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INST Rapport du Comité

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CHAPITRE 5 : LES DISPOSITIONS RELATIVES À L'ÉTABLISSEMENT
DE PRIX ANTICONCURRENTIELS

Prix d’éviction

Il y a pratique abusive lorsqu’une entreprise abaisse ses prix ou accroît sa production ou sa capacité temporairement à la seule fin de décourager de nouveaux concurrents de s’implanter sur le marché ou d’évincer ou de pénaliser des concurrents. Dans les trois cas, le prédateur encourt des pertes temporaires qu’il compte bien, au minimum, récupérer en augmentant ses prix plus tard et en élargissant sa part du marché. La plupart des économistes estiment que ce type de pratique était extrêmement rare avant les années 80, parce qu’ils considèrent que les obstacles à l’entrée sur la plupart des marchés étaient faibles. Par conséquent, l’accès au marché étant facile, il aurait été d’après eux difficile à une entreprise d’imposer les prix élevés nécessaires pour compenser les pertes subies. En outre, cette tactique est très coûteuse parce que la « proie » sait fort bien que le prédateur paie cher le financement de ses pertes. En fait, la perspective de gains futurs peut suffire à convaincre une proie d’essayer de tenir le coup (là où les marchés financiers fonctionnent bien), ne serait-ce que pour profiter de l’éventualité où le prédateur lui ferait une offre d’achat. Ce n’est que dans le cas, extrêmement rare, où le prédateur peut plus facilement que la proie se procurer des capitaux extérieurs qu’une campagne de prix d’éviction peut réussir. Cependant, si l’objectif fixé est de prendre le monopole sur un marché, une prise de contrôle ou une fusion seraient des solutions encore plus efficaces.

Or, des analyses économiques récentes permettent de douter de cette théorie qui a cours depuis longtemps et donnent à penser que les pratiques abusives sont en fait peut-être plus fréquentes qu’on le pensait jusqu’ici. Certains croient que cette pratique, même si elle n’est pas courante, n’a rien de rare.

La pratique de prix d’éviction est un acte criminel aux termes de l’alinéa 50(1)c) de la Loi sur la concurrence. La preuve de l’infraction repose sur plusieurs éléments. Le prédateur présumé doit exploiter une entreprise et se livrer à une politique de vente à des prix déraisonnablement bas. Les termes « politique » et « déraisonnablement bas » posent d’épineux problèmes d’interprétation. En ce qui concerne la politique, elle doit répondre à l’une des quatre conditions suivantes :

1. Elle a pour effet ou tendance de réduire sensiblement la concurrence.
2. Elle a pour effet ou tendance d’éliminer un concurrent.
3. Elle est conçue pour réduire sensiblement la concurrence.
4. Elle est conçue pour éliminer un concurrent.

On a dit au Comité que, si la définition de comportement abusif et de prix d’éviction paraît simple à première vue, ces pratiques sont, en réalité, difficiles à vérifier. En raison de la grande latitude dont jouit l’entreprise dans l’établissement des prix de ses services (dans les cas où le coût marginal peut tendre vers zéro), il est extrêmement difficile de distinguer le prix d’éviction d’une concurrence vigoureuse au niveau des prix. Dans le cas des biens périssables dont le coût marginal est souvent très proche de zéro, la vente à des prix situés en-deçà du coût de revient est parfaitement légitime.

En réalité, la pensée moderne conteste même l’utilisation du concept du coût marginal, difficile à définir, pour déterminer l’existence de prix d’éviction. On a présenté au Comité l’exemple d’Amazon.com. Cette société qui a été fondée en 1995 n’a encore jamais établi un prix supérieur à ses coûts, mais elle ne pratique pas de prix d’éviction. Grâce à ses faibles prix, elle investit dans une part de marché future sous le couvert de l’avant-gardisme. L’établissement de prix présente donc un aspect temporel dont on ne tient peut-être pas suffisamment compte dans les critères de coût actuels dont on se sert pour déterminer l’existence de prix d’éviction.

