NDDN Rapport du Comité
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Opinion dissidente du Nouveau Parti démocratique
présentée au Comité permanent de la défense nationale
Respectueusement soumise par :
Dawn Black, députée
INTRODUCTION
Étant donné la complexité, la gravité et les enjeux du conflit armé en Afghanistan, le Nouveau Parti démocratique considère que la guerre anti-insurrectionnelle ne constitue pas la solution aux problèmes de ce pays. Nous estimons que la stratégie appliquée par l’OTAN et les forces alliées dans le sud de l’Afghanistan met en danger nos soldats et la population afghane, en plus de nuire à la crédibilité du Canada.
Le Nouveau Parti démocratique réclame le retrait des Forces canadiennes de la mission anti-insurrectionnelle en Afghanistan.
En conformité avec le mandat de l’étude du Comité, nous abordons les points suivants :
CONTEXTE
Au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre chez nos voisins du sud, les États‑Unis et des alliés regroupés dans le cadre de l’opération Enduring Freedom (OEF) ont appuyé une coalition de groupes armés anti-talibans (l’Alliance du Nord) afin de renverser les talibans. Sur le plan juridique, l’invasion est fondée sur une série de résolutions que le Conseil de sécurité de l’ONU a adoptées dans les jours et les semaines qui ont suivi les attaques du 11 septembre. Ces résolutions renvoient aux dispositions de la Charte des Nations Unies concernant la légitime défense et le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Après l’effondrement du gouvernement taliban, les Nations Unies ont supervisé la transition politique et la mise sur pied d’un gouvernement transitoire en Afghanistan, en plus de faciliter les pourparlers entre les principaux acteurs afghans et les grands États donateurs à Bonn, en Allemagne. De l’Accord de Bonn est issue la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), afin d’aider le nouveau gouvernement à assurer la sécurité, ainsi que l’entraînement de la police et de l’Armée nationale afghane.
De 2001 à 2003, la FIAS était concentrée à Kaboul, la capitale, et dirigée par des pays chefs de file. En 2003, l’OTAN a pris en main la gestion de la Force, mais des pays à l’extérieur de l’Alliance continuent de jouer un rôle dans la mission de l’OTAN. La mission est autorisée chaque année par les Nations Unies (par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée chaque automne). Lorsque le premier ministre Stephen Harper a présenté à la Chambre une motion visant le prolongement de la mission jusqu’en 2009, il demandait au Parlement de prolonger la mission d’où que vienne l’autorisation et quels que soient les partenaires.
Malgré la création de la FIAS en vertu du mandat des Nations Unies, les États‑Unis maintiennent leur force de coalition antiterroriste de quelque 8 000 soldats qui, encore aujourd’hui, n’a ni mandat officiel de l’ONU, ni entente publique avec le gouvernement afghan. Les Américains continuent de concentrer leurs efforts sur la recherche d’Al‑Qaïda et la lutte contre les talibans dans l’est et le sud du pays. Des activités de reconstruction se sont aussi ajoutées récemment à la stratégie militaire américaine.
LE RÔLE DU CANADA
La participation du Canada à la mission remonte à 2001, quand le gouvernement libéral s’est joint à l’opération Enduring Freedom (OEF) afin de renverser les talibans. Le Canada a continué de combattre dans le cadre de cette opération, particulièrement avec le PPCLI (Princess Patricia’s Canadian Light Infantry) à Kandahar en 2002, au cours d’une rotation où quatre Canadiens ont été tués par le « tir ami » d’un avion de chasse américain; le Canada a aussi aidé au transport aérien et au support marin.
En août 2003, le Canada a commencé à jouer un très grand rôle dans la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) mandatée par l’ONU, à Kaboul. Six mille soldats en tout ont servi au cours de cinq rotations et ont remis leur camp aux forces afghanes en novembre 2005.
