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Monsieur le Président, je suis heureuse de pouvoir intervenir brièvement aujourd'hui. J'ai seulement dix minutes pour parler de la Loi antiterroriste qui a été adoptée par la Chambre. Je ne crois pas qu'un seul député nierait que, à l'époque où cette mesure a été adoptée, le niveau de crainte et d'inquiétude était passablement élevé.
Je veux profiter de l'occasion pour rendre hommage à mon collègue, le député de , qui a agi en chef de file dans le débat sur les questions avec lesquelles nous devons composer depuis cette époque.
Les députés qui ont suivi le débat sur cette question à la Chambre savent que mon collègue de Windsor—Tecumseh a présenté un rapport minoritaire relativement à deux questions dont nous sommes maintenant saisis, soit les dispositions qui ont trait aux investigations et aux arrestations préventives.
Cela ne surprendra personne que je sois absolument d'accord avec mon collègue, qui est porte-parole en matière de justice du Nouveau Parti démocratique. En fait, tous mes collègues s'entendent pour s'opposer à des dispositions qui, selon nous, étaient déjà exagérées, si l'on tient compte, d'une part, des exigences de sécurité et, d'autre part, des libertés civiles et des droits de la personne.
Le fait que le gouvernement ne soit pas disposé à invoquer la disposition de caducité concernant ces deux dispositions est un signal clair et alarmant qu'il n'a pas appris la leçon, une leçon pourtant bien apprise par de nombreux Canadiens qui ont payé cher pour le caractère exagérément strict de certaines de ces dispositions.
Personne ne l'a exprimé mieux que le porte-parole en matière de justice du NPD. On ne peut pas combattre le terrorisme avec des lois. Il faut les efforts combinés de services de renseignement et de services de police. Il n'y a pas d'acte de terrorisme qui n'entraîne déjà une peine criminelle punissable d'une peine très sévère en vertu du Code criminel. C'est le cas des meurtres prémédités, commis de sang froid, mais aussi de la destruction d'infrastructures importantes.
Le NPD considère que, si le Code criminel ne permet pas de contrer efficacement la menace du terrorisme, on peut le modifier. Si la police n'a pas légalement les moyens de réagir efficacement aux menaces terroristes, il faudrait modifier la législation en conséquence. Or, personne n'a proposé de modification qui comblerait de telles lacunes du Code criminel.
Conformément à la position que nous défendons aujourd'hui, nous n'avons d'autre choix que de tirer les leçons nécessaires de la période qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 et d'appliquer ces leçons. Par conséquent, nous devrions laisser s'éteindre les deux mesures issues d'un excès de zèle, comme le prévoit la disposition de caducité.
Alors que nous commencions le débat sur le projet de loi, nous avons assisté à un effort superbe d'une coalition d'organisations musulmanes et arabes du Québec. Ces gens sont venus sur la colline du Parlement pour tâcher de rencontrer des députés de tous les partis. Je ne suis pas certaine qu'ils y soient arrivés. Cependant, je peux dire que le caucus du NPD a bénéficié d'une excellente expérience en entendant ce que la coalition avait à dire.
Je me permets de citer un bref extrait du dossier que nous a présenté la coalition. Je veux m'assurer qu'il soit officiellement consigné dans le compte rendu de nos débats. Il s'agit de l'une des analyses les plus concises et les plus intelligentes des problèmes que nous vivons. Voici ce qui est écrit au deuxième point des recommandations de la coalition faisant partie de son analyse de la période consécutive au 11 septembre 2001.
Au Canada, les lois antiterroristes [...] et le recours aux certificats de sécurité ont cré un climat socio-politique empreint de préjugés qui aliment l'islamophobie et l'arabophobie. Les Canadiens et les Québécois de confession musulmane ou d'origine arabe sont ostracisés et considérés comme un danger pour la sécurité nationale, ce qui met en péril leurs droits et leurs libertés.
Quiconque n'est pas convaincu par cette description du sort réservé, depuis le 11 septembre 2001, à de nombreux Canadiens musulmans et d'origine arabe n'a qu'à se rappeler les propos indignes tenus lors d'une période des questions, la semaine dernière. Dès que les mesures antiterroristes soumises à la disposition de caducité ont été mentionnées, le a insinué qu'un membre de la famille d'un député était susceptible de faire l'objet d'une enquête secrète.
Rien ne met davantage en évidence la nécessité de la disposition de caducité que ces enquêtes secrètes. Si le était capable de tirer des leçons utiles de l'expérience, il se serait interrogé sur les fuites à la GRC, au lieu de faire des insinuations. Il se serait demandé pourquoi le nom d'une personne susceptible de faire l'objet d'une enquête secrète de la GRC a été divulgué. Pourquoi le premier ministre s'est-il employé à relayer de l'information provenant manifestement d'une fuite à la GRC? J'espère que les députés vont réfléchir aux leçons que nous devons tirer de l'expérience.
J'aimerais citer quelques mots prononcés par Maher Arar devant un auditoire composé de députés de toutes les allégeances. Par contre, le nous a déçus, puisqu'il est le seul chef de parti qui a choisi de ne pas y assister. Tous les autres chefs étaient présents. De même, un grand nombre de représentants des autres caucus ont assisté à l'événement, à l'exception du caucus du gouvernement. Cela nous porte à croire encore une fois que le gouvernement n'a pas retenu les leçons de l'excès de zèle qui a suivi les événements du 11 septembre 2001.
Voici ce qu'a dit Maher Arar à l'occasion de la soirée hommage à Monia Mazigh et Maher Arar pour leur travail sur l'équilibre entre la sécurité et les droits civils au Canada:
[...] je tiens à vous rappeler que nos droits et libertés sont des héritages payés chèrement par tous ceux qui nous ont précédés, qui ont vécu l'injustice et qui l'ont combattue, pas toujours seulement pour eux mais aussi pour les générations futures. Nous devons respecter ces héritages pour ce qu'ils représentent pour nous et pour nos enfants ainsi que pour le prix que nos prédécesseurs ont payé.
Enfin, Mme Tyseer Aboulnasr a prononcé un superbe exposé le même soir. C'était un exposé empreint de sagesse et en voici un extrait:
Mes amis, n'oublions jamais que les nations ne sont pas jugées par les lois qu'elles rédigent et enferment dans des bibliothèques, mais bien par leur façon d'agir lorsque leur volonté d'appliquer ces lois est mise à l'épreuve. Chaque pays qui choisit de sacrifier la liberté de ses citoyens le fait en croyant que c'est ce qu'il convient de faire pour protéger sa sécurité. Les Canadiens sont plus avisés. Nous savons que la sécurité sans la liberté n'est rien d'autre qu'une prison. Il n'y a rien de plus sûr qu'une prison à sécurité maximale. Nous méritons mieux. Nous ne pouvons laisser le Canada se transformer en prison à sécurité maximale en emprisonnant un Canadien qui ne soit pas présumé innocent jusqu'à preuve du contraire et qui n'ait aucune possibilité de se défendre.
C'est pour cette raison que j'ai été particulièrement choquée le lendemain de ce superbe discours prononcé en hommage à Maher Arar et Monia Mazigh, lorsque l'ancien solliciteur général sous le gouvernement libéral a répondu à la Chambre à une question que j'avais posée. Il a dit qu'en ce qui le concernait, nous avions atteint l'équilibre parfait entre la sécurité et les libertés civiles dans le sillage du 11 septembre 2001.
Sauf tout le respect que je lui dois, je m'inscris en faux contre ses propos et j'exhorte les députés à avoir la sagesse de laisser échoir ces deux mesures exagérées. Les dispositions de notre Code criminel sont suffisantes pour lutter contre les futures menaces terroristes, que nous prenons tous très au sérieux.
:
Monsieur le Président, j'interviens à propos de la motion ministérielle portant sur la reconduction de certaines dispositions de la Loi antiterroriste qui deviendront caduques à la fin du mois.
L'opposition libérale a longuement réfléchi à cette question. Lorsqu'il était au pouvoir, notre parti a déposé un projet de loi antiterroriste et la Chambre a adopté certaines dispositions susceptibles de devenir caduques après une période de cinq ans, dispositions que nous étudions à la Chambre aujourd'hui.
La position de mon parti est claire. Les dispositions relatives à l'arrestation à titre préventif et à l'audience d'investigation devraient devenir caduques, car elles présentent des lacunes.
Le comité des Communes et le comité de l'autre endroit qui ont étudié ces dispositions sont d'avis que certaines d'entre elles sont utiles, mais qu'elles comportent de sérieuses lacunes. Ils ont formulé des recommandations approfondies sur la façon de remédier à ces lacunes, de faire en sorte qu'elles contribuent mieux à la sécurité de notre population et de mettre en place des mesures de sauvegarde contre d'éventuelles violations des droits de la personne.
[Français]
Le Parti libéral est fier de son bilan en matière de défense et de sécurité publique de notre pays, et — j'insiste — ce bilan est compatible avec les libertés civiles.
