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FAAE Rapport du Comité

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RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS DANS L’ALENA : RENDRE VIABLE UN ACCORD EN ÉTAT DE SIÈGE

Le Canada se rapproche rapidement du moment de vérité en ce qui a trait à ses relations économiques avec les États-Unis. La phase actuelle de deux décades de différends sur le bois d’œuvre résineux, connue sous le nom de Bois d’œuvre résineux IV, a montré les sérieuses failles institutionnelles du mécanisme de règlement des différends établi au chapitre 19 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Elle a également révélé le haut niveau d’antipathie des Américains à l’égard du chapitre 19, mettant en jeu l’accès des Canadiens au marché américain assuré par l’ALENA.

Les dispositions du chapitre 19 devraient normalement assurer l’application appropriée des lois de chaque pays sur les recours commerciaux suivant les voies régulières de droit, conformément aux principales décisions prises par des groupes spéciaux de l’ALENA. Des conflits commerciaux insolubles comme celui portant sur le bois d’œuvre mettent une énorme pression sur les mécanismes de règlement des différends des accords commerciaux; car les parties sont des États souverains, en vertu de l’ALENA, si les États-Unis refusent de se conformer à une décision du groupe spécial (le groupe d’experts), le Canada peut tout au plus tenter de tirer parti de l’ALENA. Il ne peut pas obliger les États-Unis à remplir leurs obligations.

Ces lacunes du chapitre 19, à l’origine de notre rapport, ont été mises en évidence par l’affaire du bois d’œuvre résineux, mais s’appliquent également à d’autres différends. Selon le M. Elliott Feldman (Baker & Hostetler LLP), les Américains ont utilisé des manoeuvres dilatoires similaires et ont exercé des pressions semblables dans d’autres affaires, telles que celle du magnésium qu’il plaide depuis 1991. Si le gouvernement fédéral doit, selon le Sous-comité, continuer sa poursuite en justice dans le cas du bois d’œuvre résineux en vertu du chapitre 19, nous insistons sur la nécessité de retravailler les dispositions du chapitre 19, même si le Canada avait gain de cause.

Il est peu probable que les États-Unis renoncent, dans un avenir prévisible, aux règlements prévoyant des recours en matière de commerce. Il est absolument essentiel de combler les failles du chapitre 19 afin d’assurer la protection, la prospérité et, ultimement, la souveraineté du commerce canadien. Lors des négociations initiales sur l’Accord de libre-échange (ALÉ) entre le Canada et les États-Unis, le Canada exigeait à tout le moins un mécanisme binational de règlement des différends sur les droits antidumping (AD) et compensateurs; sans ce mécanisme (incluant le chapitre 19), le Canada n’aurait pas signé l’ALÉ. C’est ce mécanisme de règlement des différends de l’ALENA, dont le chapitre 19 est le plus important, qui doit normalement assurer l’accès du marché américain aux Canadiens.

Le ministre du Commerce international, Jim Peterson, a confié au Sous-comité, au début des audiences, que le gouvernement fédéral était au fait des failles du chapitre 19 :

Le premier ministre a déjà dit que le chapitre 19 de l’ALENA posait beaucoup de problèmes. Il n’y pas de fin aux contestations contre nos producteurs. Il veut essayer d’obtenir une espèce de certitude à cet égard. Nous allons essayer de régler ces choses, et les suggestions de ce comité seraient appréciées.

Concernant les lacunes du chapitre 19, et plus particulièrement la manière dont le Canada peut les régler, le Sous-comité a reçu des témoignages solides, non seulement du ministre, mais également de négociateurs commerciaux, de hauts fonctionnaires du domaine commercial, de groupements d’entreprises et de firmes d’avocats. Selon eux, cela sera difficile : tout effort visant à rendre le Chapitre 19 plus efficace devra prendre en considération la réticence au changement des Américains ainsi que le point de vue des Mexicains. Le Canada devra envisager des représailles, ce qui risque d’avoir des retombées négatives sur les groupements canadiens, dans l’éventualité où les États-Unis continuent à violer l’ALENA, notamment en refusant, si le Canada avait gain de cause aux termes du chapitre 19, de rendre les 4 milliards de dollars en droits sur le bois d’œuvre résineux.

Le Sous-comité est cependant convaincu que l’inaction est plus périlleuse que l’action. Éviter de régler le problème que présente le chapitre 19 par peur d’une confrontation avec les États-Unis reviendrait, selon nous, à subir le harcèlement incessant des Américains et une diminution sensible de notre souveraineté et de notre prospérité économique.

Selon les témoignages entendus au Sous-comité, le gouvernement fédéral n’utilise pas toujours pleinement les outils fournis par l’ALENA. D’après Carl Grenier (vice-président directeur, Clé-Bois), le gouvernement, dans sa réplique aux «  assauts à l’encontre du chapitre 19  » ne s’est pas «  montré très vindicatif, se contentant souvent d’acquiescer  ». Pour Rick Paskal (président, Canadian Cattlemen for Fair Trade) : «  Notre problème, au Canada, est que nous n’invoquons pas les règles commerciales quand nous avons la possibilité de le faire. Nous devons nous montrer plus énergiques dans la défense de nos droits commerciaux  ».

Le Sous-comité souligne que le Canada et les États-Unis ont désigné deux hauts fonctionnaires pour se pencher sur les possibilités de résolution des problèmes que pose le chapitre 19. Nous louons ces efforts, mais estimons néanmoins qu’il faut faire plus. Plus précisément, à notre avis, le moment est venu pour le Canada de faire valoir les droits prévus dans l’ALENA, un accord signé en toute bonne foi par les gouvernements du Canada, du Mexique et des États-Unis. Nous déconseillons néanmoins au Canada de crier à l’injustice et de réprimander vivement les États-Unis. Il n’est pas question ici de justice vengeresse mais de se pourvoir de la protection de l’ALENA, et de défendre les intérêts du Canada. Comme le dit si bien Simon V. Potter (partenaire, McCarthy Tétrault LLP) : «  Soyons fermes, mais nous devons le faire d’une façon qui soit ciblée et qui soit fondée sur des principes  ».

Ce rapport contient des recommandations sur les améliorations nécessaires et sur le mode de revendication du Canada. Le Sous-comité recommande tout particulièrement :

Recommandation 1 :

Que le gouvernement fédéral ne se contente pas de consultations informelles avec les États-Unis sur la question du règlement des différends commerciaux; qu’il engage activement des pourparlers officiels avec les États-Unis, mais surtout en faisant appel au chapitre 20 de l’ALENA (voir recommandation 12) jusqu’à ce que l’esprit initial du chapitre 19, et ce faisant de l’ALENA, soit respecté.

Malgré les sérieux problèmes du chapitre 19 qui doivent être réglés rapidement, notons que les relations économiques canado-américaines sont plutôt harmonieuses et que les deux pays voient leur économie renforcée par les échanges commerciaux. Comme l’a mentionné M. Potter, la frontière canado-américaine :

…est effectivement une entreprise commune. Chacun de nos deux pays est le plus important partenaire commercial de l’autre, et nous bénéficions tous deux de cette circulation facile dans les deux sens. Un pourcentage très élevé des échanges commerciaux entre nos deux pays se font pratiquement sans entrave, et nous devrions nous en réjouir.

Nous espérons donc que ce rapport contribuera de façon constructive à renforcer nos relations bilatérales.

CONTEXTE

A.        Histoire

La prospérité canadienne dépend largement des États Unis : un bon tiers de toute la production canadienne est vendue aux Américains. La stratégie canadienne vise donc à long terme à assurer l’accès à ce marché. Au cours des années 1980, les négociations de l’ALÉ ont été menées dans cette optique, avec notamment la volonté de mettre fin au harcèlement de la loi américaine prévoyant des recours en matière de commerce.

Selon le professeur Donald McRae (titulaire de la chaire Hyman Soloway du droit des affaires et du commerce de l’Université d’Ottawa), le Canada espérait obtenir, au début des négociations pour le libre-échange, une exemption complète de la loi américaine prévoyant des recours en matière de commerce; les discussions ont d’ailleurs dérapé sur cette question et n’ont pu être reprises que suite à une intervention politique faite au plus haut niveau. Toujours d’après le professeur McRae, au bout du compte : «  On pourrait même dire qu’il (le Canada) a obtenu très peu, à savoir le chapitre 19  ». Selon M. Potter : «  La solution du chapitre 19 était un compromis pour arranger les choses afin qu’un accord de libre-échange puisse être conclu  ». Comme l’a dit au Sous-comité M. Paul Perkins (vice-président, Politiques et planification, Weverhaeuser Company) : «  il est douteux que le Canada aurait signé l’ALÉ sans que les États-Unis n’acceptent un mécanisme binational de règlement des différends  ».

Bien que loin de procurer une exemption complète de la loi américaine prévoyant des recours en matière de commerce, le chapitre 19 demeure néanmoins, selon le M. Feldman : «  au coeur de l’accord de libre-échange et son aspect le plus novateur. [...] En appliquant le chapitre 19 au Mexique, cet arrangement se distingue de toute relation, traité, entente ou arrangement conclus par les États-Unis avec tout autre pays  ».

B.        En quoi consiste le chapitre 19?

L’innovation du chapitre 19 réside dans le fait que des groupes spéciaux binationaux d’experts en droit commercial s’assurent de l’application correcte, non pas des normes internationales mais des lois de chaque pays sur les recours commerciaux.

