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RNNR Rapport du Comité

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CHAPITRE 5 : LES DÉFIS

Introduction

L’exploitation des sables bitumineux et l’expansion rapide de l’industrie posent des défis incommensurables à de multiples niveaux. D’abord, l’industrie doit mobiliser des capitaux importants pour faire face à des coûts d’immobilisation et d’énergie en croissance, ne serait-ce qu’en raison de la nature même de ce type d’activité industrielle. S’ajoutent les difficultés croissantes de recruter de la main d’œuvre spécialisée et non spécialisée. Les défis sont aussi grands en matière d’environnement, notamment en ce qui a trait à la forêt boréale, à l’utilisation et au traitement de l’eau, aux émissions de gaz à effet de serre, à l’évaluation des impacts cumulatifs, à la remise en état des terres, etc. Au plan social, les questions relatives à l’infrastructure locale (logement, routes, eau potable et eaux usées), aux services de santé et aux populations autochtones génèrent aussi nombre de défis.

Ressources naturelles Canada reconnaît que, outre tous les avantages que peut procurer le développement des sables bitumineux au plan économique, certains aspects demeurent problématiques, notamment l’empreinte environnementale, les besoins accrus en gaz naturel, la capacité actuelle des pipelines et des raffineries, ainsi que la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée, problème jugé très crucial.

Comme je l’ai signalé d’emblée, la mise en valeur des sables bitumineux présente des aspects problématiques qui sont importants; le plus grave concerne l’empreinte environnementale, mais il y a aussi les questions liées à ses incidences sur les marchés du gaz naturel, à la capacité insuffisante des pipelines, à une pénurie de main-d’œuvre, et à d’autres facteurs1.

Le Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes croit qu’il est possible de trouver le juste milieu entre les trois principaux facteurs que sont le potentiel de la ressource, l’investissement nécessaire et les incidences environnementales. À cet égard, le Comité souscrit à un scénario évoqué par le président d’EnergyInet, Michael Raymont, selon lequel :

…nous pouvons opter pour un approvisionnement énergétique responsable et fiable. Il suffit de nous orienter vers la mise en valeur responsable des ressources énergétiques conventionnelles, en tâchant de réduire notre bilan carbone ainsi que notre utilisation de ressources auxiliaires. J’entends par là l’eau et les autres ressources nécessaires à la production d’énergie. Nous devons accélérer le développement de sources d’énergie alternatives ou non conventionnelles, y compris les énergies renouvelables, tout en mettant l’accent sur la mise au point et l’utilisation d’outils technologiques. Nous devons également mettre en place une réglementation adaptée aux nouvelles réalités et, ce qui est tout aussi important, un climat d’affaires plus sûr et stable, ce qui permettra au secteur privé de développer et d’utiliser la technologie nécessaire pour produire et consommer de l’énergie sans nuire à l’environnement2.

Selon des experts entendus par le Comité, l’industrie a déjà toute la technologie nécessaire pour produire de l’énergie non polluante. Ce qui manque particulièrement, ce sont les conditions qui inciteraient le secteur privé à investir dans cette technologie.

Dans la mise à jour de son rapport de 20043, l’Office national de l’énergie (ONÉ) a revu ses évaluations initiales en regard de la croissance rapide qui se présente actuellement dans le développement des sables bitumineux. Aux fins de son analyse, l’Office a considéré un scénario de référence qui envisage de passer d’une production de 1,1 à 3 millions de barils par jour d’ici 2015. L’analyse tient compte des facteurs qui ont tendance à précipiter ou à encourager la croissance prévue, tels que : prix élevé du brut; augmentation mondiale de la demande d’énergie; innovations techniques; grande stabilité du climat d’investissement au Canada; et vaste marché des États-Unis. L’action de ces facteurs de croissance est freinée par : la nécessité de développer des marchés et de construire des pipelines; l’augmentation des coûts des immobilisations et de la main-d’œuvre; la hausse des coûts d’exploitation; la pénurie de main-d’œuvre, les infrastructures inadéquates, et la nécessité de gérer les répercussions environnementales des projets d’exploitation.

L’augmentation des coûts

Plusieurs des témoins entendus par le Comité ont insisté sur le fait que le rythme de développement des sables bitumineux au cours des prochaines années dépendra en grande partie de la capacité de l’industrie à composer avec les hausses de coûts et le manque de main-d’œuvre qualifiée. Pour certains, dont le sous-ministre adjoint à la politique énergétique de Ressources naturelles Canada, Howard Brown, la pénurie de main-d’œuvre pourrait même devenir le principal frein de cette croissance. Pour d’autres, ce sont divers facteurs du marché qui, ensemble, risquent d’atténuer l’effervescence actuelle observée dans le secteur des sables bitumineux de l’Alberta.

Compte tenu de la vigueur de l’économie dans l’Ouest canadien — portée par le développement dans le pétrole et le gaz, la potasse, l’uranium, l’infrastructure municipale et olympique — un certain nombre de projets d’exploitation des sables bitumineux ont déjà été reportés ou étalés dans le temps parce que les entreprises elles-mêmes reconnaissent qu’il y a des problèmes liés aux coûts et à d’autres facteurs qui ne jouent pas en leur faveur4.

La main-d’œuvre

Une majorité d’intervenants devant le Comité s’entendent pour dire que la pénurie de main-d’œuvre est l’un des plus graves problèmes pour le développement des sables bitumineux. Déjà on observe un certain ralentissement dans le développement de nouveaux projets, notamment du fait que le manque de main-d’œuvre criant en Alberta fait grimper les coûts. Cette pénurie s’accentue au point que les prévisions de l’industrie à cet égard ont dû être revues entre l’automne 2005 et l’automne 2006. Ainsi, les nouvelles données présentées par l’Association canadienne des producteurs pétroliers indiquent que les pics d’emplois pour les projets de construction industrielle des secteurs pétroliers et gaziers ont été décalés d’environ deux ans et portés de 32 000 à plus de 34 000 emplois5.

Comme l’Alberta ne compte qu’un nombre limité de travailleurs qualifiés, le secteur des sables bitumineux est confronté non seulement à la difficulté de trouver les travailleurs dont il a besoin, mais aussi à celle de les attirer dans la région de Fort McMurray. Par ailleurs, cette problématique ne s’applique pas exclusivement à la main‑d’œuvre qualifiée et spécialisée mais à tous les secteurs de l’économie, notamment le secteur des services ou de la construction domiciliaire. De fait, l’approbation et la réalisation de tout nouveau projet d’exploitation de sables bitumineux attirent plus de main-d’œuvre dans la région de Fort McMurray et accroissent donc la pression sur l’industrie domiciliaire. Depuis quelques années déjà on observe une mobilité grandissante de la main-d’œuvre en provenance de l’Est du pays, particulièrement de Terre-Neuve-et-Labrador et des Maritimes, vers l’Alberta. Certains craignent même que ce déplacement vers l’Ouest puisse se traduire par de nouvelles pénuries de personnel dans l’Est.

La pénurie de main-d’œuvre force l’industrie et les gouvernements à élaborer de nouvelles approches. Parmi celles-ci, les programmes d’apprentissage avec lesquels on forme des apprentis connaissent un certain succès, particulièrement pour le recrutement d’Autochtones, dont la population va croissant en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba. Dans l’industrie des sables bitumineux, les entreprises exigent l’équivalent de la 12e année, ce qui a contribué à rehausser le niveau d’éducation des Autochtones et rend ceux-ci plus employables. À ce titre, les programmes de formation professionnelle dans les collectivités autochtones s’avèrent primordiaux.

Par ailleurs, l’immigration est appelée à jouer un rôle de plus en plus important. Jusqu’à maintenant, les entreprises ont trouvé presque toute la main-d’œuvre requise au Canada, mais avec l’expansion future de l’industrie, l’immigration deviendra une avenue incontournable. Le gouvernement fédéral peut ici jouer un rôle de premier plan; par exemple, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a ouvert ce qu’il appelle des « unités temporaires pour travailleurs étrangers » à Calgary et à Vancouver, dans le cadre d’un projet pilote visant à combler les besoins en main-d’œuvre. Comme l’a mentionné le président de la Chambre de commerce de Fort McMurray, M. Mike Allen, c’est en mai 2004 que le gouvernement du Canada et l’Alberta ont signé un protocole d’entente visant l’entrée ciblée de travailleurs étrangers temporaires afin de répondre aux besoins urgents de travailleurs qualifiés pour des projets dans les sables bitumineux. Le gouvernement fédéral a récemment annoncé des modifications au Programme concernant les travailleurs étrangers temporaires de façon à accélérer leur embauche lorsqu’il n’y a pas de citoyens canadiens ni de résidents permanents du Canada pour occuper les postes vacants. De plus, la gamme d’emplois visés a été élargie pour s’étendre à quelque 170 professions différentes, ce qui démontre les pressions extrêmes sur le marché du travail dans la région. Il reste par contre encore des défis à relever en ce qui a trait à la reconnaissance des études faites à l’étranger ou pour aider les immigrants déjà formés à perfectionner leurs habiletés jusqu’à ce qu’elles satisfassent aux normes canadiennes.

Compte tenu des témoignages entendus, le Comité recommande que le gouvernement fédéral, en collaboration avec le gouvernement de l’Alberta, renouvelle les efforts visant à combler les pénuries de travailleurs qualifiés et non qualifiés dans le secteur des sables bitumineux.

Par ailleurs, le Comité a été sensibilisé à un autre aspect de la problématique de l’emploi. Ainsi, la pénurie et, par le fait même, la demande de main-d’œuvre qualifiée ne concernent pas uniquement le secteur de la production proprement dite des sables bitumineux mais aussi certaines agences du gouvernement fédéral chargées d’appliquer la législation dans le domaine énergétique. C’est le cas par exemple de l’Office national de l’énergie qui a perdu 55 employés l’an dernier sur un effectif de 300 personnes, en grande partie au profit du secteur privé mieux à même de répondre plus rapidement aux demandes salariales et autres. Or, devant la croissance du secteur pétrolier et du nombre de projets que doit évaluer l’Office dans le cadre de son mandat, la nécessité de conserver son personnel qualifié afin de pouvoir traiter et étudier ces questions extrêmement techniques devient un énorme défi. La plus grande difficulté n’est pas tant de recruter de jeunes employés talentueux et compétents mais plutôt de retenir et d’attirer des employés expérimentés et des niveaux supérieurs. Ce phénomène n’est pas exclusif à l’ONÉ mais concerne aussi Ressources naturelles Canada, un ministère au sein duquel la recherche est prépondérante et qui par le fait même nécessite un personnel hautement qualifié.

Le Comité recommande que le ministère des Ressources naturelles réalise une étude et propose un plan d’action en matière de ressources humaines pour retenir les spécialistes au sein de son ministère et atténuer l’exode des cerveaux vers l’industrie pétrolière et gazière. Le Comité recommande de plus que le gouvernement fédéral et en particulier Ressources naturelles Canada élaborent et mettent en œuvre des mesures assurant la rétention ainsi que la relève du personnel scientifique hautement qualifié nécessaire à l’exécution de leur mission et de leurs divers mandats.

