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Monsieur le Président, je comprends que nous discutons maintenant enfin du fond du projet de loi, pour savoir si l'on doit l'accepter ou le refuser. D'abord, nous allons voter essentiellement contre ce projet de loi pour les principales raisons que voici.
Nous croyons que lorsqu'un juge rendra une décision qui signifiera pour quelqu'un une période d'incarcération de durée indéterminée, il devra être convaincu à cet égard, hors de tout doute raisonnable. Voilà le critère sur lequel ce juge se basera pour rendre sa décision. C'est ainsi que le prescrit la loi pour tous les Canadiens — pour les gens régis par la loi canadienne et pour les Canadiens.
Je signalerai tout à l'heure que les certificats de sécurité ne s'appliquent qu'à des citoyens étrangers. Dans ces cas, puisqu'on a décidé de leur donner un droit appel, cet appel devrait être de même nature, c'est-à-dire qu'il devrait porter sur une question de fait, une question de droit ou une question mixte de droit et de fait.
Également, nous n'étions pas parfaitement satisfaits de la façon d'entourer complètement l'avocat spécial, quoique nous reconnaissions qu'une amélioration quand même importante a été apportée à la loi.
À cette heure, des gens nous regardent peut-être encore, ou certains vont peut-être nous regarder plus tard. Je voudrais quand même leur faciliter la tâche par rapport à celle que j'ai dû moi-même abattre pour comprendre cette loi. Peu de gens, ceux qui ne connaissent pas la loi, comprennent de quoi nous parlons, le nom qu'on lui donne et nos discussions.
Je voudrais d'abord préciser, pour qu'on le comprenne bien, que le certificat de sécurité est mal nommé. On devrait parler plutôt d'un ordre d'expulsion parce que c'est cela qui est recherché en pratique. Ainsi, on comprend pourquoi cela ne s'applique qu'aux étrangers et non aux Canadiens. En effet, les Canadiens, en vertu de l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, ont le droit de demeurer au Canada, d'en sortir et d'en revenir, ce qui n'est pas le cas pour les étrangers. La Charte parle de tout citoyen canadien. Donc, cela ne s'applique pas aux étrangers.
Qu'est-ce qu'un certificat de sécurité? Généralement, les services secrets peuvent croire une personne dangereuse. Dans le monde actuel, les personnes dangereuses, celles dont on a peur, ce sont des terroristes qui auraient été entraînés et qui sont envoyés pour rester au Canada, passer si possible inaperçus et, à un moment donné, entreprendre une action terroriste. C'est ce qui est arrivé entre autres le 11 septembre. Plusieurs personnes dans ces avions, qui ont participé au détournement d'avions et ensuite aux attentats suicides, avaient été ici des citoyens modèles. On les appelle des « sleeping cells » ou « cellules dormantes ». C'est assez bête, d'ailleurs, pour les gens non pas que l'on accuse puisque l'on n'accuse personne ici, mais que l'on croit être des cellules dormantes. Car la définition d'une cellule dormante, c'est le citoyen modèle par excellence. De fait, il est ici pour passer inaperçu. C'est donc un citoyen modèle. Aussi, c'est un peu injuste quand on l'évalue.
Revenons au certificat de sécurité. Il s'agit donc d'un ordre d'expulsion que recherchent deux ministres, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, parce qu'il s'agit de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et le ministre de la Sécurité publique, parce que c'est de lui, évidemment, que relève la sécurité nationale.
S'ils estiment qu'un étranger est dangereux, ils émettent un certificat qu'on appelle un certificat de sécurité, afin que cette personne soit expulsée du Canada. Ce certificat est présenté à un juge que l'on doit convaincre que la personne est dangereuse. En fait, on n'a pas à le convaincre; il n'a qu'à trouver raisonnable de penser que cette personne est dangereuse d'après la preuve qu'on lui présente.
On comprendra que si l'on estime cela, c'est parce qu'on a sur cette personne des renseignements secrets, ou d'une nature secrète. C'est pour cela qu'on entendra souvent les gens dire qu'ils ne connaissent pas la preuve dont disposent les juges. En effet, très souvent, la preuve dépend de trois types de source.
Premièrement, la source peut être nos alliés, qui nous ont communiqué ces informations à condition que nous ne les rendions pas publiques. Deuxièmement, la source peut être des agents infiltrés, qui risquent la mort si on les révèle, ou à tout le moins risquent de ne plus servir comme agents infiltrés et de perdre leur statut d'agent secret. Troisièmement, la preuve peut provenir de méthodes d'enquête ou de surveillance des groupes terroristes qu'on ne veut pas dévoiler, puisque cela aiderait les personnes concernées à contourner ces méthodes.
Ce genre de preuves est donc présenté au juge. Le juge entendra ces preuves en l'absence de l'accusé. En fait, on ne devrait pas utiliser le terme « accusé ». Il faudrait toujours éviter de parler de « l'accusé », mais plutôt dire « la personne concernée », puisque cette personne n'est pas accusée. On croit cette personne dangereuse et, parce qu'on la croit dangereuse et que c'est un étranger, on veut l'expulser du pays. Or, on ne veut pas le dire à cette personne concernée, parce que si elle est effectivement un terroriste, comme on le croit, elle pourra plus tard communiquer aux autres les méthodes d'enquête ou encore le nom de l'agent d'infiltration.
Le juge entend donc cette preuve en l'absence de la personne concernée et en l'absence de son avocat, si elle en a un. Dès lors, le juge décide effectivement des éléments de preuve qu'il peut communiquer à la personne concernée. Par exemple, si l'on sait que cette personne a subi un entraînement au Pakistan et qu'on l'ait vue dans telle ville faire telle chose, le juge peut donc lui dire qu'on l'a vue, sans nommer la personne qui l'a vue, ni mentionner comment on l'a su, ni dévoiler le nom des personnes qui ont fourni directement ces informations.
La personne concernée peut alors tenter d'expliquer pourquoi elle est allée au Pakistan et tenter de convaincre le juge qu'elle n'a pas reçu d'entraînement terroriste et qu'elle ne fait donc pas partie d'une de ces cellules dormantes dont nous avons peur. On constate donc que les moyens de contester sont limités, étant donné que la personne ne connaît pas les renseignements de nature confidentielle qui sont probablement les plus importants.
