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Monsieur le Président, cela me fait plaisir d'intervenir à propos du projet de loi C-9, déposé par le ministre de la Justice en avril, qui s'inscrit dans cette prétendue réforme du gouvernement de la justice pénale. Disons-le franchement, ce projet de loi a un objectif très clairement avoué, celui de pousser notre système de justice à droite.
C'est d'autant plus inquiétant — et ce ne sera certainement pas la dernière fois que j'aurai l'occasion de le dire en cette Chambre — que le gouvernement a une orientation idéologique en matière de justice qui ne peut en rien être étayée par des statistiques, de la rigueur et une analyse documentée.
D'ailleurs, lorsque le ministre de la Justice, ancien procureur de sa province, le Manitoba, a comparu devant notre comité pour défendre ses crédits provisoires, j'ai eu l'occasion de lui poser quelques questions à propos de l'emprisonnement avec sursis et de la détermination des peines. Je dois dire que je n'ai pas été intellectuellement rassasié. Au contraire, je suis resté sur ma faim.
De quoi s'agit-il? Le projet de loi C-9 veut limiter le recours à l'emprisonnement avec sursis. Il ferait en sorte que tous les crimes passibles — et non pas les gens qui reçoivent des sentences — d'un emprisonnement de 10 ans. Comme j'aurai le privilège de m'entretenir avec cette Chambre pendant 20 minutes — ce qui sera très vite passé comme le sait la députée de Longueuil—Pierre-Boucher —, j'aurai l'occasion de revenir sur les éléments d'infractions punissables de plus de 10 ans.
Commençons par un petit historique. Je ne veux pas rappeler de mauvais souvenirs à cette Chambre, mais c'est l'ancien ministre de la Justice Allan Rock, aujourd'hui diplomate et porte-parole du Canada à l'Organisation des Nations Unies, qui avait déposé un projet de loi en 1996. À cette époque, j'étais en cette Chambre depuis trois ans, puisque j'avais été élu en 1993.
De fait, en 1996, le gouvernement et différents organismes responsables de l'application de la loi s'étaient rendu compte que le Canada était l'un des pays qui recouraient le plus à l'emprisonnement. Bien sûr, les États-Unis comptaient également parmi ceux-là. On sait très bien que la population carcérale aux États-Unis est d'environ 700 par 100 000 habitants. Celle du Canada à ce moment-là était d'environ 133 ou 134, puis elle est baissée à 123 ou 122, selon les années. Bref, comme on le sait bien, les États-Unis recourent allègrement à l'incarcération.
En 1996 donc, Allan Rock, ministre de la Justice et procureur général, dépose un projet de loi qui permet une mesure alternative à l'emprisonnement. Il était prévu qu'on pouvait recourir à l'emprisonnement avec sursis en certaines circonstances: pour les infractions punissables de moins de deux ans d'emprisonnement, pour les individus qui ne représentaient pas un danger pour la société et dans les cas où aucune peine minimale n'était prévue.
Je le répète, car j'ai souvent entendu des analystes et des journalistes affirmer que la question de l'emprisonnement avec sursis était quelque chose qui était toujours totalement discrétionnaire. C'est faux. Nos concitoyens et les collègues parlementaires doivent savoir que lorsqu'un juge veut se réclamer d'une peine qu'on devra purger dans la communauté, il y a des critères. Je les rappelle, puisque c'est important de les avoir à l'esprit: le contrevenant est coupable d'une infraction pour laquelle il n'y a aucune peine minimale, c'est une peine qui doit être punissable de moins de deux ans d'emprisonnement et, bien sûr, on ne doit pas mettre en danger la sécurité des gens. Il est question de la sûreté dans la collectivité. Le juge doit être convaincu que le prévenu qui sera appelé à purger sa peine dans la communauté ne représente pas un danger pour la collectivité.
Finalement — et cela est important —, selon l'article 718 du Code criminel, le juge doit être convaincu que l'emprisonnement avec sursis est conforme au principe de la proportionnalité de la peine.
Je le dis et j'espère ne pas avoir à le répéter: tout ce qui concerne la détermination de la peine est lié à l'article 718 du Code criminel. Il y a toujours le principe de la proportionnalité. Il est évident que si on est en présence d'un petit larcin ou d'un meurtre au premier degré, on s'attend à ce que les gens soient sanctionnés en conséquence. C'est la base même de notre système de justice pénale.
L'emprisonnement avec sursis n'est pas discrétionnaire. C'est une mesure qui a été proposée pour la première fois par le ministre de la Justice de l'époque, M. Allan Rock. Elle survenait dans un contexte où on avait recours, de manière abusive, à l'incarcération. Selon les statistiques de 1996, et celles des années antérieures, 50 p. 100 des gens étaient emprisonnés parce qu'ils n'avaient pas payer leurs amendes. Socialement, la question se pose: combien cela coûte-t-il à la société quand une personne est emprisonnée? J'ai en ma possession des petites statistiques dont je parlerai un peu plus tard, quoique je ne vous ferai pas languir, puisque je sais que tout le monde est intéressé par ces questions.
En 2002-2003, quel était le coût annuel moyen d'un détenu incarcéré dans un établissement provincial? Rappelons qu'une peine de deux ans et moins se purge dans un établissement provincial, alors qu'une peine de deux ans et plus se purge dans un établissement fédéral. Quel était le coût annuel moyen d'un détenu incarcéré dans un établissement provincial? Mes collègues ont-il un ordre de grandeur à l'esprit?
Une voix: Ce serait 75 000 $.
M. Réal Ménard: La députée de Trois-Rivières dit 75 000 dollars. Elle n'est pas très loin de la vérité. Le coût est de 51 450 dollars.
À l'inverse ou a contrario, combien cela coûte-t-il à la société lorsqu'un délinquant ou un prévenu est en liberté surveillée dans la communauté? Cela coûte à l'État 1 792 $.
Il est important de débattre de ces questions tout en ayant à l'esprit les impératifs de sécurité. Personne ne souhaite que soient libres dans nos communautés des gens qui peuvent représenter une menace. Il y a un consensus à ce sujet. Toutefois, on se rend compte qu'il y a une différence qui est extrêmement importante.
En 1996, on posait la question suivante: comment peut-on adopter et mettre en oeuvre des mesures alternatives qui privent également de liberté et qui permettront de désengorger les prisons? En Occident, le Canada était l'un des pays qui recourait le plus à l'incarcération, particulièrement dans des cas d'amendes impayées.
On peut quand même reconnaître qu'il y avait une certaine rationalité qui se défendait dans cette mesure alternative à l'emprisonnement. Je répète — il n'est pas facile de toujours répéter la même chose, mais c'est pédagogiquement nécessaire — que les peines d'emprisonnement avec sursis touchent aux peines de moins de deux ans.
Le problème avec le projet de loi du ministre, qui est d'ailleurs un très mauvais projet de loi, c'est que le ministre se berce encore de l'illusion que ce projet de loi sera adopté en comité de manière diligente et rapide. C'est à regret que je dois vous informer qu'en comité, on posera toutes les questions nécessaires et on convoquera tous les témoins requis. Il ne sera pas question d'agir avec précipitation, ce qui serait à cent lieues de notre devoir d'investigation, de profondeur et d'analyse, un devoir dont le Bloc ne s'est d'ailleurs jamais départi.
Le projet de loi est proposé par le ministre de la Justice, un homme idéologiquement orienté et un ami pour qui j'ai du respect parce qu'il a le désir de servir. Cependant, nous ne laisserons pas le ministre de la Justice revêtir les habits et les chaussures de George W. Bush, comme s'il n'y avait pas de différence entre la société canadienne, la société québécoise et les États-Unis.
Cette idée qu'il faut restreindre le principe de l'emprisonnement avec sursis est une importation américaine. Le ministre semble vouloir suivre la même ligne que les États-Unis et il pense que ce qui est bon pour les Américains est bon pour les Canadiens ou pour les Québécois. Je pense qu'il fait erreur.
Donc, ne nous écartons pas du sujet et de ce que nous propose le projet de loi. Évidemment, ce n'est pas parce qu'une infraction est punissable de 10 ans d'emprisonnement selon le Code criminel, qu'un magistrat, qu'un juge qui rend une décision — ou un jury dans le cas d'un procès avec jury — va prononcer une condamnation de 10 ans. On le sait bien. Cependant, la conséquence du projet de loi du ministre, c'est que toutes les infractions du Code criminel punissables de 10 ans d'emprisonnement ne pourront pas faire l'objet d'un emprisonnement avec sursis.
Évidemment, cela ne pose pas de problème pour les crimes les plus crapuleux, les faits les plus détestables ou les infractions les plus répugnantes. Ce n'est pas moi qui vais être clément dans un cas de négligence criminelle, lorsque des gens souffrent à la suite de lésions corporelles. On comprend que c'est là un geste qui engage une responsabilité très importante, encore que, bien sûr, nous croyions au principe de la réhabilitation, je tiens à le dire.
