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FOPO Rapport du Comité

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OPINION COMPLÉMENTAIRE AU RAPPORT DU COMITÉ PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS SUR LA PÊCHE AU SAUMON ROUGE DANS LE FLEUVE FRASER EN 2004

par

JOHN CUMMINS, député

DELTA—RICHMOND-EST




TABLE DES MATIÈRES


I. INTRODUCTION
II. L’AMPLEUR DE LA CATASTROPHE DE 2004
III. LA PÊCHE COMMERCIALE N’EST PAS EN CAUSE
IV. CAUSES POSSIBLES DE LA CATASTROPHE DE 2004
V. LA STATION SONAR DE MISSION
VI.  MORTALITÉ MIGRATOIRE
VII. MORTALITÉ MIGRATOIRE ATTRIBUABLE À DES CAUSES NATURELLES
VIII.MORTALITÉ DUE À LA PÊCHE
IX. PRISES NON DÉCLARÉES DANS LA PÊCHE AUTOCHTONE EN EAU DOUCE
X. APPLICATION DES RÈGLEMENTS : LA CRISE PERMANENTE
XI. CONSTATATIONS
XII. RECOMMANDATIONS SUPPLÉMENTAIRES


I.     INTRODUCTION

Les estimations de fin de saison fournies par la Commission du saumon du Pacifique établissent à 2 334 000 le nombre de saumons rouges ayant franchi la station de comptage hydroacoustique de Mission au cours de la migration de 2004 dans le fleuve Fraser. Le nombre de prises déclarées en amont de Mission étant de 480 000 saumons et celui des géniteurs ayant atteint les lieux de frai s’élevant à 529 000 saumons, on se demande où sont passés les 1 325 000 poissons manquants.

Ces chiffres ressemblent étrangement à ceux présentés en 1993 au Comité des forêts et des pêches de la Chambre des communes par MM. Pearse et Larkin, que le ministre des Pêches de l’époque, John Crosbie, avait chargés de faire enquête sur la mauvaise gestion des pêches sur le Fraser en 1992.

M. Larkin a indiqué au Comité que, en 1992, « le nombre de poissons qui ont remonté s’élevait à environ 1,6 million. Les prises étaient estimées à 382 000 poissons. Comme on en avait recensé 789 000 dans les frayères, cela veut dire qu’il manquait 482 000 poissons [...] Où ont disparu ces 482 000 poissons? Eh bien, il y en a 201 000 qui ont été capturés, 248 000 qui ont péri en cours de montaison et 33 000 qui n’étaient pas encore arrivés dans les frayères.  »

M. Larkin a suggéré des raisons valables pouvant expliquer ces chiffres :

« Il y a de toute évidence quelques explications possibles : il était possible que l’écho-sondeur installé à Mission ne fonctionne pas bien et qu’il ait surestimé le nombre de poissons qui sont passés; il se pouvait également que toutes les prises n’aient pas été enregistrées; il était possible que des poissons aient péri en cours de route et aussi que le nombre de poissons ayant atteint les lieux de frai ait été sous-estimé. Nous nous sommes attachés à essayer de savoir laquelle de ces quatre explications était la bonne.

Une étude minutieuse du compteur nous a permis de constater que les chiffres étaient exacts, que les mêmes poissons n’avaient pas été comptés plusieurs fois, ou qu’il n’était pas déréglé.  Nous avons donc écarté l’hypothèse du compteur défectueux.

Nous avons eu beaucoup de difficultés à estimer le nombre de poissons capturés. Il y avait un millier de filets dans le fleuve en amont de Mission, 700 entre Mission et Sawmill Creek, c’est-à-dire à proximité de Yale, et environ 300 en amont. Comte tenu du nombre de filets tendus, il était très difficile d’enregistrer les prises. Le système de facturation des ventes ne fonctionnait pas parfaitement et, par conséquent, un certain nombre de prises n’étaient pas indiquées sur les factures. Il est presque certain que de grosses quantités de poissons ont été vendues à l’extérieur de la province, en Alberta ou aux États-Unis, ou encore en Saskatchewan. Ces ventes ont échappé aux procédures d’enregistrement habituelles. Il en résulte que les prises sont supérieures aux chiffres enregistrés. D’après mes estimations, environ 201 000 prises n’ont pas été déclarées.

C’était un été très chaud; on avait enregistré des températures très élevées dans le fleuve et, dans ces conditions, une bonne partie du poisson n’arrive pas à destination. Par ailleurs, compte tenu du nombre de filets tendus dans le fleuve, il y a bien des poissons qui ont péri ou qui étaient épuisés après s’être fait prendre dans des filets maillants et qui n’ont par conséquent pas atteint les frayères. J’estime que cela représente 248 000 poissons de plus qui ont disparu.

Enfin, les estimations relatives au nombre de géniteurs présents dans les frayères étaient plus ou moins exactes, Il y a eu peut-être quelques traînards, qui représentent environ 33 000 individus.  »

Les prises non déclarées et le taux de mortalité accru en eau douce dénoncés par Pearse et Larkin étaient attribuables à la Stratégie relative aux pêches autochtones (SPAQ) ainsi qu’au Programme pilote de ventes lancé par le ministre Crosbie en 1992, deux mesures que l’on considérait à l’époque comme un moyen de régler le problème grandissant de braconnage sur le Fraser en faisant une plus grande place aux autochtones dans la gestion des pêches et en leur permettant de vendre leur poisson comestible.

L’indignation publique soulevée par la disparition du poisson en 1992 et 1994 n’a rien donné. L’attention accordée par le MPO aux rapports qu’il avait commandés sur les tragédies a été de courte durée. La gestion des pêches sur le Fraser a été marquée par d’autres négociations infructueuses, une augmentation des manquements aux règlements et, en bout de ligne, par la disparition de quelque 1,3 millions de saumons rouges en 2004.

Le rapport du Comité permanent précédant cette opinion supplémentaire est utile du fait qu’il propose des mesures à long terme pour aider à la gestion des pêches sur le Fraser. Le présent rapport tient compte de l’information obtenue après la conclusion des audiences du Comité, dont les transcriptions des audiences de la Commission Williams et le rapport d’examen de fin de saison de la station hydroacoustique de Mission, présenté par la Commission du saumon du Pacifique. Il expose les mesures à prendre pour protéger les saumons rouges qui amorceront bientôt leur remontée du Fraser pour la saison 2005.


II.     L’AMPLEUR DE LA CATASTROPHE DE 2004

Le rapport d’examen de fin de saison des prises et des échappées préparé par la Commission du saumon du Pacifique le 5 février 2005 fait état de la disparition de 1 325 000 saumons rouges, entre Mission et les frayères. 

Échappées brutes au delà de Mission 2 334 000
Prises en amont de Mission 480 000
Géniteurs ayant atteint les frayères529 000
Poisson manquant 1 325 000

Les 1,3 million de saumons manquants constituaient un investissement dans  l’avenir de la pêche autochtone, commerciale et récréative en aval de Mission et dans le Pacifique. Si on leur a permis d’échapper à la pêche, c’était dans l’espoir qu’ils se reproduisent et assurent ainsi la pérennité des pêches commerciale, récréative et autochtone en 2008.

La disparition de 1,3 million de géniteurs en 2004 se traduira, à la fin de 2008, par une perte totale de 5,2 millions de saumons, soit les 1,3 million de sujets qui n’ont pas pu atteindre les frayères en 2004, ajoutés aux 3,9 millions de descendants qu’ils auraient produits pour 2008. À 30 $ le poisson, voilà qui représente une perte directe de 117 millions de dollars pour l’industrie de la pêche en Colombie-Britannique et une perte encore plus considérable pour l’économie générale de cette province lorsqu’on tient compte de l’effet multiplicateur.


III.     LA PÊCHE COMMERCIALE N’EST PAS EN CAUSE

Les estimations en saison du Conseil du fleuve Fraser, l’organisme chargé de la gestion des pêches commerciales américaines et canadiennes du saumon rouge sur le Fraser, ont établi à 2,7 millions le nombre de saumons rouges ayant dépassé le pont enjambant le Fraser à la hauteur de Mission.  La pêche commerciale est interdite en amont de Mission depuis plus d’un siècle. Elle ne peut donc pas être la cause de la disparition du saumon à cet endroit.

Le tableau ci-dessous, qui rend compte des échappées de saumons à Mission en 2004 par rapport aux années précédentes, témoigne de la prudence extrême avec laquelle on gère la pêche commerciale.

