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LANG Rapport du Comité

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Introduction

À l’automne de 2006, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a entrepris une étude sur la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cette étude a incorporé deux études commencées plus tôt au printemps de 2006 portant sur les secteurs de la santé et de l’immigration. Trois objectifs principaux ont été identifiés : 1. vérifier sur le terrain les résultats du Plan d’action pour les langues officielles s’étalant de 2003 à 2008; 2. formuler des recommandations au gouvernement du Canada quant aux suites à donner à ce plan d’action à partir de l’exercice financier 2008-2009; 3. prendre le pouls et se mettre à l’écoute des communautés de manière à renforcer le pont entre les communautés et le gouvernement fédéral.

Dans le cadre de cette étude sur la vitalité des communautés, le Comité s’est rendu dans les provinces atlantiques, au Québec et en Ontario entre le 6 et le 10 novembre 2006, puis dans l’Ouest canadien entre le 4 et le 7 décembre 2006. D’autres témoignages ont été recueillis à Ottawa depuis le printemps de 2006. En tout, 121 témoignages ont été recueillis provenant de 85 organisations différentes.

Il s’agit d’une première pour le Comité qui, depuis ses tout débuts il y a 26 ans, n’a jamais eu l’occasion de se déplacer afin de rencontrer sur place les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire. Ce rapport se veut donc un reflet de l’engagement collectif des Canadiens et Canadiennes envers le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Deux éléments du contexte historique ont donné à cette étude son impulsion initiale :

·        Le Plan d’action pour les langues officielles, lancé en mars 2003, et qui prendra fin le 31 mars 2008. Il prévoyait des investissements importants de 751,3 millions de dollars sur cinq ans, dont la moitié était consacré aux ententes fédérales-provinciales-territoriales dans le domaine de l’éducation, tant dans la langue de la minorité que dans la langue seconde, et le reste réparti dans les secteurs du développement des communautés (petite enfance, santé, justice et immigration), du développement économique, du partenariat avec les provinces et territoires, de l’appui à la vie communautaire, de la fonction publique, et des industries de la langue. Un « Fonds d’habilitation » pour soutenir les mesures d’économie communautaire s’est greffé au plan en 2005, doté d’une enveloppe annuelle de 12 millions par année durant les trois dernières années, portant le budget total du Plan d’action à 787,3 millions de dollars. Il est apparu essentiel aux membres du Comité de procéder à un bilan lucide des retombées de ce plan, de façon à dégager des orientations qui pourront aider le gouvernement du Canada à élaborer dès maintenant une stratégie quant aux suites à lui donner à partir du 1er avril 2008.

·        La modification de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles en novembre 2005, qui rend exécutoire l’engagement du gouvernement à soutenir le développement des communautés et à promouvoir la dualité linguistique. Le gouvernement du Canada doit désormais prendre des « mesures positives » afin de concrétiser cet engagement, et son non-respect est passible d’un recours devant les tribunaux. De l’avis du Comité, ce changement à la Loi entraîne la nécessité pour le gouvernement fédéral de redéfinir de manière importante la nature de son engagement envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Jusqu’à maintenant, l’intervention du gouvernement du Canada envers les communautés a surtout consisté à encourager les provinces et les territoires à appuyer les responsabilités constitutionnelles et législatives du gouvernement fédéral. Ce dernier s’est certes positionné en tant que partenaire des communautés en agissant de la sorte, mais les provinces et territoires sont demeurés libres de moduler cette intervention en fonction de leurs priorités. En termes simples, le soutien du gouvernement fédéral envers les communautés s’est manifesté sous la forme de transferts financiers importants vers les provinces et territoires, mais l’utilisation de ces fonds est demeurée, pour la plus grande part, la prérogative des provinces et territoires. Lorsque les fonds n’étaient pas utilisés de manière au moins compatible avec les priorités établies par les communautés elles-mêmes, c’est bien davantage les tribunaux que le gouvernement fédéral qui ont servi d’allié aux communautés contre la résistance des provinces et territoires. Le Comité est d’avis que le caractère dorénavant exécutoire de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles est susceptible d’entraîner des changements significatifs à long terme, car en cas de rupture circonstancielle du partenariat entre le gouvernement fédéral et les communautés, celles-ci pourront compter sur la possibilité que les cours feront contrepoids à cette tendance du gouvernement fédéral à favoriser les majorités et les provinces au détriment des communautés moins nombreuses. Connaissant le résultat plus que favorable des jugements des tribunaux envers les communautés lorsqu’elles y ont eu recours contre les provinces, le gouvernement fédéral préférera sans doute établir un pacte durable avec les communautés. De nombreux témoins nous ont indiqué qu’un plan d’action renouvelé qui tiendrait compte de cet engagement obligatoire du gouvernement fédéral envers les communautés, tout en impliquant les gouvernements provinciaux et territoriaux, constituerait sans doute une importante mesure positive.