Le chapitre 19 est conçu pour régler, dans un délai raisonnable, les différends concernant les droits antidumping1 ou compensateurs2 entre les partenaires de l’ALENA. Il s’agit du mécanisme de règlement des différends le plus utilisé de l’ALENA, comptant pour 80 p. 100 de l’ensemble de ses différends commerciaux,3 incluant le différend en cours sur le bois d’œuvre résineux.

Avant l’ALÉ/ALENA, les compagnies canadiennes pouvaient porter en appel les causes d’antidumping et de droits compensateurs en passant par le système judiciaire américain ou en utilisant le mécanisme de règlement des différends de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Les règlements de différends à travers le système judiciaire américain étaient fastidieux et entachés par l’apparence de partialité des tribunaux et organismes américains, au détriment des entreprises canadiennes. Les décisions du GATT pouvaient quant à elles être bloquées, le GATT ayant beaucoup moins de pouvoir que son successeur, l’Organisation mondiale du commerce.

En vertu du chapitre 19, les causes sont entendues par des groupes spéciaux binationaux composées de spécialistes commerciaux provenant des pays impliqués dans le différend. Le mandat de ces groupes d’experts se limite à réviser l’application des lois nationales; ils ne peuvent ni créer, ni amender des lois, et leurs décisions ne peuvent servir de jurisprudence aux causes présentées ultérieurement sous le régime du chapitre 19.

Aux termes du chapitre 19, un pays peut vérifier :

 la méthode de calcul des droits antidumping et compensateurs; 
 la constatation d’un préjudice (ou la menace d’un préjudice), nécessaire à l’imposition de droits antidumping ou compensateurs; et/ou 
 si les changements aux lois nationales sont conformes aux dispositions de l’ALENA se référant aux droits antidumping et compensateurs. 

Les groupes sont habilités, soit à confirmer la détermination des droits antidumping et compensateurs ou la constatation d’un préjudice, soit à renvoyer la décision au gouvernement qui l’a prise; ce faisant, ils peuvent indiquer en quoi la détermination finale du pays est fautive et comment la corriger.

En vertu du chapitre 19, un groupe doit être sollicité dans les 30 jours suivant la détermination finale (et non préliminaire) de droits antidumping ou compensateurs, même si les États-Unis imposent des droits provisoires en se basant sur leurs décisions préliminaires; dans les faits, les entreprises concernées doivent verser des droits pendant presque une année avant que le groupe ne se penche sur leur cas.

Les groupes sont composés de cinq personnes, sélectionnées à partir d’une liste d’au moins 25 candidats pour chaque pays, qui doivent pour la plupart pratiquer ou avoir pratiqué le droit en temps qu’avocats ou juges. Chaque pays sélectionne deux membres du groupe spécial; ces quatre membres choisissent ensemble le cinquième membre. Les pays disposent de 30 jours pour choisir les quatre premiers membres du groupe spécial. Ces quatre membres ont à leur tour 25 jours pour sélectionner le cinquième membre. Chaque pays peut également s’opposer à la nomination d’un maximum de quatre membres sélectionnés par l’autre pays.

En théorie, les groupes spéciaux constitués aux termes du chapitre 19 doivent rendre leur décision finale dans les 315 jours suivant la requête. Dans la pratique, si le groupe renvoie la détermination finale, le processus peut être beaucoup plus long. Le pays devra bénéficier d’un délai raisonnable pour se conformer au renvoi et le groupe spécial doit par la suite s’assurer que la nouvelle détermination n’est pas incompatible avec la décision qu’il aura rendue. Dans le cas contraire, ce processus pourra être répété.

Au-delà de cette échéance, une décision du groupe spécial peut être portée en appel à un comité de contestation extraordinaire, mais seulement pour les causes où il est prétendu que :

 le groupe spécial a gravement ignoré des règles de procédure essentielles; 
 le groupe spécial est coupable de conflits d’intérêt ou d’autres inconduites; et/ou 
 le groupe spécial a clairement abusé de ses pouvoirs, au point de remettre en question l’intégrité du processus de vérification du groupe spécial binational. 

Les États-Unis sont les seuls à avoir convoqué un comité de contestation extraordinaire; ils l’ont fait à sept reprises, dont quatre impliquant le Canada. Aucune des contestations du groupe spécial auprès du comité extraordinaire n’a été retenue.

C.        L’utilité du chapitre 19

La mise en oeuvre des dispositions du chapitre 19 a nettement amélioré le système existant : les causes sont réglées plus rapidement et les Canadiens obtiennent de meilleurs résultats que sous le régime judiciaire américain. Selon M. Potter : «  Auparavant, environ 20 p. 100 seulement des plaintes contre le Canada faisaient l’objet d’un examen judiciaire. Lorsque le chapitre 19 est entré en vigueur, cette proportion a grimpé à 50 p. 100, et non seulement cela, mais alors qu’un tiers des 20 p. 100 des plaintes étaient réglées en faveur du Canada auparavant, environ deux tiers des 50 p. 100 des plaintes soumises au nouveau processus se sont soldées par une décision en faveur du Canada, c’est-à-dire que les droits ont été soit réduits ou complètement éliminés  ». Selon M. Grenier, de 1989 à 1994 : «  Les révisions par des groupes spéciaux binationaux étaient plus rapides, moins coûteuses et plus équitables que les appels devant le Tribunal du commerce international des États-Unis  ».

Les témoins représentant le secteur du bois d’œuvre canadien, lequel est sans doute celui qui a eu le plus de différends commerciaux avec les États-Unis, ont indiqué par la voix de M. Perkins que le Chapitre 19 était «  inappréciable pour leur secteur comme moyen de se défendre contre les attaques commerciales des Américains  ». Keith Mitchell (conseiller juridique du B.C. Lumber Trade Council) a fait remarquer que «  de nombreux plaideurs canadiens vous diront que les tribunaux américains ne sont pas amicaux à l’égard des exportateurs étrangers et qu’ils sont donc en faveur du Chapitre 19, de l’Accord de libre-échange et de son successeur. Nous estimons qu’il jette les bases du développement d’un marché continental, ce qui devait, pour les deux pays, constituer le résultat positif de l’ALENA, objectif que nous appuyons  ».

Le professeur McRae, qui a été membre d’un groupe spécial aux termes du chapitre 19, a confié au Sous-comité que le processus conserve son caractère de «  processus décisionnel collégial  » et a eu «  un effet perceptible sur le processus d’application, dans les trois pays, des dispositions législatives relatives aux droits antidumping et compensateurs  ».

D.        Réactions américaines aux succès canadiens aux termes du chapitre 19

Les Américains ont pris note des succès canadiens relatifs aux dispositions du chapitre 19. Selon le M. Feldman : «  Les intérêts privés américains croient qu’ils seraient mieux servis par les tribunaux américains  ». C’est pourquoi, toujours selon lui, «  les compagnies privées américaines estiment qu’elles auraient pu obtenir davantage devant des tribunaux américains  ». Il en résulte que «  Les États-Unis ont refusé de négocier quoi que ce soit de similaire avec quelque autre partenaire, et regrettent de l’avoir négocié avec le Canada et appliqué au Mexique. [Ils] désirent donc éliminer le chapitre 19, ce qu’ils tentent de faire depuis dix ans  ». De plus, selon M. Perkins, l’importance du chapitre 19 dans l’ALENA signifie qu’une attaque du chapitre revient à attaquer l’ALENA lui-même.

Des témoignages font état des tentatives répétées des États-Unis au cours des 10 dernières années pour saper les fondements du chapitre 19, en appliquant, selon M. Grenier, une politique de la «  terre brûlée  ». En vertu du chapitre 19 selon le M. Feldman, le Canada peut négocier d’égal à égal avec les États-Unis, en tant qu’État souverain, même si «  Pour leur part, les États-Unis continuent de saisir chaque occasion de diminuer l’indépendance économique et politique du Canada et comprennent bien les obstacles que le chapitre 19 représente  ».

Les pressions protectionnistes américaines ont aussi leur rôle à jouer. Concernant la Commission canadienne du blé, Victor Jarjour (vice-président, Planification stratégique et politique générale, Commission canadienne du blé) a confié au Sous-comité que les différends commerciaux canado-américains «  se fondent sur un sentiment protectionniste et ont une motivation politique. Ils reflètent un manque d’esprit de libre-échange, en particulier au sein de certains groupes essentiellement basés dans le Dakota du Nord, qui veillent à ce que leurs politiciens fassent leur carrière en défendant les intérêts protectionnistes  ».

Des témoignages présentés au Sous-comité font état des différentes tactiques américaines visant à saper et à retarder les travaux et les décisions des groupes spéciaux, en accroissant le temps consacré aux procédures par le gouvernement et les entreprises canadiennes et en réduisant les effets positifs des victoires juridiques. Il en est résulté des pressions accrues sur les Canadiens afin de les faire céder aux demandes américaines. Selon M. Grenier, les États-Unis «  avaient adopté une stratégie cohérente à long terme en vue de limiter l’impact de ces victoires et d’empêcher qu’elles ne se reproduisent ou ne se poursuivent  ». D’après lui, dans le cadre de l’ALÉ, les États-Unis s’attaquent à la substance du chapitre 19, cherchant notamment à obtenir :

…une reconnaissance accrue de la compétence des agences; des critères juridiques moins rigoureux pour la détermination des produits subventionnés et la perception de droits compensateurs à cet égard; et une compétence restreinte pour les groupes spéciaux binationaux, notamment en limitant la portée des décisions au seul cas en litige, sans application pour un examen administratif découlant d’une enquête ni un examen administratif subséquent. Ces restrictions visaient à obliger le Canada a porté en justice à plusieurs reprises les mêmes programmes, souvent au sujet des mêmes produits, sans égard aux décisions finales rendues par les groupes spéciaux ou dans les cas de renvoi.