Coûts des immobilisations

On l’a vu, la disponibilité de la main-d’œuvre a un impact réel sur la capacité de l’industrie à poursuivre le développement des sables bitumineux, notamment en raison de la croissance des coûts engendrée par les pénuries de main-d’œuvre. Or, la question de l’augmentation des coûts est loin de se limiter à ceux de la main-d’œuvre. En effet, la croissance de l’industrie des sables bitumineux est grandement tributaire des coûts du matériel, de l’énergie et du capital. Comme l’a fait remarquer M. Jim Carter, président et chef des opérations de Syncrude, tout cela influence l’évaluation économique des projets6. Lorsque les coûts sont à la hausse, les promoteurs tendent à attendre plus longtemps avant de prendre leurs décisions. Déjà, l’échéance de certains projets a été étendue et, si le cours du pétrole brut chute et que ces coûts continuent à augmenter, il est probable que d’autres projets soient retardés ou abandonnés.

Les coûts en investissement, ne serait-ce que ceux de l’acier, ont considérablement augmenté depuis 2003. Par exemple, un projet de 100 000 barils par jour qui coûtait environ 3,3 milliards de dollars pourrait coûter aujourd’hui de 6 à 10 milliards de dollars en raison notamment de la hausse considérable et rapide du prix mondial de l’acier. Le coût croissant de l’acier affecte les projets de construction à travers le monde, alors que le manque de main-d’œuvre est un problème qui touche davantage l’Amérique du Nord7.

Les projections de développement des sables bitumineux d’ici 2015 nécessiteront des investissements en capital que l’on évalue à 125 milliards de dollars pour faire passer la production de 1 million à entre 3 et 3,5 millions de barils par jour. L’ampleur des investissements prévus dans les sables bitumineux est telle que les entreprises et leurs actionnaires pourraient devenir plus hésitants sans l’assurance d’un rendement intéressant et d’un degré acceptable de certitude dans le cycle d’investissement8.

Un autre aspect important du déploiement de nouveaux projets demeure l’écoulement de la nouvelle production sur les marchés. En effet, « si la production continue à progresser au rythme prévu, il faudra disposer de moyens de transport supplémentaires pour acheminer le pétrole vers les marchés.9 ». Selon les évaluations de l’ONÉ, la capacité de transmission du réseau actuel de pipelines devrait être atteinte en 2007, d’où la nécessité de s’attaquer rapidement au problème de la répartition sur certains pipelines ou d’augmenter la capacité de transport par la construction de nouveaux pipelines. À l’heure actuelle, le bitume et le brut synthétique sont surtout commercialisés à Chicago et, dans des proportions moindres, au Colorado et dans l’État de Washington. Pour maximiser le rendement économique, les producteurs ont avantage à ce que les marchés soient les plus diversifiés possibles.

De nombreux projets de pipelines sont actuellement en gestation et la réalisation de certains d’entre eux devrait générer au cours des prochaines années une capacité suffisante pour le transport du bitume et du brut synthétique. Parmi ces projets, on envisage d’accroître considérablement la capacité du « Trans Mountain Pipeline », qui va de l’Alberta jusqu’à Vancouver. Ces travaux permettraient d’acheminer de plus grosses quantités de produit des sables bitumineux vers les raffineries de la région de Puget Sound, dans l’État de Washington. D’autres projets concernent la région de Chicago en vue d’acheminer les produits jusqu’aux États du golfe du Mexique. Enfin, une troisième zone concernée par la construction de nouveaux pipelines serait entre le sud de l’Alberta et le Wyoming et le Colorado10.

S’il faut transporter le bitume et le brut synthétique, il faut aussi pouvoir les raffiner. À cet égard, ce n’est pas tant la capacité globale de raffinage qui inquiète mais on se demande plutôt si les raffineries sont équipées pour le traitement du bitume et la fabrication du brut synthétique. Plusieurs projets de transformation des raffineries dans le but d’accroître leur capacité et de s’assurer qu’elles sont en mesure de traiter en plus grosses quantités le produit extrait des sables bitumineux sont actuellement en cours aux États-Unis et au Canada, par exemple à la raffinerie de Petro-Canada à Edmonton. Il faut préciser que l’on n’a plus construit de raffinerie au Canada depuis 20 ans et aux États‑Unis depuis 30 ans, l’industrie se contentant d’accroître la capacité des raffineries déjà en place. Bien que l’on s’interroge encore sur la pertinence d’investir dans la construction d’une grosse raffinerie, certains projets sont en cours d’élaboration, l’un dans l’Est du Canada et l’autre dans l’Ouest11. Les décisions qui seront prises en ce qui a trait aux pipelines et aux raffineries sont essentiellement liées à la capacité des marchés à absorber la production des sables bitumineux si elle est supérieure de deux millions de barils par jour à celle d’aujourd’hui.

L’industrie valorise déjà au Canada 800 000 barils par jour sur une production totale de 1,1 million de barils, soit environ 72 p. 100 de la production totale. Compte tenu des projets d’agrandissement des usines existantes et de la création de 10 nouvelles usines de valorisation, le Canada devrait être en mesure de valoriser au pays 3 millions de barils, soit environ 85 p. 100 de la production prévue de 3,5 millions de barils par jour. Bien que l’ensemble de la valorisation ne se fera pas entièrement au Canada, les représentants de l’industrie ont mentionné au Comité que la plus grande part devrait continuer d’être effectuée ici12. Reste que la transformation ou valorisation faite présentement au Canada se limite essentiellement à transformer le bitume, le produit ayant le moins de valeur, en pétrole synthétique. Pour certains, il n’y aucune raison pour laquelle on ne pourrait pas raffiner le pétrole synthétique pour produire de l’essence, du diésel et des produits pétrochimiques13.

L’augmentation de la consommation de gaz naturel

L’utilisation du gaz naturel dans l’extraction et le traitement des sables bitumineux représente, avec l’utilisation de l’eau et la réduction des émissions, l’un des plus grands défis auxquels l’industrie fait face. Certains intervenants devant le Comité ont été assez catégoriques quant à l’utilisation accrue du gaz naturel aux fins de l’exploitation des gisements de sables bitumineux. Par exemple, M. Michael Raymont d’EnergyInet considère qu’utiliser le gaz naturel comme carburant dans l’exploitation des sables bitumineux, « c’est un peu comme changer l’or en plomb ». En effet, le gaz naturel utilisé comme carburant pour extraire et valoriser le bitume est un carburant relativement propre. Si on l’utilise dans les sables bitumineux, c’est principalement pour des raisons historiques, c’est-à-dire parce que ce gaz était présent en abondance dans cette région il y a 40 ans. Aujourd’hui cependant, on réalise que ce carburant pourrait être utilisé à bien meilleur escient, notamment lorsque l’on tient compte des niveaux de prix atteints au cours des dernières années. Une solution de rechange au gaz naturel est aussi d’autant plus urgente qu’on craint qu’il n’y en ait pas assez pour amener les sables pétrolifères à produire de trois à cinq millions de barils par jour, selon les projections14.

On estime qu’à l’heure actuelle il faut entre 500 et 1 000 pieds cubes de gaz pour produire un baril de pétrole synthétique, selon la qualité du pétrole qu’on produit. Sur le plan monétaire, il en coûte entre 3,50 $ et 7 $ de gaz pour produire un baril de pétrole. Selon l’Association canadienne des producteurs pétroliers, le gaz naturel constitue le plus important coût de fonctionnement d’une usine de sables bitumineux, ce qui incite l’industrie à trouver des combustibles de remplacement. Les projections de l’ONÉ indiquent que les besoins en gaz naturel de l’industrie pourraient atteindre 2,1 milliards de pieds cubes par jour en 2015 par comparaison aux 0,7 milliard de pieds cubes quotidiens utilisés en 200515. Dans une plus large perspective, notamment celle de la consommation nord-américaine de gaz naturel, Ressources naturelles Canada estime que les sables bitumineux représentent à l’heure actuelle environ 1 p. 100 de la consommation totale en Amérique du Nord et prévoit que ce pourcentage restera relativement stable au cours des 15 prochaines années. Le ministère croit que ce 1 p. 100 est loin d’être un pourcentage négligeable, mais on pense que ce n’est pas une quantité suffisante pour avoir une incidence déterminante, positive ou négative, sur le marché du gaz naturel16. L’incidence sur le marché du gaz naturel en général ne faisait pas partie de l’étude, mais le Comité reconnaît que l’éventuelle utilisation à d’autres fins des 2,1 milliards de pieds cubes par jour de gaz naturel pourrait avoir des répercussions sur les choix de combustibles.

Outre les considérations strictement économiques, d’autres éléments sont susceptibles d’influencer le rythme de développement et de remplacement du gaz naturel, particulièrement la réglementation future en matière d’environnement et d’émissions atmosphériques. Déjà, plusieurs solutions technologiques sont étudiées en vue du remplacement du gaz naturel pour la production de vapeur des projets d’exploitation in situ ou d’hydrogène pour la valorisation du bitume. Outre l’utilisation de la cogénération, qui permet de générer à la fois de la vapeur et de l’électricité, une des technologies parmi les plus prometteuses et mentionnées devant le Comité est la gazéification, que ce soit du coke, du charbon ou résidus de bitume. Selon M. David Keith17, la gazéification, assortie de dispositifs de capture et de stockage du CO2, serait plus rentable pour l’exploitation des sables bitumineux — qui nécessite à la fois chaleur et hydrogène — que pour le secteur de l’électricité. La gazéification consiste en gros à décomposer des matériaux en leurs éléments constitutifs dans un système fermé et de réassembler ces éléments avec d’autres produits — par exemple de l’oxygène — afin de fabriquer des produits différents. Si ce processus de gazéification générait beaucoup de CO2 dans le contexte des sables bitumineux, il serait possible de séparer ce flux, de le séquestrer puis de le stocker. Dans un rapport récent préparé à l’intention du ministre des Ressources naturelles du Canada, les technologies de gazéification ont été identifiées comme la première de quatre grandes priorités — la seconde étant la séquestration — auxquelles le gouvernement fédéral devrait accorder son attention en matière de recherche énergétique18.

La gazéification sera bientôt utilisée dans le cadre du Projet de Long Lake où les compagnies Opti et Nexen ont entrepris de construire des installations d’exploitation in situ des sables bitumineux qui permettront de produire entre 70 000 et 150 000 barils par jour. Selon Ressources naturelles Canada, la gazéification des résidus, par exemple le coke entreposé pour l’instant par l’industrie sur les sites d’exploitation, est probablement un des progrès technologiques les plus intéressants lorsqu’il s’agit de transformer des résidus en gaz naturel synthétique. En fait, la gazéification du charbon et des résidus n’est pas nouvelle au plan technologique mais son amélioration au fil du temps l’a rendue plus mûre pour l’utilisation commerciale. Elle permettrait selon plusieurs de réduire grandement l’empreinte environnementale de l’exploitation des gisements bitumineux en raison de la capacité d’extraire le dioxyde de carbone et certains des autres polluants atmosphériques (particules, NOx et SOx, etc.)19.