Ces deux éléments du contexte historique se sont renforcés mutuellement et le Comité a jugé pertinent d’entreprendre l’évaluation des résultats du Plan d’action à travers la lunette des modifications apportées à la Loi sur les langues officielles. Les deux questions principales de l’étude du Comité ont été : « le Plan d’action pour les langues officielles a-t-il contribué au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire ? », et « Quelles ont été les forces et les faiblesses du Plan d’action pour les langues officielles selon le point de vue du développement des communautés ? ».

La réponse à la première question est un « oui » prudent. L’évaluation des retombées du Plan d’action varie énormément selon les thèmes abordés et la situation particulière des communautés. De manière simplifiée, on peut dire que les communautés jugent très favorablement les initiatives du Plan d’action en santé, attendent avec enthousiasme la concrétisation des projets en immigration, sont inquiètes quant à la poursuite des mesures de soutien à la petite enfance, n’ont pas encore constaté sur le terrain les résultats concrets des investissements importants en éducation, et déplorent le peu d’importance accordée au secteur communautaire. Les autres éléments du Plan d’action ont été évalués par les organisations qui sont impliquées dans les secteurs visés, justice ou développement économique par exemple, mais leurs retombées n’ont pas été perçues aussi clairement que pour les autres secteurs. On a également noté l’absence du domaine des arts, de la culture et des médias. Les représentants des organisations rencontrées étaient en général bien au fait du Plan d’action pour les langues officielles, mais plusieurs nous ont indiqué que les membres des communautés le connaissaient par contre très peu.

Les réponses à la deuxième question seront examinées en détails tout au long de ce rapport. Les 39 recommandations sont élaborées de manière à appuyer les forces identifiées dans la première phase du Plan d’action et à combler les lacunes les plus importantes.

L’étude ne se limitait cependant pas au seul Plan d’action. Afin que les actions futures du gouvernement fédéral puissent avoir quelque portée, il a fallu que les membres du Comité acceptent de se mettre à l’écoute du point de vue des communautés. Ce rapport se veut donc également un compte-rendu de ce que les représentants des communautés pensent du rôle et des actions du gouvernement du Canada et ce qu’ils croient être les meilleures pistes de solution pour l’avenir. À cet égard, la question de l’abolition du Programme de contestation judiciaire a occupé une grande place lors des rencontres du Comité. Toutes les organisations qui se sont exprimées sur cette question se sont opposées à cette abolition.

Il fallait également procéder à une sorte de diagnostique sommaire de l’état actuel des communautés de langue officielle en situation minoritaire. C’est ici que la notion de « vitalité » entre en jeu. Les communautés sont-elles en bonne forme ? Cette question en apparence banale se révèle en fait éminemment complexe. Nous n’avons pas voulu l’aborder du point de vue académique. Ce point de vue est tout à fait primordial, mais ce n’est pas le rôle d’un comité parlementaire de se substituer à une équipe de chercheurs.[1]

Le Comité a préféré se laisser guider par une définition proche du sens commun: l’évolution du nombre de domiciles dans lesquels la langue officielle de la minorité est utilisée à la maison dans un lieu géographique donné.

Malgré la redéfinition importante des modèles familiaux, c’est encore la famille qui, pas exclusivement, mais de manière prépondérante, constitue le principal pilier de cette vitalité. En d’autres mots, la vitalité d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire se définira principalement par l’enracinement géographique des familles ayant choisi d’éduquer leurs enfants dans la langue officielle de la minorité. Ce choix comporte de nombreux inconvénients, comme toute vie en situation minoritaire : moins grande diversité des emplois dans sa langue, moindre disponibilité des services, risque d’isolement social, quasi-nécessité du bilinguisme, etc. Ces inconvénients sont réels et importants. Ce sont eux qui incitent des individus ou des familles à quitter leur région, et des familles exogames à élever leurs enfants dans la langue de la majorité. Pour amener ces familles à s’enraciner, et si possible, pour attirer de nouvelles familles, l’un des principaux contrepoids à ces inconvénients, c’est celui de l’attachement aux gens de la communauté.