Cet exemple de prix inférieurs aux coûts qui ne constituent pas des prix d’éviction a été élargi à des produits simples comme les rasoirs et les lames de rasoirs ou d’autres produits complémentaires. Apparemment, la vente de rasoirs à un prix inférieur à la mesure comptable de leur coût peut être financièrement logique si elle fait grimper les ventes de lames et finit ainsi par accroître les bénéfices de l’entreprise. Dans un tel cas, ce qu’il importe de comparer au prix courant, c’est ceci : le coût variable moyen moins la valeur actualisée de l’augmentation future prévue de la marge unitaire brute attribuable à la politique de faible prix. Est-il nécessaire de préciser que, lorsque les enquêteurs auront finalement obtenu cette dernière information, la « proie » aura déjà jeté la serviette. On voit donc que la théorie économique laisse quelque peu à désirer si l’on veut s’en servir comme guide pour les fins de l’application de la Loi en matière de prix d’éviction.

Le rapport VanDuzer dénotait un certain scepticisme à l’égard tant du cadre juridique que de ses fondements économiques :


L’élaboration de règles pour traiter avec efficacité les plaintes faisant état de prix d’éviction constitue le problème le plus épineux relié aux pratiques anticoncurrentielles en matière de prix. Les effets de ces pratiques peuvent être dévastateurs, mais ils sont extrêmement difficiles à distinguer des effets d’une concurrence vigoureuse, même si d’importantes ressources y sont consacrées. Une chose semble claire : la disposition pénale en vigueur présente de graves lacunes en tant qu’instrument offrant une mesure corrective lorsqu’il y a pratique d’éviction18.

 

 

 

Je félicite également le Comité d’avoir pris l’initiative de […] modifier les articles 50, 61 et 75, qui appellent des changements depuis longtemps. [Donald McFetridge, Université Carleton 59:10:00]

















À l’article 50, on ne trouve que les mots vagues « à des prix déraisonnablement bas », difficiles à interpréter du fait de l’absence de jurisprudence. [Douglas West, Université de l’Alberta, 59:10:40]




[…] des prix d’éviction [ …] Toutes les poursuites au Canada ont échoué parce que le coût n’est pas correctement défini. [Robert Russell, Borden, Ladner & Gervais, 59:10:35]




















[L]e Tribunal traite de la question générique des coûts évitables : ce qu’est un coût évitable, les questions d’opportunité de coût évitable, le moment où un coût devient évitable et quels revenus doivent intervenir dans la détermination. [Douglas West, Université de l’Alberta, 59:11:40]

[N]ous créons des pénalités, et tout l’objet de l’application est de décourager les gens de faire de vilaines choses […] Quelques bonnes décisions en matière de prix prédateurs, peu importe le temps qu’auront demandé les affaires, créeraient peut-être les bons incitatifs en vue de la position d’application de la loi que nous voulons avoir à l’égard des prix prédateurs. Nous n’avons pas besoin des pouvoirs de réglementation du commissaire pour réussir cela. [Roger Ware, Université Queen’s, 59:12:15]


18 J. Anthony VanDuzer et Gilles Paquet, op. cit., p. 87.

 

Un consensus d’experts du droit de la concurrence appuie la solution proposée dans le rapport VanDuzer :

 

On peut résoudre ces problèmes, entre autres en considérant la pratique d’éviction dans le cadre de l’article 79. Comme le préconise l’analyse économique […] en vertu de l’article 79, la puissance commerciale constitue un seuil pour l’obtention d’une mesure corrective. La disposition sur l’abus réduit le fardeau de la preuve en matière civile, qui peut être important compte tenu de la nature intrinsèquement contestable des allégations de prix d’éviction19.

 


19 Ibid., p. 87-88.

 

Le rapport VanDuzer fait état d’autres avantages qu’il pourrait y avoir à assujettir l’interdiction à l’application de l’article 79 :

 

Par ailleurs, elle exige une évaluation de l’effet sur le commerce. Le Tribunal serait en mesure de déterminer si, non seulement, il existait une possibilité de récupération au moyen de prix supraconcurrentiels, mais également d’examiner les effets du comportement prédateur sur la dynamique de la concurrence sur le marché qui est le siège de la pratique d’éviction. Ces effets incluraient la disparition de certains concurrents et leurs perspectives de retour sur le marché. Le Tribunal pourrait déterminer dans quelle mesure il était adéquat de tenir compte de considérations non basées sur l’efficience, notamment s’il était équitable d’éliminer intentionnellement un concurrent en pratiquant des bas prix.