Ce qui pose problème, c'est que le ministre, sans aucune distinction, a pris ou a fait prendre par ses fonctionnaires la liste des infractions punissables de plus de 10 ans d'emprisonnement et a dit, invariablement, sans aucune nuance, qu'il n'y aurait plus d'emprisonnement avec sursis. Je vous donne des exemples. Un vol de 5 000 $, bien sûr, c'est déplorable. On ne doit pas voler son prochain. Maintenant, on ne peut quand même pas dire qu'une personne qui a commis un vol constitue en soi une menace à la sécurité des gens et qu'en toutes circonstances, l'emprisonnement avec sursis ne soit pas quelque chose d'indiqué.
Dans le cas de vol de bestiaux, on comprend que c'est problématique aussi, surtout pour les éleveurs, pour ceux dont c'est le premier travail. Toutefois, peut-on mettre cela sur le même pied d'égalité qu'un délit ayant causé des lésions corporelles ou ce type de délit? Je pense que non. On peut parler aussi de l'utilisation non autorisée d'un ordinateur, de vol de courrier ou de choses comme cela.
Ce qui me tarabuste dans ce projet de loi, c'est qu'il n'est pas nuancé. C'est probablement son vice le plus détestable et, encore là, c'est l'idéologie du gouvernement. C'est comme si le gouvernement ne faisait pas confiance aux magistrats, aux personnes élevées au rang de la magistrature. Le principe de l'administration de la justice devrait toujours être l'individualisation de la peine. Qui mieux que les juges ou les jurés, lorsque c'est un procès avec jury, est capable d'apprécier la preuve, la trame des événements et voir comment les choses se sont passées?
Avons-nous des études? Avec le ton amical qu'on me connaît, lorsque le ministre était devant moi au Comité permanent de la justice, je lui ai posé la question de savoir si son ministère avait des études qui lui donnait à penser que les juges ne rendaient pas les bonnes sentences, qu'il y avait eu un recours abusif à l'emprisonnement avec sursis. Je lui ai demandé d'où venait ce climat de suspicion à l'endroit de la magistrature. Je dois avouer que le ministre n'a pas été particulièrement éloquent; il a même été cruellement mauvais. Je ne veux pas lui manquer de respect, mais il a été d'une platitude indescriptible. En fait, il n'a rien dit. Je ne comprends pas qu'on nous propose un projet de loi aussi crucial pour l'administration de la justice et qu'on n'ait pas d'études un peu documentées et rigoureuses sur le plan scientifique.
Lorsque le projet de loi sera étudié — je suis sûr que la députée de Châteauguay—Saint-Constant va travailler avec moi dans le même état d'esprit, car au Bloc, nous ne sommes pas dogmatiques — si l'on nous fait la démonstration que l'emprisonnement avec sursis a fait l'objet d'une généralisation abusive, nous serons prêts à revoir les choses. Cependant, cela ne nous semble pas le cas.
D'ailleurs, lorsque j'ai rencontré les hauts fonctionnaires, j'ai été un peu surpris d'apprendre certaines choses. En ce qui concerne la détermination des peines, le recours à l'emprisonnement avec sursis — lorsqu'une peine est purgée dans la collectivité —, est assorti de conditions.
Alors très souvent, une des conditions est que ce doit être à domicile. Cela a même été établi par la Cour suprême.
C'est quand même un châtiment! C'est quand même privatif de liberté.
Encore une fois, on pense qu'on peut comprendre, pour les crimes les plus odieux, que cette option ne soit pas accessible. N'empêche que c'est cette généralisation de la règle des 10 ans qui nous fait peur.
Il faut savoir que, dans l'administration de la justice, le recours à l'emprisonnement avec sursis est une réalité marginale. Selon les années considérées, il semble que 5 à 10 p. 100 des gens se soient retrouvés devant les tribunaux et aient fait l'objet d'une peine à purger dans la communauté.
Je vous livre quelques statistiques, qui me viennent des sous-ministres lorsque j'ai pu échanger avec eux à la séance de breffage à laquelle nous avons participé au moment du dépôt du projet de loi. Je cite donc les sous-ministres: « Nous estimons qu'environ le tiers des 15 493 condamnations avec sursis prononcées au cours de l'exercice 2003-2004 (données les plus récentes qui soient disponibles) n'auraient pu l'être si le seuil d'emprisonnement maximal de 10 ans avait été applicable. »
Je comprends qu'il n'y avait pas de données plus récentes.
On voit donc que c'est une réalité marginale, mais le projet de loi demeure inquiétant. Il l'est d'autant plus que même le ministre québécois de la Sécurité publique, M. Dupuis, député de Saint-Laurent et vice-premier ministre du Québec, s'est inquiété du projet de loi. En effet, on comprend bien que si l'on ne permet pas le recours à l'emprisonnement avec sursis pour les gens qui sont sentenciés pour au moins deux ans, où se retrouveront ceux-ci? Ils vont se retrouver dans les pénitenciers et les prisons du Québec.
A-t-on posé la question au ministre? Son ministère a-t-il prévu des sommes d'argent à transférer aux provinces pour remplir cette nouvelle obligation? Bien sûr que non.
Alors on est assez inquiet. Laissez-moi vous dire qu'ils ne l'auront pas rapidement, ce projet de loi. Nous ferons venir des témoins, nous poserons des questions, puis nous ferons notre travail avec beaucoup de rigueur, parce qu'il y a une limite à accepter des débats idéologiques. On a tous des idéologies en cette Chambre, mais quand les idéologies sont plus fortes que la rigueur et que l'on dépose des projets de loi non étayés d'études, il faut se questionner.
Bref, j'aurai l'occasion de m'exprimer sur le projet de loi C-10 quand il viendra. J'ai passé mon été à lire sur la question de la détermination de la peine. Je remercie d'ailleurs mon chef de m'avoir confié le dossier de la justice, et j'ai lu ce qui s'est écrit sur la détermination de la peine. Or il n'y a certainement pas une étude canadienne qui montre une corrélation entre la détermination de la peine et la capacité de dissuader les gens.
On sait bien que ce qui est dissuasif, ce n'est pas tellement la peine administrée, mais c'est la crainte des individus de se faire prendre sur-le-champ.
Or le député de Marc-Aurèle-Fortin est un homme que je consulte régulièrement, en sa qualité d'ex-ministre de la Justice. J'ai pu échanger avec lui sur cette question, et il m'a rassuré dans mes convictions: nous étions sur la même longueur d'onde sur cette question. Cela me rassure toujours de savoir que je suis sur la même longueur d'onde que le député de Marc-Aurèle-Fortin, en matière de justice évidemment.
Puisqu'il me reste une minute, je conclurai en dégageant les quatre éléments suivants: c'est un mauvais projet de loi; c'est un projet de loi idéologiquement peu rigoureux; le ministre ne peut revêtir ni les habits ni les chaussures de George Bush sans rendre compte à cette Chambre des conséquences qu'engendrera le projet de loi C-9; ce n'est pas un projet de loi désiré par le gouvernement du Québec, ni par ceux qui croient à la réhabilitation sociale.
J'invite tous les collègues de cette Chambre à le rejeter. Je pense qu'il faut continuer à préconiser, lorsque c'est indiqué, de faire confiance à la magistrature, aux juges, qui sont les mieux placés pour déterminer la peine. Rien ne me rendrait plus heureux que ce projet de loi soit battu.
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Monsieur le Président, je partagerai mon temps de parole avec le député de Moncton—Riverview—Dieppe.
L'intervenant précédent, le député d'Hochelaga, a frappé en plein dans le mille lorsqu'il a dit que le projet de loi reposait davantage sur des idéologies que sur des faits. Je pense qu'il faut s'attendre à cela du gouvernement quand on voit les ordres qui émanent du cabinet du premier ministre, qui émanent d'un seul individu. Comme nous l'avons vu, on ne s'embarrasse pas des faits pour faire une bonne histoire.
Il est très dangereux de faire de la petite politique avec le système de justice pénale, vu les effets possibles sur la société. C'est pourtant ce que nous voyons de l'autre côté de la Chambre: de l'exagération et le recours à des faits qui n'en sont pas du tout.
Le projet de loi vise à modifier le Code criminel du Canada en ordonnant aux juges de ne plus donner de peines avec sursis à quiconque est reconnu coupable d'une infraction punissable par mise en accusation qui est passible d'une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans ou plus.
Le Parti libéral prend a à coeur la sécurité des collectivités canadiennes. Au cours de la dernière législature, nous avons présenté le projet de loi C-70 pour répondre aux préoccupations des collectivités. Notre projet de loi visait à empêcher que les personnes reconnues coupables de crimes causant des sévices graves à autrui reçoivent des peines avec sursis.
