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ETHI Rapport du Comité

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RAPPORT DISSIDENT DE L’ÉTUDE DU COMITÉ PERMANENT DE L’ACCÈS À L’INFORMATION, DE LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS ET DE L’ÉTHIQUE CONCERNANT LE CONFLIT JUDICIAIRE ENTRE LA COMMISSAIRE À L’INFORMATION ET LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

La question du respect par les ministères et les sociétés d’État de la Loi sur l’accès à l’information du gouvernement fédéral est certainement du ressort du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (ETHI). Cependant, dans le cas de l’étude menée par les conservateurs concernant le respect de l’article 68.1 de la Loi par la Société Radio-Canada, il est clair que le travail de notre comité a été compromis.

La majorité conservatrice au comité a contrecarré le processus avant même que la cause ne soit entendue devant la Cour d’appel fédérale, enfreignant ainsi les conventions parlementaires. De plus, la majorité conservatrice au comité a utilisé les séances pour recommander des changements à l’article 68.1 de la Loi sur l’accès à l’information, la clause à la base même du conflit judiciaire.

Il est dérangeant que cette révision de l’article 68.1 ne prenne pas assez en considération la terminologie de la Loi sur la radiodiffusion qui traite clairement de la « liberté d’expression [et de] l’indépendance en matière de journalisme, de création [et] de programmation dont jouit la Société dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs.[1] » Le rapport de la majorité conservatrice risque donc de brouiller les cartes dans ce litige.

De plus, nous sommes très préoccupés par les procédures contestables lancées par le comité pour cette étude, incluant l’adoption d’une motion du gouvernement demandant que des documents caviardés et non caviardés qui sont au cœur du conflit judiciaire soient vérifiés par les membres du comité ETHI. Cette motion outrepasse les limites des compétences d’un comité de la Chambre des communes

Notre préoccupation à l’égard de cette procédure a été renforcée par l’avis juridique donné par M. R.R. Walsh, légiste et conseiller parlementaire, qui souligne la nature politique de l’étude qui a été menée en parallèle avec un enjeu traité de façon indépendante par un tribunal. Alors que nous reconnaissons que les comités peuvent forcer des témoins à comparaître et exiger la présentation de documents, s’ils le jugent nécessaire, c’est par respect pour l’indépendance judiciaire que le Parlement observe la règle sub judice :

Il est couramment admis que l’on devrait, dans l’intérêt de la justice et du « fair play », imposer certaines limites à la liberté qu’ont les députés de se référer, dans le cours des délibérations, à des affaires en instance devant les tribunaux. On s’entend également pour dire que ces affaires ne devraient faire l’objet ni de motions ni de questions à la Chambre.[2]

M. Walsh, pour sa part, appuie ce point de vue :

Un comité de la Chambre des communes ne devrait pas, à mon avis, jouer le rôle d’une cour de justice, ou même sembler jouer ce rôle, en traitant toute action particulière d’une partie qui est permissible selon la loi. Le faire serait empiéter, ou sembler empiéter, sur les fonctions constitutionnelles des tribunaux. 

Un tel empiétement enfreindrait la division des pouvoirs entre les fonctions judiciaires et législatives et remettrait en question la validité des processus du comité ETHI [Traduction].

M. Walsh cite un autre précédent. Dans le cas de Vaid (2005), Monsieur le Juge Binnie, au nom du tribunal, a affirmé que :

C’est suivant un principe d’une grande sagesse que les tribunaux et le Parlement s’efforcent de respecter leurs rôles respectifs dans la conduite des affaires publiques. Le Parlement s’abstient de commenter les affaires dont les tribunaux sont saisis conformément à la règle du sub judice. Les tribunaux, quant à eux, prennent soin de ne pas s’immiscer dans le fonctionnement du Parlement.[3]

Dans l’affaire Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) contre Tobiass (1997), la cour a conclu que la règle sub judice est essentielle afin de respecter le rôle des tribunaux dans l’administration de la loi.

De plus, la question de la division des pouvoirs entre la judiciaire et le législatif a été considérée par le président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne le 11 mars 2008. Il a déclaré irrecevable une motion semblable en lien avec la convention sub judice. Le 7 juin 2005, une décision rendue par le président Milliken portant sur une question étudiée par le commissaire à l’éthique a justifié ce point de vue. Nous sommes inquiets que le comité ETHI ait tenté de contrecarrer le processus judiciaire en intervenant avant la tenue de la cause judiciaire à la Cour d’appel fédérale. Nous sommes tout autant préoccupés par le fait que le comité ait pu outrepasser les limites imposées par la constitution et la convention constitutionnelle.