[Traduction]
Eh bien, le gouvernement a fait fi des recommandations des comités de la Chambre et du Sénat. Le gouvernement n'a pas présenté à la Chambre de propositions claires visant à reconduire ces dispositions sous une forme modifiée prenant en considération les préoccupations des parlementaires.
[Français]
En effet, le gouvernement n'a formellement engagé l'opposition d'aucune façon. Il ne nous a soumis aucune proposition. Nous savions depuis le mois d'octobre dernier que la Loi antiterroriste du Canada devait complètement être revue. Il n'a rien fait.
[Traduction]
De ce fait, la Chambre et le pays se voient confrontés à la nécessité de choisir entre noir et blanc. Le gouvernement cherche à placer tous les partis au Parlement devant le choix suivant: voter en faveur de la reconduction de ces dispositions ou risquer de se faire accuser de mollesse à l'égard du terrorisme.
Permettez-moi de dire les choses clairement. Notre parti n'a jamais été mou à l'égard du terrorisme. Comme le chef de mon parti l'a affirmé à maintes reprises, si le gouvernement présentait à la Chambre des propositions claires en vue de réécrire la Loi antiterroriste en tenant compte des suggestions raisonnables faites par les comités de la Chambre et du Sénat, l'opposition officielle agirait avec célérité et de façon responsable.
Je le répète, notre parti n'a jamais été mou à l'égard du terrorisme. La Chambre sait et le gouvernement sait qu'après les attentats du 11 septembre, le gouvernement libéral a agi de manière décisive et nous continuerons de le faire.
[Français]
Le gouvernement libéral de l'époque savait autre chose aussi. Des mesures qui peuvent être nécessaires lors d'une urgence doivent toujours être revues lorsque le danger a diminué. C'est pourquoi la loi originale comportait des clauses de temporisation afin que, lorsque le danger immédiat serait passé, le Parlement puisse évaluer calmement si elles devaient être renouvelées, et si oui, de quelle façon.
[Traduction]
C'est là où nous en sommes aujourd'hui, ou plutôt là où nous en serions si le pays était dirigé par un gouvernement responsable. Si le pays était dirigé par un gouvernement qui disait: « Nous sommes minoritaires à la Chambre. Tendons la main à l'opposition. Écoutons ce que les comités de la Chambre et de l'autre endroit ont dit. Proposons des révisions à la loi qui assureront un meilleur équilibre entre la sécurité et la liberté », nous aurions répondu de façon positive. Au lieu d'adopter une telle attitude, le gouvernement donne une dimension politique à tout ce qu'il fait. Tout est bon pour faire échec à l'opposition.
C'est de bonne guerre. Nous sommes tous des politiques ici. Toutefois, il y a des dossiers concernant lesquels nous devrions nous efforcer de laisser la politique de côté et de donner la priorité à la sécurité de notre pays.
Je lisais un livre écrit par vous dans lequel vous ne disiez pas cela.
Bon, bon. Je ne crois pas que le député ait interprété correctement mes propos. Quoi qu'il en soit, je continue mon exposé.
Le gouvernement a prétendu que c'est l'opposition qui faisait de la politique et qui compromettait la sécurité nationale en votant de façon à rendre ces dispositions caduques. Pourtant, le gouvernement sait pertinemment que ces dispositions n'ont pas été invoquées une seule fois durant toute la période où elles ont été en vigueur. L'argument selon lequel nous compromettons la sécurité publique ne tient pas la route.
Nous arrivons maintenant à des questions que j'ai abordées dans mon travail antérieur. Il peut être justifié de restreindre les libertés civiles, mais seulement si c'est absolument indispensable à la sécurité publique, et uniquement dans des conditions strictes. Si l'on adopte ce critère, il faut laisser ces dispositions devenir caduques, parce qu'il n'a pas été prouvé qu'elles étaient absolument nécessaires à la sécurité publique. Le gouvernement n'a pas prouvé son point. Or, lorsque nos libertés sont en jeu, le gouvernement doit prouver hors de tout doute qu'un besoin d'ordre public existe.
Les dispositions de caducité sont incluses dans une mesure législative précisément pour faire en sorte que les mesures temporaires ou urgentes renfermées dans la loi adoptée pour faire face à des circonstances spéciales ne deviennent pas permanentes, parce que cela aurait pour effet de perturber l'équilibre qui devrait toujours exister entre la sécurité et la liberté, l'ordre public et la liberté individuelle.
Si nous reconduisons ces dispositions, comme le gouvernement le propose, nous risquons de rompre cet équilibre. Des mesures temporaires deviendront permanentes, et ce qui devient permanent crée un déséquilibre. La loi commencera à privilégier la sécurité, au détriment de la liberté et, à la longue, au détriment de chacun d'entre nous.
De surcroît, étant donné la décision rendue vendredi dernier par la Cour suprême à propos des dispositions relatives aux certificats de sécurité de la Loi sur l'immigration, ainsi que les rapports des comités parlementaires, autant de la Chambre que de l'autre endroit, il est clair qu'il faut procéder à une révision complète de toute l'architecture des mesures de lutte contre le terrorisme.
[Français]
C'est le principal défi que ce gouvernement, au pouvoir depuis maintenant 13 mois, a refusé de relever. Les conservateurs diront peut-être avoir besoin de plus de temps, mais ils en ont eu beaucoup. Le comité parlementaire chargé de revoir les clauses de temporisation a soumis son rapport en octobre dernier, soit il y a cinq mois. Le gouvernement est-il endormi depuis ce temps-là?
[Traduction]
Nous avons construit de solides fondations, mais l'édifice doit être rénové, c'est là la question.
Pendant que le gouvernement somnolait, le comité parlementaire a fait des recommandations à propos des dispositions relatives aux audiences d'investigation qui donneraient aux autorités les pouvoirs dont elles ont besoin pour nous protéger contre d'éventuelles menaces. Le gouvernement n'a toujours pas tenu compte des constatations de ce comité.
À propos de la détention préventive, l'autre disposition soumise à une disposition de caducité faisant l'objet du présent débat, les députés du comité parlementaire ont signalé qu'en vertu de l'article 495 du Code criminel, la police a déjà l'autorité d'arrêter, sans mandat, une personne qui, d'après ce qu'elle croit pour des motifs raisonnables, est sur le point de commettre un acte criminel. Ce pouvoir est donc déjà prévu dans le Code criminel du Canada et les pouvoirs supplémentaires en matière de détention préventive sont, à notre avis, tout à fait inutiles.
Si de tels pouvoirs existent déjà dans le Code criminel, le gouvernement doit prouver, et il ne l'a toujours pas fait, que les dispositions relatives aux arrestations préventives de la Loi antiterroriste sont absolument primordiales, comme il le prétend.
Voilà la question. Une société libre peut envisager d'imposer des limites aux libertés civiles de ses citoyens seulement si le gouvernement peut justifier sa position publiquement et clairement devant le Parlement. Il ne l'a pas fait. Ces dispositions doivent venir à expiration et le gouvernement devra ensuite nous présenter de nouvelles mesures accompagnées des raisons pour lesquelles la Chambre et les Canadiens devraient les accepter. Si le gouvernement présente de nouvelles mesures qui répondent à ce critère de nécessité publique et s'il démontre qu'il a écouté l'opinion réfléchie des comités de la Chambre et du Sénat, l'opposition réagira en conséquence.
[Français]
Le gouvernement doit faire davantage que simplement réparer ces clauses défectueuses. Il doit prendre au sérieux les opinions émises par les honorables membres du Sénat dans le récent rapport intitulé « Justice fondamentale dans des temps exceptionnels ».
[Traduction]
Ce rapport prouve ce que j'avance. C'est toute la structure des lois antiterroristes canadiennes qui doit être modifiée en profondeur. Les fondations établies par le gouvernement libéral sont solides, mais il y a place à d'importants changements pour que les Canadiens demeurent en sécurité et que leurs libertés restent assurées.
Le rapport du Sénat, par exemple, recommande que l'exigence relative aux motifs soit retirée de la définition d’activité terroriste contenue dans le Code criminel. Il recommande aussi de supprimer la référence à un objectif politique, religieux ou idéologique de la définition de menaces envers la sécurité du Canada. Tout cela, réalisé par un gouvernement consciencieux, assurerait une plus grande protection de la libre expression des opinions au Canada et préviendrait le profilage religieux ou racial contenu dans la politique antiterroriste canadienne.
[Français]
Sans s'engager d'avance à aucune initiative spécifique dans ce domaine, l'opposition presse le gouvernement d'écouter ces suggestions et de revenir en cette Chambre avec des amendements législatifs qui rempliraient les objectifs de sécurité publique tout en protégeant encore davantage les minorités du Canada contre le profilage religieux et racial.