Selon M. Grenier : «  Depuis que le chapitre 19 a été reconduit dans le cadre de l’ALENA, soit depuis 1995, les États-Unis ont redoublé d’efforts et d’ingéniosité pour récupérer ce qu’ils regrettent avoir consenti, même à titre de compromis  ». Pour ce faire :

 Ils ont tenté de détruire le chapitre 19 par les voies institutionnelles. Le secrétariat est privé des ressources financières suffisantes; 
 Les membres des groupes spéciaux sont sous-payés et doivent attendre pour recevoir les sommes qui leur sont dues; 
 On a renoncé à nommer des experts du commerce international au sein de ces groupes spéciaux; 
 On a politisé les groupes spéciaux en exigeant l’approbation du Congrès pour la constitution des listes de candidats possibles; 
 Les règles applicables aux contestations extraordinaires ont été modifiées.  
 On s’en est pris directement aux normes d’examen; 
 L’intégrité des membres canadiens et américains des groupes spéciaux a été mise en doute; 
 On a fait fi des règles et des échéanciers applicables à la composition des groupes spéciaux et à la dotation des postes vacants; 
 On a abusé des contestations préventives; (et) 
 Les lois commerciales ont été révisées  ». 

Ainsi on assiste, selon M. Potter, à un retour de «  la perception de partialité et de lenteur du processus  » à l’origine du chapitre 19. Bien que le Canada voie ses acquis continuellement remis en question, le chapitre 19 continue néanmoins à avoir un impact positif, notamment le fait que «  nos organismes administratifs des deux côtés de la frontière font un meilleur travail pour ce qui est d’expliquer ce qu’ils font et de faire preuve de transparence  ».

S’ATTAQUER AUX LACUNES DU CHAPITRE 19

Nous avons observé une remarquable similitude des critiques soulevées à plusieurs reprises, devant le comité, selon lesquelles les Américains violeraient l’esprit de l’ALENA en exploitant les failles du texte du chapitre 19. Ces critiques sont examinées plus en détail dans cette section.

A.        Le chapitre 19 comme outil au service du protectionnisme et du harcèlement

Une des principales critiques envers le chapitre 19 est que des procédures peuvent être intentées automatiquement à partir de plaintes provenant d’intervenants du secteur privé, à un coût relativement bas. Comme le mentionnait Bob Friesen (président, Fédération canadienne de l’agriculture), aux États-Unis, «  lorsqu’un organisme décide d’intenter une action, il lui suffit de présenter un dossier au département du Commerce et à la Commission du commerce international américaine. Une fois que ces agences ont décidé d’aller de l’avant dans le dossier, l’organisme en cause n’a plus rien à débourser. Tous les frais sont à la charge de l’État  ». M. Friesen a donné l’exemple suivant au Sous-comité pour illustrer ce problème :

Il y a quelques années, pendant que j’assistais à une réunion de dirigeants agricoles sur l’ALENA, j’ai eu l’occasion de discuter avec un monsieur qui représentait le NPPC, qui est le Conseil américain du porc. Il m’a dit que le Conseil envisageait une action contre le porc canadien, mais qu’il n’avait pas encore arrêté le motif de l’action. Je lui ai demandé pourquoi le Conseil pensait à un recours commercial. Il a répondu que la seule raison était que l’industrie canadienne prenait de l’expansion tandis que l’industrie américaine stagnait.

Les Parties contrevenantes peuvent également retirer des bénéfices substantiels de l’imposition de droits antidumping et compensateurs temporaires à leurs compétiteurs canadiens, ayant pour effet de réduire la concurrence tout en leur permettant de percevoir des droits en vertu de l’amendement illégal Byrd, dont il sera question plus loin.

Aucune mesure incitative ou coercitive n’est prévue pour contrer les poursuites judiciaires futiles, exception faite des coûts directs de la procédure : versement d’un dépôt ou de frais si la Partie contrevenante perd sa cause. Si l’exigence du paiement des coûts, dans l’éventualité d’une cause perdue ou futile, semble être une bonne façon de décourager les poursuites futiles dans le cadre de l’ALENA, M. Potter souligne néanmoins, qu’en plus des coûts élevés pour le dépôt d’une plainte, les procédures judiciaires canadiennes et américaines existantes exigent déjà une justification pour faire avancer une cause. Il fait également preuve de scepticisme quant à la faisabilité politique d’imposer aux Parties contrevenantes des amendes pour plaintes futiles : «  Je n’ai pas beaucoup d’espoir que des pays consentiraient à pénaliser des parties dont les plaintes ont été jugées non fondées, même si ces plaintes étaient examinées par l’Agence des services frontaliers du Canada, par exemple  ».

Sandra Marsden (membre, conseil d’administration, Alliance canadienne du commerce agroalimentaire) partage son scepticisme. «  Au sujet du paiement des frais juridiques par la partie gagnante, ce serait magnifique si nous sommes gagnants. Je ne suis cependant pas sûre qu’il est possible de le négocier avec les Américains  ». En lieu et place, elle recommande, de concert avec M. Jarjour, que le gouvernement fédéral s’applique à — selon les termes de M. Jarjour — «  des normes plus strictes pour le déclenchement d’un recours commercial  ».

Le Sous-comité recommande donc :

Recommandation 2 :

Que le gouvernement du Canada travaille de concert avec ses homologues de l’ALENA à établir des critères afin de restreindre l’introduction de contestations en vertu du chapitre 19 qui sont futiles et/ou sans fondement.

B.        L’incapacité des groupes spéciaux d’établir un précédent

Les causes, en vertu du chapitre 19, ne créent pas de précédents; chaque cause est jugée séparément. Le refus américain d’entériner un principe de préclusion accessoire — en vertu duquel une décision d’un tribunal se référant à une question de fait ou à une loi interdirait que la même cause soit jugée de nouveau — fait en sorte qu’une même cause peut être jugée à plusieurs reprises.

M. Potter nous a notamment fait part d’un différend canado-américain, portant sur le porc, datant du début des années 1990, au cours duquel, «  chaque fois qu’un groupe spécial binational disait qu’une méthodologie quelconque n’était pas bonne, les États-Unis attendaient simplement le prochain examen administratif et faisaient encore la même chose, et il fallait contester de nouveau  ». Selon Elaine Feldman (sous-ministre adjointe associée, Politique commerciale et négociations, Ministère du Commerce international), concernant le différend sur le bois d’œuvre résineux, «  rien n’empêcherait les États-Unis de présenter de nouvelles plaintes une fois les plaintes actuelles réglées  ».

En accord avec les témoignages entendus, le Sous-comité considère l’incapacité des groupes spéciaux à établir des précédents en vertu du chapitre 19 comme une lacune fondamentale du processus de règlement des différends. Cependant, les États-Unis ne seront probablement pas très flexibles sur cette question. Le Canada, au lieu de faire pression sur l’ALENA pour que les groupes spéciaux puissent créer des précédents, pourrait choisir la solution proposée par M. Potter selon laquelle «  la décision rendue dans au moins un cas devienne un précédent qui influerait sur tous les autres cas. Si nous parlons de porc ou de bois d’œuvre, que la décision d’un groupe spécial binational à l’égard d’un produit serve de précédent par rapport à la décision d’un autre groupe spécial binational à l’égard du même produit. Il faudrait que nous obtenions au moins cela. Je dirais qu’il faut viser bas  ».

Nous recommandons :

Recommandation 3 :

Que le gouvernement fédéral collabore avec les États-Unis et le Mexique afin que les décisions des groupes spéciaux formés aux termes du chapitre 19 établissent des précédents par rapport à toute décision subséquente prise par ces groupes à propos des mêmes produits.

C.        Non-respect des échéances

Comparativement au système judiciaire américain, un des principaux avantages du chapitre 19 semblait être le délai de règlement relativement court de 315 jours. Selon Paul Robertson (directeur, Direction des recours commerciaux, ministère du Commerce international), «  ces délais ont pris l’habitude de s’allonger  ». Si selon M. Robertson, les cas traités en vertu du chapitre 19 se sont réglés plus rapidement que ceux passant par le système judiciaire américain, M. Grenier précise que : «  Avec une moyenne de 696 jours, les procédures touchant les importations canadiennes en application du chapitre 19 sont maintenant plus longues que les causes réglées par le Tribunal du commerce international, dont la moyenne s’établit à 641 jours  ». Dans le cas du bois d’œuvre résineux : «  Plutôt que les 315 jours prévus par les règles du chapitre 19 pour conclure un tel dossier, nous en sommes au 33e mois de procédure. [...] Si on avait respecté les échéanciers prévus pour les appels initiaux en vertu de l’ALENA, même avec un certain retard comme ce fut le cas pour les appels dans le cadre du 3e accord sur le bois d’œuvre, tous les appels et toutes les procédures judiciaires en arriveraient maintenant à leur conclusion. L’industrie canadienne et les gouvernements provinciaux ne seraient pas tenus de répondre à de nouvelles séries de questionnaires  ».