En fait, il s'agit d'un ordre d'expulsion. Il suffit donc que la personne sorte du pays pour qu'elle continue ses activités. Or, pourquoi certaines personnes ne sortent-elles pas? C'est parce que dans quelques-uns de ces cas — qui sont plus courants maintenant —, si ces gens retournent chez eux après avoir été expulsés pour des raisons de sécurité, ils risquent certainement la prison dans le pays où ils iront, notamment le Maroc, la Syrie et beaucoup de pays du Moyen-Orient. Non seulement ils sont assurés d'aller en prison, mais comme on les soupçonnera d'être des terroristes, on va probablement les torturer. Cela est arrivé à plusieurs d'entre eux récemment. On les torture parfois jusqu'à les tuer.
Pour cette raison, ces gens-là ne veulent pas sortir du Canada et contestent la demande d'expulsion, parce qu'ils ont justement peur d'aller dans ces pays. D'autres contestent la demande d'expulsion parce qu'ils sont au Canada depuis plusieurs années: ils ont eu des enfants ici, ils ont fondé une famille, ils ont un emploi et c'est devenu leur pays, et ce, même s'ils n'ont pas obtenu la citoyenneté canadienne. Voilà donc des raisons de contester la demande d'expulsion.
Maintenant, comme on estime que ces personnes sont dangereuses, on pensera à les incarcérer pendant le déroulement des procédures, pour éviter qu'elles ne se sauvent et qu'elles n'aillent s'installer ailleurs au Canada sous une nouvelle identité, ou quoi que ce soit. On pensera donc à une forme d'incarcération. C'est vrai que ces personnes peuvent toujours se libérer en sortant du pays. C'est pourquoi certains députés de cette Chambre disent, mais sans jamais expliquer ce que cela veut dire: « It's a three wall prison », donc « C'est une prison à trois murs. »
Si je conserve cette même image, je réponds à cela que c'est peut-être une prison à trois murs, mais du côté où il n'y a pas de mur se trouve un précipice, dans certains cas. Ainsi, la personne ne peut pas tellement plus sortir, parce qu'elle est assurée de mourir si elle sort de la prison par ce côté. C'est pour cette raison que ces personnes ne veulent pas être expulsées.
Dès lors, on comprend beaucoup mieux la situation. D'abord, on comprend que ce ne sont pas des citoyens canadiens et qu'ils ne sont accusés de rien. C'est simplement parce qu'on a des informations selon lesquelles ils sont membres d'un groupe terroriste. Cependant, on n'a pas à démontrer hors de tout doute raisonnable ces informations au juge. Il suffit que le juge pense que cette croyance est raisonnable pour qu'on les maintienne en prison. Or, on peut les maintenir ainsi pendant plusieurs années. En fait, ils sont en prison pour une durée indéterminée. C'est pour cette raison que la Cour suprême a statué que ce n'était pas seulement une question administrative. En effet, ces personnes ont certains droits. À mon avis, c'est la chose la plus importante.
Je voudrais lire quelques extraits de la décision de la Cour suprême pour que l'on voie bien l'esprit de cette dernière. Selon elle, il ne s'agit pas simplement d'une décision administrative, mais c'est une question aussi grave que les accusations criminelles. Même s'ils n'ont jamais été accusés, c'est aussi grave et il faut leur reconnaître certains droits. Au paragraphe 60, on dit:
C’est une chose de ne pas communiquer tous les renseignements à une personne lorsque seul est en jeu le prélèvement de ses empreintes digitales, c’en est une tout autre de refuser de lui transmettre des renseignements lorsqu’elle peut être renvoyée du pays ou détenue pendant une période indéterminée. Qui plus est, même dans les situations moins attentatoires, les juges ont insisté sur la nécessité de divulguer l’information la plus précise et la plus complète possible.
Comme ils le disent, il s'agit d'une décision grave. Il faut divulguer l'information.
Je vais un peu plus loin pour comprendre aussi l'historique. Il s'agit d'une procédure d'expulsion. Les gens se souviendront peut-être que, cet été, un individu a été arrêté à Dorval. Je crois qu'il était Russe, mais on n'était pas certains de sa nationalité quand on l'a arrêté. Il avait plusieurs pièces d'identité, beaucoup d'argent de différentes dénomination et ainsi de suite. On a émis un certificat de sécurité contre lui et il est parti. Cela n'a pas été long. Il est parti et il n'est pas en prison. Il est retourné chez lui ou ailleurs. Ceux qui restent ici le font parce qu'ils ne peuvent pas sortir du Canada sans craindre la torture ou la mort.
Au paragraphe 91, la Cour suprême rappelle que:
Le gouvernement ajoute qu’au moment de rédiger les dispositions pertinentes, le législateur croyait que le processus de renvoi serait à ce point rapide qu’aucun contrôle ne serait nécessaire.
À cause de ce que j'ai expliqué, on comprend que maintenant, cela prend plus de temps. Certains sont restés en prison cinq, six et huit ans à cause des certificats de sécurité. C'est donc une détention très pénible. Au paragraphe 96, la Cour suprême dit:
Il est vrai que la détention en soi n’est jamais agréable, mais elle n’est cruelle et inusitée au sens juridique que si elle déroge aux normes de traitement reconnues. L’absence des moyens requis par les principes de justice fondamentale pour contester une détention peut en faire une détention d’une durée indéterminée arbitraire et servir à étayer l’argument selon lequel elle est cruelle ou inusitée. (Cela pourrait aussi valoir pour des conditions de libération sévères, qui restreignent sérieusement la liberté d’une personne sans qu’elle ait la possibilité de contester ces restrictions.)
On a vu dans les journaux les gens qui se plaignent du bracelet, des conditions au domicile et ainsi de suite. Au paragraphe 98, les juges disent:
On reconnaît cependant, de façon plus restrictive, que la détention d’une durée indéterminée dans des circonstances où le détenu n’a aucun espoir d’être libéré ni aucune voie de droit pour obtenir une remise en liberté peut lui causer un stress psychologique et constituer un traitement cruel et inusité.
Plus loin, au paragraphe 105, ils ajoutent:
Il est donc clair que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui n’impose en principe la détention qu’en attendant l’expulsion, peut en fait permettre une détention prolongée ou pour une durée indéterminée et l’assujettissement à de sévères conditions de mise en liberté pendant une longue période.
