:
Merci beaucoup, madame la présidente.
[Le témoin s'exprime en langue innue.]
J'aimerais tout d'abord, si vous me le permettez, saluer la nation anishinabe, qui nous accueille sur son territoire. Comme je le dis chaque fois, de multiples mocassins ont caressé la Colline du Parlement, sur ce très beau territoire, pour rappeler aux citoyens et citoyennes du Canada que nous, les peuples autochtones, sommes et resterons toujours fiers de qui nous sommes.
Il serait aussi important de rendre hommage à tous ceux et celles pour qui nous travaillons au quotidien: des familles qui ont perdu une mère, une soeur, une cousine, une enfant ou une petite-fille. Au cours des deux derniers mois, uniquement au sein de ma nation, trois jeunes femmes innues ont été soit assassinées, soit tout simplement séquestrées pendant plusieurs semaines. J'aimerais leur rendre hommage. Si vous voulez faire partie de cet hommage, nous pourrions observer une minute de silence pour l'ensemble des femmes assassinées ou disparues, phénomène qui se produit ici depuis trop longtemps.
[On observe un moment de silence.]
Merci beaucoup.
[Le témoin s'exprime en langue innue.]
Il s'agit de notre première rencontre, et j'espère que ce ne sera pas la dernière. J'aimerais aussi partager un peu avec vous notre perception et vous mentionner comment nous, à l'Association des femmes autochtones du Canada, ressentons cette réalité que je qualifie de tragédie nationale, de tragédie qui touche tout le monde. En effet, nous avons tous et toutes auprès de nous une personne proche qui a perdu un enfant ou une personne très aimée.
Je dois aussi vous dire un gros merci de nous offrir l'occasion d'échanger avec ce comité. C'est ainsi que je vois le rôle que joue l'Association des femmes autochtones du Canada auprès de vous, chers députés, qui représentez différentes régions du Canada. Il s'agit d'une possibilité d'échanger et de tenir des débats, mais des débats sains. Cela ne veut pas dire que nous allons toujours convenir des mêmes idées ou nous entendre sur tout ce dont nous allons discuter. D'ailleurs, ce n'est pas le cas non plus dans une famille. Cependant, j'espère que nous allons le faire dans le respect, car en ce moment, il est question de vies humaines et de dignité. Des gens ont vraiment beaucoup d'espoir dans le rôle de ce comité, mais aussi dans le rôle de l'Association des femmes autochtones du Canada. Je pense que si nous unissons nos forces, nous allons sûrement faire de grands changements.
L'Association des femmes autochtones du Canada a été fondée en 1974. Laissez-moi vous faire un bref résumé de qui nous sommes et d'où nous venons. Notre association lutte depuis plusieurs décennies sur plusieurs fronts, tant au chapitre des droits individuels, des droits collectifs et de l'environnement que sur le plan des droits de la personne. Nous dénonçons notamment la discrimination, le racisme et le sexisme, mais toujours dans le but d'avoir une approche constructive, afin de permettre à nos sociétés de vivre en sécurité, dans la dignité, évidemment, et surtout loin de la violence.
Le rôle que nous nous donnons aujourd'hui, en fait celui que nous allons essayer de bâtir ensemble, avec vous tous et toutes ici, est de mieux comprendre comment l'Association des femmes autochtones du Canada va pouvoir nourrir le débat et contribuer aux travaux de ce comité grâce à l'expertise, à la passion, à l'amour et à la connaissance des femmes de partout au Canada ainsi que des organisations qui en sont membres. Cela représente beaucoup de personnes.
Différents enjeux soulèvent chez nous des préoccupations ou des incertitudes. Peut-être avons-nous aussi des solutions, tout simplement, qui sait? J'aimerais aussi vous dire qu'en ce moment, nous avons une discussion avec nos élus et nos collègues au sein de notre organisation. Nous ne nous percevons pas comme étant des témoins, comme on nous appelle en ce moment, mais plutôt comme des partenaires ou des gens avec lesquels faire avancer ces causes. Je ne crois pas que nous avons le même statut que l'ensemble des gens qui vont venir en tant que témoins. Je pense que ce sera important de clarifier cela ou que nous nous entendions officiellement.
Nous avons d'ailleurs envoyé, en avril dernier, une lettre à Mme la présidente pour essayer de savoir comment nous pourrions discuter du rôle de l'Association des femmes autochtones du Canada, de la compréhension face au processus et de la manière dont nous pourrions nourrir cet exercice.
Nous avons d'ailleurs envoyé un courriel cette semaine, je crois, expliquant comment notre organisation travaillerait de bonne foi et avec bonne volonté dans les mois à venir et au cours de la prochaine année.