La disposition relative à l’abus permettrait également de tenir compte de conditions particulières sur le marché, y compris les facteurs analysés relativement à la nouvelle économie […] Même dans un marché caractérisé par des niveaux élevés d’innovation, la baisse des coûts et des effets de réseau, une stratégie de bas prix ayant éliminé un concurrent pourrait être jugée favorable à la concurrence, lorsqu’elle faisait partie d’une stratégie plus générale visant à introduire une nouvelle technologie meilleure, et que toute position dominante en résultant ne pouvait qu’être de courte durée compte tenu des innovations futures20.

 

Je ne [suis] pas favorable a un processus de dissuasion axé sur de fortes pénalités, car, au contraire d’une situation de cartel, caractérisée de façon inhérente par de mauvais comportements, une concurrence agressive en matière de prix est en règle générale une bonne chose. Vous êtes engagé sur une piste plus solide […] où vous envisagez un traitement plus raffiné de la prédation dans le contexte des dispositions de la loi en matière d’abus de position dominante, car il s’agit réellement d’une catégorie à l’intérieur de ce type de monopolisation. [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:12:15]

20 Ibid, p. 88.

 

 

Toutefois, le commissaire à la concurrence, l’Association du Barreau canadien et un certain nombre d’autres intervenants s’opposent à ce projet de changement, car ils estiment que le caractère pénal de la disposition décourage davantage les agissements anticoncurrentiels; ils privilégient l’augmentation des ressources consacrées à l’exécution de la Loi. Selon eux, il demeure préférable de disposer de deux niveaux de protection contre les prix d’éviction (l’alinéa 50(1)c) et l’article 79).

Le Comité a des réserves quant à cette position, parce que la jurisprudence n’atteste pas suffisamment l’effet dissuasif de l’alinéa 50(1)c). Le Comité ne peut pas simplement faire fi du fait que les dispositions de la Loi relatives aux prix d’éviction manquent d’efficacité et ne sont pratiquement pas utilisées puisqu’elles ont donné lieu à seulement deux cas contestés (les deux vieux de plus de 20 ans). Qui plus est, le Comité n’est pas convaincu qu’un tribunal soit l’endroit approprié où effectuer l’analyse économique compliquée nécessaire pour établir une distinction entre un prix d’éviction et un prix dynamique favorable à la concurrence; le Tribunal de la concurrence semble être mieux placé pour juger ce comportement. Quoi qu’il en soit, un consensus se dégage quant à l’utilisation de la disposition relative à l’abus de position commerciale dominante comme moyen de saisir les autorités juridiques d’une affaire d’établissement de prix d’éviction — une disposition selon laquelle le suspect est en position de force sur le marché et la pratique en question empêcherait ou amoindrirait substantiellement la concurrence. C’est pourquoi le Comité recommande :

21. Que le gouvernement du Canada abroge les alinéas 50(1)b) et 50(1)c) de la Loi sur la concurrence et modifie cette dernière pour que l’établissement de prix d’éviction fasse partie des agissements anticoncurrentiels visés par les dispositions sur l’abus de position dominante (article 79).

Maintien des prix

Il y a maintien des prix lorsqu’une entreprise essaie d’établir ou de faire monter un prix minimum auquel une autre entreprise située en aval de la chaîne de distribution peut vendre son produit. Toutes les entreprises ne pratiquent pas le maintien du prix de revente, mais c’est une des pratiques restrictives les plus répandues sur le marché. Le maintien des prix de revente peut se faire verticalement, c’est-à-dire entre un grossiste et un détaillant qui revend les produits du fournisseur, ou horizontalement, c’est-à-dire entre concurrents qui conviennent d’imposer un prix de vente aux revendeurs de leurs produits.

Depuis 1951, suite aux recommandations de la Commission MacQuarrie, le maintien des prix est un acte criminel aux termes de l’article 61 de la Loi. Il est donc illégal pour toute personne qui exploite une entreprise de « tenter de faire monter ou d’empêcher qu’on ne réduise » le prix auquel une personne exploitant une entreprise vend le produit en question « par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen semblable ». En 1960, on a modifié la Loi pour y ajouter les moyens de défense actuels visant l’infraction connexe qui consiste à refuser d’approvisionner un client en raison de sa politique de bas prix. Le paragraphe 61(10) prévoit les quatre moyens de défense suivants :

sacrifier les produits à des fins de publicité (la « défense relative aux produits d’appel »);
utiliser les produits fournis non pas dans le but de les vendre avec profit, mais dans celui d’inciter les clients à acheter les produits d’un concurrent (la « défense relative à la publicité-leurre »);
faire de la publicité trompeuse relativement aux produits fournis;
ne pas assurer la qualité de service auquel les acheteurs pouvaient raisonnablement s’attendre (la « défense relative au niveau de service »