Au paragraphe 107, la Cour suprême indique:
Ces principes m’amènent à conclure que la justice fondamentale visée à l’art. 7 et le droit à la protection contre tous traitements cruels ou inusités garanti par l’art. 12 exigent que la détention d’une personne ou son assujettissement à de sévères conditions de mise en liberté pendant une longue période, en vertu du droit de l’immigration, soient assortis d’un processus valable de contrôle continu qui tienne compte du contexte et des circonstances propres à chaque cas.
On voit très bien que c'est à cause des conséquences que peut-être, dans des cas exceptionnels, ces décisions signifient une incarcération d'une durée indéterminée et que la Cour pense qu'il faut des garanties procédurales élevées.
Nous poursuivons le raisonnement de la Cour suprême et nous l'appliquons aux dispositions qui nous sont présentées. On comprend qu'aucun Canadien ne peut faire l'objet d'un certificat de sécurité, mais il arrive parfois dans notre droit que des gens soient tellement dangereux que l'on veuille appliquer certaines dispositions, comme dans la partie XXIV du Code criminel. Il arrive parfois que l'on dise que ces gens doivent être en prison pour une durée indéterminée. C'est une sentence très sévère, bien qu'un peu moins qu'un emprisonnement à vie.
Dans ces cas, les juges doivent en être convaincus. Ils ne doivent pas penser que les raisons pour lesquelles on les pense dangereux sont raisonnables, comme dans les cas des étrangers contre lesquels on émet cet ordre d'expulsion. Les juges doivent en être convaincus. Nous aurions voulu que la décision du juge, qui peut signifier un emprisonnement pour une durée indéterminée, soit prise à partir du même critère, soit le fait d'être convaincu hors de tout doute raisonnable. Voilà l'un des deux principaux motifs pour lequel nous voterons contre le projet de loi.
Le deuxième motif concerne la décision d'aller en appel. D'abord, il faut préciser qu'on a décidé de rétablir un appel. Il y en avait un auparavant pour la procédure effectuée en vertu d'un certificat de sécurité, mais il a été aboli au début de la dernière décennie. On a toutefois décidé de le rétablir. Il s'agit cependant d'un appel assez bizarre. Pour garder la personne en prison et maintenir le certificat de sécurité et l'ordre d'expulsion, il faut que ce soit le juge lui-même qui décide que sa décision est une question de droit d'intérêt général. On pourrait aller en appel sur cette question, et c'est lui qui préparera et rédigera l'avis d'appel pour la personne.
Si vous étiez celui qui vient d'être condamné, vous n'auriez peut-être pas une très grande confiance dans la façon dont le juge présentera votre cas à la Cour d'appel. En fait, il s'agit d'un appel qui est fait pour l'avancement du droit, ce qui est bien noble. C'est un peu comme la recherche médicale, excepté que dans ce cas, cela n'affecte pas beaucoup le patient.
J'ai demandé aux fonctionnaires où ils ont pris cette procédure d'appel dont je n'ai jamais entendu parler en 30 ans de pratique du droit. Ils m'ont répondu que c'était dans les causes de droit administratif. Toutefois, les juges disent aux fonctionnaires que ce n'est pas du droit administratif. C'est pour cette raison que cela impose des conditions pour la rendre constitutionnelle. La décision rendue est tellement grave qu'elle est de nature criminelle. Ce n'est pas ce qu'ils disent, mais au fond, ça revient à cela. On demande donc d'améliorer la procédure pour que la personne concernée puisse mieux faire valoir son point de vue, et ce, en toute connaissance de cause dans la mesure du possible.
Lorsqu'on estime un Canadien dangereux et qu'on veut le condamner à une période d'emprisonnement, voici ce qu'on dit à l'article 759 du Code criminel:
Le délinquant déclaré délinquant dangereux sous l’autorité de la présente partie peut interjeter appel d’une telle déclaration à la Cour d’appel sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait.
Dans un cas aussi grave, pourquoi ne donne-t-on pas les mêmes droits à une personne qui, rappelons-le, n'est accusée de rien et n'a jamais été trouvée coupable de rien? Il y a simplement des informations au sein des agences de sécurité qui font qu'on la pense dangereuse. Si l'on doit considérer les étrangers que l'on estime dangereux sur un simple caractère raisonnable, il me semble qu'on devrait leur donner au moins autant de chances que l'on donne aux Canadiens que l'on veut mettre en prison parce qu'ils sont des délinquants dangereux, coupables hors de tout doute raisonnable, et qui ont d'ailleurs été condamnés pour plusieurs infractions avant que l'on utilise la procédure de délinquants dangereux contre eux. Il faut donner au moins autant de droits aux étrangers. Voilà pourquoi, encore une fois, on aurait voulu améliorer cette loi. Cela a été impossible et voilà pourquoi nous ne l'acceptons pas et nous votons contre celle-ci.
Quand le ministre dit qu'il s'agit d'une affaire qui devrait aller au-delà des partis et qu'on devrait avoir une autre attitude, je ne vois pas ce qu'il y a de partisan dans notre attitude. Pour une décision aussi importante, il aurait dû rechercher le consensus de l'ensemble des députés.
Après une longue journée, j'espère tout de même avoir réussi à éclairer certaines personnes qui ne comprenaient pas ce que sont les certificats de sécurité. Ce qu'il faut retenir, c'est que c'est une ordonnance d'expulsion parce que l'on estime qu'il s'agit de gens dangereux. Le certificat de sécurité ne s'applique qu'à des étrangers et non pas aux Canadiens. On ne leur donne pas toute la preuve parce que...
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Monsieur le Président, je suis heureux de participer au débat en troisième lecture sur le projet de loi .
Comme nous le savons, ce projet de loi porte sur la procédure des certificats de sécurité, qui fait partie de la Loi sur l'immigration du Canada. Si nous en débattons ce soir, c'est parce qu'en février 2007, à la suite d'une contestation en Cour suprême, cette procédure a été jugée inconstitutionnelle.
En réalité, la procédure des certificats de sécurité est une procédure accélérée d'expulsion. C'est une procédure de renvoi utilisée dans le cas de personnes qui sont considérées comme ayant enfreint la Loi sur l'immigration. Cette disposition est dans la Loi sur l'immigration et ne s'applique qu'aux résidents permanents et aux visiteurs, non pas aux citoyens canadiens. Je pense que cette procédure accélérée de renvoi ne devrait être utilisée que pour des problèmes relevant de la Loi sur l'immigration. Elle devrait être réservée exclusivement aux affaires d'immigration.