Madame la présidente, j'ai été contente que votre présentation d'introduction nous permette de comprendre un peu plus le rôle exact qui nous est donné. Toutefois, je crois qu'il faudra établir un dialogue beaucoup plus officiel entre la présidente et moi-même, ou entre la présidente et nos organisations. Je pense que nous allons trouver les bonnes solutions.
Notre présence ici aujourd'hui ne fait pas en sorte de mettre de côté l'enquête nationale publique pour faire la lumière sur la question des femmes assassinées ou disparues. Cela reste pour nous une priorité. Nous le disons sur toutes les tribunes, qu'elles soient locales, régionales ou nationales. Nous l'avons récemment dit aux Nations Unies, à Genève et à New York, et je le dirai à nouveau la semaine prochaine en Norvège: nous voulons qu'il y ait une enquête nationale publique.
Comme nous l'avons vu récemment, beaucoup de gens réclament des enquêtes en ce qui a trait à de l'argent mal dépensé ou à des élections. On demande des enquêtes. C'est donc normal. On parle ici d'un grand nombre de femmes qui disparaissent et qui n'ont jamais obtenu justice. Le problème est peut-être systémique. Une enquête nationale publique permettrait donc de faire la lumière et d'amener des solutions.
Nous maintenons donc très fermement notre position. Nous voulons et nous demandons une enquête nationale. Nous appuyons aussi le comité dans ses travaux, en souhaitant que le rôle de l'AFAC se clarifiera au fil des jours.
Il est clair pour nous que cet enjeu ne touche pas seulement les Autochtones.
[Traduction]
Ce n'est pas un enjeu proprement autochtone. Pour nous, mères, grands-mères et femmes — et j'espère que nos frères s'en rendront compte également — c'est un enjeu canadien et une atteinte aux droits de la personne.
Je le dis avec mon coeur. Je suis une passionnée et je sais que notre association et notre conseil d'administration ont le même objectif que moi dans cet exercice. Nous voulons travailler en partenariat avec vous, bien sûr, collaborer avec le comité et avec le groupe de travail sur les affaires autochtones parce que nous savons pertinemment que depuis 1974, nous avons acquis une solide expertise sur la violence familiale, la violence faite aux aînés et la violence sexuelle. Nous faisons beaucoup de choses, dont de la recherche et de la formation, nous élaborons des bases de données aussi, entre autres. Nous avons témoigné à plusieurs comités. Nous avons parcouru le monde afin d'apprendre et d'échanger sur le sujet. Nous devons travailler ensemble, et je pense que nous allons trouver une bonne façon de le faire.
Au fil du temps, d'autres organisations ont remarqué que nous avions acquis cette expertise. L'Assemblée des Premières Nations est essentiellement dirigée par des hommes. Je sais qu'il y a de plus en plus d'hommes qui font partie de la stratégie et de la solution pour faire cesser la violence dans nos communautés. Je suis ravie de vous dire que l'APN est notre partenaire dans cette lutte. Nous avons tenu un énorme forum à Edmonton. Environ 450 hommes et femmes de partout au Canada y ont participé, des chefs comme de simples citoyens autochtones. Nous y avons tenu une discussion puissante sur trois jours, à l'issue de laquelle nous avons formulé des recommandations pour mettre un terme à la violence faite aux femmes.
Nous travaillons également avec les gouvernements autochtones, non seulement avec l'APN, mais également avec des communautés, de même qu'avec 11 provinces et territoires. Chaque fois que le groupe de travail du Comité des affaires autochtones se réunit, les ministres responsables des affaires autochtones et certains premiers ministres sont là. J'ai eu la chance de les rencontrer à deux reprises en décembre, il n'y a pas si longtemps. Nous sommes vraiment honorées d'assister à ce que j'appellerais un moment historique. Pendant longtemps, ils ne voulaient rien savoir d'une enquête publique nationale. Pendant longtemps, ils nous ont dit qu'un groupe de travail national coûterait bien trop cher, entre autres.
Après deux rencontres, l'AFAC a réussi à leur expliquer que cet enjeu nous touchait tous. Ce n'est pas un enjeu propre à l'AFAC.
J'était tellement contente d'apprendre qu'ils avaient accepté d'envoyer une lettre au ministre Valcourt et au premier ministre Harper pour leur dire que le comité, de même que 11 provinces et territoires, appuyaient l'AFAC et l'APN dans leur demande d'enquête publique.
