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NDDN Rapport du Comité

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Introduction

En 1922, le célèbre explorateur de l’Arctique, Viljalmur Stefansson, formulait l’observation suivante :

Un coup d’œil à la carte de l’hémisphère nord montre que l’océan Arctique est en fait une vaste Méditerranée. Il sépare les continents qu’il jouxte, un peu comme le fait la Méditerranée entre l’Europe et l’Afrique. De tout temps considérée comme une Méditerranée infranchissable, cette étendue d’eau pourrait non seulement devenir praticable, mais se transformer en une voie de passage privilégiée […] parce qu’elle est beaucoup plus courte que toute autre route aérienne permettant de franchir les océans qui séparent les centres où se concentre actuellement la population[1].

L’observation de Stefansson a frappé l’imaginaire de bien des Canadiens, y compris dans les rangs militaires. En un sens, elle ne fait que confirmer le fait que le développement du Nord a toujours été une « aspiration fondamentale du Canada et un élément important de notre conscience nationale[2] ».

En 1966, Robert Sutherland, alors chef du Centre de recherche opérationnelle du Conseil de recherches pour la défense et l’un des « stratèges militaires » canadiens les plus renommés de son époque, cite l’explorateur et qualifie l’observation de Stefansson de « très mauvaise prédiction » [traduction]. Même s’il accepte la vision quelque peu romantique de Stefansson selon laquelle le Nord est un élément important de notre identité, Sutherland rejette l’idée que l’Arctique puisse devenir une voie de passage facilement accessible ou même un pôle de développement socioéconomique. Si la région a pu se développer de quelque façon, c’est selon lui le résultat direct de l’importance militaire accrue des territoires du Nord du Canada. « Les considérations économiques arrivent au second rang derrière les enjeux stratégiques; l’aviation commerciale est un partenaire très secondaire de la puissance aérienne stratégique[3] ».

Ce désaveu de Sutherland à l’égard de la vision de Stefansson est parfaitement compréhensible puisqu’il date de l’époque où l’importance des intérêts stratégiques militaires était à son comble, au plus fort de la guerre froide. L’ironie de l’affaire, c’est que de nos jours, nous serions sans doute plus enclins à adhérer aux fabulations de Stefansson plutôt qu’à l’analyse extrêmement rationnelle de Sutherland. En même temps, Sutherland ne pouvait pas prévoir la fin de la guerre froide, pas plus que Stefansson ne pouvait prévoir les effets des changements climatiques et la fonte des glaces qui en a résulté.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une nouvelle réalité. À cause des changements climatiques, le Nord s’ouvre au monde et est appelé à occuper une place de choix au sein de la communauté internationale. Ce ne sont plus seulement les États arctiques traditionnellement reconnus comme tels — le Canada, le Danemark, la Norvège, la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique — qui s’intéressent à l’Arctique et à ses perspectives économiques, mais aussi des pays comme la Chine, ceux de l’Union européenne (UE), la Finlande, la Corée du Sud, etc. L’intérêt pour cette région continue de s’étendre et les interlocuteurs potentiels sont de plus en plus nombreux.

La fonte des glaces libérera d’énormes réserves de minéraux et d’hydrocarbures, rendra navigables de nouveaux passages côtiers et transformera le mode de vie des gens du Nord du Canada. Si ces changements peuvent être favorables à certains égards, ils ne vont pas sans risques — intrusion, pollution et détérioration de l’environnement. La possibilité que des intérêts divergents et des revendications concurrentes puissent éventuellement engendrer de graves tensions entre les interlocuteurs concernés n’est donc pas à exclure[4].

Ce sont ces préoccupations qui ont incité le Comité à entreprendre une étude sur la souveraineté dans l’Arctique et les effets des changements en cours dans cette région sur les Forces canadiennes (FC). Il va sans dire que la principale fonction des FC est de protéger la souveraineté territoriale du Canada. Cela suppose qu’elles disposent des moyens nécessaires pour surveiller et contrôler le territoire, les eaux et l’espace aérien du Canada; prévenir toute attaque contre notre territoire, nos eaux et notre espace aérien et aider, au besoin, les gouvernements du Canada à préserver la paix et la sécurité au pays[5].

En ce qui concerne la question globale de la souveraineté canadienne dans l’Arctique, les témoignages entendus relèvent en général de deux écoles de pensée. D’un côté, il y a ceux qui, comme Franklyn Griffiths, soutiennent que, même si le Canada pourrait faire davantage pour défendre ses revendications et ses intérêts, la situation n’a rien d’urgent. Nos revendications juridiques sont solidement établies et les défis à venir ne seront pas aussi épouvantables que certains le prétendent.

En revanche, il y a ceux qui, comme Robert Huebert, croient que le gouvernement canadien doit adopter une approche plus musclée pour affirmer sa souveraineté dans l’Arctique et assurer la sécurité de la région. Selon cette école de pensée, l’Arctique est de plus en plus accessible à toutes sortes d’intervenants qui arrivent dans la région avec des plans d’action différents qui ne sont pas mutuellement profitables. Les tenants de cette école font également mention du regain d’intérêt des États « non arctiques » dans la région et laissent entendre que cet intérêt pourrait bien, à l’avenir, donner lieu à une contestation de la souveraineté du Canada. Enfin, Huebert insiste sur le fait que certains pays arctiques investissent considérablement dans leurs moyens militaires afin de pouvoir opérer dans l’Arctique[6].

Bien que nous reconnaissions le droit des États souverains de se doter de moyens pour pouvoir mieux protéger leurs intérêts légitimes, nous sommes fermement convaincus de la nécessité de tout mettre en œuvre pour empêcher la militarisation de l’Arctique.

Nous n’avons pas, à l’heure actuelle, suffisamment de normes et de règlements multilatéraux de portée générale pour régir la région arctique; cette situation est en grande partie attribuable au fait que personne ne s’attendait à ce que l’Arctique devienne une voie navigable ou un pôle de développement commercial à grande échelle. Les décisions que prendront les pays arctiques dans les prochaines années auront donc une incidence importante sur le développement de la région[7]. Il est tout aussi important de savoir si ces décisions seront prises dans un contexte de négociation multilatérale ou bilatérale ou si elles seront subordonnées aux intérêts primaires de chaque intervenant.

