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Monsieur le Président, je voudrais d'abord, un peu comme vous l'avez fait, lancer un appel au calme. Je ne crois pas qu'il soit utile, lorsqu'on débat de ce genre de projet de loi, de s'invectiver.
Je veux d'abord dire que j'étais présent à la Chambre, en 1999, quand les ministres de la Justice, Anne McLellan, suivie d'Allan Rock pour terminer avec Martin Cauchon, avaient présenté les premières modifications à ce qui était à l'époque la Loi sur les jeunes contrevenants, qui existait depuis 1907 et qui est devenue la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Je crois pouvoir rappeler des bons souvenirs à cette Chambre lorsque je mentionne que c'est notre collègue, le député de Berthier, aujourd'hui élevé à la magistrature en raison de son talent et de son envergure, qui avait parrainé le dossier pour le Bloc québécois. Nous avions d'ailleurs déposé quelque 2 700 amendements, ce qui avait donné lieu à une modification du Règlement de la Chambre restreignant la possibilité de déposer des amendements en comité lorsque nous étions à l'étape du rapport.
À l'époque, il y avait une très grande et large coalition avec le gouvernement du Québec, mais également avec des centaines de groupes en intervention jeunesse qui s'inquiétaient que l'on puisse soumettre — parce que c'était l'essentiel de la réforme qui nous était proposée en 1999 — des jeunes de 14 ou 15 ans à des peines pour adultes, donc de les déférer, dans certaines circonstances, à un tribunal pour adultes.
À l'Assemblée nationale, il y avait un mot d'ordre chez les intervenants jeunesse pour décrier ce qui était irrespectueux d'une pratique en vigueur au Québec qui, non seulement, croyait bien sûr à la réhabilitation, mais avait comme mot d'ordre inscrit dans ses pratiques d'intervention: « la bonne mesure au bon moment ». C'était ce que l'on avait comme devise. Cela veut dire que, lorsqu'il est nécessaire, il faut avoir un parti pris pour la réhabilitation. Cela ne nous invitait pas à agir autrement. L'Assemblée nationale et les intervenants du Québec n'ont jamais nié que, dans certaines circonstances très particulières, la détention avant procès, l'incarcération ou même la répression, dans un certain nombre de cas, sont nécessaires.
Lorsque le ministre a rendu public le projet de loi, je crois avoir observé un manque de nuances alors que j'écoutais certains députés ministériels faire des liens avec les gangs de rue. Au Bloc québécois, nous ne sommes pas complaisants. Nous n'avons pas une vision idyllique et paradisiaque de la jeunesse. Nous savons que des jeunes sont engagés dans la criminalité, et j'aurai l'occasion d'y revenir. Nous savons aussi qu'il faut parfois avoir des mesures plus musclées. Toutefois, il faut arrêter de comparer les interventions que l'on doit faire en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents avec la question des gangs de rue.
La question des gangs de rue est un phénomène réel dans l'ensemble des grandes villes au Canada. Montréal, où je suis député, n'y échappe pas. Québec n'y échappe pas, ni d'autres villes comme Vancouver, Toronto et Halifax. Pour avoir vu récemment des statistiques, les gens engagés dans les gangs de rue, ou du moins ceux qui ont des responsabilités notoires et qui sont susceptibles de se retrouver devant les tribunaux, ne sont pas des gens qui ont 12 ou 13 ans.
Ma collègue de était au comité de la justice avec moi lorsque le Bloc québécois avait déposé une motion pour inviter Randall Richmond, un fonctionnaire à Québec qui fait partie du Bureau de lutte au crime organisé, le BLACO et qui a étudié toute la question. Il nous a révélé la moyenne d'âge des gens qui ont été traduits devant les tribunaux en lien avec les arrestations récentes. À l'époque, on parlait beaucoup du gang Pelletier, à Montréal, qui a été la première arrestation par laquelle on a su que les gangs de rue pouvaient être assimilées à des organisations criminelles. La moyenne d'âge de ces gens était de 19 ans et 2 mois.
