher de l'emploi ailleurs.

Des témoins ont dit qu'un des aspects bénéfiques du jugement Marshall est qu'il a redonné espoir aux collectivités autochtones de l'Atlantique. En effet, en ayant accès aux ressources, celles-ci disposeront enfin d'une base sur laquelle elles pourront se bâtir une économie.

À un moment donné, il deviendra essentiel de déterminer qui a le pouvoir de négocier au nom des Mi'kmaq, des Malécites et des Passamaquoddy. Il est probable que ces peuples autochtones auraient avantage à s'unir pour négocier des ententes en vue de la mise en oeuvre de leurs droits issus de traités.

LE PROCESSUS

Il faut absolument que des ententes provisoires soient conclues avant la réouverture de la pêche le 15 avril 2000. En l'absence de telles ententes, on risque fort d'assister à de nouveaux affrontements entre les pêcheurs autochtones et non autochtones. Le représentant fédéral en chef, M. James MacKenzie, et le représentant fédéral adjoint, M. Gilles Thériault, s'attendent à jouer un rôle crucial dans la conclusion de ces ententes.

Malheureusement, lorsque le Comité s'est rendu dans les provinces de l'Atlantique et au Québec, peu de témoins qu'il a entendus avaient rencontré M. MacKenzie ou M. Thériault. En fait, certains n'étaient même pas au courant du mandat confié à ces deux représentants.

Il est juste de dire que plusieurs des témoins qui avaient pris connaissance de ce mandat le jugeaient tendancieux. Ainsi, bien que le représentant en chef doive mener des négociations avec les Premières nations, le représentant adjoint « établira un processus permettant d'obtenir le point de vue et les commentaires des autres intervenants et d'en rendre compte au représentant en chef ».

Les témoins n'ont pas non plus manqué de souligner que « des fonds raisonnables et appropriés » seront prévus pour soutenir la participation des Premières nations à ces discussions tandis que le MPO ne s'est engagé qu'à « étudier » des propositions visant à compenser les « autres groupes » intéressés. En fait, un certain nombre de témoins jugeaient insultant qu'on les désigne comme « d'autres intervenants » puisque cela revenait à les traiter comme des citoyens de deuxième classe :

... et soudainement ce jugement est rendu et nous entendons dire que nous pourrions perdre nos gagne-pain et nos entreprises après avoir contracté des prêts et ensuite que des gens pourraient prendre leur retraite ou commencer à pêcher, alors que les autres personnes étaient tout aussi libres de commencer. Et puis, en regardant les nouvelles à la télé, je vois qu'on nous appelle « les autres », cela a créé beaucoup de ... nous payons des taxes. Nous pensions faire quelque chose de bien. Cela nous a fait réfléchir. Sommes-nous dans le bon secteur d'activités? Que représentons-nous de toute façon?

Richard D'Entremont, Acadian Fish Processors

Ces déclarations, qui sont incluses dans un mandat devant supposément permettre de régler un problème, semblent mettre l'accent sur la division et sur la création de deux classes de citoyens et je trouve cela inquiétant.

L'hon. Kevin J. MacAdam
ministre des Pêches et du Tourisme de l'Î.-P.-É.

Malgré que le ministre se soit engagé à ce que ce processus soit ouvert et transparent, des témoins se sont également plaints du manque d'information sur l'état des négociations et consultations menées par ces deux représentants.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Le gouvernement fédéral doit faciliter les négociations d'une manière plus dynamique en fournissant aux intervenants, qu'ils soient autochtones ou non, les fonds et ressources nécessaires (notamment les avis techniques) afin de leur permettre de participer efficacement au processus.

Le gouvernement fédéral doit mettre en place un plan de pêche provisoire d'ici le printemps 2000 pour montrer sa bonne foi. Le plan pourrait inclure : un programme de formation sur les pêches; une réduction et un partage des casiers dans les zones où on est parvenu à une entente; la location des permis; l'achat des permis.

Le gouvernement fédéral doit fournir au MPO les ressources financières nécessaires pour s'acquitter de cette tâche dans le prochain budget.

