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Monsieur le Président, je soulève la question de privilège et j'espère être en mesure d'établir qu'il y a eu de prime abord atteinte à mes privilèges comme député et même comme citoyen canadien.
Je n'aurais jamais pensé devoir prendre la parole à la Chambre pour me défendre contre de fausses accusations de vol et de détournement de fonds, des mots que j'arrive à peine à prononcer.
Jeudi dernier, un représentant de la presse, Hugo de Grandpré, du journal La Presse, a téléphoné à mon bureau pour demander s'il y avait du nouveau concernant les accusations de détournement de fonds qui avaient été portées contre moi.
Je ne savais rien de tout cela jeudi. Je l'ai rappelé pour savoir de quoi il s'agissait. Il a déclaré avoir en main une note d'information de la Gendarmerie royale du Canada, adressée au commissaire, selon laquelle le Parti conservateur du Canada avait demandé à la GRC de mener une enquête à mon sujet. Le document s'intitule: « Une plainte pour vol ». On y apprend que certains députés conservateurs, dont les noms ont été masqués, se sont rendus au bureau de Bible Hill pour déclarer un détournement de fonds de la part d'un député.
J'ai peine à vous dire, monsieur le Président, ce que cela signifie pour moi. Je siège à la Chambre depuis 20 ans. J'ai 63 ans. J'ai fondé toute ma carrière en affaires et en politique sur l'honnêteté, la crédibilité et ma réputation. Ce qui m'arrive a un effet dévastateur. J'ignorais à quel point avant ce matin, alors que j'ai dû appeler mes deux filles pour leur faire savoir que j'allais prendre la parole à la Chambre pour me défendre contre des accusations de vol et de détournement de fonds.
J'espère que je réussirai à passer à travers tout cela. C'est proprement scandaleux. Je tiens à exposer mon cas. J'ai transmis une copie du rapport de la GRC et j'aimerais le passer en revue.
Tout d'abord, le document destiné au commissaire porte la mention « Pour votre information seulement ». Or, il semble que ce soit pour l'information du commissaire et d'à peu près tout le monde. L'objet en est le suivant: « Député -- plainte concernant un vol ». Toujours selon le document, le 18 septembre 2008, des députés du Parti conservateur, dont les noms figurent au document mais ont été masqués, ont communiqué avec le détachement de la GRC du district du comté de Cumberland, soit le comté où je réside. Plus loin, il est question d'une « demande de retour d'appel téléphonique ». Le jour suivant, soit le 19 septembre 2008, un groupe de conservateurs qui ne sont pas nommés « s'est rendu au bureau de Bible » de la GRC pour « faire état d'un détournement de fonds de la part d'un député ».
Plus avant, une bonne partie du document est masqué, mais le montant de 30 000 $ y figure. Il est question du Parti conservateur et je puis lire « avec un chèque de 30 000 $ ». Les passages masqués sont si nombreux qu'ils m'empêchent de connaître la nature exacte des accusations.
On peut lire: « Le chèque a été rédigé au nom de ». Je ne sais pas si c'est mon nom qui y était écrit, mais ce n'est pas moi. Puis, on peut lire « a été endossé par le responsable des finances et directeur du Parti conservateur. » Le reste est masqué. Cela ne s'arrête pas là, mais je n'en lirai pas plus parce que c'est difficile à comprendre puisqu'une grande partie du texte est masquée.
Les accusations de détournement de fonds et de vol ne sont pas masquées, mais une bonne partie des autres renseignements et les noms des conservateurs qui ont porté les accusations le sont. Ils ont été masqués pour protéger leur identité. Ma circonscription est celle de Cumberland—Colchester et les deux détachements visités se trouvent dans Cumberland—Colchester. De plus, mon nom se trouvait à l'endos du rapport et il n'avait pas été masqué.
Les conservateurs, ou qui que ce soit qui l'ait fait, ont masqué les noms des gens qui ont porté ces accusations, mais pas le mien. La mention se trouve à la fin, elle se trouve dans le titre du dossier et ce pourrait être un oubli. Je ne voudrais pas montrer la situation sous un jour pire qu'elle ne l'est, ce n'est peut-être qu'un oubli, mais il n'y a pas eu d'oubli lorsqu'ils ont masqué les noms des conservateurs qui ont porté les accusations.
