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RNNR Rapport du Comité

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CHAPITRE 2 : Le Canada, une superpuissance énergétique?

Faits récents

Au milieu des années 1990, le Groupe de travail national sur les stratégies de mise en valeur des sables bitumineux prédisait que la production de pétrole tirée des sables bitumineux atteindrait le million de barils par jour en 2020. Ce niveau de production a en fait été atteint en 2004, soit seize ans plus tôt que prévu. Si la production canadienne de pétrole brut classique piétine depuis dix ans et va même sans doute bientôt baisser, l’exploitation des sables bitumineux, en revanche, a connu un essor considérable (voir le graphique ci-dessous) et devrait plus que compenser la diminution éventuelle de la production de brut classique. En fait, la production des sables bitumineux dépasse déjà la production de pétrole brut classique dans l’Ouest du Canada et surpassera avant peu la production canadienne totale de pétrole brut classique.

Production canadienne de pétrole brut, 1989-2005

Source :   Statistique Canada, Guide statistique sur l’énergie, 2e trimestre de 2006.

Perspectives

L’Office national de l’énergie (ONÉ) prévoit que l’exploitation des sables bitumineux produira 3 millions de barils de pétrole par jour en 2015, tandis que l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) projette une production de 3,5 millions de barils par jour si tous les projets se déroulent comme prévu. D’après l’ONÉ, plus de 40 grands projets de récupération du bitume ont été annoncés pour la période 2006-2015[1], associés à des investissements totalisant 10 milliards de dollars par an en moyenne durant cette période. Le Canada pourrait ainsi devenir sous peu l’un des plus grands producteurs de pétrole du monde. Suivant l’analyse de l’ACPP, il passerait du septième rang en 2005 (voir le graphique ci-dessous) au troisième ou au quatrième rang en 20152.

Production de pétrole3 par pays, 2005

Source :   BP Statistical Review of World Energy 2006.

Un représentant de Ressources naturelles Canada (RNCan) a dit au Comité que l’on pourrait tirer jusqu’à 5 millions de barils de pétrole par jour des sables bitumineux en 20304. Il importe de noter à cet égard que la mise en valeur des sables bitumineux ne sera pas nécessairement limitée à l’Alberta. L’ONÉ nous a appris en effet qu’il existe des gisements de sables bitumineux en Saskatchewan (dans le nord-ouest et le centre-est de la province)5. Selon RNCan, on commence à sentir des signes d’intérêt pour la mise en valeur de cette ressource6. Les estimations de l’ONÉ et de RNCan laissent entrevoir un vaste potentiel de mise en valeur des sables bitumineux, y compris 3 millions de barils par jour d’ici 2015 et jusqu’à 5 millions de barils par jour peut-être d’ici 2030, par comparaison à 1,1 million de barils par jour actuellement. Le Comité a constaté, d’après les témoignages des promoteurs, que certains facteurs pourraient fort bien limiter la mise en valeur, voire retarder certains projets. Par conséquent, il se pourrait que la production soit inférieure aux prévisions de l’ONÉ et de RNCan, ce qui influera sur les aspects économiques et environnementaux de ces projets.

Enfin, si les méthodes actuelles d’extraction minière et in situ interdisent pour le moment l’exploitation des deux tiers des sables bitumineux7, il n’est pas impossible que l’évolution de la technologie permette un jour la mise en valeur de cette ressource inexploitée, ce qui consoliderait la réputation du Canada en tant que grand producteur d’énergie.

Les risques

Avec des cours du pétrole qui oscillent entre 50 et 60 dollars américains le baril, l’exploitation des sables bitumineux devient très intéressante, les prix compensant dans la plupart des cas largement les risques et les dépenses que comportent de tels projets à forte intensité de capital étalés sur de longues périodes. Comme l’a dit fort à propos George Eynon du Canadian Energy Research Institute au Comité, « [l]es propriétaires des concessions pétrolières sont poussés à monétiser leurs actifs8 ».

Cela ne veut pas dire que la mise en valeur des sables bitumineux soit une entreprise exempte de risques. En fait, l’extraction et la valorisation du bitume coûtent cher, d’autant plus que les coûts en matériel, en main-d’œuvre et en gaz naturel ont beaucoup augmenté dernièrement. D’après la plus récente évaluation réalisée par l’Office national de l’énergie, la production d’un baril de pétrole synthétique à partir des sables bitumineux peut coûter jusqu’à 40 $CAN, et cela, abstraction faite des coûts environnementaux associés aux émissions de gaz à effet de serre et autres. L’ONÉ a dit au Comité que si les cours du pétrole tombaient à une fourchette de 35 à 40 $US le baril, il s’ensuivrait un « important ralentissement » de l’activité dans ce secteur9.

Ce n’est pas tout. Si la croissance effrénée de l’exploitation des sables bitumineux se maintient, il va bientôt falloir construire de nouveaux pipelines. L’ONÉ pense d’ailleurs que la production va dépasser la capacité des pipelines dès cette année10. Il faudra accroître aussi les installations de valorisation, car la majorité des raffineries ne peuvent traiter que des quantités très limitées de bitume. Il importe donc d’encourager des investissements additionnels durables dans les installations de valorisation et de raffinage, car ces activités à valeur ajoutée présenteront des retombées économiques substantielles pour le Canada. C’est bien sûr aux entreprises concernées de décider des investissements nécessaires, mais les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent mettre l’épaule à la roue en se concertant pour que les projets soient examinés en temps opportun et avec rigueur.