Échappées brutes à Mission1

1980 1 034 603
1984 1 287 671
1988 1 786 000
1992 2 036 000
1996 2 872 000
2000 3 167 000
2004 2 334 000

La remonte de 2004, estimée à 4,4 millions de sujets, dépassait de 15 % celle de 1988, qui s’était établie à 3,8 millions de sujets. Elle pouvait donc justifier une augmentation des efforts de pêche commerciale, par rapport à l’année 1988. Or, comme le démontre le tableau ci-dessous, c’est tout le contraire qui est arrivé.

 En juillet et août 2004, les fileyeurs ont consacré 992 jours à la pêche au saumon rouge dans le Fraser, par rapport à près de 13 989 jours pendant ces deux mêmes mois en 1988,  ce qui représente une baisse de 93 % des efforts de pêche.
 En juillet et août 2004, les ligneurs ont consacré 1 944 jours à la pêche au saumon rouge dans le Fraser, contre 24 515 jours pendant les deux mêmes mois en 1988, ce qui représente une baisse de 92 % des efforts de pêche.
 En juillet et août 2004, les seineurs2 ont consacré 125 jours seulement à la pêche au saumon rouge dans le Fraser, comparativement à 3 550 jours durant les deux mêmes mois en 1988, ce qui constitue une baisse de 96 % des efforts de pêche.

La remonte de 4,4 millions de poissons en 2004 était supérieure de 15 % à celle de 3,8 millions de poissons en 1988. Contrairement à la pêche commerciale, qui a beaucoup ralenti au cours des années dans le Fraser, la pêche autochtone, elle, a connu une hausse vertigineuse.

 En juillet et août 2004, les pêcheurs autochtones utilisant des filets maillants dérivants ont consacré en tout 1 230 jours à la pêche en amont du pont de Mission, contre seulement 147 jours au cours de la même période en 1988, ce qui représente une hausse de 840 % de l’effort de pêche de ces pêcheurs.
 En juillet et août 2004, les pêcheurs autochtones au filet fixe ont consacré 11 064 jours à la pêche en amont du pont de Mission, par rapport à 6 229 jours au cours de la même période en 1988, ce qui représente une augmentation de 78 % de l’effort de pêche de ces pêcheurs.

À la lumière de ces statistiques, il est clair que l’effort de pêche de la flotte commerciale a grandement diminué de 1988 à 2004, malgré une légère augmentation des stocks de remonte. En contrepartie, l’effort de pêche des autochtones en eau douce a connu une hausse spectaculaire.

Le tableau ci-dessous indique le pourcentage de la remonte totale récolté par les pêcheurs commerciaux.  Depuis la catastrophe de 1992, la flotte commerciale publique a récolté seulement  28 % de la remonte du cycle indiqué, comparativement à une moyenne de 69 % durant les cinq cycles précédant 1992.

Récoltes de saumon rouge des pêcheurs commerciaux canadiens dans le Fraser
(cycle de 2004)
Année Remonte totale Pêches commerciales publiques
canadiennes et américaines
(35 % pratiquées par les autochtones au Canada)
Pourcentage de la remonte
totale récolté par les pêches
commerciales publiques
1972 3 708 000 2 743 000 74 %
1976 4 341 000 3 284 000 76 %
1980 3 133 000 2 069 000 66 %
1984 5 919 000 4 572 000 77 %
1988 3 744 000 1 917 000 51 %
1992 6 493 000 4 220 000 65 %
1996 4 523 000 1 248 000 28 %
2000 5 217 000 1 448 000 28 %
2004 4 383 000 1 249 500 29 %

IV.     CAUSES POSSIBLES DE LA CATASTROPHE DE 2004

Tel qu’il était indiqué dans les rapports précédents, dont celui de 1992 de Pearse et Larkin, quatre facteurs peuvent expliquer la disparition du saumon rouge dans le Fraser en amont de Mission :

  a. un décompte erroné ou des données inexactes fournies par la station de comptage hydroacoustique exploitée par la Commission du saumon du Pacifique près du pont enjambant le Fraser à Mission;
  b. un calcul erroné du nombre de géniteurs ayant atteint les frayères;
  b. des récoltes légales ou illégales non déclarées entre le pont de Mission et les frayères;
  b. un taux de mortalité élevé des poissons entre Mission et les frayères.

Le présent rapport examine chacune de ces causes possibles dans l’ordre indiqué ci-dessus.


V.     LA STATION SONAR DE MISSION

La Commission du saumon du Pacifique exploite deux types de station sonar à Mission. La première est une station sonar monofaisceau qui, avec une capacité d’enregistrement de 30 ans, peut fournir des estimations précises sur le saumon rouge qui passe à Mission. Depuis 27 ans, c’est le même employé qui lit les données produites par ce sonar.

Le sonar a été examiné de près dans le cadre de l’étude menée en 1992 par Pearse et Larkin qui ont conclu :

«  Premièrement, il n’y a pas eu de faute flagrante, d’erreur d’allocation des stocks ou de source inhabituelle d’erreur systématique dans les données ou l’analyse de 1992. Deuxièmement, il est possible que les évaluations soient inexactes (comme peuvent l’être toutes les évaluations), mais il est peu probable que le pourcentage d’erreur ait dépassé 10 %. Troisièmement, la technique d’évaluation est telle que la probabilité d’une erreur menant à une surestimation du nombre de saumon passant à Mission n’est pas plus importante que la probabilité d’une sous-estimation, ce qui laisse peu de raisons d’attribuer l’écart à une erreur de dénombrement des poissons qui sont entrés dans le fleuve  ». (p. 22)

Dans son analyse complémentaire, Peter Larkin écrivait :

«  ... les résultats de l’analyse sont rassurants en ce sens que, ces 15 dernières années, on a constamment obtenu une certaine confirmation de l’exactitude et de la précision des comptes effectués à Mission. Lorsque toutes les populations sont confondues, l’écart global enregistré ces 15 dernières années est de 7,7 %, plus ou moins ». (p. 6)

Et dans son témoignage devant le Comité permanent des pêches et des océans, le Dr Larkin a déclaré :

«  Une étude détaillée du compteur a révélé que les dénombrements étaient exacts, ne comptaient pas le va-et-vient des poissons et ne comportaient pas d’erreur systématique, de sorte que nous avons écarté la possibilité que le compteur soit en cause  ».

En 1994, un groupe de chercheurs du MPO, de la Commission du saumon du Pacifique et du milieu universitaire a effectué une analyse détaillée de tous les aspects des activités de la station de Mission dans le cadre de l’étude du Fraser, et ont conclu :

«  Le rapport du Groupe de travail de la Station hydroacoustique de Mission constitue une évaluation de l’installation hydroacoustique de la Commission du saumon du Pacifique concernant l’estimation des échappées de saumons à Mission. Les auteurs concluent que, même si les erreurs systématiques possibles sont préoccupantes, elles risquent peu de fausser sensiblement les estimations des échappées. Nous sommes d’accord avec les principales conclusions et recommandations du rapport  ». (p. 85)

Dans la foulée de l’étude du Fraser, une équipe de la Commission du saumon du Pacifique et du MPO a été chargée de mettre au point et à l’essai une nouvelle technique pour améliorer les données du compteur de Mission. Un nouveau sonar à faisceau partagé a été mis à l’essai suivant la même configuration que celle utilisée pour la première fois en 2001. En 2004, le système a été utilisé pour la première fois pour produire des estimations quotidiennes en temps «  réel  » du nombre de saumons à la station de Mission. La Commission n’a pas remplacé le sonar monofaisceau par le nouveau système à faisceau partagé, mais a plutôt exploité les deux systèmes en tandem pour obtenir les meilleures données possibles.

Un problème est apparu dans le système à faisceau partagé au début de la migration du saumon rouge, mais il a été corrigé durant la saison. Il s’est avéré que le problème avait trait, non pas à la nouvelle technologie, mais à la lecture des données complexes produites.

L’étude après saison des données de la station de comptage effectuée par la Commission a confirmé les données de marquage et les résultats des pêches expérimentales. La Commission a conclu que les estimations après saison du nouveau système à faisceau partagé sont les meilleures pour le saumon rouge ayant passé à Mission en 2004. La Commission a aussi conclu que la disparition de 1,3 million de reproducteurs était attribuable à des facteurs présents en amont de Mission.

Toujours prudents, les employés de la Commission du saumon du Pacifique sont si convaincus de l’exactitude de leurs estimations révisées qu’ils ont été en mesure de préciser au Comité Williams à la fin de février que le coefficient de variation des estimations de Mission n’était que de 4 %.