[Traduction]
Dans ce domaine et d'autres, le rapport de l'autre endroit est convaincant. Il déclare qu'il faudrait réformer nos lois et nos politiques servant à prévenir et à combattre le terrorisme afin qu'elle reflètent mieux l'objectif consistant à assurer la sécurité des Canadiens tout en protégeant les libertés civiles qui constituent le fondement de notre société démocratique.
Pourquoi le gouvernement ne réagit-il pas positivement à ce second examen objectif des lois antiterroristes canadiennes présenté par l'autre endroit? Pourquoi ne nous offre-t-il pas des propositions qui tiennent compte de façon détaillée de ces recommandations sensées? Pourquoi présente-t-il aux députés un faux choix d'acceptation ou de rejet catégorique de la disposition de caducité, un choix non nuancé? Caducité ou non, telle n'est pas la question. Pourquoi le gouvernement a-t-il attendu six mois pour bouger au sujet du cadre législatif du Canada en matière de lutte au terrorisme? Pourquoi le gouvernement, qui est après tout minoritaire, n'a-t-il pas tendu la main à l'opposition pour que nous collaborions ensemble à modifier les lois destinées à protéger nos concitoyens? Pourquoi a-t-il décidé qu'il était dans son intérêt de bloquer l'opposition plutôt que de servir la population?
Je laisse ceux d'en face répondre à ces questions, mais j'ai dans l'idée que les réponses nous en diront beaucoup au sujet du caractère du gouvernement et de celui qui le dirige. En ce qui concerne le gouvernement, la politique passe d'abord et les bonnes politiques publiques viennent loin derrière. Les Canadiens méritent mieux.
[Français]
Le gouvernement a eu beaucoup de temps pour réviser et améliorer ces clauses; il n'a rien fait. Il en résulte que les clauses crépusculaires se termineront, si c'est la volonté de cette Chambre. Une fois que cela arrivera, le gouvernement, qui aurait pu éviter cette situation à n'importe quel moment au cours des six derniers mois, aura la responsabilité de réparer le dégât qu'il aura lui-même créé. S'il revient en cette Chambre avec des mesures raisonnables qui passent le test de la nécessité publique, qui protègent la population tout en protégeant ses libertés, il trouvera une opposition officielle prête à remplir son devoir de façon constructive.
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Monsieur le Président, en ce qui concerne le débat actuel sur les dispositions de la Loi antiterroriste qui deviendront caduques, il est de mon devoir de donner l'heure juste. Je demanderais donc aux députés de garder l'esprit ouvert, car il s'agit là d'une question de la plus haute importance pour notre sécurité collective.
En examinant ces pouvoirs, notamment les audiences d'investigation et les engagements assortis de conditions, nous devons les comparer avec les pouvoirs antiterroristes dont disposent d'autres États démocratiques. Il est clair que l'application de ces pouvoirs est conditionnelle au principe de la retenue. Je commencerai par parler des audiences d'investigation.
Les États-Unis possèdent un système de grand jury. Celui-ci dispose de pouvoirs importants dont sont privés les autres organismes d'enquête. Le grand jury fédéral peut forcer la coopération de personnes susceptibles de détenir des informations pertinentes à l'enquête en cours. Toute personne peut être citée à comparaître et à témoigner sous serment devant un grand jury. Une personne citée à comparaître qui refuse de se présenter ou de répondre aux questions peut être reconnue coupable d'outrage au tribunal si elle n'a pas de revendication de privilège valable.
Le grand jury peut obliger le titulaire de documents ou d'autres preuves à les lui présenter, sous peine d'être reconnu coupable d'outrage au tribunal, à défaut d'une revendication de privilège valable. Lorsque le témoin ou le détenteur d'un document invoque un privilège valable, il peut se voir octroyer l'immunité contre l'utilisation de la preuve ou de la preuve dérivée, puis être tenu de se conformer à une citation à comparaître pour témoigner ou fournir des preuves.
Aux États-Unis, la Patriot Act représente un tournant important par rapport aux modifications apportées dans le passé aux règles de secret du grand jury. La loi permet la divulgation des informations sans ordonnance du tribunal à un certain nombre d'organismes fédéraux dont le mandat est extrinsèque à l'application des lois. Bien que les documents divulgués doivent être pertinents du point de vue du renseignement étranger ou du contre-espionnage, la Patriot Act interprète ces termes de façon très générale. D'autres pays ont également promulgué de telles dispositions relatives aux audiences d'investigation, notamment l'Australie et l'Afrique du Sud.
À l'opposé, au Royaume-Uni, c'est à la personne détenant des renseignements pertinents sur le terrorisme que revient l'obligation d'en informer la police. Une personne qui s'abstient de révéler à la police toute information pertinente, tout en sachant ou en croyant qu'elle pourrait contribuer matériellement à la prévention d'un acte de terrorisme, est coupable d'infraction et est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'incarcération.
Je vais maintenant aborder les engagements assortis de conditions. Au Canada, pour appliquer la disposition relative aux engagements assortis de conditions, il faut avoir des motifs raisonnables de croire qu'une activité terroriste sera commise et que l'imposition de l'engagement se révèle nécessaire. La portée de l'arrestation sans mandat se limite, par exemple, à une situation d'urgence. Si la personne est détenue, c'est pour une période limitée, en général 72 heures tout au plus, avant l'audience. Si la personne refuse de contracter l'engagement assorti de conditions, on peut l'emprisonner pour une durée pouvant aller jusqu'à un an.
Comparons la portée de cette disposition à celle des dispositions en vigueur au Royaume-Uni. Là-bas, la police peut arrêter sans mandat une personne lorsqu'elle a des motifs raisonnables de soupçonner qu'il s'agit d'un terroriste. Ce pouvoir diffère des pouvoirs d'arrestation normaux, car l'agent qui procède à l'arrestation n'a pas besoin d'avoir la conviction qu'il y a eu une infraction en particulier. Cela accroît le pouvoir discrétionnaire lors des enquêtes. La période maximale de détention sans mise en accusation en vertu de ce pouvoir a été prolongée depuis l'an 2000, passant de 7 à 14 jours, puis aux 28 jours actuels.
Les policiers du Royaume-Uni jouissent également d'autres pouvoirs. Par exemple, conformément à l'article 44 du Terrorism Act 2000, un policier ayant reçu l'autorisation d'un agent occupant au moins le rang de chef de police adjoint peut arrêter un véhicule à l'endroit indiqué dans l'autorisation et fouiller le véhicule, le conducteur ou le passager. Ce pouvoir vise aussi les piétons dans la zone et tout ce qu'ils transportent. L'agent supérieur peut donner l'autorisation s'il faut empêcher des actes terroristes de manière urgente.
La police est tenue d'informer le secrétaire d'État de l'autorisation dans les meilleurs délais. Pour continuer, il faut une confirmation dans les 48 heures. L'autorisation peut durer jusqu'à 28 jours et être renouvelée.
Par ailleurs, le Royaume-Uni a mis en place en 2005 un système d'ordonnances de contrôle pouvant être imposées à une personne pour prévenir les attaques terroristes. Ces ordonnances peuvent viser les citoyens et les non-citoyens. Il existe deux types d'ordonnances de contrôle: celles qui ne dérogent pas à la Convention européenne des droits de l'homme et celles qui y dérogent. Ce dernier type s'appliquerait sans doute dans les cas de détention à domicile. Certaines de ces ordonnances de contrôle ont fait l'objet de contestations devant des tribunaux inférieurs et la Chambre des lords devra ultimement déterminer si elles sont licites ou non.
En Australie, on a adopté une loi créant un régime d’ordonnances de contrôle et d’arrestations préventives dans le cas de personnes soupçonnées de terrorisme. En ce qui concerne la détention préventive, la police fédérale australienne peut demander une ordonnance de détention préventive dans le cas d’une personne soupçonnée de terrorisme lorsqu'un attentat terroriste a été perpétré ou qu'un attentat terroriste est imminent.
Toutefois, la période de détention préventive est limitée à 48 heures. En revanche et par ailleurs, beaucoup d’États et de territoires australiens ont adopté des lois autorisant la détention préventive pour des périodes pouvant aller jusqu’à 14 jours.
À la lumière de cette comparaison, je dirais que, loin d’être rigoureuses à outrance, ces dispositions de la Loi antiterroriste conçues pour prévenir le terrorisme ont une portée modeste et sont parfaitement adaptées au but visé.
J’aimerais maintenant passer à un autre point important qui a été soulevé par les partis d’opposition et qui les a amenés à décider, pour l’heure, de s’opposer à la disposition relative à l’engagement assorti de conditions qui se trouve à l’article 83.3 du Code criminel.
Le député de a soutenu que le pouvoir d’imposer un engagement assorti de conditions n’est pas nécessaire puisque l’alinéa 495(1)a) du Code criminel permet depuis longtemps à un agent de la paix d’arrêter sans mandat une personne qu’il soupçonne de s’apprêter à commettre un crime punissable par mise en accusation.
