HUMA Rapport du Comité
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L’employabilité au Canada : préparer l’avenir : Rapport du Comité permanent des ressources humaines, du développement social et de la condition des personnes handicapées
Opinion dissidente du Bloc Québécois
D’entrée de jeu, le Bloc Québécois aimerait souligner la précieuse contribution des intervenants et des témoins qui ont participé à cette étude sur l’employabilité.
Le Bloc Québécois est d’avis que le rapport du Comité L'employabilité au Canada : préparer l'avenir contrevient, en grande partie, aux champs de compétence du Québec et des provinces.
Les travaux du Comité se sont échelonnés entre juin 2006 et mars 2008. Le rapport de cette étude englobe, notamment, la mobilité des travailleurs, les travailleurs saisonniers, les travailleurs autochtones, les travailleurs âgés, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, l’alphabétisation en milieu de travail et la reconnaissance des titres de compétences acquis à l’étranger.
Le Bloc Québécois croit que certaines recommandations peuvent s’appliquer présentement aux responsabilités du gouvernement canadien, notamment celles relatives aux prestations d’assurance-emploi, à la dimension nationale du système d’information sur le marché du travail et du service de placement et aux activités pancanadiennes ainsi que les mesures qui pourraient s’appliquer aux Premières Nations.
Par ailleurs, des recommandations contenues dans le rapport portent sur des champs de compétence qui ne sont pas de la responsabilité du gouvernement fédéral : l’alphabétisation, la santé, l’éducation, la négociation entre les provinces, la reconnaissance des compétences et des diplômes…
Le Bloc Québécois rejette avec énergie les recommandations visant à mettre en place une stratégie nationale qui implique un renforcement des mécanismes de reddition de comptes et des indicateurs de rendement liés aux transferts fédéraux. Le Québec et les provinces doivent être en mesure d’établir leurs propres priorités afin d’orienter leurs interventions en employabilité dans des champs prioritaires et définis selon leurs spécificités.
Il existe bien sûr des différences entre les politiques et les lois du Québec et des provinces, mais celles-ci sont le reflet des priorités politiques, économiques et sociales spécifiques au Québec et à chacune des provinces. Une stratégie nationale en employabilité s’ingère dans les champs de compétence du Québec et des provinces et transforme le rôle d’innovateur et de concepteur du Québec par un rôle de simple gestionnaire de programmes.
Bien que d’entrée de jeu, les membres du Comité reconnaissent que « l’éducation, la formation et beaucoup d’autres facteurs liés aux lieux de travail canadiens relèvent principalement de la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux », ils en ont fait fi malgré les interventions répétées du Bloc Québécois comme en témoigne le texte suivant du rapport :
« Les recommandations que nous formulons dans ce rapport sont conçues pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie pancanadienne efficace d’employabilité pouvant répondre à l’avenir aux besoins des employeurs et de tous les segments de la population en âge de travailler, notamment les travailleurs non qualifiés et les personnes à faible revenu et à faible taux d’activité. Les membres du Comité se rendent compte que l’élaboration d’une stratégie pancanadienne d’employabilité nécessitera un engagement permanent et une plus grande coopération entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Même si quelques-unes de nos recommandations peuvent relever de la compétence des provinces et des territoires, elles n’ont pas du tout pour but d’étendre les pouvoirs du gouvernement fédéral. Nous pensons simplement que le leadership fédéral est nécessaire dans les domaines d’importance nationale. »
Lorsqu’il parle de leadership national dans son rapport, le Comité propose de mettre de l’avant une uniformisation vers le bas du Québec dans des domaines où ses avancées sont bien reconnues. Allant à l’encontre des prérogatives du Québec, le Comité est d’avis que le fédéral devrait assumer un leadership de façon prioritaire en s’immisçant dans les domaines suivants :
- Un réseau national de centres de la petite enfance alors que la population du Québec a accès à des services de garde à 7$;
- Des recommandations touchant l’accessibilité aux études postsecondaires alors que le régime québécois est le plus généreux au Canada;
- Des recommandations touchant au contenu des programmes d’études;
- La reconnaissance des titres de compétences;
- Un conseil sectoriel des services de santé;
- Une stratégie nationale d’apprentissage des adultes.
