FEWO Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
CHAPITRE CINQ : FACTEURS FACILITANT L’ACS
De nombreux ministères ont fourni des exemples de leçons tirées de leurs efforts pour appliquer l’analyse comparative entre les sexes. Le Comité a identifié, à partir de leurs expériences, une série de facteurs facilitant l’analyse comparative entre les sexes. Ces facteurs, qui seront présentés plus en détail dans les sections suivantes, sont :
• | la disponibilité des données permettant l’analyse comparative entre les sexes; |
• | la promotion de l’égalité entre les sexes à tous les niveaux et dans tous les secteurs d’activité, de l’élaboration des politiques et du dialogue entourant celles-ci à la conception de programmes et à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation des projets; |
• | la prise en compte de l’apport du secteur bénévole et communautaire; |
• | la présence de structures organisationnelles, de procédures et de normes faisant la promotion de l’égalité entre les sexes; |
• | l’engagement du personnel à tous les niveaux; |
• | l’affectation de ressources suffisantes, tant humaines que financières; |
• | la mise en œuvre de mécanismes de reddition de comptes. |
Mme Deanna St. Prix-Alexander (directrice exécutive, Bureau pour la santé des femmes et l'analyse comparative entre les sexes, ministère de la Santé) |
L’analyse comparative entre les sexes nécessite l’utilisation de données désagrégées selon les sexes et de données qualitatives sur les différences et les inégalités entre les sexes. La vaste majorité de l’information recueillie par Statistique Canada fournit des données subdivisées (c’est-à-dire des données distinctes pour les hommes et les femmes). Le gouvernement canadien dispose donc d’une mine d’information sur laquelle se baser pour élaborer des programmes et des politiques tenant compte de la spécificité des sexes. En fait, les témoins ont affirmé au Comité que Statistique Canada est reconnu mondialement pour son travail dans le domaine de la statistique par sexe, particulièrement en ce qui a trait au travail non rémunéré.
La collecte de données complémentaires et l’utilisation des données existantes varient largement selon les ministères. Si RHDCC précise qu’il possède énormément de données issues de différentes enquêtes périodiques, Santé Canada souligne pour sa part que les données sur la santé des femmes sont beaucoup plus rares que celles sur la santé des hommes. Les données qualitatives sur les différences et les inégalités entre les sexes peuvent être obtenues auprès de différentes sources, notamment auprès d’organismes revendiquant l’égalité entre les sexes et par l’entremise de tables de consultation où différents groupes d’hommes et de femmes sont représentés. Toutefois, la plupart des ministères n’ont pas de structure organisée pour accéder à ces sources.
B. L’ACS à travers le processus d’élaboration de politiques
Les témoins entendus par le Comité ont fait ressortir que la question des genres devait être intégrée dès le départ, et non pas à la toute fin du processus d’élaboration de politiques. Une trousse de formation élaborée par Condition féminine Canada11 précise les différentes étapes de l’intégration de l’analyse comparative entre les sexes, dont : l’évaluation préliminaire des répercussions sur l’égalité entre les sexes; l’identification des résultats attendus, des buts, des objectifs et des indicateurs reflétant les diverses réalités vécues par les hommes et les femmes; la recherche proprement dite; la consultation de divers groupes d’hommes et de femmes afin de s’assurer que les conclusions et les propositions rendent compte de différents points de vue; et la mise en œuvre de programmes visant à s’assurer que les critères, les plans de communication et la prestation de services prennent en compte les répercussions potentielles tant pour les hommes que pour les femmes.
Les témoins ont donné au Comité des exemples de tentatives d’application de ce processus à la création de programmes et de politiques. CIC travaille actuellement à identifier des indicateurs permettant d’évaluer les répercussions positives de ses efforts, de même que leur progression. CIC a insisté sur l’importance de porter un regard sexospécifique sur les outils de communication qu’il utilise et de les réviser, les trousses Bienvenue au Canada, par exemple. L’ACDI développe actuellement un nouvel outil d’évaluation qui aidera à déterminer si ses programmes réussissent à réduire les inégalités entre les sexes.
Même si ces exemples sont encourageants, la majorité des ministères ayant comparu devant le Comité n’ont pas réussi à le convaincre que la question des genres était intégrée dans l’ensemble du processus d’élaboration de programmes et de politiques.