Cela étant dit, le Bloc québécois est très inquiet de ce projet de loi et ne l'appuiera pas. Nous allons mettre le meilleur de notre énergie à utiliser notre parole et notre action pour démontrer à la population que le gouvernement fait fausse route. Nous avons deux grandes interrogations à ce sujet.
D'abord, dans la réforme de 1999, nous voulions corriger cette loi que nous avions dénoncée. Il y a une disposition avec laquelle nous étions en désaccord, soit le recours ou la généralisation abusive à la détention avant procès.
Encore une fois, nous ne disons pas qu'il ne faut jamais détenir les gens avant procès. À l'article 515 du Code criminel, il existe des circonstances où les adultes doivent être détenus avant procès. Il y a d'abord les infractions graves se rapportant à l'article 469 du Code criminel: meurtre, tentative de meurtre et les infractions les plus graves. Bien sûr, il y a une détention avant procès lorsqu'on pense qu'une personne ne se présentera pas au tribunal, lorsqu'on pense que la preuve sera détruite ou lorsqu'il s'agit d'un non-résident canadien.
Dans certaines situations, la détention avant procès est bien sûr nécessaire afin de faire fonctionner correctement l'appareil judiciaire et que justice soit rendue. C'est vrai également pour les jeunes. On comprend cela.
Je parlais tantôt à ma collègue de Pointe-aux-Trembles concernant le document de consultation. Hier soir, j'ai lu le document de consultation rendu public par le ministère de la Justice en juin 2007, qui faisait un peu le bilan depuis la proclamation de cette loi en 2003. Ce document indique qu'avant 2003, sous la Loi sur les jeunes contrevenants, les policiers ou les organismes responsables de l'application de la loi incarcéraient les jeunes avant procès dans 45 p. 100 des cas. Lorsqu'on regarde les derniers chiffres disponibles, en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le taux d'incarcération avant procès s'est élevé à 55 p. 100. On constate donc qu'une tendance qu'on voulait corriger s'est amplifiée.
Pourquoi n'est-ce pas souhaitable comme principe général que la détention avant procès soit généralisée? Nous sommes d'abord bien conscients qu'il s'agit de la période avant la détermination de la peine et avant le procès. La présomption d'innocence s'applique et s'impose donc.
Je parlais hier avec M. Trépanier, le grand spécialiste au Québec, la personne qui a le plus étudié cette question. C'est un professeur au département de criminologie de l'Université de Montréal. Je discutais avec lui au sujet des chiffres. Il a eu d'ailleurs plusieurs contrats de différents ministères pour étudier cette question. Il m'a expliqué que la détention avant procès n'est pas souhaitable. D'abord, parce que même si cette détention peut amener une certaine forme de soutien, jamais les jeunes ne s'engageront sérieusement dans des mesures thérapeutiques et de redressement, donc dans des mesures d'aide qui pourraient les amener à devenir de meilleurs citoyens. Deuxièmement, il y a bien sûr la présomption d'innocence. Troisièmement, il y a tout l'appareil qui résiste à investir des ressources avant que le statut définitif de ce jeune soit connu. C'est donc une erreur que de vouloir généraliser ce principe.
Bien sûr, dans le projet de loi qui comporte deux articles, on est d'abord en présence d'un renversement du fardeau de la preuve. N'y a-t-il pas lieu de s'inquiéter de cette tendance à la généralisation du renversement du fardeau de la preuve?
Au Bloc québécois, nous avons accepté que ce soit pour les gens les plus criminalisés. Je pense entre autres à l'ancien projet de loi , incorporé dans le projet de loi . Il est question des criminels dangereux — donc pas tout à fait 500 personnes à travers le Canada. Ce sont des gens qui ont commis des sévices graves.