Nous croyons que le Parlement ne doit pas s'adonner à des jeux politiques avec le Code criminel. Nous désirons voir une approche équilibrée qui ne créera pas de difficultés inutiles ou de dépenses non justifiées. Nos porte-parole proposeront sûrement des amendements constructifs dans le cadre des travaux du comité.
Les peines d'emprisonnement avec sursis ont un rôle important à jouer. Il faut un équilibre dans la société. Les criminels doivent purger la peine complète prévue pour leur crime, mais nous devons aussi offrir la meilleure possibilité de réadaptation tout en atténuant les conséquences de ces crimes et leur coût pour la société canadienne. Toutefois, à mon avis, le projet de loi C-9, va trop loin.
En tant qu'ancien solliciteur général, j'ai eu l'occasion de visiter de nombreuses prisons et maisons de transition. Je considère que les condamnations avec sursis sont une solution constructive. Je crois sincèrement que notre système est meilleur que celui des États-Unis, car il est davantage axé sur la réduction de la criminalité que le système américain. Le projet de loi C-9 américaniserait notre système.
Barb Hill, directrice des politiques à la Société John Howard, a dit que le projet de loi limiterait l'utilisation des condamnations avec sursis. Je crois que tous les députés en conviennent. Elle a également dit:
La limite de la peine maximale de 10 ans comprend « la grande majorité » des crimes prévus par le Code criminel.
Elle poursuit en disant:
(La condamnation avec sursis) fonctionne. C'est une solution. Cela fonctionne vraiment. C'est une solution pour les gens qui présentent un risque relativement faible.
L'incarcération ne fonctionne pas. Nous devons faire comprendre aux Canadiens qu'il est faux de croire que la seule façon de contenir les délinquants est de les mettre derrière les barreaux. Pour bon nombre d'entre eux, c'est probablement la pire chose à faire. Cela rend les choses encore pires. Cela augmente vraiment la probabilité de récidive.
Elle continue en disant:
Nous appuyons les solutions de rechange à l'incarcération et nous sommes en faveur de laisser les gens qui peuvent le faire sans danger purger leurs peines dans la collectivité.
Les condamnations avec sursis permettent aux délinquants de conserver leur emploi et de subvenir aux besoins de leur famille.
Elle conclut ainsi:
Les prisons ne sont pas efficaces. Dans certains cas, elles ont l'effet contraire de celui souhaité.
Toutefois, la stratégie du gouvernement consiste à proposer quelque chose dont l'efficacité n'est pas prouvée. L'intervenant précédent a déclaré que lorsque le ministre a comparu devant le comité, il n'a pas avancé d'analyses ou de faits étayant le position du gouvernement. Lorsque le ministre de la Justice était dans l'opposition, nous l'avons entendu tenir des propos insensés relativement à la criminalité. Permettez-moi de dire au parti ministériel et au ministre de la Justice qu'ils sont maintenant au pouvoir et que, dans une démocratie, il y a un motif pour lequel on parle de gouvernement responsable.
Pour ce qui est des décisions et propositions présentées par le ministre, elles doivent être présentées de manière responsable. C'est une des conditions qu'entraîne le fait d'appartenir à un gouvernement. Les bonnes politiques doivent reposer sur des faits et des preuves. Elles ne devraient pas se fonder sur une vague perception qui existe de manière diffuse dans la collectivité. En un mot, une bonne politique doit reposer sur des faits bien établis.
Comme nous l'avons vu pendant la campagne électorale, les députés ministériels ont tendance à effrayer les gens à propos de la criminalité et à exploiter les derniers grands titres. Oui, la criminalité est une question très grave et, particulièrement pour ceux qui sont touchés personnellement, c'est une question chargée d'émotion, mais au sujet de questions comme celles-là, lorsque nous traitons du système de justice, nous devons nous fonder sur de solides analyses. Nous avons besoin d'analyses judicieuses. Nos décisions doivent reposer sur des faits. Le gouvernement n'a pas présenté ce genre d'analyse.
Comme je le disais à l'instant, je crois que les projets de loi C-9 et C-10 instaurent un genre d'américanisation du système canadien de justice. Je ne crois pas que ce soit approprié. Comparons le Canada et les États-Unis. De l'avis des députés, lequel de ces deux pays a le taux de criminalité le plus élevé? Je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un pour nier que ce sont les États-Unis. Ils ont un taux de criminalité plus élevé.
Voyons le taux d'emprisonnement au Canada en vertu de notre système de justice criminelle. Il y a deux ans, il était d'environ 107 pour 100 000 personnes, alors qu'aux États-Unis, il se situe aux environs de 600. Ce que ces chiffres montrent clairement, c'est que la construction de prisons, l'incarcération des gens et le fait de ne pas assurer leur réadaptation pour qu'ils puissent faire une contribution positive à la société, ce n'est pas la voie à suivre, mais c'est l'approche que le gouvernement d'en face prend.
Une peine avec sursis n'est pas synonyme de peine sans difficulté. Je voudrais citer ce que notre porte-parole en matière de justice a dit plus tôt, et il convient d'insister sur ces arguments:
Dans presque tous les cas, les peines d'emprisonnement avec sursis sont assorties de restrictions comme la détention à domicile ou une heure de rentrée, et souvent les deux; souvent des travaux communautaires; un traitement obligatoire et des consultations; souvent aussi d'autres conditions qui peuvent être très efficaces pour éviter les récidives même si la personne vit dans la collectivité. La détention à domicile et le reste sont dissuasifs. La question n'est pas de punir sévèrement les criminels ou d'être indulgent envers eux. Ils s'agit d'imposer des peines efficaces et justes, au Canada, à ceux qui enfreignent la loi.
Je crois que c'est l'attitude que nous devons adopter, d'une façon générale.
Ce sera très important de recevoir des témoins, au comité. Nous appuierons certainement une proposition de renvoi du projet de loi au comité. Ce sera très important que des témoins viennent nous parler de l'analyse qu'on a fait en regard de la réalité. Au bout du compte, ce n'est pas en construisant plus de prisons qu'on va réduire la criminalité, et la portée de ce projet de loi est vraiment trop étendue.
Il vaudrait bien mieux consacrer cet argent aux services policiers et à la prévention. C'est le meilleur moyen de contrer la criminalité. Le meilleur moyen, c'est d'avoir les policiers nécessaires, des politiques établies sur la prévention de la criminalité et des mesures de réadaptation pour les personnes qui sont sortis du droit chemin. C'est ainsi que l'on bâtit les fondements sociaux et économiques de notre société dans le but de demeurer une nation prospère. Je ne crois pas que ce projet de loi nous fasse avancer dans cette direction. Il faudra le modifier au comité.
:
Monsieur le Président, tout d'abord, laissez-moi dire que la magistrature du pays subit des assauts.
[Traduction]
Le nouveau shérif et son adjoint, le ministre de la Justice, sont arrivés en ville sur leur belle monture et, en quelques mois, ont insulté, ou ont permis à leurs acolytes d'insulter, la juge en chef du Canada. Ils laissent entendre qu'elle croit recevoir ses ordres de Dieu, mais tout le monde sait que c'est le Parti conservateur qui est conseillé par Dieu, du moins, c'est ce que pensent ses députés.
Ils accusent, en public et en privé, les juges et les avocats du ministère de la Justice d'être libéraux et indignes.
Ils viennent de rejeter le rapport d'un comité impartial sur la rémunération des juges, question qui traîne depuis une éternité.
Enfin, ils ont présenté ce projet de loi, qui cherche à priver les juges de leur pouvoir discrétionnaire et à les réduire à l'état de simples liseurs de barèmes, au mépris du principe juridique depuis longtemps établi selon lequel les affaires sont jugées en fonction des preuves, et non de grandes déclarations.
[Français]
Chaque affaire est différente et nos juges ont les outils nécessaires pour traiter chacune d'elle.
En règle générale, les juges sont mis en nomination à la suite d'un processus rigoureux auquel participent des comités de présidents du Barreau, des juges en chef des provinces et des procureurs généraux.
[Traduction]
Avant cela, il y a eu un processus rigoureux d'examen par les pairs. La plupart des députés conviendront du fait que c'est ce qui s'est passé dans le cas du juge Rothstein. Pourquoi donc cet attaque contre l'intégrité, l'humilité, la rémunération et, avant tout, le pouvoir discrétionnaire de nos juges fédéraux? C'est une question à laquelle je n'ai pas de réponse.
Je peux dire, cependant, que l'attaque contre les peines avec sursis fait partie de la réponse. Je suis d'accord sur certaines parties du projet de loi, mais pas d'autres. Conjugué aux réformes relatives aux peines minimales obligatoires, aux peines minimales pour les courses de rues et à l'amnistie pour les propriétaires illégitimes d'armes à feu, ce projet de loi trahit le mépris du Parti conservateur envers le système de justice.