Malheureusement, ce n'est pas la manière dont elle est utilisée. À mon avis, elle est une façon détournée de gérer les problèmes relatifs au terrorisme, à la sécurité nationale, aux activités d'espionnage et au crime organisé. C'est un mécanisme secondaire qui permet de régler les problèmes de notre système de justice pénale qui sont extrinsèques au Code criminel, ou que nous ne pouvons apparemment pas régler. En réalité, la situation est probablement autre.
Il s'agit d'une procédure particulièrement bancale. Elle permet la détention pour une durée indéterminée, sans inculpation, sans procès, sans déclaration de culpabilité, de personnes soupçonnées de terrorisme, d'espionnage, soupçonnées de représenter une menace pour la sécurité canadienne ou d'appartenir au crime organisé. Je tiens à préciser que cette procédure n'aboutit pas à une mise en accusation, à un procès ou à une condamnation. Elle permet simplement de détenir pour une durée indéterminée une personne soupçonnée d'avoir commis ces crimes graves.
Elle prive la personne accusée, la personne nommée, la personne détenue, d'un procès équitable, ce qui signifie que la personne ne jouit pas de l'accès habituel aux principes et garanties de notre système de justice pénale. Dans les affaires liées aux certificats de sécurité, la norme de preuve est beaucoup moins exigeante. Les accusations portées contre la personne n'ont pas besoin d'être prouvées hors de tout doute raisonnable, comme dans un tribunal pénal. Le fardeau de la preuve pèse moins lourd sur la balance des probabilités et je pense que c'est une autre grave lacune de cette procédure.
Il est difficile pour les accusés de vérifier les preuves qui pèsent contre eux, en partie parce que ni eux ni leur avocat ne connaissent toutes ces preuves. Les règles habituelles en matière de vérification des preuves présentées en cour ne n'appliquent donc pas en l'occurrence. Je pense que le fait que toutes les preuves ne soient pas communiquées à l'accusé et à son avocat est un grave problème.
Une autre lacune importante de ce processus est qu'il pourrait envoyer des gens se faire torturer ou persécuter dans un autre pays. C'est un problème très grave, et c'est probablement pourquoi un grand nombre de ces personnes sont encore ici. Le gouvernement répète constamment que ces gens sont libres de quitter le Canada quand ils le veulent. Bien que cela soit vrai, on ne peut s'empêcher de se demander ce qui est possible pour des gens qui ont été accusés de crimes aussi graves, qui ont été accusés de terrorisme mais dont la culpabilité n'a jamais été prouvée.
Ils n'ont pas vraiment la possibilité de quitter le Canada après qu'une telle accusation ait été portée contre eux, surtout lorsqu'on sait qu'un grand nombre des pays d'où ces gens proviennent pratiquent régulièrement la torture et que, si on les renvoyait là-bas, ils seraient certainement emprisonnés. Ils pourraient également être torturés ou même tués.
Quand les gens disent que nous devons maintenir le processus de certificat de sécurité pour combattre le problème du terrorisme, je ne suis pas d'accord, car je crois que cela compromet gravement notre système de justice pénale. Cela compromet certains principes durement acquis de notre système judiciaire.
Nous avons affaire ici à certaines des accusations les plus graves qui puissent être portées contre une personne dans notre société, à savoir des accusations de terrorisme, d'espionnage, de menaces à la sécurité ou de crime organisé. Je ne peux pas penser à beaucoup de crimes qui seraient jugés plus graves par les Canadiens.
Malheureusement, le but des certificats de sécurité, c'est tout juste de faire sortir les gens du Canada. Le but n'est pas de mettre ces gens en accusation et de les condamner ou de les punir pour leurs crimes. C'est simplement de faire en sorte qu'ils quittent le Canada pour de bon.
Rien n'est fait pour tenter de porter des accusations contre les gens visés par les certificats de sécurité, ni au Canada ni dans leur pays d'origine. Ce n'est pas la même chose qu'un processus d'extradition où on renvoie une personne dans son pays d'origine ou ailleurs où elle sera mise en accusation ou jugée pour des crimes graves.
En un sens, le projet de loi permet à des personnes accusées d'actes criminels très graves d'échapper à la justice si elles acceptent de quitter le Canada. Il ne permet pas de punir des coupables ou de prouver qu'un crime très grave a été commis.
Je ne pense pas que les certificats de sécurité rendent le Canada plus sûr et accroisse la sécurité des Canadiens. Je ne pense pas qu'ils permettent de s'occuper d'actes criminels très graves. Les crimes qui devraient entraîner des poursuites ont trait au terrorisme et à des atteintes à la sécurité nationale.
Si notre Code criminel ne permet pas d'accuser les personnes visées par les certificats de sécurité, c'est qu'il y a dans le code des problèmes à corriger. Nous ne devons pas nous en remettre à un mécanisme de second ordre contenu dans le droit de l'immigration pour incarcérer des individus indéfiniment ou jusqu'à ce qu'ils choisissent eux-mêmes de quitter le Canada. C'est une manière inacceptable d'aborder les crimes très graves visés.
Cet après-midi, le secrétaire parlementaire a mentionné au cours du débat — et je crois qu'il a présenté cela comme une qualité de la mesure législative — que l'an dernier, un individu accusé d'espionnage industriel avait quitté volontairement le Canada. Il me semble que l'espionnage industriel, ou quelque forme d'espionnage que ce soit, constitue un acte criminel grave. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on a permis que cet individu puisse quitter le Canada sans jamais être accusé ou jugé, déclaré coupable et puni pour son crime.
Il me semble que nous pourrions être plus sévères envers les criminels en jugeant au Canada les auteurs de tels crimes très graves. Si le Code criminel ne permet pas de telles poursuites, alors il faut corriger le problème et ne pas nous en remettre à un mécanisme de second ordre pour nous occuper des auteurs de ces crimes.
La plupart des Canadiens avec qui j'en ai parlé sont outrés d'apprendre qu'il est possible, au Canada, qu'une personne soit mise en prison pendant une période indéfinie sans procès. Les certificats de sécurité le permettent bel et bien. Je crois qu'on dénature ainsi complètement et de façon indéfendable notre système de justice pénale et beaucoup de Canadiens pensent comme moi.