Enfin, si le Canada est de plus en plus souvent qualifié de superpuissance énergétique, en raison surtout de la mise en valeur des sables bitumineux, il risque aussi d’acquérir l’étiquette de « grand pollueur » s’il ne prend pas la précaution de se doter des politiques et des technologies qui permettront d’atténuer l’impact environnemental de l’exploitation des sables bitumineux. De plus, il faudra aussi songer à répondre aux besoins des gens et des collectivités les plus directement touchés par la mise en valeur des sables bitumineux si l’on veut préserver la réputation du Canada de joueur responsable sur le marché mondial de l’énergie11.

Les sables bitumineux — Une ressource d’une grande importance stratégique pour l’Amérique du Nord

Les sables bitumineux revêtent une importance stratégique considérable pour le Canada, en partie parce que leur apport compense la diminution de la production de pétrole classique en provenance du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien, depuis toujours la plus riche zone pétrolifère du Canada12. Ils permettent au Canada d’engranger des revenus d’exportation du pétrole sûrs et lui assurent une ressource naturelle indispensable à la vie moderne.

Les États-Unis, le plus important partenaire commercial du Canada et le plus grand consommateur mondial de pétrole, s’efforcent de diversifier et d’assurer leurs approvisionnements énergétiques. Dans ce contexte, ils sont particulièrement conscients de l’importance stratégique des sables bitumineux. Le pétrole provenant des sables bitumineux du Canada est d’ailleurs en train de remplacer une partie des importations américaines de pétrole provenant d’outremer13. Comme l’a dit Tony Clarke de l’Institut Polaris quand il a comparu devant le Comité : « Évidemment, du point de vue des États-Unis, de Washington, l’accès au pétrole canadien — avec les réserves potentielles des sables bitumineux — offre un approvisionnement sûr, garanti, auprès d’un pays voisin ami14. »

Tant que les solutions de rechange ne seront pas économiques et commercialisées à grande échelle, les Canadiens comme les Américains continueront de dépendre des hydrocarbures liquides pour répondre au gros de leurs besoins en énergie, notamment dans le secteur des transports. La demande d’énergie sera satisfaite de plus en plus à partir des sables bitumineux, une vaste ressource que nous avons pratiquement « sous la main »15.

Dans ces conditions, les entreprises qui exploitent les sables bitumineux investissent des milliards de dollars dans des projets de construction de nouvelles installations d’extraction et de valorisation, car elles savent que la demande de pétrole, en Amérique du Nord et dans les marchés asiatiques émergents, continuera de progresser et que les prix vont vraisemblablement demeurer à un niveau élevé par rapport aux chiffres historiques.

Cependant, même si les hydrocarbures, notamment les sables bitumineux, vont vraisemblablement demeurer la principale source d’énergie pendant encore un certain temps, les coûts environnementaux et sociaux croissants associés en particulier à la mise en valeur des sables bitumineux sont tels qu’il serait irresponsable de continuer sur cette lancée sans rien changer. Il devient de plus en plus clair qu’il est temps d’amorcer la transition vers un avenir énergétique propre. La mise en valeur des sables bitumineux du Canada est une grande réalisation technique et financière. Avec le bon éventail de politiques et de technologies innovatrices, le Canada pourrait exploiter l’énergie des sables bitumineux tout en réduisant au minimum les conséquences sociales et environnementales de ces activités, ménager aux sables bitumineux une place de choix dans un avenir énergétique propre et mener ainsi cette grande réussite canadienne à son point culminant.



[1]       Le mémoire présenté par l’Office national de l’énergie au Comité fait état de 46 grands projets de récupération du bitume.

[2]       Greg Stringham, Association canadienne des producteurs pétroliers, Témoignages, 2 novembre 2006.

[3]       Pétrole brut, huile de schiste, sables bitumineux et liquides de gaz naturel.

[4]       Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[5]       Jim Donihee, Office national de l’énergie, Témoignages, 24 octobre 2006.

[6]       Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[7]       Hassan Hamza, Centre de la technologie de l’énergie de CANMET (CTEC) - Devon, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[8]       George Eynon, Canadian Energy Research Institute, Témoignages, 24 octobre 2006.

[9]       Bill Wall, Office national de l’énergie, Témoignages, 24 octobre 2006.

[10]     Office national de l’énergie, Les sables bitumineux du Canada, Perspectives et défis jusqu’en 2015 — Mise à jour, Évaluation du marché de l’énergie, juin 2006.

[11]     On trouvera en annexe des données sur les émissions de gaz à effet de serre par pays (en chiffres absolus et par habitant).

[12]     Office national de l’énergie, Les sables bitumineux du Canada, Perspectives et défis jusqu’en 2015 — Mise à jour, Évaluation du marché de l’énergie, juin 2006.

[13]     Rob Seeley, Albian Sands Energy Inc. (Shell Canada), Témoignages, 21 novembre 2006.

[14]     Tony Clarke, Institut Polaris, Témoignages, 21 novembre 2006.

[15]     Jim Carter, Syncrude, Témoignages, 21 novembre 2006.


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