On a en outre soutenu que, dans un tel cas, la personne peut être traduite en justice et libérée en vertu d’un engagement assorti de conditions. Le député de a également prétendu que le pouvoir d’imposer un engagement assorti de conditions aux termes de la Loi antiterroriste est, de par sa nature, très différent de l’engagement de ne pas troubler l'ordre public prévu à l’article 810 du Code criminel et qu’il a des conséquences fort différentes.
Il a affirmé que, d’après son expérience, l’article 810 est souvent invoqué dans les cas de violence conjugale appréhendée ou d’amoureux évincés harceleurs. À son avis, l’engagement assorti de conditions aux termes de la Loi antiterroriste peut, par contre, permettre l’arrestation de personnes innocentes inconscientes des motifs pour lesquels des terroristes sollicitent leur aide.
Il avance également qu’en vertu de l’article 810, une personne peut être citée à comparaître devant un juge sans être arrêtée et que le juge ne peut pas faire incarcérer la personne en question à moins que celle-ci refuse de signer l’engagement et à moins qu’il soit convaincu, après avoir entendu toutes les parties et pris connaissance des preuves soumises, qu’il y a des motifs raisonnables justifiant les craintes.
Permettez-moi à mon tour de réfuter ces arguments. Il y a plusieurs différences entre l’article 495 du Code criminel et les dispositions contenues dans la Loi antiterroriste à propos de l’engagement assorti de conditions.
L’alinéa 495(1)a) du Code criminel établit, entre autres, qu’un agent de la paix a le pouvoir d’arrêter sans mandat une personne à propos de laquelle on a des motifs raisonnables de croire qu’elle est sur le point de commettre une infraction punissable par mise en accusation, c’est-à-dire un crime grave.
Les dispositions touchant l’engagement assorti de conditions dans la Loi antiterroriste exigent d’abord qu’un agent de la paix ait des motifs raisonnables de croire qu’un acte terroriste est sur le point d’être commis et que l’imposition d’un engagement assorti de conditions est en l’occurrence nécessaire pour prévenir la perpétration d’un acte terroriste.
Bref, en vertu des dispositions de la Loi antiterroriste relatives à l’engagement assorti de conditions, le délai autorisé pour effectuer une intervention préventive est plus long que celui prévu à l’article 495. Il n’est pas nécessaire que l’acte terroriste soit imminent, c’est-à-dire sur le point d’être perpétré.
Cela représente une différence importante qui, en pratique, peut prévenir la perpétration d’un acte terroriste et des pertes de vies.
Le pouvoir d’arrestation sans mandat dont il est question à l’article 495 ne s’applique qu’aux personnes à propos desquelles on a des motifs raisonnables de croire qu’elles s’apprêtent à commettre une infraction punissable par mise en accusation. Autrement dit, il doit s’agir d’individus qui sont sur le point de commettre un crime grave.
L'interprétation de l'article 83.3 du Code criminel, portant sur les engagements assortis de conditions, n'est pas aussi restrictive que celle de l'article 495. Cette disposition peut s'appliquer à toute personne répondant aux critères obligatoires énoncés à l'article 83.3 de la Loi antiterroriste. Un agent de la paix doit avoir des motifs raisonnables de croire qu’une activité terroriste sera mise à exécution et que l'imposition d’un engagement assorti de conditions est nécessaire pour éviter la mise à exécution de l’activité terroriste.
Par exemple, la police peut avoir des motifs raisonnables de soupçonner que certaines personnes ont participé ou ont été associées à certaines activités terroristes, mais elle n'a peut-être pas de preuves pour arrêter ces personnes et pour les accuser d'avoir commis un acte criminel. Autrement dit, en pareil cas, la police n'aurait pas les motifs nécessaires pour arrêter quelqu'un sans mandat sous prétexte que cette personne est sur le point de commettre un acte criminel aux termes de l'article 495 du Code criminel.
Toutefois, la police serait en mesure de demander au juge d'imposer des engagements assortis de conditions en vertu de la Loi antiterroriste et de placer toute personne suspecte sous supervision judiciaire, afin de prévenir un acte terroriste.
Pour être juste, le député de reconnaît que la portée du pouvoir d'imposer des engagements assortis de conditions est plus vaste que dans le cas de l'article 495 du Code criminel. Toutefois, il n'est pas d'accord avec cet état de fait et dit craindre qu'une personne faisant l'objet d'engagements assortis de conditions puisse être considérée comme terroriste sans même avoir été accusée d'un acte de terrorisme. Le député fait une analogie avec un vol qui serait sur le point de se produire et soutient que la police pourrait se prévaloir des dispositions de l'article 495 pour arrêter une personne sous prétexte qu'elle s'apprête à commettre un acte criminel. Le député soutient que la police peut faire exactement la même chose à l'égard d'une activité terroriste planifiée.
Cet argument ne tient pas compte de la différence fondamentale entre le terrorisme et d'autres formes d'actes criminels graves, notamment le crime organisé. À cet égard, le député de a décidé de ne pas tenir compte de l'avis que lui a donné lord Carlile, l'examinateur indépendant qui s'est penché sur la loi antiterroriste du Royaume-Uni, lors de sa comparution devant un sous-comité de la Chambre en novembre 2005.
En réponse au député, qui avait indiqué que les enquêtes sur le terrorisme ressemblaient beaucoup à celles qui doivent être menées relativement au crime organisé, lord Carlile a manifesté son désaccord. Il a dit:
Dans le cas du crime organisé, il est souvent possible pour la police qui enquête sur le crime perpétré de reporter l'arrestation à beaucoup plus tard. En effet, par exemple, il y a eu un énorme vol à l'aéroport Heathrow de Londres il y a quelques années — j'ai participé à cette affaire pendant un certain temps au plan professionnel — que les policiers ont laissé se perpétrer, puis ils ont arrêté les voleurs pendant qu'ils commettaient leur vol, ce qui a eu pour résultat que la plupart des inculpés ont plaidé coupables en fin de compte. C'est un risque que vous ne pouvez pas prendre dans le cas du terrorisme
Je pourrais mentionner plusieurs opérations, si je pouvais les décrire de façon détaillée, au cours desquelles la police et les services de sécurité du Royaume-Uni ont estimé qu'ils devaient intervenir très tôt en raison du risque que des terroristes effrayés ou nerveux essaient de poser leurs gestes beaucoup plus tôt que ce qui avait été prévu à l'origine. Cela signifie que l'on doit recueillir énormément d'éléments de preuve après ce que l'on considère parfois comme une arrestation prématurée.
La nécessité d'intervenir très tôt pour entraver et empêcher d'éventuels actes de terrorisme dès les premiers stades de leur planification est au coeur de la différence qui existe entre les engagements assortis de conditions prévus dans le Code criminel et l'article 495. Bien que ce dernier convienne aux crimes habituels, y compris le crime organisé, il n'est toutefois pas suffisant pour empêcher efficacement les actes de terrorisme.
Examinons attentivement ce qui distingue l'article 810 du Code criminel du pouvoir d'imposer des engagements assortis de conditions qui est conféré par la Loi antiterroriste.
Premièrement, tout comme l'article 810, les dispositions relatives aux engagements assortis de conditions contenues dans la Loi antiterroriste autorisent les juges à délivrer des sommations à comparaître. En règle générale, un agent de la paix doit déposer une dénonciation devant un juge et obtenir que ce dernier contraigne la personne soupçonnée à comparaître devant lui afin de déterminer s'il convient d'imposer des engagements assortis de conditions.
La disposition sur les arrestations sans mandat visée par l'article 83.3 a une portée très limitée. Elle n'entre en jeu que lorsqu'il est impossible de présenter une dénonciation devant un juge ou qu'une sommation à comparaître a été délivrée et que l'agent de la paix a des motifs raisonnables de croire que la détention de la personne soupçonnée est nécessaire afin d'empêcher la perpétration d'un acte de terrorisme. Cela diffère nettement de l'article 495, qui permet d'arrêter quelqu'un sans mandat, point final.
Deuxièmement, aux termes de la disposition relative aux engagements assortis de conditions de la Loi antiterroriste, comme de l'article 810 du Code criminel, si la personne contracte un engagement et en respecte les conditions, elle restera libre, n'aura aucune peine à purger et n'aura pas de casier judiciaire.
Troisièmement, on a fait remarquer que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public prévu à l'article 810 est conçu pour les cas de violence familiale ou de harcèlement criminel, qui ne présentent pas le même degré de danger et de notoriété que le terrorisme.
Il faudrait signaler, cependant, que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public prévu par le Code criminel peut aussi s'appliquer à d'autres comportements criminels graves, tels que la crainte, pour des motifs raisonnables, qu'une personne s'apprête à commettre un acte de gangstérisme. Une personne qui est tenue de ne pas troubler l'ordre public dans ces circonstances n'est elle non plus pas reconnue coupable d'une infraction, et pourtant, elle est quand même passablement stigmatisée.
