FEWO Rapport du Comité
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RAPPORT PROVISOIRE AU SUJET DES PRESTATIONS DE MATERNITÉ ET PRESTATIONS PARENTALES DU RÉGIME D'ASSURANCE-EMPLOI : L'EXCLUSION DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS AUTONOMES
CONTEXTE ACTUEL
L'assurance-emploi (AE) est un programme fédéral administré par Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). La Loi sur l'assurance-emploi établit deux catégories de prestations : les prestations régulières, pour les personnes qui ont perdu leur emploi et ne peuvent pas trouver de travail; et les prestations spéciales, qui offrent un remplacement temporaire du revenu aux Canadiens obligés d'arrêter de travailler parce qu'ils ont un nouvel enfant (prestations de maternité et parentales), parce qu'ils sont malades (prestations de maladie) ou parce qu'ils doivent prendre soin d'un membre de la famille qui est gravement malade et dont le risque de décès est important (prestations de soignant). Les prestations de maternité et les prestations parentales sont accessibles aux prestataires qui restent à la maison pour s'occuper d'un nouveau-né ou d'un enfant nouvellement adopté. Ces deux types de prestations combinés sont payables sur un maximum de 50 semaines.
La prolongation de la période de prestations parentales, qui est passée de 10 à 35 semaines en 2001, a bénéficié d'un vaste appui, mais on déplore le faible montant de ces prestations et la portée limitée des situations couvertes. Dans les tables rondes tenues par le Comité à l'automne 2004 avec des organisations revendicatrices d'égalité et des groupes de femmes, beaucoup de groupes ont mentionné que le Comité devrait s'intéresser en priorité aux prestations parentales [1].
Le but des prestations de maternité et des prestations parentales est de remplacer en partie le revenu d'emploi. Pendant que le Comité étudiait cette question, la Cour suprême a rendu une décision où elle faisait l'observation suivante : « Le caractère social de l'assurance-chômage dicte que le Parlement puisse adapter le régime aux nouvelles réalités du travail [2]. » Les personnes qui ont témoigné devant le Comité ont montré de façon convaincante que les prestations de maternité et les prestations parentales du régime d'assurance-emploi ne sont pas adaptées aux nouvelles réalités du marché du travail.
Le Comité a voulu déterminer s'il y avait lieu d'étendre aux travailleuses et travailleurs autonomes l'admissibilité aux prestations de maternité et aux prestations parentales du régime actuel d'assurance-emploi. Il a aussi essayé obtenir des précisions sur les mesures qui seraient requises à cet égard pour répondre aux besoins particuliers des travailleuses et travailleurs autonomes. Les membres du Comité ont été guidés dans leur étude par un certain nombre de principes et d'hypothèses. Ils ont considéré l'élargissement des prestations parentales aux travailleuses et travailleurs autonomes comme une question d'égalité pour les femmes, comme un investissement dans le mieux-être des familles et des enfants et comme un facteur important pouvant aider les femmes et les hommes à concilier travail et vie familiale au sein d'une population active qui évolue.
TÉMOIGNAGES REÇUS
Le Comité a tenu huit séances sur la question. Il n'a malheureusement pu recevoir tous les témoins qu'il aurait aimé entendre. Par exemple, il n'a pas entendu de représentants de chaque province et territoire. C'est pour cette raison qu'il présente un rapport provisoire, plutôt qu'un rapport final. Dans son étude, il a pris le pouls de groupes qui représentent des travailleuses et travailleurs autonomes de divers horizons au Canada. Il a écouté le point de vue des travailleuses et travailleurs autonomes à faible revenu, comme les femmes de ménage et les éducatrices et éducateurs en garderie en milieu familial. Il a aussi écouté les commentaires des travailleuses et travailleurs autonomes de groupes professionnels mieux rémunérés, tels que les avocats. Il a reçu des femmes entrepreneures, des experts qui étudient les défis en matière de politiques gouvernementales découlant de l'évolution de la population active, ainsi que des représentants de Ressources humaines et Développement des compétences Canada. Toutes ces séances lui ont permis de conclure que les travailleuses et travailleurs autonomes ne forment pas un groupe monolithique et que leurs besoins sont diversifiés et complexes.
Le Comité a également appris que la majorité des travailleuses autonomes gagnent un faible revenu. Les éducatrices en milieu familial en sont un bon exemple. D'après le témoignage du Conseil sectoriel des ressources humaines des services de garde à l'enfance, plus de la moitié des 300 000 personnes du secteur des garderies travaillent à leur compte et ont un revenu annuel moyen de 15 600 $ avant les déductions accordées aux entreprises. On a donné au Comité les exemples suivants de travailleuses et travailleurs autonomes qui ont recours aux services du Workers' Action Centre de Toronto :
Il y a d'abord celui de Maria, femme de ménage de nuit, à l'emploi d'un grand magasin de Toronto, qui gagne moins de 5 $ l'heure; celui de […] livreurs de journaux d'un grand quotidien torontois qui […] eux aussi reçoivent moins de 5 $ l'heure et celui de Fatima, une vendeuse de cartes de crédit pour le compte des grandes banques et qui a parfois gagné moins de 1 $ l'heure [3].