À l'article 753 du Code criminel, il y a une définition très précise. Nous l'avons accepté, même si cela heurte de front un principe auquel on croit au Bloc québécois sur le plan de l'administration de la justice, soit de ne pas renverser le fardeau de la preuve. Nous sommes conscients que dans certaines situations, il y a des gens qui peuvent vraiment mettre en péril la sécurité d'autrui et la sécurité publique.
À mon avis, bien que les trois alinéas de la première partie du projet de loi invitent à un renversement du fardeau de la preuve et bien qu'ils soient sérieux, ils sont trop généraux. J'ai hâte de voir en comité ce que nous diront les experts qui connaissent ces questions.
Évidemment, il est question d'être accusé d'un acte criminel pour lequel un adulte est passible d'une peine d'emprisonnement de plus de deux ans après avoir fait l'objet de plusieurs déclarations de culpabilité, j'en conviens. Toutefois, vous conviendrez que la liste des infractions potentielles est extrêmement large, extrêmement longue. J'ai même entendu des gens dire que, dans le projet de loi , le renversement du fardeau de la preuve était davantage prononcé, plus qu'il ne l'était dans le projet de loi . Voilà donc une première interrogation qui nous amène à être extrêmement sceptiques à l'endroit de ce projet de loi.
Il y en a une deuxième, et c'est la plus importante. Croit-on, oui ou non, qu'à 13, 14 ou 15 ans, on peut être traité comme un adulte? Croit-on que le parcours de vie d'un jeune de 12, 13, 14 ou 15 ans peut être le même que celui d'une personne de 38, 39, 40 ou 45 ans? C'est au nom de cette logique que l'on a demandé un système de justice pénale adapté pour les jeunes. Lorsqu'on parle d'un tel système, on reconnaît le droit à l'erreur et on demande un traitement individualisé.
Encore une fois, au Bloc québécois, on n'est pas complaisants. On sait que des jeunes commettent des délits tels qu'ils doivent être isolés de la société. On en convient. Cependant, un principe de base doit nous animer: faire en sorte que les traitements, les mesures d'aide soient disponibles le plus précocement et le plus longtemps possible auprès des jeunes.
C'est la raison pour laquelle, jusqu'à ce que ce projet de loi soit présenté, il n'y avait pas cette sorte d'obligation dans les principes de l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants. À la lecture de cette loi, on ne retrouve pas un appel à des sanctions dissuasives, donc exemplaires — voulant dire menant davantage à l'incarcération. Pourquoi ne retrouve-t-on pas cet appel? Je ne peux pas vous offrir une meilleure citation que celle que j'ai trouvée dans un jugement de la Cour suprême qui avait été saisie de deux causes. Comme vous le savez, quand ce sont des jeunes de moins de 18 ans, on ne nomme jamais le nom au complet; ce sont toujours des abréviations. Donc, la Cour suprême avait été saisie des causes La Reine c. B.W.P. et La Reine c. B.V.N. Un Autochtone avait tué une autre personne. Ces jeunes avaient commis un crime sérieux, je n'en disconviens pas. Un jugement unanime a été rendu, et le juge Charron, au nom de la majorité, écrivait ce qui suit:
Bien entendu, l’application de la dissuasion générale comme principe de détermination de la peine n’a pas nécessairement pour conséquence le placement sous garde; toutefois, elle ne peut que contribuer à augmenter le recours à l’incarcération, pas à le diminuer. L’exclusion de la dissuasion générale du nouveau régime [...]
On parle évidemment de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je reprends:
L’exclusion de la dissuasion générale du nouveau régime est donc conforme à l’intention explicite du législateur — dont nous sommes, et dont j'étais en 1999 — de diminuer le recours à l’incarcération des adolescents non violents. Le ministère public ne m’a pas convaincue que la mention, dans le préambule, de la nécessité pour le public d’avoir accès à l’information indique une quelconque intention de la part du législateur d’inscrire l’objectif de la dissuasion générale dans le nouveau régime.
