FAAE Rapport du Comité
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CHAPITRE 5 : RÔLE DU SECTEUR PUBLIC DANS LE DÉVELOPPEMENTDans les parties précédentes du présent rapport, il est indiqué que :
Le but du présent rapport n’est donc pas de proposer le remplacement des activités de développement exercées par les autorités publiques par celles des intervenants du secteur privé. Il s’agit plutôt de reconnaître la façon dont le secteur privé contribue déjà et pourrait contribuer au développement par ses activités de base et ses compétences. Il vise également à mettre en lumière les avantages comparatifs des secteurs public et privé afin de conjuguer leurs forces pour accroître l’efficience des initiatives de développement. M. Ross Gallinger, directeur exécutif de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, a dit au Comité : « Ce n'est que grâce à un effort collectif du secteur privé, de la société civile et du gouvernement que nous pourrons tirer des leçons de nos difficultés et renforcer notre quête commune d'une réduction de la pauvreté[102]. » De même, la Fondation Aga Khan Canada a écrit au Comité : « Le développement nécessite la coopération des gouvernements, de la société civile et du secteur privé. Aucun secteur ne peut suffire à lui seul à la réalisation du processus de développement. » Comme le soutient la Fondation : « Plutôt que de cibler strictement un seul secteur, il est nécessaire que les secteurs collaborent de manière créative[103]. » Une approche qui cherche à déterminer ces avantages comparatifs permettrait de dégager des ressources publiques (aide publique au développement), lesquelles sont de plus en plus mises à rude épreuve vu la conjoncture économique mondiale, pour les orienter vers certaines activités par lesquelles le secteur public et, à bien des égards, lui seul, peut diriger la lutte contre la pauvreté dans le monde et améliorer les possibilités d’accroître la qualité de vie. En outre, les ressources du secteur public pourraient catalyser de manière durable d’autres investissements privés, grâce à une réforme réglementaire du secteur financier, par exemple, permettant ainsi l’investissement direct étranger. Un secteur clé où l’aide au développement peut jouer un rôle non négligeable est le renforcement des institutions publiques, qui revêtent une importance critique pour le développement soutenu. La prospérité économique ne peut naître du néant. Comme l’indiquent les écarts dans les taux de croissance économique et les indices de qualité de vie entre États fragiles et États stables, il y a peu de chances que la prospérité soit le fait d’une société plongée dans l’insécurité, affligée de corruption et confrontée à un capital humain sous-développé. Mme Jane Nelson, agrégée supérieure et directeur de la Corporate Social Responsibility Initiative à la Harvard University’s Kennedy School of Government, était d’avis que « même les pratiques d’affaires les plus rentables, responsables et novatrices sont impuissantes à réduire la pauvreté s’il n’y a pas d’administration éclairée, appuyée par la volonté politique et l’intérêt public[104] ». Alors que le rôle du secteur privé a été exposé dans les lignes qui précèdent, la partie suivante décrit les rôles et les responsabilités que doit assumer le secteur public pour dégager le potentiel de croissance économique des pays. Biens publics et responsabilité publiqueLe potentiel économique d’une société est fonction de ses actifs (ressources humaines et capital). Une multitude de facteurs internes et externes façonnent inévitablement la trajectoire économique d’un pays. De nombreuses données indiquent toutefois à l’évidence que la croissance économique soutenue est de beaucoup facilitée par certains facteurs : main-d’œuvre instruite et en bonne santé, sécurité, infrastructure de transport et de communications appropriée et système de justice impartial, pouvant statuer sur les différends, faire respecter les droits et assurer l’exécution des contrats. Tous ces facteurs augmentent les chances qu’un pays attire des investissements et que ses citoyens et entreprises puissent en profiter. M. Jean-François Tardif a signalé que, vu la mission du secteur privé orientée vers le profit, le secteur public est mieux équipé pour fournir des biens publics[105]. À ce propos, des témoins ont fait valoir que ce sont les gouvernements et non les entreprises qui doivent fournir les services sociaux de base. Par exemple, concernant les compagnies dans le secteur des ressources naturelles, Mme Karin Lissakers, directrice de Revenue Watch Institute aux États-Unis, a dit : « Les gouvernements devraient construire