Peu avant ce transfert, en août 2005, le gouvernement libéral a commencé à participer à la lutte contre l’insurrection et le terrorisme dans le sud de l’Afghanistan, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom. La mission dans le sud est maintenant passée sous le commandement de l’OTAN, mais quelque 8 000 soldats américains poursuivent des activités d’antiterrorisme, et des unités spéciales des États-Unis continuent de mener des opérations en Afghanistan, sans relever de l’OTAN ni de la Force internationale d’assistance à la sécurité[1]. Depuis le début de la mission, le Canada figure constamment parmi les dix premiers pays au titre des soldats fournis, et même souvent parmi les cinq premiers.
La stratégie de développement de l’ACDI en Afghanistan cherche actuellement à appuyer le gouvernement Karzaï. Les principaux programmes visent la réforme du secteur de la sécurité, la formation en gouvernance et les opérations antidrogue. Étant donné les contributions de 100 millions de dollars par année consenties auparavant à l’Afghanistan, il fut décidé en 2006 de prolonger cette aide pendant 10 ans, pour une contribution totale d’un milliard de dollars. L’Afghanistan devient ainsi, et de loin, le plus important bénéficiaire d’aide canadienne de l’histoire.
LE CONTEXTE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ
Les Forces canadiennes sont actuellement déployées dans un environnement complexe de plus en plus instable. L’année 2006 a été marquée par l’augmentation de la violence, la multiplication des soulèvements et une situation effroyable sur le plan humanitaire et des droits de la personne. L’Afghanistan est maintenant un pays plus violent qu’il ne l’était après l’invasion. Comme nous l’a dit Norine MacDonald, du Senlis Council, lors de son témoignage : « Kandahar est devenue entièrement une zone de guerre. Les talibans gagnent les batailles militaires, mais surtout la faveur de la population afghane »[2].
Les Nations Unies signalent qu’en 2006 les forces rebelles ont fortement augmenté, et qu’il y a eu deux fois plus d’incidents violents en janvier 2007 qu’en janvier 2006. L’armée américaine a dénombré 139 attentats suicides en 2006, contre seulement 27 en 2005. Selon l’International Crisis Group, 3 700 personnes ont été tuées au cours des conflits des neuf premiers mois de 2006, soit quatre fois plus déjà qu’au cours de l’année précédente. D’après Human Rights Watch, plus de 1 000 des personnes tuées en 2006 étaient des civils. Les attaques menées contre les enseignants afghans et les écoles, particulièrement les écoles de filles, ont doublé depuis 2005, année où leur nombre était déjà très élevé[3]. Les assassinats très médiatisés augmentent, de sorte qu’il est difficile pour le gouvernement de faire son travail et de recruter, particulièrement chez les femmes.
L’augmentation de la violence est en grande partie attribuable aux deux causes premières de l’insurrection croissante : 1) le nombre croissant d’Afghans qui se rangent du coté des talibans, de Gulbuddin Hekmatyar et d’autres groupes armés ou qui les appuient d’une manière ou de l’autre, et 2) le fait que ces groupes trouvent asile au Pakistan, le pays voisin.
1. Les rangs des rebelles afghans gonflent
Les décès de civils – aux mains de forces rebelles, de troupes américaines ou de soldats de l’OTAN – alimentent le mécontentement des Afghans et font croître l’appui aux insurgés. Selon les données publiées par le Pentagone, les aéronefs américains ont largué plus de bombes au cours des six premiers mois de 2006 qu’au cours des trois premières années de la campagne américaine contre les talibans[4]. Les raids aériens de la coalition se poursuivent malgré le lourd bilan de pertes civiles et le désavantage stratégique qu’ils représentent manifestement. D’après le Christian Science Monitor, les offensives aériennes dévastatrices sont en train de saper l’appui au gouvernement afghan et de discréditer les forces de l’OTAN aux yeux de la population dans les quatre provinces du sud de l’Afghanistan[5]. Le président Karzaï a demandé à maintes reprises aux forces de l’OTAN, des États‑Unis et des talibans de cesser de tuer des civils afghans[6].