Au cours de notre étude, nous avons entendu des hauts fonctionnaires, des sommités universitaires et des intervenants concernés. Même si nous ne nous entendons pas sur tout, nous avons acquis une compréhension commune des enjeux clés suivants :

  1. Le titre juridique du Canada sur ses territoires arctiques est bien établi.
  2. Il n’y a pas de menace militaire imminente à l’égard des territoires canadiens dans l’Arctique ou dans le passage du Nord-Ouest.
  3. Les enjeux auxquels l’Arctique est confronté ne sont pas de nature militaire classique. Ce sont plutôt les effets des changements climatiques, le « trafic » accru, l’exploitation des ressources et l’absence d’attention diplomatique et politique soutenue qui constituent la toile de fond des défis à venir en matière de sécurité.
  4. Les Forces canadiennes peuvent défendre l’ensemble du territoire canadien, y compris nos territoires arctiques, et le font.
  5. Étant donné le regain d’intérêt et d’activités prévu dans l’Arctique, le Canada doit accroître sa « présence » dans la région.
  6. En plus d’assurer une présence accrue, il est également essentiel que nous ayons la capacité de surveiller et d’être informés de l’évolution de la situation « dans », « sous » et « au-dessus » de notre domaine arctique.
  7. Étant donné l’accroissement futur du trafic et de l’activité auxquels nous pouvons nous attendre dans l’Arctique, il est essentiel que nous disposions de moyens suffisants en matière de recherche et sauvetage (SAR).
  8. Il est particulièrement important que les Autochtones du Canada fassent partie intégrante du processus de décisions au sujet des politiques touchant l’Arctique. Dans cet esprit, nous croyons qu’il est important que les revendications territoriales pas encore réglées dans la région le soient rapidement.
  9. Pour pouvoir composer efficacement avec les nouveaux défis en jeu, il importe que le Canada se dote d’une stratégie arctique intégrée assortie d’une structure de décision claire pour permettre la participation des intervenants concernés, en particulier ceux qui habitent la région depuis longtemps.
  10. Les principes fondamentaux sur lesquels cette stratégie doit reposer sont ceux du multilatéralisme et de la bonne gestion. Cette approche permettra au Canada de tirer parti de ses atouts historiques et diplomatiques et de jouer un rôle de chef de file dans la conception des normes et de la réglementation multilatérales nécessaires pour assurer un développement harmonieux et mutuellement profitable de la région arctique. Une des premières étapes consisterait à étendre et renforcer le Conseil de l’Arctique et à en élargir le mandat.
  11. Nous considérons inquiétant que le gouvernement prenne beaucoup de retard sur son calendrier d’acquisition des actifs essentiels pour assurer notre présence dans l’Arctique, comme les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique, le brise-glaces John G. Diefenbaker et les navires de soutien interarmées.

Les témoignages

Nous n’avons pas l’intention de répéter ou de résumer ici les propos des témoins dans leur intégralité. Leurs témoignages sont du domaine public et facilement accessibles. Dans le présent rapport, nous nous attardons plutôt aux aspects de leurs interventions que nous trouvons éclairants pour formuler des recommandations à l’intention du gouvernement dans les domaines que nous estimons prioritaires. Nous croyons que nos recommandations sont à la fois réalistes et réalisables. En tant que Comité, nous ne voyons pas l’intérêt de discuter de scénarios purement spéculatifs ou d’essayer de trouver des solutions à des problèmes d’ordre théorique.

a) L’aspect juridique

Dans son témoignage devant le Comité, Franklyn Griffiths soutient que les menaces à l’endroit de la souveraineté du Canada ont été grandement exagérées, tout comme les inquiétudes entretenues au sujet du passage du Nord-Ouest. Il est inutile de parler « d’affirmer notre souveraineté ». Selon Griffiths, ces craintes exagérées sont, en partie, le fait des médias, qui ont « écouté […] [les] prophètes de malheur ». Ces exagérations ont cours parce qu’elles mettent en cause « l’identité canadienne ». Leur propagation ne fait toutefois qu’attirer l’attention sur de présumés problèmes qui n’existent pas réellement ou sert simplement à donner plus d’importance qu’ils en ont en réalité à des irritants qui pourraient facilement être réglés à l’amiable[8].

Griffiths fait ensuite valoir que l’Arctique canadien ne fait l’objet d’aucune menace militaire classique. Les menaces qui pèsent sur nous ne remettent pas en question notre souveraineté, ce sont plutôt des menaces que nous pourrions qualifier de « policières ». Elles n’exigent pas de capacité de combat. Par contre, elles exigent la mise en place de forces policières capables de patrouiller nos eaux, d’intervenir en cas d’urgence et de faire des opérations de recherche et de sauvetage. Les FC assurent déjà un soutien dans ces domaines et devraient continuer de le faire. De façon générale, toutefois, le besoin en « matériel » est relativement faible et le prétendu souci de protéger « la souveraineté [du Canada] n’est pas la meilleure façon de le justifier ». Le témoin estime que les Canadiens devraient avoir confiance dans la capacité du Canada de défendre leurs droits et leur propriété. En définitive, c’est plutôt une stratégie de bonne gestion qu’il faut adopter à l’égard de l’Arctique. À cet égard, le témoin croit que le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file en invitant les interlocuteurs concernés à se concerter pour trouver des solutions aux enjeux comme les pêches, la navigation, les navires de croisière, la prévention de la pollution et l’intervention d’urgence[9].

Bien que les gouvernements préfèrent leur liberté d’action, l’Arctique est une région où l’interdépendance prime. La possibilité que des problèmes imprévus ne « dégénèrent » en vrais problèmes dans nos territoires souverains est réelle et ne fera que s’accentuer au fur et à mesure où l’activité dans la région s’intensifiera. Le bon sens exige qu’avec les autres pays concernés, nous nous assoyions autour de la table pour planifier et réfléchir ensemble. À l’appui de cette proposition, Griffiths cite la Déclaration d’Ilulissat dans laquelle cinq pays de l’Arctique, en l’occurrence le Canada, le Danemark, la Norvège, la Russie et les États-Unis, se sont engagés en tant qu’États signataires, à collaborer dans les dossiers touchant l’Arctique. Cette collaboration prévoit la signature d’ententes bilatérales et multilatérales entre les États concernés[10].