Le Comité a été informé des difficultés qu'ont les travailleuses autonomes à concilier le travail et la vie familiale. Décrivant les compromis à faire entre la présence auprès du nouveau-né et le besoin de travailler, des témoins ont parlé de la nécessité de compter sur des membres de la famille pour garder l'enfant, d'un retour au travail aussi prompt que possible et des pressions exercées pour continuer à travailler.
Lorsque j'étais associée dans un cabinet d'avocats, j'ai subi une césarienne. Le premier mois, personne ne m'a dérangée. Pendant les trois autres mois à la maison, j'appelais au bureau presque tous les jours. C'était ma façon de concilier. Je me rendais au bureau une fois par semaine. À l'occasion c'était deux fois par semaine. Je pense que c'est ce qui se passe : vous n'avez vraiment jamais de répit. Lorsque vous êtes responsable d'une entreprise et que vous avez des clients, vous ne pouvez pas vraiment prendre congé [4].
QUESTIONS NON RÉSOLUES PAR LE COMITÉ
Dans le cours de son étude, le Comité s'est rendu compte des enjeux complexes auxquels étaient confrontés tant les travailleuses et travailleurs autonomes que les travailleuses et travailleurs occasionnels [5]. Il est conscient d'avoir laissé de nombreuses questions sans réponse. Par exemple, il est favorable au modèle québécois qui étend les prestations de maternité et les prestations parentales aux travailleuses et travailleurs autonomes, mais il n'a pas eu la chance d'évaluer si les prestations spéciales devraient s'appliquer aux travailleuses et travailleurs autonomes en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, ou s'il serait préférable que les provinces se retirent du programme de prestations spéciales de l'assurance-emploi pour mettre au point leur propre programme, comme le Québec l'a fait.
Le Comité n'a pas eu le temps non plus d'examiner à fond les mérites relatifs de la participation obligatoire et de la participation volontaire à l'assurance-emploi pour les travailleuses et travailleurs autonomes, bien qu'il ait entendu des témoignages favorables aux deux systèmes. Par exemple, on a dit au Comité que si elles avaient le choix entre une participation volontaire et une participation obligatoire au programme de prestations de maternité et de prestations parentales, des travailleuses autonomes décideraient de ne pas y souscrire parce qu'elles estimeraient ne pas en avoir les moyens [6]. Des témoins ont précisé que certains travailleurs et travailleuses autonomes s'établissent à leur compte pour la liberté qu'ils ont de ne pas cotiser à des programmes comme l'assurance-emploi. D'autres témoins ont fait observer qu'un régime d'assurance comme l'assurance-emploi repose sur la notion de partage des risques et devrait donc être obligatoire pour rester viable.
Des témoins ont dit privilégier un programme de prestations de maternité et de prestations parentales qui offrirait différentes options, par exemple un plus grand nombre de semaines, mais moins d'argent, ou plus d'argent et moins de semaines [7]. Ce besoin d'une plus grande flexibilité est confirmé par des études de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, selon lesquelles la plupart des travailleuses autonomes peuvent seulement prendre un congé de maternité de moins de trois mois. Le Comité attire l'attention sur ce point, mais estime ne pas avoir recueilli assez de renseignements pour proposer des moyens concrets de répondre au besoin de flexibilité en ce qui concerne le programme de prestations de maternité et de prestations parentales de l'assurance-emploi.
Le Comité a entendu des témoins qui préconisaient une hausse du taux de remplacement du revenu et du maximum de la rémunération assurable, qui est actuellement de 39 000 $. Dans le nouveau modèle québécois, le taux de remplacement sera entre 70 % et 75 % pour les premières semaines, et plus bas pour les semaines suivantes (voir l'annexe B). Le Comité a été informé que le taux de remplacement de 55 % prévu dans le programme de l'assurance emploi est insuffisant [8] et porte spécialement préjudice aux travailleuses et travailleurs à faible revenu. Il a appris que le maximum de la rémunération assurable, 39 000 $, n'a pas changé depuis plus de 10 ans. Au Québec, il sera fixé à 57 000 $, ce qui permettra d'augmenter le montant des prestations. D'après ce qu'on a dit au Comité, cette hausse devrait avoir pour effet d'accroître la participation des pères aux congés parentaux :
Maintenant, c'est un choix économique. À l'intérieur du couple, c'est très souvent la femme qui prend le congé parental, parce qu'elle gagne moins d'argent. Alors, avec un revenu assurable beaucoup plus élevé, ce sera intéressant de voir la participation des hommes aux congés parentaux [9].
Bien que le Comité attire l'attention sur le taux de remplacement et le maximum de la rémunération assurable, il n'a pas de proposition détaillée à faire sur ces questions à ce stade-ci.
Enfin, le Comité n'a pas cherché à déterminer s'il serait bon que les travailleuses et travailleurs autonomes aient accès à la totalité des prestations spéciales du régime d'assurance-emploi, c'est-à-dire qu'ils puissent aussi recevoir des prestations de maladie et des prestations de soignant.