Martin Rice (directeur général, Conseil canadien du porc) a confié au Sous-comité que : «  Nous savons que pour le bois d’œuvre et le magnésium, peut-être aussi dans d’autres cas, ces processus ne donnent pas des résultats dans les délais prévus. Dans notre cas, il a été possible de respecter plus ou moins l’objectif de 10 mois établi dans l’accord initial, mais je sais que l’affaire du bois d’œuvre traîne depuis bien plus de deux ans  ».

Ces retards ont un réel impact économique sur les producteurs et les travailleurs canadiens. Au sujet du règlement des différends en vertu du chapitre 11, qu’il juge applicable au processus du chapitre 19, M. Paskal s’exprime en ces termes : «  Ces contestations nécessitent une équipe d’avocats coûteux qui, dans bien des cas — mais pas dans le nôtre — ne tiennent pas compte du temps parce que le mécanisme de règlement des différends ne le fait pas. Entre-temps, Rome brûle. Ces contestations ne doivent pas durer plus de six mois. Autrement, des industries et des gouvernements continueront à se cacher derrière ce qui est rapidement en train de devenir un obstacle artificiel au commerce  ».

Dans le même ordre d’idées, des témoins ont évoqué la possibilité de rendre exécutoires les décisions des groupes spéciaux, se débarrassant ainsi des retards occasionnés par les renvois; cependant, certains ont admis la difficulté de convaincre les États-Unis d’un tel changement. Le Sous-comité reconnaît la gravité de ces problèmes et recommande donc :

Recommandation 4 :

Que le gouvernement canadien amorce des pourparlers avec ses partenaires de l’ALENA pour diminuer la fréquence des renvois multiples pour une même cause.

Nous avons également retenu la recommandation de M. Herman selon laquelle, lorsqu’un organisme commercial américain, comme la Commission internationale du commerce, présente son rapport sur une affaire qui a fait l’objet d’un renvoi et met en doute la légitimité d’une décision du groupe spécial, le gouvernement du Canada devrait soulever cette question auprès du gouvernement américain au niveau politique. Le Sous-comité recommande donc :

Recommandation 5 :

Que le gouvernement fédéral proteste officiellement contre le gouvernement américain et défende vigoureusement la légitimité du chapitre 19, ainsi que de l’ALENA lorsque les États-Unis intentent des actions qui remettent en question la légitimité des décisions du groupe spécial.

D.        Utilisation du Comité de contestation extraordinaire

Le Comité de contestation extraordinaire, initialement conçu pour régler les fautes graves de procédure, les inconduites ou les abus flagrants de pouvoir par des groupes spéciaux, est devenu de facto un tribunal d’appel, ce qui a élargi son mandat et a contribué à rallonger le processus. Selon Marc Boutin (membre, Alliance canadienne pour le commerce du bois d’œuvre), «  c’est quasiment devenu un deuxième recours pour les Américains. Le but même de la contestation extraordinaire est donc un peu distordu  ».

Le professeur McRae a un autre sujet d’inquiétude concernant le Comité. Selon lui, le mandat restreint du Comité et sa série de décisions, toutes en défaveur de la Partie contrevenante, «  contribue peu à renforcer la confiance envers le chapitre 19 ou envers sa légitimité  ». Il souligne que deux groupes spéciaux du Comité ont identifié des problèmes en vertu du chapitre 20, mais n’ont pas pu remettre en question les décisions initiales puisque ces problèmes dépassaient le cadre strict du mandat du Comité, «  je ne crois pas que cela fasse quoi que ce soit pour favoriser le respect du processus par les organismes ou la confiance du public à l’égard du processus  ».

Mais à l’opposé des autres témoins qui critiquent le fait que les États-Unis utilisent le Comité comme un mécanisme d’appel de facto, le professeur McRae suggère que le mandat du Comité soit élargi afin de devenir un mécanisme d’appel de jure, qui pourrait régler les cas où les groupes spéciaux interprètent mal des lois nationales, sans remettre en question l’intégrité des procédures du groupe spécial. Un tel changement augmenterait la légitimité de l’ensemble du processus sous le régime du Chapitre 19, et «  pourrait aider à éliminer une partie du va-et-vient qui se passe entre les groupes spéciaux et les organismes nationaux  ».

Cependant, selon le M. Feldman, faire du Comité un processus d’appel officiel introduirait un «  important changement institutionnel  » et «  ne pourrait se faire qu’au prix d’un des principes sous-jacents du chapitre 19, soit l’examen rapide. Actuellement, le processus prend plus de temps qu’une affaire entendue par le Tribunal du commerce international des États-Unis, mais le bon côté est que, en théorie, on a fini une fois que la décision a été rendue. [...] Cela voudrait dire que, lorsqu’on est devant un groupe spécial binational, il faudrait monter un dossier en vue d’un appel. Cela change complètement la nature du processus. Ainsi, c’est une décision qu’il faudrait prendre après mûre réflexion car il faudrait repenser l’objectif initial, qui était un examen rapide et peu coûteux  ».

Le Sous-comité croit que le gouvernement fédéral devrait chercher à redonner au chapitre 19 sa finalité initiale, soit fournir une alternative juste et opportune au système judiciaire américain. Nous hésitons à recommander l’ajout d’un autre niveau de complication à un processus déjà controversé et coûteux en temps. Nous recommandons donc :

Recommandation 6 :

Que le gouvernement fédéral collabore avec ses partenaires de l’ALENA pour que les comités de contestation extraordinaire soient utilisés uniquement lors de circonstances extraordinaires et non en tant que cour d’appel générale.

E.        Infrastructure institutionnelle déficiente et sous financement

L’ALENA comprend un minimum d’infrastructure institutionnelle, car les partenaires de l’ALENA, dès sa création, voulaient éviter une intégration ressemblant à la Communauté économique européenne. Le secrétariat de l’ALENA est composé d’une équipe réduite divisée en trois sections nationales. Cette absence de noyau organisationnel a nui à la mise en oeuvre de mécanismes de contrôle efficaces et a limité la capacité des groupes spéciaux de l’ALENA à régler rapidement les cas. Ainsi, selon M. Herman, la Commission du libre-échange, supposée appliquer l’ALENA, «  possède certaines fonctions liées au traité, mais elle ne les exerce pas réellement. Je pense que le [Sous-]comité devrait se pencher sur la question  ». Les secrétariats de l’ALENA «  sont eux aussi des organismes fictifs. En fait, ils sont plutôt des relais qui supervisent les systèmes nationaux de groupes spéciaux, sans plus  ». Des témoins ont aussi accusé les États-Unis de retarder le travail de l’ALENA en privant le secrétariat des ressources financières et humaines nécessaires à son bon fonctionnement.

Le gouvernement fédéral a confié au Sous-comité qu’il était au courant de ce problème. Selon M. Robertson, «  il y a une volonté d’améliorer l’efficacité, de réduire les délais et d’amener les Américains à mieux administrer avec un personnel meilleur la partie du secrétariat qui leur revient, et on examine actuellement ces questions. Il existe un groupe de travail sur le processus institutionnel du chapitre 19 et ce genre de choses  ».

Le M. Feldman nous a fourni une liste des mesures à prendre dans ce domaine, «  en commençant par donner de l’expansion aux secrétariats nationaux, les améliorer sur le plan professionnel, les protéger du contrôle physique, géographique et budgétaire des organismes qui témoignent devant eux et leur donner au moins autant de pouvoirs que n’en ont les greffiers des tribunaux. Il est difficile de comprendre pourquoi les secrétariats de l’ALENA n’ont absolument aucun pouvoir, même pas celui de résister aux instructions illégales et abusives que leur donnent parfois les gouvernements nationaux qui prétendent les contrôler  ».

Le Sous-comité estime que le fonctionnement des institutions actuelles de l’ALENA peut et doit être amélioré. Nous recommandons donc :

Recommandation 7 :

Que le gouvernement fédéral collabore avec le Mexique et les États-Unis pour consolider, mieux financer et améliorer les capacités des secrétariats de l’ALENA, afin de fournir le soutien nécessaire à la Commission du libre-échange pour qu’elle puisse exécuter adéquatement les fonctions liées au traité.

F.         La partialité et la sélection des groupes spéciaux

Le Sous-comité a entendu des commentaires contradictoires sur la partialité des groupes spéciaux aux termes du chapitre 19. Le professeur McRae nous a confié que les groupes spéciaux fonctionnent en collégialité et émettent surtout des décisions unanimes ou sans opinion divergente, et «  renvoient souvent tout ou partie des décisions  », ce qui laisse peu ou pas de place à la partialité. «  Et même si on arrivait à la conclusion que les États-Unis appliquaient une stratégie visant à saper les décisions impartiales des groupes spéciaux, il faudrait reconnaître que ce n’est pas efficace  ».

M. Grenier pense, quant à lui, que : «  Les Canadiens ne peuvent plus s’attendre à ce que les examens par des groupes spéciaux binationaux soient plus équitables que ceux du Tribunal du commerce international des États-Unis, étant donné que les membres américains de ces groupes ne sont plus des experts en droit commercial, qu’ils sont protégés contre les appels, et qu’ils sont sélectionnés avec soin pour défendre les prérogatives de l’agence gouvernementale des États-Unis  ». M. Potter abonde dans le même sens : «  Nous voyons des efforts constants de la part des États-Unis en vue de rendre les groupes spéciaux tellement respectueux des organismes (américains) qu’ils n’osent pas en renverser les décisions  ».