Je ne veux pas intervenir dans la plaidoirie que le ministère public avait faite, mais je crois qu'il faut retenir que celui-ci, dans le fond, voulait réhabiliter par la porte d'en arrière le principe et la logique qui existent dans le Code criminel. Si quelqu'un d'entre nous consulte l'article 718 du Code criminel, il va bien sûr constater que la dissuasion est un objectif que l'on poursuit quand on est un juge et que l'on a à administrer une sentence. Il y en a d'autres. Entre autres, je rappelle qu'il y avait aussi une mention spécifique pour les Autochtones, en matière d'administration de la peine.
En résumé, c'est une très grave erreur de la part de ce gouvernement, et c'est l'objet du deuxième article. On est en présence d'un petit projet de loi, mais tellement grand de par son potentiel dévastateur.
Ce projet de loi vise, par son deuxième article, à amender l'article 38 de la loi pour inscrire comme principes à prendre en compte, en matière de justice pénale pour les jeunes, le fait de dénoncer le comportement illégal et le fait de dissuader l'adolescent.
On voit bien qu'on ne peut pas s'engager sur ce terrain. Bien sûr, pour toute peine — dans le cas du Québec, ce sera devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec —, il est évident qu'un juge a présent à l'esprit qu'il n'est pas souhaitable que les individus récidivent. Toutefois, de vouloir inscrire, donc codifier, dans un projet de loi le principe de la dissuasion, c'est de favoriser une incarcération avant procès et ainsi mettre au second plan les principes de traitement, de réhabilitation, de mesures d'aide, de personnes significatives, d'engagement de la communauté, soit une philosophie d'intervention que nous avons privilégiée, au Québec.
Un tel geste posé par le gouvernement est d'autant plus étonnant que son document de consultation lui-même, que j'ai lu hier soir, donne des chiffres extrêmement concluants. Ils indiquaient à quel point, malgré la réforme de 2003 de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous n'avons pas atteint cet objectif.
Je veux aussi dire qu'en lisant le document du ministère, j'ai mis la main sur une donnée très intéressante. Une étude intitulée « L'étude sur la discrétion policière » examinait la façon dont les forces de l'ordre, donc les policiers, qui sont tout de même des agents de la paix et les premiers à intercepter les jeunes, se comportent en matière d'arrestation chez les jeunes. Cette étude a révélé trois types de motifs pour lesquels la police ne libère pas les adolescents et les détient jusqu'à l'audience, donc jusqu'au procès.
Le premier type de motif est l'application de la loi, c'est-à-dire établir l'identité des contrevenants et garantir leur comparution, comme je le disais tout à l'heure. Encore une fois, il existe, selon le code, des situations où l'on n'a pas le choix de libérer quelqu'un. Ensuite, le deuxième type de motif — et c'est étonnant — est la détention pour le bien du jeune. Le document donne l'exemple du policier qui arrête une prostituée sans foyer ou des gens itinérants qui ne donnent pas l'impression qu'ils trouveront un logement. Selon cette étude, les policiers ont le réflexe de les détenir avant procès. Enfin, le troisième type de motif est l'utilisation de la détention comme mesure de répression.
Le document reconnaît que deux de ces trois types de motifs sont illégaux. En vertu de la réforme de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, il n'est pas permis de les détenir sur la base de ces motifs.
Le gouvernement vient donc conforter une pratique qui n'est pas souhaitable. Il vient donner raison à des policiers ou à des organismes responsables de l'application de la loi qui auraient tendance à ne pas libérer des jeunes. Pourtant, en matière d'intervention auprès des jeunes, selon le code du Québec, il est tellement plus souhaitable de les déférer d'abord à des centres de la jeunesse pour qu'ils puissent recevoir un soutien institutionnel. La loi prévoit la possibilité de les confier non pas nécessairement à leurs parents, mais à des adultes responsables.