Comme l’a dit à l’été 2005 le général Andrew Leslie, maintenant chef d’état-major de l’Armée de terre : « Chaque fois que vous tuez un jeune homme en colère outremer, vous en créez 15 autres qui voudront se jeter sur vous[7]. »
D’importants segments de la population afghane n’ont pas encore bénéficié des avantages de la reconstruction et du développement. Six ans après le début d’un important engagement international en Afghanistan prévoyant 12 milliards de dollars d’aide, l’Afghanistan reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que les salaires offerts par les talibans attirent les jeunes hommes afghans dans les rangs des rebelles.
La monopolisation du pouvoir dans le nouveau gouvernement afghan et la marginalisation de ceux qui se trouvent à l’extérieur des groupes sociaux et politiques dominants ont intensifié l’aliénation de la population et l’appui aux rebelles. Ernie Regehr, éminent spécialiste du Canada en matière de conflit armé, estime que l’amplification de l’insurrection s’explique en partie par le fait que la grande communauté pachtoune est si mal disposée envers Kaboul qu’elle est très susceptible d’accepter les offres monétaires alléchantes des talibans[8].
Les stratégies agressives d’éradication du pavot menées par les soldats américains et britanniques contribuent aussi à l’aliénation ressentie par les Afghans. Comme l’a signalé au Comité Norine MacDonald, du Senlis Council, la population de Kandahar dépend presque entièrement de la récolte du pavot pour vivre. Et pourtant, les États‑Unis continuent d’insister pour éliminer cette récolte, sans proposer de programmes de subsistance de rechange. Les cultivateurs appauvris sont alors mûrs pour le recrutement par les rebelles. Mme MacDonald s’est prononcée sans équivoque devant le Comité : « L’éradication forcée [par les Américains] de la culture du pavot [à Kandahar] a fait en sorte d'intensifier le soutien aux talibans. De nombreux cultivateurs ont perdu leur gagne-pain et ont de plus en plus de mal à nourrir leur famille »[9].
2. Refuge au Pakistan
La possibilité de refuge au Pakistan a ravivé les dirigeants armés talibans et autres. Le Pakistan considère le gouvernement Karzai comme pro-indien et donc comme une menace à sa sécurité. Il a soutenu ou toléré le regroupement des Talibans dans le nord du Pakistan. Même si les opinions divergent, à savoir dans quelle mesure l’aide du Pakistan aux talibans est commandée par le gouvernement Musharaf au plus haut niveau, les hauts dirigeants militaires et du renseignement en Occident conviennent que les dirigeants pakistanais pourraient perturber les hauts niveaux de commandement et de contrôle des talibans, mais ont choisi de ne pas le faire[10]. Selon Barnett Rubin, éviter la question du soutien du Pakistan aux talibans, c’est accepter l’échec de l’OTAN.
Ensemble, ces forces ont exacerbé le conflit dans le sud de l’Afghanistan l’an dernier, réduisant les perspectives de paix et de stabilité en Afghanistan et rendant la situation plus dangereuse pour les soldats canadiens.
DURÉE
Malgré l’absence de débat parlementaire parrainé par le gouvernement sur la durée de la mission après 2009, les conservateurs ont fait allusion à un engagement à plus long terme après février 2009. Les documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information révèlent que le ministère de la Défense nationale entend renouveler les effectifs jusqu’en 2011 au moins.
Comme nous venons de le mentionner, les principaux facteurs qui alimentent l’insurrection sont liés à la possibilité de refuge au Pakistan et au nombre grandissant d’Afghans qui joignent les rangs de l’insurrection. Aucun de ces facteurs – qu’il s’agisse de la mort de civils, de l’aliénation populaire, de la pauvreté, de l’éradication du pavot ou de la possibilité de refuge au Pakistan – ne saurait être résolu militairement.
Les premières victimes de l’insécurité en Afghanistan sont les Afghans eux‑mêmes, et cette insécurité mine la reconstruction de la société afghane, mais nous sommes convaincus que la présente stratégie anti-insurrectionnelle axée sur l’action militaire ne réglera pas les problèmes de sécurité de l’Afghanistan.