Le fait est que la réforme du droit et le Code criminel lui-même qui, je l'admets, a été rédigé par un très bon premier ministre conservateur, le regretté Sir John Thompson, sont des processus naturels qui évoluent en fonction des époques et des divers instruments dont nous disposons pour maintenir la sécurité dans notre société. Ils sont toutefois guidés par les hommes et les femmes dans les tranchées, les juges, les procureurs, les agents de probation, les avocats de la défense et toute l'équipe juridique.
Il est important de souligner que nous vivons dans une société sûre. De 1994 à 2004, le taux de criminalité a baissé de 12 p. 100. C'est la perception qui a changé. Les médias dramatisent le crime et, s'inspirant de la tendance américaine, les politiciens exploitent la peur que le crime engendre dans la communauté.
Comme le chef du Parti libéral l'a dit l'autre jour à la Chambre, le problème, c'est que, dernièrement, les projets de loi des conservateurs semblent avoir été rédigés sur une serviette de table et présentés à toute vitesse à la Chambre. Le projet de loi C-9 est un de ceux-là. Permettez-moi d'illustrer mon propos.
[Français]
Le régime actuel d'emprisonnement avec sursis a été adopté en réponse aux critiques selon lesquelles le Canada emprisonnait un trop grand nombre de ses citoyens.
On croyait qu'une trop grande partie de l'argent des contribuables allait aux prisons, alors que les fonds auraient pu être affectés à des programmes constructifs de prévention de la criminalité.
L'emprisonnement avec sursis a une importance dans la détermination de la peine. Ce genre de peine joue un rôle majeur dans la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants. Malheureusement, les fonds économisés par la baisse des incarcérations n'ont pas été réaffectés à suffisamment de programmes. Par exemple, on a un besoin criant de fonds supplémentaires pour accroître le nombre de superviseurs des peines avec sursis.
Les peines avec sursis ont évidemment besoin d'être supervisées. Les gens qui purgent une peine avec sursis sont dans notre collectivité. Ainsi, la supervision est nécessaire. La triste réalité, c'est que les ressources des personnes qui supervisent ce type de peine sont grevées au maximum.
[Traduction]
Le programme était bon, mais il n'était pas bien appliqué. Dans la région de Moncton, par exemple, il y a un surveillant à temps plein pour toutes les peines avec sursis. Il ne peut pas s'assurer que tous ceux qui purgent une peine avec sursis se trouvent à leur résidence lorsqu'ils sont censés l'être. Cela lui est impossible. Il s'agit d'une question de ressources et de relations fédérales-provinciales.
Bon nombre des violations de peine avec sursis se produisent parce que les délinquants en liberté commettent d'autres crimes et que le surveillant en est informé. Le surveillant de la région de Moncton reçoit de l'aide. Les autorités de la prison provinciale lui offrent leur aide et téléphonent au délinquant pour vérifier qu'il respecte les conditions de sa peine. Malheureusement, après une communication, il arrive souvent que le délinquant viole ses conditions, sachant qu'on lui a déjà téléphoné et qu'il sera libre de ses mouvements ce soir-là.
Mais ce que l'on reproche surtout aux peines avec sursis, c'est qu'aux yeux du grand public, les délinquants ne sont pas punis pour leurs actes criminels. Cela est particulièrement vrai dans le cas des délinquants qui ont commis des actes de violence ou de graves abus de confiance.
[Français]
Quand le Code criminel a été modifié pour inclure les régimes d'emprisonnement avec sursis, il n'a exclu aucune infraction.
Il était nécessaire de déterminer si la personne reconnue coupable d'une infraction était passible d'une peine minimale d'emprisonnement. Si ce n'était pas le cas, elle pouvait bénéficier d'un emprisonnement avec sursis pourvu que la durée de la peine ne dépasse pas deux ans.
[Traduction]
Avant ces modifications, un Néo-Brunswickois condamné pour conduite dangereuse ayant causé la mort ou pour conduite en état d'ébriété ayant causé la mort recevait vraisemblablement une peine de 6 à 18 mois d'emprisonnement. Depuis les modifications, il recevra probablement une peine avec sursis. Cela ne semble pas acceptable.
Au début, les procureurs de la Couronne s'opposaient à ce qu'on accorde ces peines avec sursis. Cependant, à la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Proulx, il est devenu évident que, à moins d'une exemption précise, toute infraction pouvait donner lieu à une peine avec sursis.
Le public perd confiance dans l'administration de la justice en ce qui concerne les agressions sexuelles. Les délinquants reçoivent des peines d'emprisonnement pour des infractions commises contre des enfants et pour des agressions sexuelles avec violence, mais bon nombre reçoivent également des peines avec sursis.
[Français]
La question qui se pose maintenant est de savoir comment arriver aux buts légitimes du processus de détermination de la peine en même temps que de préserver l'intégrité du système judiciaire aux yeux des Canadiens.
Le projet de loi C-9 fait partie des tentatives pour répondre à la question. En réaction aux critiques sur le régime d'emprisonnement avec sursis et compte tenu du fait que le public réclame une utilisation plus restrictive de ce genre de peine, le remède semble être d'abolir l'emprisonnement avec sursis pour toutes les infractions punissables par mise en accusation qui encourent une peine de dix ans ou plus.
[Traduction]
On n'arrivera à rien en incluant toutes ces infractions. On ne rétablira pas la confiance du public. Avant toute chose, la modification législative va trop loin. Les peines avec sursis ont pour but de traiter plus efficacement les cas de délinquant non violent.
Prenez l'exemple des délinquants ayant commis un crime financier. Lorsqu'ils allaient en prison, auparavant, ils étaient incapables de réparer les torts causés à leurs victimes. Un régime de peine avec sursis fonctionne bien et n'est pas contraire à l'intérêt public.
Mais ce ne sera pas le cas avec le régime prévu dans le projet de loi C-9, puisqu'on persiste à vouloir l'adopter à la hâte. Il ne sera plus question de réparer les torts causés à la veuve, à l'orphelin ou au cotisant à un fonds de pension.
La modification législative néglige d'autres victimes, notamment dans les cas d'infraction sexuelle. À l'heure actuelle, un délinquant sexuel peut se voir imposer une peine avec sursis, ce que le public voit d'un mauvais oeil. Le projet de loi C-9 ne corrige en rien cette situation. Le parfait exemple est le cas de l'auteur d'une agression sexuelle condamné par procédure sommaire. À l'intention des députés qui ne sont pas avocats et qui ne connaissent pas d'avocat, je me permets de rappeler qu'une victime d'agression sexuelle ne souhaite pas traverser l'épreuve d'une enquête préliminaire, qui est nécessaire pour obtenir une condamnation par mise en accusation.
Les victimes auront encore à subir la même chose si on ne corrige pas le tir lors de l'étude par le comité. L'un des facteurs est la peine prévue. Nous ne pouvons pas reprocher aux procureurs de choisir le meilleur moyen d'obtenir une condamnation si la victime de l'agression sexuelle a peur de ce que l'enquête préliminaire et le procès lui réservent. Par ailleurs, si le délinquant mérite une peine d'emprisonnement, la poursuite doit procéder par voie de mise en accusation, ce qui exige beaucoup de ressources et soumet la victime au double supplice. Les infractions sexuelles établies tombent elles aussi hors du cadre du projet de loi C-9.
Pour conclure, j'aimerais dire que la seule méthode pour garantir l'intégrité du régime de peines avec sursis est celle qui consisterait à le modifier après avoir pris le temps de bien l'examiner. De cette façon, la confiance du public serait maintenue et on disposerait d'une souplesse accrue pour porter des accusations. Le projet de loi a été préparé à la hâte et ne remédie pas aux problèmes. Il néglige certains problèmes et en crée de nouveaux. Nous aurons l'occasion d'examiner de nouveau le projet de loi lors des travaux du comité et par la suite. Le shérif, son adjoint et leurs agents ont raté la cible cette fois-ci.
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Monsieur le Président, j'ai le plaisir de joindre ma voix à celle de mes collègues pour prendre part au débat portant deuxième lecture du projet de loi C-9, lequel modifie les dispositions du Code criminel relatives à l'emprisonnement avec sursis.
Le ministre de la Justice a présenté à la Chambre son projet de loi le 4 mai dernier. Depuis le dépôt de cette mesure législative, on a entendu un nombre impressionnant de commentaires défavorables à l'intention du ministre et du gouvernement conservateur. En fait, tout semble indiquer que le gouvernement fait cavalier seul dans cette véritable croisade qui trouve son fondement réel dans l'approche populiste du Parti conservateur.
En effet, l'idéologie conservatrice se fonde sur la mouvance de Law and Order qui caractérise notamment une certaine frange de la société canadienne, particulièrement dans l'Ouest. Le Parti conservateur prône une approche dure et extrêmement sévère de la répression du crime, ce qui l'amène à rejeter les préceptes de la réhabilitation des délinquants et des solutions alternatives à l'emprisonnement.