Une autre avenue de remplacement du gaz naturel mentionnée à quelques reprises lors des audiences du Comité est le recours à l’énergie nucléaire qui peut procurer vapeur et électricité. Le Comité a d’ailleurs entendu un des promoteurs de cette filière, M. Wayne Henuset de Energy Alberta Corporation20. Selon son promoteur, l’énergie nucléaire présente l’avantage de ne pas émettre de CO2 et serait concurrentielle en termes de coût par rapport à l’utilisation du gaz naturel. L’établissement d’une centrale CANDU 6 dont le processus d’autorisation réglementaire débuterait au printemps 2008 nécessiterait huit autres années, soit jusqu’en 2016, pour que celle-ci soit totalement opérationnelle. L’énergie produite par une telle centrale, environ 740 mégawatts d’électricité, serait vendue soit dans le cadre d’ententes directes avec un exploitant, soit par le biais d’un processus d’appel d’offres ouvert.

Pour certains, la filière nucléaire n’offre pas que des avantages, même en faisant abstraction de la gestion des déchets radioactifs qui en résulteraient. D’abord, elle présente des limitations quant à la distribution d’eau chaude ou de vapeur sur de grandes distances. Ainsi, on pourrait acheminer de l’eau chaude sur environ 75 kilomètres, mais de la vapeur sur 25 kilomètres seulement. En outre, on estime qu’une centrale d’environ 600 mégawatts pourrait alimenter une usine de traitement produisant 60 000 barils de pétrole brut synthétique par jour. Sur cette base, il faudrait compter près de 20 réacteurs pour satisfaire les besoins de la production envisagée à partir de 201521. Pour d’autres, le problème vient surtout du fait que les centrales nucléaires classiques sont trop grosses pour l’exploitation des sables bitumineux et qu’il faudrait plutôt envisager des centrales plus petites, de l’ordre de 100 mégawatts, une taille mieux adaptée aux caractéristiques et besoins des projets individuels de mise en valeur des sables bitumineux22. D’autres croient qu’une technologie comme la gazéification, assortie du captage et du stockage du CO2, est mieux à même de concurrencer l’énergie nucléaire pour les sables bitumineux. Cela est attribuable au fait que l’on peut générer de l’hydrogène, ce que l’énergie nucléaire ne peut pas faire de façon aussi rentable23.

Sur la foi des témoignages entendus, le Comité recommande spécifiquement que Ressources naturelles Canada, de concert avec ses divers partenaires, accentue la R-D pour stimuler l’innovation en vue du remplacement du gaz naturel dans les processus d’extraction et de transformation du bitume par une source d’énergie propre du point de vue des émissions de gaz à effet de serre.

Le Comité recommande en outre que le gouvernement mette sur pied un groupe de travail mixte public/privé afin de trouver le plus rapidement possible des moyens de réduire la consommation de gaz naturel dans l’exploitation des sables bitumineux et ainsi conserver cette ressource pour une utilisation valorisée.

Le Comité recommande qu’aucune décision se rapportant au recours à l’énergie nucléaire pour l’extraction de pétrole des sables bitumineux ne soit prise d’ici à ce que les répercussions de ce procédé soient clairement démontrées et comprises.

L’introduction des nouvelles technologies

La résolution de plusieurs des défis que doit relever l’industrie des sables bitumineux, par exemple pour remplacer le gaz naturel dans les procédés d’extraction et de traitement, réduire les émissions et diminuer l’impact sur l’eau, nécessitera le développement et l’introduction de nouvelles technologies à relativement court terme. Tel que mentionné précédemment, nombre de ces technologies ont dépassé le stade de la recherche et sont déjà à l’étape des projets pilotes ou des installations semi‑commerciales. Le Comité a pu entendre des témoignages convaincants et enthousiastes quant aux possibilités technologiques dans le secteur des sables bitumineux. Au dire de certains experts, la technologie peut régler une bonne part des problèmes, si on l’exploite comme il faut et si le gouvernement envoie les bons signaux. L’innovation technologique serait la clé qui permettrait d’accroître la production des sables bitumineux d’une manière responsable. Toutefois, certains obstacles demeurent et devront rapidement être surmontés notamment avec le soutien des gouvernements.

Certains estiment que le système d’innovation fonctionne mal : « nous investissons des milliards de dollars dans la recherche et le développement en amont, mais nous n’en voyons pas les avantages en aval. » Il y a donc, a-t-on indiqué au Comité, des lacunes dans les maillons centraux de ce qu’on appelle la chaîne d’innovation, par exemple lorsqu’il faut passer de la R-D fondamentale aux étapes suivantes de la mise en œuvre en construisant une usine pilote, une usine de démonstration ou en menant des activités de commercialisation; ce sont les éléments qui composent l’essentiel de la partie sous-financée de la chaîne d’innovation. Idéalement, il devrait y avoir trois parts d’investissement du secteur privé pour une part d’investissement public. Au Canada, ce ratio est de 1,18 pour 1; il faut donc trouver des moyens d’encourager le secteur privé à faire davantage de R-D afin d’améliorer ce ratio24. Des représentants de l’industrie pétrolière ont indiqué au Comité que l’ensemble du secteur de l’énergie dépensait environ 720 millions de dollars par année en R-D, toutes facettes de leurs activités confondues25. Plus spécifiquement, l’industrie pétrolière et gazière n’investit que 0,36 p. 100 de ses revenus en recherche et développement3, ce qui représente moins d’un dixième de la moyenne industrielle canadienne.

Le Comité craint que le secteur public assume une trop grande part de la recherche-développement sur les sables bitumineux comparativement au secteur privé. Il demande donc à l’industrie d’accroître sa participation à la recherche-développement pour la porter à la moyenne industrielle canadienne, et il demande en outre au gouvernement fédéral d’axer ses recherches sur l’énergie renouvelable et les technologies durables.

Bien que les dépenses fédérales au chapitre de la recherche et du développement dans le secteur énergétique aient reculé de 70 p. 100 par rapport au sommet atteint au début des années 198027, le gouvernement fédéral et particulièrement Ressources naturelles Canada sont néanmoins actifs en matière de R-D en énergie. De fait, Ressources naturelles Canada a des responsabilités très claires en matière de recherche, de développement et d’innovation et il est actif dans ce domaine depuis de très nombreuses années, particulièrement par l’entremise de son réseau du Centre canadien de la technologie des minéraux et de l’énergie (CANMET). Parmi les trois centres principaux du Secteur des programmes et de la technologie énergétiques (CANMET-CTEC), celui de Devon dans la région d’Edmonton se concentre sur les sables bitumineux et sur le pétrole brut depuis 1995. Le centre de Devon, qui compte 80 à 120 scientifiques et ingénieurs selon les projets, travaille en étroite collaboration avec l’industrie et le milieu universitaire pour résoudre divers problèmes et contribuer à faire en sorte que le développement des sables bitumineux se fasse de façon plus responsable. Le montant total des dépenses de recherche‑développement à Ressources naturelles Canada pour 2005-2006 était de 212,9 millions de dollars, dont 81,7 millions pour le secteur de l’énergie. Autrement dit, environ 40 p. 100 des dépenses totales de recherche-développement ont été affectées à l’énergie, dont une proportion considérable concernent des projets à caractère environnemental28. Au centre CANMET de Devon, plus de 90 p. 100 des travaux de R-D sont liés aux aspects environnementaux des sables bitumineux, à savoir qu’ils ont pour objet de développer de nouvelles technologies moins énergivores, moins exigeantes en eau, produisant moins d’émissions, etc. Certaines de ces technologies ont déjà atteint diverses étapes de la mise en œuvre29.

Les opinions diffèrent quant au potentiel futur de mise en valeur des sables bitumineux, mais une importante question demeure toutefois, celle de la capacité au plan de l’innovation et de la technologie de suivre le rythme effréné de développement et de croissance du secteur des sables bitumineux. Certes, l’investissement en recherche et développement vise, entre autres, à améliorer la performance environnementale, mais l’industrie cherche aussi à récupérer les coûts. Par exemple, concernant les émissions de gaz à effet de serre, l’industrie sera encline à investir en majorité dans l’efficacité énergétique, et non dans la capture et le stockage du CO2, qui ne comportent pas nécessairement de bénéfices économiques. Par contre, s’il y a un signal clair de la part du gouvernement et une forme de comptabilisation du coût quant à la réduction des émissions, la dynamique de l’investissement en recherche et innovation risque de changer en conséquence30

Nombre d’intervenants devant le Comité croient qu’il incombe au gouvernement de partager les risques de l’innovation et de la mise en œuvre des technologies nouvelles. Cela ne veut pas nécessairement dire que le gouvernement doive se consacrer lui-même à toutes les facettes de l’innovation technologique, mais il doit tout au moins trouver des solutions pour que les risques assumés par le secteur privé soient atténués par certaines interventions gouvernementales. Indéniablement le gouvernement doit faire en sorte d’encourager les sociétés qui veulent mettre en service de nouvelles technologies et qui veulent procéder à des investissements à long terme en réduisant le plus possible les obstacles susceptibles de freiner l’innovation.

Sur la base des témoignages entendus, le Comité recommande que Ressources naturelles Canada prenne acte des deux premières priorités identifiées dans le Rapport du Groupe consultatif national sur les sciences et technologies relatives à l’énergie durable, à savoir la technologie de la gazéification et la capture et le stockage du CO2, et qu’il y donne suite.

De même, reconnaissant que le gouvernement fédéral joue un rôle reconnu et indubitable dans le domaine de la R‑D, le Comité recommande que celui-ci continue de participer à la R‑D relative aux diverses facettes de la mise en valeur des sables bitumineux.

Au-delà de la R-D, le Comité a pu constater au travers de certains témoignages les lacunes importantes qui caractérisent le Canada en matière d’innovation. Des mesures concrètes doivent être élaborées et mises en œuvre rapidement à cet égard, particulièrement dans les domaines de l’énergie et de l’environnement.

Les impacts environnementaux

En parallèle aux contraintes et défis auxquels l’industrie des sables bitumineux fait face, les impacts environnementaux représentent un défi tout aussi, sinon plus grand, lorsqu’il s’agit de la mise en valeur de cette gigantesque ressource. Ces défis en matière d’environnement concernent au premier chef l’évaluation des impacts, les émissions de gaz à effet de serre et autres polluants, l’utilisation et le traitement de l’eau, la remise en état des terres, etc. Si certaines avancées ont été réalisées au plan technique, il reste encore beaucoup à faire pour amenuiser les impacts de l’extraction et du traitement des sables bitumineux.