Enfin, j'aimerais signaler une différence importante entre l'engagement de ne pas troubler l'ordre public prévu à l'article 810 et les engagements assortis de conditions prévus dans la Loi antiterroriste. Contrairement à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public prévu à de l'article 810, les dispositions relatives aux engagements assortis de conditions ne peuvent être utilisées à moins que le procureur général concerné ne consente à ce qu'un agent de la paix dépose une dénonciation auprès d'un juge, et ce, dans tous les cas.
C'est une mesure de protection clé dont, étrangement, le député de n'a pas parlé.
Pour la gouverne de tous les députés de la Chambre, permettez-moi de résumer les principales mesures de protection associées aux dispositions relatives aux engagements assortis de conditions de la Loi antiterroriste.
Tout d'abord, le consentement du procureur général du Canada ou du procureur général ou du solliciteur général de la province est obligatoire.
Deuxièmement, un agent de la paix ne peut arrêter une personne sans mandat et l'obliger à comparaître devant un juge que dans des cas très limités, notamment si la situation est urgente.
Troisièmement, un agent de la paix qui a arrêté une personne doit soit déposer une dénonciation avec le consentement du procureur général pertinent, soit libérer la personne concernée.
Quatrièmement, afin de déposer une dénonciation, il faut que la personne mise sous garde soit présentée devant un juge d'une cour provinciale sans retard injustifié et dans un délai de 24 heures après son arrestation, ou le plus tôt possible si un juge de la cour provinciale n'est pas disponible.
Cinquièmement, le juge peut ordonner à la personne en question de contracter un engagement de ne pas troubler l'ordre public et de bien se comporter, ainsi que de respecter toutes les autres conditions raisonnables pour une période de 12 mois, seulement s'il est convaincu de l'existence de motifs raisonnables de le faire. La personne ne peut être emprisonnée que si elle refuse de contracter un engagement ou si elle ne le respecte pas.
Une personne faisant l'objet d'un engagement peut faire une demande afin de faire modifier les conditions de l'ordonnance d'engagement.
Enfin, les procureurs généraux, tant du niveau fédéral que provincial, doivent faire rapport tous les ans de la plupart des recours à ces pouvoirs. Le et les ministres responsables des services policiers dans les provinces doivent faire rapport chaque année des arrestations sans mandat.
Il est donc évident que cette disposition comporte déjà plusieurs mécanismes en vue de prévenir les abus.
En terminant, permettez-moi d'exhorter les députés d'en face à ne pas oublier les propos de lord Carlile of Berriew. Il est vrai qu'il y a une différence entre le crime organisé et le terrorisme. Toute menace de tuerie est bien différente d'une menace de violence contre une seule personne.
Nous devons avoir les outils nécessaires pour pouvoir prévenir ces attaques dès les premières étapes de la planification, parce que plus le temps passe, plus nous mettons en danger les gens que nous voulons protéger. Il est essentiel de pouvoir prévoir, et pour ce faire, nous devons prolonger l'application de ces mesures.
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Monsieur le Président, je considère comme un très grand privilège de pouvoir débattre cette motion. Je dois dire qu'une certaine honte s'empare de moi. J'étais présent en cette Chambre, en 2001, lorsque nous avons eu le débat. Je me rappelle très bien les nombreuses questions que le député de , chef de l'opposition, posait à l'époque et celles de notre porte-parole en matière de justice, Michel Bellehumeur, député de Berthier—Montcalm.
Nous avions plusieurs interrogations. La première concernait la définition même de ce que sont le terrorisme et un acte terroriste. Je ne veux pas revenir là-dessus puisque la Cour suprême ne s'est pas prononcée sur cette question. Nous avions d'autres questions incidentes extrêmement importantes qui concernaient l'équité procédurale, le droit à une défense pleine et entière, et l'arrimage que l'on voulait faire avec un objectif louable. Il faut se rappeler le contexte de 2001 et combien nous avions d'inquiétudes, particulièrement à cause de ce qui s'était passé aux États-Unis. On connaît la proximité historique qui nous lie aux États-Unis, proximité qui avait amené un ancien premier ministre du Canada à dire de notre relation avec les États-Unis que la géographie avait fait de nous des voisins, l'histoire, des amis.
Bien sûr, nous ne pouvions pas rester insensibles à l'effondrement des tours jumelles et à toute l'information sur les réseaux terroristes consacrés ou potentiels qui avait été révélée. Je remercie d'ailleurs le député de d'avoir été vigilant.
Il y a quelque chose d'assez étonnant dans les discours entendus ce matin. Tout d'abord, je dois dire que je mets les libéraux et les conservateurs sur le même pied d'égalité. En effet, il faut se rappeler le discours des libéraux. Le Bloc avait été extrêmement clair. Non pas que nous étions de grands clercs ou des prophètes, mais nous anticipions certains faits. Il était évident que dans le libellé même du projet de loi qu'on nous proposait, le projet de loi , certaines dispositions étaient incompatibles avec des principes élémentaires du fonctionnement de notre système de justice.
Je me rappelle très bien les questions et les commentaires de la ministre de la Justice de l'époque. C'était d'autant plus inacceptable qu'elle était elle-même un ancien professeur de droit constitutionnel et qu'elle avait écrit des articles sur les garanties judiciaires et sur l'équité procédurale que j'avais eu l'occasion de lire.
Les libéraux et les conservateurs ont été animés par une commune volonté d'aller au plus pressant et de répondre à une urgence parce que, oui, la conjoncture était préoccupante.
J'ai lu le jugement de la Cour suprême d'un bout à l'autre. Ce que nous a dit la Cour suprême, c'est qu'en démocratie, quand on est dans un système où la primauté de droit veut dire quelque chose, la fin ne peut jamais justifier les moyens. En tant que parlementaires, nous devons respecter cela. Les conservateurs et les libéraux ont fait une alliance qui, avec la perspective que nous permet le recul du temps, ne peut pas résister à nos principes de justice les plus élémentaires.
Il faut une certaine dose de démagogie pour se lever ce matin en cette Chambre et donner à penser qu'il y a ceux qui sont préoccupés par la sécurité des gens et ceux qui ne le sont pas. Tous les parlementaires en cette Chambre sont préoccupés par la sécurité des gens. Cependant, il peut arriver que dans notre travail de parlementaires, nous ayons à proposer des mesures qui repousseront peut-être les frontières dans notre façon de voir la preuve, dans notre façon de voir le déroulement d'un procès.
J'étais en Chambre lorsque l'on a adopté le projet de loi , la première loi antigang, en 1997.
On se rappelle de la définition, à savoir cinq personnes qui au cours des cinq dernières années avaient commis des infractions punissables de plus de cinq ans d'emprisonnement.
À l'époque, on était aussi animés par un contexte d'urgence. Toutefois, il ne me serait jamais venu à l'esprit de me lever en cette Chambre et de voter en faveur de ce projet de loi qui allait être révisé avec le projet de loi , si la condition première de la loi avait été de ne pas permettre à l'accusé de prendre connaissance de toute la preuve. C'est ce qui ne fonctionne pas avec ce projet de loi. Je suis étonné que personne parmi les membres du gouvernement n'ait relevé ce fait.
On aura l'occasion de le dire: il est normal que, dans le Code criminel, il existe des mécanismes de détention préventive. D'abord, la common law reconnaît ce principe et la Cour suprême l'a reconnu à plusieurs reprises. On n'a pas besoin d'aller très loin. L'article 495 du Code criminel — si ma mémoire est fidèle — permet à un policier d'arrêter, sur la base de motifs raisonnables, un individu dont on croit qu'il a commis ou qu'il va commettre une infraction.
Par la suite, bien sûr, l'individu aura un procès et pourra être représenté. Toutes les garanties judiciaires lui seront offertes et la justice suivra son cours dans ce qu'elle doit être quand on est dans un système contradictoire, c'est-à-dire que le ministère public porte des accusations et produit des preuves et l'accusé peut se défendre. De cette confrontation doit découler la recherche de la vérité. Ce n'est pas ce qui est proposé dans les dispositions antiterroristes.
Nous ne sommes pas contre le fait qu'il faut des mesures. Je suis sûr que le député de ne s'est jamais exprimé en ce sens. Nous reconnaissons que certains individus peuvent représenter une menace pour la sécurité nationale. Il est vrai qu'il existe des mouvements terroristes.
Je me rappelle d'avoir assisté à des conférences données par des chercheurs de la Chaire Raoul-Dandurand. On sait que les mouvements terroristes ont été à l'oeuvre et qu'ils le seront dans les prochaines années. On nous dit même que les plus grands mouvements terroristes qui constituent la menace la plus avérée contre la sécurité des États modernes sont ceux qui ont comme ressort des motivations religieuses.