Pour reconstruire pacifiquement leur société, les Afghans ont besoin d’une solution à la guerre et d’une aide soutenue, et non d’un plus grand nombre de guerriers. Au lieu de lutter contre l’insurrection grandissante avec les armes, le Canada devrait chercher des solutions pratiques pour mettre fin à la violence.
L’ÉTAT DES EFFECTIFS ET DU MATÉRIEL
La présente mission coûte très cher en femmes et en hommes des Forces canadiennes. La mission de Kandahar a été difficile pour les membres des Forces et leur famille.
La cadence élevée des opérations à l’étranger au cours des années 1990, ajoutée à la stagnation des salaires, a eu un effet néfaste sur la qualité de vie des membres des Forces et de leur famille. La mission de Kandahar et son prolongement ont augmenté les contraintes exercées sur les FC. Le Comité a pris note des difficultés que les membres des Forces et les membres de leur famille ont eus pour obtenir des services de counselling et des traitements liés au stress post-traumatique.
Les membres des Forces doivent maintenant servir jusqu’à neuf mois à la fois et participer à plusieurs missions en Afghanistan. Le gouvernement a aussi envisagé de réaffecter les membres de l’Aviation et de la Marine pour répondre aux besoins de la mission.
Sur le terrain, en Afghanistan, les membres des Forces ont été aux prises avec deux problèmes : 1) du vieux matériel tels des camions utilitaires qui s’avèrent difficiles à entretenir dans les conditions difficiles du pays et 2) l’escalade des combats, qui a eu un effet négatif sur la santé psychologique des Forces.
Le 22 février 2007, le lieutenant général Andrew Leslie, chef d’état-major de l’Armée de terre, a témoigné devant le Comité permanent de la défense nationale, déclarant que « on prévoit que, d’ici le milieu de l’été, la température à l’intérieur des chars occupés par leurs équipages pourrait dépasser les 60 degrés Celsius ».
C’est pourquoi le gouvernement a commencé à changer l’orientation de la mission concernant les acquisitions et notre rôle en Afghanistan. Ce changement d’orientation risque de changer rapidement et irrévocablement la doctrine et le dispositif des Forces canadiennes.
En mars 2007, le gouvernement a annoncé qu’il louerait de l’Allemagne 10 chars Leopard 2 A6 pour les utiliser en Afghanistan et qu’il achèterait 100 chars Leopard 2 des Pays-Bas au coût de 1,3 milliard de dollars[11]. C’était un achat important du gouvernement, et le ministre de la Défense nationale a laissé entendre dans son annonce que le Canada participerait à d’importantes opérations de combat au cours des 10 à 15 prochaines années.
Quelle annonce et quelles répercussions pour l’avenir des Forces canadiennes! Cela m’a incité à réclamer un débat d’urgence auprès du Président de la Chambre le 16 avril 2007. Comme je l’ai dit en Chambre :
J’estime que l’annonce du ministre de la Défense nationale selon laquelle le Canada doit s’attendre à participer à des combats de forte intensité avec des blindés pour 10 ou 15 ans dans diverses régions du monde a de graves répercussions, qu’elle est d’une importance historique et qu’elle est sans précédent. Le ministre envisageait un engagement d’une durée trois fois supérieure à celle de la Grande Guerre ou de la Seconde Guerre mondiale.
La mission en Afghanistan a précipité le Canada dans un processus de changement fondamental du rôle de nos militaires sans que cela soit fondé sur un Livre blanc, un examen des politiques ou même un plan public des capacités. Dans le passé, lorsque des changements importants ont été apportés à la politique de la défense, notamment face à la montée de la Seconde Guerre mondiale, aux dividendes de la paix durant l’après-guerre, au réarmement pour la Corée et à la fin de la guerre froide, le gouvernement a modifié la politique et la doctrine des Forces. Le présent gouvernement n’a pas entrepris d’examen majeur de la politique de la défense. Les changements envisagés semblent être dans la lignée de la « transformation » de Rumsfeld et ne visent que les militaires et non les civils.