Dans la même veine, M. Alan Kessel, jurisconsulte au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, a affirmé au Comité qu’il n’existe pas vraiment de menaces crédibles à l’égard de la propriété des terres, des îles et des eaux de l’Arctique. Selon lui, « la fonte des glaces intensifiée par les changements climatiques n’altère en rien nos droits à ce chapitre ». Toujours selon M. Kessel, le Canada exerce depuis longtemps, sur les terres et les eaux de l’Arctique canadien, une souveraineté qui est bien établie et repose sur des titres historiques. Il soutient que nos différends actuellement en instance sont tous bien gérés. C’est le cas notamment de notre différend avec les Danois à propos de l’île Hans, de celui avec les Américains à propos de la mer de Beaufort et de celui qui nous oppose aux Américains et à l’Union européenne, entre autres, à propos du passage du Nord-Ouest[11].

En ce qui concerne cette dernière question, Kessel a fait savoir au Comité que personne ne conteste le fait que ces eaux appartiennent au Canada. Le véritable enjeu, explique‑t‑il plus loin dans son témoignage, porte « sur la question de la navigation ou du statut juridique de ces eaux ». Le Canada considère que ce passage fait partie de ses eaux intérieures et « veut pouvoir le réglementer comme n’importe quel autre territoire terrestre ». Bien que d’autres États, en particulier les États-Unis, estiment que le passage du Nord-Ouest est un détroit international et que cela confère à leurs navires un droit de passage, il semble y avoir une sorte d’entente « tacite » qui reconnaît aux revendications canadiennes un bon degré de légitimité. Ainsi, Kessel souligne que l’accord signé en 1988 par le Canada et les États-Unis, sous réserve de tous droits, exige que les États-Unis demandent la permission avant de faire passer leurs brise-glaces par ce passage. Le principe sous-jacent veut que les désaccords soient réglés dans le cadre de négociations bilatérales[12].

Les intérêts stratégiques des États-Unis auraient, selon Kessel, amené ce pays à insister pour que « tous les cours d’eau qui les relient soient considérés comme un détroit international ». Les États-Unis considèrent aussi que la route maritime du Nord qui passe par les eaux russes est aussi un détroit international. À l’instar du Canada, les Russes ont eux aussi établi des lignes de base autour de leur archipel, et estiment que la route fait partie de leurs eaux intérieures. Le Canada appuie la revendication des Russes et eux la nôtre, de sorte que les Américains sont seuls dans leur camp[13].

Ce que nous trouvons intéressant dans ce qui précède c’est que malgré l’existence d’importantes différences entre les principaux interlocuteurs, le gros bon sens et le compromis peuvent finir par prévaloir. Le degré de collaboration entre les États arctiques est déjà passablement bon. Nous collaborons avec nos voisins américains dans beaucoup de domaines, en particulier en ce qui concerne le déglaçage et les levés du fond océanique. Nous collaborons avec les Russes dans le traitement des dossiers portant sur le statut juridique des passages ainsi que dans d’autres domaines de recherche scientifique, etc[14].

Les témoignages de Donat Pharand de l’Université d’Ottawa et de Suzanne Lalonde de l’Université Laval sont venus appuyer les arguments invoqués par MM. Griffiths et Kessel. Toutefois, même si Mme Lalonde estime que nos revendications juridiques à l’égard du passage du Nord-Ouest sont solides, celles-ci pourraient malgré tout être contestées. La pierre d’achoppement n’est pas tant d’ordre juridique que d’« ordre factuel ». En effet, l’argumentation du Canada en ce qui concerne le passage du Nord-Ouest « repose sur le contrôle véritable ». Dans ce contexte et parce que nous estimons que les eaux du passage sont internes, le Canada « est obligé de garantir une présence réelle et un contrôle efficace, comme il le ferait de toute autre partie du sol canadien[15] ». Pour maintenir notre souveraineté, M. Pharand a aussi insisté, entre autres, sur l’importance de rendre le Système de trafic de l’Arctique canadien (le NORDREG) obligatoire; sur la nécessité de se doter d’un brise-glaces polaire; sur l’importance de mettre en place une infrastructure adéquate qui permettra de contrôler les navires de passage et de les aider au besoin; sur la participation des Autochtones canadiens aux décisions touchant l’Arctique[16].

Ces dernières années, la présence du Canada a en grande partie été assurée par les navires de la Garde côtière, qui se chargent d’escorter les bateaux qui empruntent le passage et de répondre aux besoins des différentes collectivités de l’Arctique. Mme Lalonde convient que la Garde côtière est probablement l’organisme le mieux placé pour assurer ce type de présence efficace, mais le Canada doit aussi être en mesure d’exercer un « contrôle » sur les eaux du passage. C’est là où, selon Mme Lalonde, les FC doivent intervenir. Par contre, le Comité estime important de souligner que la Garde côtière canadienne ne doit pas devenir le parent pauvre des FC. Il faudra donc qu’elle dispose de ressources supplémentaires pour pouvoir maintenir sa capacité d’intervention essentielle dans un contexte en constante évolution.