Jusqu'à maintenant, quelqu'un a été interrogé et une déclaration a été consignée. On peut y lire: « La déclaration obtenue n'a pas fourni de motifs suffisants pour lancer une enquête. » Puis ensuite: « L'enquête a permis d'établir que [quelqu'un] n'avait pas tiré de gain financier de tout cela. »
Il pourrait s'agir de moi-même ou d'un membre de mon association de circonscription, je ne sais pas. Cela nuit à tout le monde parce qu'ils ont rendu publics des renseignements préjudiciables et des accusations et utilisé les mots « vol » et « détournement de fonds », mais ils ont masqué le reste. On peut lire par la suite: « Remise de l'argent au Parti conservateur. »
Permettez-moi d'ajouter quelques mots. Le texte dit ensuite: « L'enquête pourrait être rouverte si les circonstances le justifient. La Police criminelle de la Division H continuera de surveiller la situation. » Je ne sais pas si la Police criminelle me surveille moi ou quoi. Je ne sais pas ce qu'ils font.
Je ne savais rien de tout cela avant jeudi dernier. Je tiens à remercier Hugo de Grandpré de son professionnalisme. Il n'a rien divulgué. Il savait combien cela pourrait être dévastateur pour moi et il m'a donné la chance de présenter cette affaire à la Chambre des communes. Je lui suis reconnaissant d'avoir pu le faire.
On pourrait décortiquer la situation et la présenter sous un jour très défavorable tant il y a de choses qui clochent là-dedans. Le seul indice qui m'a mis la puce à l'oreille est la mention d'un montant de 30 000 $.
En effet, en mai 2007, le gouvernement conservateur minoritaire voyait approcher un vote de confiance sur le budget et l'association de ma circonscription a alors suggéré l'ouverture d'un compte, comme l'exige Élections Canada, afin de transférer 30 000 $ dans un compte de campagne, ce qu'exige Élections Canada.
J'ai par la suite été expulsé du caucus conservateur, mais personne ne m'a jamais dit que je n'étais pas le candidat confirmé. Même si j'avais été expulsé, j'étais toujours membre du parti et le candidat officiellement désigné.
Dès que j'ai appris que je n'étais pas le candidat désigné, les 30 000 $ ont été remis. Pas un cent de cette somme n'a été dépensé ou utilisé de quelque façon; la somme de 30 000 $ a été remise intégralement. Je suppose que c'est ce que les conservateurs essaient de faire passer pour un détournement de fonds. Ils m'accusent de vol et de détournement de fonds.
Tous les députés ont dû faire la même chose que moi. Élections Canada exige que l'on ouvre un compte distinct pour financer notre campagne électorale. C'est tout ce que j'ai fait.
Je n'ai appris que je n'étais pas le candidat désigné qu'au moment où le a déclaré sur les ondes de la télévision d'État qu'un candidat se présenterait dans la circonscription de Cumberland—Colchester—Musquodoboit, mais que ce ne serait pas moi. Voilà comment j'ai appris que je ne serais pas candidat.
Nous avons immédiatement consulté Élections Canada et remis la somme de 30 000 $ dans son intégralité. Pas un cent n'a été viré ou dépensé. Le parti le savait pertinemment. Il a en main depuis le 19 octobre 2007 tous les documents bancaires prouvant que la somme avant été versée au compte, puis remise.
Ce sont des accusations inventées de toute pièce. On tente de salir ma réputation et de me calomnier. Moi qui me suis appliqué durant toute ma vie à me bâtir une bonne réputation, je suis offusqué de voir des gens lancer des accusations qu'ils savent fausses dans le seul but de les faire inclure dans un rapport de la GRC.
Ce rapport existera à tout jamais; il ne disparaîtra pas. Il a d'ailleurs été rendu public, ce qui a permis aux médias de s'en emparer. Pourquoi?
J'ai annoncé le mois dernier que j'allais me retirer de la vie politique et entamer une nouvelle carrière dans le privé. Mais voici que quelqu'un, à la GRC ou ailleurs, a publié une lettre dans laquelle on dit que je fais l'objet d'une enquête pour vol et détournement de fonds.
Dans mon ancienne vie, je travaillais pour Merrill Lynch, et j'étais fier de mon travail en tant que conseiller en placements. Les gens me faisaient confiance. Ils me confiaient leur argent, que ce soit 1 000 dollars ou 1 million de dollars. Je le gérais pour eux, et ils me faisaient confiance. Je m'occupais bien de leurs affaires. Que vont-ils penser maintenant?