les écoles et fournir les cliniques de santé — pas les entreprises minières; ce n'est pas leur rôle. » Mme Lissakers a reconnu que la prestation de ces services par des entreprises peut être profitable. Mais à la longue, cela peut avoir des conséquences négatives pour les relations de responsabilité ainsi que pour la gouvernance et la capacité de prestation à l’échelon local, car cela « décharge le gouvernement[106] ». De l’avis du professeur Bonnie Campbell, le fait que des compagnies minières, par exemple, fournissent des services sociaux — « comme la fourniture des services, les cliniques, les écoles, les routes, la sécurité ou la réglementation » — dans les régions où elles exercent leurs activités, peut avoir de fâcheuses conséquences sur le plan de la responsabilité : Un aspect essentiel de la question, c'est que cette déresponsabilisation des États, qui laisse entendre que les entreprises peuvent obtenir l'acceptation de la population ou légitimer leurs activités en offrant des services sociaux, risque de miner une condition à l'établissement de gouvernements responsables et le fondement des pratiques démocratiques. Les gouvernements doivent offrir des services sociaux à la population et lui rendre des comptes[107]. Ces témoins ont affirmé qu’il fallait de solides liens de responsabilité entre les autorités en place et les citoyens, de même qu’entre les autorités et les entreprises qui œuvrent dans leurs territoires. Au demeurant, cette analyse s’accompagne d’un point fondamental : la production de biens publics nécessite des ressources publiques. Les gouvernements doivent avoir accès aux ressources internes requises pour fournir des services de base aux citoyens. Comme nous l’avons indiqué pour ce qui concerne les flux de capitaux illicites provenant de pays en développement, la première étape est le paiement d’impôts conforme à un régime fiscal fonctionnel. La seconde est la gestion et l’affectation des revenus de l’État de façon responsable et efficace, notamment au moyen d’investissements dans les biens publics. Une plus grande transparence à l’égard des flux de revenus provenant des ressources et des sommes versées aux gouvernements par les entreprises est un aspect important de toute capacité budgétaire renforcée et, partant, de la production de biens publics. Comme il en sera question plus loin dans le rapport, plusieurs initiatives ont été réalisées à l’échelle internationale et au sein des administrations nationales pour accroître la transparence. Ces initiatives permettent aussi aux citoyens et à la société civile de surveiller l’utilisation que font les gouvernements des recettes perçues. Selon des témoins, les organismes d’aide publics comme l’ACDI peuvent prêter main-forte pour le renforcement des capacités dans ce domaine. Comme il en sera question dans les lignes qui suivent, les pays en développement ont grandement besoin de divers programmes, par exemple pour accroître la surveillance parlementaire du pouvoir exécutif, pour instaurer de nouveaux régimes de redevances, pour prendre des règlements et pour établir des codes d’impôt. Capacités et institutionsLa mauvaise gouvernance entrave lourdement le développement. M. Jack Mintz, titulaire de la chaire Palmer en politiques publiques de l’École d’études publiques de l’Université de Calgary, a formulé la conclusion générale que voici sur le sujet à l’étude : « la vraie réussite du secteur privé, sur le plan de sa contribution à la croissance et à la prospérité d'un pays donné, dépend très largement de la solidité des institutions publiques et de la politique publique en place dans le pays[108]. » D’autres témoins abondaient dans son sens. M. Gallinger, de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, a dit au Comité que « le renforcement des capacités représente le plus grand obstacle au développement ». Il a ajouté : « Les régions où se rendent les sociétés minières ne font pas l'objet d'une importante supervision gouvernementale[109]. » M. Anthony Bebbington, professeur à l’École supérieure de géographie de l’Université Clark, a donné un exemple de moyens limités et de « contraintes institutionnelles » dans un pays en développement qui est doté de ressources naturelles importantes. Il a fait savoir que « le bureau de réglementation de l'exploitation minière d'El Salvador ne compte que trois professionnels pour réglementer l'ensemble du secteur, et aucun d'eux n'a une formation dans le domaine de l'environnement ou des sciences minérales[110] ». Pour négocier des marchés qui sont profitables à l’administration en question, les institutions gouvernementales doivent être en mesure de gérer