La capacité d’intercepter et d’arraisonner un navire est importante parce que « tout transit non autorisé par un navire étranger, sur la surface ou sous les eaux, porterait un grave coup à la position juridique du Canada ». Pareille violation publique de la souveraineté du Canada ferait planer un doute sur la capacité du Canada de gouverner efficacement ces eaux; « ce qui est une composante importante et fondamentale de notre revendication [historique] sur les eaux […] ». En conclusion, Mme Lalonde fait valoir que pour protéger sa position juridique, le gouvernement canadien « n’aurait d’autre choix que de réagir si un navire ou un sous-marin pén[étrait] dans le passage sans l’autorisation des instances canadiennes compétentes ». Par conséquent, les FC devraient être habilitées à intercepter et arraisonner les navires étrangers qui naviguent dans le passage du Nord-Ouest sans l’autorisation du Canada[17]. Même s’il est toujours préférable de recourir à la diplomatie pour régler ce genre de situation, il peut y avoir des cas où une approche différente s’impose.

b) Préoccupations

Dans son témoignage devant le Comité, Robert Huebert de l’Université de Calgary a soulevé des questions semblables à celles abordées par Mme Lalonde. Selon M. Huebert, les nouvelles facilités d’accès sont le principal facteur à l’origine du changement de comportement d’un nombre de plus en plus grand d’interlocuteurs. Des pays aussi éloignés que la Corée du Sud et la Chine sont maintenant devenus des interlocuteurs non négligeables dans la région arctique. Leurs intérêts portent sur le développement commercial et industriel et dans la poursuite de ces objectifs, des pays ont mis sur pied des programmes de recherche avancée sur l’Arctique. La Chine, par exemple, possède un des plus gros navires de recherche scientifique au monde[18].

Huebert souligne plus loin que l’Arctique est sans doute « le dernier grand réservoir de ressources inexploitées au monde ». Le Service géologique des États-Unis estime que l’Arctique recèle 30 % de toutes les réserves non découvertes de gaz naturel, et 13 % ou plus des ressources non découvertes en pétrole. Il semble donc y avoir un empressement de plus en plus grand à tirer parti de ces ressources. La Russie se lance dans l’exploitation d’un champ de gaz naturel dans la zone extracôtière de Stockman qui est, en importance, la troisième zone gazière au monde. Le Canada qui, il y a quelques années, ne produisait pas de diamants, est maintenant le troisième producteur du monde avec trois mines de diamant en exploitation dans l’Arctique canadien. Comme le conclut Huebert, la région recèle d’« immenses richesses[19] ».

Ces occasions ne vont pas sans problèmes. « Plus les autres pays s’intéressent à l’Arctique, plus il devient essentiel pour le Canada de veiller aux moyens d’assurer la sécurité de la région, et d’y affirmer sa souveraineté ». Selon Huebert, notre tendance à croire que la situation géopolitique, en ce qui concerne l’Arctique, demeurera stable devra être réévaluée avec soin. En effet, un regard attentif sur les politiques et les programmes d’armement mis en œuvre par nos voisins circumpolaires suffit pour se rendre compte que, depuis 2004, tous les pays arctiques, et plusieurs pays étrangers à la région, ont fait publiquement état des changements qu’ils entendent apporter à leurs politiques de sécurité dans l’Arctique. « La Norvège, la Russie et les États-Unis manifestent de plus en plus l’intention d’agir de manière unilatérale pour assurer leur sécurité dans la région[20] ».

Ce qui est particulièrement déconcertant, c’est que même si tous reconnaissent la nécessité d’une collaboration, tout indique que plusieurs mettent en place des programmes de réarmement en vue d’opérations dans l’Arctique. Par exemple, les Norvégiens sont sur le point de doter leurs forces armées de moyens de combat qui, bien que modestes, sont spécialement adaptés à la région. Ils ont signé avec les États-Unis un contrat portant sur l’achat de 48 chasseurs F‑35. Ils construisent aussi actuellement une nouvelle classe de frégates performantes Aegis dans le cadre d’un projet de défense, le plus coûteux à jamais avoir été lancé par la Norvège. Le système Aegis est un système de combat américain qui confère aux navires militaires une capacité de supériorité aérienne et est utile dans les environnements de combat de haute intensité. Parallèlement, ils ont aussi construit le Svalbard, qui est un nouveau navire armé brise-glaces de leur Garde côtière. Ce bâtiment abrite un canon Bofar de 57 mm et est étanche aux agents NBC (nucléaire, biologique, chimique). « Les capacités de ce navire excèdent les capacités requises dans le cadre des tâches policières comme la protection des pêches et de l’environnement […] ». Les Norvégiens ont aussi construit une nouvelle classe de navires patrouilleurs lance-missiles très rapides et performants. Les six navires de la classe Skjold sont furtifs et pourvus de missiles antinavires et antiaériens, de même que d’un canon de 76 mm. Enfin, en plus de ces efforts de modernisation, les Norvégiens mènent aussi chaque année des exercices militaires à grande échelle. Ces achats et ces exercices sont autant de signes que les Norvégiens sont convaincus qu’un jour ils se retrouveront dans un environnement aérospatial et maritime hostile[21].

Comme nous, les Norvégiens privilégient une politique de coopération. Cependant, « même si les représentants de la Norvège n’entrevoient pas une menace militaire immédiate dans le Nord, ils dépensent comme si la menace était sur le point de surgir[22] ». Le Comité comprend aussi que la Norvège fait partie de l’OTAN et souhaite collaborer étroitement avec les États‑Unis lesquels sont motivés autant, sinon plus, par le fait qu’ils doivent composer avec la présence immédiate des Russes, que par leurs engagements au sein de l’Alliance. Comme l’a souligné récemment le ministre des Affaires étrangères de la Norvège, M. Jonas Gahr Store, « la Russie n’est pas encore un État stable, fiable, prévisible ». Toutefois, il s’est empressé d’ajouter qu’il ne faut pas non plus revenir à la mentalité de la guerre froide[23]. Il importe donc maintenant de mettre à contribution les Russes et de les intégrer à un cadre coopératif multilatéral.

La Norvège est citée comme exemple d’État de l’Arctique qui, croyant au principe du multilatéralisme et de la coopération, a néanmoins jugé plus prudent d’accroître considérablement sa puissance militaire afin de protéger ses intérêts septentrionaux. D’autres ont fait de même. Le gouvernement russe a aussi « élaboré de nouvelles politiques et émis des énoncés quant à son inquiétude concernant la sécurité de l’Arctique ». En 2008, il a approuvé le document Principes of State Policy in the Arctic to 2020. À l’instar de déclarations faites par d’autres États de l’Arctique, ce document fait appel à la coopération internationale dans l’Arctique. Il met en garde contre les dangers du changement climatique et insiste sur le besoin d’étudier les problèmes que ce phénomène cause dans l’Arctique. Le document russe présente quelques similitudes avec les proclamations canadiennes et fait état de la nécessité d’améliorer les conditions socio-économiques des habitants du Nord de la Russie. Cependant, certains reportages russes portent à croire que les dirigeants prévoient bâtir de nouvelles forces pour le Nord. En 2008, le lieutenant-général Vladimir Shamanov, qui dirige la formation au combat du ministère de la Défense, a fait la déclaration suivante : « Après que plusieurs pays aient contesté les droits de la Russie sur la plate-forme continentale regorgeant de ressources dans l’Arctique, nous avons immédiatement passé en revue nos programmes de formation au combat pour les unités militaires pouvant être déployées dans l’Arctique advenant un conflit. » Le plan russe visant la reconstruction de sa force sous-marine aura les plus importantes répercussions sur l’Arctique[24].