Les gens ne parviennent tout simplement pas à croire que nous puissions mettre des individus en prison indéfiniment sans jamais qu'ils soient jugés ou condamnés par un tribunal. Cela est inacceptable pour la plupart des Canadiens.
On a dit à maintes reprises que six personnes étaient actuellement détenues au Canada en vertu de certificats de sécurité. Je crois savoir que 28 certificats de sécurité ont été délivrés depuis leur inclusion dans notre législation en matière d'immigration. Cinq personnes sont visées par de tels certificats depuis le 11 septembre 2001. Il s'agit de Hassan Almrei, Mohammad Mahjoub, Mahmoud Jaballah, Mohamed Harkat et Adil Charkaoui. Je suis très préoccupé du fait que ces hommes sont tous musulmans et arabes.
J'aimerais parler un peu des répercussions que les certificats de sécurité ont eues sur les personnes qui en font l'objet, à commencer par Hassan Almrei.
M. Almrei a été placé en détention peu après le 11 septembre 2001. Il est actuellement détenu au Centre de surveillance de l'Immigration de Kingston, centre construit pour accueillir les détenus en vertu de certificats de sécurité. C'est une prison à sécurité maximale située sur le site de la prison à sécurité maximale de Millhaven. M. Almrei est le seul des cinq qui soit toujours détenu; il en est à sa septième année de détention. Le centre a été construit pour garder jusqu'à six détenus, et M. Almrei est le seul qui reste.
La détention de M. Almrei a été ponctuée d'une série d'incidents graves que nombre de Canadiens jugeraient inacceptables. Par exemple, lorsqu'il se trouvait au centre de détention Metro West de Toronto avant la construction du Centre de surveillance de l'Immigration de Kingston, M. Almrei a dû faire une grève de la faim pour obtenir une paire de chaussures.
Voilà un exemple des conditions de détention dans lesquelles il se trouvait. Il ne pouvait même pas avoir une paire de chaussures. Il a fait une grève de la faim de plusieurs jours afin d'obtenir des chaussures. Je crois que la plupart des Canadiens jugeraient cela inacceptable. Pourtant, c'est là un des aspects de la bataille continue que M. Almrei livre depuis qu'il est détenu en vertu d'un certificat de sécurité.
L'année dernière, il a fait une grève de la faim qui a duré 156 jours. Il n'a bu que de l'eau et du jus d'orange. Il est difficile de s'imaginer qu'on puisse survivre aussi longtemps sans s'alimenter. Sa santé était précaire au bout de cette période, et nous étions plusieurs à craindre qu'il ne meure.
Je répète qu'il faisait la grève de la faim pour protester contre ses conditions d'emprisonnement. Il ne protestait pas contre le problème global des certificats de sécurité, mais bien contre les conditions dans lesquelles il était détenu au Centre de surveillance de l'immigration de Kingston, le CSIK. Le fait qu'une personne doive aller jusqu'à risquer sa vie pour protester contre les conditions de sa détention est très grave, surtout lorsque cette personne n'a jamais été accusée, ni trouvée coupable d'avoir commis un crime au Canada.
Au CSIK, il n'y a pas de programme pour les détenus. Contrairement à un pénitencier fédéral, où les détenus ont de nombreuses possibilités, rien n'est prévu pour une personne détenue en vertu d'un certificat de sécurité. M. Almrei n'a aucune possibilité.
Je suis aussi très préoccupé par le fait que M. Almrei soit le seul prisonnier au Centre de surveillance de l'immigration de Kingston. Je pense que c'est là un cas d'isolement cellulaire. La majorité des Canadiens seraient sans doute consternés d'apprendre qu'une personne peut être détenue toute seule dans une prison durant presque une année. Une telle situation a des répercussions importantes.
En décembre dernier, un groupe international d'experts en isolement cellulaire et en incarcération s'est réuni à Istanbul pour discuter de la question de l'isolement cellulaire. Ils ont mentionné un certain nombre de points très importants dont il faut tenir compte. Or, la situation de M. Almrei correspond à un certain nombre de ces points, comme par exemple l'absence de contacts sociaux sur une base régulière. La réalité c'est qu'au Centre de surveillance de l'immigration de Kingston, M. Almrei n'a aucun contact social avec qui que ce soit, sauf les gardiens qui, la plupart du temps, ne sont pas intéressés à socialiser avec lui. Ils le surveillent.
La pression psychologique créée par ce genre de situation sur une longue période est très forte, et je pense que ce point est confirmé par les experts internationaux. M. Almrei n'a pas de famille au Canada. Par conséquent, il ne reçoit pas la visite régulière de personnes avec qui il a des liens personnels et affectifs forts. Il m'a souvent semblé que son incarcération, et les conditions de celle-ci, visent à le forcer à prendre la décision de quitter le Canada volontairement, ce qui a aussi des répercussions très importantes.
Je vais citer une phrase tirée de la déclaration que ces experts ont faite à Istanbul, en décembre. Ils ont dit: « Lorsque des régimes d'isolement sont utilisés intentionnellement pour exercer une pression psychologique sur des prisonniers, une telle pratique devient coercitive et devrait être tout à fait interdite ».
Dans cette prison à trois murs, les conditions sont très difficiles et les contacts sociaux, très limités. La seule option, c'est de dire: « J'abandonne et je veux m'en aller. »
Comme mon collègue de l'a dit tout à l'heure, ce n'est pas vraiment une prison à trois murs, car du côté où il n'y a pas de mur, il y a un immense précipice. En effet, nous connaissons les dangers auxquels il s'expose s'il décide de quitter le Canada pour retourner en Syrie. Il serait presque assurément jeté en prison, torturé et peut-être même tué. Ce n'est simplement pas une option. Cette situation renforce les conditions qui entourent l'isolement cellulaire et rendent la chose très controversée.
Ce que je voulais dire également au sujet de la situation de M. Almrei, c'est que la cause de sa détention indéfinie est liée au fait qu'il n'a pas de famille au Canada. Les quatre autres hommes qui ont été détenus à divers moments ont tous été relâchés parce qu'un membre de leur famille, généralement leur conjointe, a accepté d'assurer leur détention au nom du Canada. Leur conjointe a accepté d'être avec eux 24 heures sur 24 et de savoir ce qu'ils font à toute heure du jour.