Selon M. Herman, les groupes spéciaux formés aux termes du chapitre 19 devaient être «  composés de spécialistes du droit commercial et être en mesure d’examiner des cas faisant l’objet d’un examen judiciaire. Le Sous-comité s’est également fait dire que le recrutement des membres de groupes spéciaux est problématique, en raison de la faible rémunération, de l’absence d’une liste permanente de membres potentiels et du petit nombre de candidats potentiels, dont un grand nombre pourrait se retrouver en conflit d’intérêts.

Le mauvais fonctionnement du mécanisme prévu en vertu du chapitre 19 est accentué par la difficulté de former un groupe spécial, qui peut également servir de prétexte aux Parties pour se retirer du processus. Une solution évidente serait, selon M. Herman, d’institutionnaliser les groupes spéciaux, ce qui «  contribuerait à doter le système de l’ALENA du noyau qui lui fait défaut  ».

Chaque pays pourrait aussi fournir en permanence une liste de membres potentiels de groupes spéciaux. Le Canada, comme le suggère M. Grenier, «  devrait s’engager à maintenir des listes complètes de candidats pour les groupes spéciaux et pour les comités de contestation extraordinaire ainsi qu’à assurer la sélection des membres de ces groupes de même que la dotation des postes vacants à l’intérieur des délais prescrits  ».

Selon M. Herman :

Les gouvernements doivent trouver des personnes qui sont prêtes à servir et qui ne sont pas dans une situation de conflit. Et si elles ne sont pas dans une situation de conflit, sont-elles prêtes à servir? Dans une certaine mesure, cela est directement lié à la question de la rémunération et des services de soutien que les membres des groupes spéciaux peuvent obtenir. Cette question peut être réglée dans le cadre des dispositions actuelles du chapitre 19. Tout ce qu’il faut, c’est la volonté politique de le faire.

Enfin, notons que, même si la nomination des membres des groupes spéciaux est la responsabilité ultime du gouvernement fédéral, l’industrie est directement concernée par la formation de groupes spéciaux en cas de recours commerciaux. Comme le faisait remarquer M. Grenier, le Canada a déjà consulté l’industrie pour la sélection de deux membres de l’OMC, alors que «  le gouvernement des États-Unis a toujours consulté les représentants de son industrie  ».

À la lumière de ce témoignage, le Sous-comité recommande que :

Recommandation 8 :

Le gouvernement du Canada collabore avec ses partenaires de l’ALENA pour dresser une liste permanente de membres potentiels de groupes spéciaux, pour clarifier les règles de sélection et augmenter la rémunération des experts sélectionnés pour faire partie d’un groupe spécial aux termes du chapitre 19 et de faire en sorte que chaque pays maintienne une liste exhaustive de candidats. Le gouvernement fédéral devrait consulter l'industrie pour dresser cette liste permanente.

G.        Loi américaine prévoyant des recours en matière de commerce

1.         Article 129 de la Loi américaine sur les Accords du Cycle d’Uruguay

Le Sous-comité a pu observer la faculté déconcertante des États-Unis à utiliser ses lois nationales pour rejeter les décisions des groupes spéciaux de l’ALENA. Notamment, en vertu l’article 129 de la Loi américaine sur les Accords du Cycle d’Uruguay, les États-Unis ont créé, selon Jon R. Johnson, un groupe spécial pour répliquer aux décisions de l’OMC allant à l’encontre des déterminations américaines de droits antidumping et compensateurs. Le Canada a essentiellement eu gain de cause auprès de l’OMC sur le différend du bois d’œuvre résineux, mais «  l’affaire a été renvoyée à un groupe spécial visé à l’article 129, qui a rendu une décision positive, autrement dit il a statué qu’il y avait menace de préjudice. La position du gouvernement américain est qu’une décision affirmative a préséance sur une décision négative du groupe spécial binational de l’ALENA  ». Essentiellement, les États-Unis se servent de leur défaite à l’Organisation mondiale du commerce pour faire fi de la conclusion du groupe spécial de l’ALENA sur l’absence de dommage.

Nous croyons qu’une défaite devant un tribunal (dans ce cas, l’OMC), ne devrait pas servir à la partie perdante pour défaire une décision similaire émise par un autre tribunal (aux termes, dans ce cas, du chapitre 19 de l’ALENA). Le Sous-comité considère un tel comportement en violation de l’esprit de l’ALENA et recommande :

Recommandation 9 :

Que le gouvernement du Canada exerce des pressions auprès du gouvernement américain pour que l’article 129 de la Loi américaine sur les Accords du Cycle d’Uruguay ne soit pas utilisé pour éviter l’application des décisions des groupes spéciaux formés aux termes de l’ALENA.

2.         Règles et enquêtes américaines sur les droits antidumping

Plusieurs producteurs agricoles se sont dit préoccupés par certaines règles américaines prévoyant des recours en matière de commerce. Selon M. Rice, les règles américaines sur les droits antidumping «  ont évolué vers le parti pris marqué en faveur de l’industrie intérieure  ». Il a notamment critiqué, de concert avec M. Jarjour, l’utilisation par les Américains des coûts de production pour le calcul du dumping dans un marché intégré. Comme en a témoigné M. Jarjour devant le Sous-comité :

Dans le secteur agricole, et surtout en céréaliculture, il est tout simplement insensé de se servir du coût de production. Les coûts sont souvent connus bien avant que les prix ne soient fixés. Les classes, qui dépendent des conditions météorologiques, déterminent la valeur d’une récolte. En définitive, le coût des facteurs ne varie pas avec la classe. Les prix mondiaux des céréales, qui sont déterminés par les forces du marché, peuvent inévitablement imposer de vendre à un prix inférieur au coût si l’agriculteur est obligé de vendre sa récolte pour vivre. Cela n’a rien à voir avec le dumping.

M. Rice a également observé qu’en ce moment, les enquêtes antidumping américaines portent uniquement sur un an, alors que le cycle de production et le cycle économique peut s’étaler sur plusieurs années. «  Or, il se trouve qu’une année sur trois est mauvaise dans notre industrie pour ce qui est des prix par rapport aux coûts. Nous voudrions donc que le calcul du coût de production se fasse au moins sur une période plus proche du cycle de production de l’industrie  ».

Le Sous-comité estime ces critiques justifiées et recommande :

Recommandation 10 :

Que le gouvernement fédéral s’emploie à trouver tous les moyens de formuler une définition commune du dumping dans le secteur agricole qui exclue les coûts de production dans un marché intégré, ainsi que d’établir une période qui reflétera le cycle de production et le cycle économique lors de la tenue d’une enquête antidumping.

RENDRE L’ALENA VIABLE POUR LE CANADA

Comme le démontre le nombre de recommandations déjà soumises par ce Sous-comité, il y a encore beaucoup de travail à faire si nous voulons éviter que le Canada perde tous les gains obtenus aux termes du chapitre 19, de même que dans le cadre de l’ALENA. Nous sommes conscients que la remise en état du chapitre 19 sera complexe et difficile, mais certains outils de l’ALENA, jusqu’à présent sous-utilisés par le gouvernement fédéral, pourraient nous aider dans cette entreprise.

Le Canada a divers moyens pour remettre en état le Chapitre 19, des consultations à l’abrogation pure et simple de l’Accord. Aucun témoin n’a préconisé la seconde solution. Certains ont recommandé que l’on ne renégocie pas l’ALENA, car cela menacera le reste de l’Accord. À leur avis, il vaudrait mieux chercher à répondre aux préoccupations des Canadiens dans le cadre de l’ALENA.

A.        Se servir de l’article 1903

L’article 1903 de l’ALENA permet à un pays membre de l’ALENA de contester devant un groupe spécial binational les changements aux lois nationales d’un autre pays concernant les droits antidumping et compensateurs qu’il juge non conformes à l’ALENA. Si le groupe spécial recommande des modifications aux amendements légaux, les deux pays «  entreprendront immédiatement des consultations et s’efforceront de parvenir à une solution mutuellement satisfaisante dans un délai de quatre vingt dix jours à compter de l’avis déclaratoire final rendu par le groupe spécial. La solution pourra comprendre l’adoption d’un correctif à la loi de la Partie ayant apporté la modification  ». Si le correctif à la loi ou une autre solution satisfaisant les deux parties n’est pas mis en application dans les neuf mois suivant la période de consultation, la partie contrevenante est en droit de prendre «  une mesure législative comparable ou une mesure exécutive équivalente  » ou, plus drastiquement, de dénoncer le présent accord à l’égard de la partie ayant apporté la modification, sur préavis écrit de 60 jours à cette partie.

Comme le fait remarquer M. Grenier : «  Ce qui frappe le plus, peut-être, c’est que le Canada n’a jamais invoqué les dispositions de l’article 1903 de l’ALENA qui le protègent contre les modifications apportées aux lois commerciales des États-Unis et ce, même si les Américains ont modifié ces lois à plusieurs reprises dans le but explicite d’annuler des décisions rendues par un groupe spécial de l’ALENA […] Le Canada n’a pas non plus invoqué l’article 1903 pour contrer les lois commerciales des États-Unis qui ont des répercussions chez nous et, qui plus est, contreviennent aux obligations internationales, comme l’amendement Byrd de 2000  ».