Puisque mon temps de parole se termine bientôt, je dis toute ma déception au gouvernement, alors qu'il aurait été tellement plus souhaitable de s'attaquer à d'autres problèmes. Au Bloc québécois, nous demandons depuis plusieurs mois que l'on revoie tout le système de libération conditionnelle ainsi que l'examen expéditif. Nous aurions prêté notre concours au gouvernement s'il avait voulu le faire. Au contraire, il est mû par des considérations idéologiques pour plaire à son électorat et il colporte et entretient des préjugés que ni les statistiques ni la réalité ne confortent.
Je le répète, le Bloc québécois prendra tous les moyens à sa disposition pour s'assurer que jamais ce projet de loi mal avisé pourra faire l'objet d'une sanction royale.
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Monsieur le Président, je prends aujourd'hui la parole pour aborder le projet de loi , qui propose deux modifications, deux modifications et demie ou trois modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, selon notre façon de le lire et de l'interpréter.
Il s'agit d'une nouvelle tentative faiblarde du gouvernement pour réévaluer l'utilité du système de justice pénale que nous avons établi relativement aux crimes commis par des adolescents et à la meilleure façon de les traiter à l'intérieur d'un cadre législatif.
Quand j'ai pris connaissance du projet de loi, j'ai été un peu surpris. En effet, le gouvernement conservateur nous avait habitués à du pétage de bretelles et à des discours grandiloquents sur le durcissement du ton envers les criminels. Or, ce projet de loi ne contient que quelques articles dont la majeure partie ne servira pas à grand-chose, à mon avis, sauf dans de rares cas bien précis.
Pour situer ce projet de loi dans son contexte, il faut comprendre la situation actuelle.
Le gouvernement s'est engagé à lutter contre la criminalité. Cela se reflète dans son idéologie et dans le blabla qu'il nous sert en réaction à une certaine hystérie dont il est lui-même en grande partie responsable. Je le répète, il faut situer le projet de loi dans son contexte.
En réalité, depuis presque que 150 ans, du moins depuis 125 ans sûrement, les pays régis par la common law inspirée de la tradition britannique et le droit pénal qui en a découlé ont toujours traité les jeunes différemment. La façon dont nous définissons les jeunes a cependant évolué de décennie en décennie. Nous avons cessé de traiter tous les crimes commis par tous les groupes d'âges et tous les citoyens différemment à cette époque. Nous avons reconnu dans le système de justice pénale que les jeunes, en raison de leur jeunesse, n'avaient pas la même capacité que les adultes à prendre des décisions. Nous faisons la même chose dans le cas des personnes qui ont une intelligence limitée ou qui ont de graves problèmes de santé mentale et qui n'ont pas la capacité de prendre consciemment des décisions avec le même degré de maturité que les adultes.
Il s'agit là d'une assise de notre système de justice pénale depuis au moins 125 ans, si ce n'est environ 150 ans. Tout au long de cette période, il y a eu des hauts et des bas.
Quand j'ai commencé ma pratique, il y avait la Loi sur les jeunes délinquants. Cette loi a été modifiée et est devenue la Loi sur les jeunes contrevenants, pour les jeunes ayant des démêlés avec la justice. Maintenant, nous avons la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Dans toutes ces lois, nous avons conservé le principe voulant que la criminalité chez les jeunes soit traitée différemment de la criminalité chez les adultes.
Je crois qu'il est juste de dire que lorsque que nous avons adopté la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en 1999-2000, nous avons élargi ces principes et nous avons examiné quelle était la meilleure façon de composer avec la criminalité chez les jeunes. À l'époque, il est clair que nous préconisions que les jeunes ne soient pas traités comme les adultes, que les tribunaux veillent avant tout à la réadaptation des jeunes pour faire en sorte qu'ils reçoivent des traitements de manière à les rappeler à l'ordre afin qu'ils puissent devenir des citoyens exemplaires.
Selon moi, on perçoit encore, dans tout le verbiage que nous sert le Parti conservateur, une sérieuse tentative visant à miner ce principe et à faire en sorte que nous commencions à traiter les jeunes comme des adultes dans le cas d'actes criminels. Si on met de côté les considérations d'ordre idéologique, on pourrait dire que cela est dû à la hausse de la criminalité chez les jeunes.