Tout cela est connu. Nous ne remettons pas en cause que dans une loi, dusse-t-elle être la Loi sur l'immigration ou dans une autre loi, il puisse arriver qu'il soit de la responsabilité d'un ministre d'apprécier des situations où des individus devront être réputés comme constituant des menaces à la sécurité de l'État. Nous convenons de cela et nous convenons que dans tous les pays modernes, particulièrement dans des pays à grande superficie et dans des pays où les frontières sont poreuses, qu'il est admissible que ces dispositions existent.
Il y a toutefois quelque chose d'assez inconcevable à propos de ces dispositions. La Cour suprême a dit que de la façon dont les dispositions antiterroristes sont aménagées, dans leur libellé même et dans la façon dont les cours de justice sont appelées à les interpréter, il y a des garanties procédurales qui sont bafouées. Je reviendrai sur ce propos.
On peut se poser la question suivante. Pense-t-on que l'on peut démanteler ces mouvements terroristes avec les dispositions des articles 83(27), 83(28), 83(29) et 83(3)? Comment se fait-il que ces dispositions n'ont pas été invoquées? Bien sûr, sur la plan de la logique, ce n'est pas parce qu'elles n'ont pas été invoquées à ce jour qu'elles ne le seront pas dans l'avenir, mais c'est quand même un indice de leur pertinence immédiate.
Dans le Code criminel — on le rappelait —, il existe la possibilité d'arrêter quelqu'un sans mandat. Il y a même des possibilités de se présenter devant un juge et de demander que des individus soient mis en instance de ne pas troubler l'ordre public et de ne pas fréquenter certaines personnes. C'est prévu à l'article 810 du Code criminel.
Il existe même une disposition, à l'article 465, qui permet d'appréhender des individus en vertu du seul motif qu'ils ont comploté et qu'ils risquent de poser des actes ultérieurs. Ce n'est pas comme si on était complètement démuni sur le plan des recours législatifs, et que rien n'existât dans le droit actuel.
Quelque chose est troublant. On peut ne pas convenir du fonctionnement politique du Canada, mais on ne peut quand même pas nier qu'il y existe une tradition établie de respect des droits de la personne — que l'on pense à la Déclaration canadienne des droits de Diefenbaker, à Loi canadienne sur les droits de la personne adoptée en 1977 ou, plus près de nous, à la Charte canadienne des droits et libertés.
À l'Assemblée nationale, en 1982, soit au moment du débat à propos de la Charte canadienne, nous ne convenions pas de l'aménagement des droits linguistiques. Nous ne convenions pas non plus de l'article 27 portant sur la valorisation du patrimoine multiculturel. Il reste que nous reconnaissons qu'il s'agit d'un outil de droits de la personne, particulièrement pour les garanties judiciaires. Ces dernières existent, au demeurant, et étaient antérieurement prévues dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Nous reconnaissons qu'il s'agit d'un outil de promotion et de valorisation des droits de la personne.
En tant que législateurs, comment avons-nous pu nous laisser distraire? Le Bloc québécois ne peut faire l'objet d'un grief, parce que, conformément à la recommandation du chef du Bloc et de notre porte-parole en matière de justice, nous avions unanimement voté contre le projet de loi .
Pourquoi avions-nous voté contre le projet de loi ? Parce que nous ne pouvions pas concevoir qu'un individu puisse être traduit en justice, sans qu'il ait accès à la preuve et particulièrement aux éléments de preuve les plus importants, soit ceux le menant à une condamnation ou à une inculpation. La Cour suprême parle d'« informations sensibles ». Tel était le principal problème de la loi proposée.
Je voudrais citer ce qu'a dit la juge en chef de la Cour suprême, à la page 54. Un jugement unanime, ce n'est quand même pas rien. La cour a dit, sous la plume de la juge McLachlin:
[...], je conclus que la procédure d'examen du caractère raisonnable d'un certificat établi par la LIPR n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale visés à l’article 7 de la Charte.
C'est grave. Ce seul paragraphe devrait inquiéter les législateurs. Je comprends mal l'obstination du gouvernement à ne pas reconnaître la loi proposée. Bien sûr, les conservateurs ne sont pas responsables de l'avoir crée, puisque ce sont les libéraux qui l'ont fait.
J'espère que tous les parlementaires en cette Chambre reconnaîtront qu'on est allé trop loin, que des garanties procédurales ne sont pas au rendez-vous et que, bien que nous ayons la responsabilité de protéger nos concitoyens de manière générale, il faut avoir des collectivités sûres. De manière particulière, il faut protéger nos concitoyens contre d'éventuels attentats terroristes.
La cour définira ce qu'elle entend par les « principes de justice fondamentale », qui se rattachent à l'article 7. Cet article est bien connu par nous tous. Il porte sur toute la question de liberté, de sécurité et du droit à la vie d'un individu. La Cour suprême dira qu'on ne peut pas porter atteinte à ces droits. D'abord, il faut s'assurer qu'il y aura une audition impartiale.
La Cour suprême s'est posé la question quant au fait que la preuve est divulguée ex parte, c'est-à-dire que le juge doit apprécier la preuve mais qu'il n'est pas en présence des deux parties — notamment la défense de la personne qu'on appelle la « personne désignée », celle qui est concernée par le certificat de sécurité.
N'est-il pas troublant de savoir qu'une personne qui ne se présente pas devant le juge, qui, lui, aura pris connaissance de la preuve et particulièrement de l'information sensible, ne puisse pas réfuter l'information, ne puisse pas corriger des faits, ne puisse pas nuancer des faits, ne puisse pas se prononcer sur la qualité de l'information divulguée et la crédibilité des informateurs?
Non seulement la Cour suprême a dit que c'est une atteinte ou un déni de la justice, telle qu'elle doit exister lorsqu'on veut honorer l'article 7 de la Charte, mais elle a dit également qu'on place le juge qui entend cette preuve ex parte dans une situation où il ne peut pas être impartial. Ne le met-on pas dans une position où il agit comme enquêteur?
La cour dit que ce n'est pas compatible avec l'article 7 de ne pas permettre à une personne qui est désignée par un certificat de prendre connaissance de la totalité de la preuve et d'être capable de la réfuter, de la nuancer, de la corriger et de questionner les sources qui ont amené cette preuve.
La cour ne dit pas que les certificats de sécurité n'ont pas leur raison d'être. À l'intérieur d'un délai d'un an, la cour invite le législateur à réaménager la façon dont on veut « délivrer » ces certificats, pour utiliser un anglicisme. Il est intéressant de se rappeler que la cour a donné l'exemple du Royaume-Uni. Lors des travaux en comité, cela avait même été porté à l'attention des parlementaires. La cour donne même des exemples canadiens où les membres du sous-comité de la Chambre, qui entendaient les gens du Service canadien du renseignement de sécurité, ont été capables de respecter les impératifs de sécurité et de confidentialité tout en faisant leur travail de parlementaires.
La cour se pose même la question suivante, et je me permets de citer encore un fois la juge McLachlin. D'ailleurs, aucun parlementaire ou ministre n'a répondu à cette question. J'espère qu'ils le feront lors des échanges qu'on aura un peu plus tard. La juge McLachlin dit: « [...] pourquoi les rédacteurs de la loi n'ont pas prévu qu'un avocat spécial examine objectivement les documents pour protéger les intérêts de la personne désignée, comme cela se faisait pour l'examen des attestations de sécurité par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité [...] et comme cela se fait présentement au Royaume-Uni? »
D'ailleurs, le Royaume-Uni a également adopté des dispositions antiterroristes. La cour se demande pourquoi nous ne sommes pas allés dans cette voie. La cour propose donc une solution intermédiaire entre un déni total d'avoir accès à l'information sensible qui concerne la personne désignée par le certificat et le caractère confidentiel que peuvent revêtir certaines informations pour déjouer des attentats terroristes, soit un impératif d'équité procédurale, un impératif de respect de la justice fondamentale. La cour dit que si on veut honorer ces équilibres, ces pouvoirs qui doivent être en équilibre entre la sécurité d'un État, le caractère confidentiel de certaines informations, mais également le droit qu'ont les individus qui sont potentiellement accusés — et qui sont même carrément accusés dans certains cas —, il faut avoir accès à de l'information. J'espère que le gouvernement tiendra compte de cela lors de la révision qu'il devra faire d'ici un an.
En terminant, je ne peux pas concevoir que des gens aient été détenus pendant cinq ou six ans. D'ailleurs, il me manque de temps. Cependant, il faut rappeler que le régime diffère selon qu'on soit résident permanent ou étranger au regard de la capacité de faire contrôler notre détention. Le résident permanent peut le faire en 48 heures et à tous les six mois. Or, le citoyen étranger peut être emprisonné 120 jours sans jamais pouvoir faire contrôler sa détention. Comme l'a rappelé la Cour suprême, tout cela n'a carrément pas de bon sens.