VI.     MORTALITÉ MIGRATOIRE

La mortalité migratoire est attribuable à des causes naturelles telles que les maladies, la température élevée de l’eau, les fluctuations extrêmes du débit de l’eau ou, par exemple, des glissements de terrain. La mortalité attribuable à la pêche tient à la présence de filets ou d’hameçons.


VII.     MORTALITÉ MIGRATOIRE ATTRIBUABLE À DES CAUSES NATURELLES

Débits

Concernant les débits, les conditions en 2004 ont été comparables à celles de 1992 alors que Pearse et Larkin concluaient :

«  Dans le Fraser, les débits ont été faibles l’été dernier, mais aucun blocage n’a été observé et il est peu probable que le ralentissement du débit ait causé du stress ou des retards importants chez le saumon  ». (p. 23)

En 1994, les auteurs de l’étude sur le Fraser concluaient que «  l’effet des températures élevées a été atténué dans une certaine mesure par des niveaux et des débits essentiellement normaux  ». (p. 23).

Au plus fort de la remonte hâtive du saumon de la Stuart dans le canyon du Fraser, le Panel du Fraser a déclaré dans son communiqué du 16 juillet 2004 :

«  Le débit du Fraser (à la hauteur de Hope) est actuellement de 3 550 mètres cubes à la seconde, soit 37 % inférieur à la normale. La température de l’eau du Fraser (au ruisseau Qualark) est actuellement de 18,2C. Même si les conditions actuelles dans l’axe fluvial du Fraser sont en général propices à la migration du saumon rouge, la température de l’eau devrait augmenter au cours des prochains jours, ce qui pourrait causer du stress physiologique chez le saumon rouge en migration  ».

Comme en 1992, les débits ont été propices à la migration du saumon rouge. Au lieu de faire face à des débits de 3 865 mètres cubes par seconde, le saumon rouge en migration dans l’axe fluvial a dû surmonter, le 9 août, des débits de l’ordre de 2 550 mètres cubes par seconde seulement – soit une réduction de 34 %3. En effet, en 2004, il a fallu au saumon rouge un effort réduit du tiers pour remonter le fleuve par rapport à une année normale.

Glissements de terrain et autres obstacles naturels

Le seul glissement de terrain ou obstacle naturel observé cette année sur le Fraser ou ses affluents a été un fort glissement de terrain qui a complètement bloqué la rivière Chilcotin (un important affluent du Fraser) près du canyon Farewell, pendant 14 heures environ, le 29 août.

Heureusement, les conséquences du glissement de terrain n’ont pas été tragiques, comme le faisait remarquer M. Timber Whitehouse, directeur de l’évaluation des stocks du MPO, parce que «  80 % de la remonte totale se serait trouvée en amont de Farewell au moment du glissement  ».

Température de l’eau et maladie

Pearse et Larkin en 1992 et Fraser en 1994 ont écarté la température élevée de l’eau comme cause principale de la disparition du saumon. En 2004, après avoir examiné les mêmes facteurs, Pearse, Larkin et Fraser en sont arrivés à la même conclusion.

Dénombrement des carcasses

On n’a relevé aucun indice d’hécatombe d’une ampleur qui pourrait expliquer la disparition de 1,3 million de saumons rouges. La plupart des observations confirment ce qu’a déclaré Tom Grantham, surveillant des pêches au bureau de Lillooett :

«  À noter que nous n’avons pas relevé de grands rassemblements de saumons rouges le long du Fraser comme nous l’avions fait en 1998, alors que les conditions étaient comparables  ». (1er février 2005, Comité Williams)

M. Brian Richman, agent des pêches à la retraite, responsable de la région du bas Fraser, a déclaré :

«  Concernant l’effet de la température sur la mortalité du poisson, il ne fait aucun doute que des saumons meurent à 18,5o Celsius. Toutefois, c’est là une réponse générale, une réponse facile : vous savez, tous ces poissons ont disparu parce qu’ils sont morts et ont coulé au fond. C’est là une réponse excessive ou du moins exagérée. Et peu importe le nombre de saumons rouges qui ont coulé, ce qui est observable dans le canyon, c’est le nombre élevé de mortalités telles qu’on peut les observer au nombre de poissons ramenés à la surface, sur les berges, sous l’action des eaux turbulentes  ». (19 janvier 2005, Comité Williams, p. 115)

L’agent des pêches Ray, du bureau du MPO à Chilliwack, a déclaré :

«  Je peux dire qu’à titre d’agent des pêches à Chilliwack, je travaille dans la région, entre Mission Bridge et Hell's Gate, depuis 16 ans maintenant. Et j’ai été témoin certaines années – je crois que c’était en 1998 – d’un nombre élevé de mortalités avant le frai. Et c’était facile à observer sur le Fraser cette année-là. Un nombre élevé de poissons, surtout du saumon rouge, flottait à la surface. Mais cela n’était pas le cas en 2004  ».

Et l’agent des pêches Clift, qui travaille également au bureau de Chilliwack, a déclaré :

«  Pour replacer les choses en perspective, je dirai qu’il y a toujours des poissons morts qui descendent le courant avant le frai. C’est le cas tous les ans. Mais je ne pense pas que la situation est anormale cette année  ».

Mortalité avant le frai

En 2004, on n’a toutefois pas relevé de mortalités avant le frai. Selon M. Timber Whitehouse, directeur de l’évaluation des stocks du MPO pour la région de l’intérieur de la Colombie-Britannique, où 90 % des saumons rouges du Fraser se reproduisent :

«  En fait, le succès de la reproduction dans la plupart des zones terminales a été supérieur à la moyenne à long terme  ». (24 janvier 2005, p. 101)

«  Et ce que nous n’avons pu observer en général dans l’ensemble du bassin versant, c’est le taux élevé de mortalités avant le frai. En fait, le succès de la reproduction dans la plupart des zones terminales a été bien supérieur à la moyenne à long terme  ». (p. 102)

Saumon rouge hâtif de la Stuart : Effet de la température ou?

On estime que 129 000 saumons rouges hâtifs de la Stuart ont passé à la station sonar de Mission et que 75 000 seulement ont été pêchés par les Autochtones, mais que 9 000 seulement ont atteint les frayères.

Le 13 juillet 2004, au plus fort de la migration des stocks hâtifs de la Stuart, la Commission du saumon du Pacifique signalait que «  la température de l’eau du Fraser à Hell’s Gate, le 11 juillet, était de 16,2o C environ, ce qui est légèrement plus élevé que la normale pour cette date  ».

On ne peut s’attendre à un nombre très élevé de mortalités à cause de la température élevée de l’eau lorsque cette température n’est que «  légèrement plus élevée que la normale  » et, pourtant, 7 % seulement des saumons hâtifs de la Stuart qui ont passé à Mission ont atteint les frayères.

Le surveillant des pêches Grantham, du bureau du MPO à Lillooett, a informé le Comité Williams que, selon ses observations, «  les conditions de migration étaient excellentes pour le saumon rouge hâtif de la Stuart  ».

Il a aussi fait remarquer que les pêcheurs autochtones de la région de Lillooett devaient pêcher pendant de longues heures au filet maillant ou à la ligne pour capturer du poisson  ». Cela indique que les stocks hâtifs de la Stuart ne se sont jamais rendus au-delà du Canyon Fraser.

Les saumons hâtifs de la Stuart qui ont atteint les frayères portaient 10 fois plus de marques de filet que le nombre moyen, mais ont connu un succès de reproduction exceptionnel, ce qui indique que : a) ce sont les filets utilisés par les Autochtones plutôt que les facteurs environnementaux qui expliquent que le nombre de reproducteurs a été le plus faible en 30 ans dans les frayères (les stocks hâtifs de la Stuart de 2004 n’ont pas fait l’objet d’une pêche commerciale publique) et b) la température de l’eau n’a pas contribué à la disparition des stocks hâtifs de la Stuart.

Aucune corrélation entre les dénombrements dans les frayères et la température

Dans sa présentation devant le Comité Williams, M. Timber Whitehouse, directeur de l’évaluation des stocks au MPO, a indiqué que 6 % à peine des saumons hâtifs de la Stuart qui ont passé à Mission ont atteint les frayères; que 19 % des stocks de début d’été ont atteint les frayères tout comme l’ont fait 29 % des stocks de la remonte d’été.