Je crois que pas un seul député de cette Chambre qui a examiné le taux de criminalité au pays ne niera que ce taux est en hausse chez les jeunes, surtout depuis trois ou quatre ans, mais dans une catégorie bien précise. Il s'agit malheureusement des crimes violents commis au moyen d'une arme à feu, et presque toujours associés aux gangs. Cela signifie que l'arme à feu a été acquise et utilisée dans un contexte où la personne était membre d'une bande de jeunes ou d'un gang de rue.
Des statistiques sont publiées chaque année en mai ou en juin. Les rapports préliminaires que je reçois semblent pour l'instant indiquer une légère baisse des actes criminels violents commis par des jeunes. Je ne sais pas quelle position adopteront les conservateurs si cette tendance se concrétise.
Quiconque a étudié les activités criminelles sait qu'il y a des hausses de temps à autre. Il est très clair que cette mesure législative ne fait rien pour lutter contre cette hausse. Elle ne la réduit pas. Elle ne la laisse pas augmenter. Elle n'a pas ce genre d'effet.
Je tiens à souligner que nous ne savons pas pourquoi ces hausses se produisent. Nous avons constaté une augmentation du taux d'homicide chez les adultes au Canada en 2005. Il y a ensuite eu un léger recul en 2006. Nous savons que le taux d'homicide chez les adultes a baissé de façon très marquée au cours des 20 ou 25 dernières années, selon un taux d'incidence par habitant.
Compte tenu du nombre de mesures d'application de la loi qui ont été mises en oeuvre dans certaines de nos grandes villes, et je pense ici à Toronto comme étant un modèle, en quelque sorte, simplement en raison des efforts qui y ont été déployés par les services de police et par le chef Blair en particulier, je m'attends probablement à une baisse similaire partout au pays, légère d'abord puis plus marquée, je l'espère, au cours des prochaines années.
Que nous le fassions ou non, il est très clair dans mon esprit que nous ne sommes pas vraiment motivés à modifier le système de justice pénale, en particulier la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui a eu pour effet d'abaisser le taux de criminalité chez les jeunes depuis son entrée en vigueur.
En ce qui concerne ces hausses, nous pouvons y faire face en nous dotant de programmes d'exécution de la loi ou d'autres programmes sociaux qui font pour le moment cruellement défaut au Canada, en particulier pour les adolescents, en raison d'un financement insuffisant de la part du gouvernement. Dans certains cas, ces programmes ne reçoivent même aucun financement. C'est la voie à suivre au lieu de modifier la loi puisqu'elle fonctionne.
En passant, je tiens à souligner tout le travail qui se fait au Québec. Avant même l'entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le Québec était déjà un chef de file au Canada. Il a en effet mis en oeuvre un certain nombre de programmes de justice réparatrice qui consistent à soustraire l'accusé et la victime à ce qui est essentiellement un système inhumain et à les traiter d'une façon beaucoup plus humaine.
Il est intéressant de noter que, la semaine dernière, en compagnie du député d' et de celui de , j'ai eu l'occasion d'assister à une session sur la justice réparatrice qui se tenait à l'hôtel de ville d'Ottawa.
Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai assisté, aux côtés du député d' et du député libéral de , à une réunion sur la justice réparatrice à l'hôtel de ville d'Ottawa. Le nouveau chef de police, M. White, est un ardent défenseur de la justice réparatrice. Dans son discours, il a dit qu'il avait défendu cette cause pendant 22 ans dans les diverses collectivités où il avait travaillé comme agent de la GRC et, ensuite, comme chef de police dans d'autres villes avant son arrivée à Ottawa.