Le document selon lequel je fais l'objet d'une enquête pour vol et détournement de fonds a été rendu public, mais il est sans fondement. Pire que ça, il a été fabriqué de toutes pièces. Ils savent qu'il est sans fondement. Quiconque l'a rendu public sait qu'il est sans fondement. Ils ont les documents qui prouvent que les accusations sont sans fondement, mais ils ont quand même rendu publique cette information 10 mois plus tard, même s'ils connaissaient la vérité.
Je suis révolté, et j'ai de la peine pour notre institution. Cela fait 20 ans que je siège aux Communes. Quand j'ai été renvoyé du Parti conservateur, j'étais le doyen du parti. Je suis fier d'être député. D'excellentes choses ont été faites en cette enceinte pour aider les gens, mais ce n'est pas le cas en l'occurrence.
Je suis peiné de voir que les rapports et processus parlementaires se sont dégradés au point où on demande à la GRC de lancer une enquête quand les accusations portées contre un député pour salir sa réputation s'avèrent sans fondement. Personne ne devrait être traité ainsi, qu'il s'agisse d'un député ou d'un simple citoyen.
Cette situation soulève toutes sortes de questions.
Tout le monde dans ma circonscription se demande pourquoi le Parti conservateur n'a permis à aucun candidat local de se présenter pour le parti lors des dernières élections. Il a refusé que des gens se présentent pour le parti. Il semblerait plutôt que le ait nommé un candidat. Il n'y a eu aucun processus de nomination.
Un candidat a été nommé, mais il ne venait pas de ma circonscription. Cette personne venait d'Ottawa et, à ma connaissance, n'avait jamais mis les pieds dans ma circonscription. Elle travaillait pour le ministre responsable de la GRC. La première chose que son équipe a faite quand elle est arrivée dans la circonscription a été de demander à la GRC de porter ces cruelles accusations contre moi. J'ignore s'il existe ou non un lien. Je ne fais aucune accusation, j'expose simplement les faits.
L'homme qu'ils ont nommé pour se présenter contre moi aux élections était membre du personnel du ministre responsable de la GRC. Je pense que des représentants de cet homme sont allés voir la GRC et lui ont présenté ces allégations. Je n'en suis pas certain parce que les noms sont effacés. Cependant, s'il se trouve en fin de compte que les personnes à l'origine de cette accusation sont des agents d'un employé du ministre responsable de la GRC, il faudra tous se poser des questions.
Lorsque j'ai été expulsé du parti et que je suis devenu député indépendant, je pense que 27 membres du conseil de direction m'ont suivi. Il ne restait plus assez de personnes pour former un nouveau conseil de direction du Parti conservateur dans la circonscription, alors le bureau national a pris en main les affaires de l'association de circonscription. Il avait accès à la totalité des dossiers et des relevés bancaires. Il savait que le chèque de 30 000 $ avait été émis et que le chèque de 30 000 $ était revenu et que le solde n'avait pas changé d'un seul sou. Je n'ai rien eu à voir avec cela. C'était l'affaire de l'association de circonscription et de l'équipe de campagne, qui ont agi indépendamment de moi. Je n'ai pas eu un seul mot à dire. Mon nom n'apparaît sur aucun des chèques. Je n'ai rien signé et je n'ai rien fait.
Je n'ai rien eu à voir avec cela. Je suis heureux et chanceux que mon équipe ait suivi la lettre et l'esprit de la loi à ce sujet, de même que les règles d'Élections Canada. Rien ne peut m'ébranler parce que mon équipe a agi comme elle le devait. Elle n'a rien à se reprocher. Elle est même allée au-delà de ses obligations. Selon moi, lorsqu'elle a retourné la somme de 30 000 $, elle aurait dû en retenir les frais bancaires. Elle ne les a même pas retenus. Plus de 30 000 $ ont été retournés, et on m'accuse de détournement de fonds et de vol.
Il y a beaucoup à faire dans ce dossier. Mon travail de député est totalement compromis. Comme vous le savez, monsieur le Président, les affaires dont les députés s'occupent concernent notamment les REER des électeurs, leurs démêlés avec le fisc, leurs revenus d'investissement ainsi que les prêts et les programmes destinés à leurs entreprises. Un climat de confiance doit régner. Or, ils ont jeté un voile de suspicion autour de ma personne, et je veux qu'ils le fassent disparaître. Ce voile nuit à ma capacité de m'acquitter de mes fonctions de député. Ils ont porté atteinte à ma crédibilité. Qui va se sentir à l'aise dans mon bureau en sachant que le Parti conservateur du Canada, qui forme le gouvernement, a demandé à la GRC d'enquêter sur un vol et un détournement de fonds dont je serais prétendument l'auteur?