À plusieurs reprises durant nos rencontres, c’est cet attachement qui est apparu comme le signe le plus frappant de cette vitalité des communautés. Des témoins nous ont relaté leur fierté de pouvoir dire à leurs parents ou grands-parents qu’ils auront, eux, la possibilité d’inscrire leurs enfants à l’école française. L’enracinement signifie que le passé se lie au présent et s’ouvre vers l’avenir. Les projets en cours sont nombreux, et l’enthousiasme du travail à accomplir a pris la primauté sur la lutte pour la survivance. Il y a désormais des acquis sur lesquels bâtir.

Cette importance de l’attachement aux personnes a également révélé de manière éclatante à quel point c’est la richesse des réseaux communautaires qui demeure la condition de tout le reste. Sans réseaux communautaires solides sur lesquels les appuyer, les services en éducation ou en santé ne se développeront pas et la communauté se dispersera. Le renforcement des réseaux communautaires doit donc précéder le développement et l’expansion des services, sans quoi ils s’effondreront, faute de fondations solides. Mais surtout, cette richesse communautaire est le principal frein à la dispersion des familles. La richesse communautaire permet à ceux et celles qui le désirent de développer un sentiment d’appartenance qu’il est difficile d’éprouver de manière comparable en situation majoritaire dans les grands centres urbains. Cela peut constituer une force de rétention non négligeable pour les familles, et possiblement une force d’attraction pour les immigrants.

Il ne faut cependant pas se fermer les yeux sur deux réalités qui nous sont apparues plus troublantes :

·        La situation des anglophones du Québec qui n’habitent pas la région de Montréal nous est apparue comme particulièrement difficile, puisque ces communautés doivent relever un triple défi : faire face à l’ensemble des inconvénients qui viennent avec le fait de vivre en situation minoritaire; contrecarrer la puissante force d’attraction de possibilités d’avenir alléchantes qui s’offrent aux jeunes familles les mieux éduquées, et ce, à la grandeur de l’Amérique du Nord ou au mieux à Montréal; et finalement, lutter contre le préjugé à l’effet que les anglophones du Québec forment par définition des communautés privilégiées, alors que dans les faits ces communautés s’effritent.

·        La seconde réalité troublante est celle des régions rurales. Tant pour les francophones que pour les anglophones, le vieillissement de la population atteint des proportions alarmantes. L’âge médian des fransaskois atteint le chiffre incroyable de 52 ans. Évidemment, cette décroissance démographique des communautés rurales n’est pas propre aux communautés de langue officielle, mais la situation minoritaire accentue la difficulté. Si les communautés rurales en situation majoritaire ne parviennent pas à retenir leurs jeunes familles, comment peut-on même imaginer fouetter le dynamisme des familles qui s’y trouvent en situation minoritaire?

Ce sont là des questions d’une grande complexité et auxquelles des solutions durables ne pourront sans doute pas être identifiées à court ou moyen terme. Le Comité a cependant cru bon de rappeler ces réalités difficiles afin de s’assurer qu’elles ne seront pas étouffées sous l’optimisme qui anime la plus grande partie de ce rapport. Cet optimisme est prudent, bien sûr, car la glace est encore bien mince en de nombreux endroits, comme nous aurons l’occasion de l’indiquer. Il n’en demeure pas moins que le sentiment dominant est celui d’une solidité plus calme, d’un dynamisme qui a confiance en ses moyens de la part de communautés prêtes à affronter l’avenir avec une joyeuse énergie.

Parmi la centaine de témoignages recueillis par le Comité, tant à Ottawa que durant ses voyages, plusieurs ont été révélateurs, surprenants, instructifs, provocants, ou éclairants, mais l’un d’entre eux a été particulièrement déterminant. Ce témoignage est celui de Mme Suzanne Roy, directrice générale de l’Association canadienne française de l’Ontario du grand Sudbury. Son plaidoyer pour la défense des organismes communautaires a provoqué une sorte d’éveil, tant de la part des membres du Comité que de la part des autres témoins présents :

« Grâce au mouvement associatif des ACFO, l’Ontario dispose actuellement d’une bonne infrastructure. Si des collèges ont vu le jour, c’est parce que du travail a été fait à la base. Toutes nos institutions proviennent de cette base. Or, on semble dire aujourd’hui que, étant donné que l’infrastructure est déjà mise en place, le travail à la base n’est plus nécessaire. »[2] « Certaines associations qui œuvrent sur le terrain doivent vivre avec 10 000 $ par année. Rien ne peut se faire facilement si on n’y consacre pas les moyens nécessaires pour que le développement se fasse de façon convenable. »[3]

