INST Rapport du Comité
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CHAPITRE 8 : REFUS DE VENDRE
Le Comité a entendu avec inquiétude lAssociation québécoise des indépendants du pétrole (AQUIP) lui décrire lexpérience de certains de ses membres sur le marché québécois du pétrole. Il est important de bien saisir au départ que lindustrie est dans une situation unique, puisquelle soccupe à la fois dexploration, de fabrication, de vente en gros et de vente au détail. Ces sociétés intégrées verticalement sont, au niveau du détail, en concurrence avec de nombreux petits indépendants. Cest là une structure de marché unique, qui oblige les détaillants indépendants à négocier lachat de leur produit principal directement avec leurs concurrents. La Loi sur la concurrence doit donc tenir compte de cette situation spécifique au secteur pétrolier et faire en sorte que les sociétés puissent sapprovisionner sans subir de discrimination. Si ces faits, qui ont été présentés au Comité lors de ses audiences sur le projet de loi C-23, sont exacts, cela peut signifier que lAQUIP a été victime dun refus de vendre34. Toutefois, laspect de ce témoignage qui concerne directement le Comité se rapporte au fait que larticle 75 ne puisse pas servir à interdire ce genre de conduite. Selon lAQUIP, un fournisseur pourrait invoquer le fait que les « conditions de commerce » (cest-à-dire les conditions du marché) nétaient pas « normales » pour empêcher que larticle sapplique. Le Tribunal ne serait donc pas habilité à rendre une ordonnance, puisque, selon lAQUIP, il ne peut rendre dordonnance dapprovisionnement que dans des conditions « normales » de commerce. |
34 | Bien entendu, le Comité nest pas une cour de justice et il ne prétend nullement tirer des conclusions sur les question de fait ni sur lapplication de la Loi dans un quelconque cas individuel. Ce sont là des sujets qui relèvent du Tribunal. |
Nous vous soumettons que les fournisseurs de produits pétroliers nauront quà illustrer quils ne peuvent fournir les produits en raison de conditions de commerce anormales pour empêcher laccès au Tribunal35. |
35 | Mémoire présenté par lAQUIP au Comité. |
Le Comité a
soigneusement réfléchi à cette analyse de larticle 75 et, en toute
déférence, il ne peut pas y souscrire. Il est manifeste, si lon considère
larticle globalement, que celui-ci na pas été adopté pour offrir un moyen
de défense aux fournisseurs peu scrupuleux, mais pour permettre à chaque client
dobtenir lapprovisionnement dont il a besoin aux mêmes conditions que les
autres clients de son fournisseur. De plus, pour les raisons expliquées ci-dessous, nous
pensons que le « rationnement » imposé par le fournisseur en cas de pénurie
entre dans la définition des « conditions de commerce » contenue dans le
paragraphe 75(3). Aussi larticle 75 devrait-il sappliquer, de
manière que chaque client puisse être approvisionné aux mêmes conditions que les
autres, même lorsquil y a pénurie sur le marché. La difficulté fondamentale provient du fait que, dans son analyse, lAQUIP semble considérer les notions de « conditions de commerce » et de « conditions du marché » comme synonymes. Mais, comme le précise clairement le paragraphe 75(3), ce sont deux idées tout à fait distinctes. Une pénurie de pétrole ou une demande exceptionnellement élevée sont des conditions du marché, tandis que les conditions de commerce concernent la transaction. Les « conditions de commerce » dans une transaction (comme un contrat dapprovisionnement) peuvent évoluer à cause des conditions changeantes du marché : il se peut que les prix montent ou que les quantités que les fournisseurs sont en mesure de livrer soient réduites. Les conditions de commerce peuvent donc être touchées par les conditions du marché, ce qui montre bien quil sagit de deux concepts distincts. LAQUIP laisse entendre quun fournisseur pourrait invoquer des « conditions de commerce anormales » comme défense contre lapplication de larticle 75. Mais si nous acceptons cette interprétation, nous devons admettre que larticle 75 est sans effet lorsque les conditions du marché ne sont pas normales. Cette conclusion nous porte à croire