Mon collègue vient de dire que personne ne croira cela et j'espère que ce sera le cas. J'ai passé toute ma vie à bâtir ma crédibilité. J'ai enseigné à mes filles qu'il n'y avait rien de plus précieux que la crédibilité et l'honnêteté. J'ai à ce sujet un petit discours que je leur ai souvent servi et qu'elles connaissent bien. Je sais qu'elles ont répété à d'autres ce discours sur l'importance de la crédibilité. J'ai dû leur téléphoner ce matin pour leur apprendre que j'allais devoir me défendre contre des accusations de vol et de détournement de fonds. C'est incroyable et vraiment triste.
L'argent a été remis le 19 octobre. C'est tout. Ils avaient tous les documents, mais ils ont attendu le déclenchement des élections. L'employé du ministre responsable de la GRC est venu. Ils ont ensuite porté cette accusation criminelle contre moi auprès de deux détachements de la GRC. Maintenant que je quitte le Parlement, voilà que surgit dans les médias cette copie d'une enquête de la GRC.
Comment cela va-t-il m'aider à aller de l'avant? Qui, dans le domaine des investissements, va juger que ce serait une bonne idée de m'embaucher une fois que j'aurai réglé cette peccadille qu'est une accusation de vol et de détournement de fonds? Pensez-y. Toutes les personnes ici présentes sont aussi coupables que moi de vol et de détournement de fonds, c'est-à-dire que nous ne sommes coupables de rien. Ces accusations sont sans fondement.
Que la GRC laisse le dossier en suspens parce qu'il n'y a pas assez de motifs suffisants pour lancer une enquête ne suffit pas. Cela laisse supposer qu'il existe tout de même des motifs. Il n'y a aucun motif. Je veux que le Parti conservateur déclare que ces accusations n'auraient jamais dû être portées. Voilà ce que je veux. Si ce parti possède une once de justice et de fair-play, il le fera sans aucune hésitation parce que ces accusations sont sans fondement.
Je veux maintenant exposer les grands points de ma question de privilège. Premièrement, je veux dire que, si ma crédibilité est mise en doute, je ne peux pas faire mon travail dans toute la mesure de mes moyens. La crédibilité, c'est fondamental, tout comme la confiance, du moins selon ma conception des choses. Tant que cette question ne sera pas réglée, je ne réponds plus à ces critères.
Je veux savoir qui a pris la décision de masquer les noms des conservateurs, mais de laisser le mien. Peut-être qu'on a simplement oublié de masquer mon nom, mais le fait demeure. Les noms des conservateurs sont cachés, mais le mien ne l'est pas. Je pense que le gouvernement nous doit une explication à cet égard.
Quelqu'un à qui j'ai parlé ce matin a émis l'opinion qu'il pourrait être illégal de porter de fausses accusations à mon endroit. Je ne suis pas avocat, alors je ne le sais pas, mais la Couronne devrait peut-être faire enquête ou vérifier si des règles ont été enfreintes. C'est certain que cela a fait du tort à ma réputation. Je considère que c'est la pire forme de diffamation qu'on puisse trouver. Si quelqu'un est à blâmer, je voudrais que la Couronne fasse enquête.
Je pensais ce matin à Danny Williams. Danny Williams réagit souvent énergiquement. Il dit qu'il utilise beaucoup le mot « vindicatif ». Je crois que nous devrions l'écouter davantage, parce c'est effectivement là un cas d'esprit vindicatif.
C'est toutefois plus que cela. Il s'agit d'un esprit malicieux et méchant. Cela fait énormément de mal. Je suis tellement content que La Presse m'ait transmis ce document. Je ne prévois pas me présenter de nouveau et, si j'avais quitté la Chambre avant que cette histoire sorte, tout le monde aurait conclu: « Voilà pourquoi il est parti. La GRC faisait enquête sur son cas. » Jusqu'à jeudi dernier, je n'étais même pas au courant, mais c'est ce qui serait arrivé. Je suis donc fort heureux d'avoir eu la possibilité de soulever la question de privilège.
J'ai dit que je n'allais pas me représenter, mais je ne pars pas d'ici avant que les conservateurs qui ont formulé ces accusations dans le rapport de la GRC en question, qui qu'ils soient, corrigent leurs dires.
Monsieur le Président, si vous jugez que la question de privilège est fondée à première vue, dans mon cas, et que la situation m'empêche d'accomplir mes fonctions correctement, je serai prêt à présenter la motion qui convient. Je vous laisse en juger.