Les leçons tirées par les États-Unis en Iraq n’ont pas eu d’échos au Canada. Réclamer continuellement plus de blindés et plus de puissance de feu dans le cadre d’une campagne anti-insurrectionnelle mènera inévitablement à l’usage par les forces d’insurrection d’armes plus perfectionnées comme les engins explosifs improvisés. Et c’est ce que nous observons déjà en Afghanistan[12].
Sans examen ni plan, ce sera sur les épaules des membres des Forces que reposera le poids du changement.
EFFORTS DE RECONSTRUCTION
Après cinq ans d’engagement international majeur, l’Afghanistan demeure un des pays les plus pauvres du monde.
• Il se classe au 173e rang sur les 178 pays évalués selon l’indicateur du développement humain de l’ONU;
• Un enfant afghan sur quatre n’atteint pas l’âge de cinq ans;
• 70 % de la population afghane souffre de malnutrition;
• La mortalité maternelle est de 1 900 sur 100 000 naissances[13].
Dans le numéro de janvier du magazine Foreign Affairs, M. Barnett Rubin, spécialiste de la question afghane passe en revue les échecs des pays occidentaux en Afghanistan. Il y a moins d’électricité à Kabul maintenant qu’il y en avait il y a cinq ans, les besoins de base comme l’eau potable, les centres de santé et l’hygiène demeurent critiques, le crime et la corruption sévissent, et l’économie locale (malgré l’apport de milliards de dollars des opérations militaires et de l’aide de l’Occident) stagne.
Malgré la situation difficile de la plupart des Afghans, il y a eu des succès en matière de développement, dont certains grâce à l’aide canadienne. Plus particulièrement, le Programme de solidarité nationale a permis d’aider bien des collectivités afghanes qui en avaient bien besoin. D’autres projets axés sur les droits des femmes, les moyens de subsistance et la gouvernance ont aussi produit des résultats encourageants.
En général, les efforts de reconstruction et de développement dirigés par des Afghans et aucunement liés à la lutte anti-insurrectionnelle ont donné les meilleurs résultats. Les projets pris en charge par les stratèges militaires ou mis en œuvre par les forces de l’OTAN ont échoué ou présentent une menace pour les civils afghans et les troupes canadiennes.
Tout au cours de cette guerre, les tenants du développement ont soutenu que la reconstruction menée par les forces de coalition ou en étroite collaboration avec celles-ci présentera un risque pour les bénéficiaires et les fournisseurs de l’aide. Lorsque l’aide renforce les objectifs militaires d’un des camps, elle devient une arme, et ceux et celles qui l’utilisent deviennent des cibles.
Marc André Boivin du groupe de recherche de Montréal, le Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, a déclaré ce qui suit lors de son témoignage devant le Comité :
Les ONG étaient présentes en Afghanistan bien avant tout personnel militaire étranger, et la préoccupation qu’ont les ONG de voir leurs efforts politisés est grave, parce qu’elles sont perçues comme étant biaisées, les talibans ou les insurgés diront, eh bien, les céréales que vous offrez s’inscrivent dans le cadre de l’effort international, donc nous allons vous tirer dessus. Et ça s’arrête là. On ne sera plus en mesure d’offrir d’aide du tout[14].
Dans ses commentaires devant le Comité, Gerry Barr du Conseil canadien pour la coopération internationale, en a rajouté. Il a attiré l’attention du Comité sur une déclaration, signée par 34 organismes non gouvernementaux œuvrant en Afghanistan, affirmant que leur message était limpide, que la confusion délibérée des acteurs militaires et humanitaires en Afghanistan nuit sérieusement à la capacité des ONG de fournir de l’aide à l’ensemble des collectivités dans le besoin[15].
Personne ne saurait s’attendre qu’en établissant un lien systématique entre la reconstruction du pays et l’offensive militaire contre Al‑Qaïda et les talibans, on fait des bénéficiaires et des fournisseurs de l’aide des cibles.