les rapports avec les entreprises. Des chefs de file dans l’industrie ont également fait mention de l’importance des capacités locales. M. Brent Bergeron, vice-président des Affaires corporatives chez Goldcorp inc., a dit au Comité : Ces difficultés sont souvent attribuables au fait que les entreprises et les gouvernements locaux et nationaux ne sont pas équipés pour fournir les services les plus indispensables au bien-être socioéconomique des collectivités locales, sans parler de la pénurie de travailleurs compétents pouvant se consacrer à l'exploitation minière[111]. M. Bergeron a expliqué que les compagnies minières comme la sienne possèdent un vaste savoir-faire technique dans le domaine du développement de l’infrastructure qui peut être utile aux régions situées près des sites des projets. Il a cependant ajouté : Là où il nous manque les compétences et connaissances nécessaires, c'est au niveau de la formation du capital humain et des ressources qu'il nous faut pour gérer les services et voir à leur prestation dans les cliniques et les écoles que nous construisons, ainsi qu'au niveau de l'administration des fonds que nous transférons directement aux collectivités[112]. Dans l’ensemble, les témoins convenaient que les organismes d’aide du secteur public doivent assumer le rôle principal en fournissant l’aide nécessaire au renforcement des capacités, non seulement parce qu’ils peuvent mettre à profit leur savoir-faire, mais aussi parce qu’il est nécessaire d’assurer la légitimité du travail. Les entreprises poursuivent un but lucratif; les bénéfices et les coûts associés à leurs projets sont directement liés aux règlements et aux lois adoptés par les institutions gouvernementales des pays hôtes. Pour cette raison, Mme Sabine Luning, professeure d’anthropologie culturelle et de sociologie du développement à l’Université de Leiden, soutenait que les projets de renforcement des capacités dans les pays nouvellement riches en ressources comme le Burkina Faso devraient être « l’enjeu central ». Elle a ajouté : « Cependant, les sociétés minières qui doivent être autorisées et surveillées par l'État hôte ne peuvent le faire[113]. » Faisant allusion à l’exemple du Guatemala, M. Bergeron a indiqué : Or, en tant que société Goldcorp, est-ce que je peux prétendre me planter là-bas et donner des leçons au ministère de l'énergie et des mines? Absolument pas. Cela manquerait de crédibilité. Je crois néanmoins qu'il serait tout à fait logique qu’une institution gouvernementale mette à profit l’expérience que nous avons au Canada — notamment Ressources naturelles Canada et son bagage d’expérience — pour l'appliquer ensuite au Guatemala. C’est pourquoi nous cherchons à collaborer avec d’autres organisations[114]. À cet égard, Mme Luning a fait valoir que le renforcement des capacités lié au développement institutionnel devrait faire l’objet de « partenariats publics-privés bilatéraux[115] ». Un autre témoin, M. Paul Romer, professeur à la Stern School of Business de l’Université de New York, est, lui aussi, convaincu de l’importance centrale des institutions, ou plus précisément d’un « ensemble de règles structurant les interactions entre chacun »; il s’affaire à des initiatives qui déboucheront sur la création de ce qu’on pourrait appeler des enclaves d’institutions efficaces dans des sociétés en développement. Ces « zones spéciales » fixeraient les règles et les normes qui sont nécessaires pour faciliter l’avancement économique des individus, mais qui ne sont peut-être pas suffisamment élaborées ou protégées en ce moment dans la société. Un projet qui va dans ce sens est proposé au Honduras : Le gouvernement a modifié sa constitution et a adopté une loi afin de créer une zone de réforme, où des étrangers pourront reproduire certaines des conditions essentielles — ils contribueront ainsi à rétablir la confiance et à renforcer la sécurité en vue d'instaurer les normes d'honnêteté recherchées[116]. Dans une lettre adressée au Comité, M. Porfirio Lobo Sosa, président du Honduras, a mentionné qu’« un environnement stable, des règles transparentes et de solides institutions » sont nécessaires pour que le pays puisse « créer des emplois afin de réduire les inégalités sociales, fournir à la population de l’instruction, des services de santé et des services de sécurité publique, de même que l’infrastructure nécessaire pour vraiment améliorer les conditions de vie des Honduriens[117] ». La zone proposée, par exemple, serait dotée de tribunaux et la Cour suprême de la République de Maurice lui servirait de cour d’appel. Voilà le genre d’aide que pourraient offrir, selon M. Romer, des pays