Continuant de plaider pour que le gouvernement fédéral défende plus énergiquement les intérêts canadiens au sein de l’ALENA, nous recommandons :

Recommandation 11 :

Que le gouvernement fédéral considère sérieusement l’idée d’utiliser l’article 1903 lorsque des partenaires de l’ALENA modifient leurs lois pour échapper à leurs obligations en vertu de l’ALENA.

B.        Contestations dans le cadre de l’ALENA : l’article 1905

En vertu de l’ALENA, le Canada peut contester les agissements des États-Unis à l’encontre du chapitre 19 de deux façons. L’article 1905 suspend dans les faits la révision par le groupe spécial binational de la détermination des droits antidumping et compensateurs (en suspendant la procédure aux termes du chapitre 19), si le groupe spécial conclut que la partie contrevenante a utilisé ses lois nationales pour nuire au fonctionnement d’un groupe spécial aux termes du chapitre 19. Une conclusion affirmative entraînerait donc de facto un démantèlement de l’ALENA; aucun des experts commerciaux entendus par le Sous-comité n’a recommandé ce scénario, surnommé «  la bombe atomique  » par M. Potter; le Sous-comité le déconseille également.

C.        Consultations aux termes du chapitre 20 : visibles et persuasives

Le Canada peut également contester les États-Unis en vertu du chapitre 20, traitant des différends sur l’interprétation et l’application de l’Accord. L’opinion que le gouvernement fédéral devrait se prévaloir des consultations prévues dans l’article 20 est partagée par l’ensemble des témoins, à l’exception de Mme Feldman, pour qui le Canada «  n’a pas besoin d’organiser une consultation officielle en vertu du chapitre 20 pour soulever auprès des autorités américaines leur paiement des frais de secrétariat de l’ALENA ou leur comportement à l’égard des dispositions du chapitre 19  ». La firme d’avocats Baker & Hostetler notait dans sa soumission que «  le but poursuivi par le Canada, à travers le mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 20, devrait être d’obliger les États-Unis à mettre fin à ses manoeuvres dilatoires et à retirer les entraves administratives empêchant une révision expéditive par le groupe spécial aux termes du chapitre 19  ». [traduction]

Notamment, le Canada devrait dans un premier temps demander des consultations en vertu de l’article 2006. En cas d’échec, le Canada pourrait avoir recours à la médiation prévue dans l’article 2007, puis à l’arbitrage aux termes de l’article 2008.

Le mécanisme prévu dans le cadre du chapitre 20 comporte deux avantages. Tout d’abord, il fournit un forum plus direct que les consultations informelles pour les négociations avec les États-Unis; selon le M. Feldman, les audiences aux termes du chapitre 20 sont «  visibles et ont un pouvoir de persuasion  ». De plus, il dote le Canada du pouvoir de suspendre les concessions commerciales faites aux États-Unis dans le cadre de l’ALENA, si la cause se rend jusqu’en arbitrage en vertu du chapitre 20 et que les États-Unis rejettent la décision de l’arbitre.

1.         Favoriser la transparence

Selon le M. Feldman :

Le chapitre 20 est une invitation, quoique très publique, à régler les questions découlant des difficultés liées au chapitre 19. Jusqu’à maintenant, la position du gouvernement du Canada a été qu’il y a un dialogue continu avec les États-Unis; les gens discutent de ces questions tout le temps et ils essaient de les régler.

Selon nous, ce genre de processus non officiel va à l’encontre des intérêts nationaux du Canada, du moins en ce qui concerne ces questions. Le Canada a besoin d’être plus direct et plus public dans sa démarche, et cela revient à l’idée de la gêne que j’ai mentionnée plus tôt. Ce processus public au moyen duquel on exigerait des consultations, que les États-Unis seraient obligés d’accepter et auxquelles ils devraient participer, permettrait d’examiner toutes les questions qui ont été mentionnées ici, que ce soit l’institutionnalisation des procédures des groupes spéciaux ou la modification de la structure d’appel. Toutes ces solutions seraient sur la table dans une procédure aux termes du chapitre 20.

Le M. Feldman prétend de plus que des relations canado-américaines harmonieuses sont bénéfiques, non seulement pour le Canada mais également pour les États-Unis qui en sont tributaires pour démontrer leur bonne foi aux autres pays. Dans la sphère économique, selon M. Potter : «  L’ALENA est un modèle utilisé par les États-Unis pour négocier non seulement la Zone de libre-échange des Amériques, mais aussi d’autres traités bilatéraux. Si nous commençons à demander à quoi cela sert de conclure de tels traités si on n’en respecte pas non seulement la lettre mais aussi l’esprit, je crois que c’est là quelque chose que les États-Unis préféreraient que nous n’ébruitions pas trop  ».

Le Sous-comité recommande donc :

Recommandation 12 :

Que le gouvernement fédéral amorce immédiatement des consultations avec les États-Unis en vertu du chapitre 20 relativement aux difficultés soulevées dans le rapport au sujet du chapitre 19.

2.         Représailles

Si les États-Unis ne se plient pas à une décision de l’arbitre aux termes du chapitre 20, le Canada pourrait leur enlever certains avantages de l’ALENA. L’inconvénient découlant de l’application de sanctions commerciales est qu’elles finissent par infliger des dommages à l’économie et aux consommateurs du pays qui sanctionne, comme les économistes ne manquent pas de le rappeler. Des représailles réciproques sont également à craindre de la part des Américains. Comme le faisait remarquer M. Johnson : «  La rétorsion, le retrait des avantages, cela pose toujours des problèmes dans le pays, parce que des gens en souffriront  ».

Il n’est parfois pas possible d’éviter les sanctions : ne pas répliquer lancerait un message encore plus dommageable. Pour M. Potter : «  Le jour où le Canada décidera qu’il a trop peur d’user de représailles parce qu’il craint de nuire à la relation, les États-Unis sauront alors qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent  ». De même, «  nous devons faire valoir un argument lorsque nous avons gain de cause. Si nous avons gain de cause, mais que nous n’agissons pas, à quoi cela sert-il d’avoir gain de cause  »?

M. Johnson suggère que : «  Les États-Unis devraient avoir un choix. Ils pourraient négocier avec le Canada et respecter le chapitre 19, ce qui permettrait au Canada d’obtenir ce qu’il a initialement négocié. Dans le cas contraire, le Canada aurait le droit d’utiliser des représailles en suspendant l’application d’autres dispositions de l’ALENA, ou du moins retirer aux États-Unis les avantages qu’ils en retirent. Les Américains devraient accorder au Canada la chose qu’il a initialement négociée et qui revêt pour lui une très grande importance — à savoir un chapitre 19 viable —, sinon ils perdraient les avantages de certaines dispositions de l’ALENA, auxquels ils accordent une très grande valeur  ».

En vertu du chapitre 20 de l’ALENA, contrairement à l’Organisation mondiale du commerce, le Canada peut choisir automatiquement quels avantages il désire exclure, sans en demander l’autorisation. Selon M. Johnson : «  Aux termes de l’ALENA, il y a diverses autres cibles qu’on peut viser qui préoccupent particulièrement les Américains, par exemple l’énergie, la sécurité énergétique, la protection des investissements et d’autres choses de ce genre  ».

Le Sous-comité reconnaît que l’application de sanctions dans le cadre de l’ALENA est une décision lourde de conséquence. Mais si les États-Unis refusent de respecter l’esprit de l’ALENA, nous sommes de l’avis des témoins entendus que le Canada doit exercer des représailles afin de préserver les gains négociés aux termes de l’ALENA.

Recommandation 13 :

Que si les États-Unis n’obtiennent pas gain de cause aux termes du chapitre 20 et qu’ils ne se conforment pas aux obligations prévues dans l’ALENA, le gouvernement fédéral envisage sérieusement de leur retirer les avantages de l’ALENA en conformité de l’article 2019 de l’ALENA jusqu’à ce qu’ils se conforment auxdites obligations.

D.        Soutien aux entreprises canadiennes

Les entreprises et les travailleurs canadiens sont pris au milieu de la bataille pour faire en sorte que le chapitre 19 réponde aux attentes qu’il a suscitées. Même si les problèmes relatifs au chapitre 19 étaient réglés en faveur des Canadiens, les poursuites coûteuses et la perte provisoire des marchés américains pourraient transformer les gains du Canada en victoire à la Pyrrhus. Selon M. Potter : «  On ne peut pas demander à l’industrie d’assumer le coût de ces démarches — qui, après tout, sont dans l’intérêt de tous les exportateurs canadiens — et lui dire qu’elle n’aura pas d’aide du gouvernement  ».

Le gouvernement fédéral a soutenu l’industrie canadienne. En 2003, le gouvernement fédéral a versé 14,9 millions de dollars aux associations de l’industrie du bois d’œuvre résineux pour payer une partie de leurs dépens. Pas plus tard que le 15 avril dernier, il a annoncé qu’il verserait 20 millions de dollars supplémentaires à cette fin. Auparavant, M. Boutin avait réclamé cependant un plus grand soutien pour l’industrie du bois d’œuvre résineux, car «  nous entrons dans la phase finale du volet juridique, qui sera la plus intense dans le conflit du bois d’œuvre  ». Le Sous-comité appuie l’aide fournie par le gouvernement, mais ne peut manquer de noter qu’elle est bien inférieure à ce dont le secteur a besoin pour faire face à ses dépenses courantes et prévisibles pendant la durée du différend commercial.