Au cours de l’été 2008, les Russes ont repris les patrouilles navales de surface dans les eaux de l’Arctique; à une occasion, deux navires de combat ont même navigué dans les eaux contestées entre la Norvège et la Russie, sous prétexte de protéger des pêcheurs russes dans la région. Ces gestes n’ont enfreint aucune loi internationale, mais ils constituaient un message politique clair à la Norvège au sujet de l’intention de la Russie de défendre ses intérêts dans la région. Par ailleurs, il importe de ne pas accorder à ces activités plus d’importance qu’elles n’en ont. Il est vrai que les Russes utilisent maintenant de façon beaucoup plus affirmée la force militaire dans la région et que leurs projets de réarmement dépassent ceux de tout autre État de l’Arctique[25]. Mais il faut aussi prendre en compte que la Russie, qui a déjà été une superpuissance, veut peut-être tout simplement réaffirmer sa position mondiale. Et finalement, cela ne nuit peut-être pas à la coopération en matière de sécurité dans l’Arctique ou sur d’autres questions de relations internationales ou de sécurité. Jusqu’à maintenant, la relation entre le Canada et la Russie en ce qui concerne l’Arctique semble avoir été bénéfique pour les deux parties. Cependant, en dernière analyse, comme toujours avec les acteurs principaux de la scène internationale, leurs véritables intentions demeurent un mystère.

Souvent considérés comme « la puissance arctique réticente », les États-Unis, nos voisins, manifestent aussi un vif intérêt pour la région. En janvier 2009, le président de l’époque, M. Bush, a publié une nouvelle directive présidentielle sur les intérêts américains dans l’Arctique. C’était la première directive du genre depuis 1994. Selon la directive, les États-Unis nourrissent des intérêts nationaux vastes et importants en matière de sécurité dans la région et sont prêts à travailler de façon indépendante ou avec d’autres États afin de protéger ces intérêts, lesquels comprennent notamment : la défense antimissile et l’alerte avancée; le déploiement de systèmes maritimes et aériens pour le transport stratégique, la dissuasion stratégique, la présence maritime et les opérations de sécurité maritime; et la liberté de navigation et de survol. Il est question aussi dans la directive de la nécessité de protéger l’environnement, de renforcer la coopération parmi les institutions des nations arctiques, de faire participer les communautés autochtones de l’Arctique aux décisions qui les concernent, d’améliorer la surveillance et la recherche scientifiques et de se pencher sur des ententes nouvelles ou améliorées pour régler les questions pouvant découler d’une activité humaine accrue dans la région, y compris le transport, le développement local et la subsistance, l’exploitation des ressources marines vivantes, la production d’énergie et l’exploitation d’autres ressources et le tourisme[26]. Comme d’autres pays arctiques, les États-Unis ont défini une politique qui mise autant sur la coopération que la sécurité, tout en assurant la priorité absolue à la sécurité nationale. Au même moment, les principaux dirigeants militaires américains discutent de plus en plus du besoin des Américains de renforcer leurs capacités de sécurité dans l’Arctique[27].

L’approche du Canada en matière de sécurité dans l’Arctique n’est pas si différente de celle de ses voisins arctiques. En 2009, le gouvernement a publié un document d’orientation intitulé Stratégie pour le Nord du Canada : notre Nord, notre patrimoine, notre avenir. La stratégie présentée est fondée sur quatre priorités ou piliers : exercer la souveraineté du Canada dans l’Arctique; promouvoir le développement social et économique; améliorer et développer la gouvernance dans le Nord; protéger le patrimoine naturel du Canada. Un volet important de la stratégie, qui découle du premier pilier, suppose des investissements pour accroître la présence du Canada dans l’Arctique, soit :

  • La construction de six à huit navires de patrouille extracôtiers armés de la classe polaire 5;
  • L’établissement d’un centre d’entraînement polyvalent à Resolute Bay, au Nunavut;
  • La construction d’une installation d’accostage et d’avitaillement en eaux profondes à Nanisivik, au Nunavut, qui servira de zone de rassemblement pour les navires militaires dans le Haut-Arctique et également pour les navires de la Garde côtière canadienne;
  • L’établissement d’une unité permanente de la Réserve de l’Armée de terre à Yellowknife;
  • Des projets d’amélioration de la capacité de surveillance des FC par la modernisation et le remplacement des avions de patrouille Aurora;
  • Le projet Polar Epsilon, qui permettra une surveillance à partir de l’espace au moyen d’information fournie par le satellite canadien RADARSAT‑2 afin de produire de l’imagerie à l’intention des commandants militaires lors des opérations;
  • L’utilisation de véhicules aériens téléguidés;
  • L’augmentation du nombre de membres et des moyens du programme des Rangers canadiens et des Rangers juniors canadiens.

Le Comité estime ces initiatives encourageantes. Il souligne en particulier le fait que les nouveaux navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique constituent l’un des rares cas, en après-guerre froide, où les FC se sont dotées de nouveaux moyens, l’autre étant l’achat du C‑177 Globemaster (C‑17). Le 28 août 2008, le gouvernement a aussi annoncé son intention de construire un brise-glaces, le John G. Diefenbaker, qui viendra remplacer le Louis St. Laurent lorsqu’il sera déclassé[28]. Cependant, à l’heure actuelle, l’état du projet n’est pas tout à fait clair.