Si la température était le principal facteur qui contribue à la disparition du poisson, un pourcentage plus élevé de poissons serait mort à cause de la température plus élevée. On a fait remarquer à M. Whitehouse que, si le poisson manquant était mort à cause de la température élevée de l’eau, comme cela devrait être le cas normalement, c’est le contraire qui s’est produit puisque un pourcentage élevé de poissons ont atteint les frayères alors que la température avait augmenté. M.  Whitehouse a répondu : «  Je ne saurais aucunement être en désaccord avec votre observation générale… Je serais plutôt d’accord  ».


VIII.     MORTALITÉ DUE À LA PÊCHE

Poissons tombés des filets

Les filets fixes installés dans les eaux vives du canyon du Fraser sont régulièrement laissés sans surveillance pendant de longues périodes car le canyon n’offre guère d’abris pour les pêcheurs. La rigidité cadavérique s’installe après la mort et le poisson tombe des filets sans surveillance, ce qui vient grossir les statistiques sur les pertes en cours de route.

Le problème des poissons tombés des filets a été porté à la connaissance du MPO en 1992 par M. Peter Larkin, qui a déclaré :

«  Parallèlement, avec autant de filets dans le fleuve, un grand nombre de poissons se sont pris dans les filets maillants et sont tombés morts …  »

La conclusion de M. Larkin a été confirmée par M. Blair Holtby, un employé du MPO détaché auprès du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique, qui a déclaré lors de sa comparution devant le Comité des pêches que le «  … décrochage des filets maillants est un problème bien connu4  ».

C’est M. Robert Gould qui a porté à la connaissance du Comité des pêches l’ampleur potentielle du problème. Après avoir mené une étude sur les poissons tombés des filets dans la rivière Stikine, dans le nord de la Colombie-Britannique, il a conclu ce qui suit :

«  Le principe fonctionne ainsi. Si un filet est installé dans un remous très vif, comme celui que vous voyez indiqué sur le graphique, et qu’il n’est pas vidé aux deux heures, au bout de 24 heures il aura en théorie, d’après ce graphique, perdu cinq fois plus de poissons qu’il n’en aura livré.  »

M. Gould a dit ne pas comprendre que le problème du décrochage ait été porté à la connaissance du MPO à de nombreuses reprises au cours de la dernière décennie, mais que celui-ci ait refusé de mener les études nécessaires afin de déterminer l’ampleur réelle du problème sur le fleuve Fraser.

Mortalité due aux contacts avec les filets

Les saumons qui migrent dans les eaux vives du canyon du Fraser sont obligés de frôler les parois du canyon et de se projeter de remous en remous en se battant pour remonter le fleuve. Pendant la pêche autochtone, les filets créent une barrière quasi-impénétrable pour le poisson. Les filets fixes sont suspendus en amont de chaque remou et sont souvent fabriqués de monofilaments formant une barrière presque invisible dans les eaux chargées de limon.

Afin de se frayer un chemin, le poisson doit se faufiler entre la paroi rocheuse du canyon et le haut du filet, ou nager sous celui-ci. Les poissons qui ne tiennent pas compte du remous et luttent contre le courant sont souvent pris dans les eaux tumultueuses et ramenés en aval.

Le sockeye a des réserves d’énergie limitées car il ne se nourrit pas après être entré dans les eaux douces. Les obstacles répétés que constituent les filets nuisent sérieusement à sa capacité d’atteindre les frayères. En 1992, MM. Pearse et Larkin ont fait valoir ce qui suit :

«  En plus du stress causé par les températures élevées de l’eau, ces poissons portaient des marques des filets maillants. Lorsqu’un saumon traverse les filets, il peut s’y emmêler, mais s’en échapper par la suite. Il porte alors des marques tout à fait caractéristiques du filet. L’effort déployé pour se dégager sape son énergie. Le personnel chevronné travaillant sur le terrain a rapporté que les géniteurs de la remonte hâtive de la rivière Stuart, en particulier, sont arrivés en très mauvais état, avec des marques anormalement fréquentes de filet; ces poissons avaient dû faire face à une pêche intensive aux filets maillants en aval.  » (p. 24)

Dans son témoignage devant le Comité Williams, le représentant du MPO Timber Whitehouse, chef de l’évaluation des stocks à l’intérieur de la C.-B., a dit :

«  Les marques de filet ont constitué l’une des principales observations courantes des équipes de surveillance dans tout le bassin hydrographique cette année, et ce pour tous les groupes de remonte. Les marques de filet étaient très répandues.  » (p. 107)

Lorsqu’on lui a demandé de fournir des données précises, M. Whitehouse a répondu :

«  Nous avons vu les marques de filet – il s’agit des trois systèmes qui permettent une manutention directe du poisson et on peut avoir la certitude absolue que lorsqu’une marque est décrite comme étant une marque de filet, il s’agit bien d’une marque de filet. À Chilko, l’incidence en 2004 était comme vous l’avez mentionnée, environ 39 %. À Kynoch, l’incidence était d’environ 13 %, et à Tachie, c’était un peu plus de 60 %. À titre comparatif, l’incidence moyenne des marques de filet entre 1995 et 2003 était de 14,8 % à Chilko, de 1,4 % à Kynoch, c'est-à-dire la remonte hâtive de la Stuart, et de 19,5% à Tachie.  »

L’incidence anormalement élevée de poissons ayant des marques de filet dans les frayères en 2004 prouve de façon éloquente qu’il se déroule d’importantes activités de pêche au filet maillant en aval des frayères. Étant donné que la pêche publique commerciale au sockeye dans le fleuve Fraser était limitée à 39 heures en 2004, la seule explication du pourcentage élevé de poissons ayant des marques de filet est la pêche autorisée et non autorisée en rivière par les Autochtones.

M. Ian Todd, qui a dirigé la Commission du saumon du Pacifique de 1986 à 19995, a bien décrit la barrière créée par les filets fixes dans le canyon du Fraser. Lors de son témoignage devant la Cour provinciale de la C.-B. dans l’affaire Regina c. Sonnenberg6, M. Todd a indiqué au tribunal qu’après la fermeture de la pêche en rivière pour les Autochtones le 17 août 1992 :

«  Je me suis moi-même rendu au canyon Hell Gate et, ce jour-là, nous avons pu compter au passage environ 92 000 poissons, soit le nombre le plus élevé de toute l’année. C’était certainement davantage que tout ce que nous avions vu pendant l’année. Je pense que, jusque-là, nous n’avions pu en observer plus de 3 000 ou 4 000 … C’est une combinaison des captures et, à notre avis, du retard pris par les poissons n’ayant pas été capturés … cette hausse subite nous a donné à penser qu’il y avait un double impact sur les pêches – l’un causé par les captures très nombreuses, l’autre par le fait que le nombre de filets dans le fleuve et les conditions de celui-ci à l’époque ont contribué au retard.  »

Le rapport du Comité Fraser à la Commission du saumon du Pacifique sur la situation des pêches en 19927 fournit de plus amples détails sur ce qui est arrivé après la fermeture de la pêche en rivière pour les Autochtones :

«  La comparaison du nombre estimatif de saumons passant à Mission et du nombre de ceux atteignant les frayères ont montré que la remonte hâtive de la Stuart et celle du début d’été du sockeye faisaient l’objet d’une exploitation intensive de la part des Autochtones. Les saumons arrivés dans les frayères correspondaient en moyenne à 24 % du nombre estimatif de ceux ayant passé à Mission.

«  L’incidence de la pêche autochtone sur la remonte d’été passant à Mission avant le 17 août était également très forte … les taux de capture du poisson migrant après cette date étaient presque nuls car ce poisson était protégé par la fermeture de la pêche commerciale et autochtone dans l’axe du fleuve Fraser … Lors de l’arrivée du sockeye du Chilko à un poste de comptage en aval du lac Chilko, on a constaté que près de 100 % des poissons du Chilko passant par Mission après le 16 août sont arrivés au poste, comparativement à 21 % des poissons ayant passé à Mission entre le 2 et le 8 août, et à 52 % des poissons ayant migré entre le 9 et le 15 août (ce groupe était partiellement protégé par les fermetures en amont).  »

En 2000, les scientifiques halieutistes de la C.-B. ont également observé un impact spectaculaire des filets fixes autochtones dans le canyon du Fraser :

«  […] Pendant que les filets étaient dans l’eau, le passage du poisson s’effectuait essentiellement vers le fond du fleuve et à un endroit plus éloigné (de la rive). Au début de la période de pêche, le nombre de poissons a baissé de façon spectaculaire, chutant d’une moyenne de 1 000 poissons à l’heure à moins de 200 poissons à l’heure. Après la fermeture, le passage est revenu vers la rive et s’est effectué à tous les endroits. La deuxième ouverture (filets fixes autochtones), du 5 au 8 août 1998, a donné lieu à une situation similaire. Le passage a chuté de 8 000 poissons à l’heure à moins de 1 000 poissons à l’heure immédiatement après le début de la pêche8.  »

La variation des estimations quotidiennes du nombre de poissons ayant franchi le canyon Hell Gate en 2004 illustre également l’effet de barrière de la pêche au filet fixe. Le 15 août 2004, on a fermé la pêche autochtone intensive entre Mission et Sawmill Creek. Dans les quatre jours qui ont suivi, on a observé le passage de 80 200 sockeye dans le canyon Hell Gate, alors qu’au cours des 10 jours précédents, seulement 52 800 sockeye étaient passés au même endroit, soit 5 280 par jour.