Quant aux autres secteurs industriels, M. Rice a déclaré au Sous-comité : «  Nous tenons d’ailleurs à féliciter publiquement le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux pour leurs mesures d’adaptation du filet de sécurité sociale, qui ont permis de satisfaire non seulement aux règles commerciales américaines, mais aussi, dans beaucoup de cas, aux règles mondiales  ».

Le bien-fondé du soutien de l’industrie canadienne (pas seulement celle du bois d’œuvre résineux), aux prises dans la bataille entourant le chapitre 19, est indéniable : le Canada n’a pas intérêt à perdre ces industries dont la prospérité a attiré l’attention américaine. De plus, les efforts pour réformer le chapitre 19 et consolider nos droits aux termes de l’ALENA bénéficieront à tous les Canadiens. Pour ce qui est du secteur du bois d’œuvre, M. Perkins a fait remarquer que «  son secteur ne pouvait porter le poids d’une bataille juridique qui concerne en fait tous les exportateurs canadiens  ». Le secteur ne devrait pas non plus dépendre exclusivement d’une aide juridique accordée de manière ponctuelle par le gouvernement fédéral. Le Sous-comité recommande donc :

Recommandation 14 :

Que le gouvernement du Canada élabore une politique à long terme cohérente en matière d’aide juridique à l’intention des associations de bois d’œuvre résineux canadiennes dont celles-ci pourraient bénéficier jusqu’à ce que le différend soit réglé, et ce en reconnaissance des frais de justice qu’elles doivent défrayer. Que le gouvernement consacre par ailleurs davantage de ses propres ressources aux poursuites judiciaires relatives à ce différend. De manière générale, le gouvernement fédéral fournirait une aide financière (pour contribuer au paiement des frais de justice et fournir des garanties de prêt, p. ex.) aux secteurs lésés par les recours commerciaux intentés en vertu de l’ALENA.

E.        Mobiliser le soutien de la population

Une défense efficace du chapitre 19, et plus globalement du concept de libre-échange, doit passer par la reconnaissance du fait que le système politique américain est beaucoup moins centralisé que le système canadien. Le président américain a un rôle important à jouer en politique commerciale, mais le Congrès, les organismes et les gouvernements des États sont des acteurs tout aussi importants, parfois même plus. Selon le professeur McRae, «  le problème est multiple. Une partie du problème concerne le lobbying. Une autre concerne le fonctionnement des organismes intérieurs; ils refusent d’écouter les groupes spéciaux binationaux. Une autre partie du problème réside dans le fait que le pouvoir exécutif des États-Unis n’a absolument aucune mainmise sur le Congrès.

Alors, dans toute stratégie, il faut considérer qu’on doit examiner différemment les différents aspects qui sont propres aux États-Unis  ». De plus, comme le souligne M. Herman, les lois de recours en matière de commerce jouissent d’un fort appui bipartite, qui limite la portée du libre-échange.

Si la complexité du système politique américain ne facilite pas les échanges sur les questions qui préoccupent les Canadiens, elle ouvre tout de même certaines possibilités, notamment en ce qui a trait aux intérêts nationaux américains. Selon M. Grenier : «  Il existe aux États-Unis certains groupes influents qui, si on parvient à les alerter et à les mobiliser adéquatement, peuvent devenir pour nous des alliés très efficaces, car ils s’appuient sur tout l’éventail des actions politiques pouvant être prises aux États-Unis pour s’opposer aux restrictions frontalières qui vont au détriment de leurs propres intérêts. Le travail auprès de ces groupes exige du temps et des efforts, mais nous croyons qu’il s’agit de la meilleure politique d’assurance à long terme contre les décisions unilatérales des États-Unis de ne pas respecter les règles du commerce international  ».

Nous sommes heureux de voir que le gouvernement fédéral commence à reconnaître l’importance de développer des liens et de travailler avec des coalitions américaines ayant des vues similaires et qui peuvent influencer le Congrès. Le ministre Peterson a confié au Sous-comité qu’il considérait les manoeuvres de couloirs — des parlementaires rappelant aux membres du Congrès l’importance du Canada auprès de leur électorat — comme étant «  absolument essentiel [...] Voilà pourquoi nous avons demandé au premier ministre de créer le secrétariat de la défense des intérêts à Washington, lequel a ouvert ses portes en septembre [2004]  ». Lors d’une «  journée de promotion  » commanditée par le gouvernement fédéral, des parlementaires se sont rendus à Washington pour défendre les intérêts canadiens au Congrès.

Les parlementaires, en tant que représentants des Canadiens, peuvent jouer un rôle utile en établissant des coalitions au sein du Congrès américain et dans  l’ensemble des États-Unis. Actuellement, ils reçoivent un certain nombre  de points de déplacement leur permettant de se rendre à Washington pour exercer des pressions au nom des Canadiens sur des questions comme les différends commerciaux. Comme on nous l’a rappelé au cours de ces audiences, il est parfois plus facile et plus productif de bâtir des coalitions et de prendre contact avec des politiciens et des groupes de pression hors de Washington. Nous recommandons donc :

Recommandation 15 :

Que le gouvernement fédéral fasse davantage appel aux parlementaires pour défendre la cause du Canada dans les différends commerciaux et élargisse l’usage des points de déplacement pour que les députés puissent se rendre partout aux Etats-Unis pour les affaires parlementaires officielles.

S’il est vrai que le Congrès est plutôt protectionniste, M. Grenier a confié au Sous-comité que son groupe a réussi, avec l’aide de lobbyistes américains, à «  faire en sorte que 150 membres du Congrès aux États-Unis s’engagent par écrit pour s’opposer à la mise en place de ces restrictions. C’est important, c’est un premier pas. Il faut continuer, il faut élargir  ».

Une partie de la solution consiste à ne pas attendre le déclenchement d’un différend commercial; il serait sage d’apprendre aux Américains les avantages du libre-échange et de leur expliquer le système canadien, car comme le souligne M. Rice, «  si les Américains ont l’impression qu’on porte atteinte à leurs intérêts, ils sont beaucoup plus susceptibles de considérer favorablement l’idée de limiter les recours commerciaux  ».

Le commerce est une voie à double sens. Comme l’a expliqué M. Mitchell au Sous-comité : «  Pour chaque homme ou femme d’affaires du Canada qui participe à une transaction avec les Américains, il y a un Américain qu’on pourrait penser tout aussi heureux de cette transaction. Nous avons réussi à motiver et  à réunir ces gens-là, dans leurs districts, partout aux États-Unis et au Canada à la fois.  » Le Sous-comité est tout à fait d’accord et recommande donc :

Recommandation 16 :

Que le gouvernement fédéral poursuive et augmente son soutien aux programmes visant à développer des liens avec des groupes d’intérêts américains et à sensibiliser les Américains, en particulier les politiciens au niveau national et au niveau des États, relativement aux avantages des échanges commerciaux avec le Canada.

F.         Ne pas oublier le Mexique

Les Canadiens ont tendance à traiter les relations nord-américaines comme des échanges bilatéraux entre le Canada et les États-Unis, en négligeant le Mexique. C’est une erreur, non seulement parce que l’ALENA est un accord trilatéral mais également parce que les intérêts du Canada et du Mexique se rejoignent souvent. Le Mexique a déjà manifesté son intérêt pour la réforme du chapitre 19. Selon le M. Feldman, concernant la cause en cours sur le bois d’œuvre résineux, «  le gouvernement du Mexique a déposé un mémoire lors de la procédure de contestation extraordinaire mettant en cause le Canada et les États-Unis. Personne ne s’y attendait. C’est un mémoire qui appuie entièrement la position du Canada. Par la suite, j’ai communiqué avec de hauts fonctionnaires du gouvernement mexicain. Ils étaient très inquiets au sujet du chapitre 19. Alors, je crois que si une question était soulevée auprès du président Fox, il y prêterait l’oreille  ».

M. Potter abonde en ce sens : «  La mise en oeuvre de l’ALENA soulève plusieurs plaintes au Mexique. Ses plaintes ne sont pas toutes identiques à celles du Canada, mais le Mexique voudra certainement contester les mesures des États-Unis à deux contre un. Que ce soit sur le bois d’œuvre ou sur des questions d’ordre général, le Canada devrait faire beaucoup plus pour collaborer avec le Mexique dans leurs contestations dans le cadre de l’ALENA  ».

Le Sous-comité partage l’avis de M. Potter et recommande donc :

Recommandation 17 :

Que le gouvernement du Canada, avec la participation active des parlementaires, aborde officiellement avec le Mexique les préoccupations communes concernant le traitement que les Américains réservent au chapitre 19.

G.        Une collaboration accrue pour éviter les différends

Les représentants de la Canadian Lumber Trade Alliance ont recommandé la création d’un comité de prévention des différends constitué de parties prenantes à la question et chargé de détecter les conflits potentiels entre les parties et les fractures dans l’accord, puis d’amorcer un processus de facilitation gouvernementale afin de régler les éventuelles sources de conflit en s’attachant à l’objectif premier de l’ALENA, qui est d’assurer le libre-échange à l’échelle du continent. Ils ont aussi recommandé, en cas de différend majeur, que des observateurs représentant chacun des pays soient immédiatement nommés. Grâce à ces nominations, on sera plus sûr que les aspects mécaniques des poursuites n’élimineront pas les chances de règlement et que les politiques nationales n’entraveront pas la poursuite des démarches.