que linterprétation est peut-être incorrecte. En revanche, le paragraphe 75(3) confirmerait plutôt linterprétation du Comité. Les « conditions de commerce » y sont définies comme les « conditions relatives au paiement, aux quantités unitaires dachat et aux exigences raisonnables dordre technique ou dentretien ». Leffet du paragraphe 75(3) est double. Premièrement, il limite les conditions de commerce que le fournisseur peut imposer dans le cadre de la transaction. Cela garantit que les fournisseurs nimposeront pas de conditions de commerce « anormales » (par exemple, un rationnement) comme prétexte pour retenir le produit. Deuxièmement, il fait en sorte que tout client puisse être approvisionné aux mêmes conditions que les autres clients de son fournisseur, cest-à-dire sans être assujetti à de quelconques « conditions de commerce anormales ». Donc, si certains clients reçoivent 100 % de leurs commandes, tous les autres ont le droit dêtre traités de la même manière. Le fait dimposer une coupure de 20 % à un client et pas à dautres, constituerait clairement limposition dune condition de commerce « anormale », selon la façon dont la condition est envisagée dans le paragraphe 75(3). Par conséquent, larticle 75 sappliquerait et donnerait au Tribunal le pouvoir dordonner que lapprovisionnement soit repris selon des conditions identiques à celles dont profitent les autres clients. LAQUIP souhaiterait que les termes « aux conditions de commerce normales » soient retranchés de larticle 75, ce qui « délierait les mains » du Tribunal. Celui-ci serait ainsi en mesure dordonner lapprovisionnement selon des conditions autres que les conditions de commerce « normales », à savoir de donner au fournisseur lordre daccepter un client selon des conditions de commerce anormales et de lapprovisionner au prorata des disponibilités. Toutefois, ici encore, il importe de faire la distinction entre conditions du marché et conditions de commerce. Ce que lAQUIP demande en fait, cest que le Tribunal ordonne au fournisseur de continuer à lapprovisionner pendant que prévalent des conditions anormales de marché (une pénurie par exemple.) mais aux mêmes conditions de commerce (80 % de lapprovisionnement habituel, en prenant lexemple précédent) que celles qui sont accordées aux autres clients, autrement dit sans discrimination. Bien que le Comité ne croie pas que lexpression « conditions de commerce normales », à larticle 75, compromette lefficacité de larticle, il reconnaît quil existe de cet article une autre interprétation plausible qui nous mènerait à la conclusion contraire, à savoir que larticle ne pourrait pas servir à interdire un rationnement discriminatoire du genre décrit par lAQUIP (qui consiste, pour les producteurs intégrés, à approvisionner leurs propres points de vente au détail à des conditions plus favorables que les détaillants indépendants). Pour que larticle sapplique, lalinéa 75(1)d) exige que le produit soit « disponible en quantité amplement suffisante ». Selon linterprétation simple de cette disposition, larticle ne doit sappliquer que quand le produit est disponible en quantité « amplement » suffisante, cest-à-dire en quantité permettant de répondre à la demande courante. Si cette interprétation est correcte, larticle ne sappliquera pas en période de pénurie, et le fournisseur pourra choisir dexécuter intégralement la commande dun client et de ne pas exécuter celle dun autre client ou de lexécuter en partie seulement, cest-à-dire de faire du rationnement discriminatoire dans le but de pénaliser un détaillant indépendant non intégré. Cette autre interprétation est également compatible avec le libellé du paragraphe 75(3). Aux yeux du profane, lexpression « quantités unitaires d'achat » peut sentendre de la façon dont le produit est emballé pour la vente ou la livraison, par exemple, en contenants dun litre, ou dans des emballages dexpédition, et ainsi de suite. En fait, cette interprétation serait plus plausible que lautre. Si le Parlement, lorsquil a rédigé la législation, avait voulu préciser que la « quantité » est une des « conditions de commerce » visées au paragraphe 75(3), il aurait eu tout