INST Rapport du Comité
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CHAPITRE 6 : L'ABUS DE POSITION DOMINANTE
Les articles 78 et 79 contiennent les dispositions sur ce quon appelle l« abus de position dominante » et constituent un élément clé de la partie VIII de la Loi sur la concurrence qui porte sur les « affaires que le Tribunal peut examiner ». Ces articles ont été adoptés en 1986 en remplacement de ceux qui assimilaient à une infraction criminelle le fait dêtre partie à un monopole ou à la formation dun monopole. Larticle 79 permet au commissaire de demander, et au Tribunal de rendre, une ordonnance interdisant à une ou plusieurs personnes de sadonner à des agissements anticoncurrentiels. Larticle 78 énumère certains de ces agissements « anticoncurrentiels » aux fins de larticle 79; la liste de larticle 78 nest pas exhaustive et, par conséquent, ne restreint pas lapplication de larticle 79 aux seules pratiques expressément citées. De fait, le Tribunal sest écarté de cette liste à plusieurs reprises. Certains des agissements anticoncurrentiels visés dans la partie VIII peuvent aussi faire lobjet dune procédure criminelle aux termes des articles 45 et 61, ou de lalinéa 50(1)c) de la Loi. La Loi permet que lune ou lautre démarche soit entreprise, mais pas les deux à la fois. Pour obtenir une ordonnance aux termes de larticle 79, le commissaire doit convaincre le Tribunal, selon la « prépondérance des probabilités » (norme de preuve en droit civil), des trois éléments suivants :
En présence de ces trois éléments, le Tribunal peut rendre une ordonnance de cessation. Il peut non seulement ordonner linterruption de lactivité anticoncurrentielle, mais aussi, dans la mesure où cela est raisonnable et nécessaire pour enrayer les effets de lactivité, rendre une ordonnance exigeant dune personne quelle prenne certaines mesures, y compris quelle se départisse déléments dactif ou dactions. Cette ordonnance doit avoir pour seul objectif de rétablir la concurrence sur le marché touché, et non pas dimposer des sanctions punitives.25 |
Je pense que le Tribunal, lorsquil a exposé la nécessité dun critère de puissance commerciale dans les dispositions en matière de position dominante, nest jamais allé plus loin pour préciser quel degré de puissance commerciale il fallait. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:13:00]
Les prix déviction sont actuellement visés par larticle 79 [ ]. De plus, un groupe dexperts nous a indiqué que la discrimination par les prix était déjà visée par larticle 79 des dispositions civiles. [R.W. McCrone, Bureau de la concurrence, 64:09:40]
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25 | Article 2 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. [Note de la traductrice : en français, le libellé était « contrôlent, pour une grande part ou complètement ».] |
Les termes
« contrôlent sensiblement ou complètement » du premier élément reprennent
exactement [en anglais] ceux de larticle qui a précédé les actuelles dispositions
sur labus de position dominante et selon lequel le monopole constituait une
infraction criminelle. Mais quel degré de contrôle le mot « sensiblement »
recouvre-t-il? Les interprétations de la jurisprudence concernant les dispositions
pénales antérieures impliquent que le contrôle doit approcher 100 % du marché
intéressant telle région géographique et tel produit. Toutefois, cette analyse a été
considérablement raffinée dans les affaires subséquentes. Pour déterminer sil y a abus de position dominante, le Tribunal doit, comme première étape, définir le « marché pertinent du produit ». Cette définition a deux dimensions : le produit et la région géographique. En ce qui concerne le produit, la détermination est compliquée, car elle doit tenir compte de facteurs comme la preuve directe et indirecte de la substituabilité et de linterchangeabilité fonctionnelle des produits, lopinion des spécialistes sur ce qui constitue un produit semblable et les dépenses à engager pour remplacer un produit par un autre. Outre le produit, le Tribunal doit également définir la région géographique du marché. Pour cela, il tient compte des limites à lintérieur desquelles les concurrents doivent être situés pour pouvoir se faire concurrence et où les prix tendent soit à suniformiser soit à changer en réaction aux autres. Le Tribunal a reconnu que le marché (ainsi défini) aura une importance considérable pour toute conclusion concernant leffet que le comportement de lentreprise en position dominante a sur la concurrence. En général, toutefois, plus le marché est défini largement, moins il y a de chances que lentreprise possède de la puissance