En revanche, les demandes, discussions, pressions morales ou suggestions en ce sens sont considérées comme assimilables à l’établissement d’un prix courant proposé et sont autorisées (paragraphe 61(3)). De la même façon, en vertu du paragraphe 61(4), si le prix suggéré apparaît dans une publicité, il doit être exprimé de façon à préciser à quiconque prend connaissance de la publicité que le produit peut être vendu à un prix inférieur; sinon, on dira du fournisseur qu’il a tenté de faire monter le prix.

Le Comité trouve plus convaincants les facteurs économiques qui militent en faveur de l’interdiction du maintien des prix à caractère horizontal. Lorsque des fournisseurs s’entendent pour fixer les prix de revente de leurs produits, cela interdit toute concurrence entre les concurrents situés en aval. Lorsque le prix de revente est le plus visible des deux, le maintien de ce prix peut faciliter la collusion entre fournisseurs. En soustrayant les marges bénéficiaires du niveau de détail et du niveau de gros du prix de détail minimum fixé, les fabricants fixent en fait eux-mêmes le prix de revente de leur produit. On a signalé par ailleurs au Comité que le maintien des prix de revente pouvait faciliter le fonctionnement d’un cartel de détaillants. Cela aurait longtemps été le cas des détaillants de produits pharmaceutiques; les pharmacies obligeant les fabricants dont elles vendaient les produits à imposer un prix de revente.

Le caractère anticoncurrentiel du maintien des prix dans l’axe vertical est moins évident. L’exemple classique d’un tel maintien des prix est celui du fournisseur qui demande à quelqu’un à qui il vend ses produits, un détaillant, mais peut-être aussi un grossiste, de maintenir ses prix à un niveau particulier, de manière à encourager ce détaillant ou ce grossiste à attaquer la concurrence autrement que par les prix. Une marge de détail accrue encouragerait donc le détaillant à offrir un service de grande qualité au client ou à s’assurer que l’image de marque associée au produit est maintenue et n’est en aucune façon souillée.

Du point de vue du consommateur, le maintien vertical des prix se traduit par une augmentation des services, ce qui est à son avantage, mais aussi par des prix plus élevés, non avantageux pour le consommateur. Le Comité s’est laissé dire que, dans l’ensemble, la décision concernant la façon de commercialiser un produit et de concevoir un système de distribution devrait être laissée au fabricant. Interdire de fixer le prix de revente en invoquant la règle de l’illégalité en soi revient en fait à réglementer les décisions du fabricant quant à l’optimisation de la vente de ses produits. Par analogie, nous n’interdisons pas légalement de faire beaucoup de publicité, même lorsque la publicité pousse les prix à la hausse, et, pour la même raison, nous ne devrions pas interdire le maintien vertical des prix en invoquant la règle de l’illégalité en soi. Donc, dans la mesure où le maintien des prix peut se justifier pour des raisons d’efficience, l’interdiction prévue par la Loi, qui en fait un acte criminel en soi, englobe probablement trop de cas.

Le même thème est revenu chez tous les témoins, sauf les représentants du Bureau, qui ont commenté le maintien des prix : il y aurait lieu de décriminaliser le maintien vertical des prix et d’assujettir le maintien horizontal des prix à la disposition sur les complots. Un taux de réussite plus élevé des poursuites en vertu de la règle de l’illégalité en soi est la seule raison que le Bureau, seul dissident, a invoquée pour ne pas se ranger à l’avis des experts. Le Comité tient cependant à rappeler à tous que la politique de la concurrence n’a rien à voir avec le fait de perdre ou de gagner une cause; elle consiste à concevoir un cadre à l’intérieur duquel un secteur des affaires efficace peut fournir produits et services à des prix concurrentiels. En outre, le Comité considère que la société n’aurait pas avantage à courir le risque d’obtenir des condamnations, aux termes des dispositions pénales de la Loi, qui auraient par ailleurs un « effet paralysant » dans les cas où le maintien vertical des prix serait bénéfique pour la concurrence, lorsque les dispositions civiles offrent une approche plus raisonnable et promettent de meilleurs résultats. De l’avis des experts de la concurrence, s’il y a décriminalisation du maintien vertical des prix, il serait préférable que celui-ci relève plutôt de la disposition relative à l’abus de position dominante (article 79). Ainsi, le traitement réservé par la Loi au maintien vertical des prix cadrerait mieux avec la pensée économique contemporaine.