M. Walsh a prévenu les parlementaires des dangers associés à une violation de la séparation des pouvoirs. L’Association du Barreau canadien a également exprimé un point de vue similaire, indiquant que « les députés doivent respecter ce principe juridique important. Le comité ferait mieux d’attendre l’issue des procédures judiciaires avant de poursuivre ses délibérations. »

Nous sommes d’accord avec l’Association du Barreau canadien, ainsi qu’avec les conclusions de M. Walsh à l’effet que « le respect du cadre constitutionnel de notre régime de gouvernement parlementaire fait partie de la règle de droit qui est notre principe légal fondamental et qui permet à un système de gouvernement démocratique comme le nôtre de fonctionner en toute crédibilité. »

M. Walsh a également noté, dans son avis juridique, que si le comité avait consulté les documents non caviardés (fournis par la SRC dans une enveloppe celée), et que si les documents de la SRC réquisitionnés par le comité étaient un jour rendus publics, « l’ETHI (ou certains de ses membres) pourrait être accusé d’avoir violé la règle de confidentialité et d’avoir rendu le processus judiciaire inutile en vertu de la Loi. »

Si la Cour d’appel fédérale avait repoussé son jugement de plusieurs semaines, l’ETHI aurait été à risque de violer la règle sub judice en consultant les documents demandés par le comité pour examen.

Tout au long de cet examen, l’opposition officielle a été très préoccupée par les tentatives du gouvernement visant à ignorer l’avis juridique de M. Walsh. Le Parlement devrait plutôt étudier la possibilité d’accorder une plus grande portée à la règle sub judice afin d’empêcher une telle situation de se reproduire dans le futur.

À travers la motion déposée par M. Del Mastro, le gouvernement a demandé à la Société Radio-Canada de fournir au comité des documents non caviardés qui faisaient alors l’objet d’une dispute devant la Cour d’appel fédérale. Plusieurs avis juridiques et plusieurs précédents dénoncent une telle tentative visant à supplanter l’indépendance de la branche judiciaire.

Notre système politique est basé sur la séparation des pouvoirs législatifs et judiciaires. Le travail des comités de la Chambre des communes ne devrait pas chercher à contourner le processus judiciaire afin de créer un processus parallèle. Si la Cour d’appel fédérale n’avait pas rendu sa décision rapidement, cette situation aurait pu créer un dangereux précédent.

La SRC a clairement indiqué qu’elle était « satisfaite » du jugement et n’a pas fait appel de cette décision[4]. Un important aspect du jugement de la Cour d’appel fédérale est sa reconnaissance du droit de la SRC de ne pas révéler ses sources journalistiques pour qu’elles soient examinées par la Commissaire à l’information :

Aucun tel conflit est susceptible de se produire entre un refus base sur ce qu’il convient d’appeler “le secret des sources des journalistes” (Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41; [2010] 2 R.C.S. 592), et l’exception prévue à l’article 68.1. L’identité de sources journalistiques et l’exception portant sur l’administration ne peuvent s’entrechoquer quelle que soit l’étendue que l’on donne à cette exception. Dans ces circonstances, la seule conclusion possible si l’on donne effet au raisonnement du juge de la Cour fédérale, est que l’exclusion visant les sources journalistiques, comme celles prévues aux articles 69 et 69.1, est absolue. Il s’ensuit que dans l’éventualité d’une demande visant le dévoilement d’une source journalistique, un document – ou la partie d’un document – qui révèle ce type de renseignement échapperait au pouvoir d’examen de la Commissaire.[5]

Pour le moment, la SRC a fourni les documents concernés à la Commissaire à l’information, et leur statut en tant que documents exemptés en vertu de l’article 68.1 fait actuellement l’objet d’un examen. Le comité ne devrait pas tenter de s’ingérer dans le travail d’un agent indépendant du Parlement. Nous nous en remettons à la Commissaire à l’information afin de prendre la bonne décision, une décision prise indépendamment du comité ETHI.


[1] Loi sur la radiodiffusion (L.C. 1991, ch. 11), Art. 52 (1)

[2] O’Brien and Bosc. House of Commons Procedures and Practices, pp. 99–100.

[3] Canada (House of Commons) v. Vaid, [2005] 1 S.C.R. 667, 2005 SCC 30, paragraph 20. http://scc.lexum.org/en/2005/2005scc30/2005scc30.pdf

[4] « CBC 'satisfied' with Federal Court of Appeal ruling ». CBC News. 25 Nov 2011. http://www.cbc.ca/news/politics/story/2011/11/25/pol-cbc-ethics-decision.html [en anglais seulement].

[5] Société Radio-Canada c. Canada (Commissaire à l’information), Dossier A-391-10, paragraphe 74. http://decisions.fca-caf.gc.ca/fr/2011/2011caf326/2011caf326.html