Je m'arrête ici, mais encore une fois, je crois qu'il n'y a pas raison d'être fiers aujourd'hui du projet de loi . À mon avis, on aurait été beaucoup mieux avisés d'écouter le Bloc québécois lorsqu'il a fait ces mises en garde. Heureusement, la Cour suprême a pu jeter un regard éclairé sur une loi qui porte atteinte à la dignité des gens et que le mieux qu'on pourrait faire est de la réviser.
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Monsieur le Président, je remercie mon collègue de sa question. Je ne sais pas si je l'ai bien saisie, mais je vais essayer d'y répondre de mon mieux.
D'abord, je crois que la Cour suprême a clairement établi, que l'on soit un citoyen canadien ou pas, que la Charte confère les mêmes garanties, la même protection, et que cela doit trouver une application.
Cela veut-il dire qu'en toute circonstance, le fait d'avoir recours à des auditions ex parte est quelque chose d'incompatible avec la Charte? Non. Par exemple, pour des ordonnances d'empreintes digitales, dans certaines circonstances de mises en liberté par voie judiciaire, ou dans d'autres situations, on peut exercer ce recours où une seule partie est présente.
Toutefois, ce n'est pas ce dont il est question en ce qui a trait au régime des dispositions antiterroristes. Voici ce dont il est question: dans tout le processus, jamais la personne désignée par le certificat ne pourra prendre totalement connaissance de la preuve, et particulièrement de l'information dite « sensible ».
Non seulement on dénie à l'individu le droit de prendre connaissance de cette preuve, mais il n'est pas représenté. Ce faisant, tout d'abord, on place le juge dans une drôle de position et, deuxièmement, on est dans une situation de déni. La Cour suprême a surtout centré son analyse sur l'article 7 de la Charte. D'autres dispositions étaient invoquées, comme la détention arbitraire ou le droit à l'égalité en vertu de l'article 15, mais la Cour suprême a fait porter 80 p. 100 de son jugement sur ce point.
Donc, c'est préoccupant. Ce qui me trouble, je le répète, c'est que pour un législateur, pour un démocrate, la fin ne peut jamais justifier les moyens. Il y avait aussi et il y a toujours des dispositions dans le Code criminel concernant le complot, les arrestations préventives — l'article 810 — et les mandats d'arrestation. Tout cela est possible.
Je crois qu'on a voulu agir avec une précipitation, de sorte que et le gouvernement et l'opposition officielle du temps ont mal évalué les forces en présence. Le meilleur service qu'on pourrait rendre à la réputation du Canada, qui a déjà été entachée en matière de droits de la personne en raison de l'affaire Arar, c'est que l'on corrige ces dispositions.
La Cour suprême propose elle-même des éléments de solution. Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale en a proposé aussi, mais je crains un peu qu'on ne soit en présence d'un gouvernement dogmatique et obtus qui ait tendance à faire fi de ces recommandations. Je connais la considération que ce gouvernement porte aux juges, et ce n'est pas de nature à me réconforter.
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Monsieur le Président, je suis heureux de prendre part au débat sur la motion visant la reconduction de certaines dispositions de l'article 83 du Code criminel, qui cesseront d'avoir effet et seront abrogées, si la Chambre ne vote pas en faveur de leur prorogation. On pourrait dire que, si ce genre de disposition est nécessaire, une nouvelle loi devra être adoptée, créant du même coup un vide dans nos lois, si telle est la volonté de la Chambre et du gouvernement de procéder de cette façon.
Des dispositions de caducité ont été ajoutées au Code criminel par le projet de loi après une étude approfondie par le Comité de la justice et un intense débat public. J'ai participé activement aux travaux de ce comité et j'ai une certaine connaissance des événements qui se sont produits à l'époque.
Les dispositions de caducité ont été ajoutées par suite des pressions exercées par un certain nombre de gens, y compris des députés, pour deux scénarios possibles. Le premier était la possibilité que les dispositions, qui étaient assez nouvelles dans le Code criminel, soient mal utilisées. En fin de compte, elles n'ont jamais été invoquées, et donc, jamais mal utilisées.
La deuxième était la possibilité que les dispositions ne soient pas nécessaires. Il a été déterminé, après un certain temps, que ce genre de disposition pourrait ne pas être nécessaire et que, si la conspiration ayant été à l'origine de cette loi devait cesser, diminuer ou se calmer, d'aucuns pourraient faire valoir que pareilles dispositions plus musclées ne sont pas nécessaires et que nos lois ordinaires seraient suffisantes.
À mon avis, je ne pense pas que l'une ou l'autre circonstance ne se soit produite. Il n'y a pas eu mauvaise utilisation des dispositions et la conspiration à l'origine de leur adoption n'a pas pris fin ni ne s'est calmée. J'en parlerai plus tard.
On peut dire que ces dispositions n'ont certainement pas été adoptées parce qu'elles n'étaient pas nécessaires. Si elles n'étaient pas nécessaires, elles n'auraient pas été adoptées. En fait, les fonctionnaires et les parlementaires qui ont rédigé la loi en voyaient l'utilité alors et c'est pour cela qu'elles ont été adoptées. On pourrait dire que les circonstances ont changé et cela est un élément du débat d'aujourd'hui.
Pourquoi a-t-on eu besoin de ces dispositions il y a cinq ans? Je pense qu'il y avait un vide dans le droit criminel et dans la common law canadienne et que ce vide s'était créé au fil du temps. Avant le siècle dernier, la question de la sécurité de l'État était entre les mains du roi. En fait, elle était énumérée dans les prérogatives du roi, qui s'occupait bel et bien de cette question.
Nous avons tous lu des livres d'histoire et nous sommes tous allés au cinéma. Le roi et ses forces arrêtaient et détenaient les gens qui conspiraient contre l'État. Je suppose qu'à l'époque, on ne faisait pas tellement la distinction entre les actes de conspiration, de sédition, de subversion ou de trahison. Ils étaient tous prévus dans la common law . Le roi pouvait faire arrêter la personne, la détenir et l'envoyer dans un donjon. Il pouvait en fin de compte neutraliser la conspiration.
Au XXe siècle, avec la propagation des libertés civiles et des constitutions écrites, la primauté du droit a fini par s'installer dans la mentalité de la population. Les États du Commonwealth ont alors adopté ce que l'on appelait les lois sur les mesures de guerre. Lorsque l'État traversait une période grave de conflit armé, il pouvait invoquer une loi spéciale, que l'on appelait la loi sur les mesures de guerre. On y a eu recours pendant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale.
En fin de compte, dans le contexte moderne, ces lois ont fini par être considérées comme trop draconiennes pour être invoquées en temps de paix et elles ont été abandonnées. Le Canada n'a plus de loi sur les mesures de guerre. La loi sur laquelle on a pu s'appuyer pendant la guerre de Corée et pendant les deux guerres mondiales et qui existait encore aux environs des années 1960 a disparu. L'État ne dispose plus de cet instrument. Il doit avoir recours au droit pénal.
C'est alors que nous avons connu les terribles attentats du 11 septembre 2001. Nous avons vu les événements se produire à Washington, à New York et en Pennsylvanie, à environ 300 ou 400 milles d'où nous sommes, à vol d'oiseau. Puis, d'autres attentats ont eu lieu à Bali, à Madrid, aux Philippines et à Londres. Un attentat s'est presque produit à Los Angeles. Il s'agit d'attentats terroristes qui ont tué ou mutilé un grand nombre de personnes et qui ont créé un effet maximal de violence, de perturbation et de désordre, ce qui est dans la nature même du terrorisme.
Comme je l'ai mentionné, nous n'avons pas les dispositions qui figuraient auparavant dans la Loi sur les mesures de guerre, et non seulement nous ne les avons pas mais, dans le passé, nous pouvions faire appel aux lois sur les complots. Toutefois, en raison de l'évolution des règles de preuve, il devient très difficile de faire condamner quelqu'un pour complot. Il s'ensuit que, les articles étant tombés en désuétude, il n'y a pas beaucoup de policiers ou de procureurs de la Couronne capables de bien les utiliser et les tribunaux ne sont pas à l'aise face à ces articles.
Je signale aussi que nous n'avons plus d'enquêtes entamées par la Chambre des mises en accusation. Celles-ci faisaient partie de notre processus criminel. Un grand jury était convoqué et mis en place, et il faisait enquête sur des allégations d'acte criminel ou de conspiration avant qu'ils ne se produisent ou juste après leur perpétration, mais avant que des accusations criminelles ne soient portées. Il y a deux ou trois décennies, nos tribunaux ont cessé de recourir aux enquêtes entamées par la Chambre des mises en accusation.