Le chiffre de 20 050 par jour après la fermeture de la pêche autochtone, comparativement à 5 280 par jour lorsque la pêche autochtone était ouverte, est fortement révélateur de l’effet de blocage de la pêche en question (ces chiffres ne représentent pas le nombre total de poissons de passage).

Résumé – Mortalité due à des causes naturelles et à la pêche

En 1992, MM. Pearse et Larkin indiquaient ce qui suit :

«  À la lumière de toutes ces informations, nous en avons conclu que la mortalité du saumon rouge, avant qu’il atteigne les frayères, était un peu plus élevée que normalement; elle correspondait à environ 20 p. 100 de la remonte hâtive de la rivière Stuart, telle qu’elle a été dénombrée à l’entrée du fleuve, à 10 p. 100 de la remonte de début d’été et à 7 p. 100 de la remonte d’été, soit une moyenne pondérée d’environ 10 p. 100.  » (p. 24)

En 1994, le Comité Fraser a rejeté un taux de mortalité de 15 % :

«  Le taux de mortalité de 15 % proposé par le groupe de travail n’est rien d’autre qu’une estimation éclairée, dans une large mesure une extrapolation à partir de l’estimation de 10 % faite par Peter Larkin en 1992. Celle-ci, peut-être adéquate à l’époque, ne devrait pas servir de fondement à des estimations subséquentes. En outre, le pourcentage du groupe de travail est vraisemblablement surévalué car il ne tient pas compte des captures au-delà de Mission.  »

Le Comité Fraser ayant rejeté un taux de mortalité en rivière de 15 %, l’application de celui-ci n’expliquerait malgré tout que 200 000 des 1 325 000 saumons rouges manquants, ce qui laisse 1 125 000 poissons dont on a perdu la trace.


IX.     PRISES NON DÉCLARÉES DANS LA PÊCHE AUTOCHTONE EN EAU DOUCE

Les prises autochtones non déclarées constituent une fois de plus un facteur-clé dans le désastre de 2004 étant donné la pêche autochtone très soutenue pratiquée en amont de Mission et la capacité manifeste des pêcheurs autochtones de déplacer de vastes quantités de poissons sans signaler cette récolte au MPO.

La pêche autochtone autorisée par le MPO

Une comparaison de la pêche autochtone de 1988 (même cycle que 2004) et de la pêche autochtone de la saison dernière montre une augmentation radicale de l’effort de pêche autochtone en eau douce. Ainsi, en juillet 1988, l’effort de pêche des Autochtones à l’aide de filets fixes entre Mission et North Bend se chiffrait au total à 1 744 jours. En 2004, cet effort de pêche avait grimpé à 5 461 jours. L’effort de pêche autochtone en eau douce a donc progressé de plus de 300 p. 100 entre 1988 et 2004.

Impact des pêches autochtones autorisées par le MPO sur la remonte hâtive de la Stuart

L’impact de cet accroissement de l’effort de pêche est très évident si l’on compare l’effort ciblé sur la remonte hâtive de la Stuart en 1988 et en 2004, entre Mission et Sawmill Creek. En 1988, la remonte hâtive de la Stuart se chiffrait à 195 000 saumons rouges – soit un chiffre statistiquement identique aux 191 000 saumons estimés en cours de saison pour la remonte de 2004.

Juillet constitue un mois-clé pour la migration du stock hâtif de la Stuart jusqu’au canyon du Fraser, sur le chemin des frayères situées au nord-ouest de Prince George. Malgré une pêche autochtone plus limitée et moins soutenue en 1988 comparativement à 2004, le MPO avait fermé la pêche du 6 juillet au 29 juillet, sauf pour une seule journée, afin de protéger la remonte hâtive de la Stuart.

En 2004, le ministère a fait exactement l’opposé. Il a ouvert une pêche autochtone en amont de Mission tous les jours du mois de juillet. Un cadre supérieur du MPO en poste en C.-B. démontre d'ailleurs l’insensibilité du MPO face à son devoir de protéger la pêche :

M. John Cummins : Et c’est ça le problème. Il y a eu des pêches culturelles très importantes en 1987 et 1988. Rien n’a changé. Mais pour protéger la ressource – comme la Cour suprême du Canada l’a précisé dans l’arrêt Sparrow, tout d’abord la conservation et ensuite la pêche autochtone à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales – ils ont fermé la pêche en 1987. Ils l’ont aussi fermé en 1988. Et vous, vous ne l’avez pas fermé en 2004. C’est ça le problème, n’est-ce pas monsieur Sprout?

M. Paul Sprout : Une fois de plus, je croyais que la discussion d’aujourd’hui devait porter sur la pêche de 2004. Je me rends compte que l’honorable député soulève des questions concernant une pêche survenue il y a 14 ans. Nous allons faire notre possible pour vous fournir d’autres renseignements afin d’expliquer encore davantage la réponse que nous avons fournie jusqu’à maintenant.

Jusqu’à ce jour, le Comité des pêches n’a reçu aucun autre renseignement du ministère afin d’expliquer sa décision d’autoriser l’extermination de la remonte hâtive de saumons rouges de la Stuart en 2004.

Seulement 9 000 saumons du stock hâtif de la Stuart sont parvenus aux frayères cette année, soit tout juste 7 p. 100 des 129 000 qui avaient été dénombrés à la station de Mission. C’est la plus faible remonte de ce cycle en trois décennies, un fait surprenant qui ne semble pas préoccuper le cadre supérieur du MPO en poste en C.-B.

Les prises non déclarées dans la pêche autochtone

Dans pratiquement toutes les pêches de la planète, certains pêcheurs ne déclareront pas de manière exacte leurs prises. L’ampleur des prises non déclarées dans le cadre de la pêche autochtone pratiquée dans le fleuve Fraser est bien connue. L’existence de ce problème a été reconnue par le ministre des Pêches, John Crosbie, devant le Comité des forêts et des pêches, en mai 1993, lorsqu’il a formulé l’idée que la légalisation de la vente du poisson pêché à des fins de subsistance règlerait ce problème :

 «  … en ce qui touche à la vente de poisson, nous ne disons pas qu’il nous faut procéder ainsi en raison de l’arrêt Sparrow. Nous souhaitons procéder ainsi parce que nous croyons que c’est la meilleure politique à adopter parce que nous le savons depuis des années… Les Autochtones capturent et vendent de grandes quantités de poissons. C’est une expérience que nous tentons afin de voir si cela ne pourrait pas améliorer les choses… C’est pourquoi nous tentons ces expériences  ». (c’est nous qui soulignons)

Dans leur rapport de 1992, MM. Pearse et Larkin soulignaient ce qui suit :

«  Selon certains, il est à peu près impossible que des centaines de milliers de poissons aient été capturés et qu’on en ait disposé sans attirer l’attention. Toutefois, les informations reçues laissent planer peu de doutes sur ce point. En 1990, alors que la moitié seulement du nombre d’engins avaient été utilisés, les prises rapportées atteignaient le double des évaluations de 1992. On croit que presque toutes les prises ont été vendues  ».9

L’enquête menée par John Fraser en 1994 a donné des résultats similaires :

«  Étant donné l’information reçue de plusieurs intervenants, nous sommes d’accord avec le In-river Catch Estimation Working Group lorsqu’il affirme que la fiabilité des estimations de prises fournies ne peut être vérifiée. De plus, en raison de compressions dans le personnel du MPO chargé de l’application des règlements, on ne dispose tout simplement pas de suffisamment d’agents pour estimer l’ampleur des prises illégales  ». (p. 21)

Certains soutiennent que la pêche autochtone ne pourrait permettre de récolter et encore moins de vendre 1,1 million de saumons rouges, mais comme le soulignait MM. Pearse et Larkin dans la citation ci-dessus, la pêche autochtone a permis de capturer et de vendre illégalement quelque 890 000 saumons rouges en 1990. En 2004, il est irréaliste de supposer que les pêcheurs autochtones ne pouvaient pas capturer en eau douce, transporter et vendre quelque 200 000 saumons rouges de plus que les 890 000 qu’il avait récoltés en 1990.