Malheureusement, comme M. Almrei n'a pas de conjointe, il n'y a personne qui soit disposé à assumer cette responsabilité au nom de la société canadienne. Des membres de la collectivité ont proposé divers arrangements, mais les tribunaux n'ont pas jugé bon de les autoriser.
C'est un énorme problème. Nous avons ici une personne qui est détenue pour une période indéfinie en isolement, essentiellement, dans un établissement correctionnel, un centre de détention, construit expressément à cette fin, et la seule raison pour laquelle elle s'y trouve, c'est qu'elle n'a aucun proche qui soit disposé à assurer sa détention à l'extérieur de cet établissement.
Je pense que l'effet sur d'autres personnes qui ont été libérées est également très considérable parce que le moins qu'on puisse dire c'est que les conditions de libération auxquelles les quatre autres hommes sont soumis sont loin d'être une sinécure. Ce sont les conditions de mise en liberté les plus sévères jamais vues dans toute l'histoire canadienne.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, ces hommes doivent être supervisés par un membre de leur famille 24 heures par jour, sept jours par semaine, sans exception, souvent par le même membre de la famille ou par deux personnes de la famille. Par conséquent, un nombre très limité de personnes peuvent s'acquitter de cette tâche. Leur capacité de sortir de la maison est limitée.
Ils portent un bracelet émetteur à la cheville et un détecteur mondial de positionnement. Dans le cas de certains d'entre eux, des caméras de surveillance sont installées à domicile. Leurs sorties de la maison et la durée de celles-ci sont très limitées, et elles doivent toutes être approuvées à l'avance. Il en est de même des visiteurs qui doivent faire l'objet d'une enquête avant de pouvoir leur rendre visite.
Cette situation engendre un énorme stress pour les familles, pour les épouses et pour les enfants de ces hommes. Quand on voit que ces relations ont résisté en dépit de ces terribles conditions, j'estime qu'il faut rendre hommage à la force des liens qui unissent ces familles et qui unissent ces hommes et leurs épouses.
Je pense qu'aucun d'entre nous ne peut s'imaginer devoir passer 24 heures par jour avec son épouse ou voir celle-ci assumer la responsabilité de geôlier comme ces femmes sont tenues de le faire en vertu de la loi. J'estime qu'il faut reconnaître la force des relations qu'ils continuent d'entretenir.
Encore une fois, je veux simplement souligner que tout cela arrive à des hommes qui n'ont jamais été ni accusés, ni trouvés coupables d'un crime. Il est difficile de croire que cela se passe ici même au Canada.
Cette mesure législative devait apparemment proposer une solution, un avocat spécial nommé par le tribunal, qui aurait accès à plus d'éléments de preuve et qui agirait au nom de la personne détenue en vertu d'un certificat de sécurité. À mon avis, ce n'est pas une solution. J'estime que ce n'est rien de plus qu'une tentative pour rafistoler une mesure législative comportant de graves lacunes.
Des systèmes semblables ont été mis en place dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. Au Royaume-Uni, certains avocats spéciaux ont quitté leur emploi parce qu'ils ne pouvaient pas accepter de continuer de participer au processus tel qu'il était. En fait, l'un d'eux a déclaré que le processus des avocats spéciaux ne servait qu'à donner un verni de respectabilité à un processus très imparfait.
Cela va également à l'encontre de l'un des grands principes de notre système de justice, à savoir que les gens devraient pouvoir choisir leur avocat et se faire représenter par une personne de leur choix, en qui ils ont confiance.
Je pense qu'il est très intéressant de voir que le gouvernement fédéral, pour se préparer, prématurément, je l'espère, à l'adoption de ce projet de loi, a tenté de trouver des avocats désireux de faire fonction d'avocats spéciaux et qu'il n'a reçu que 50 candidatures et a même dû prolonger la période de recrutement.
Je pense que cela tient au fait que bon nombre d'avocats au Canada, sinon la plupart, sont conscients des lacunes de cette mesure législative et de la difficulté du rôle qui incombera à l'avocat spécial et qu'ils n'approuvent pas ce type d'arrangement.
Je pense que nous aurions pu faire bien mieux pour régler les problèmes que posent les craintes entourant le terrorisme, les menaces à la sécurité de la société canadienne, l'espionnage et le crime organisé. Je pense qu'il n'est pas indiqué d'utiliser cette procédure de second ordre en matière d'immigration pour traiter de ces questions très graves d'ordre criminel.
Je crois que les gens qui ont commis ce genre de crimes devraient être accusés d'un crime, jugés dans un tribunal pénal et bénéficier des protections habituelles qu'offre un tribunal pénal. Les tribunaux pénaux offrent un processus permettant de traiter les questions de sécurité nationale et les problèmes associés aux preuves ayant une incidence sur la sécurité nationale. Nous devrions recourir à ce processus, et non à cette procédure de second ordre en matière d'immigration, pour traiter ces questions très graves. En effet, il n'y pas de questions pénales plus graves auxquelles nous pourrions être confrontés dans notre société.
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Monsieur le Président, je pense que je serai la dernière personne à parler à la Chambre ce soir du projet de loi . Compte tenu que nous pouvons prévoir comment les conservateurs et les libéraux voteront demain, je considère que nous touchons à la fin de la phase de lutte contre les certificats de sécurité et leur utilisation au Canada.
Mon parti et moi-même nous opposons avec véhémence à l'utilisation de cet instrument. Notre position remonte à très longtemps. Cet instrument contrevient de manière si fondamentale aux valeurs de notre système de justice pénale et aux valeurs que nous rattachons aux droits de la personne et aux libertés civiles, et que je croyais sacrées.
Ce processus, cet instrument, déroge à notre fière tradition comme pays, qui consiste à nous efforcer — même si nous n'arriverons peut-être jamais à la perfection — de respecter les droits de la personne.
Notre histoire est ponctuée de cas d'abus: la Loi sur les mesures de guerre; notre traitement des Canadiens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale et des membres des communautés italienne et allemande durant les deux guerres mondiales; certains gestes que nous avons commis à l'égard de la communauté juive et de la communauté sikhe.
Si nous examinons notre histoire, nous voyons que nous avons toujours commis des violations. Nous nous sommes éloignés des valeurs fondamentales de la population parce que nous avions peur. Nous nous sommes laissés guider par la peur et la panique. Lorsque je dis « nous », je ne veux pas dire le peuple canadien, mais plutôt les législateurs, les décideurs, ceux qui élaborent des politiques.