comme le Canada. De même, le président du Honduras a indiqué dans sa lettre au Comité que « le prestige international des institutions canadiennes fait d’elles des candidats de choix pour aider notre gouvernement à établir les régions de développement spéciales ». M. Romer a affirmé que « les citoyens seront libres de venir vivre dans ce nouvel environnement, mais ils n'y seront pas tenus[118] ». Mais pour concrétiser des idées, il faudra, semble-t-il, régler certains des nombreux problèmes; il faudra, notamment préciser le mode d’interaction des régions spéciales avec le reste du pays d’un point de vue pratique et juridique. Il faudra aussi déterminer comment ériger les liens de légitimité politique et de responsabilité entre ceux qui choisissent de travailler dans la région spéciale et les divers arrangements institutionnels qui pourraient être établis comme il est décrit précédemment[119]. Environnement favorable aux activités du secteur privéLes politiques, lois, règlements et conditions de gouvernance des pays influent considérablement sur leur capacité d’attirer des investissements, de faciliter la création et le développement d’entreprises, et de transformer ces activités en croissance économique. Dans le Rapport sur le développement dans le monde 2005, il est mentionné : Un bon climat d’investissement fournit des occasions et des incitatifs aux entreprises, tant aux microentreprises qu’aux multinationales, d’investir de manière productive, de créer des emplois et de se développer. Il joue donc un rôle central dans la croissance et la réduction de la pauvreté[120]. On y ajoute cependant : Un bon climat d’investissement n’a pas seulement pour but de produire des profits pour les entreprises — si tel était le cas, il suffirait de chercher à réduire les coûts et les risques. L’objectif visé en la matière est d’améliorer le sort de l’ensemble du corps social. Les entreprises assument à juste titre certains coûts et risques[121]. C’est précisément pour cette raison que le vaste système de gouvernance qui sous-tend l’ensemble de règles et de règlements d’un pays applicables aux activités du secteur privé est tout aussi important, sinon plus, que les règles et règlements mêmes. Au niveau le plus élevé qui soit, des témoins ont mentionné qu’un environnement favorable aux activités du secteur privé repose sur la règle de droit. Selon M. Sullivan, du Centre international pour l’entreprise privée, « Réduire la pauvreté exige une réforme des politiques publiques de façon à élargir l'accès aux opportunités et à instaurer la confiance envers ces institutions de marchés[122] ». Citant le prix Nobel Douglass North, M. Sullivan a signalé qu’il importe de passer d’une société où les rapports économiques sont dominés par les relations personnelles à une société où règne suffisamment la confiance en un système au sein duquel les gens font affaire avec d’autres membres de la société sans nécessairement entretenir avec eux des contacts personnels. M. Hernando de Soto a également décrit une économie régie par la règle de droit : « Au bout du compte, la règle de droit signifie qu'on remplace divers petits fragments du système qu'on pourrait qualifier d'archaïque par une loi. C'est la règle de droit : lorsqu'il y a un système et une norme pour une nation en entier[123]. » La transition exige de robustes institutions, notamment un système judiciaire équitable, impartial et efficace. Dans l’élaboration de la règle de droit, les travaux de Hernando de Soto font ressortir un facteur habilitant de prospérité économique et de réduction de la pauvreté : les droits de propriété. M. de Soto affirme que la propriété est le levier, souvent à titre de garantie, qui donne accès au capital. Sans ce levier, les pauvres restent pauvres et en marge de l’économie légale; le potentiel de leurs propriétés, économies et projets d’entreprise demeure non actualisé[124]. Dans le cadre de ses vastes travaux, le Comité a pris connaissance de systèmes de propriété boiteux qui existent dans des pays comme Haïti, où l’incertitude et la confusion conjuguées au système de propriété compliquent les projets de reconstruction. Récemment, M. Hernando de Soto a établi un lien entre les événements du printemps arabe et la persistance de grandes économies parallèles comme celles qui existent en Tunisie et en Égypte et qui sont marquées par la corruption, la piètre application des droits de propriété et les coûts prohibitifs de l’accès à ces droits. À ce sujet, il a écrit : Dans la foulée de la chute des trois autocrates, on n’a pas accordé suffisamment de crédit au puissant consensus qui a déclenché le soulèvement — le