Le Comité croit savoir qu’un examen en vertu de l’article 79 comporterait deux avantages : la pratique ferait l’objet d’une audience en bonne et due forme sur l’incidence économique qu’elle pourrait de toute évidence avoir et le fardeau de la preuve serait moins lourd (ce ne serait plus « hors de tout doute raisonnable », mais selon la « prépondérance des probabilités »). Il y a une autre différence, qui pourrait consister en un avantage ou en un inconvénient selon le point de vue de chacun, et c’est que l’article 79 exigera une évaluation de la puissance commerciale de l’entreprise pratiquant le maintien des prix. Selon le rapport VanDuzer, le critère de la puissance commerciale comporterait des avantages, car on peut facilement cerner les facteurs économiques qui permettent de faire une distinction entre les pratiques de maintien des prix qui stimulent la concurrence et celles qui l’entravent. Les auteurs du rapport VanDuzer énumèrent trois facteurs économiques relatifs au maintien vertical des prix anticoncurrentiels, à savoir :

1.  La personne qui met en œuvre le maintien des prix (le « fournisseur ») est en position de force sur le marché, ce qui donne à entendre que les clients pourraient être dans l’incapacité de changer de fournisseur.
2.  Le fournisseur ne fonde pas ses activités sur l’efficience, à savoir le désir de donner un meilleur service ou d’empêcher des pratiques qui nuiraient à la marque, telles que la vente à perte ou la publicité trompeuse.
3.  Le fournisseur a été poussé à mettre en œuvre le maintien des prix en ce qui a trait à un client par un autre client qui lui fait concurrence21.
 



[C]ette idée d’essayer d’apporter des changements aux dispositions en matière de prix d’éviction et de verser cela du côté civil […] Je pense qu’il est important d’envisager la possibilité de créer un nouvel article traitant de prix d’éviction, mais pas forcément en empruntant le libellé actuel de la disposition en matière d’abus de position dominante [Douglas West, Université de l’Alberta, 59:12:40]

 

 

 

 

 

Dans le cas du maintien vertical des prix, l’exemple typique serait le suivant. Prenons l’industrie électronique. On peut s’asseoir, aller dans une salle d’écoute et essayer toutes sortes de haut-parleurs différents. On peut faire l’essai de différents lecteurs de disques compacts. On peut vraiment apprécier les différences sur le plan de la qualité. Mais l’aménagement d’une telle salle d’écoute coûte cher. Si quelqu’un décidait de profiter de la situation et de s’installer tout près ou quelques rues plus loin et de vendre exactement les mêmes produits, mais à un prix beaucoup moins élevé, le magasin qui fournit le service ne pourrait plus continuer à en faire bénéficier le consommateur. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 65:12:30]















Le maintien des prix de revente a un effet favorable sur la concurrence, parce qu’il assure aux fournisseurs une marge grâce à laquelle ils peuvent investir dans la prestation de services, faire augmenter la demande d’un produit […] L’augmentation de la demande est productrice de richesses pour l’économie en général. C’est en ce sens que c’est bon pour la concurrence. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 65:12:30]






















Si deux entreprises étaient situées à un niveau différent le long de la chaîne de distribution, prenons le cas d’un fabricant et d’un distributeur, qu’arriverait-il si le fabricant était propriétaire de l’entreprise de distribution? Ils pourraient décider des conditions de vente du produit, y compris le prix, la qualité du personnel de vente et les qualifications exigées. Le fabricant pourrait décider de tout et pourrait même choisir l’éclairage du magasin. Et nous ne trouverions pas que cela va à l’encontre de la concurrence. Pourquoi la situation serait-elle différente si Sony essayait de faire la même chose avec une entreprise indépendante? [Roger Ware, Université Queen’s, 65:12:30]