Soyons clairs: le Bloc ne prône pas le fait de vider les prisons ou de limiter les peines d'emprisonnement des criminels dangereux, loin de là. Mais il existe un juste équilibre à préserver entre la sévérité d'une peine imposée en rapport avec la gravité de l'infraction, le risque de récidive et la sécurité de la population. C'est ici que prend toute son importance la conséquence de l'adoption de ce projet de loi conservateur.
Dans un souci de précision, soulignons que dans sa version actuelle, le projet de loi C-9 a pour objectif de modifier l'article 742.1 du Code criminel afin que les infractions poursuivies par mise en accusation et passibles d'une peine maximale d'emprisonnement de 10 ans ou plus ne puissent faire l'objet d'un emprisonnement avec sursis. C'est du moins ce que prétend le ministre.
Or il existe dans ce projet de loi des failles importantes qui sont passées sous silence et dont les conséquences déborderont du simple cadre pénal. Elles affecteront de plein fouet non seulement le système de justice dans son entièreté, mais aussi et surtout l'ensemble du régime carcéral.
À l'heure actuelle, le Code criminel stipule ce qui suit à l'article 742.1:
Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction — autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue — et condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s’il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci [...]
En fait, cette solution de rechange à l'emprisonnement classique doit cependant être conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2, dont notamment la dénonciation d'un comportement illégal et la dissuasion des délinquants ou de quiconque de commettre des infractions. On tient aussi compte de l'isolement, au besoin, des délinquants du reste de la société, tout en gardant à l'esprit le principe directeur de la réinsertion sociale des délinquants et la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité.
À titre d'exemple, l'expression de remords chez les délinquants ou à tout le moins la conscience réelle de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité, sont aussi d'autres facteurs à prendre en compte dans l'imposition d'une peine.
Ainsi, le tribunal peut ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité afin d'y surveiller son comportement, sous réserve de l'observation des conditions strictes qui lui sont imposées.
Le gouvernement conservateur veut durcir indûment le Code criminel en éliminant la possibilité pour le tribunal d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis. Les conséquences de cette approche sont immenses.
Il faut savoir que le projet de loi parrainé par le ministre de la Justice multipliera le nombre d'infractions pour lesquelles un juge ne pourra plus recourir à l'emprisonnement avec sursis. Ironiquement, en durcissant le ton envers les délinquants, on menotte en quelque sorte les juges qui pourraient considérer, à la lumière de tous les faits exposés dans une affaire, qu'il s'agit là de la peine la plus appropriée.
Le gouvernement conservateur, avec une approche populiste aux visées clairement électoralistes, entreprend un dangereux recul d'une dizaine d'années du cadre juridique que nous connaissons. En effet, la notion d'emprisonnement avec sursis a été adoptée en 1996 comme moyen d'incarcération de rechange pour les contrevenants adultes.
Aujourd'hui comme à cette époque, le Bloc québécois considère de la plus haute importance le fait qu'un juge ait à sa disposition le plus large éventail de solutions possible dans l'élaboration de peines appropriées. Il considère également que cela est plus susceptible de conduire à la réinsertion du contrevenant, tout en garantissant la sécurité de la population et l'apparence de justice.
Avant 1996, une personne reconnue coupable d'une infraction criminelle et condamnée à une peine d'emprisonnement d'à peine quelques jours devait, dans tous les cas, purger sa peine en prison. L'objectif premier de l'emprisonnement avec sursis était de réduire le recours à l'incarcération en offrant un mécanisme de rechange aux tribunaux.
Depuis l'adoption de l'emprisonnement avec sursis, un juge peut donc condamner une personne, qui ne représente pas un danger pour la sécurité de la population, à purger une peine de moins de deux ans au sein de la collectivité.
En imposant une peine d'emprisonnement, les juges doivent tenir compte du niveau de responsabilité du contrevenant et de la gravité de l'infraction. Ainsi, la détermination d'une peine ne s'établit pas simplement par équation entre une infraction et la sentence à purger. Il existe une multitude de facteurs qu'il nous faut considérer, comme ceux que j'ai énoncés précédemment.
Le Bloc québécois est l'ardent défenseur d'un système de justice fondé sur un processus d'approche personnalisée et propre à chaque cause, dans le cadre duquel les peines d'emprisonnement avec sursis constituent une option essentielle.
Agir autrement en enlevant la possibilité pour les juges de prononcer des sentences impliquant des peines à être purgées dans la collectivité équivaut, pour le Québec et les provinces, à imposer un fardeau financier supplémentaire gigantesque. Lorsque l'on connaît la réalité financière difficile à laquelle les provinces font face et les coûts astronomiques liés à la détention des délinquants, la réflexion voulant que l'argent ainsi dépensé serait bien plus utile et certainement mieux utilisé aux fins de la réhabilitation et de la prévention vient d'elle-même.
Il y a actuellement 15 000 individus bénéficiant d'une peine avec sursis. Ce sont 15 000 criminels condamnés purgeant leur peine dans la société puisque jugés à très faible risque, à la fois de récidive, mais aussi et surtout pour la société elle-même. En d'autres termes, ces individus n'ont pas à résider, si je puis dire, dans un établissement carcéral et, de ce fait, le fardeau financier qui en découle est d'autant plus réduit.
De l'aveu même des autorités du ministère de la Justice, on croit que le tiers des 15 000 criminels bénéficiant d'une peine avec sursis n'y seront plus admissibles si le gouvernement maintient le cap avec le projet de loi C-9.
Imaginons un instant qu'il faille incarcérer 5 000 personnes d'un coup, partout au Canada, pour des durées variables, certes, mais tout de même au moment où le système carcéral est rempli à pleine capacité. Je n'ose même pas imaginer la somme colossale que coûtera ce projet de loi insensé des conservateurs.
Pour répondre à une clientèle électorale spécifique et renouer avec la base militante de droite, le Parti conservateur est prêt à s'engager dans un cul-de-sac législatif et social, dans une véritable impasse idéologique. Le raisonnement des conservateurs est sans fondement et va même à l'encontre de leur vision du droit et de la justice en général.
Ils militent pour un durcissement du cadre pénal, d'une part, et limitent les pouvoirs des juges dans l'élaboration et la détermination des peines à imposer aux délinquants, d'autre part.
L'emprisonnement avec sursis constitue une alternative plus qu'intéressante pour les tribunaux, dans la mesure où les juges peuvent imposer une peine sévère à un individu, notamment en restreignant sa mobilité et ses activités par des conditions strictes, sans pour autant remplir et surpeupler les prisons qui débordent déjà. Et je n'ai même pas ici abordé la question de la dissuasion pour le commun des délinquants, par la simple crainte d'éventuellement se retrouver en milieu carcéral parmi une clientèle plutôt intimidante, à défaut d'un meilleur terme.
À propos des conditions accompagnant le sursis des peines d'emprisonnement, il est utile de souligner qu'elles sont variables d'un individu à l'autre, mais définies selon une classification obligatoire de la loi, et discrétionnaires puisque déterminées par le tribunal. Ainsi, lorsqu'un contrevenant brise une de ses conditions, il doit de comparaître à nouveau devant le juge qui, s'il est convaincu que l'individu a enfreint, sans excuse raisonnable, l'une de ces conditions, il lui ordonnera de purger le reste de sa peine derrière les barreaux.
On désigne les conditions obligatoires comme étant celles qu'un juge n'a pas besoin d'inscrire dans l'ordonnance de sursis, car elles s'appliquent dans tous les cas sans exception. Les autres conditions sont dites « discrétionnaires » puisque le juge a le pouvoir discrétionnaire de les prévoir dans l'ordonnance de sursis et de les modifier en fonction de la situation particulière.
Parmi les conditions obligatoires, on retrouve notamment celles de ne pas troubler l'ordre public, d'agir et de se comporter avec bonne conduite, d'obtempérer aux convocations du tribunal et de se soumettre à la surveillance d'un agent de services correctionnels. Le tribunal doit aussi limiter les déplacements de la personne condamnée en exigeant qu'elle ait une permission écrite de la cour ou de son agent de surveillance pour sortir de la région. De plus, la personne soumise au sursis doit aviser l'agent de surveillance si elle change d'adresse ou d'emploi.
À propos des conditions discrétionnaires, soulignons qu'il en existe en théorie un nombre infini, puisque le juge peut prévoir toutes les conditions qu'il juge raisonnables.
Cependant, la détention à domicile et l'imposition d'un couvre-feu sont presque devenues incontournables. En effet, les tribunaux ont statué qu'une personne soumise à un sursis doit en principe être en détention à la maison pendant la durée de sa peine. Des exceptions peuvent être prévues par le juge pour ainsi permettre à l'individu de pouvoir se rendre au travail ou à l'école.
Ce dernier élément m'apparaît débordant de bon sens, et je m'étonne que les députés du Parti conservateur n'y attachent pas une plus grande importance. On dirait que leur plus élémentaire objectif consiste à remplir des prisons de bandits de tous acabits, pourvu qu'ils soient à l'ombre, sans égard à la gravité des gestes commis ou, du moins, au risque de récidive.