Petit à petit, presque sournoisement, le développement d’institutions de plus grande envergure, d’écoles, de collèges et de centres de santé, avec la valse des millions qui les a accompagnées, a fait oublier que rien de tout cela n’aurait été possible sans la persévérance, l’engagement, le dévouement, et l’acharnement même de personnes qui ont porté à bouts de bras et de manière bénévole les organismes communautaires. Aujourd’hui, ces organismes se sentent souvent peu respectés par les gouvernements en raison de leur dépendance envers les fonds publics et de la nature parfois revendicatrice de leurs interventions. C’est pourtant d’eux qu’ont émané les projets qui, de rêves enthousiastes, se sont transformés en initiatives durables et structurantes dont les autorités politiques ont pu ensuite réclamer la paternité. Les grandes batailles ont été gagnées, et les jeunes n’ont peut-être plus besoin de pousser si fort pour faire leur place. Ils ont le privilège de pouvoir un peu choisir leur avenir. Pour les organismes communautaires, l’heure est à la consolidation des acquis et aux projets. Des projets nombreux, enthousiasmants bien sûr, mais de plus en plus complexes, de plus en plus diversifiés et de plus en plus exigeants. Il y a plus de balles dans les airs, mais il n’y a pas plus de jongleurs. Quelques balles commencent à tomber. La relève est lente à se manifester. Les bénévoles s’essoufflent. À Mme Roy, et à tous ceux et celles qui se reconnaîtront, les membres de ce Comité désirent souligner avec profonde sincérité la qualité tout simplement indispensable du travail accompli et, du même coup, manifester publiquement leur soutien aux organismes communautaires.

Ce rapport est divisé en quatre chapitres :

·        Le premier chapitre présente les éléments d’information nécessaires à l’analyse subséquente des différentes thématiques. On y trouvera un sommaire des principales données démographiques sur les communautés, une description de l’encadrement constitutionnel et législatif des langues officielles au Canada, une présentation des programmes du ministère du Patrimoine canadien servant à concrétiser l’engagement du gouvernement fédéral à soutenir le développement des communautés et à promouvoir la dualité linguistique, et finalement un sommaire des principaux éléments du Plan d’action pour les langues officielles.

·        Les deux chapitres suivants, sur la santé et l’immigration, ont fait l’objet d’une étude plus approfondie de la part du Comité, car ces deux thèmes devaient initialement former des études distinctes. Lorsque la tournée pancanadienne du Comité fut confirmée, il est apparu inapproprié de séparer ces deux études de celle sur la vitalité des communautés puisque la santé et l’immigration constituent des éléments de cette vitalité et faisaient partie intégrante du Plan d’action. La différence principale entre ces deux chapitres et le chapitre 4 est qu’ils intègrent les témoignages de spécialistes et de représentants du gouvernement du Canada, en plus de présenter en détails les points de vue des communautés;

·        Le quatrième chapitre présente les principaux thèmes, autres que la santé et l’immigration, abordés dans le cadre de la tournée pancanadienne. Onze thèmes ont été identifiés : l’éducation, de la petite enfance au postsecondaire, la vie communautaire, les infrastructures, la gestion des transferts entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les compressions budgétaires de septembre 2006, en particulier l’abolition du Programme de contestation judiciaire et des programmes d’alphabétisation, la promotion du français, les médias, les arts et la culture, la justice, le développement économique et la recherche.

Les membres du Comité espèrent que les efforts qu’ils ont déployés contribueront à un rapprochement entre les communautés, le gouvernement fédéral et le Parlement du Canada. Nous croyons avoir rempli avec conviction et sincérité notre rôle de surveillance des décisions de l’exécutif. Nous attendons donc avec impatience la réponse du gouvernement du Canada et souhaitons que ce rapport puisse soutenir un peu la croissance et la vitalité des communautés de langue française et de langue anglaise, ces langues qui, plus qu’officielles, sont des langues nationales dont la reconnaissance est au cœur même de la définition de l’identité canadienne.


[1]       Pour la dimension académique du débat sur la notion de vitalité, nous renvoyons au plan de recherche élaboré dans une étude du Commissariat aux langues officielles intitulée Une vue plus claire : évaluer la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire, mai 2006.

[2]       Mme Suzanne Roy (Directrice générale, ACFO régionale, Développement du secteur communautaire, Association canadienne française de l’Ontario du grand Sudbury), Témoignages, 10 novembre 2006, à 10 h 05

[3]       Ibid., à 9 h 50