Le recours à la Loi sur les mesures de guerre en 1970 est un cas classique. Tout comme la décision, en 1939, d'arracher les Canadiens d'origine japonaise à leurs maisons et à leurs entreprises, de les incarcérer pendant toute la durée de la guerre et de prendre leurs biens.
Le processus des certificats de sécurité s'inscrit dans la foulée des mesures prises par les décideurs mus par la peur et la panique. Demain, la Chambre va prendre le même genre de décision sordide. Nous ne le faisons pas par nécessité. Nous agissons ainsi parce que nous avons peur, parce que nous pensons que la guerre contre le terrorisme ne peut se gagner qu'à l'aide de ce type d'instrument.
Dès que nous aurons fait un pas dans cette direction, nous aurons failli, nous aurons perdu la guerre. Nous disons à ces gens qui agiraient de façon criminelle et violente à des fins politiques que s'ils nous menacent ainsi, nous abandonnerons nos valeurs. Nous abandonnerons les protections. Nous abandonnerons le respect des droits de la personne et des libertés civiles dans notre pays.
C'est ce que nous avons fait il y a environ 30 ans. Si nous revenons en arrière et que nous examinons ce qui s'était produit alors, nous constaterons que, à bien des égards, nous avons agi ainsi parce que c'était plus pratique pour expulser des gens du pays. Les certificats de sécurité ne peuvent être utilisés que contre des ressortissants étrangers. Je le répète, ce fut une très mauvaise décision que de justifier l'utilisation de tels moyens simplement parce qu'ils étaient pratiques et qu'ils facilitaient l'expulsion de personnes hors du pays. Comme cela arrive souvent lorsque nous prenons ce genre de mauvaises décisions, nous n'entrevoyons pas les conséquences imprévues.
Si on étudie la vingtaine de certificats émis depuis le 11 septembre 2001, on pourrait croire qu'il n'y a pas eu d'abus. Quelques cas célèbres se sont rendus jusqu'en Cour suprême, mais nous pouvons soulager notre conscience en affirmant qu'en général personne n'a été gravement blessé lorsque nous en avons fait usage, en autant que le départ du pays ait été fait volontairement.
Il y a eu un cas avant les événements du 11 septembre, mais six après. Ajoutons à cela la réalité de la Cour suprême du Canada rendant sa décision cruciale. Elle a déclaré qu'on ne pouvait pas renvoyer des gens dans leur pays d'origine si on avait des motifs raisonnables de croire qu'ils risquaient la torture ou la mort, ou que cela posait un risque pour leur sécurité personnelle. Un tel cas s'est produit peu avant les attentats du 11 septembre. Après cela, nous avons décidé d'utiliser plus souvent les certificats de sécurité.
Même si l'ancien gouvernement libéral et le gouvernement conservateur actuel ont toujours refusé de l'admettre, il est honteux également qu'on se soit servi de ce procédé presque exclusivement, à une exception près, contre la population musulmane du pays. Ce n'est pas une coïncidence. Nous baignons dans un climat de peur à cause de la paranoïa qui nous vient des États-Unis. Nous avons succombé à la peur et à la pression des Américains et nous nous sommes servi de ces certificats dans cinq ou six cas.
Dans 10 ou 20 ans, les historiens analyseront la présente période en y voyant des similitudes avec ce qui s'est produit en 1970. Le gouvernement, naguère libéral et aujourd'hui conservateur, n'a pas eu le courage de défendre l'idée que les valeurs essentielles du pays sont plus fortes que la violence qui peut le menacer. Les Canadiens sont capables de résister sans abandonner les libertés civiles et les droits de la personne dont ils jouissent.
Quelles conséquences indésirables sont en train de se produire? Eh bien voilà qu'on se retrouve avec cinq causes. La décision de la Cour suprême est invoquée systématiquement devant les tribunaux. On ne peut pas renvoyer les personnes visées dans leur pays d'origine, même si elles ne savent pas quelles accusations pèsent contre elles. On ne peut pas les renvoyer parce qu'elles risquent d'être torturées ou mises à mort là-bas. Les tribunaux sont encore en train d'entendre ces causes. Le ministère de la Justice et les services de sécurité du pays défendent le point de vue du gouvernement. Les personnes visées et leurs avocats font valoir le point de vue inverse.
En fin de compte, nous sommes coincés. Ces certificats sont inefficaces. Nous ne pouvons pas expulser les personnes visées, et nous nous retrouvons avec le problème tout entier sur les bras. Nous commettons des abus. Quiconque a un minimum de connaissances en matière de libertés civiles et de droits de la personne vous le dira en examinant la question en toute objectivité. Le système est mauvais et ne fonctionne pas. Il n'est même pas efficace.
En tant que société, en tant que gouvernement, nous nous retrouvons avec cinq affaires, des personnes incarcérées indéfiniment qui n'ont pas été accusées et qui ne sont pas au courant des allégations qui pèsent contre elles dans la grande majorité des cas. Par conséquent, nous sommes aux prises avec cette situation, qui semble sans fin.
Je veux revenir sur l'affaire Suresh, qui s'est rendue devant la Cour suprême du Canada. Elle dure depuis 20 ans. L'accusé n'est pas d'origine musulmane. On a déterminé qu'on ne pouvait pas le renvoyer dans son pays. Il a finalement été libéré après de nombreuses années. Il fait encore l'objet d'un certificat de sécurité. Il vit dans notre pays et, depuis presque 20 ans, il ne présente aucune menace pour notre sécurité. Il n'a certainement commis aucun acte violent au pays.
C'est une des affaires les plus anciennes, mais il y en a d'autres. Des gens qui ont été incarcérés ont maintenant été libérés, à l'exception, comme mon collègue l'a mentionné, de la personne qui est encore détenue à la prison de Kingston. Cependant, les autres qui ont été libérés vivent dans des circonstances très difficiles, et le gouvernement ne leur a donné aucun espoir que leur situation se réglerait un jour. C'est une incarcération à perpétuité qui ne s'arrêtera jamais, à ce qu'il semble.
C'est la conséquence non voulue de cette mesure. C'est tellement typique. Quand nous avons recours à des mesures extrêmes, et, selon moi, les certificats de sécurité en sont un exemple, et que nous minons les valeurs de base auxquelles tous les Canadiens croient, nous commençons à paniquer et à dire que nous allons faire des compromis.