Le développement doit être une priorité et non un outil pour adoucir les effets des opérations anti-insurrectionnelles. Des programmes de vrai développement sont essentiels pour la sécurité future de l’Afghanistan. Ces programmes ne sauraient être efficaces s’ils sont perçus comme un exercice de relations publiques visant à obtenir l’appui des Afghans.
ÉVALUATION DE L’EFFICACITÉ DE LA MISSION
Pas un gouvernement, libéral ou conservateur, n’a encore précisé les critères d’évaluation de l’efficacité de la mission. Or, le succès de la mission ne se mesure pas au nombre des insurgés tués ou des soldats étrangers déployés en Afghanistan.
Le Nouveau Parti démocratique estime que la mission militaire doit être jugée en fonction de sa capacité de protéger les Afghans et de réduire les actes de violence dont ils sont victimes. Il importe aussi de prendre en considération l’apport essentiel de la mission à la constitution d’une armée nationale afghane viable, respectueuse des lois et sous contrôle civil.
La mission de développement doit être jugée en fonction de sa capacité de soutenir l’émergence d’une société civile afghane dynamique et de procurer aux Afghans des résultats concrets. Le Pacte pour l’Afghanistan contient de nombreux repères utiles à cet égard, notamment au niveau des objectifs en matière de gouvernance, de développement socio-économique et de sécurité.
Si les trois missions sont inextricablement liées, le NPD estime qu’elles ont néanmoins chacune un rôle distinct et que leur efficacité doit donc être mesurée séparément.
LES OBLIGATIONS INTERNATIONALES DU CANADA
L’énorme fardeau que les opérations en Afghanistan font peser sur les Forces canadiennes limite les autres possibilités d’intervention de celles-ci au Canada et à l’étranger.
Lorsque le ministre de la Défense nationale est entré en fonction en février 2006, on lui a fait savoir, par écrit, que les Forces canadiennes étaient en mesure de déployer une seconde force opérationnelle terrestre de 1 200 personnes. Le Ministre nie avoir reçu des informations en ce sens et prétend que cette capacité de déployer une seconde force opérationnelle n’existe pas. Quoi qu’en dise le Ministre, il semble plausible que la prolongation de la mission en Afghanistan a réduit la capacité des Forces canadiennes de déployer un autre contingent important.
Le Ministre a aussi été mis au courant des obligations des Forces canadiennes relativement aux Jeux olympiques de 2010 de Vancouver. On lui a dit que les besoins seraient grands et qu’il serait en conséquence difficile d’assurer en même temps le déploiement de soldats à l’étranger. Le gouvernement doit expliquer au Parlement et à la population de la Colombie-Britannique comment il compte maintenir un groupement tactique à Kandahar après février 2009, tout en assurant la sécurité des Jeux olympiques.
DÉTENUS
Force est de constater que le gouvernement du Canada ne sait vraiment pas s’y prendre au sujet des détenus : le Canada ne doit pas remettre des détenus à des autorités qui admettent elles-mêmes qu’elles ont déjà eu recours à la torture. Les fonctionnaires du MDN et des Affaires étrangères refusent d’accepter que le Canada a la responsabilité de voir à ce que les détenus qui passent entre ses mains soient bien traités une fois qu’ils sont remis aux autorités locales. C’est là un lamentable fiasco de la part du gouvernement.
Quand la première entente signée par le gouvernement libéral au sujet des détenus a finalement été rendue publique, on a pu constater que le document laissait considérablement à désirer. L’entente initiale ne prévoyait aucun droit de visite de représentants du Canada ou de l’ONU dans les prisons afghanes et aucun de droit de veto sur le transfert des détenus vers des pays tiers. Pendant plus d’un an, on a demandé au ministre de la Défense nationale de modifier et de renforcer cette entente, demande à laquelle il s’est résolument opposé.
Le Ministre affirmait que l’entente était suffisante puisque les travailleurs du Comité international de la Croix-Rouge contrôlaient la situation des détenus et signaleraient toute violation au gouvernement du Canada.