Il a parlé de l'inhumanité de notre système de justice pénale, surtout en ce qui concerne les jeunes et leurs victimes. Il a souligné à plusieurs reprises que la meilleure façon de procéder, c'est d'adopter un système de justice réparatrice, d'éviter de recourir à la punition et de créer un système judiciaire humain. M. White détient une maîtrise en criminologie et il a effectué d'importants travaux de recherche dans ce domaine. Il a notamment fait valoir que le recours à la justice réparatrice avait pour effet de réduire le taux de récidive de manière considérable, voire presque de moitié dans le cas des jeunes. Cela vaut pour la plupart, sinon la totalité des crimes.
Lorsque des députés prennent la parole à la Chambre ou devant les médias pour prôner les méthodes employées aux États-Unis et qu'ils en parlent comme si elles étaient la solution à tous les problèmes, cela ne cadre pas avec la réalité, qui est que les punitions et les peines sévères ne fonctionnent pas. Elles font augmenter le taux de récidive. Il serait nettement préférable d'envisager d'autres formes de justice.
Le Québec a amorcé ce processus plus tôt et plus efficacement que les autres provinces. En dépit du fait que la Loi sur le système de justice pour les jeunes comportait nombre des principes déjà en application au Québec, les députés bloquistes s'y sont opposés. Comme l'a dit précédemment mon collègue bloquiste, ils estimaient que cette mesure législative ferait obstacle à certains des progrès réalisés dans la lutte contre la criminalité juvénile, qui s'était avérée efficace, et je crois qu'ils avaient jusqu'à un certain point raison.
Quoi qu'il en soit, les bloquistes s'y sont opposés, mais le Québec a quand même poursuivi ces programmes du mieux qu'il le pouvait et avec plus de succès que le reste du Canada. Ailleurs au Canada, on est à la traîne. Il y a plus de 30 ans je crois, j'ai participé à un programme de déjudiciarisation qui n'était autorisé par aucune loi. Il était mal financé, mais il a remporté un succès certain en dépit du manque d'appui du gouvernement de l'époque.
Il y avait des projets du genre un peu partout au Canada, mais l'approche globale, l'approche générale que le Québec a adoptée rapidement, a eu un effet très bénéfique. En fait, à ce jour, le taux de criminalité chez les jeunes et chez les adultes pour des infractions graves est moins élevé au Québec qu'ailleurs au pays.
Revenons au projet de loi . En ce qui concerne la première partie de cette mesure législative, je ne partage pas le point de vue de mon collègue bloquiste qui affirme que le gouvernement introduit le principe de l'inversion de la charge de la preuve en ce qui concerne l'emprisonnement avant la tenue du procès dans le cas de jeunes qui ont été accusés d'une infraction criminelle. Je n'interprète pas ces articles de la même façon. En fait, cette partie du projet de loi codifie simplement ce qui se fait dans l'ensemble du Canada. Je m'attends à ce que le projet de loi soit renvoyé au comité et à ce que, lors des témoignages, nous entendions ce message de la part des avocats en exercice, des procureurs de la Couronne et des associations d'avocats de la défense de partout au Canada. Cette mesure législative ne modifiera en rien la pratique dans les tribunaux pour adolescents au Canada. Elle confirmera uniquement l'évolution des juges au cours de la dernière décennie.
Certains pourraient se demander pourquoi une telle mesure et pourquoi l'appuyer. Je répondrai à cela que c'est ce que nous avons toujours fait. Un petit nombre de juges pourraient dire qu'ils ne feront pas cela parce que ce n'est pas dans la loi et qu'ils vont s'en tenir aux critères qu'ils ont. En consacrant la pratique par la loi, les quelques juges qui ne suivent peut-être pas la tendance que j'ai observée chez tous les autres juges devront eux aussi s'y conformer. Ils seront à l'aise de le faire et s'y sentiront autorisés.
Essentiellement, le projet de loi dit que, si le jeune contrevenant répond aux critères énoncés, il est peu probable que nous le remettions en liberté avant son procès.