commerciale et que son comportement soit considéré comme susceptible de réduire sensiblement la concurrence. Une fois que le marché est défini, le Tribunal doit se demander si lentreprise contrôle « sensiblement ou complètement » ce marché. Le Tribunal a fait équivaloir cette expression plutôt ambiguë à lexercice dune « puissance commerciale ». Celle-ci sentend de la situation où lacteur dominant a la possibilité de hausser ses prix (ou de réduire la qualité de ses produits) dune façon non transitoire (cest-à-dire sur un long terme que lon évalue généralement à deux ans) sans subir de pertes de bénéfice. À cet égard, le fait de détenir une grande part de marché ne donne pas lieu à lui seul à une présomption de position dominante. Dans laffaire Laidlaw26 le Tribunal a arrêté que la position dominante ne serait pas présumée lorsque la part de marché est inférieure à 50 %. Le Tribunal na pas encore eu à se prononcer sur une allégation contestée de position dominante, selon laquelle lentreprise en cause disposerait dune part de marché de moins de 85 %. Fait intéressant, le seuil de 50 % établi dans Laidlaw est plus élevé que celui de 35 % établi dans les directives du Bureau intitulées Fusionnement Lignes directrices pour lapplication de la Loi et Lignes directrices pour lapplication de la Loi : prix déviction. Une jurisprudence plus riche à ce propos serait utile. |
[A]u sujet des dispositions en matière de prix [ ] les actuelles dispositions en matière dabus de position dominante couvriraient ce genre de comportement, mais il sagit en quelque sorte dune zone grise, car la société qui entre sur le nouveau marché ne sera peut-être pas en fait dominante à lintérieur de ce marché. Les dispositions en matière dabus de position dominante visent la société qui contrôle entièrement ou à toutes fins utiles une classe ou une catégorie dactivité. Vous pourriez bien sûr essayer de saisir ces types de comportements dans le cadre de la disposition en matière dabus de position dominante. Il nest pas clair que cétait là lobjet visé [ ] [Douglas West, Université de lAlberta, 59:12:40]
[V]otre idée de moderniser et de dépénaliser plusieurs des dispositions de la loi intéressant les prix et de les transférer dans un [ ] régime dabus de position dominante me paraît judicieuse. On disposera ainsi dun régime unique cohérent pour traiter ces types de comportements [ ], dans les cas où il y a des effets sur la concurrence et non dans les nombreuses situations où il ny en a pas. [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:11:25] |
26 | Directeur des enquêtes et recherches c. Laidlaw Waste Systems Ltd. (1992), 20 C.P.R. (3d) 289. |
Les obstacles à laccès de nouveaux concurrents sont également un facteur important. Pour déterminer lexistence dun obstacle à laccès, le Tribunal doit examiner des facteurs comme les coûts irrécupérables27 et les économies déchelle, de même que les obstacles techniques et réglementaires. Les coûts irrécupérables ou les économies déchelle pris isolément ont peu de chances dêtre considérés comme suffisants. Le Tribunal doit également prendre en compte le nombre de concurrents, leurs parts relatives de marché et le fait quil existe ou non une capacité excédentaire sur le marché. Malgré les indications données par le Tribunal dans les affaires passées, il est souvent difficile de prévoir les cas dans lesquels celui-ci jugera quil existe une position dominante. | Un redressement axé sur des dommages-intérêts et des amendes pourrait constituer un dissuasif raisonnable. On pourrait transférer cela dans le volet civil et éviter tous les problèmes des poursuites au pénal. [Jeffrey Church, Université de Calgary, 59:10:55] |
27 | Les dépenses que le nouveau concurrent ne récupérera pas sil se maintient sur le marché. Lexemple le plus courant en est la publicité. |
Le deuxième élément
à prendre en compte aux fins de larticle 79 est la question de savoir si la
pratique a pour effet une diminution sensible de la concurrence. Il est difficile de
déterminer si une pratique entraînera ou a entraîné un tel effet. Quel sens doit-on
donner au terme « sensible »? Dans laffaire Nutrasweet, environ
90 % du marché était contrôlé par la première société productrice
daspartame. Sil est vrai quune part de marché élevée peut laisser
croire à lexistence dune domination, elle nen est pas nécessairement
une preuve. Le Comité a bon espoir que la jurisprudence permettra, avec le temps, de