C. Apport du secteur bénévole et communautaire
L’ACS n’exclut en rien la nécessité d’avoir un secteur bénévole et communautaire mobilisé se portant à la défense des femmes. Le Comité a été inquiet d’apprendre que :
[…]l'adoption de cette analyse a certes créé des occasions nouvelles et importantes d'intégrer l'égalité des sexes à l'élaboration des politiques, mais elle a sapé la position des organisations non gouvernementales féminines comme intervenants légitimes dans l'élaboration des politiques. L'analyse comparative n'a donc pas pu donner son plein potentiel comme outil efficace de la politique, faute d'une participation suffisante des acteurs de la société civile12.
Les commentateurs ont souligné l’importance d’inclure les groupes de femmes et les organismes revendiquant l’égalité entre les sexes dans le processus de l’ACS et de former les intervenants du secteur bénévole et communautaire à l’ACS. Il est également important que les ministères établissent des relations avec les organismes revendiquant l’égalité entre les sexes et qu’ils intègrent les consultations avec ces groupes dans leur processus d’ACS.
Toutefois, peu de ministères ont un mécanisme formel et systématique de prise en compte des organismes non gouvernementaux. Lorsque le Comité a interrogé les ministères à ce sujet, ils ont admis effectuer des consultations de façon ponctuelle.
D. Structure organisationnelle, procédures et normes
Certains commentateurs, dont plusieurs témoins, ont insisté sur la nécessité de mettre en place des mécanismes et des structures d’analyse comparative entre les sexes stables et occupant une place centrale dans la bureaucratie, au sein du Bureau du Conseil privé, par exemple. Le Comité reconnaît que le Bureau du Conseil privé joue un rôle dans la gestion de questions stratégiques horizontales comme le développement durable et les langues officielles. Il suggère qu’un organisme central, comme le Secrétariat du Conseil du Trésor ou le Bureau du Conseil privé, veille à l’application de l’analyse comparative entre les sexes.
E. Engagement du personnel et leadership
Si l'engagement ne vient pas d'en haut et je fais allusion aux ministres, aux sous-ministres, aux sous-ministres adjoints il sera très difficile pour le reste de l'appareil gouvernemental de suivre. Mme Florence Ievers (coordonnatrice, Condition féminine Canada) |
Le Comité a appris que certains ministères, où les hauts fonctionnaires faisaient preuve d’un fort leadership, réussissaient, de bon gré, à mettre en œuvre l’analyse comparative entre les sexes. Citoyenneté et Immigration Canada a souligné qu’il effectuait des ACS avant même d’y être tenu par la loi, car le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait demandé que de telles analyses soient conduites.
La professeure Pauline Rankin, de Carleton University, a souligné l’importance d’un fort leadership sur l’application de l’analyse comparative entre les sexes :
Pour réussir, l'analyse comparative a besoin de champions solides au niveau politique et dans la haute bureaucratie. De ces champions dépend la réussite de l'analyse comparative.
L’importance du leadership est particulièrement évidente dans le cas du ministère des Finances. L’engagement pris par le ministère des Finances en février 2005 de s’assurer que les propositions budgétaires contiennent une analyse comparative entre les sexes ne semble pas s’être traduit par des actions concrètes. Il apparaît donc que la mise en œuvre volontaire de l’ACS nécessite actuellement à la fois un leadership politique et l’engagement des hauts fonctionnaires des ministères.
Le Comité est conscient que, lorsque les priorités ministérielles changent, les ministères sont réorganisés et le leadership modifié. La pression subie par les ministères et organismes pour faire en sorte que les questions relatives au genre soient prises en considération est, par conséquent, sujette à des fluctuations. De plus, les renseignements donnés par les ministères concernant les unités d’ACS indiquent que la plupart d’entre elles sont enterrées dans la hiérarchie ministérielle, très loin du regard des hauts fonctionnaires, comme les sous-ministres adjoints ou les sous-ministres.
Donc, bien qu’un fort leadership assuré par les hauts fonctionnaires permette d’implanter un programme d’analyse comparative entre les sexes, on ne peut se fier sur l’engagement du personnel ou des leaders politiques pour garantir sa pérennité au sein des organismes.
F. Ressources humaines et financières
Les ministères qui effectuent des analyses comparatives entre les sexes ont indiqué que les coûts associés à l’ACS sont minimaux : quelques postes, l’élaboration de matériel de formation et la formation elle-même. L’analyse comparative entre les sexes n’est pas un service spécialisé supplémentaire, elle doit être intégrée au travail normal des ministères. Par conséquent, le principal coût relié à l’ACS concerne la formation du personnel.