1.  Processus d’évaluation des gouvernements fédéral et provinciaux

Tel que décrit antérieurement au sujet du rôle respectif des gouvernements fédéral et provincial dans le contexte de la mise en valeur des sables bitumineux de l’Alberta, les questions relatives à l’environnement sont de juridiction partagée tandis que la gestion des ressources naturelles relève de la province. Parmi les rôles qui reviennent au gouvernement fédéral, il y a celui de l’évaluation des impacts environnementaux dans le cadre de certaines activités et en regard de certains éléments de l’environnement. Ainsi, les éléments « déclencheurs » de la participation fédérale à l’évaluation des impacts environnementaux des projets de développement des sables bitumineux ont trait à la protection de l’environnement, des cours d’eau et de l’habitat du poisson, de même qu’aux terres indiennes.

Lors de leur comparution devant le Comité, les représentants de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACÉE) ont expliqué qu’au niveau fédéral la responsabilité des évaluations incombe à l’autorité qui doit prendre une décision sur le projet à l’étude. Dans le cas des projets d’exploitation de sables bitumineux, ce sont principalement Pêches et Océans Canada et Transports Canada qui interviennent alors qu’Environnement Canada, Ressources naturelles Canada et Santé Canada agissent plutôt à titre d’experts aux fins d’analyse. En 1993, le gouvernement fédéral a conclu une « Entente de collaboration Canada-Alberta en matière d’évaluation environnementale » selon laquelle une évaluation conjointe unique permet aux deux instances de s’acquitter de leurs obligations juridiques, par la mise en commun des renseignements nécessaires pour le promoteur et la tenue d’audiences publiques, s’il y a lieu. Cette sorte de « guichet unique » vise surtout à éviter le double emploi, bien que chaque gouvernement conserve son autorité législative dans ses domaines de compétence et demeure responsable de ses décisions en matière d’évaluation environnementale31. Au niveau de la province, ce sont le ministère de l’Environnement de l’Alberta et l’Alberta Energy Utilities Board qui participent à ce processus d’harmonisation appliqué aux projets de développement des sables bitumineux.

Selon l’ACÉE, l’examen des effets environnementaux inclut aussi celui des effets environnementaux cumulatifs que la réalisation du projet, combinée à l’existence d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement. De plus, il prend en compte ou permet de proposer l’élaboration de mesures, réalisables sur les plans technique et économique, pouvant permettre d’atténuer les effets environnementaux négatifs importants d’un projet. En vertu de la réglementation fédérale relative à l’évaluation environnementale, les projets de développement des sables bitumineux de plus de 10 000 m3 par jour sont automatiquement assujettis à une étude approfondie et, si le ministre responsable en décide ainsi, à une commission d’examen. À ce jour, le projet Millenium a fait l’objet d’une étude approfondie en 1998, tandis que les projets plus récents Jackpine, Horizon, Kearl et Muskeg ont été évalués par une commission conjointe d’examen. À l’exception du projet Kearl, dont le rapport de la commission devrait être déposé en mars 2007, les projets Jackpine, Horizon et Muskeg ont reçu l’approbation des commissions chargées de leur évaluation respective mais sont assujettis à une série d’exigences et de conditions, par exemple quant à la surveillance du poisson et des organismes sédimentaires, ainsi qu’à la qualité de l’eau et à la santé des populations autochtones touchées par ces projets.

Bien que la question des impacts cumulatifs de l’ensemble des projets de mise en valeur des sables bitumineux soit prise en compte dans le cadre des processus fédéral et provincial d’évaluation, les audiences tenues par le Comité ont révélé une certaine perplexité chez plusieurs intervenants à la fois quant au rôle de chaque instance gouvernementale et quant au degré d’approfondissement de ce volet des évaluations. Plusieurs témoins ont dit penser que, en matière d’évaluation des impacts cumulatifs, les autorités responsables ont tendance à trop s’en remettre à d’autres et à ainsi limiter leur engagement en ce domaine. Selon certains, la portée des évaluations a été très étroite par le passé, si bien que le gouvernement fédéral ne participe pas à un processus d’évaluation qui tiendrait vraiment compte de tous les impacts, y compris la pollution transfrontalière, les gaz à effet de serre, etc.32 Pourtant, comme le faisait remarquer Mme Mary Griffiths de l’Institut Pembina, « C’est là où le gouvernement fédéral conserve un rôle et peut-être devrait-il le jouer avec plus d’enthousiasme qu’il n’en a montré par le passé. […] À l’heure actuelle, beaucoup de ce qui se fait est discrétionnaire. Le ministère des Pêches et des Océans ne saisit parfois pas de façon aussi énergique que possible les occasions qui se présentent, à cause de cette discrétion. Je crois qu’il y a eu une certaine hésitation de la part du gouvernement fédéral à trop intervenir.33 »

Une partie du problème en matière d’évaluation des impacts cumulatifs tient probablement à l’existence de la Cumulative Environmental Management Association (CEMA), une organisation multipartite, axée sur le consensus, réunissant des représentants de l’industrie, des groupes environnementaux, des Autochtones, et des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral. Ce large groupe a pour mandat d’essayer d’évaluer les effets environnementaux cumulatifs dans l’ensemble de la municipalité régionale de Wood Buffalo. Pour certains, un des problèmes qui se pose à la CEMA est de travailler au sein d’un mécanisme multisectoriel, à intervenants multiples et exigeant le consensus34. D’autre part, rien ne semble indiquer que le mandat de la CEMA en soit un de nature législative, puisqu’il s’agit d’une organisation non gouvernementale sans but lucratif qui a vu le jour en juin 2000 pour offrir une tribune à divers intervenants qui souhaitent discuter des problèmes environnementaux associés au développement en vue de les résoudre35.

Sans vouloir minimiser le rôle et l’apport, certes importants, de la CEMA, le Comité estime que le travail de cette association doit servir de complément aux fonctions législatives du gouvernement fédéral et des gouvernements des provinces en matière d’évaluation des répercussions environnementales cumulatives.

Compte tenu du degré de développement atteint dans la région de la municipalité régionale de Wood Buffalo et des nombreux projets en cours de réalisation ou projetés, le Comité recommande que le gouvernement fédéral, de concert avec le gouvernement de l’Alberta, entreprenne une évaluation exhaustive des impacts cumulatifs des activités de mise en valeur des sables bitumineux en cours et à venir. Le Comité recommande en outre que le gouvernement fédéral, par le biais de ses ressources internes ou en confiant un mandat spécifique à un organisme particulier, procède à une évaluation complète et détaillée des impacts socio-économiques et environnementaux de la mise en valeur des sables bitumineux analogue à l’analyse macroéconomique réalisée par le Canadian Energy Research Institute (CERI) dans une perspective de 20 ans (2000-2020).

Le Comité exhorte par ailleurs le gouvernement du Canada à mieux exploiter les lois actuelles comme la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) pour atténuer les menaces environnementales comme la pollution atmosphérique transfrontalière, les émissions de GES et les dommages causés aux cours d’eau et aux poissons. Dans la mesure du possible, le recours à ces lois devrait se faire en collaboration avec la province et dans le respect des champs de compétence provinciaux.

Le gouvernement de l’Alberta a lancé à l’automne 2006 une consultation multilatérale sur les sables bitumineux à laquelle participe le gouvernement fédéral. Il s’agit en quelque sorte, a-t-on fait valoir, d’une évaluation environnementale régionale de haut niveau dans le cadre de laquelle le gouvernement albertain tente d’évaluer quelle sera l’incidence de l’ensemble de la mise en valeur du nord de la province. Sans doute que les résultats des travaux et consultations menés par le Oil Sands Multi-stakeholder Committee amèneraient une contribution réelle à une évaluation exhaustive des impacts cumulatifs des projets de mise en valeur des sables bitumineux.

2.  Les émissions de gaz à effet de serre

S’il est une préoccupation environnementale en ce qui a trait à la mise en valeur des sables bitumineux, outre les questions relatives à l’utilisation de l’eau, c’est bel et bien celle des émissions de gaz à effet de serre et de polluants. En effet, l’accroissement de la production de bitume et de brut synthétique au cours de la dernière décennie s’est traduit par une augmentation substantielle des émissions, faisant de ce secteur d’activité la source d’émissions qui connaît la croissance la plus rapide au pays. Les scénarios d’accélération de la production pour les dix à quinze prochaines années ne sont pas sans inquiéter si des mesures de réduction des émissions ne sont pas mises en place.

En raison de l’intensité énergétique nécessaire pour extraire le bitume des sables bitumineux et en augmenter la qualité afin de produire du pétrole synthétique, le volume de pollution attribuable aux gaz à effet de serre dégagé par baril est environ trois fois plus élevé pour les sables bitumineux que pour la production de pétrole classique. La production de gaz à effet de serre n’est pas due uniquement à la forte consommation d’énergie, mais également aux vapeurs libérées des solvants utilisés pour mobiliser le pétrole. Certains de ces solvants ont un effet multiplicateur sur les émissions globales de dioxyde de carbone36. Étant donné l’augmentation importante prévue de la production de sables bitumineux, cette ressource constitue la source d’émissions de gaz à effet de serre qui connaît la croissance la plus rapide. Selon l’Institut Pembina, les sables bitumineux pourraient représenter la moitié de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre au Canada entre 2003 et 201037.

À l’heure actuelle, l’Institut Pembina estime que les émissions de gaz à effet de serre ont atteint environ 37 mégatonnes en 2005 par rapport à 23 mégatonnes en 2000; de fait, les émissions ont doublé depuis 199538. Selon la mise à jour 2006 de l’ONÉ, les émissions totales pourraient atteindre 67 mégatonnes par an d’ici 2015 — certains disent même en 2010 — si la production atteint 3 à 3,5 millions de barils par jour.

Des progrès importants ont été réalisés pour diminuer l’intensité des émissions de GES produites par les exploitants des sables bitumineux. De fait, l’intensité des émissions de gaz à effet de serre par baril de pétrole produit a diminué de plus de 20 p. 100 entre 2000 et 2005, mais cette diminution a été absorbée par l’augmentation globale de la croissance et de la production, de sorte que le volume total de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère continue à augmenter chaque année39. Même si l’industrie continue à améliorer l’efficience énergétique de ses procédés d’extraction et de traitement du bitume, notamment en réduisant ou remplaçant l’utilisation du gaz naturel, on semble s’entendre pour dire qu’il faut rapidement mettre en place des technologies de captage et de stockage du CO2 pour arriver à réduire les émissions globales de gaz à effet de serre.

3.  Le captage et le stockage du dioxyde de carbone

Le captage et le stockage du soufre dans les procédés de traitement se fait déjà avec succès à certaines installations comme en font fois les gigantesques piles de soufre solide observées par les membres du Comité sur le site d’exploitation de la compagnie Syncrude. Plusieurs estiment que les technologies de captage et de stockage du CO2 ont atteint un certain degré de maturité qui justifierait leur utilisation à grande échelle. Néanmoins, plusieurs obstacles restent à surmonter, tant au plan économique qu’au plan technique.