mieux cerner le sens de ce terme. Le dernier élément qui doit être démontré aux termes de larticle 79 est lexistence dune « pratique dagissements anticoncurrentiels ». Même si le mot « pratique » na pas été défini dans laffaire Nutrasweet, le Tribunal semble avoir placé la barre assez bas, en déclarant quune pratique peut exister « dès que lon est en présence dun acte isolé ou de plusieurs actes isolés ». De plus, un certain nombre dagissements anticoncurrentiels différents, mis ensemble, peuvent constituer une pratique. Pratiques anticoncurrentielles en matière de prix : Lapproche civile Comme nous lavons dit au chapitre précédent, le Comité estime que lapproche actuelle, qui consiste à traiter les pratiques visées par les articles 50, 51 et 61 comme des infractions criminelles nest pas adaptée au contexte commercial moderne. Ces dispositions en raison de leurs éventuels effets proconcurrentiels ou de rehaussement de lefficience seraient traitées plus efficacement en tant que pratiques commerciales susceptibles dexamen dans le cadre de la partie VIII de la Loi, et plus précisément aux termes des dispositions sur labus de position dominante. Dans le même temps, comme le suggèrent le rapport VanDuzer et divers commentateurs, le traitement des prix déviction dans le cadre de larticle 79 comporte certaines difficultés conceptuelles. La première objection est la suivante : le fait de soustraire ces pratiques au traitement pénal pour les assujettir à lexamen civil pourrait nuire à leffet dissuasif découlant du traitement pénal. Toutefois, le Comité estime que ce même effet dissuasif pourrait être réalisé en donnant au Tribunal le pouvoir dimposer des sanctions financières aux termes de larticle 79. De plus, le traitement pénal pourrait rester en place pour les pratiques comme les activités des grands cartels qui nont aucune valeur sociale positive. Quant à la deuxième objection, elle nest pas aussi facile à comprendre. Elle consiste à demander lénonciation dun seul critère légal, de manière à unifier, aux termes des dispositions concernant labus de position dominante, les différents critères que la Couronne ou le commissaire, selon le cas, doivent réunir pour obtenir gain de cause devant la Cour ou le Tribunal. En plus des différents critères juridiques existants dans les articles à caractère pénal sur la fixation des prix et larticle 79, il faut prendre en compte les différentes normes de preuve contenues dans les dispositions pénales (« au-delà de tout doute raisonnable »). Pour obtenir une condamnation aux termes de lalinéa 50(1)b) ou 50(1)c), il suffit à la Couronne de montrer que la politique a pour effet, ou est conçue dans le dessein, de réduire la concurrence ou déliminer un concurrent. Lalinéa 50(1)a) et les articles 51 et 61 demandent uniquement que la pratique elle-même soit prouvée (illégalité en soi) pour obtenir une condamnation. Il nest alors pas nécessaire de démontrer que la concurrence a été réduite. Dans les deux cas, la Couronne doit prouver linfraction selon la norme pénale de preuve, à savoir « au-delà de tout doute raisonnable ». Si ces dispositions étaient retranchées du cadre pénal et ajoutées à larticle 79, le Tribunal devrait prendre en considération les effets sur la concurrence ou les efficiences de la pratique et établir sa détermination en conséquence. Il en résulterait, selon le Comité, une meilleure manière de traiter ces pratiques, une manière plus compatible avec la saine analyse économique. Toutefois, si ces pratiques sont considérées comme des affaires civiles, il importe de préciser le critère unique qui sappliquera à toutes les demandes présentées aux termes de larticle 79. Les obstacles à la création, sous le régime de larticle 79, dun critère unique qui permettrait de traiter les pratiques dans un cadre à la fois pénal et civil, ne sont peut-être pas aussi importants dans la pratique que ne le laisse croire la législation. En ce qui concerne lalinéa 50(1)a) et les articles 51 et 61, le Comité sest déjà prononcé pour que ces pratiques soient assujetties à un critère de diminution sensible de la concurrence. Leur simple déplacement vers larticle 79 aurait cet effet. Pour sa part, le Bureau ne semble pas avoir poursuivi les cas de conduite qui nempêchent pas ou ne réduisent pas sensiblement la concurrence; cela permet de croire quune telle modification correspondrait à lactuelle pratique dapplication. De plus, les Lignes directrices pour lapplication des dispositions sur labus de position dominante du Bureau semblent indiquer que le Bureau ne voit pas de différence marquée entre les deux seuils. Cette déduction découle de ce que lon trouve la même limite « refuge » de 35 % pour une entreprise unique dans la directive intitulée Prix déviction : Lignes directrices pour lapplication de la Loi, à caractère pénal et dans le document Fusionnements Lignes directrices pour lapplication