En 2004, l’effort de pêche des Autochtones dans le Bas-Fraser représentait plus du double de celui de 1990. En 2004, les pêcheurs autochtones bénéficiaient d’un accès légal à des usines de transformation (notamment deux nouvelles usines situées sur des réserves du Bas-Fraser) et avaient également accès à des facilités de congélation commerciales. Des compagnies de camionnage étaient légalement autorisées à déplacer des contenants réfrigérés d’une capacité de 40 000 livres à divers endroits le long des rives afin d’aider au transport du poisson.

Des pêcheurs autochtones avaient aussi accès à des courtiers en poisson peu scrupuleux et pouvaient légalement transporter du poisson dans des semi-remorques jusqu’aux États-Unis ou en Alberta. Une application laxiste des règlements dans certains tronçons du fleuve ont également facilité la récolte, le transport et la transformation des prises non déclarées.

En 1992, MM. Pearse et Larkin ont conclu que les pêches autochtones étaient beaucoup plus élevées que les estimations du ministère, et ce, pour plusieurs raisons, mais en particulier parce qu’elles étaient fondées sur des rapports radio sur les prises, et en raison d’une pratique commune consistant à utiliser plusieurs filets et des filets non autorisés durant la nuit, ou encore à mettre en place des filets avant les ouvertures ou après les fermetures (p. 37).

La non-fiabilité des prises déclarées par rapports radio font en sorte que le MPO sous-estime continuellement les prises autochtones10. MM. Pearse et Larkin écrivaient d’ailleurs ceci en 1992 :

«  … on a accordé plus d’importance aux «  rapports des pêcheurs  », c’est-à-dire aux réponses des pêcheurs aux questions concernant leurs prises. Toutefois, il est bien connu que l’information ainsi recueillie est peu fiable. Selon les vérifications faites dans le cours inférieur du fleuve l’an dernier, les prises réelles dépassent habituellement le double de ce que rapportent les pêcheurs  ». (p. 37) (c’est nous qui soulignons)

En 1999, le superviseur des agents des pêches Herb Redekopp a effectué une vérification de la pêche pratiquée par la bande indienne Musqueam et a conclu ce qui suit11:

«  De plus, la vérification d’aujourd’hui confirme les données d’enquête des semaines précédentes. Elles indiquent un écart d’environ 300 p. 100… Les données sur les prises fournies au MPO par les pêcheurs de Musqueam sont au mieux inexactes. Elles ne devraient pas servir de fondement à la prise de décisions relative à la gestion des pêches  ».

De plus, dans un rapport préparé en 2000 à l’intention du MPO sur la pêche autochtone pratiquée illégalement dans le fleuve Fraser, la firme ESSA Technologies précisait ce qui suit :12

«  De plus, ce rapport ne porte pas sur les activités de pêche interdites éventuellement effectuées durant le séchage, au cours des trois dernières semaines de juillet 2000, alors que les agents des pêches ont déclaré observer des personnes relevant des filets, surtout la nuit, sans déclarer les prises par l’entremise du système de rapports radio volontaires exploité par les bandes locales des Premières nations  ».

Malgré les lacunes bien documentées de ce système de rapports radio pour l’enregistrement des prises, en février 2005, M. Bert Ionson, le coordonnateur du saumon pour la région du Pacifique au MPO, a déclaré que la meilleure façon d’améliorer la surveillance des prises en eau douce dans le cadre de la pêche autochtone est «  d’envoyer plus de gens sur l’eau pour procéder réellement à ces rapports radio…  ».

Il est clair que les cadres supérieurs du ministère ne souhaitent pas admettre l’échec du système sur lequel ils se fondent pour gérer la pêche autochtone en eau douce.

Le témoignage mentionné par le juge Jardine, de la Cour provinciale de la C.-B., dans le jugement qu’il a rendu en 2004 dans l’affaire Regina v. Douglas et. al. est tout aussi saisissant :

«  Quant au témoignage de M. Quipp, M. Wood et M. Victor, personne ne sait réellement combien de poisson capturent les Cheams. M. Quipp a estimé que ses prises avec M. Wood, son partenaire, s’élevaient à au moins 10 000 saumons rouges ou plus, de même qu’à plus de 1 000 saumons quinnats. S’il ne se trompe pas et qu’il y a 60 de ces pêcheurs, les Cheams prennent beaucoup de poissons. Cela donnerait une estimation se situant dans les centaines de milliers. M. Quipp a été très franc lorsqu’il a déclaré que les poissons qu’il capturait servaient tout d’abord à combler ses besoins et qu’il vendait ensuite à peu près 90 p. 100 du reste  ». (paragr. 51)

Ces 10 000 saumons rouges et 1 000 saumons quinnats ont été capturés à l’aide d’un filet fixe de 60 pieds accroché à la rive. Plus de 500 de ces filets fixes sont utilisés dans le fleuve Fraser au plus fort de la remonte du saumon rouge.

M Brian Richman, agent des pêches et chef adjoint de l’application des règlements pour la zone du Bas-Fraser qui a pris sa retraite du MPO en novembre dernier, après 29 ans au sein du ministère, a dit ce qui suit au sujet de la capacité des pêcheurs autochtones de transporter le poisson pêché dans le fleuve13:

«  … j’ai parlé à un cadre des douanes travaillant à la frontière. Et il m’a raconté que les douanes avaient décidé, pour une raison inconnue, de considérer comme un chargement commercial plus de 1 500 livres de poissons traversant la frontière, même s’il ne s’agissait pas d’un chargement commercial et qu’on soutenait qu’il s’agissait d’un chargement personnel pour utilisation personnelle. Et il a ajouté que 100 véhicules par jour traversaient la frontière avec plus de 1 500 livres de poisson  ».

En 1992, MM. Pearse et Larkin ont conclu «  que les prises [de la pêche autochtone] étaient passablement plus élevées que les évaluations du ministère  ». (p. 37)

En 1994, le rapport Fraser précisait :

«  Que la fiabilité des estimations de prises ne peut être vérifiée. De plus, en raison des compressions dans le personnel du MPO chargé de l’application des règlements, on ne dispose tout simplement pas de suffisamment d’agents pour estimer l’ampleur des prises illégales  ».

L’ampleur de la récolte et des ventes illégales de saumons décrites dans la décision du juge Jardine et dans les témoignages fournis par M. Brian Richman, agent des pêches à la retraite, ont choqué les gens qui suivent la pêche autochtone en eau douce depuis de nombreuses années. Si un filet permet de capturer 10 000 saumons rouges et qu’il y a plus de 500 filets en place, il est absurde de conclure que les 499 autres filets ont permis de capturer moins de 1 000 poissons chacun comme le MPO le soutient dans les estimations des prises qu’il a publiées.

Étant donné que moins d’agents des pêches sont au poste en 2004 que ce n’était le cas en 1994 et que les Cheams et certains autres groupes autochtones passent de plus en plus outre aux règlements sur les pêches, il est raisonnable de supposer que la situation s’est aggravée entre 1994 et 2004.

Comme John Fraser l’a précisé dans son rapport de 1994, «  on ne trouvera pas de preuves si on ne débloque pas des ressources pour les chercher  ».


X.     APPLICATION DES RÈGLEMENTS : LA CRISE PERMANENTE

Il faut absolument doter la Direction de la conservation et de la protection de Pêches et Océans Canada de ressources suffisantes si le Canada doit remplir l’obligation que lui font les Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de protéger et d’encourager les pêches de la province14.  Malgré cette obligation constitutionnelle, le gouvernement fédéral mine sciemment la Direction de la conservation et de la protection du MPO en imposant de fortes compressions budgétaires, en omettant de mettre en place un régime de réglementation pour gérer la pêche autochtone et en négligeant de façon systémique la fonction d’application des règlements du ministère.

Les témoignages des hauts fonctionnaires du MPO devant le Comité des pêches concernant les capacités d’application des règlements du ministère contrastent fortement avec ceux des agents des pêches du MPO dans le cadre de l’examen Williams.