Ce sont quelques-uns des points que le Comité souhaite poursuivre dans un rapport final portant sur le même sujet.
ÉTENDUE DE LA COUVERTURE POUR LES PRESTATIONS DE MATERNITÉ DE L'ASSURANCE-EMPLOI
Combien de temps encore devrons-nous examiner ces statistiques pour comprendre que la réalité du marché du travail a changé et qu'il y a maintenant davantage de travailleuses autonomes, pas nécessairement par choix, mais par nécessité? C'est sur cette réalité qu'il faut se pencher [10].
Dans le monde du travail moderne, beaucoup de Canadiennes et Canadiens occupent un emploi à temps partiel ou saisonnier. Certains le font par choix, mais pour beaucoup ce n'est pas le cas. De nombreux Canadiennes et Canadiens se lancent aussi à leur compte. Certains le font parce qu'ils veulent un travail plus stimulant et plus enrichissant. Ils sont attirés par l'idée de mener leur propre barque, de créer quelque chose de constructif, de diriger une entreprise selon leur vision et de travailler à leur manière [11]. D'autres se voient forcer, au contraire, de devenir entrepreneurs par des employeurs qui souhaitent offrir des salaires moindres ou se soustraire aux normes du travail. Pour ces personnes, le travail autonome n'a rien à voir avec l'entrepreneuriat; c'est une solution de dernier recours, un travail qu'ils acceptent dans des conditions peu favorables parce qu'ils n'ont pas d'autre choix [12]. Tous ces travailleurs ont une caractéristique en commun : l'arrivée d'un enfant les oblige à prendre des décisions difficiles sur la durée du congé qu'ils peuvent se permettre sans bénéficier d'un programme de remplacement du revenu.
À cause de la nature de leur travail, certains employés n'accumulent pas le nombre d'heures de travail nécessaire pour avoir droit aux prestations de maternité et aux prestations parentales. D'autres, par exemple les travailleuses et travailleurs autonomes [13], ne sont pas visés par la Loi sur l'assurance-emploi et, par conséquent, n'ont jamais accès à ces prestations.
Plusieurs organisations qui revendiquent l'égalité des droits et organisations de femmes disent se préoccuper du traitement réservé aux travailleuses et travailleurs autonomes par l'assurance-emploi. Elles affirment que refuser à ces travailleurs l'accès aux prestations spéciales (c.-à-d. prestations de maladie, prestations de maternité, prestations parentales et prestations de soignant) fait qu'une partie importante de la main-d'œuvre canadienne n'y a pas droit. Des témoins ont dit au Comité que beaucoup de travailleuses et travailleurs occasionnels cumulent un travail autonome et un travail de salarié. Ceux-ci cotisent donc au régime d'assurance-emploi pour leur emploi de salarié, mais seulement une partie de leur revenu est assurée.
Le Groupe de travail du premier ministre sur les femmes entrepreneures a recommandé que le gouvernement fédéral étende les prestations de maternité aux travailleuses autonomes. La possibilité d'élargir la couverture de l'assurance-emploi aux travailleuses et travailleurs autonomes a également fait l'objet d'une recommandation du Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées en 2001 [14] et en 2005 [15]. Ces deux rapports recommandent que « le gouvernement envisage la création d'un cadre pour étendre l'application du régime d'assurance-emploi, tant pour les prestations régulières que spéciales, aux travailleurs autonomes ».
Dans sa réponse de 2001, le gouvernement proposait que d'autres études soient faites sur des questions comme la protection obligatoire par opposition à la protection volontaire pour les prestations de maternité et les prestations parentales, l'expérience d'autres pays et les modèles des secteurs public et privé [16]. Dans sa réponse de 2005, le gouvernement est allé plus loin, affirmant ceci : « La mise en œuvre du régime québécois [d'assurance parentale] fournira à tous les gouvernements d'importants renseignements sur les considérations pratiques et stratégiques liées au fait d'étendre ce type de protection aux travailleurs autonomes » et « [l]es tendances récentes suggèrent que les travailleurs autonomes sont plus intéressés que par le passé à payer pour obtenir une protection de l'assurance-emploi pour ce qui est des prestations de maternité et des prestations parentales ». Il poursuit ainsi :
[…] il est important que le régime d'AE puisse s'adapter aux changements qui touchent la composition et les besoins de la main-d'œuvre canadienne, y compris les besoins des travailleurs autonomes. Pour cette raison, la volonté de comprendre davantage quels sont les besoins des travailleurs autonomes et de trouver la meilleure façon d'y répondre, en particulier pour ce qui est des prestations spéciales, figure au nombre des priorités de RHDCC en matière de politiques. Cette connaissance sera importante si nous devons considérer la possibilité d'élargir la couverture du régime de l'assurance-emploi aux travailleurs autonomes [17].
Le Comité demande maintenant au gouvernement de formuler des recommandations concrètes pour faire en sorte que l'assurance-emploi s'étende aux travailleuses et travailleurs autonomes.