Selon Ressources naturelles Canada, il existe actuellement des procédés de captage et de stockage du carbone commercialement viables, du fait que le stockage de dioxyde de carbone dans le sol accroît le taux de récupération du pétrole dans les puits, ce qui compense largement les coûts supplémentaires. Le Ministère collabore étroitement avec plusieurs autres partenaires gouvernementaux, industriels et académiques au projet de contrôle et de stockage du dioxyde de carbone de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à Weyburn en Saskatchewan qui en est à sa deuxième phase. Il s’agit d’un projet de grande envergure qui consiste à injecter une quantité considérable de dioxyde de carbone dans le sous-sol pour accroître de façon importante la production de pétrole. Dans le cadre de ce projet, le CO2 provient toutefois d’installations américaines de gazéification du charbon au Dakota du Nord, ce qui fait dire à plusieurs que l’on pourrait maintenant faire de même en Alberta en captant le CO2 provenant des sables bitumineux.

Dans le cas précis des sables bitumineux, la technologie de captage du CO2 existe déjà, mais le gaz qui sort des cheminées est déjà à la pression atmosphérique et sa compression en une forme utilisable risque elle-même de produire du CO2 et de coûter très cher. L’industrie estime en effet qu’il pourrait en coûter 50 à 60 dollars la tonne, tandis que les entreprises qui effectuent la récupération assistée du pétrole ne peuvent se permettre de payer qu’environ 20 $ à 25 $ la tonne40. Il est donc nécessaire, d’une part, d’améliorer la technologie de captage du CO2 à la source et, d’autre part, d’acheminer le CO2 en grande quantité aux sites d’utilisation.

Selon l’ONÉ, il faudrait un pipeline de CO2 exclusif à partir de Fort McMurray jusqu’aux gros gisements de pétrole léger ou de méthane de houille (gaz naturel) du centre de l’Alberta pour encourager le captage, le stockage et l’utilisation de gros volumes de CO2 pour extraire davantage de pétrole et de gaz, par exemple dans les champs pétrolifères de Pembina ou de Midale (bassin de Williston). Il existe diverses propositions visant à construire de tels pipelines, notamment par les compagnies Penn West, Apache, Kinder Morgan. Une fois le CO2 transporté des lieux d’émission aux sites d’utilisation, on risque assez rapidement d’atteindre la capacité d’utilisation dans les gisements de pétrole et de gaz naturel pour la récupération assistée. L’évaluation faite par l’Alberta Geological Survey indique que la capacité cumulative des réservoirs de l’Ouest canadien est de 3,2 Gt de CO2 pour les gisements de gaz et de 560 Mt pour les gisements de pétrole41. C’est pourquoi plusieurs études s’intéressent au stockage pur et simple dans les couches profondes de diverses natures.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC de l’ONU) considère le piégeage et le stockage (PSC) du CO2 comme une option intéressante parmi les mesures d’atténuation visant à stabiliser la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Selon le GIEC, les techniques actuelles permettraient de piéger de 85 à 95 p. 100 du CO2 traité dans une installation de piégeage mais, pour ce faire, il faudra par exemple de 10 à 40 p. 100 plus d’énergie pour le piéger et le comprimer. Dans le cadre d’une analyse approfondie des techniques de capture et de stockage du CO2 et des options de séquestration partout dans le monde, le GIEC a constaté que les aquifères salins profonds étaient préférables parce que le CO2 change chimiquement avec l’eau saline, devient plus dense et coule au fond. Ainsi, les risques qu’il revienne à la surface, qu’il présente un danger ou qu’il contribue à nouveau à augmenter les émissions de gaz à effet de serre seraient très faibles42.

Selon plusieurs témoins entendus par le Comité, la géologie du bassin sédimentaire de l’Ouest est tout indiquée pour le piégeage permanent du CO2, particulièrement dans les aquifères salins profonds. Toutefois, une telle approche a un coût élevé pour l’industrie, d’où l’urgence de trouver des mécanismes qui permettront au secteur privé d’internaliser ces facteurs externes. L’Institut Pembina s’intéresse de près aux possibilités que représentent le piégeage et le stockage du CO2. Dans un rapport récent43, il fait état d’une analyse de ce qu’il en coûterait aux exploitants pour que la mise en valeur des sables bitumineux devienne neutre en carbone ou présente des émissions nettes nulles de gaz à effet de serre d’ici 2020. Selon les estimations de l’Institut, il en coûterait entre 1,76 et 13,65 dollars US le baril pour obtenir une production neutre en carbone, cela sans tenir compte des sources possibles de revenus liées à la récupération assistée du pétrole ou des réductions de coût vraisemblables qui proviendraient des améliorations de la technologie après la mise en application.

L’industrie montre un intérêt réel pour cette technologie, comme en fait foi la mise sur pied en 2005 du « Integrated CO2 Network » ou ICON Group, qui regroupe douze grandes compagnies du secteur pétrolier et gazier de l’Ouest, afin d’étudier un projet de séquestration à grande échelle dans les formations géologiques (nappes d’eau salée souterraines et réservoirs épuisés de pétrole et de gaz naturel). Le CO2 capté et ainsi stocké ne proviendrait pas uniquement des procédés d’extraction des sables bitumineux, mais de centrales de génération d’électricité à partir de charbon, de mazout ou de gaz naturel, ainsi que des raffineries et autres centres de traitement du pétrole et du gaz. Le groupe estime que le projet à l’étude pourrait séquestrer quelque 20 mégatonnes de CO2 par année, mais précise que le principal frein à la mise en œuvre de cette technologie demeure les coûts élevés, de l’ordre de 30 à 50 dollars la tonne de CO2. Les témoignages entendus par le Comité indiquent que de toute évidence l’industrie n’est pas prête à assumer seule les coûts d’implantation de la technologie du captage et du stockage du CO2. Elle juge essentiel de mettre en place un mécanisme encourageant l’implantation de telles technologies, que ce soit par l’octroi de subventions ou la vente de crédits d’émissions ou par tout autre mécanisme analogue44.

Par ailleurs, en parallèle à l’introduction de technologies de piégeage du CO2, il ne faudrait pas négliger la capacité de la forêt et des terres en culture à séquestrer le CO2 atmosphérique. Comme l’a fait valoir le représentant de la Fondation BIOCAP Canada, on estime qu’au moins 30 millions de tonnes d’équivalents de CO2 pourraient être ainsi stockées d’ici 205045.

Le Comité recommande donc que le gouvernement du Canada continue de financer la recherche, tant gouvernementale qu’universitaire ou industrielle, sur d’importantes mesures de séquestration du carbone comme l’amélioration des pratiques en matière de gestion des forêts, d’agriculture et de sites d’enfouissement, l’emploi des algues et l’utilisation de la biomasse comme carburant.

Le Comité appuie chaudement l’objectif du Pembina Institute selon lequel les sables bitumineux devraient devenir neutres en carbone d’ici 2020 par l’adoption de nouvelles technologies, comme la capture et le stockage du carbone, ou par l’achat de crédits d’émissions, ou les deux. De plus, le Comité estime que le fait d’être en mesure de vendre un baril de pétrole « neutre en carbone » aidera l’industrie à maintenir son accès aux marchés qui se préoccupent des émissions de gaz à effet de serre.

Le Comité recommande que le gouvernement fédéral introduise un train de mesures réglementaires contraignantes en vue d’amener l’industrie à adopter des technologies permettant de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre et contenant des mécanismes, tels que des échanges de crédits d’émissions, qui faciliteraient le financement de ces technologies.

Le Comité estime que la mise en valeur future des sables bitumineux ne doit pas compromettre le respect des obligations internationales du Canada relativement aux émissions de gaz à effet de serre et aux changements climatiques en vertu du Protocole de Kyoto. Nous demandons au gouvernement fédéral, dans l’esprit d’une stratégie visant les gros émetteurs finals, d’imposer des plafonds d’émissions fermes aux exploitants des sables bitumineux pour 2008 à 2012, 2020 et 2050, en fonction de niveaux absolus et non de « l’intensité » des émissions.

Tous ne partagent pas la même vision quant à savoir qui doit payer la note du piégeage et du stockage du CO2. Certains prétendent que, compte tenu des profits records enregistrés par l’industrie pétrolière et gazière en 2005 et de la capacité d’innovation en matière de technologie et de rendement dont elle a fait preuve par le passé pour surmonter des défis économiques et environnementaux, l’industrie n’a d’autre choix que de relever le défi de la séquestration et du stockage du CO2. Plusieurs intervenants entendus par le Comité ont par ailleurs ciblé la déduction pour amortissement accéléré dont bénéficie l’industrie des sables bitumineux.

4.  Le traitement fiscal de l’exploitation des sables bitumineux

Le gouvernement du Canada ne subventionne pas directement l’exploitation des sables bitumineux. Par contre, il aide indirectement l’industrie par la voie d’encouragements fiscaux qui stimulent l’investissement et l’expansion des entreprises. D’après les témoignages entendus, il apparaît que les investissements dans les mines de sables bitumineux et dans les installations d’extraction in situ bénéficient d’un traitement préférentiel par rapport au reste du secteur de l’énergie, en particulier d’une version « accélérée » de la déduction pour amortissement, semblable à celle des opérations minières.

La déduction pour amortissement (DPA) est une déduction fiscale non remboursable qui réduit le montant des impôts à payer en permettant aux entreprises de déduire, de manière échelonnée dans le temps, le coût de certains biens d’équipement. Les taux de la DPA reflètent généralement la vie utile des biens. Le coût de la plupart des biens d’équipement utilisés dans l’extraction et la transformation du pétrole classique et du gaz peut être déduit à un rythme de 25 p. 100 par an sur la base de la valeur résiduelle46.

Or, dans le cas des sables bitumineux, les investissements bénéficient d’une déduction pour amortissement accéléré de 100 p. 100. Concrètement, cela veut dire qu’une société ne paie aucun impôt fédéral sur les bénéfices provenant de nouvelles installations de mise en valeur des sables bitumineux tant que les coûts d’équipement admissibles qui y sont associés n’ont pas été intégralement amortis aux fins de l’impôt. Il est important de comprendre que la déduction pour amortissement accéléré à l’égard des investissements afférents à l’exploitation des sables bitumineux ne fait que différer le paiement de l’impôt et ne change rien au montant de l’impôt à payer. La dépense fiscale réside dans le coût qu’entraîne, pour le gouvernement, le fait que les contribuables réclament une déduction plus tôt qu’autrement. Autrement dit, elle
est fonction de la valeur de rendement de l’argent. Il reste qu’en permettant ainsi un amortissement accéléré du coût des biens d’équipement utilisés dans l’exploitation des sables bitumineux, le gouvernement encourage sensiblement les investissements dans ces activités et se prive, temporairement, de certains revenus fiscaux.

En conséquence, le Comité recommande que le gouvernement du Canada supprime la déduction pour amortissement accéléré dont bénéficient les entreprises d’exploitation des sables bitumineux pour égaliser les règles fiscales entre celles-ci et le reste du secteur du pétrole et du gaz.