Il y a l'aspect international, en plus de celui des autres provinces et territoires du Canada. Tout le monde pense qu'il faut approfondir la question. C'est fantastique. Je suis fière d'avoir fait partie de ce moment historique. Espérons que ce n'est qu'un début.
Tous les jours, nous travaillons avec des familles. Je les appelle des familles: nos soeurs volées et nos Soeurs par l'esprit. Nous travaillons avec elles pour prévenir la violence et pour faire preuve de présence, pour les appuyer et les écouter. Nous pouvons les rencontrer une ou deux fois par année, simplement pour nous assurer que nous ne les oublions pas. Ces moments sont tellement importants pour elles, elles ont besoin de savoir qu'elles ne sont pas seules. Leurs histoires se ressemblent toutes, qu'elles viennent du Yukon ou de l'Île-du-Prince-Édouard, et il est important que nous travaillions avec elles.
Pour moi, de travailler avec les gens... vous le faites tous. Vous avez été élus et vous êtres responsables envers les gens de vos régions respectives. C'est la raison pour laquelle nous sommes en politique. C'est la raison pour laquelle nous décidons un jour de nous lever et de nous porter candidats, pour faire quelque chose pour le peuple. La plupart d'entre nous ne le faisons pas pour le salaire, mais par amour pour notre peuple. Nous l'écoutons. C'est de lui que nous tirons toute notre énergie, en fonction de lui que nous déterminons quoi dire ou quoi faire. Ces personnes ne peuvent peut-être pas le faire elles-mêmes, peut-être qu'elles ne sont pas à l'aise de le faire. Pour nous, ces rassemblements sont très importants.
Madame la présidente, j'espère que vos collègues et vous allez prendre une demi-journée ou quelques heures pour écouter les familles. Je viens de la Nation innu, et c'est une caractéristique propre aux Innu d'écouter la personne. C'est probablement votre première expérience dans une culture différente. Pourquoi ne pas essayer un après-midi ou un soir? Réunissons quelques familles pour écouter ce qu'elles ont à dire. Je ne vous promets rien, mais je pense que cela pourrait changer des perceptions dans votre esprit et que vous pourriez vous sentir différents. C'est après avoir écouté de nombreuses familles que j'ai eu la flamme, comme on dit. Je travaille pour les familles et pour les femmes dans tout ce que je fais tous les jours. Elles sont très près de mon coeur. Ce serait bien que vous organisiez un événement spécial ou quelque chose avec des familles.
Bien sûr, si nous voulons nous attaquer à ce problème, nous devons veiller à bien cerner... J'espère que nous en connaissons tous les causes profondes. Il y a beaucoup de rapports à cet égard, de bases de données, de données de Statistique Canada. Il est évident que le logement est un problème, de même que l'héritage des pensionnats indiens. Même si je n'ai moi-même pas fréquenté de pensionnat, que ma génération n'est pas passée par là, je dois vous dire avec tristesse que nous sommes toujours touchés par ce qui s'est passé là-bas. Je ne vous raconterai pas mon histoire personnelle, mais cela fait partie de l'histoire de tout le monde au Canada, de toutes les femmes autochtones, métisses ou inuites de notre génération, puisque nous souffrons toujours des conséquences de cette époque.
Il faut aussi prendre d'autre enjeux en considération. Le logement, l'itinérance, la toxicomanie et l'alcoolisme, le racisme, le sexisme, la violence sexuelle contre les enfants, la santé mentale (qui est un enjeu important), les politiques gouvernementales négatives, l'histoire de victimisation, les facteurs liés aux différences entre les sexes, la traite de personnes: ce sont autant de grands enjeux qui touchent les Autochtones.
La traite de personnes est un gros problème. Nous n'en parlons pas beaucoup, mais elle existe, et il est triste que les femmes autochtones en souffrent.
Il est plus que temps d'arrêter les personnes, les mécanismes et les politiques qui maintiennent le statu quo et de remédier à tous les torts que la violence cause aux femmes et aux filles autochtones.
Il serait aussi important que...
Je vais passer un peu au français pour me faciliter un peu la tâche, et je vais revenir en anglais par la suite pour ceux d'entre vous qui ne parlez pas français.
[Français]
Ça va aussi me faire du bien de parler un peu en français.