Le mandat de M. MacKenzie doit être modifié dans le sens de l'équité, et pour informer clairement tous les intervenants qu'ils peuvent participer pleinement à cette démarche.

AUTRES QUESTIONS

Malgré la clarification fournie par la Cour suprême le 17 novembre 1999, un certain nombre de questions cruciales demeurent sans réponse. Durant les audiences du Comité, on a longuement débattu des personnes qui devraient bénéficier des droits issus de traités qui ont été confirmés par le jugement Marshall. Ainsi, cette décision de la Cour suprême s'applique-t-elle aux bandes mi'kmaq et malécites du Québec?

Certaines bandes soutiennent que cet arrêt ne vise que leurs Premières nations. Cette question est importante, notamment parce qu'elle pourrait avoir un grand impact sur le nombre de personnes pouvant exercer ce droit issu d'un traité et donc sur l'étendue du droit d'accès aux ressources halieutiques qui doit être transféré aux Premières nations. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que ces questions liées au statut des personnes, à leur appartenance aux bandes et à leur lieu de résidence sont excessivement complexes, difficiles à trancher et doivent être étudiées soigneusement.

Le droit de commercer pour s'assurer une « subsistance convenable » constitue nettement le concept central du jugement de la Cour suprême, mais il demeure vaguement défini. Il est clair qu'il revêt des significations différentes selon les personnes auxquelles on s'adresse. D'un côté, signifie-t-il un moyen de subsistance équivalent à ceux de l'ensemble des Canadiens? Doit-il être établi par rapport à un revenu moyen provincial ou au revenu des collectivités de pêcheurs? Devrait-il varier selon les revenus tirés des différents types de pêche? S'applique-t-il à la personne qui pêche ou à l'ensemble de sa collectivité? Inclut-il les revenus tirés d'autres sources? De toute façon, il pourrait se révéler impossible de réellement mettre en oeuvre ce concept.

De plus, comme plusieurs témoins l'ont signalé, les ressources halieutiques ne sont pas suffisantes pour assurer une subsistance convenable à tous les Mi'kmaq, Malécites et Passamaquoddy de la région atlantique. Le problème se complique si on établit ultérieurement que les autochtones non inscrits peuvent également exercer ce droit issu d'un traité. Compte tenu de cette limite, on peut affirmer dès maintenant qu'il y aura empiétement sur ce droit issu d'un traité. Il pourrait se révéler tout simplement impossible de mettre en oeuvre ce droit issu d'un traité en se fondant sur le concept d'une subsistance convenable.

La solution serait peut-être de plutôt négocier de bonne foi une entente moderne sur le partage des ressources halieutiques avec les nations mi'kmaq, malécite et passamaquoddy. Dans son jugement du 17 novembre 1999, la Cour suprême a confirmé que les non-autochtones bénéficient également de droits d'accès à la pêche et que les droits issus d'un traité des Premières nations doivent tenir compte des droits des pêcheurs traditionnels non autochtones dont les familles dépendent parfois de la pêche depuis des générations. Il reste encore à déterminer dans quelle mesure exactement ils doivent en tenir compte. Le Comité a entendu des opinions totalement divergentes sur cette question et il faudra donc convenir d'un partage acceptable de l'accès aux ressources halieutiques.

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Il faut déterminer si les autochtones non inscrits de descendance mi'kmaq, malécite ou passamaquoddy peuvent exercer les droits issus d'un traité confirmés par le jugement Marshall.

Il faut déterminer si les droits issus d'un traité confirmés par le jugement Marshall s'appliquent aux bandes indiennes du Québec.

Il faut clarifier et mieux définir le concept de « subsistance convenable ».


1 Conseil de conservation des ressources halieutiques, Un cadre pour la conservation des stocks du homard de l'Atlantique : Rapport soumis au ministre des Pêches et des Océans, CCRH95.R.1, novembre 1995, p. vi.

2 Rapport : La côte ouest (intérimaire), recommandation 16; Rapport : La côte ouest, recommandation 5; Rapport sur le Nunavut, recommandation 11; et Rapport sur l'Île-du-Prince-Édouard, recommandations 11 et 16.