Il y a une présomption dans la loi, qui reste dans la loi, en dépit de ces modifications, selon laquelle, d'une façon générale, on peut présumer qu'un jeune sera remis en liberté en attendant son procès pour les infractions dont il est accusé. Le juge tiendrait alors compte de cela et, s'il n'y voyait pas d'inconvénient, le jeune serait libéré, mais, si le juge y voyait un inconvénient, il pourrait refuser sa remise en liberté et il aurait le pouvoir de le faire.
Je ne vois rien de mauvais là-dedans et j'appuierais l'approche du gouvernement à cet égard. Encore une fois, je pense que cela ne changera pas grand-chose, mais que ce sera utile dans un petit nombre de cas.
La deuxième partie du projet de loi est toutefois beaucoup plus problématique. Je crois que c'est un jugement de la Cour suprême du Canada il y a environ un an et demi ou deux ans qui a motivé la deuxième partie du projet de loi. Un juge d'un tribunal inférieur avait essayé d'introduire le concept de dissuasion dans les facteurs servant à déterminer la peine de l'accusé. Sa décision avait été maintenue en appel, puis la Cour suprême l'avait renversée en disant que ce concept ne faisait pas partie des critères à prendre en considération conformément à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Selon la Cour suprême, la peine doit avoir pour objectif de favoriser la réadaptation et le traitement du délinquant, de manière à ce qu'il puisse réintégrer la société aussi rapidement et efficacement que possible. Donc, la dissuasion ne fait pas partie des principes à appliquer.
Le gouvernement essaie maintenant d'introduire ce principe dans le droit en modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
J'aimerais faire valoir deux arguments. La dissuasion peut être de deux natures. On peut chercher à produire tantôt un effet dissuasif particulier, sur la personne, tantôt un effet dissuasif général.
Compte tenu, je suppose, des études réalisées dans le monde entier par des criminologues, des sociologues, des psychiatres et des psychologues, nous savons que les crimes commis par les jeunes résultent souvent de leur manque de maturité, qui les empêche de prendre les bonnes décisions. Ils agissent souvent sous le coup de l'impulsion, ce qui leur fait commettre presque invariablement un crime et parfois même un crime grave avec violence.
Dans le contexte de cette réalité psychologique, la dissuasion ne sert absolument à rien. La dissuasion ne fonctionne que dans la mesure où la personne répond à deux critères. D'abord, elle doit être consciente de la peine qu'elle encourt, ce qui n'est pas le cas de la majorité des jeunes.
L'été dernier, j'ai donné un séminaire dans une des haltes-accueil pour jeunes à Windsor. Nous avons tenu une table ronde avec des jeunes de 15 à 18 ans. J'ai été stupéfait de voir à quel point la plupart d'entre eux étaient vraiment ignorants, et j'utilise le mot ignorant ici dans son sens classique, celui de n'avoir aucune connaissance de la loi. Ils présumaient un tas de choses. Certains pensaient que les peines étaient très lourdes et d'autres pensaient qu'il n'y en avait pas du tout. Je pense que ce groupe était très représentatif des jeunes de notre pays.
Si on tient compte du fait qu'ils n'ont aucune connaissance de la loi, on sait qu'ils ne s'arrêteront donc pas pour penser au facteur de dissuasion parce qu'ils ne savent même pas qu'il y en a un. De plus, ils ne prendront pas le temps de réfléchir parce qu'ils agissent de manière impulsive. Dans la grande majorité des cas, ce n'est pas une décision délibérée qu'ils prennent. Par conséquent, la dissuasion n'a aucune influence sur eux.
Ce que notre parti a l'intention de faire en ce qui concerne le projet de loi -- et la dénonciation dont, très franchement, je me demande pourquoi le gouvernement l'a incluse --, c'est de l'appuyer à l'étape de la deuxième lecture et ensuite, à l'étape de l'étude au comité, nous chercherons à modifier cette partie compte tenu des changements pertinents qui devraient être apportés aux principes régissant la détermination des peines -- mais ce ne seront pas ces deux-là.