Il semble aussi subsister une incertitude concernant les navires de soutien interarmées. Ces trois navires devaient remplacer les bâtiments militaires de ravitaillement qui vieillissent et pouvoir naviguer dans des glaces de première année pouvant atteindre un mètre d’épaisseur. Ils devaient aussi être à double coque ce qui les rendrait conformes à la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques. L’invitation à soumissionner a été lancée en juin 2006. Au départ, les trois navires devaient être livrés entre 2012 et 2016. Toutefois, en août 2008, le ministre des Travaux publics a annoncé la fin du processus d’approvisionnement. Le gouvernement a déterminé que les propositions provenant de l’industrie n’étaient pas conformes aux conditions de base de l’appel d’offres, c’est‑à‑dire que les soumissions dépassaient le budget prévu. Aucun maître d’œuvre n’a encore été sélectionné pour les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique[29].

c) La nécessité d’une stratégie à long terme

M. Kenneth Coates, professeur à l’Université de Waterloo, a déclaré au Comité que tout au long de son histoire, le Canada a hésité à établir une stratégie à long terme dans l’Arctique. Il a plutôt réagi aux événements au lieu de préparer des plans à long terme pour l’intégration de la région. D’après M. Coates, notre intérêt se doit d’être plus qu’épisodique; nous devons manifester un engagement soutenu[30].

Il a ajouté que « le Canada ne dispose pas des moyens scientifiques nécessaires pour appuyer une présence militaire soutenue dans la région et pour saisir l’impact régional des changements environnementaux prévus ». Or, selon M. Coates, le regard scientifique constitue un élément capital de la défense régionale. Comme d’autres, il a aussi insisté sur la nécessité d’une capacité de communication et de surveillance convenable dans l’Arctique. Cette capacité doit comporter divers volets, dont des réseaux électroniques, des bases régionales, des capacités sous-marines, des brise-glaces et un réseau étendu de Rangers canadiens. En termes simples, M. Coates conclut que le Canada doit savoir ce qui se passe dans le Nord[31].

Surtout, M. Coates a aussi parlé de l’importance des peuples autochtones dans l’Arctique canadien. Ils constituent une source exceptionnelle de connaissances environnementales et « scientifiques » sur les questions qui touchent leurs domaines traditionnels, et ils ont beaucoup à nous apprendre. De plus, les peuples autochtones du Canada jouent aussi un grand rôle dans l’affirmation de notre souveraineté dans la région. Ainsi, la mise en œuvre d’ententes sur les revendications territoriales est essentielle pour défendre l’intérêt du Canada dans le Nord, car elle accroît la légitimité de notre titre historique. De plus, les liens circumpolaires des Inuits se sont révélés importants pour présenter le Canada au monde comme étant un pays de l’Arctique[32]. Il importe que les Canadiens comprennent que les peuples autochtones du Canada habitent les territoires arctiques depuis des temps immémoriaux et mesurent bien la portée de cette réalité.

Une bonne partie de notre succès dans l’Arctique dépendra à l’avenir de notre réservoir de connaissances. Il importe donc de mener des recherches qui nous permettront de soutenir notre présence militaire dans l’Arctique, de cartographier les fonds marins et de fournir des cartes pour le trafic maritime, ainsi que de cartographier notre plateau continental afin de prouver le bien-fondé de nos revendications touchant les droits miniers et les autres ressources. Dans tous ces travaux, il convient de ne pas négliger la contribution des peuples autochtones du Canada. Ils possèdent une connaissance de l’Arctique difficilement saisissable, si tant est qu’elle le soit, par la pensée scientifique rationnelle. Cette connaissance est de nature historique et, en partie, peut-être intuitive, mais elle est néanmoins très réelle.

De plus, l’aménagement d’installations militaires doit être coordonné avec la mise au point de l’infrastructure nécessaire au développement de la collectivité, de manière à « aplanir les difficultés pressantes sur le plan social, économique et autres, tout en consolidant les fondements à long terme de la défense nationale ». Mais surtout, il faut éviter de façonner notre stratégie dans l’Arctique uniquement en fonction des menaces et des défis actuels, et adopter plutôt une vision à long terme. Le rythme du changement dans l’Arctique est sans précédent et nous devons imaginer ce que sera la situation dans 20 ou 30 ans, à « une époque où il pourra y avoir des conflits à propos des réserves de pétrole et de gaz naturel, des préoccupations intenses au sujet de l’environnement […] ainsi que des problèmes et des menaces dont on saisit mal les contours pour l’instant[33] ».

Notre stratégie à long terme dans l’Arctique reposera en grande partie sur une réelle mobilisation des peuples autochtones du Canada. M. Paul Kaludjak, président de Nunavut Tunngavik inc., a déclaré au Comité que les Inuits « [appuient] un grand nombre des mesures prises pour exprimer la souveraineté canadienne dans l’Arctique, y compris le renforcement des Rangers canadiens et l’accroissement de la capacité des forces armées du Canada à poursuivre des opérations dans l’Arctique ». Par ailleurs, il a aussi parlé des problèmes de mise en œuvre des traités qui a donné lieu à la formation d’une coalition en matière de revendications territoriales en 2003 « pour presser le gouvernement du Canada de mettre entièrement en œuvre ses traités ». Un autre irritant : le Conseil du milieu marin du Nunavut, prévu dans l’article 15 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, n’a pas été créé. Or, selon M. Kaludjak, le Conseil du milieu marin pourrait être « une institution clé réunissant les gouvernements et les Inuits pour traiter les enjeux du large des côtes[34] ».

M. John Merritt, avocat-conseil de Nunavut Tunngavik inc. (NTI), a expliqué que NTI a entamé une poursuite fouillée en 2006 selon laquelle « la Couronne, représentée par le gouvernement du Canada, a violé l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, plus précisément, sur 39 de ces points ». Il ne pouvait pas s’étendre trop sur les détails puisque l’affaire est devant les tribunaux, mais il a tout de même avancé que le système de résolution des différends ne fonctionne pas dans l’Accord. Dans le cas du Nunavut, NTI « a saisi le gouvernement fédéral de 17 points qu’il entendait soumettre à l’arbitrage, et le gouvernement fédéral les a tous rejetés[35] ». Le Comité voit là un irritant sur lequel il faut se pencher afin de le régler. En fait, le Comité abonde dans le sens de M. Merritt qui appuie Inuit Tapirit Kanatami (ITK), estimant qu’une stratégie de l’Arctique, pour être durable, doit être rédigée en partenariat actif avec les Inuits et pas seulement par des fonctionnaires fédéraux.