M. Robert Melvin, agent des pêches de la Section des enquêtes spéciales du ministère, déclare (1er février 05) :

 La vente illégale de poissons pris par les autochtones a lieu pendant toute la période de fermeture de la pêche. Toutes les recommandations que son bureau a formulées concernant les ventes illégales sont restées lettre morte.
 Face à l’agressivité des pêcheurs autochtones du Bas-Fraser, le ministère a toujours reculé plutôt que de faire respecter les règlements régissant la période de fermeture.

M. Douglas Cowen, superviseur d’agents des pêches à Salmon Arm dans l’intérieur de la Colombie-Britannique, déclare :

 Les réductions de personnel ainsi que les restrictions en matière de budgets et d’heures supplémentaires paralysent les opérations de la Direction de la conservation et de la protection dans son secteur.
 Le gros du poisson clandestin en provenance de l’intérieur de la Colombie-Britannique est vendu dans la région de l’Okanagan et notre bureau en a fait une priorité en 2002, mais nous ne faisons rien contre le marché noir depuis 2002.
 Nos patrouilles ne se font que pendant les heures obligatoires et dans un rayon maximal de 3 heures autour de notre bureau.  Il en résulte qu’il n’y a pas pratiquement pas de patrouilles dans presque toute la région dont notre bureau est censé s’occuper.
 Il y a plusieurs années, nous avons perdu le pouvoir de participer à des barrages routiers alors que la Transcanadienne passe en plein milieu de mon secteur et sert de voie d’acheminement majeure des produits du poisson vers les Prairies.
 « Pour faire notre travail, il faut plus que de l’argent, il faut aussi une bonne législation et de la volonté politique. »

M. Tom Grantham, superviseur d’agents des pêches de Lillooet, juste en amont du canyon du Fraser, déclare :

 Notre secteur couvre une superficie d’environ 12 000 milles carrés.  Nous avons quatre agents itinérants et un superviseur.
 Nous n’avons plus de budget pour les hélicoptères.  Nous en avions un assez important.  À cause de la distance entre le bureau de Lillooet et les lieux de pêche, nos patrouilles sont limitées à cause des restrictions en matière d’heures supplémentaires.
 On ne fait rien contre les ventes illégales à cause de contraintes budgétaires.

M. Cartwright, agent des pêches de Chilliwack, juste en aval du canyon du Fraser, déclare :

 Bien avant 2004, nous avons eu l’instruction de ne pas faire respecter la loi aux autochtones.

M. Brian Richman, chef de secteur des services de conservation et de protection du Bas-Fraser, déclare :

 « Lorsque j’ai demandé à l’agent des douanes de me fournir des détails sur le poisson qui traverse la frontière, il m’a dit non parce que nous ne sommes pas considérés comme un organisme d’application des règlements. »
 « En 2001 ou 2002, on m’a confié la tâche de dresser une stratégie de lutte contre les ventes illégales.  Ce devait être une affectation de trois ans.  Deux jours après mon entrée en fonction, on m’a dit que ce n’était que 60 pour cent de mon travail. Après un an, on m’a dit que c’était moins de 50 pour cent. . . puis après un an et demi, on m’a dit de tout laisser tomber. »
 « En fait, pendant plus d’un an, les agents n’ont fait que passer dans le territoire des Cheams sans se mêler d’appliquer les règlements. . . »

M. Ray, agent des pêches du bureau de Chilliwack, déclare :

 « Il y a eu 168 rapports de pêche illégale au pont d’Agassiz et à proximité et, dans la première partie de 2003 et la dernière partie de 2004, notre programme d’application des règlements ne prévoyait pas de mesures d’application des règlements. »
 « En 2000, le ministère a conclu des protocoles.  Et on nous a informés à l’époque que nous ne devions pas entrer en contact avec les membres de la Première nation Cheam à des fins d’application des règlements.  Nous devions nous contenter de prendre des mesures opportunistes.  Et les protocoles ont de plus en plus restreint notre travail à cause des interprétions qu’on en donne.  Ils ont continué en 2001 et 2002 d’entraver vraiment notre aptitude à mener des activités d’application des règlements.  Par ailleurs, les membres qui se livraient à la pêche illégale ailleurs sur le fleuve sont devenus mécontents parce qu’ils n’étaient pas traités de la même façon.  Nous avons été simplement dépassés par le nombre de violations. »

M. Laverty, agent des pêches du bureau de Chilliwack, déclare :

 « Là encore, il ne s’agit pas d’une pêche alimentaire, sociale et rituelle, mais d’une grande pêche commerciale.  Il y a la pêche ordinaire, que ce soit au quinnat ou au rouge, et la pêche alimentaire, sociale et rituelle par suite de l’explosion du nombre des permis de ce genre pendant la période de fermeture. Il y a la période de pêche de deux semaines, puis la pêche alimentaire, sociale et rituelle pendant la fermeture. »
 « Je ne fais plus confiance à personne – quiconque dans cette salle quant à moi pourrait pendant la période d’ouverture jeter 100 filets fixes dans le Fraser et déclarer n’importe quoi, et je ne saurais pas la différence. »
 « Appelons la pêche ce qu’elle est et réglementons-la comme telle.  Sinon, nous ne faisons que tourner en rond.  Je ne m’attends pas vraiment à ce que vos travaux changent quoi que ce soit.  Ce n’est pas avec quelques agents des pêches de plus que les choses vont changer.  J’en ai vu d’autres, vous sauvez, et rien ne change jamais.  Vous devez vous asseoir et réfléchir sérieusement à ce que vous voulez faire de la pêche, puis la gérer en conséquence. »

M. Powers, agent des pêches du bureau de Chilliwack, déclare :

 « Il faudrait au moins que notre propre direction s’engage à appuyer les mesures d’application des règlements que nous prenons. Mais jusqu’ici, elle nous a rarement appuyés. Nous n’avons pas ce soutien. »

M. Clift, autre agent des pêches du bureau de Chilliwack, déclare :

 « Quant à notre budget, il a été coupé en 2001 . . . d’environ la moitié, je crois. . . Il y a un petit graphique ici.  Et je crois qu’il fait partie de celui d’Ottawa.  Avec moins de mesures d’application des règlements, moins de ressources, on ne peut pas être sur le terrain à constater les violations, ce qui fait baisser le taux de violation.  Par conséquent, s’il n’y a pas autant de violations, c’est de toute évidence qu’il y a plus de conformité. . . »

Ces déclarations d’agents des pêches préoccupés par la situation n’ont rien de nouveau.  En 1992, MM. Pearse et Larkin déclaraient à la page 27 :

 « Les agents des pêches ne devaient pas porter d'accusations pendant les négociations délicates des ententes de pêche. »
 « Les demandes d’orientations de politique de la part des agents sur le terrain restaient sans réponse. Comme les violations se faisaient plus voyantes dans certains secteurs, les agents des pêches étaient inondés de plaintes et d’accusations de manquement à leurs devoirs. Comme leurs mains étaient liées, ces reproches portaient un dur coup à leur moral et à leur fierté. »
 « En amont, hors du secteur visé par l’accord, il n’y avait plus du tout de surveillance et d’application des règlements.  Par suite de réductions de personnel et d’instructions leur enjoignant de ne pas porter d’accusations, les agents sur le terrain du ministère ont levé les bras. »
 « De graves manquements aux règlements ont commencé à se produire. On observait des pratiques illégales rares jusque-là comme la pêche au filet maillant dérivant. »

En 1994, le rapport Fraser constatait que les capacités d’application des règlements du ministère avaient continué de se détériorer (pp. 58-60):

 « En 1994, les compressions budgétaires, les réorganisations jointes, l’augmentation du nombre des demandes d’application et la baisse du moral ont entraîné une détérioration regrettable des capacités d’application des règlements du MPO. »
 « De grands secteurs de la côte et de l’intérieur sont restés sans protection efficace, ce qui a créé des occasions à faible risque pour les braconniers. . . »
 « Le niveau et les capacités d’application des règlements laissaient gravement à désirer en 1994 . . . Si on n'y fait pas obstacle, l'attitude anarchique qu'affichent depuis 1994 de nombreux groupes d'usagers finira tôt ou tard par détruire la pêche du saumon. »

Tous les hauts fonctionnaires du ministère qui ont témoigné devant le Comité des pêches ou le juge Williams ont déploré que le ministère ne puisse pas faute d’argent mener les activités d’application des règlements nécessaires pour protéger la ressource en 2004.