5.  L’utilisation de l’eau

La municipalité de Fort McMurray et la rivière Athabasca font partie du vaste bassin hydrographique du fleuve Mackenzie. Celui-ci couvre une immense superficie de 1,8 million de kilomètres carrés, soit environ le sixième du territoire canadien. Il ne compte toutefois qu’une faible population d’environ 360 000 habitants. Contrairement à la plupart des grands bassins fluviaux du monde, où le développement et la population se trouvent principalement en aval, près des embouchures, le développement du bassin du Mackenzie se fait dans les parties tout à fait en amont. La région de la municipalité régionale de Wood Buffalo et de la ville de Fort McMurray est sans doute celle qui connaît depuis quelques années le développement le plus intensif.

D’une manière générale, la question de l’utilisation de l’eau dans le contexte des sables bitumineux est abordée en regard de la quantité d’eau requise pour extraire et traiter le bitume. Or, l’Institut Pembina a aussi insisté sur le fait que l’extraction des sables bitumineux — l’aspect le plus manifeste des activités liées aux sables bitumineux et qui a une très forte incidence sur les rivières et les terres humides — nécessite au préalable que les terres humides soient drainées avant l’enlèvement des dépôts sous-jacents pour exposer le bitume. De même, l’aquifère de fond, soit la couche d’eau sous le bitume, doit aussi être drainé pour que les mines ne soient pas inondées. Cette procédure peut donc amener une réduction considérable de l’eau et des terres humides de la région.

Selon l’Institut, ce sont toutefois les procédés d’extraction proprement dite du bitume des sables et la production de pétrole brut synthétique qui exigent le plus d’eau. De fait, bien que le bitume ne compte que pour 10 à 12 p. 100 environ de la quantité totale de matières extraites, il faut, même en recyclant l’eau, compter entre deux et quatre barils et demi d’eau pour produire un baril de pétrole brut synthétique47. La majorité — les deux tiers en fait — de tous les retraits d’eau de la rivière Athabasca sont le fait de l’exploitation des sables bitumineux, d’où son importance énorme dans l’approvisionnement en eau de cette industrie. On estime par exemple que les projets d’exploitation en cours consomment autant d’eau que la ville de Calgary48, une ville d’environ 1 million d’habitants. Si l’on ajoutait les projets au stade de la planification aux projets existants, c’est une consommation d’eau équivalente à celle de la ville de Toronto qui serait nécessaire pour la seule exploitation des sables bitumineux. Toujours selon l’Institut Pembina, moins de 10 p. 100 de cette eau sont retournés dans la rivière Athabasca si bien que l’on se demande s’il y a suffisamment d’eau dans la rivière pour assurer le débit nécessaire à la préservation de la santé de l’écosystème aquatique, particulièrement en raison des débits très faibles en hiver et hautement variables d’une année sur l’autre.

Devant l’incapacité de la Cumulative Environmental Management Association, ou CEMA, de déterminer les besoins en débit de la rivière avant janvier 2006, il est revenu au ministère de l’Environnement de l’Alberta d’établir un cadre provisoire pour les besoins en débit et la gestion de l’eau sur le cours inférieur de la rivière Athabasca. Ce cadre a déterminé un certain nombre de seuils de débit, des effets environnementaux potentiels et des exigences en matière de gestion, mais il n’a pas encore été mis en œuvre. La dernière ébauche, en date du 10 juillet 2006, à laquelle Pêches et Océans Canada a participé, est jugée insatisfaisante du point de vue des groupes autochtones et environnementaux, car le régime permettrait toujours des retraits d’eau de la rivière Athabasca, même lorsqu’il y aurait de graves risques pour celle-ci. Il semble que de nouvelles décisions en matière d’allocation d’eau pourraient être prises en dépit du fait qu’il n’y a pas encore en place un solide cadre de gestion de l’eau.

Plusieurs s’inquiètent par ailleurs des effets des ponctions dans la rivière Athabasca sur le delta des rivières de la Paix et Athabasca, le plus important delta boréal au monde et l’une des plus importantes aires de repos et de nidification de sauvagine en Amérique du Nord. Au dire de l’Institut Pembina, « il faudra effectuer davantage de recherches pour déterminer l’incidence véritable des activités liées aux sables bitumineux sur l’écosystème ainsi que sur la pêche par les Autochtones dans le delta.49 »

Outre l’extraction d’eau de la rivière Athabasca, la question des eaux résiduelles demeure préoccupante pour certains témoins entendus par le Comité. Selon Mme Mary Griffiths, de l’Institut Pembina, seule une faible proportion de l’eau puisée dans la rivière Athabasca y est retournée, le gros de cette eau étant détourné vers des bassins de résidus. Or, pour certains, il demeure difficile de parler de bassins de résidus puisque la cuvette de rétention des résidus couvre une superficie d’environ 50 km2 (5 000 hectares)50. L’Office national de l’énergie considère aussi que la gestion des résidus est un défi de taille car, une fois le bitume séparé, une part importante de l’eau est contaminée par le sable et le bitume résiduel ainsi que les contaminants qui lui sont associés. Les spécialistes du Centre de la technologie de l’énergie de CANMET à Devon ont décrit le processus ainsi :

Le problème est que bien que le sable dans les déchets se dépose rapidement lorsqu’il est versé dans le bassin, l’argile reste en suspension et au bout de trois ans environ cela finit par former une boue légère appelée résidus fins mûrs, d’où le nom bassin de résidus. Ce liquide résiduel a à peu près la consistance du ketchup, et il ne se tassera pas davantage. L’eau dans ces bassins est beaucoup plus salée que l’eau de rivière, et elle est toxique, du fait de la présence d’acides naphténiques, bien que cette toxicité disparaisse au fil du temps, des bactéries naturelles venant s’attaquer aux molécules d’acides naphténiques, processus qui demande en règle générale entre un et deux ans51.

Il est donc primordial que l’eau en provenance des bassins de résidus ne s’introduise pas dans les eaux souterraines ou dans le sol. L’introduction de nouvelles technologies dans le but de réduire le volume d’eau utilisé dans l’extraction du bitume prend aussi toute son importance. Depuis environ 15 ans, le Centre de la technologie de l’énergie de CANMET à Devon consacre beaucoup d’énergie à la recherche sur les résidus. Par exemple, il a participé activement au « Fine Tails Fundamental Consortium », une initiative conjointe de cinq ans et de 3,8 millions de dollars par an, qui a débouché sur la méthode de traitement des résidus composites permettant de produire des boues renfermant moins d’eau. Les expériences portant sur des résidus consolidés se sont traduites par la récupération d’une dizaine d’hectares sur lesquels poussent certaines plantes, mais qui ne garantissent pas le rétablissement de la forêt boréale et des tourbières naturelles d’avant la mise en exploitation. Quant à l’utilisation de procédés d’extraction du bitume produisant des résidus composites ou des résidus secs, Mary Griffiths de l’Institut Pembina estime qu’il faudra peut-être attendre l’an 2030 avant qu’il n’y ait de grandes percées ou de solutions de rechange à l’extraction du bitume à base d’eau52.

La problématique est quelque peu différente en ce qui a trait à l’exploitation in situ des sables bitumineux. Bien que celle-ci ne concerne présentement qu’environ le tiers de la production de bitume en Alberta, on sait qu’elle augmentera progressivement à plus ou moins long terme sachant qu’une grande proportion du bitume se trouve à des profondeurs trop grandes pour qu’on puisse l’extraire directement. Selon les prévisions de l’ONÉ pour le scénario de référence, les volumes nets de bitume produit par extraction à ciel ouvert, par séparation thermique in situ et par récupération primaire in situ non thermique compteraient respectivement pour 52 %, 44 % et 4 % de la production d’ici 201553. La production in situ utilise beaucoup d’eau pour produire la vapeur qui est injectée dans le bitume pour le réchauffer et le ramollir de façon à ce qu’il puisse être pompé jusqu’à la surface. Toutefois, l’eau utilisée à cette fin provient principalement des nappes souterraines salines et des eaux souterraines douces de faible profondeur. Or, la connaissance des aquifères est encore bien fragmentaire tant à l’échelle du pays qu’en Alberta — à l’exception peut-être de l’aquifère Paskapoo — , ce qui fait dire à l’Institut Pembina que l’on ne dispose pas de suffisamment de données de base pour déterminer les incidences des opérations in situ sur les eaux souterraines. Compte tenu du drainage important des terres humides pour les opérations minières et du changement climatique, on s’inquiète particulièrement du rythme de rétablissement des niveaux des aquifères d’eau douce peu profonds. La Commission géologique du Canada, qui relève du ministre des Ressources naturelles, a entrepris des recherches approfondies et la cartographie de toute la partie du nord de l’Alberta afin de mieux comprendre ce qui se passe avec les aquifères et les eaux souterraines. Par contre, il revient aux provinces de surveiller et de contrôler les eaux souterraines.

Le Comité recommande donc que Ressources naturelles Canada, par le biais de la Commission géologique du Canada et de concert avec la province, accentue et accélère ses travaux relatifs à la connaissance des aquifères en Alberta, particulièrement dans les zones d’exploitation actuelle et potentielle des sables bitumineux.

Des projets-pilotes visant à réduire l’utilisation d’eau misent sur un mélange de solvants et de vapeur. Il y a également un nouveau projet d’injection d’air à l’aide d’un dispositif horizontal et vertical, qui brûle le bitume in situ pour réchauffer le bitume puis utiliser la chaleur en provenance du brûlage résiduel du bitume pour réchauffer le bitume adjacent, qui fond sous son effet, mais il est encore trop tôt pour dire si ces techniques pourront être appliquées.

Le taux de recyclage de l’eau dans les processus d’extraction et de traitement des sables bitumineux varie entre 50 et 80 p. 100 dans les opérations minières et peut atteindre 90 p. 100 et plus dans les opérations in situ lorsque l’eau est traitée pour créer des déchets salés secs et de l’eau plus propre pour produire la vapeur54. Certes, l’industrie a accompli d’importants progrès afin de réduire sa consommation d’eau. Par exemple, Suncor a doublé sa production dans les cinq dernières années sans avoir augmenté sa consommation d’eau55. De même, Syncrude a réduit sa consommation d’eau de 60 p. 100 depuis le début des années 1980 notamment grâce à de meilleures méthodes de recyclage, de surveillance, d’entretien et de mise à niveau de l’équipement. Syncrude importe maintenant 2,3 mètres cubes d’eau de la rivière Athabasca par mètre cube de pétrole brut produit, soit moins de la moitié de la moyenne de l’industrie et le débit d’eau le plus bas dans l’industrie des sables bitumineux. Chez Syncrude, chaque mètre cube d’eau importée est recyclé 18 fois56. Comme on l’a expliqué au Comité lors de sa visite des installations de Syncrude en novembre 2006, un tel recyclage est possible parce que la compagnie a pu au fil des ans remplir ses bassins de rétention où elle puise l’eau nécessaire à certains processus. Les nouveaux projets requièrent une plus grande quantité d’eau de la rivière Athabaska, en attendant du moins que suffisamment d’eau se soit accumulée dans les nouveaux bassins de rétention pour pouvoir ensuite être recyclée.