En guise de conclusion, j'exhorte mes collègues à rejeter le projet de loi C-9, qui non seulement coûtera une fortune en infrastructures correctionnelles, mais qui surtout consacrera un net recul dans notre système de justice pénale.
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Monsieur le Président, il y a longtemps de cela, j'ai amorcé ma carrière de 22 ans au palier municipal, en participant beaucoup à des groupes de travail. C'est l'une des premières tâches que l'on m'a confiées.
Nous nous penchions sur des sujets comme le vandalisme, les crimes contre les biens et la prévention du crime. Nous avons conçu et mis en oeuvre à l'échelle communautaire un grand nombre de programmes de lutte contre la criminalité, encore une fois à l'échelle locale ou à celle du quartier. Ces programmes englobaient des volets comme les services de police communautaire, la surveillance de quartier, Enfant-Retour, Parents-Secours, Échec au crime, et la mise en oeuvre du système 911. Ces efforts au fil des années m'ont permis de recevoir des autorités fédérales et provinciales des prix en matière de prévention du crime.
En plus d'être maire, j'ai siégé durant six ans à la commission de police, de sorte que j'estime avoir une certaine compréhension des réalités du terrain sur cette question. Je ne suis pas juriste, de sorte que mes observations vont être celles d'une personne qui défend les intérêts communautaires plutôt que celles d'un juriste professionnel.
Les premières réactions à la mesure législative proposée sont celles que formulent intuitivement nos citoyens. Ainsi, puisque les crimes font la manchette, les gens estiment en toute logique que la criminalité doit être à la hausse. Or, les progrès réalisés par des groupes communautaires, dans le cadre de programmes dont j'ai parlé, comme Échec au crime, la surveillance de quartiers, Parents-Secours, Enfant-Retour, et par les services de police communautaire, ont porté fruit.
Tous ceux qui sont ici à la Chambre sont bien au fait des réussites de ces mesures sur le terrain, ou encore à l'échelle du quartier ou de la communauté. Les chiffres sont éloquents et les faits sont clairs. Les taux sont à la baisse pour la plupart des catégories de crimes. Néanmoins, dans une société qui cultive la peur, les gens se sentent moins en sécurité.
À titre de représentants élus, nous nous empressons de réagir aux inquiétudes exprimées par le public. Comme parlementaires, nous devons respecter des appréhensions qui sont palpables. Le Parti libéral et les députés qui en sont ici les porte-parole se présentent depuis déjà longtemps comme les champions de la sécurité dans la rue et à la maison. Voilà déjà longtemps que nous proposons des solutions pour lutter efficacement contre le criminels et leur grande capacité novatrice.
Le projet de loi C-9 vise à modifier le Code criminel du Canada en prévoyant que l'emprisonnement avec sursis ne sera plus une possibilité pour toute personne reconnue coupable, par voie de mise en accusation, d'une infraction pour laquelle est prévue une peine maximale d'emprisonnement de dix années ou plus.
Existe-t-il des recettes miracles ou des panacées? Les gouvernements se heurtent à cette question depuis de nombreuses années. Ce fut le cas des conservateurs au fédéral de 1984 à 1993, des libéraux de 1993 à 2004 comme gouvernements majoritaires, puis, récemment, comme gouvernement minoritaire. Aussi, on pourrait penser qu'une sorte de remède miracle devrait être à portée de main. Également, diverses catégories d'intervenants communautaires et de professionnels du domaine du travail social, du système de justice criminelle, du monde de la réadaptation, des systèmes carcéraux, des milieux juridiques ou de la magistrature se sont intéressés à la question. Le projet de loi C-9 est ainsi présenté comme cette panacée tant recherchée.
Malgré de bonnes intentions, ce projet de loi comporte des lacunes et doit faire l'objet d'un examen et d'un peaufinage lors de l'étude en comité. Voilà l'approche logique et raisonnable à adopter. Cette façon de procéder permettrait d'améliorer le libellé de certaines dispositions dissonantes ou de les remplacer par des dispositions plus efficaces. La question est de savoir si ce projet de loi réduira effectivement la criminalité et aura un effet dissuasif. Les données empiriques semblent indiquer que non.
De nombreux collègues de tous les partis ont débattu cette question et ont tenté de présenter des chiffres à l'appui de leur position. Une fois tout cela dit et fait, je crois que l'idée de recommencer à zéro plutôt que d'améliorer la mesure législative proposée peut donner des résultats pires que la situation de départ.
Sommes-nous délibérément étourdis par un programme concernant la loi et l'ordre qui cherche à épater et qui fait la manchette, mais qui repose sur une piètre politique publique? Nous voulons tous des lois qui protègent les innocents, qui punissent les coupables et qui indemnisent les victimes. Comme c'est un sujet controversé qui suscite des réactions émotives, nous avons d'autant plus le devoir d'agir de façon réfléchie et responsable.
Le Parti libéral prend très au sérieux la sécurité et la sûreté des collectivités canadiennes. C'est en réponse à ces préoccupations qu'il a présenté le projet de loi C-70 au cours de la dernière législature. Le projet de loi visait principalement à empêcher les personnes reconnues coupables de sévices graves contre la personne d'être admissibles à des peines avec sursis.
Nous ne croyons pas que le Parlement devrait faire de la politicaillerie avec le Code criminel. Je crois que nous souhaitons tous une approche équilibrée et que nous devrions collaborer lors de l'étude en comité, pour faire en sorte que le projet de loi ne crée pas de difficultés ou de dépenses inutiles et injustifiées.
Le projet de loi C-70 aurait créé une présomption empêchant les tribunaux d'imposer des peines avec sursis dans au moins quatre situations: premièrement, les sévices graves contre la personne tels que définis dans le Code criminel, notamment toutes les formes d'agression sexuelle; deuxièmement, les activités terroristes; troisièmement, les infractions liées au crime organisé: quatrièmement, toute infraction où le cas est tellement grave que l'objectif qui prime est de condamner l'acte et de ne pas imposer de peine avec sursis.
En comparaison, le projet de loi C-9 ne ferait que restreindre le recours aux peines d'emprisonnement avec sursis lorsqu'un délinquant serait trouvé coupable d'une infraction criminelle passible d'une peine d'emprisonnement maximale d'au moins 10 ans. Cela entraîne de nombreuses répercussions.
Le gouvernement ayant choisi de fixer la barre à 10 ans, et uniquement pour les infractions punissables par mise en accusation, il est toujours possible que les procureurs aient recours à la déclaration de culpabilité par procédure sommaire afin de pouvoir continuer l'imposition de peines d'emprisonnement avec sursis. J'estime que nous sommes nombreux à craindre que le projet de loi n'entraîne une application inégale de la justice.
Les modalités de poursuite diffèrent aussi d'une province à l'autre. Certains députés ont déjà entendu que, dans certaines provinces, les accusations sont portées par les agents procédant à l'arrestation, alors que dans d'autres, elles le sont par les procureurs.
La détermination de la peine pourrait parfois provoquer une controverse dans nos plus grandes agglomérations, notamment si l'information provient surtout des médias. L'imposition de peines d'emprisonnement avec sursis a commencé au milieu des années 1990. Nous avons donc eu une dizaine d'années pour évaluer cette pratique et en tirer des enseignements.
Une peine d'emprisonnement avec sursis n'a pas à avoir la même durée qu'une peine d'emprisonnement. Quand un délinquant est condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis, c'est invariablement pour une plus longue période. C'est une vraie punition purgée à l'extérieur du système carcéral, qui est coûteux.
Par comparaison, encore, le projet de loi C-70 a été rédigé en partant du principe que les tribunaux ne devraient pas imposer une peine d'emprisonnement avec sursis à des délinquants trouvés coupables de blessures graves à autrui, aux termes de l'article 752 du Code criminel. Ce peut être, je le répète, des actes terroristes, des infractions perpétrées par des gangs de criminels et d'autres infractions graves.
En tant que législateurs, nous savons tous que nos homologues provinciaux et territoriaux ont exprimé des préoccupations quant aux coûts supplémentaires qui devront être engagés si le projet de loi est adopté dans son libellé actuel. Les provinces et les territoires devront embaucher davantage de procureurs, de personnel pour les tribunaux et les établissements carcéraux, et construire de nouvelles prisons.
Le gouvernement n'a pas encore fait connaître convenablement ses plans sur l'aide qui serait accordée aux provinces et aux territoires. Il est temps d'adopter des lois fondées sur des faits. Nous ne devrions pas faire de la politicaillerie avec le Code criminel. Nous savons tous que le Code est bien trop vital.
J'estime que nous souhaitons tous avoir des collectivités sûres. J'ai déjà dit que nous voulons tous que la justice soit équitable, mais nous voulons aussi qu'elle soit efficace.
Nous devrions réexaminer tout cela en comité afin d'en arriver à une bonne loi.