L’ACDI et Citoyenneté et Immigration Canada ont précisé au Comité que la formation de leur personnel était l’élément clé du succès de l’implantation de l’ACS. Ces deux organismes ont adapté les outils de formation et les formations élaborées par Condition féminine Canada afin qu’ils soient plus pertinents pour les employés concernés par l’implantation de l’ACS, et en ont formé un grand nombre. Pour reprendre les mots de la représentante de CIC :
Il a fallu beaucoup de temps pour que les personnes spécialisées qui travaillent au Ministère sachent comment effectuer cette analyse et pour que ces personnes en parlent aux gestionnaires de programme qui connaissent leurs programmes. L’établissement de ces liens a exigé beaucoup de temps et c’est seulement après que tout ce travail a porté fruit que les responsables de programmes disent comprendre l’analyse comparative entre les sexes. Alors, cela fait partie de la gestion quotidienne du Ministère. L’analyse comparative entre les sexes devrait s’effectuer automatiquement, mais il faut beaucoup de formation et beaucoup d’exemples concrets avant que les employés commencent à y réfléchir13.
G. Mécanismes de reddition de comptes
Plusieurs témoins ont affirmé que les chances de voir les ministères et les organismes appliquer l’analyse comparative entre les sexes seraient meilleures s’ils étaient tenus de rendre des comptes sur leurs efforts d’intégration de l’ACS au processus d’élaboration de politiques et de programmes. Actuellement, la plupart des ministères n’ont aucun mécanisme pour s’assurer que l’ACS est prise en considération, et encore moins implantée.
Un seul ministère est tenu par la loi de présenter un rapport sur l’égalité entre les sexes. En effet, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) de 2002 oblige Citoyenneté et Immigration Canada à intégrer un rapport sur ses activités relatives à l’ACS dans son rapport annuel au Parlement.
L’Agence canadienne de développement international est reconnue pour l’intégration de la dimension des genres à ses activités et a conçu ses propres mécanismes internes de reddition de comptes afin de promouvoir l’ACS. Ces mécanismes comprennent :
• | Les lignes directrices de l’Agence pour la planification de projets et la rédaction de rapports, qui exigent qu’un formulaire d’évaluation de l’égalité entre les sexes soit rempli par les gestionnaires, en collaboration avec le spécialiste de l’égalité entre les sexes, qui doit ensuite le signer. |
• | Les rapports annuels sur le rendement comprennent l’identification des résultats en matière d’égalité entre les sexes et l’obligation de préciser de quelle façon les projets font la promotion de l’égalité entre les sexes. |
• | Un cadre d’évaluation du rendement mettant l’accent sur les résultats de développement atteints est pratiquement terminé. Il servira à évaluer le rendement de l’Agence en matière d’égalité entre les sexes. |
Le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada souligne que même s’il appliquait activement l’ACS avant l’obligation légale de présenter un rapport annuel au Parlement sur les répercussions sexospécifiques de la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’obligation de rendre compte a eu un impact positif sur l’analyse comparative entre les sexes au sein du Ministère :
Je dirais qu’à long terme il est bon que Citoyenneté et Immigration Canada ait [l’analyse comparative entre les sexes] dans sa loi parce que cela nous oblige à présenter un rapport annuel. Quand on a le rapport annuel, c’est un mécanisme officiel et cela devient comme tout le reste, où nous avons un système officiel pour rendre les comptes voulus […] Nous savons qu’il y a une liste de choses à faire, et cette liste devient automatiquement un élément de l’évaluation de rendement de notre sous-ministre14.
La coordonnatrice de Condition féminine Canada a exprimé le besoin d’évaluer la reddition de comptes en matière d’analyse comparative entre les sexes lors de sa comparution devant le Comité :
Actuellement, il n’y a pas d’instance officielle chargée de veiller au respect de la politique de 1995 en matière d’ACS. L’exception à la règle […] a été l’adoption de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui exige qu’un rapport soit fait chaque année au Parlement. Le besoin d’une meilleure reddition de comptes concernant l’égalité entre les sexes un peu partout au gouvernement du Canada et le peu de progrès dans la mise en œuvre de l’ACS au sein du gouvernement ont été relevés en 2003 par le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes comme des points qu’il fallait améliorer15.
11 | Canada, Condition féminine Canada, « Formation », Une approche intégrée à l’analyse comparative entre les sexes. |
12 | FEWO, Témoignages, Pauline Rankin (Carleton University), 24 février 2005, 1520. |
13 | FEWO, Témoignages, Rosaline Frith, 17 février 2005, 1550. |
14 | Ibid., 1625. |
15 | FEWO, Témoignages, Florence Ievers, 10 février 2005, 1530. |