L’industrie a accompli de réels progrès, mais compte tenu du rythme de développement envisagé, le bassin de la rivière Athabasca pourrait faire face à de graves problèmes s’il n’y a pas un changement radical de technologie au plan de l’utilisation de l’eau. À ce titre, le procédé THAI (pour « Toe to Heel Air Injection »), évoqué par M. Raymont, est un exemple prometteur de technologie qui n’utilise pratiquement pas d’eau et moins d’énergie. Il fait appel à une combustion souterraine lancée au départ par du gaz de combustion, puis entraînée par injection d’air, pour améliorer la viscosité des sables bitumineux et permettre de les recueillir dans un tuyau souterrain, avant de les pomper vers la surface57.

Les témoignages entendus par le Comité indiquent clairement que la question de l’eau demeure cruciale à plusieurs niveaux dans la mise en valeur des sables bitumineux. Le Comité est préoccupé par les répercussions des activités actuelles et projetées d’exploitation des sables bitumineux sur l’eau du bassin de la rivière Athabasca. Il estime impératif de réduire la consommation d’eau et de voir au traitement des eaux résiduelles toxiques en vue de leur réutilisation dans les procédés industriels puis de leur retour à la rivière. Voilà des défis énormes pour l’industrie et les chercheurs.

Le Comité recommande que le gouvernement fédéral, de concert avec ses partenaires des gouvernements de l’Alberta, de la Saskatchewan et des Territoires du Nord-Ouest, des milieux universitaires et de l’industrie, accentue les recherches pour :

•       déterminer l’incidence véritable des activités liées aux sables bitumineux sur l’écosystème de la rivière Athabasca, ainsi que sur la pêche par les Autochtones dans le delta des rivières de la Paix et Athabasca;

•       accélérer le traitement des eaux résiduelles toxiques accumulées dans les bassins de rétention en vue de leur réutilisation dans les procédés industriels puis de leur retour à la rivière; et

•       accélérer l’adoption de technologies permettant de réduire de façon marquée l’utilisation de l’eau dans les procédés d’extraction et de traitement du bitume.

6.  La remise en état des terres

La nature même des sables bitumineux fait en sorte que leur mise en valeur, que ce soit par l’exploitation minière ou par la méthode in situ, engendre une perturbation inégalée du territoire et du paysage sur d’immenses superficies. Dans le cas de l’exploitation minière des sables bitumineux, il est nécessaire de couper la forêt et d’enlever le sol de couverture avant de creuser dans ces sables. On estime que la superficie ainsi perturbée pourrait atteindre environ 3 000 km2. Pour ce qui est de l’exploitation in situ, la dégradation du paysage peut paraître moindre, mais la nécessité de creuser de nombreux puits et de construire routes, pipelines et lignes de transmission exige le défrichement d’une partie considérable de la forêt boréale. L’impact sur le paysage peut sembler moins important, mais la conséquence la plus importante concerne la fragmentation de l’habitat, du point de vue de la faune et de la flore. Cette forme d’exploitation pourrait affecter à long terme des dizaines de milliers de km2 de forêt boréale58.

En conséquence, le Comité recommande que le gouvernement fédéral, en partenariat avec le gouvernement provincial, évalue l’impact de l’ensemble des projets de mise en valeur des sables bitumineux sur la forêt boréale et qu’il envisage la mise en place de mesures de conservation compensatoires en vue de la création d’aires protégées dans la région entourant les sables bitumineux ainsi que dans la région élargie du bassin hydrographique du fleuve Mackenzie.

En vertu de la législation albertaine, les promoteurs du développement des sables bitumineux sont tenus, pour obtenir les permis nécessaires, de réaliser une évaluation des impacts environnementaux de leur projet et de présenter un plan détaillé de remise en état des terres une fois l’extraction du bitume terminée. D’une manière générale, on entend par remise en état des terres la remise en place de la couche de terre arable — mise en réserve avant l’exploitation — et la végétalisation à l’aide d’arbres, d’arbustes et d’autres plantes indigènes de la région. Ce processus s’étale sur de nombreuses années. De plus, les compagnies qui pratiquent l’exploitation minière des sables bitumineux sont tenues de verser un cautionnement dont la somme doit équivaloir aux travaux éventuels de remise en état des terres.

Les compagnies Suncor et Syncrude font figure de pionnières en matière de remise en état des terres, Suncor ayant débuté ses activités de bonification dans les années 1960. Il s’agit toutefois d’un processus lent et à long terme, compte tenu des défis qui y sont associés. Moins de 1 000 hectares de terres ont été remis en état chez Suncor et environ 4 500 hectares chez Syncrude, qui prévoit des travaux échelonnés sur une cinquantaine d’années pour satisfaire aux exigences gouvernementales. Un représentant de la compagnie a indiqué que Syncrude avait accompli des progrès constants au cours des dernières années :

En résumé, au site de Mildred Lake, nous remettons des terrains en état plus rapidement que nous en altérons. Nous sommes en train de réduire l’empreinte écologique à cet endroit. Si nous continuons au même rythme qu’à l’heure actuelle — l’an dernier nous avons remis en état 260 hectares, soit environ un mille carré — il nous faudra encore 50 ans de travail. Les activités d’exploitation dureront encore pendant à peu près 30 ans, et une fois qu’elles auront cessé, la remise en état prendra encore cinq à dix ans. Il s’agit donc d’un projet qui s’échelonnera sur 35 à 40 ans. Si nous continuons au rythme actuel, nous aurons terminé dans 50 ans. Nous devrions accélérer le rythme, mais seulement un peu, car nous sommes pratiquement rendus là où nous devrions être59.

Pour l’heure, aucune certification du gouvernement de l’Alberta n’a été demandée ou octroyée pour les terres remises en état; une fois certifiées, ces terres redeviendront du domaine public. Le gouvernement de l’Alberta estime qu’environ 42 000 hectares de terres sont présentement altérés par l’exploitation minière des sables bitumineux.

Malgré tous les efforts et les sommes consentis par l’industrie tant sur le terrain que pour la recherche, tous ne partagent pas l’optimisme dont elle fait preuve. Selon certains, on n’a pas réalisé de projet de remise en état à suffisamment grande échelle pour démontrer que l’on est capable de rétablir des écosystèmes boréaux diversifiés. On craint notamment que lorsque les eaux souterraines et de surface circuleront dans ces secteurs remis en état où des résidus solidifiés ont été intégrés au paysage, il y ait libération de différents produits toxiques. On s’interroge sur la viabilité écologique à long terme de ces sites que l’on considère remis en état. D’autres inquiétudes concernent les résidus fins mûrs, pour lesquels on ne connaît pas encore de mode de gestion efficace à long terme. À l’heure actuelle, ces boues aux toxines résiduelles reposent au fond de ce qu’on appelle des lacs de kettle, dont l’eau risque de s’écouler vers la rivière
Athabasca. Aux yeux de certains, on continue de développer les sables bitumineux sur de très vastes superficies sans que l’efficacité des méthodes de bonification ait été démontrée60.

Tout en reconnaissant l’engagement important pris par le Centre de CANMET de Devon dans la recherche sur la valorisation des déchets, le Comité croit qu’il incombe à l’industrie de prendre l’initiative et d’accélérer la recherche et les mesures de bonification des terres, en particulier en ce qui concerne la toxicité des résidus et de l’eau.

Les enjeux sociaux

La mise en valeur des sables bitumineux a amené une effervescence économique sans précédent dans la vaste région de Fort McMurray. Or, nul n’avait prévu une croissance si rapide des projets de développement depuis la fin des années 1990. En fait, on a atteint en 2004 la cible de production très ambitieuse d’un million de barils par jour que l’on prévoyait, en 1995, atteindre vers 2020, donc 16 ans avant la date prévue. Si un tel niveau de production a un impact économique majeur pour la région et l’ensemble du Canada, il se traduit aussi par des bouleversements tout aussi importants au plan municipal et social. De plus, le développement des sables bitumineux est réalisé dans une région où la présence autochtone s’avère importante.

1.  Les répercussions de la mise en valeur des sables bitumineux sur les Premières Nations

L’exploitation des sables bitumineux a suscité un boom économique sans précédent dans la région de Wood Buffalo en Alberta. Les Premières Nations ont réussi dans une certaine mesure à tirer profit de cette activité, notamment grâce aux nouvelles occasions d’emploi et d’affaires qui s’offrent aux Autochtones là où aucune n’existait auparavant. Certaines sociétés comme Syncrude font un effort délibéré pour rejoindre les Autochtones et soutenir leur participation à l’industrie des sables bitumineux. En 2005, l’industrie a dépensé plus de 310 millions de dollars en contrats d’approvisionnement en biens et services passés avec des entreprises appartenant à des Autochtones.

Malheureusement, la manne des sables bitumineux n’est pas bien distribuée, et de nombreux résidents des collectivités des Premières Nations continuent de vivre dans la pauvreté en dépit de la richesse considérable de la région. Le Comité a entendu le témoignage poignant de Pat Marcel, président du conseil des anciens de la Première Nation Athabasca Chipewyan. M. Marcel a fait valoir au Comité que la pauvreté persiste dans la région de Wood Buffalo malgré des milliards de dollars d’investissements et l’augmentation des revenus tirés du pétrole :

[…] près des sables bitumineux d’Athabasca, où s’effectuent des achats de l’ordre de milliards de dollars et où le salaire moyen s’élève à près de 100 000 $ par année, un groupe de personnes vit comme s’il était dans un pays du tiers monde. Soyons clairs : nos aînés ont du mal à mettre du pain sur la table, alors que l’industrie reçoit des milliards de dollars de redevances provenant de terres ancestrales61.

Par ailleurs, M. Marcel a indiqué que l’exploitation des sables bitumineux compromet aussi le mode de vie traditionnel des Autochtones et peut-être même leur santé. L’extraction et le traitement in situ des sables bitumineux occupent des segments de plus en plus vastes des territoires traditionnels des Premières Nations et endommagent les terrains et les écosystèmes dont les Premières Nations tirent depuis toujours leur subsistance. Des données montrent aussi que la région de Wood Buffalo est de plus en plus polluée et que les Autochtones qui y habitent craignent « de manger de la nourriture [qu’ils ont] consommée pendant des milliers d’années »62.

Si les Autochtones de la région de Wood Buffalo profitent financièrement dans une certaine mesure de la mise en valeur des sables bitumineux, on ne sait pas si ces avantages compenseront les conséquences sociales et environnementales à long terme de cette industrialisation rapide. Le Comité a entendu l’appel de M. Marcel quand il a dit : il ne faut pas « oublier les personnes dont les terres lui [le gouvernement de l’Alberta] permettent d’obtenir les sables bitumineux et tout le développement là-bas. Ce sont mes terres ancestrales63».