Mme Mary Simon, présidente d’ITK et ancienne ambassadrice du Canada aux Affaires circumpolaires, a défendu avec éloquence le même argument. Selon elle, pour assurer la logique du processus d’élaboration des politiques pour l’Arctique, il faut se fonder sur l’idée d’une relation de partenariat de base avec les Inuits. Pour appuyer son argument, elle a cité la Déclaration circumpolaire inuite : « Les liens inextricables entre souveraineté et droits souverains dans l’Arctique, et l’autodétermination des Inuits et leurs autres droits exigent que les États acceptent la présence et le rôle des Inuits comme partenaires des relations internationales dans l’Arctique. » Mme Simon a enchaîné en déclarant que les Inuits n’ont jamais vraiment été contre une présence militaire dans l’Arctique. Cependant, en tant qu’Inuits, ils privilégient la dimension humaine de la question de la souveraineté, ce qui veut dire que parallèlement à la construction des infrastructures militaires dans la région, nous devons aussi fonder des communautés durables[36].

Mme Simon a conclu en affirmant qu’un partenariat avec les Inuits ne peut se concevoir sans tenir compte « de la volonté ou de l’absence de volonté du gouvernement […] de défendre les droits des Autochtones partout dans le monde ». Selon elle, il était temps que le gouvernement du Canada manifeste son appui en faveur de la Déclaration de 2007 des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ce qu’il a fait par la suite dans son discours du Trône 2010. De plus, elle estime que le gouvernement « en nommant un nouvel ambassadeur pour l’Arctique […] consoliderait également sa capacité à traiter les enjeux liés à l’Arctique et sa grande réputation à cet égard[37] ». Le Comité appuie ces deux recommandations. De plus, nous estimons important de souligner que le gouvernement doit absolument investir des fonds suffisants pour assurer le développement et la viabilité à long terme des collectivités autochtones.

Conclusions et recommandations

À long terme, il importe que l’Arctique ne tombe pas de nouveau dans l’oubli. Nous ne saurions nous contenter de politiques à courte vue comme solutions pour répondre aux exigences actuelles. Elles doivent être fondées sur un sentiment cohérent de bonne gestion partagé par tous les Canadiens. Mais il nous faut en même temps pouvoir « protéger » et « surveiller » ce qui nous appartient.

Le Comité comprend bien les principes qui sous-tendent l’approche pangouvernementale adoptée afin d’élaborer des politiques et de relever les défis.
La coopération interministérielle est louable, tout comme les gains d’efficacité administrative, mais il reste que les questions de la plus haute importance retiennent l’attention du premier ministre. Par conséquent, le Comité recommande :

Que soit créé un comité du Cabinet sur les affaires arctiques, composé des ministres compétents et présidé par le premier ministre.

Le Comité recommande aussi :

Que lors de l’élaboration de politiques futures sur l’Arctique, ce comité mette à contribution les autorités provinciales, territoriales et municipales ainsi que les représentants compétents des peuples arctiques autochtones du Canada.

Le Comité recommande aussi :

Que le gouvernement veille à ce que les Inuits soient mis à contribution dans les projets de recherche scientifique touchant l’environnement nordique.

Le Comité se préoccupe aussi de ce que les peuples autochtones du Canada n’ont pas obtenu la reconnaissance qui leur est due pour le rôle historique qu’ils ont joué dans la préservation de notre souveraineté dans l’Arctique. Étant donné les désavantages historiques qui pèsent sur eux, le Comité recommande :

Que le gouvernement fasse plus pour reconnaître les importantes contributions historiques faites par les peuples autochtones du Canada au chapitre de la souveraineté dans l’Arctique et que, à la lumière des engagements pris dans le discours du Trône 2010 et des préoccupations exposées au Comité, le gouvernement intervienne en priorité pour assurer le développement et la viabilité à long terme des collectivités autochtones.

En ce que le gouvernement doit reconnaître et reconnaît effectivement les réalités au nord du 60e parallèle, le Comité recommande :

Que le gouvernement mette à contribution le Nunavik dans le nord du Québec et le Nunatsiavut dans le nord de Terre-Neuve-et-Labrador au 60parallèle dans sa Stratégie pour le Nord et d’autres programmes visant le Nord.

Le Comité a fait valoir que l’approche du Canada pour ce qui touche l’Arctique doit être multilatérale et fondée sur les principes de bonne gestion. À cet égard, le Comité estime que le Conseil de l’Arctique est la meilleure tribune de coopération sur les questions concernant l’Arctique. Le Conseil a été la plus importante association circumpolaire pour l’examen des enjeux et des préoccupations touchant l’environnement, le développement durable et les questions sociales et économiques. Il s’est aussi penché sur des questions comme la protection civile et l’état de santé des populations arctiques. Le Conseil de l’Arctique, fruit d’une initiative canadienne, s’est avéré la principale tribune sur laquelle le Canada a promu ses intérêts nordiques. Toutefois, sa portée et sa composition sont pour l’instant limitées, et elles devraient être mises en rapport avec les nouvelles réalités. Le Comité recommande par conséquent :

Que le gouvernement incite le Conseil de l’Arctique à prendre en compte les intérêts des autres États qui pourraient à l’avenir développer un intérêt important à l’égard de l’Arctique.

Le Comité recommande par ailleurs :

Que le gouvernement rétablisse le poste d’ambassadeur pour l’Arctique.

Étant donné la nature changeante du contexte de sécurité dans l’Arctique, le Comité recommande en outre :

Que le gouvernement, afin de renforcer le Conseil, l’incite à élargir son mandat et à y inclure les questions de sécurité.

Le Comité en est venu à la conclusion qu’il n’y a pas de menace militaire imminente sur le territoire de l’Arctique, mais il reconnaît néanmoins la nécessité de prévoir un solide rôle policier en cas d’incursions illégales. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement hâte l’acquisition des navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique.