On nous dit sans cesse qu'il faut trouver l'équilibre. Le problème est que, quand nous prenons les décisions, la balance penche toujours du côté des restrictions et on ne trouve pas l'équilibre puisque, je le répète, nous n'avons pas le courage de croire en nos valeurs fondamentales, ces droits que nous avons établis depuis la naissance de notre pays, et même avant, si on remonte dans l'histoire de nos deux mères patries, ces droits que nous avons renforcés pendant toute notre histoire, jusqu'à aujourd'hui. Si nous n'y croyons pas, si nous ne les respectons pas et si nous ne les protégeons pas, alors c'est le début de la fin.
Nous allons bientôt voir une nouvelle tentative. Cela fait partie du problème des certificats de sécurité; ils nous donnent la possibilité de limiter encore plus nos libertés civiles. Je crois que nous allons bientôt voir le gouvernement tenter de rétablir certaines dispositions de la Loi antiterroriste qui sont devenues caduques il y a environ un an. Il va tenter de les rétablir. Il sera intéressant de voir si l'opposition officielle l'appuiera. Je crois qu'elle le fera, avec quelques modifications.
Les certificats de sécurité nous ramènent au même point. Comme c'est le cas avec les certificats, on nie aux détenus le droit de prendre connaissance des accusations qu'on porte contre eux et on nie ce droit à leurs avocats également. On dirait des procès à la Kafka, où les accusés sont impuissants à se défendre.
À cet égard, il importe de signaler l'expérience vécue en Angleterre, particulièrement, et en Nouvelle-Zélande lorsque les avocats spéciaux ont fait leur apparition. Le gouvernement prévoit l'intervention d'avocats spéciaux, mais une intervention plus limitée qu'en Angleterre, où nombre de ces avocats spéciaux ont démissionné. Il s'agissait d'avocats ayant de 20 à 30 ans d'expérience au barreau, la plupart en droit criminel et certains en droit de l'immigration. Même si les lois là-bas avaient une portée beaucoup plus vaste et leur conféraient de plus grands pouvoirs en matière de défense, ils ont démissionné.
Je me rappelle d'un de ces avocats en particulier, Ian Macdonald, dont la lettre de démission était des plus éloquentes. Il y disait, comme pour demander qu'on l'excuse d'avoir joué ce rôle pendant plusieurs années, qu'il avait espéré pouvoir faire en sorte que le système donne des résultats, pouvoir dans une certaine mesure défendre son client tout en tentant de faire fonctionner le système. Puis, poursuivant sur le même ton, il reconnaissait qu'il avait eu tort, que le système ne pouvait pas fonctionner et qu'il ne pouvait pas jouer le rôle de protecteur des droits d'une personne détenue en vertu d'une telle mesure.
Nous avons observé des situations similaires en Nouvelle-Zélande. Nous avons vu les commentaires des avocats spéciaux de ce pays. Ils ont affirmé que si on ne leur permettait pas de voir la preuve et d'en discuter avec leur client accusé de crimes, il n'y a rien qu'ils puissent faire car, réalistement, ils ne peuvent pas défendre leur client. C'est la réalité.
Ce projet de loi est doublement mauvais. J'ai devant moi un rapport qui a été rédigé par un professeur de droit et un avocat en exercice. Ce rapport, qui est très long, analyse le rôle de l'avocat spécial dans le monde. Les deux auteurs ont également émis des recommandations.
En ce qui concerne l'avocat spécial, je sais que les deux auteurs hésitaient à recommander que nous suivions cette voie. Toutefois, ils ont écrit que si nous options pour cette solution, nous devrions mettre en place des mesures de protection. Nous devrions donner un mandat précis à l'avocat spécial, lui fournir des ressources. L'avocat spécial aurait accès à la preuve et pourrait en discuter avec son client, dans la plupart des cas.
Le rapport contient une longue liste de suggestions, mais le gouvernement, avec l'appui de l'opposition officielle, les a pratiquement toutes écartées du projet de loi . Le gouvernement ne veut pas qu'on touche à ces certificats d'aucune façon. Il veut pouvoir les utiliser dans leur pleine mesure. Nous avons entendu parler du genre de traitement dont font l'objet ceux qui sont visés par ces certificats; qu'ils soient détenus ou assignés à résidence, d'une façon ou d'une autre, leur mobilité est grandement réduite.
Le gouvernement n'a jamais eu l'intention de réagir réellement à la décision rendue par la Cour suprême du Canada il y a environ un an. La Cour suprême du Canada avait dit que, sous leur forme actuelle, les certificats allaient à l'encontre de la Charte des droits et libertés, et que, dans une société libre et démocratique, la question ne pouvait être réglée ainsi non plus. La Cour a appliqué les deux parties de la Charte; elle a déclaré que le système n'était pas conforme, et que l'article 1 de la Charte ne pouvait le justifier.
Nous avons ici une solution de fortune plutôt minimaliste. Je fais rarement ce genre de choses, mais c'est avec certitude que je déclarerai à la Chambre que cette loi, quelques jours à peine après sa sanction royale, sera probablement contestée à nouveau, et que la Cour suprême du Canada finira par en être saisie une autre fois.
J'espère et je pense bien, si je me fie à la décision rendue l'an dernier, que la Cour suprême du Canada invalidera ce projet de loi à nouveau. Espérons que la cour dira alors au gouvernement qu'il a eu sa chance, mais que, cette fois, les certificats de sécurité doivent disparaître et qu'il n'aura pas l'occasion de les corriger. Espérons aussi qu'elle dira au gouvernement qu'il doit recourir au système de justice pénale régulier et à la loi sur l'immigration pour régler les problèmes que ces personnes posent aux autorités canadiennes.
En tant que corps législatif, nous nous devons d'être attentifs à cette décision de la Cour suprême du Canada, mais ce n'est pas ce que nous faisons avec le projet de loi . Je suis convaincu que lorsque la cour entendra la preuve décrivant comment le projet de loi fonctionne et, surtout, comment il met en péril les droits de la personne et les libertés civiles, elle l'invalidera.
Nous aurons effectué toutes ces démarches et fait souffrir toutes ces personnes et, au bout du compte, les certificats de sécurité seront rayés du droit canadien. J'attends avec impatience que ce jour arrive.