Tout en étant tout à fait d’accord avec la nécessité de tuer les différends commerciaux dans l’œuf, nous estimons que la création d’un comité de prévention des conflits revient à ajouter un autre niveau à un accord pour lequel les ressources sont déjà insuffisantes et qui souffre de retards considérables. Le Sous-comité accepte toutefois l’esprit de la recommandation de l’Alliance et est en faveur d’une interaction plus fréquente entre les hauts fonctionnaires des pays membres de l’ALENA, en consultation avec les industries touchées, pour régler les différends commerciaux actuels et imminents et pour les prévenir à l’avenir.

LE RETOUR DES DROITS DU BOIS D’ŒUVRE RÉSINEUX ET L’AMENDEMENT BYRD

Compte tenu de la nature changeante des différends sur le bois d’œuvre résineux et des travaux antérieurs du Sous-comité y afférents, ce rapport porte sur l’ensemble du chapitre 19. Nous considérons néanmoins que les États-Unis menacent sérieusement l’intégrité du processus aux termes du chapitre 19, lorsqu’ils déclarent qu’ils ne rendront pas les quatre milliards de dollars versés en droits par le Canada depuis mai 2002 (dont deux par la Colombie-Britannique) s’ils sont déboutés au terme de l’actuelle contestation extraordinaire.

Antérieurement, lorsque les recours américains en matière de commerce s’avéraient entrer en violation avec l’ALENA, les États-Unis avaient remboursé les droits perçus. Cette fois-ci néanmoins, selon l’administration américaine, les groupes spéciaux de l’ALENA n’ont pas autorité pour forcer le gouvernement américain à rembourser les droits perçus; seules les entités nationales (telles que le Tribunal du commerce international des États-Unis) seraient en droit de le faire. Bref, nous dit M. Johnson, si la décision américaine est maintenue

…de sorte que vous ne récupéreriez pas votre argent si vous vous adressiez aux instances de l’ALENA, alors que vous le récupéreriez ou auriez une meilleure chance d’y arriver en ayant recours aux instances nationales américaines — personne n’utilisera jamais le chapitre 19. Il n’y aurait aucune incitation à le faire. Cette situation est donc tout au détriment du chapitre 19.

Comme l’a fait remarquer M. Perkins, cette interprétation «  absurde  » signifie en fait que «  si un dépôt était versé en vertu d’une ordonnance illégale, le gouvernement américain le garderait  ». M. Potter va plus loin, affirmant que la double norme des tribunaux nationaux et de l’ALENA met le Canada en moins bonne posture que s’il n’avait jamais signé un accord de libre-échange avec les États-Unis :

Ce que nous avons maintenant, c’est l’administration américaine qui dit que, parce que nous sommes un partenaire privilégié de l’ALENA, nous serons moins bien traités que si nous étions la Corée. Si nous étions la Corée et que nous gagnions une contestation devant nos tribunaux nationaux, les États-Unis nous rendraient l’argent. Cependant, parce que nous sommes un partenaire privilégié de l’ALENA, les États-Unis vont non seulement garder notre argent, mais ils vont le donner à nos concurrents. Cela ne semble pas être une attitude fondée sur des principes...

Nous rappelons les remarques prononcées en 2004 par Jim Peterson, ministre du Commerce international, selon lequel «  la position américaine jette le discrédit sur les mécanismes de règlement des différends de l’ALENA. Si le Canada et le Mexique obtenaient moins de protections que cela n’est actuellement le cas par le contrôle judiciaire des tribunaux américains, l’examen exécutoire par des groupes spéciaux binationaux qui a rendu possible l’ALE et l’ALENA serait remis en question  ».

L’amendement Byrd complique encore davantage cette situation. Cette loi permet aux entreprises américaines, qui prétendent avoir subi des dommages causés par des subventions à l’importation, de percevoir des droits antidumping et compensateurs. Cette redistribution incite financièrement les entreprises américaines à poursuivre des industries et des firmes étrangères, afin de gagner de gros montants en investissant très peu. Selon M. Boutin :

Si les Américains ont gain de cause en obtenant ne serait-ce qu’une partie de ces dépôts, les États-Unis seront fortement incités à introduire de nouvelles contestations, car même sans sortir vainqueurs, ils pourront en tirer un double avantage — d’une part, grâce à l’enquête elle-même, qui entraînera des coûts et de nouveaux retards pour les exportateurs canadiens de bois d’œuvre, et d’autre part, grâce à la répartition illégale des dépôts pour les droits, des sommes qui, en fait, nous appartiennent à nous, leurs concurrents du Canada.

L’amendement Byrd a été jugé non conforme aux règles de l’OMC. L’administration américaine a promis de se plier à la décision de l’OMC mais le Congrès, seul habilité à abroger la loi, ne semble pas enclin à le faire. Jusqu’ici, les États-Unis ont remis aux producteurs américains de bois d’œuvre résineux quelque 5 millions de dollars U.S. en droits perçus sur cette marchandise.

Le Canada s’est engagé à saisir le Tribunal du commerce international des États-Unis de l’applicabilité de l’amendement Byrd aux pays signataires de l’ALENA, mesure qu’appuie le Sous-comité. Le Canada et six autres membres de l’OMC ont reçu l’autorisation de l’OMC d’exercer des mesures de rétorsion à l’encontre des États-Unis, en représailles à l’Amendement Byrd. Le Canada a la permission d’imposer des sanctions de 10 à 20 millions de dollars américains chaque année pour les trois prochaines années. Après avoir consulté les Canadiens le 31 mars 2005, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il exercera, à compter du 1er mai 2005, des mesures de rétorsion contre les États-Unis sous la forme d’une surtaxe de 15 p. 100 sur les importations de porcins sur pied, de cigarettes, d’huîtres et de certains poissons de spécialité.

Le Sous-comité croit que l’amendement Byrd et le refus américain de rembourser les droits du bois d’œuvre résineux sont deux actes illégaux très graves qui remettent en question l’ALENA dans son ensemble. Cette situation ne peut perdurer. Nous recommandons donc :

Recommandation 18 :

Si les États-Unis n’obtiennent pas gain de cause dans leur contestation extraordinaire, que le gouvernement fédéral tente par tous les moyens de récupérer les droits de bois d’œuvre résineux et que le remboursement intégral de ces droits, auxquels s’ajouteront les intérêts courus, soit à la base de tout règlement négocié sur le bois d’œuvre résineux.

Recommandation 19 :

Que le Canada travaille avec le Mexique (a) pour établir une entente avec les États-Unis spécifiant explicitement le remboursement des droits perçus dans les cas où il a été déterminé que les recours en matière commerciale violaient l’ALENA et (b) pour que l’amendement Byrd ne s’applique plus au Canada et au Mexique.

Recommandation 20 :

Que le gouvernement fédéral continue à explorer toutes les possibilités, notamment les mesures de rétorsion prévues par l’Organisation mondiale du commerce, le Tribunal du commerce international des États-Unis et l’ALENA, en réponse au maintien illégal de l’amendement Byrd.

CONCLUSION

Le débat sur le chapitre 19 s’inscrit à l’intérieur d’un débat plus large sur la place du Canada en Amérique du Nord et dans le monde. Au cours des dernières années, plusieurs projets de grande envergure ont été proposés, visant une plus grande intégration de l’Amérique du Nord ou un engagement renouvelé envers le multilatéralisme. Nous espérons que ce rapport nous rappellera que, dans la poursuite de grandes stratégies et de grandes visions, nous ne devons pas négliger d’entretenir nos institutions existantes. Nous estimons qu’il est dans le meilleur intérêt du Canada de consolider le chapitre 19 et d’exiger que les États-Unis s’en tiennent aux termes de l’Accord de libre-échange canado-américain original. Le Canada, se reposant alors sur les solides fondations de l’ALENA, pourra examiner en toute sérénité sa place en Amérique du Nord et dans le monde.



1Des mesures antidumping ont été prises contre des entreprises individuelles voulant vendre des marchandises à l’étranger à des prix inférieurs à leur «  valeur marchande  ». Aux États-Unis, le département de Commerce (DOC) est en charge d’enquêter sur les cas possibles d’antidumping. Le DOC établit les marges de dumping en comparant le prix auquel est vendu un produit aux États-Unis («  prix d’exportation  ») avec la «  valeur marchande  » du même produit au Canada (le prix pour lequel des ventes comparables sont effectuées dans le marché local).
2Un droit compensateur est imposé pour protéger une industrie contre les dommages matériels causés par des importations d’autre pays subventionnées par leurs gouvernements. Le pays importateur doit prouver que la marchandise a été subventionnée et que les importations subventionnées ont causé ou menacé de causer des dommages à l’industrie nationale. Si ces deux conditions sont remplies, un droit compensatoire au montant équivalent à la subvention est imposé lors de l’importation du produit subventionné. Aux États-Unis, le DOC mène les enquêtes sur les droits compensateurs, tandis que la Commission internationale du commerce des États-Unis a pour tâche de déterminer si l’industrie américaine produisant des produits similaires a subi ou été menacée de subir des dommages matériels.
3Les chapitres 11 (investissement), 14 (services financiers) et 20 (interprétation générale de l’Accord) sont les trois autres mécanismes de règlement des différends.