Au bout du compte, dans notre arsenal législatif, nous avons laissé tomber la Loi sur les mesures de guerre, la loi sur la conspiration et les chambres de mises en accusation. Je veux dire par là qu'il s'est ainsi créé, par pur hasard, un vide dans notre droit. En temps de paix, nos lois fonctionnent très bien. Nous ne cessons de les réformer, mais nos lois sont généralement à la hauteur des défis. Cependant, lorsque l'État est impliqué dans un conflit ou court un risque, je suis d'avis que l'État doit pouvoir compter sur un ensemble différent de dispositions. Les dispositions sujettes à caducité qui figurent dans la Loi antiterroriste, l'ancien projet de loi , devaient remédier à cette lacune.
Il convient également de faire remarquer que tous nos principaux alliés ont dû faire la même chose. Cette situation ne touche pas que le Canada. Nos alliés au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie ont tous dû légiférer pour remédier, eux aussi, à cette lacune de leurs législations. C'est là un fait notable et nous, à la Chambre, nous devrions en prendre note. Ce n'est pas particulier au Canada.
Il importe de faire la distinction entre la chose politique et la chose juridique. J'ai lu une partie des débats ainsi que les reportages des médias sur la question. Nous ne parlons pas des mandats aux termes de la Loi sur la protection de l'information. Nous ne parlons pas non plus des mandats demandés par le SCRS pour lutter contre les menaces à la sécurité du Canada aux termes de la Loi sur le SCRS. Nous ne parlons pas du maintien en détention en vertu de la Loi sur l'immigration. Nous ne parlons pas non plus des certificats de sécurité, qui constituent une procédure d'expulsion en vertu de la Loi sur l'immigration. Nous ne parlons de rien de cela.
Nous parlons de deux articles. Le premier, sur les audiences d'investigation, est à la fois rétrospectif et prospectif. Il peut s'appliquer, en rétrospective, à des menaces, des infractions et des activités terroristes déjà survenues ou, dans une perspective prospective ou comme moyen de prévention, il peut s'appliquer à des actes prévus. Le deuxième article porte sur l'engagement assorti de conditions, et il est préventif. En d'autres mots, il n'est pas tourné vers le passé. Il est là pour prévenir une attaque terroriste imminente.
J'ai tenté, tout profane que je sois, d'élaborer un scénario où ces articles seraient invoqués. C'est là une chose qui manque dans notre débat et j'ignore pourquoi. Je me demande bien pourquoi les spécialistes de la sécurité ou des fonctionnaires n'ont pas présenté de scénario qui expliquerait un peu plus clairement comment et pourquoi ces articles seraient utilisés. Je me rends bien compte que les spécialistes de la sécurité ne veulent pas alarmer la population. Ils ne veulent pas dévoiler leurs méthodes. Ils ont prêté serment de garder l'information à l'intérieur de leur cercle. Ce sont probablement là certaines des raisons qui expliquent pourquoi on ne nous a pas présenté de scénario au cours du débat.
Il convient également de souligner que, au Canada, les responsables de la sécurité du pays n'ont pas le pouvoir de procéder à des arrestations. C'est là une importante distinction à faire. La plupart des gens croient que les agents du SCRS peuvent arpenter les rues et arrêter des gens. Le fait est qu'ils ne peuvent pas le faire, ni légalement ni autrement. Les agents du SCRS ne sont même pas armés. Ils n'arrêtent pas de gens. Les seules personnes qui peuvent procéder à une arrestation, au Canada, sont les agents de la paix, c'est-à-dire les policiers. Les spécialistes de la sécurité ne peuvent pas procéder à une arrestation, qu'il s'agisse des agents du SCRS, du CST ou des organismes des transports. Seuls les agents de la paix peuvent procéder à une arrestation.
Au fur et à mesure que nous accumulons des renseignements, il est important de se rendre compte que si nous prévenions une attaque terroriste en procédant à une arrestation, cette dernière serait effectuée par la police et non par notre système de sécurité. Pour la plupart, l'information que nous recevons en matière de sécurité et de renseignement nous parvient du système plus général du renseignement de sécurité. Une partie de l'information provient des services du renseignement policier, mais la plus grande partie provient de notre système du renseignement de sécurité et de nos alliés. Ce système joue donc un rôle très important et indispensable.
Comme nous n'avons pas de scénario tout fait, je vais proposer celui d'une attaque à la frontière canadienne. Je ne pense pas que j'exagère en suggérant qu'une attaque puisse s'y produire. Inutile d'entrer dans les détails horribles; je me contenterai de dire qu'une attaque est possible et que l'attaque est imminente. Disons que la police et les autorités n'ont pas assez de renseignements pour justifier un mandat d'arrêt en vertu des dispositions du Code criminel. Peut-être n'ont-elles établi l'identité que d'une ou deux personnes. Peut-être ont-elles déterminé la cible possible de l'attaque. Peut-être ont-elles établi l'identité d'une cellule terroriste et déterminé la cible probable. Peut-être ne réussissent-elles pas encore à faire tous les rapprochements qui leur permettraient d'obtenir un mandat d'arrêt. Si elles avaient été en mesure de faire ces rapprochements, alors elles auraient pu obtenir un mandat et procéder à une arrestation.
Permettez-moi de suggérer également que ces renseignements ne proviennent pas de leurs propres sources, mais d'un organisme de renseignement canadien ou allié. Aux fins de mon scénario, je vais prendre pour acquis que les renseignements obtenus sont crédibles et vrais.
Étant donné la menace de violence massive pouvant être perpétrée et le chaos pouvant en découler, la détention préventive est de mise. Elle devient prioritaire. Si on se demande encore ce qu'est la violence massive et le chaos, on a qu'à penser aux attaques qui ont eu lieu à Londres, à Madrid ou à New York pour s'en faire une idée.
En vertu de ces dispositions, un agent de la paix disposant de données crédibles émanant, probablement, d'une agence de renseignement nationale ou alliée présente sans tarder l'information au procureur général d'une province. Des députés diront que cela prend du temps, mais même si les électeurs qui veulent voir un député ou un ministre sont parfois obligés d'attendre, je peux dire qu'on peut accéder très rapidement au procureur général d'une province pour une question prioritaire. J'ai eu l'occasion de m'adresser à un procureur général pour une question de cette nature et je peux vous assurer que les choses n'ont pas traîné. L'information est remise au procureur général, qui donne son consentement écrit. Le juge qui est ensuite saisi du dossier donne son approbation et délivre les mandats.
Le recours à ces dispositions est encadré judiciairement. Le procureur général donne son consentement au nom du gouvernement. Un agent de la paix ou un agent de police exécute les mandats en vertu du Code criminel. Dans le cas des deux dispositions, le processus est encadré judiciairement. Il y a un mandat, un juge, un procureur général et un cadre judiciaire. Selon moi, cela est conforme en tous points à la Charte.
Il a été signalé que nos tribunaux ont statué que ces procédures étaient conformes à la Charte. Sauf le respect que j'ai pour ceux qui ne sont pas d'accord avec moi, je dirai qu'ils ont tort d'invoquer la Charte pour dire que ces dispositions ne devraient pas être renouvelées. Il y a peut-être des aspects des libertés civiles qui les préoccupent, mais la Charte n'est pas du tout visée, en tout cas elle ne l'a pas encore été dans cette Chambre ou devant les tribunaux.
Quelques détails secondaires méritent d'être signalés. Le comité de la Chambre et le comité du Sénat ont étudié ces dispositions et confirmé, dans leurs rapports, qu'ils les appuyaient.
En outre, comme je l'ai souligné plus tôt, on peut soutenir qu'il existe une symétrie entre les dispositions que nous avons adoptées au Canada et celles qu'ont adoptées nos principaux alliés. Ces derniers partent de l'hypothèse, et je sais qu'une collaboration a eu lieu à l'époque où ces articles ont été adoptés, selon laquelle notre loi est quelque peu analogue à la leur, que, lorsque nous traitons avec nos alliés, ils peuvent agir rapidement et lorsqu'ils traitent avec nous, nous pouvons également agir rapidement.
Si ces deux articles deviennent caduques, on peut soutenir que notre loi ne sera pas aussi symétrique et qu'elle ne correspondra pas à celle de nos alliés. Comme la menace de complot persiste, et l'on m'informe que tel est le cas, nos alliés seront peut-être curieux de savoir pourquoi nous laisserions ces deux articles devenir caduques.
À mon avis, si ces articles n'ont pas été invoqués, c'est en raison d'un bon travail de renseignement et c'est également une question de chance. Ces deux éléments ont joué. En ce qui concerne l'idée selon laquelle ces articles ne sont pas nécessaires, il suffit de jeter un coup d'oeil aux rapports qui ont été rendus publics le week-end dernier au Royaume-Uni pour constater que la menace dans ce pays est aussi élevée qu'elle l'a toujours été.
Sauf tout le respect que je dois à de nombreux députés de la Chambre qui s'inquiètent pour les libertés civiles, j'espère qu'ils verront clairement que ces articles sont conformes à la Charte et qu'ils existent comme ordonnance de protection, dans l'intérêt de l'ensemble des Canadiens. J'espère que mes collègues prendront tout cela en considération au moment du vote.