Malgré les allégations de manque d’argent, des documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information montrent que la Région du Pacifique du MPO a dépensé 7,1 millions de dollars en frais de déplacement pendant l’année finissant le 31 mars 2004.  Les frais d’« hospitalité » se sont élevés à 159 000 $, les relations publiques du ministère ont coûté 140 000 $ et le bureau du directeur général de la région a dépensé 1 6 million de dollars.

En 1994, le rapport Fraser concluait que le manque d’argent pour l’application des règlements ne tenait pas vraiment au manque d’argent, mais à des priorités mal définies au sein du ministère.  Il s’est écoulé dix ans depuis le rapport Fraser, mais les priorités continuent d’être mal définies au sein du ministère.


XI.     CONSTATATIONS

Le panel du Fraser a assuré une gestion compétente des pêches commerciale et récréative publiques en 2004 comme en témoignent les 2,3 millions de saumons rouges enregistrés à la station sonar de Mission.  Grâce à la gestion compétente par le MPO de la pêche autochtone dans le fleuve, un nombre suffisant de saumons rouges est passé à Mission pour répondre aux besoins de la pêche alimentaire, sociale et rituelle des autochtones et aux besoins en géniteurs.

En 2004, la station sonar de Mission a fourni des estimations exactes du passage du poisson à l’intérieur de marges d’erreur raisonnables.

Les estimations du MPO concernant les prises en eau vive, notamment entre Mission et Sawmill Creek, laissent à désirer.  On a pris dans le fleuve beaucoup plus de poissons que les estimations publiées du MPO.

Les prises légales non déclarées et illégales des autochtones sont une des raisons principales de la réduction du nombre de poissons en 2004.

Les pêches autorisées par le MPO entre Mission et Sawmill Creek étaient excessives et témoignaient d’un mépris complet des conditions environnementales.

Les ouvertures de la pêche alimentaire, sociale et rituelle autorisées par le MPO aux fins ont dépassé de beaucoup les besoins des autochtones.

Rien de solide ne permet de conclure que l’élévation de la température de l’eau soit une cause principale de la diminution du nombre de saumons rouges migrateurs.

Bien que le système de dénombrement des saumons dans les frayères ne permette pas d’assurer une bonne gestion de la pêche, rien n’indique que le nombre de poissons manquants puisse être dû pour une large part à des erreurs de calcul. Le système de dénombrement peut tout aussi bien avoir surestimé le nombre de poissons dans les frayères.

Les filets autochtones jetés dans le fleuve sont sans doute responsables d’une forte proportion des poissons morts en route.


XII.     RECOMMANDATIONS SUPPLÉMENTAIRES

Introduction

Ces recommandations ont pour but d’assurer la survie et le développement du saumon rouge du Fraser.  Leur mise en œuvre va garantir la bonne gestion de la pêche dans le Fraser en 2005 et donner le temps de procéder à une restructuration plus complète de Pêches et Océans Canada.

Gestion des pêches

  1. Toutes les activités de pêche au saumon sur le Fraser en eaux canadiennes et américaines, dont l’ouverture et la fermeture des pêches autochtones, doivent être gérées par le Conseil du fleuve Fraser.
  2. Toutes les pêches au filet fixe et au filet dérivant dans le canyon du Fraser et dans les autres sections en eau vive en amont de Hope doivent être interdites. On devrait encourager et faciliter la pêche au carrelet.
  3. Tous les types de pêche au filet en amont du pont de Mission jusqu’à Sawmill Creek doivent être interdits pendant la nuit.
  4. La pêche commerciale doit être interdite en amont du pont de Mission.
  5. La pêche au filet dérivant doit être interdite en amont du pont de Mission.

Structure de la Direction de la conservation et de la protection

  1. La Direction de la conservation et de la protection devrait être un service indépendant au sein du ministère des Pêches et des Océans, distinct de la Gestion des pêches. Le responsable national de la Conservation et de la Protection devrait relever directement du sous-ministre.
  2. La Direction devrait avoir le statut d’un service de police.

Financement de la Direction de la conservation et de la protection

  1. Un effectif permanent de 75 agents des pêches à temps plein doit être consacré à la protection de la pêche au saumon sur le cours inférieur du Fraser.
  2. Les efforts de conservation et de protection sur le cours inférieur du Fraser doivent être financés convenablement pour pouvoir reprendre le contrôle des pêches. On doit consacrer une somme supplémentaire de 2,5 millions de dollars par année à la rétribution du temps supplémentaire effectué par les agents de pêches et au règlement des dépenses liées à l’utilisation d’embarcations, d’automobiles et d’hélicoptères de patrouille, ainsi que des autres coûts afférents.
  3. Chaque année, le ministère des Pêches et des Océans doit faire part au Comité permanent des pêches et des océans des progrès accomplis en vue de régler les questions et les problèmes soulevés par la pêche au saumon sur le Fraser, et déposer un rapport à ce sujet au Parlement. Ce rapport devrait porter tout particulièrement sur le travail entrepris par la Direction de la conservation et de la protection dans le but de protéger les stocks de saumon migrant dans le Fraser et assurer l’application de la Loi sur les pêches et des règlements connexes.

Règlements à l’appui des opérations d’exécution

  1. On devrait édicter les règlements se rapportant à la Loi sur les pêches avant le début de la saison de pêche au saumon de 2005, afin que :
 a.Tous les saumons pêchés à des fins alimentaires, sociales et rituelles soient clairement identifiés au moment de leur capture, par exemple en coupant le nez et la nageoire dorsale du poisson, comme on le faisait auparavant.
 b.Tous les saumons pêchés à des fins alimentaires, sociales et rituelles soient clairement identifiés à toutes les étapes de leur traitement ou de leur emballage et séparés des poissons capturés en vertu d’un permis de pêche commerciale.
 c.Les entreprises commerciales de traitement et de conservation frigorifique doivent prévenir la Direction de la conservation et de la protection de toutes les quantités de prises commerciales qui entrent ou qui sortent de leurs établissements.
 d.Le transport interprovincial et international du poisson capturé à des fins alimentaires, sociales et rituelles est interdit.
 e.La possession de poissons capturés à des fins alimentaires, sociales et rituelles est interdite aux non-autochtones.
 f.Les agents des pêches sont autorisés à inspecter le poisson pendant son transport, son entreposage ou son traitement.



1 Ce tableau a été compilé à l'aide des rapports de 1980, 1984, 1988, 1992, 1996 et 2000 du Conseil du fleuve Fraser sur la saison de pêche au saumon dans le Fraser, ainsi que du rapport de la Commission du saumon du Pacifique et du Communiqué no 9 de cette commission diffusé le 3 septembre 2004 (p. 4).
2 L'obligation de charger le poisson dans le navire à l'aide d'un type d'épuisette qui réduit d'environ 50 % l'efficacité de la pêche a aussi contribué à diminuer l'effort de pêche de la flotte de seinage.
3 Communiqué du Panel du Fraser, 9 août 2004
4 M. Blair Holtby, témoignage, Comité parlementaire permanent des pêches et des océans, 4 décembre 2004.
5 M. Todd détient une maîtrise en biologie et a travaillé au MPO de 1957 à 1978; il est devenu le premier dirigeant de la Commission du saumon du Pacifique, poste qu'il a occupé jusqu'à sa retraite en 1999.
6 Témoignages à la Cour provinciale de la C.-B. dans l'affaire Regina c. Sonnenberg, 5 avril 2001.
7 Report of the Fraser River Panel to the Pacific Salmon Commission on the 1992 Fraser River Sockeye Salmon Fishing Season, Commission du saumon du Pacifique, 1996 (p. 28).
8 The Influence of Extreme Water Temperatures on Migrating Fraser River Sockeye Salmon During the 1998 Spawning Season. J. S. MacDonald et autres, MPO, 2000 (p. 19).
9 La gestion du saumon dans le Fraser, Rapport au ministre des Pêches et des Océans à la suite de l'enquête sur le saumon dans le fleuve Fraser, Peter Pearse, Peter Larkin, décembre 1992, (p. 39).
10Dans ces rapports radio ou entrevues, les pêcheurs déclarent simplement à l'inspecteur autochtone ou à celui du MPO combien de poissons ils ont capturés. À peu près aucune vérification n'est faite des prises.
11Note de service de Herb Redekopp à Paul Ryall, Bert Ionson et d'autres datée du 30 juin 1999; objet : vérification des données sur les prises autochtones dans la région 1.
12ESSA Technologies, Unsanctioned, Partially Monitored First Nations Fisheries on the Lower Fraser River: A Conservation Risk, 2000
13M. Brian Richman, témoignage, examen Williams, 19 janvier 2005
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