désir d’une vaste classe marginale de gens désireux de travailler dans une économie de marché légale. Dans les régions culturellement diversifiées du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, le dénominateur commun est l’économie parallèle. C’est la clé de la croissance future et, en fait, de la stabilité[125]. Le jeune vendeur Tarek Mohamed Bouazizi, qui s’est immolé en Tunisie en décembre 2010 et dont le geste a déclenché des protestations de masse contre le régime de Ben Ali, travaillait au sein d’une économie parallèle. Une policière et deux agents municipaux ont saisi ses caisses de fruits et de légumes et sa balance électronique, qui étaient en fait ses moyens de subsistance. M. de Soto a dit au Comité : Le pire, c'est qu'on lui a enlevé le droit d'avoir un kiosque — c’est comme son droit à la propriété pour le travail —, et toute la paperasse qu'il avait remplie afin de donner sa maison en garantie pour obtenir du crédit afin d'acheter une camionnette qui le rapprocherait du marché agricole a été annulée. Lorsque l'on additionne tout ça dans le cadre de sa vie et de ses obligations, on l'avait acculé à la faillite. Il avait été exproprié. Il était ruiné[126]. De l’avis de M. de Soto, tout comme les principaux obstacles à la prospérité économique ne sont pas d’ordre technologique dans de nombreux pays en développement, la question des droits de propriété ne peut y être abordée sous l’angle de simples problèmes fonciers. Ces obstacles sont de nature politique. L’une des caractéristiques de nombreux pays en développement est qu’ils comprennent de vastes secteurs d’activité informelle. La persistance de l’activité économique informelle et la réticence des gens à s’insérer dans le secteur formel reflètent l’absence de facteurs habilitants ou, autrement dit, la présence d’obstacles structurels. M. Sullivan a mentionné certains obstacles possibles en prenant pour exemple l’Égypte : En Égypte, par exemple, une petite entreprise doit signer 26 chèques postdatés. C'est ce qu'exigent les banques. Pourquoi ça? Parce que la législation des faillites est tellement mauvaise qu'il faut parfois six mois pour récupérer sa garantie. Vous pouvez donner une garantie, mais vous ne pouvez tout simplement pas la récupérer par le système judiciaire alors que, si vous émettez un chèque en bois, vous allez en prison. Vous êtes donc fortement incité à payer les mensualités de votre prêt, ou à ne pas demander de prêt, ce qui a pour effet d'empêcher les gens de passer dans le secteur formel ou, s'ils sont déjà dans le secteur formel, d'avoir accès au crédit[127]. La Banque mondiale fait état de ces obstacles structurels dans son classement annuel des pays en fonction de la facilité d’y faire des affaires, classement qui tient compte des principaux aspects des règles qui ont cours dans une société et qui « influencent le comportement des entreprises[128] ». En 2012, parmi les 183 étudiés, l’Égypte occupait le 110e rang. Sept procédures s’appliquent à l’enregistrement d’une propriété, sur une période de 72 jours. Quelque 29 paiements d’impôt sont exigés annuellement[129]. Les aspects structurels découragent les gens de s’insérer dans l’économie formelle, ce qui nuit du même coup au développement des entreprises et à la productivité dans le secteur formel. L’une des six recommandations formulées au Comité par Mme Hannam, de la Banque Scotia, était que l’ACDI « participe directement à l'édification d'infrastructures financières de base : droits de propriété, lois sur les transactions sécurisées, registres de sûretés, bureaux de crédit, outils pour les PME, littératie financière, harmonisation réglementaire régionale et réglementation financière[130] ». Elle a ensuite expliqué pourquoi ces aspects de l’environnement favorable au développement d’entreprises et au développement économique sont si importants selon elle : « Travaillant dans le secteur des prêts, […] nous devons pouvoir compter sur le droit à la propriété. Nous devons pouvoir compter sur les garanties de paiement. En l'absence de ces caractéristiques, nous ne pouvons pas consentir des prêts et nous ne pouvons donc pas financer les propriétaires d'entreprises qui essaient de faire vivre leur famille et de développer leurs activités[131]. » Des témoins ont mentionné que l’aide publique au développement peut favoriser la création d’un environnement favorable aux activités du secteur privé dans les pays en développement. Mme O’Neill, de USAID, a dit au Comité : « Nous croyons fermement dans l'un des mérites que l'aide publique au développement — et probablement elle seule — peut avoir, c'est-à-dire qu'elle renforce le milieu