Prenons le maintien des prix. La loi est très stricte ici. Il n’est pas nécessaire qu’un accord ait été conclu. Le fait qu’un accord doive avoir été conclu selon la loi américaine fait intervenir ce qu’on appelle la doctrine Colgate : ils peuvent vendre unilatéralement, vous ne pouvez pas vendre mon produit à un prix moindre, vous ne pouvez pas avoir un accord […] Alors même que cela serait illégal au Canada, il arrive souvent qu’il y ait maintien des prix aux États-Unis. C’est une question juridique qui se pose sans cesse, parce que la loi est différente ici. [Robert Russell, Borden, Ladner & Gervais, 65:11:15]












 

[L]a disposition sur l’imposition de prix qui traite de ce genre d’entente verticale sur les prix. C’est un article qui nous est très utile. [R. W. McCrone, Bureau de la concurrence, 64:09:40]


21 Ibid., p. 18-19.

 

En revanche, les auteurs du rapport VanDuzer ne sont pas certains que le critère de la puissance commerciale selon l’article 79 convienne dans le cas du maintien vertical des prix.

Le Comité accepte tous les arguments mentionnés ci-dessus. Nous croyons que lorsqu’il est possible de moderniser la Loi pour mieux refléter la pensée économique conventionnelle, soit dans ce cas-ci faire une distinction entre les effets défavorables et favorables sur la concurrence du maintien vertical des prix, il faudrait le faire. Étant donné les modifications que nous avons recommandées d’apporter à l’article 79 (chapitre 6), l’adoucissement de la Loi pour ce qui est du maintien vertical des prix devrait atténuer « l’effet paralysant » dans les cas où la pratique a un effet favorable sur la concurrence. Le Comité recommande donc :

22.   Que le gouvernement du Canada abroge la disposition sur le maintien des prix (article 61) de la Loi sur la concurrence. Pour établir une distinction entre les pratiques qui sont anticoncurrencielles et celles qui sont sans importance à cet égard ou pro-concurrencielles, que le gouvernement du Canada modifie la Loi sur la concurrence : 1) en insérant dans la disposition sur le complot (article 45) les pratiques de maintien des prix entre concurrents (sur l’axe horizontal), qu’il s’agisse de fabricants ou de distributeurs; et 2) en prévoyant que les ententes de maintien des prix entre fabricants et distributeurs (sur l’axe vertical) fassent l’objet d’un examen aux termes de la disposition sur l’abus de position dominante (article 79).

Discrimination par les prix

Il y a discrimination par les prix lorsqu’un fournisseur de biens ou de services vend le même produit à des prix différents à différents consommateurs (qu’il s’agisse d’autres entreprises ou de consommateurs finals) à moins que cette différence de prix ne corresponde précisément aux coûts engagés pour servir les diverses catégories de consommateurs. Pour qu’on puisse parler de discrimination par les prix, trois conditions doivent être réunies : 1) l’entreprise doit avoir la puissance commerciale qui lui permet de fixer les prix (autrement, les consommateurs peuvent choisir d’acheter auprès d’un concurrent); 2) l’entreprise doit pouvoir cerner différentes catégories de clients ayant différents niveaux de sensibilité aux prix; et 3) les consommateurs doivent difficilement pouvoir faire de la revente entre eux (autrement, ils procéderont par arbitrage pour se procurer le produit au meilleur prix).

La discrimination par les prix constitue un acte criminel qui ne vise, aux termes de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur la concurrence, que la « vente » d’« articles » et, en vertu de l’article 51 de la même loi, que les remises à des fins de réclame ou de publicité. Ces dispositions ont été adoptées en 1935 suite aux craintes manifestées par les petites entreprises, surtout des épiceries, devant l’émergence des grandes surfaces et des chaînes de magasins et suite au Rapport de la Commission royale d’enquête sur les écarts de prix. Parce que l’alinéa 50(1)a) ne s’applique qu’à la « vente d’articles », les baux et services ne sont pas couverts. Si les acheteurs n’exercent pas leurs activités sur le même marché, par exemple si l’un est un consommateur final et l’autre une entreprise, aucune infraction n’est commise. Les ristournes ou les remises en fonction du volume ou de la quantité sont exemptées. Il doit y avoir connaissance de chaque élément de l’infraction. Le fournisseur doit savoir que la vente est discriminatoire. Selon l’article 51, la discrimination pour un motif autre que le prix (p. ex., l’accès différencié à des remises promotionnelles) constitue dans certains cas une infraction criminelle.