de la Loi, à caractère civil. Cela donne donc à penser que la modification ne ferait que préciser la Loi et la rendre plus simple à appliquer, sans en modifier la substance. En ce qui concerne le critère de lélimination dun concurrent, prévu aux alinéas 50(1)b) et 51(1)c), aux yeux du Comité, il est contraire à lesprit de la Loi sur la concurrence, qui consiste à protéger le processus de la concurrence et non les concurrents pris individuellement. De plus, les documents du Bureau Prix déviction : Lignes directrices pour lapplication de la Loi et les « lignes directrices sur labus de position dominante » montrent clairement que lanalyse du Bureau concerne dabord leffet probable dune conduite sur la concurrence, et non pas sur tel ou tel concurrent. Le fait de déplacer ces pratiques pour les faire entrer dans le champ de larticle 79 les assujettirait au critère de la diminution sensible de la concurrence et à la norme civile de preuve. Cela supprimerait leffet paralysant qui découle actuellement du traitement pénal de ces pratiques, puisquelles feraient dorénavant lobjet dun traitement plus approprié, cest-à-dire qui prendrait en considération les éventuels gains defficience. Pour toutes ces raisons, le Comité recommande :
Une telle modification rendrait le libellé de larticle 79 plus compatible avec la notion de puissance commerciale telle quelle a évolué au fil des interprétations judiciaires. En terminant, un mot sur les lignes directrices. Le Comité reconnaît que les actuelles lignes directrices sur labus de position dominante pourraient devoir être révisées et élargies afin de tenir compte du champ dapplication plus étendu de larticle 79. De nombreux problèmes devront peut-être être résolus, par exemple, la part de marché minimale pour lévaluation du contrôle du marché, le meilleur cadre pour analyser les cas où la discrimination par les prix et limposition verticale de prix constituent des agissements anticoncurrentiels, de même que la façon appropriée de traiter les pratiques déviction dans un contexte civil. En conséquence, le Comité recommande :
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[S]i vous inscriviez dans les dispositions en matière dabus de position dominante un pouvoir dimposer des sanctions civiles, cela maintiendrait leffet dissuasif de la Loi. Et si vous modifiiez encore les dispositions en matière dabus de position dominante en retranchant les mots « contrôlent sensiblement ou complètement », alors le critère en ce qui a trait à laspect anticoncurrentiel serait tout simplement un amoindrissement considérable de la concurrence, ce qui est le même critère que ce que vous avez déjà dans les dispositions visant les prix déviction. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:12:25]
Les sanctions pénales nous permettent dimposer des peines dincarcération dans certains cas, et on ne pourrait pas retrouver cela au civil. Il y a aussi le stigmate du casier judiciaire. On tient là un élément dissuasif qui nexiste pas du côté civil. Je ne crois pas que lon puisse vraiment comparer les amendes du côté criminel et les pénalités administratives du côté civil. Lamende vise clairement à pénaliser le comportement criminel, et la sanction administrative a plus pour objet dencourager le respect des ordonnances du Tribunal. [R.W. McCrone, Bureau de la concurrence, 64:10:30]
Les dispositions en matière dabus de position dominante auraient donc un seuil anticoncurrentiel semblable et un pouvoir de dissuasion semblable, sous forme damende administrative, à ce que renferme à lheure actuelle la disposition pénale, sauf que vous nauriez pas à composer avec le fardeau de la preuve du système pénal. Voilà quelle serait [ ] la façon la plus efficace de traiter non seulement les prix déviction mais également la discrimination par les prix et les autres pratiques touchant les prix. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:12:25]
En fait, la Cour suprême du Canada nous a dit quil nous fallait un degré supérieur de puissance commerciale à cause de la présence des mots « sensiblement ou complètement ». Par conséquent, si nous éliminons cette expression, nous aurons tout simplement lexigence générale en matière de puissance commerciale que nous avons dans le contexte de toutes les autres dispositions de la Loi qui renferment ce critère de réduction sensible de la concurrence, ce qui est un plus seuil bas, et qui est le même que celui qui figure à lheure actuelle dans la disposition relative aux prix déviction. Vous ne perdriez donc rien en optant pour les dispositions en matière dabus de position dominante. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:13:00] |