Le Comité souscrit à l’appel de Pat Marcel qui demande qu’on n’oublie pas les Autochtones de la région de Wood Buffalo, dont les terres ancestrales sont touchées par l’exploitation des sables bitumineux. Il encourage fortement l’industrie et le gouvernement à consulter les résidents, autochtones ou non, dont les collectivités sont touchées par cette exploitation.

2.  L’impact social de la mise en valeur des sables bitumineux

Tout comme les considérations économiques et environnementales, les aspects sociaux et locaux posent aussi des problèmes et des défis énormes pour les collectivités au cœur du développement des sables bitumineux. Outre les questions de main-d’œuvre qui ont été abordées antérieurement, celles relatives à l’infrastructure locale et aux services sociaux sont tout aussi importantes et sont souvent liées de façon intrinsèque aux autres facettes du développement effréné de la région. Le Comité a entendu plusieurs témoignages qui mettent en perspective l’ampleur des problèmes rencontrés dans la Municipalité régionale de Wood Buffalo.

La Municipalité régionale de Wood Buffalo, qui englobe la ville de Fort McMurray, compte une population de plus de 80 000 résidents — sans compter une population fantôme évaluée entre 10 000 et 12 000 personnes — alors que le plan de développement municipal prévoyait 52 000 habitants à Fort McMurray. Si le taux de croissance se maintient encore pendant six ans, une estimation jugée prudente, cela signifierait que la population de Fort McMurray pourrait presque doubler d’ici 2012. Les projets des dernières années et ceux qui sont approuvés pour les prochaines années dépassent donc toutes les prévisions faites dans les plans de la municipalité, comme l’illustrent les propos de la maire de la Municipalité régionale de Wood Buffalo :

[…] nous dépensons 160 millions de dollars pour une nouvelle installation de traitement des eaux usées dont nous devrons augmenter la puissance à nouveau dès qu’elle sera terminée, et [que] nous dépassons présentement notre capacité de production. Nous disposons de 40 millions de dollars pour l’expansion de la station de traitement d’eau, qui atteindra sa capacité maximale l’an prochain; d’un montant de 107 millions de dollars pour le réaménagement du centre récréatif à MacDonald Island; de 24 millions de dollars pour un nouveau site de décharges; et de 51 millions de dollars pour de nouvelles installations pour la GRC, et ce budget, en fait, était au départ de 30 millions de dollars pour deux installations, et non pas seulement une64.

De plus, le coût des loyers est le plus élevé du Canada et ceux de l’immobilier sont les plus hauts en Alberta. Par exemple, il en coûte présentement environ 485 000 dollars pour une maison unifamiliale de catégorie moyenne dans la région de Fort McMurray. L’offre de nouveaux logements est considérablement ralentie par le manque de terrains et la pénurie de main-d’œuvre en construction. La municipalité régionale connaît des congestions routières dignes des grands centres urbains du pays, faute d’infrastructures de transport, collectif ou privé, adaptées aux nouveaux besoins engendrés par la croissance rapide des activités.

Selon Mme Blake, au plan social, le système de soins de santé a besoin d’une augmentation de 100 p. 100 du nombre de médecins sur place, d’une nouvelle formule de financement, d’une nouvelle installation de soins continus et de plus de 150 employés de plus. Par ailleurs, la municipalité manque d’écoles, d’enseignants et de ressources pédagogiques, et les programmes, services et installations à vocation sociale ne répondent plus aux besoins actuels sur le plan de la garde des enfants et des problèmes que posent la toxicomanie, la violence familiale et l’itinérance.

Selon l’ONÉ, 1,2 milliard de dollars en dépenses d’équipement seront nécessaires au cours des cinq prochaines années pour répondre à l’ensemble des besoins en infrastructures publiques dans la région65. Pour la maire de la Municipalité régionale de Wood Buffalo, la capacité de la municipalité à répondre aux besoins de base en infrastructures est depuis longtemps dépassée compte tenu du rythme actuel de développement des sables bitumineux. Sans aide supplémentaire, cette simple réalité met en péril la durabilité de l’exploitation des sables bitumineux. Les problèmes et les défis sont tels que le conseil de la Municipalité régionale de Wood Buffalo envisage maintenant le report (et non un moratoire) de certains projets de mise en valeur des sables bitumineux, le temps de mettre en place des mécanismes adéquats de développement responsable au profit des gens de Wood Buffalo, au profit de l’Alberta et au profit du Canada66.

Le Comité est à même de constater à quel point le développement accéléré des sables bitumineux a un impact considérable sur la région de Wood Buffalo et qu’il est urgent de trouver des réponses adéquates et concertées aux problèmes sociaux et locaux qu’a engendré la croissance trop rapide de la région. S’il le juge à propos, le gouvernement de l’Alberta pourra explorer avec le gouvernement fédéral et la Municipalité régionale de Wood Buffalo quels seraient les meilleurs moyens à leur disposition pour améliorer les infrastructures urbaines et sociales qui sont nécessaires à long terme pour assurer tant le développement des sables bitumineux que le bien-être des populations locales.



[1]       Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[2]       Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[3]       Office national de l’énergie, Les sables bitumineux du Canada, Perspectives et défis jusqu’en 2015 — Mise à jour, Évaluation du marché de l’énergie, juin 2006.

[4]       Pierre Alvarez, Association canadienne des producteurs pétroliers, Témoignages, 2 novembre 2006.

[5]       Association canadienne des producteurs pétroliers, Sables bitumineux canadiens — Coûts et avantages — Régimes fiscaux et défis, présentation au Comité permanent des ressources naturelles, 2 novembre 2006.

[6]       Témoignages, 21 novembre 2006.

[7]       Association canadienne des producteurs pétroliers, Témoignages, 2 novembre 2006.

[8]       Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[9]       Jim Donihee, Office national de l’énergie, Témoignages, 24 octobre 2006.

[10]     Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[11]     Ibid.

[12]     Association canadienne des producteurs pétroliers, Témoignages, 2 novembre 2006.

[13]     Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[14]     Ibid.

[15]     Jim Donihee, Office national de l’Énergie, Témoignages, 24 octobre 2006.

[16]     Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[17]     Université de Calgary, Témoignages, 7 décembre 2006.

[18]     Angus Bruneau, Groupe consultatif national sur les sciences et technologies relatives à l’énergie durable, Témoignages, 7 décembre 2006.

[19]     Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[20]     Wayne Henuset, Energy Alberta Corporation, Témoignages, 7 décembre 2006.

[21]     Ibid.

[22]     Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[23]     David Keith, Université de Calgary, Témoignages, 7 décembre 2006.

[24]     Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[25]     Greg Stringham, Association canadienne des producteurs pétroliers, Témoignages, 2 novembre 2007.

[26]     Rapport du Groupe consultatif national sur les sciences et technologies relatives à l’énergie durable.

[27]     David Keith, Université de Calgary, Témoignages, 7 décembre 2006.

[28]     Howard Brown, Secteur de la politique énergétique, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 19 octobre 2006.

[29]     Hassan Hamza, Centre CANMET de Devon, Témoignages, 19 octobre 2006.

[30]     Dan Woynillowicz, Institut Pembina, Témoignages, 2 novembre 2006.

[31]     Agence canadienne d’évaluation environnementale, Témoignages, 5 décembre 2006.

[32]     Dan Woynillowicz, Institut Pembina, Témoignages, 2 novembre 2006.

[33]     Mary Griffiths, Institut Pembina, Témoignages, 9 novembre 2006.

[34]     Jim Vollmershausen, Conseil du bassin du fleuve Mackenzie, Témoignages, 9 novembre 2006.

[35]     Judy Smith, Cumulative Environmental Management Association, Témoignages, 5 décembre 2006.

[36]     Hassan Hamza, Centre CANMET de Devon, Témoignages, 19 octobre 2006.

[37]     Dan Woynillowicz, Institut Pembina, Témoignages, 2 novembre 2006.

[38]     Données de l’Office national de l’énergie et de l’Institut Pembina.

[39]     Jim Donihee, Office national de l’énergie, Témoignages, 24 octobre 2006.

[40]     Association canadienne des producteurs pétroliers, Témoignages, 2 novembre 2007,et Office national de l’énergie,
Témoignages, 24 octobre 2006.

[41]     Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[42]     Dan Woynillowicz, Institut Pembina, Témoignages, 2 novembre 2006.

[43]     Carbon Neutral by 2020: A Leadership Opportunity in Canada’s Oil Sands, Dan Woynillowicz, Institut Pembina, Témoignages, 2 novembre 2006.

[44]     « Integrated CO2 Network » (ICON Group), Témoignages, 12 décembre 2006.

[45]     David Layzell, Fondation BIOCAP Canada, Témoignages, 12 décembre 2006.

[46]     Cette méthode consiste à appliquer le taux de DPA au solde non amorti du coût d’un bien ou d’un groupe de biens de la même catégorie à la fin de chaque exercice.

[47]     Office national de l’énergie, Les sables bitumineux du Canada, Perspectives et défis jusqu’en 2015 — Mise à jour, Évaluation du marché de l’énergie, juin 2006.

[48]     Le double si on ajoute les projets autorisés.

[49]     Mary Griffiths, Institut Pembina, Témoignages, 9 novembre 2006.

[50]     Ibid.

[51]     Margaret McCuaig-Johnston, Secteur de la technologie et des programmes énergétiques, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 9 novembre 2006.

[52]     Mary Griffiths, Institut Pembina, Témoignages, 9 novembre 2006.

[53]     Office national de l’énergie, Les sables bitumineux du Canada, Perspectives et défis jusqu’en 2015 — Mise à jour, Évaluation du marché de l’énergie, juin 2006.

[54]     Margaret McCuaig-Johnston, Secteur de la technologie et des programmes énergétiques, Ressources naturelles Canada, Témoignages, 9 novembre 2006.

[55]     Gordon Peeling, Association minière du Canada, Témoignages, 31 octobre 2006.

[56]     Don Thompson, Syncrude, Performance & Potential: Report Card on Syncrude’s Management of Environmental & Socio-Economic Issues, Présentation devant le Comité à Fort McMurray, 20 novembre 2006.

[57]     Michael Raymont, EnergyInet, Témoignages, 26 octobre 2006.

[58]     Bruce Friesen, Syncrude, et Alan Young et Matt Carlson, Initiative boréale canadienne, Témoignages, 28 novembre 2006.

[59]     Bruce Friesen, Syncrude, Témoignages, 28 novembre 2006.

[60]     Dan Woynillowicz, Institut Pembina, Témoignages, 2 novembre 2006.

[61]     Pat Marcel, Témoignages, 23 novembre 2006.

[62]     Ibid.

[63]     Ibid.

[64]     Melissa Blake, Municipalité régionale de Wood Buffalo, Témoignages, 23 novembre 2006

[65]     Jim Donihee, Office national de l’énergie, Témoignages, 24 octobre 2006.

[66]     Melissa Blake, Municipalité régionale de Wood Buffalo, Témoignages, 23 novembre 2006.