Bien que la discrimination par les prix signifie par définition traiter des particuliers ou des groupes de consommateurs de façon différente et puisse en désavantager certains lorsque le produit est un facteur de production, elle n’entre pas en soi dans les agissements anticoncurrentiels. En fait, elle peut souvent répondre à des impératifs concurrentiels lorsqu’il s’agit de demander des prix différents à différents consommateurs, lorsque des coûts différents sont engagés pour les servir (tout comme les ristournes consenties en fonction du volume et de la quantité, qui supposent des coûts différents et qui ne sont donc pas en soi anticoncurrentielles). La discrimination par les prix peut également générer des ventes supplémentaires, par exemple, à des enfants et à des personnes âgées qui n’achèteraient pas le produit autrement. Dans la mesure où la consommation de biens ou de services augmente, on estime promouvoir l’efficience économique.

La discrimination par les prix est une pratique courante. Par exemple, une banque qui offre aux étudiants des services bancaires gratuits pour s’attacher leur loyauté pratique la discrimination par les prix. De nombreuses techniques hors-prix ayant des objectifs similaires à la discrimination par les prix peuvent être utilisées pour instaurer une discrimination entre les consommateurs. Les ventes liées et les politiques de fixation des prix à plusieurs paliers en sont deux exemples classiques. La technique des ventes liées est expliquée en ces termes dans le rapport VanDuzer :

À un moment donné, IBM avait le monopole de certains types de matériel mécanographique. Différents clients ont formulé sur le matériel d’IBM une opinion qui variait considérablement, selon qu’ils l’avaient utilisé plus ou moins intensément. Toutefois, au lieu d’avoir recours à la discrimination par les prix pour obtenir le prix maximum que chaque client était prêt à payer, IBM a contraint les clients à lui acheter des cartes perforées et, en facturant ces cartes à un prix supérieur à leur coût, IBM a réussi à pratiquer la discrimination entre ses clients en fonction de l’intensité d’utilisation du matériel. La réservation à période fixe et le groupage des produits sont d’autres exemples d’exigences hors-prix imposées par les vendeurs qui réussissent ainsi à exercer une véritable discrimination par les prix22.

 

 

Je ne suis pas du tout d’accord avec le fait qu’il doit y avoir interdiction au pénal, surtout lorsqu’il n’est pas nécessaire de prouver que cela a eu un effet défavorable sur la concurrence. Il doit y avoir présomption et il y a biens des cas dans lesquels c’est avantageux pour la concurrence. Sur l’axe vertical, il est question non pas du contrôle du prix d’un produit par tous les concurrents, mais bien peut-être du contrôle du prix et du positionnement du produit d’un fournisseur qui sera discipliné par les autres parties sur le marché si en fait elles n’occupent pas une position dominante. [Tim Kennish, Osler, Hoskin & Harcourt, 65:12:35]

[…] dans le domaine des pratiques de tarification. Vous avez bénéficié du rapport détaillé du professeur VanDuzer, qui a fait ressortir que certaines de ces règles sont devenues économiquement un peu désuètes. [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:11:25]




Je vous encouragerais, […] la décriminalisation des pratiques de prix. […] ces lois sont dépassées et ne collent pas avec une saine politique économique. [Neil Campbell, McMillan Binch, 59:12:40]






[Il y a] la nécessité de réformer les dispositions pénales alambiquées de la loi — pas seulement l’article 45, mais beaucoup d’autres dispositions touchant à la tarification, notamment les prix d’éviction, les prix discriminatoires et les prix imposés. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:11:15]




Pour ce qui est de la collusion, cela devrait être couvert par le nouvel article 45. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 59:12:25]



Si je vous disais que je suis prêt à aller chercher le produit chez vous, à l’entreposer ou à faire quoi que ce soit d’autre pour vous économiser de l’argent si vous êtes prêt à conclure un marché avec moi, je me demande si vous m’accorderiez une remise en reconnaissance de cette initiative favorable à la concurrence. C’est peut-être simplement que je suis un meilleur négociateur, que je ferai quelque chose pour vous sur un marché différent, que j’achèterai un plus grand nombre de vos produits si vous m’accordez un plus gros escompte. En fait, l’infraction criminelle a un effet paralysant sur le processus de négociation. Vous commettriez une infraction criminelle en m’accordant un plus gros escompte. Donc, tout le processus concurrentiel qu’on peut normalement observer entre le fournisseur et le client s’en trouverait paralysé. [Paul Crampton, Davies, Ward, Phillips & Vineberg, 65:12:30]