pour permettre aux entreprises, petites ou grandes, de prendre de l'expansion[132]. » De même, à une question du Comité au sujet des limites du rôle que peuvent jouer les entreprises privées dans le développement, M. Raymond Baker, directeur de Global Financial Integrity, a répondu : […] je ne sais pas comment les sociétés privées peuvent contribuer dans une large mesure au développement de la structure juridique d'un pays. Elles peuvent certainement favoriser son développement. Mais, en fin de compte, ce n'est pas leur rôle, car c'est un rôle qui appartient aux gouvernements[133]. Mais comme l’a indiqué M. Sullivan, ce n’est pas en imposant des réformes de l’extérieur qu’on pourra régler rapidement et efficacement ces problèmes : Nous avons aussi constaté que les réformes imposées de haut en bas ont tendance à ne pas fonctionner. Nous avons découvert ce que nous appelons le déficit de réalité. Quand des experts internationaux atterrissent dans un pays pour aider à y créer ces institutions ou à rédiger ces lois, ils les font ensuite traduire dans les langues locales pour qu'elles soient adoptées par le législateur. Ensuite, elles restent là comme un hydroglisseur au-dessus de l'eau, sans jamais la toucher […] C'est le déficit qui existe entre ce que dit la loi et ce que sont les pratiques réelles[134]. Par conséquent, bien que le soutien du renforcement des capacités qui provient de sources externes soit essentiel aux efforts visant à établir les conditions institutionnelles aptes à favoriser la croissance économique dans les pays en développement, il doit être adapté comme tel, c’est-à-dire comme soutien. Le consensus international sur les principes de l’efficacité de l’aide, formulés à Paris en 2005, à Accra en 2008 et à Busan en 2011, font ressortir l’importance de la prise en charge et de la responsabilité nationales pour le processus de développement. L’aide au développement orientée vers la gouvernance économique n’est pas différente de l’aide orientée vers le renforcement du système de santé d’un pays. Elle a beaucoup plus de chances de devenir autonome si elle est conçue de manière à s’harmoniser aux plans et aux priorités déjà établis à l’échelon local. Financement de démarrageLe financement public peut parfois être essentiel aux premières étapes d’un projet de développement, lui permettant de prendre son envol, puis de prendre de l’expansion sous l’égide du secteur privé. Tel a été le cas de la microfinance, un sujet qui est étudié plus en détail dans le présent rapport, sous la rubrique des services financiers. Pour résumer brièvement l’idée maîtresse, M. Larry Reed, directeur de la Campagne du sommet du microcrédit, a tracé l’histoire du secteur de la microfinance, des années 1990 à aujourd’hui. Ce faisant, il a expliqué que les actifs du secteur s’élevaient à quelque 400 millions de dollars il y a 10 ans et se composaient de fonds provenant des gouvernements et de dons privés; de nos jours, « l’actif combiné s’élève à plus de 8 milliards de dollars » grâce à l’injection de fonds privés. Le gouvernement a fourni l’impulsion initiale et développé l’industrie au point où elle pouvait avoir des retombées sociales et financières. M. Reed a dit au Comité : Quand nous avons commencé, aucune grande banque n'accordait de prêt aux pauvres, ce pour quoi le secteur des organisations non gouvernementales a dû s'en mêler. Le but était d'aider les personnes démunies à sortir de la pauvreté. Ce faisant, elles ont élaboré des techniques et des systèmes que les organisations à but lucratif ont pu utiliser. Ces dernières ont par la suite découvert que cela pourrait leur être profitable, alors elles ont commencé à exercer des activités dans ce domaine[135]. Pour M. Reed, l’enseignement à tirer du secteur de la microfinance est que « le financement gouvernemental peut servir à mobiliser des fonds du secteur privé afin que l'impact global soit bien plus grand que ce que chacun de ces secteurs [public et privé] aurait pu accomplir séparément »[136]. Il a indiqué qu’en conjuguant leurs forces, l’État et le secteur privé « peuvent créer un marché en travaillant de concert. Ils peuvent créer un marché qui n'existait pas auparavant — ou, du moins, pas à une échelle susceptible d'intéresser le secteur privé »[137]. La microfinance n’est pas le seul exemple où un tel partenariat peut déboucher sur des activités qui visent à répondre aux besoins des pauvres. Il a été question précédemment du rôle que joue le secteur public au moyen du mécanisme de garantie de marché de GAVI pour un vaccin contre le pneumocoque dans les pays en développement[138]. M. Reed a cependant prévenu que la formation d’un nouveau marché ne devrait pas être considérée comme l’aboutissement de la participation du secteur public. En ce qui concerne la microfinance, il pense que le secteur public peut renforcer le comportement de l’industrie et contribuer à l'établissement « de paramètres liés à l'aspect social de l'investissement » pour que le bien collectif visé par les investissements soit effectivement réalisé[139]. Observations finales sur le rôle du secteur publicÀ l’exemple de la partie précédente du rapport qui portait sur le rôle du secteur privé dans le développement, la présente partie a porté sur le rôle du secteur public et fait ressortir les principaux points que voici :