Le Bloc Québécois aimerait rappeler que les recommandations des rapports de comités et les rapports sénatoriaux sont utilisés par le gouvernement pour instaurer de nouvelles mesures. Il est donc important de bien cibler les domaines dans lesquels le gouvernement pourrait agir et quelles en sont ses compétences constitutionnelles.
Par exemple, la Commission canadienne de la santé mentale, créée en 2007, a été mise sur pied suite à un rapport sénatorial. Le Sénat canadien a déposé un rapport sur la santé mentale, intitulé De l’ombre à la lumière (Mai 2006). Le Comité reconnaît d’abord que ni les groupes fournisseurs de services ni les gouvernements provinciaux ou territoriaux à qui s’adressent un bon nombre des recommandations du rapport ne sont tenus d’y donner suite. Ses membres se questionnaient alors sur : « comment maximiser les chances de faire appliquer les recommandations du rapport. Il est devenu évident qu’un mécanisme s’impose tant pour entreprendre certaines tâches cruciales au niveau national que pour continuer d’assurer une dimension nationale aux questions de santé mentale. »[1]
Le Sénat a ainsi indiqué clairement que la Commission serait un instrument d’intrusion du fédéral. Le gouvernement Harper, malgré ses discours sur le fédéralisme d’ouverture, n’a pas hésité à mettre cette mesure en place et ce, même si le Québec avait déjà dicté ses priorités 2005-2010 dans son plan d’action en santé mentale.[2]
En vertu des dispositions constitutionnelles (articles 92(7) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867), les secteurs de la santé et des services sociaux relèvent de la compétence exclusive du Québec et des provinces. Or, depuis aussi loin que 1919, Ottawa multiplie ses interventions dans ces secteurs, contraignant même en cela le Québec et les provinces au respect de normes et d’objectifs dits « nationaux ».
Le Québec a une juridiction exclusive en matière d’éducation. Les articles 93 et 93A de la Loi constitutionnelle de 1867 sont clairs à cet effet. Cependant, malgré la limpidité de ces dispositions, le gouvernement fédéral a multiplié les intrusions en ce domaine et tente, par tous les moyens possibles, d’imposer ses propres priorités.
Les initiatives que mène le gouvernement fédéral dans les secteurs de la santé et de l’éducation, mises à part quelques exceptions (autochtones, anciens combattants, etc.), n’ont pas de fondement constitutionnel; elles ne s’appuient que sur le pouvoir de dépenser, par lequel Ottawa s’autorise à multiplier des interventions majeures.
Se servant de causes vertueuses, le fédéral trouve des prétextes pour s’introduire malicieusement dans les champs de compétence du Québec tels que la gestion des services, les critères de qualité, la coordination des actions, la stratégie nationale et maintenant l’employabilité et la mobilité de la main-d’œuvre.
En créant des fonds à usage spécifique qui s’appliquent uniformément partout au Canada, le gouvernement fédéral détermine des priorités qui ne correspondent pas nécessairement à celles du gouvernement québécois qui a, pourtant, la gestion effective de son réseau d’éducation et qui a une réelle connaissance des besoins des institutions.
En illustrant de manière aussi nette sa volonté de s’illustrer en éducation, le gouvernement fédéral veut-il outrepasser l’entente de 1997 par laquelle le Québec obtenait compétence exclusive sur la formation professionnelle ? Peu importe que l’on parle d’éducation, de formation ou d’apprentissage, cela relève uniquement de la juridiction exclusive du Québec et des provinces.
La formation : un exemple de compétence provinciale
Le rapport titré L'employabilité au Canada : préparer l'avenir émet plusieurs idées et propositions concernant les actions à entreprendre au sujet de la formation. Pourtant, des ententes entre le Canada et le Québec et certaines provinces, au sujet de la partie II de la Loi sur l’assurance-emploi, ont prouvé leur efficacité.
Dans le budget 2007, le gouvernement offre, en se basant sur ces mêmes ententes, de négocier le transfert intégral des programmes de développement du marché du travail aux provinces qui participent présentement à des ententes de cogestion : l’Île-du-Prince-Édouard, le Yukon, la Nouvelle-Écosse, la Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador.
Dans le budget de 2007, le gouvernement examine aussi la possibilité de transférer au Québec et aux provinces la responsabilité de l’exécution des programmes de formation pour les 3 clientèles qui lui restaient : les jeunes, les travailleurs âgés et les personnes handicapées.