loisir de le faire. Or, il a plutôt usé de lexpression « quantités unitaires d'achat », qui ne signifie pas tout à fait la même chose que le terme « quantité ». Si cette interprétation était la bonne, nous devrions accepter que larticle 75 nest pas censé sappliquer, et ne sapplique pas, lorsquil y a pénurie dans le marché. Si cétait le cas, tout fournisseur dénué de scrupules qui serait en position dominante dans le marché pourrait profiter de la pénurie pour promouvoir son propre réseau de vente au détail et pénaliser les détaillants indépendants en rationnant sélectivement leur approvisionnement de façon discriminatoire. Le libellé actuel de larticle porte à croire que le Parlement na tout simplement pas prévu que le rationnement sélectif pourrait être utilisé de cette façon; mais il se peut aussi quil lait prévu et quil ait estimé que le problème serait mieux encadré par les dispositions de larticle 79, relatives à labus de position dominante. Le Comité voit bien quil suffirait de supprimer lalinéa 75(1)d) pour éliminer lambiguïté, mais aucun témoin na soulevé ce point, et nous navons pas eu de débat ni fait danalyse sur les implications économiques et juridiques dune telle modification, doù notre hésitation à recommander une telle solution. Pour les raisons énoncées plus haut, nous croyons que linterprétation la plus raisonnable à en faire veut quil sapplique quel que soit létat du marché, y compris en temps de pénurie. Mais en définitive, on ne peut lever cette incertitude quau moyen dune des trois solutions suivantes : 1) obtenir que le gouvernement modifie la Loi de manière à préciser lapplication de larticle; 2) retenir linterprétation judiciaire faite par le Tribunal dans le contexte dune demande basée sur ces faits ou sur des faits similaires, ou 3) obtenir du Bureau une directive sur la façon dinterpréter cette disposition. À nen pas douter, la meilleure solution consiste à préciser dès maintenant lapplication de larticle 75. Qui plus est, il ne serait ni juste ni équitable de demander à lAQUIP ou à qui que ce soit dautre, dailleurs dassumer seul des procédures qui pourraient être longues et coûteuses à seule fin de faire préciser la loi alors que la préciser serait nettement à lavantage de tous. Le Comité félicite lAQUIP de lui avoir signalé cet important problème et recommande
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Il y a eu des pénuries de produits, et on a dû nous imposer un quota de 80 %, disons. Nous sommes sûrs que durant ces périodes où nous avons été coupés à 80 %, les secteurs du détail des compagnies majeures fonctionnaient encore à plein régime, sans avoir à subir ces coupures de produit. Durant ces périodes, nous avons dû réduire les inventaires de nos clients. Nous avons été chanceux que ce soit des périodes courtes dune semaine ou deux dans les deux cas dont on parle. Dans le premier cas, ce fut un problème de froid sur le fleuve Saint-Laurent. Dans le deuxième, ce fut la tempête de verglas de janvier 1997, au Québec. Je ne sais pas si vous le savez, mais en janvier 1997, il y a eu une tempête de verglas et il y a eu un rationnement au niveau de lapprovisionnement. Dans ces deux cas, notre approvisionnement en produit a été réduit, mais nous sommes certains que les multinationales fonctionnaient alors à plein régime dans leurs réseaux de détail dhuile à chauffage et de stations-service.[Pierre Crevier, Association québécoise des indépendants du pétrole, 40:16:20]
Une situation de rationnement ne devrait pas entraîner le non-renouvellement de contrats dapprovisionnement sous prétexte que la situation du marché est anormale. Il faut au contraire sassurer que les situations de marché inhabituelles ne permettent pas lélimination dentreprises pétrolières efficaces qui seraient privées dapprovisionnement. En conséquence, nous proposons que les mots « aux conditions de commerce normales » soient retirés du projet de loi. De la sorte, les nouvelles dispositions seraient aussi applicables dans des circonstances inhabituelles où elles pourraient savérer particulièrement utiles. [Pierre Crevier, Association québécoise des indépendants du pétrole, 40:15:45] |