Un de nos grands points faibles, c’est que la discrimination par les prix est permise aux États-Unis alors qu’elle ne l’est pas au Canada. Ainsi, un produit coûte moins cher à un magasin, par exemple, s’il en achète 100 au lieu de deux. Notre loi est tout à fait arbitraire. Il est possible de faire une distinction entre un et deux ou entre un et 5 000 — peu importe le nombre — et de fixer son prix en conséquence. C’est la loi au Canada. Un fabricant n’a pas à se justifier en faisant valoir ses coûts. Aux États-Unis, il ne peut pas y avoir discrimination à moins qu’elle soit justifiée. [Robert Russell, Borden, Ladner & Gervais, 65:11:15]


22 Ibid., p. 7-8.

 

Voici quelques exemples de techniques de fixation de prix à plusieurs paliers à caractère de discrimination par les prix : 1) les tarifs de taxi qui incluent un montant forfaitaire au départ et des frais pour la distance parcourue ou la durée; 2)  l’établissement de prix pour les journaux, les magazines, la radio et la télévision lorsqu’il y a deux sources de revenu —- les annonceurs et les abonnés; 3) les droits d’entrée dans les champs de foire et les frais d’utilisation des manèges; 4) les prix d’entrée dans les bars et clubs de nuit qui viennent s’ajouter au prix des consommations; 5) les droits d’immatriculation des automobiles et les taxes sur l’essence; 6) de même que les coûts d’étalage exigés par les détaillants en plus de la majoration du prix de vente au détail23.

23 La plupart des politiques de fixation de prix à paliers multiples sont à deux paliers, puisqu’elles ne comportent que deux sources de revenu.

 

Voici la conclusion à laquelle en sont arrivés les auteurs du rapport VanDuzer :

 

Nul doute que l’actuelle disposition pénale sur la discrimination par les prix ne traite pas de façon adéquate cette problématique. L’analyse économique […] conclut que dans de nombreux cas, la discrimination par les prix n’est pas anticoncurrentielle. La possibilité que la discrimination par les prix ait un effet anticoncurrentiel dépendra des circonstances propres à chaque cas. En vertu de la disposition en vigueur, l’exercice de la puissance commerciale n’est pas précisé comme condition préalable à la véritable discrimination que peut exercer un fournisseur et aucune évaluation de l’effet de la discrimination sur la concurrence n’est requise. À cet égard, la disposition est trop englobante. Par ailleurs, en n’incluant pas la discrimination dans les services et dans les formes de transaction autres que les ventes, la disposition exclut d’importants domaines d’activité économique du marché actuel. Sous sa forme actuelle, la disposition pénale sur la discrimination par les prix ne s’avère donc pas un outil précis pour faire échec aux comportements anticoncurrentiels et impose des coûts excessifs aux entreprises reliés à la conformité et à la surveillance. Comme la discrimination par les prix est une infraction pénale, cet effet paralysant se trouve amplifié24.

 

 

Quantité de questions restent encore en suspens, notamment celle de savoir si les dispositions touchant les prix d'éviction et discriminatoires, par exemple, devraient être dépénalisées. C'est un débat qui dure depuis des années, et l’on s'interroge également sur la portée à donner à la disposition sur l’abus de position dominante, entre autres. [Calvin Goldman, Davies, Ward & Beck, 59:10:50]

24 J. Anthony VanDuzer et Gilles Paquet, op. cit. p. 80.

 

Le rapport VanDuzer renferme d’impérieux arguments en faveur de la décriminalisation de la discrimination par les prix et un consensus s’est établi entre les experts de la concurrence. Le Comité recommande donc :

23.  Que le gouvernement du Canada abroge les dispositions sur la discrimination par les prix (alinéa 50(1)a) et article 51) de la Loi sur la concurrence pour les intégrer à l’article sur l’abus de position dominante (article 79). Ces dispositions devraient régir tous les types de produits, dont les articles et les services, et tous les types d’opérations, pas seulement les ventes.