Le Comité estime aussi qu’une présence dans l’Arctique nécessite une importante capacité de déglaçage. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement hâte la construction du brise-glaces promis, le John G. Diefenbaker, afin qu’il puisse entrer en service d’ici les 15 prochaines années.

À mesure que les routes maritimes de l’Arctique deviendront plus accessibles, la circulation commerciale, touristique et privée augmentera. Le Comité applaudit à la décision du gouvernement de rendre obligatoires les rapports au NORDREG, mais il estime qu’il n’est pas réaliste d’imposer cette exigence aux seuls navires de 300 tonnes brutes ou plus. Selon certains témoins que le Comité a entendus, les voies maritimes du Nord canadien risquent un jour d’être utilisées par des clandestins cherchant asile, des narcotrafiquants, et ainsi de suite. Par conséquent, le Comité recommande :

Que tous les navires étrangers qui pénètrent dans les eaux arctiques canadiennes soient tenus de faire rapport au NORDREG. Cette exigence devrait être applicable sans égard pour la taille ou le tonnage du navire.

Le Comité recommande aussi :

Que le gouvernement se dote des infrastructures nécessaires, par exemple, des installations côtières, des services de cartographie, des pilotes ayant obligatoirement une expérience de la navigation dans les glaces, etc., afin d’assurer le passage en toute sécurité des navires qui empruntent les eaux arctiques canadiennes.

Étant donné le rôle essentiel joué par la Garde côtière canadienne dans l’Arctique, le Comité recommande de plus :

Que le gouvernement alloue les ressources nécessaires à la Garde côtière canadienne pour lui permettre de bien s’acquitter de son mandat dans l’Arctique.

Pour savoir ce qui se passe sur nos territoires, il faut un mode de surveillance à partir de l’espace très poussé, contrôlé et mis en œuvre au Canada par les Canadiens. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement finance intégralement la Mission de la constellation Radarsat.

Le Comité a prôné la coopération bilatérale et multilatérale sur les questions arctiques. À la lumière de ces principes, il recommande :

Que le gouvernement accorde la priorité au règlement du différend avec les États-Unis au sujet de la mer de Beaufort.

Il recommande en outre :

Que le gouvernement prenne les devants, avec d’autres États de l’Arctique, pour l’élaboration de régimes internationaux régissant les activités dans l’Arctique, à l’extérieur des territoires souverains nationaux.

Compte tenu de la nécessité de prévenir la militarisation de l’Arctique, le Comité recommande :

Que le gouvernement use de son influence au sein des tribunes multilatérales et bilatérales concernées afin de prévenir la militarisation de l’Arctique.



[1]              Cité par R.J. Sutherland, « The Strategic Significance of the Canadian Arctic », The Arctic Frontier, R. St. J. Macdonald (dir.), University of Toronto Press, 1966, p. 257. [traduction]

[2]              Robert Sutherland, p. 57. [traduction]

[3]              Ibid. [traduction]

[4]              Helga Haftendorn, « Arctic Policy for Canada’s Tomorrow », International Journal, vol. LXIV, no 4, automne 2009, p. 1139.

[5]              La sécurité dans un monde en évolution, Rapport du Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada, 1994, p. 45.

[6]              Robert Huebert, Le nouvel environnement de sécurité de l’Arctique, Institut canadien de la défense et des affaires étrangères (ICDAE), mars 2010.

[7]              Scott G. Borgerson, « Arctic Meltdown: The Economic and Security Implications of Global Warming », Affaires étrangères, mars/avril 2008, p. 65.

[8]              Franklyn Griffiths, Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes (NDDN), Témoignages, 6 octobre 2009, 0905.

[9]              NDDN, Témoignages, 6 octobre 2009, 1005.

[10]           Ibid., 1010, 0905.

[11]           Alan Kessel, NDDN, Témoignages, 29 avril 2009, 1700.

[12]           NDDN, Témoignages, 29 avril 2009, 1700.

[13]           Ibid., 1655.

[14]           Ibid., 1705.

[15]           Suzanne Lalonde, NDDN, Témoignages, 29 avril 2009, 1555.

[16]           NDDN, Témoignages, 29 avril 2009, 1705.

[17]           Ibid., 1605.

[18]           Robert Huebert, Université de Calgary, NDDN, Témoignages, 10 juin 2009, 1535.

[19]           NDDN, Témoignages, 10 juin 2009, 1535.

[20]           Ibid.

[21]           Ibid. Voir aussi Robert Huebert, Le nouvel environnement de sécurité de l’Arctique, Institut canadien de la défense et des affaires étrangères (ICDAE), mars 2010, p. 12‑15.

[22]           Robert Huebert, ICDAE, p. 14.

[23]           John Ivison, « How to Keep a Cool Head in the Arctic », National Post, 30 mars 2010.

[24]           Robert Huebert, ICDAE, p. 14-16.

[25]           Ibid., p. 17-18.

[26]           Directive présidentielle, NSDP-66/HSPD-25, janvier 2009.

[27]           Robert Huebert, ICDAE, p. 20.

[28]           Canada, Cabinet du premier ministre, Le PM annonce que le nouveau brise-glaces de classe polaire portera le nom de l’ancien Premier ministre John G. Diefenbaker, 28 août 2008.

[29]           Martin Auger, Programmes clés d’armement et d’équipement des Forces canadiennes, préparé pour le NDDN, 9 décembre 2009, p. 11-12.

[30]           Kenneth Coates, Université de Waterloo, NDDN, Témoignages, 11 mai 2009, 1550.

[31]           NDDN, Témoignages, 11 mai 2009, 1550.

[32]           Ibid.

[33]           Ibid., 1550.

[34]           Paul Kaludjak, président, Nunavut Tungavik inc., NDDN, Témoignages, 22 octobre 2009, 0915.

[35]           John Merritt, avocat-conseil de Nunavut Tunngavik inc., NDDN, Témoignages, 3 novembre 2009, 1010.

[36]           Mary Simon, présidente de l’Inuit Tapirit Kanatami, NDDN, Témoignages, 1er octobre 2009, 0915.

[37]           NDDN, Témoignages, 1er octobre 2009, 0920.