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Monsieur le Président, je suis heureux de prendre part au débat sur ce projet de loi. Je suis très préoccupé par le programme des conservateurs visant à éliminer les condamnations avec sursis pour autant d'actes criminels, dont bon nombre ne sont pas de nature violente. Dans bien des cas, la gravité de leur impact sur le public pourrait être laissée à l'interprétation des tribunaux.
Le projet de loi C-9 est ce que j'appelle de la politique au détail. C'est une réaction impulsive. Ce projet de loi ne fera rien pour favoriser la réadaptation des criminels et ne réduira pas la criminalité. Selon ce que nous pouvons voir, il ne s'appuie que sur des données sommaires. La Chambre n'a pas eu beaucoup de renseignements à étudier. En fait, puisque les condamnations avec sursis ne sont en vigueur que depuis relativement peu de temps, il n'y a pas beaucoup d'études théoriques qui ont été réalisées sur leur impact sur le système de justice pénale. De plus, il y a un manque sur le plan des statistiques relatives aux condamnations au Canada. Même dans l'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes de Statistique Canada, il manque certaines données. Nous ne pouvons donc pas évaluer avec exactitude l'impact des condamnations avec sursis sur le système de justice pénale.
En 2003, 13 000 des 104 000 peines d'emprisonnement étaient des peines avec sursis. Parmi les personnes incarcérées ou sous surveillance, quatre sur cinq se trouvaient dans les collectivités, en 2003-2004. Plusieurs étaient en liberté conditionnelle; 11 p. 100 avaient des peines avec sursis.
On n'a pas prouvé ni à mon caucus ni à moi que ce projet de loi allait contribuer à réduire la criminalité ou à améliorer la réinsertion sociale des contrevenants.
Je viens du Nord. J'ai vécu et travaillé dans de petites collectivités autochtones du Nord toute ma vie. J'ai été maire d'une municipalité. Pendant de nombreuses années, j'ai entretenu une correspondance suivie avec la police sur les types d'infractions commises dans nos collectivités. Dans ma petite collectivité autochtone, j'ai pu voir sur une longue période l'impact qu'avaient les peines sur les personnes et les types de résultats que donne l'incarcération par rapport aux peines qui permettent au criminel de rester dans la collectivité.
Cette modification frappera durement les Autochtones du Canada. Selon les statistiques, en Saskatchewan, les Autochtones ont reçu 60 p. 100 des peines avec sursis imposées dans un an. Les prisons des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut sont déjà remplies à capacité ou débordées et on y trouve un fort pourcentage de prisonniers autochtones.
L'an dernier, au Nunavut, 200 contrevenants ont reçu des peines avec sursis et 275 ont été incarcérés, cela dans un bassin d'environ 28 000 personnes. On peut voir l'impact que l'emprisonnement avec sursis aura sur ce petit gouvernement et sur sa capacité d'assurer des services de justice à sa population.
Ce mois-ci, 73 prisonniers étaient entassés au centre correctionnel de Baffin à Iqaluit. Cette prison a été conçue pour 40 prisonniers. Au début du mois, l'établissement correctionnel pour adultes de North Slave, à Yellowknife, une nouvelle prison qui a ouvert ses portes il y a seulement deux ans, affichait complet. Les prisons surchargées créent des environnements dangereux pour les gardiens et les détenus.
Comme ces prisons sont pleines, les détenus du Nord, dont un grand nombre sont des Autochtones, doivent être envoyés dans le Sud où ils n'ont pas accès à des programmes de réinsertion sociale adaptés à leur culture. De plus, ils sont éloignés de leur famille, ce qui accroît les risques de récidive et d'échec du programme de réinsertion sociale.
Quand on examine ce qui se passe actuellement dans le Nord, on se rend compte que, dans bien des cas, les juges et le système correctionnels tiennent à ce que les détenus restent dans le Nord et ne soient pas transférés dans des établissements du Sud, même s'ils ont été condamnés à plus de deux ans de détention. Ils savent qu'en les envoyant dans les institutions de plus haut niveau des services correctionnels, ces détenus risquent davantage de récidiver.
Les conservateurs cherchent-ils vraiment à créer des situations dans lesquelles les détenus ne pourront se réadapter et retomberont dans la criminalité dès leur sortie de détention? Il semble que ce soit le cas, parce qu'en se contentant d'envoyer plus de gens en prison, on ne fait que créer un environnement favorable à la récidive.
Pour bien servir la justice, il ne s'agit pas d'envoyer des gens en prison dans un but de vengeance, mais bien de prendre des mesures afin que ces gens puissent être renvoyés dans la société et ne pas récidiver.
On a beaucoup travaillé dans le Nord du Canada à la mise au point de solutions de rechange aux peines traditionnelles. Bon nombre de collectivités de ma circonscription ont créé des comités de justice communautaire qui traitent des dossiers qui seraient normalement soumis à un juge. Les membres de ces comités connaissent le délinquant et sa communauté et ils sont en mesure d'adapter la peine aux besoins des deux parties. Il arrive que le comité impose une peine qui peut sembler légère pour un crime grave, mais bon nombre des délinquants soumis à ce processus ne récidivent jamais.
Ces comités, également connus sous le nom de cercles de sentence, ont été imités dans plusieurs endroits au pays qui ont reconnu leur efficacité à réduire le taux d'incarcération et de récidive chez les Autochtones.
L'élimination des peines d'emprisonnement avec sursis aura d'importances répercussions sur les collectivités autochtones du Canada, particulièrement dans le Nord. Les peuples autochtones représentent déjà une proportion excessive des détenus de nos établissements carcéraux. Ce projet de loi ne fera qu'empirer la situation.
Pour les peuples autochtones, les peines d'emprisonnement avec sursis sont parfois plus efficaces que les peines d'emprisonnement. Un procureur de la Couronne du Nunavut a affirmé récemment que, pour certaines personnes, il est plus difficile de purger une peine dans leur propre collectivité que d'être envoyées dans une prison d'Iqaluit, parce que les gens de leur collectivité prennent alors conscience de la punition qui leur est imposée.
Dans beaucoup de petites localités du Nord, on célèbre lorsqu'une personne sort de prison. Toutefois, lorsqu'un contrevenant purge sa peine dans la collectivité et qu'il est quotidiennement confronté à ses pairs, il est forcé d'assumer les conséquences de ses actes.
Dans les localités du Nord, les condamnations avec sursis permettent aussi aux contrevenants de suivre des traitements culturellement adaptés pour la toxicomanie, les accès de colère, les troubles mentaux, etc. Dans nos établissements correctionnels, beaucoup de personnes qui ont commis des crimes nombreux ou violents souffrent probablement de troubles du spectre de l'alcoolisation foetale. Souvent, on emprisonne des personnes alors que, dans une société plus tolérante, on accorderait plus d'importance au rôle joué par la maladie mentale dans leur comportement.
Tous ceux qui connaissent bien le système judiciaire conviendront que chaque personne qui comparaît devant les tribunaux est unique et qu'elle doit être jugée et condamnée en fonction des circonstances qui lui sont propres. Or, le projet de loi va à l'encontre de ce fait bien connu. Pour pouvoir respecter ce fait, les juges doivent disposer des outils nécessaires pour imposer des peines propices à la réadaptation.
À en juger par leurs propos, il est clair que les conservateurs ne font pas confiance aux juges de notre pays. Contrairement à ce qui se fait aux États-Unis, où quiconque obtient suffisamment de voix peut devenir juge, nous choisissons nos juges parmi les membres les plus respectés et les plus qualifiés de la profession juridique. Ces personnes ne travaillent pas dans l'abstrait. Elles sont témoins de la réalité du système de justice pénale. Nous devrions laisser aux personnes qui s'y connaissent le plus le soin d'établir les peines.
Nous ne devrions pas priver les gens des outils dont ils ont besoin pour accomplir leur travail de façon efficace. Pourquoi priver les juges des outils essentiels à leur travail? Pourquoi voudrions-nous faire cela? Est-ce seulement par esprit de vengeance, de revanche? Est-ce parce que notre seule conception de la justice se résume au principe d'un oeil pour un oeil?
Les juges peuvent se tromper, mais, lorsque cela se produit, des mécanismes interviennent pour corriger la situation. Ainsi, les procureurs de la Couronne peuvent interjeter appel d'une peine qu'ils jugent trop légère. Si une personne commet un crime pendant qu'elle purge une peine avec sursis, ce crime sera puni encore plus sévèrement.
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Monsieur le Président, je suis heureux de pouvoir parler ce soir du projet de loi C-9.
Grâce à la condamnation avec sursis, les peines d'emprisonnement peuvent être purgées dans la communauté plutôt que dans un établissement carcéral. C'est une peine intermédiaire, entre l'emprisonnement et la probation ou les amendes. La peine avec sursis n'est pas sortie de la cuisse de Jupiter. Elle fait partie intégrante d'une révision générale des dispositions relatives à la détermination de la peine dans le Code criminel.