En décembre 1997, la signature de l’Entente de mise en œuvre Canada-Québec relative au développement du marché du travail précisait les rôles et les responsabilités des gouvernements du Québec et du Canada. Le Québec a la responsabilité de la conception et de l’exécution de mesures actives d’aide à l’emploi similaires aux prestations d’emploi et mesures de soutien (PEMS) décrites dans la partie II de la Loi.
Ces ententes permettent aux provinces et aux territoires d’assumer une plus grande responsabilité quant à l’établissement de mesures actives, à la création de programmes adaptés aux besoins de leur population et de leurs régions et à l’élimination de chevauchements et de dédoublements inutiles. Ce que remet en question le présent rapport.
Il est primordial que le gouvernement canadien reconnaisse la spécificité de chacune des régions et des provinces quant à leurs besoins divergents selon, entre autres, leurs richesses naturelles, leur économie, leur main d’œuvre, leurs propres priorités et spécificités, etc. Chaque région et chacune des provinces ont des particularités et des mœurs qui leur sont propres.
Le Québec et les provinces assument leurs responsabilités en matière de mobilité de la main-d’œuvre et ce, sans que le fédéral n’intervienne. Ainsi, le gouvernement du Québec s’est entendu avec les autres provinces, en août dernier, au Conseil de la fédération, pour assurer d’ici avril 2009 la mobilité de la main-d’œuvre dans l’ensemble du pays.
Le Québec et l’Ontario ont annoncé qu’ils collaboreront en vue d’éliminer les barrières au commerce et d’améliorer la mobilité de la main-d’œuvre entre les 2 provinces. Dans la foulée du Protocole de coopération signé en 2006, le Québec et l’Ontario préparent un accord économique et commercial moderne et global fondé sur les accords bilatéraux existants en matière de marchés publics et de mobilité de la main d’œuvre dans les secteurs de la construction, du transport et de la santé. L’Alberta et la Colombie-Britannique ont déjà abaissé les barrières commerciales entre les 2 provinces.
Le Québec a aussi entamé des négociations afin de faire reconnaître les compétences de tous les corps de métiers entre la France et le Québec. Cette entente France-Québec pourrait donner un sérieux coup de main à un éventuel traité transatlantique, qui se discute actuellement entre Ottawa et l'Union européenne. Même si cette coopération France-Québec s'inscrirait dans le cadre de ce traité, elle en est aussi indépendante et pourra aller de l'avant de façon autonome. De telles négociations entre le Québec et un pays européen sont possibles puisqu'elles respectent les champs de compétence des provinces canadiennes.
Les travailleurs immigrants et travailleurs étrangers : préciser les rôles de chacun
En 1991, le Canada et le Québec signaient une entente dans laquelle le Québec acceptait la responsabilité de sélectionner les travailleurs qualifiés de l’étranger. Cette entente incluait aussi de nouvelles responsabilités du Québec en matière d’immigration sur son territoire.
La reconnaissance des compétences des travailleurs immigrants et étrangers fait partie des compétences du Québec et l’évaluation des formations nécessaires à la reconnaissance de leurs diplômes fait aussi partie de son expertise.
Dans ce contexte, le rôle du gouvernement canadien devrait être de s’assurer de la compatibilité des compétences des travailleurs, avant leur venue au Canada, à la province visée. Ainsi, le nouvel arrivant n’aurait pas de mauvaises surprises à son arrivée.
Le gouvernement canadien pourrait aussi accélérer le processus d’obtention d’un visa de travail afin que ce facteur ne soit pas un frein à la venue de travailleurs qualifiés sur le marché du travail.
En conclusion
Le Bloc Québécois estime que le rapport produit par le Comité est irrespectueux et irresponsable puisqu’il recommande au gouvernement fédéral de s’ingérer carrément dans les champs de compétence du Québec et des provinces. À de multiples occasions, le Bloc Québécois a avisé le Comité de réorienter les mesures proposées dans le respect des compétences fédérales mais ils ont préféré la voie du chevauchement et de l’immixtion.
[1] http://www.parl.gc.ca/39/1/parlbus/commbus/senate/Com-f/SOCI-F/rep-f/pdf/rep02may06part2-f.pdf. p.170.
[2] Gouvernement du Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, (2005), Plan d’action en santé mentale 2005-2010 — La force des liens.