Le Ministre a dû admettre par la suite qu’il avait induit la Chambre en erreur quant au rôle de la Croix-Rouge dans le contrôle des détenus. Il a confirmé que le CICR ne tenait pas le Canada au courant des cas de mauvais traitement des détenus de la part des Afghans.
Le Canada a l’obligation juridique et morale de voir à ce que ses actions n’exposent personne à de mauvais traitements ou à la torture. Il est déplorable pour la réputation de notre pays que nous n’ayons pas appris cette leçon après l’enquête publique sur la déportation et la torture de Maher Arar.
Après le scandale de la fin avril au sujet des mauvais traitements dont sont victimes les détenus, scandale précipité par les articles de Graeme Smith et Paul Koring dans le Globe and Mail, les banquettes ministérielles ont été paralysées : incohérences, contradictions et tentatives de dissimulation se sont succédé. Le ministre de la Défense nationale a vite perdu l’appui de la Chambre et celui de la population canadienne.
Les autres pays de l’OTAN ont demandé au gouvernement de l’Afghanistan des assurances quant au sort des détenus et ont même obtenu un droit de visite des détenus transférés aux autorités afghanes. Après que l’entente sur le transfert des détenus a été signée par le général Hillier sous le gouvernement libéral le 18 décembre 2005, le gouvernement a longtemps refusé de revenir sur cette question. Cependant, devant l’éventualité du plus grand scandale auquel le gouvernement minoritaire ait fait face et après les poursuites judiciaires intentées par Amnistie internationale et la BC Civil Liberties Association, le gouvernement a finalement été forcé d’agir, quelques heures à peine avant sa comparution prévue en Cour fédérale.
Si la nouvelle entente nous donne un certain espoir, il reste que le gouvernement ne nous a pas encore donné d’assurances quant à la manière dont elle est appliquée. Il ne doit donc plus y avoir de transfert de détenus tant qu’on n’aura pas eu ces assurances.
En remettant, les yeux fermés, les détenus aux forces de sécurité afghanes, le gouvernement a porté atteinte à la position de longue date du Canada contre la torture. L’on sait que l’OTAN cherche à instituer une politique commune, à l’échelle de l’Alliance, sur le traitement des détenus, et le gouvernement devrait envisager la possibilité de construire un établissement de détention conjointement avec l’OTAN et le gouvernement de l’Afghanistan.
Le Canada a toujours été à l’avant-garde en matière de droits de la personne. Maintenant, le monde se demande où nous en sommes dans ce dossier.
LES DROITS DES FEMMES AFGHANES
Les femmes afghanes ne sont pas suffisamment protégées ou soutenues par la présence de forces militaires internationales dans leur pays. Ni le nouveau gouvernement afghan, ni la communauté internationale présente en Afghanistan, n’ont fait des droits des femmes une priorité.
La situation des femmes afghanes semble s’être peu améliorée depuis cinq ans. Certes, les lois ont été modifiées au sujet des droits des femmes, mais celles-ci continuent d’être victimes d’emprisonnement arbitraire, de viol, de torture, de mariages forcés et de meurtres d’honneur.
Quoiqu’on invoque souvent la féroce oppression des femmes pour justifier les stratégies de la FIAS dans le Sud, les femmes afghanes ne sont pas pour autant protégées par la présence de forces internationales. En effet, pour lutter contre les talibans, la FIAS et les forces américaines ont conclu des alliances avec des policiers et chefs de guerre locaux, lesquels sont mis en cause dans des cas de violations des droits des femmes. Ces « personnalités » appartiennent à un appareil qui continue de persécuter les femmes dans leur vie quotidienne, de les arrêter et de les jeter en prison pour des actes qui sont pourtant maintenant parfaitement légaux en vertu des nouvelles lois afghanes.
L’absence de réelle détermination du gouvernement à protéger les droits des femmes afghanes a clairement transparu lors de la visite du premier ministre en Afghanistan en mai 2007. Durant cette visite, Malalai Joya, l’une des plus jeunes femmes parlementaires et l’une des personnes qui défendent avec le plus d’ardeur les droits de la personne en Afghanistan a été expulsée du Parlement afghan pour avoir dénoncé la corruption. Le gouvernement du Canada n’a pas protesté auprès du gouvernement afghan, et notre premier ministre n’a fait aucune déclaration à ce sujet.