Le Comité est conscient que la mise en œuvre de ces mesures est une tâche longue et difficile. Il comprend aussi que le succès n’est pas assuré. Ce ne sont pas tous les gouvernements et toutes les institutions qui ont à cœur les intérêts des citoyens. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont efficaces et qui peuvent saisir les occasions créées ou encore intégrer les pauvres à leurs activités. Néanmoins, une approche qui vise à maximiser les avantages comparatifs des intervenants des secteurs public et privé, dans le cadre d’une stratégie globale, pourrait, dans la plupart des cas, ouvrir la voie à l’atteinte des objectifs de développement international. [102] FAAE, Témoignages, 17 novembre 2011. [103] Fondation Aga Khan Canada, Présentation au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, FAAE, 7 mai 2012, p. 2. [104] Jane Nelson, « Leveraging the Development Impact of Business in the Fight against Global Poverty », dans Transforming the Development Landscape: The Role of the Private Sector, Lael Brainard, éd., Brookings Institution Press, Washington, D.C., 2006, p. 42. [traduction] [105] FAAE, Témoignages, 8 décembre 2011. [106] FAAE, Témoignages, 27 février 2012. [107] FAAE, Témoignages, 4 avril 2012. [108] FAAE, Témoignages, 13 décembre 2011. [109] FAAE, Témoignages, 17 novembre 2011. [110] FAAE, Témoignages, 29 février 2012. [111] Ibid. [112] Ibid. [113] FAAE, Témoignages, 28 mars 2012. [114] FAAE, Témoignages, 29 février 2012. [115] FAAE, Témoignages, 28 mars 2012. [116] FAAE, Témoignages, 28 mai 2012. [117] Lettre de M. Porfirio Lobo Sosa, président de la République du Honduras, à M. Dean Allison, président du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, datée du 22 mai 2012. [traduction] [118] FAAE, Témoignages, 28 mai 2012. [119] Pour plus de précisions concernant l’évolution de la situation, veuillez consulter Elisabeth Malkin, « Plan for Charter City to Fight Honduras Poverty Loses Its Initiator », The New York Times, 30 septembre 2012, [120] Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 2005 – Un meilleur climat de l'investissement pour tous, Banque mondiale et Oxford University Press, 2004, p. 1. [traduction] [121] Ibid., p. 2. [122] FAAE, Témoignages, 13 février 2012. [123] FAAE, Témoignages, 22 novembre 2011. [124] Voir, par exemple, les chapitres du livre de Hernando de Soto The Mystery of Capital: Why Capitalism Triumphs in the West and Fails Everywhere Else, en cliquant ici. [125] Hernando de Soto, « The free market secret of the Arab revolutions », The Financial Times, 8 novembre 2011, p. 71. [traduction] [126] FAAE, Témoignages, 22 novembre 2011. [127] FAAE, Témoignages, 13 février 2012. [128] Banque mondiale, À propos de Doing Business : mesurer les résultats. Dans l’explication des classements de Doing Business, il est indiqué : « De nombreux facteurs peuvent jouer sur la volonté d’un entrepreneur de mettre en œuvre une nouvelle idée, notamment l’impression qu’il a de la facilité (ou de la difficulté) avec laquelle il pourra faire face aux différentes règles qui façonnent et servent de base à l’environnement des affaires. La décision de poursuivre une idée, de l’abandonner ou de la mettre en oeuvre dans une économie ou dans une autre pourra dépendre en grande partie de la facilité d’accomplir les démarches nécessaires pour créer une entreprise ou obtenir un permis de construire, ainsi que de l’efficacité des mécanismes de règlement des différends commerciaux ou de solutionnement de l’insolvabilité. » [129] Voir Banque mondiale, Société financière internationale, Facilité de faire des affaires – Égypte, 2012. [130] FAAE, Témoignages, 12 mars 2012. [131] Ibid. [132] FAAE, Témoignages, 30 mai 2012. [133] FAAE, Témoignages, 23 avril 2012. [134] FAAE, Témoignages, 13 février 2012. [135] FAAE, Témoignages, 14 mars 2012. [136] Ibid. [137] Ibid. [138] Voir GAVI Alliance, « How the pneumococcal AMC works ». [139] FAAE, Témoignages, 14 mars 2012. |