Selon ces dispositions, qui stipulent notamment les buts et principes fondamentaux de la détermination de la peine, toute peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Ces principes sont également applicables aux condamnations avec sursis.
Le but premier des condamnations avec sursis est de limiter le recours à l'incarcération en dotant les tribunaux d'un autre mécanisme de détermination de la peine. De plus, la condamnation avec sursis fournit une occasion de poursuivre l'intégration des notions de justice réparatrice dans le processus de détermination de la peine, en encourageant les contrevenants à reconnaître leurs torts et à les réparer. Lorsque ces objectifs sont atteints, c'est la société tout entière qui en bénéficie.
Lorsqu'elles ont été mises en oeuvre, les peines avec sursis étaient généralement considérées comme un bon mécanisme pour éloigner les auteurs d'infractions mineures du système carcéral. Beaucoup de gens estimaient que le recours abusif à l'incarcération posait un problème, tandis qu'ils considéraient que les notions de justice réparatrice étaient bénéfiques. Dans la pratique, cependant, les peines avec sursis sont parfois perçues de façon négative lorsqu'on y recourt dans les cas de crimes très graves.
Certains se sont dits préoccupés parce que des délinquants reçoivent des peines avec sursis pour des crimes avec violence grave, des agressions sexuelles et des infractions connexes, des infractions de conduite ayant causé la mort ou de graves lésions corporelles, et des vols commis dans un contexte d'abus de confiance.
La plupart des gens conviendraient qu'il est bénéfique d'autoriser des délinquants qui ne sont pas dangereux pour la collectivité, qui seraient autrement incarcérés et qui n'ont pas commis des crimes graves ou avec violence, à purger leur peine dans la collectivité, mais d'aucuns estiment que, dans certains cas, la nature de l'infraction et celle du délinquant nécessitent une incarcération.
On craint que, en refusant d'incarcérer un délinquant, on ne discrédite tout le système des peines avec sursis et, partant, le système de justice pénale. Autrement dit, ce n'est pas l'existence des peines avec sursis qui pose un problème, mais bien le recours à ces peines dans des cas qui semblent manifestement exiger une incarcération.
Souvent, c'est un gros titre accrocheur et des reportages des médias qui soulèvent l'indignation. Cependant, si une personne raisonnable a assisté au procès au criminel et a entendu les arguments portant sur la détermination de la peine et les motifs du jugement, il n'est pas inhabituel qu'elle appuie la décision.
Les dispositions régissant les peines avec sursis se trouvent aux articles 742 à 742.7 du Code criminel. Elles précisent quatre critères à satisfaire pour qu'une peine avec sursis puisse être envisagée par le juge. Premièrement, l'infraction dont la personne a été reconnue coupable ne doit pas être passible d'une peine minimale d'emprisonnement. Deuxièmement, le juge doit avoir déterminé que l'infraction ne pourrait pas être passible d'une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. Troisièmement, il doit être convaincu qu'en imposant une peine à purger hors du milieu carcéral, la sécurité de la population ne serait pas mise en péril. Quatrièmement, il doit être convaincu qu'une peine avec sursis serait compatible avec les objectifs et les principes fondamentaux de la détermination de la peine énoncés à l'article 718 du Code criminel.
En ce qui concerne le quatrième critère, les peines doivent être déterminées dans le but d'atteindre les objectifs suivants: dénoncer le comportement illégal; dissuader les délinquants et quiconque de commettre des infractions; isoler au besoin les délinquants du reste de la société; favoriser la réinsertion sociale des délinquants; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants.
Ces critères ont été conçus pour veiller à ce que les cas les plus graves ne fassent pas l'objet d'une peine avec sursis. En plus d'être imposées conformément aux critères établis, les peines avec sursis sont rattachées à un certain nombre de conditions obligatoires établies à l'article 742 du Code criminel.
Ainsi, le délinquant ne doit pas troubler l'ordre public et il doit avoir une bonne conduite. Il doit répondre aux convocations du tribunal et se présenter au besoin à l'agent de surveillance. Il doit rester dans le ressort du tribunal, sauf permission écrite d'en sortir donnée par le tribunal. Il doit prévenir le tribunal ou l'agent de surveillance de ses changements d'adresse ou de nom et les aviser rapidement de ses changements d'emploi ou d'occupation.
D'autres conditions peuvent également être imposées selon les particularités du délinquant. Le tribunal peut ordonner au délinquant: de s'abstenir de consommer de l'alcool ou des drogues; de s'abstenir d'être propriétaire, possesseur ou porteur d'une arme; d'accomplir au plus 240 heures de service communautaire; d'observer toute autre condition raisonnable jugée souhaitable par le tribunal pour assurer la bonne conduite du délinquant et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou d'autres infractions.
En guise de solution de rechange à la possibilité d'imposer une peine avec sursis, un tribunal peut surseoir à l'exécution d'un jugement et imposer une ordonnance de probation. L'article 731 du Code criminel indique que, lorsqu'une personne est reconnue coupable d'une infraction, un tribunal peut, en tenant compte de l'âge et de la personnalité du délinquant, de la nature de l'infraction et des circonstances entourant sa perpétration, surseoir au prononcé de la peine et ordonner que le délinquant soit libéré conformément aux conditions énoncées dans une ordonnance de probation.
Cette possibilité s'offre au tribunal uniquement si la loi ne prévoit aucune peine minimale. Dans de nombreux cas, les peines avec sursis sont des solutions de rechange préférables à une condamnation avec sursis ou à une ordonnance de probation, comme je viens de l'exposer.
Dans une étude de l'Université Queen's qui mettait l'accent sur les victimes de la criminalité et sur leur opinion des peines avec sursis, les avantages suivants des peines avec sursis ont été nommés, et je les trouve tout à fait intéressants: la plupart des programmes de réinsertion sociale peuvent être mis en œuvre plus efficacement lorsque le délinquant purge sa peine dans la collectivité plutôt qu’en détention; la prison n’est pas une mesure dissuasive plus efficace que des sanctions intermédiaires rigoureuses comme l’ordonnance de probation améliorée ou la détention à domicile; il est beaucoup plus coûteux de garder des délinquants en détention que de les surveiller dans la collectivité; la population est devenue plus favorable aux peines purgées dans la collectivité, sauf dans le cas de crimes violents graves; l’intérêt général pour la justice réparatrice a eu pour effet d’éveiller l’attention pour les sanctions purgées dans la collectivité. Les mesures de justice réparatrice visent à défendre les intérêts de la victime à tous les stades du processus de justice pénale, mais en particulier à l’étape de la détermination de la peine; parmi les avantages des sanctions purgées dans la collectivité figurent l’économie de ressources correctionnelles précieuses et la capacité du délinquant de garder son emploi ou d’en chercher un et de conserver des liens avec sa famille.
La cause la plus importante dans le domaine de l’emprisonnement avec sursis est l’arrêt La Reine. c. Proulx de la Cour suprême. La Cour a examiné la question des peines d’emprisonnement avec sursis dans cette affaire de conduite dangereuse ayant causé la mort et des lésions corporelles. Avant cet arrêt, les juges avaient peu de principes directeurs à leur disposition, en dehors des critères établis par le Code criminel, sur les cas où des peines d’emprisonnement avec sursis étaient justifiées. La Cour suprême a fait clairement comprendre qu’il fallait apporter des changements dans le recours à ce type de sanction, tout en le cautionnant fermement.
Le principal résultat de l’arrêt Proulx est qu’il n’existe pas de présomption contre le recours à la peine d’emprisonnement avec sursis dans le cas de crimes autres que ceux pour lesquels une période d’incarcération est obligatoire.
Des objections ont été formulées contre le recours à la peine d’emprisonnement avec sursis pour certains crimes. La conduite avec facultés affaiblies en est un exemple. L’organisation MADD Canada, Les mères contre l’alcool au volant, a fait circuler une pétition où elle demande au Parlement d’éliminer le recours à la peine d’emprisonnement avec sursis pour les personnes reconnues coupables de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort ou des lésions corporelles.
MADD croit que ce type de peine pour un crime violent ayant causé la mort ou des lésions corporelles n’est pas proportionnel à la gravité de l’infraction. Le système de justice donne l’impression d’avoir un parti pris pour le délinquant et il n’accorde pas suffisamment d’importance à la valeur de la vie humaine qui a été sacrifiée. Il faut aussi tenir compte de ces points de vue.
Le gouvernement libéral précédent a présenté le projet de loi C-70, qui visait à modifier le Code criminel en ce qui a trait aux peines avec sursis, afin de préciser les limites appropriées du recours à de telles peines. Nous avions à coeur la sécurité des collectivités canadiennes.
Monsieur le Président, vous êtes en train de m'indiquer que mon temps est écoulé et je...
Des voix: Encore.
M. John Maloney: Peut-être qu'il y a consentement unanime pour que je continue, monsieur le Président.