Comme Ariane Brunet, de l’organisation Droits et démocratie, l’a dit au Comité : « Si on parle des droits des femmes, ce n’est pas parce qu’on se concentre sur la question des terroristes qu’on règle la question de la sécurité des femmes dans les villes, dans les villages, dans les écoles[16]. »
CONCLUSION
Dans ce contexte, le Nouveau Parti démocratique estime qu’il faut maintenant préparer, en consultation avec nos alliés, le retrait sûr et déterminé de nos soldats de la mission contre-insurrectionnelle.
La position des conservateurs est claire : ils sont prêts à faire tout ce que leur demanderont l’OTAN ou les États-Unis, peu importe le prix à payer pour les membres des Forces ou leur famille. Pour leur part, les libéraux et le Bloc ont dit publiquement qu’ils n’étaient pas contre l’éventualité du maintien de la mission canadienne après 2009. S’ils critiquent la manière dont la mission est administrée, eux aussi seraient prêts à engager les Forces canadiennes dans cette mission contre-insurrectionnelle, peu importe son coût humain et financier.
De nombreux autres pays de l’OTAN, notamment la plupart de nos partenaires européens, sont contre la mission et n’ont manifestement aucune intention d’y participer.
Le Canada s’est hasardé dans un conflit international au cœur de l’Asie centrale, alors qu’il a peu d’influence sur l’orientation de la mission ou sa stratégie. L’issue de ce conflit sera presque certainement déterminée à Washington, Kaboul, Islamabad, et Téhéran et en des endroits situés entre ces points.
En attendant, nous ne devons pas sacrifier les Forces canadiennes dans une mission dont les chances de succès et d’achèvement sont si aléatoires.
[1] Le nombre de soldats américains à l’extérieur de la FIAS et le nom de la mission américaine ne cessent de changer. Leur nombre était évalué à 8 000 en date du 27 février 2007. Ces données proviennent du Commandement central de l’armée américaine.
[2] Comité permanent de la défense nationale, Témoignages, 25 octobre 2006.
[3] Human Rights Watch, « The Human Cost: The Consequences of Insurgent Attacks in Afghanistan », avril 2007, volume 19, no 6(C).
[4] Christian Science Monitor, 18 décembre 2006, « Air War costs NATO Afghan supporters ».
[5] Ibid.
[6] « Les bombardements en Afghanistan ne sont pas la solution dans la lutte contre les talibans. Ce n’est pas en bombardant des villages que vous éliminerez le terrorisme, ni en lançant des opérations militaires dans des régions où n’apparaissent que des symptômes. » [traduction] — Le président afghan Hamid Karzaï, devant le U.S. Council on Foreign Relations, CBC Newsworld, 21 septembre 2006.
[7] Patrick Evans, The Toronto Star, 8 août 2005.
[8] « Disarming Conflict », IGLOO Expert Blog, 14 janvier 2007.
[9] Témoignages, 25 octobre 2007.
[10] Barnett Rubin, Affaires étrangères, janvier 2007.
[11] Dans l’annonce initiale, le prix d’achat était de 650 millions de dollars, mais, lors des prévisions budgétaires du Comité plénier, le ministre a reconnu que le coût total, soutien en service compris, s’élevait au double. Débats du Hansard, jeudi 17 mai 2007, p. 9701.
[12] New York Times 2007-06-12, Page 8 « Afghan Forces Found Bomb Like Type Used in Iraq », Abdul Waheed Wafa
[13] Rapport sur la santé dans le monde 2005 – Donnons sa chance à chaque mère et à chaque enfant, Organisation mondiale de la santé
[14] Témoignages, 13 juin 2006
[15] Témoignages, 8 juin 2006
[16] Témoignages, 30 janvier 2007.