Il est important que vous sachiez que vous avez un rôle extrêmement important à jouer dans le travail qui va se faire. Nous avons vu plusieurs comités. Cela fait 20 ans que je suis en politique autochtone. Cela va faire 20 ans que je donne mon amour aux femmes autochtones, et croyez-moi, je le donne. En 20 ans, on en a vu, des comités, des mémoires, des rapports, etc. J'aimerais, madame Ambler et vous tous, membres de ce comité, que vous fassiez en sorte que cette fois-ci ce soit différent et que les recommandations du comité soient différentes. Nous n'allons pas choisir seulement les recommandations qui coûtent le moins d'argent ou celles qui se déroulent sur une petite période, ni tout simplement les choisir en fonction d'un capital politique. Je vous demande que nous prenions ici des résolutions dont l'ensemble de la société canadienne va pouvoir bénéficier à court, moyen et long terme. C'est un bel exercice.
Il y a eu différents forums à plusieurs niveaux, que ce soit à l'échelle du fédéral, de la région ou de la communauté, dans lesquels les organisations autochtones nationales et les groupes de femmes autochtones, notamment l'Association des femmes autochtones du Canada ou ses organisations membres, ont essayé de faire entendre leurs recommandations.
Aussi, comme vous le savez sûrement, il y a eu deux éditions du Sommet national des femmes autochtones d'où sont ressorties des recommandations très intéressantes qui pourraient faire partie de cet exercice.
Il y a aussi eu le Forum national sur la justice de l'Assemblée des Premières Nations, où une importante portion de la deuxième journée était consacrée aux femmes assassinées ou disparues. Là aussi, on retrouvait des recommandations.
Comme je vous le disais, nous avons tout récemment fait un sommet avec l'Assemblée des Premières Nations pour lequel nous préparons encore des recommandations.
Souvenons-nous qu'une province, la Colombie-Britannique, avait tenu une coorganisation avec l'Association des femmes autochtones du Canada. C'était un bel exercice où, encore une fois, des avenues intéressantes ont été soulevées relativement à la question qui préoccupe ce comité.
Je répète qu'il est important de ne pas simplement prendre ces recommandations à la légère, mais d'investir dans le capital humain. On parle ici de femmes et de familles qui méritent la justice et des réponses.
Nous avons présenté cette réalité dans plusieurs régions du Canada et dans plusieurs pays. Tout récemment, le Canada devait se soumettre à une reddition de comptes, dans le contexte de la Universal Periodic Review aux Nations Unies, à Genève. Je vous dirais que notre organisation a vraiment bien travaillé auprès des États membres auxquels le Canada devait répondre. Nous avons aussi ressenti de la solidarité de la part de la communauté internationale, qui était préoccupée par ce qui se passe ici, au Canada. Donc, c'est partout. Même si nous ne sommes plus actifs à l'échelle internationale pour le moment — ça m'étonnerait que nous en restions là, puisque rien ne m'arrête —, le message a été lancé à l'échelle internationale.
Tout récemment, nous avons soumis une demande au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, un comité des Nations Unies. Mme Ameline en est la présidente. J'ai rencontré celle-ci la semaine dernière à New York et j'ai fait valoir l'importance que la ou le rapporteur spécial travaille avec nous si elle ou il vient au Canada. C'est important. Vous avez aussi l'occasion de démontrer, sur le plan international, que vous avez réellement la volonté d'éliminer de telles statistiques pour faire place à la prévention et à la sécurité des femmes autochtones partout au Canada.
Nous avons eu la chance de rencontrer à trois reprises les membres de l'Organisation des États américains dans le cadre de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Tout récemment, toujours au sein de l'Organisation des États américains, nous avons réitéré notre appui. Enfin, le Canada — merci beaucoup — a accepté de faire venir les trois rapporteurs spéciaux. Sur les plans international et interaméricain, à ce jour, les rencontres ont eu lieu en présence du rapporteur spécial, M. James Anaya, de la responsable de la Commission interaméricaine des droits de l'homme de l'Organisation des États américains ainsi que de Mme Ameline, de la CEDAW.
Tous ces gens sont sensibilisés. Chaque fois, je les invite à venir constater la situation tout en leur disant que je suis convaincue qu'ensemble, en adoptant une approche constructive, il y aura moyen de changer les choses. C'est toujours un espoir. Par contre, si ça ne bouge pas, il reste peut-être les recours auprès de la Cour internationale. Toutefois, je me dis qu'il n'est pas nécessaire d'en venir là, du moins je l'espère.
Au Canada et aux États-Unis, il y a un phénomène qui est peut-être émergent pour certains, mais qui, de notre côté, existe depuis trop longtemps. Il s'agit de la traite des femmes. Arrive ensuite la prostitution. Il est clair que la traite et la prostitution sont intimement liées, malheureusement. J'espère que vous le savez. Pour nous, ça viole clairement les droits de la personne.
On parle ici de pauvreté, de vulnérabilité. Au début, on a traité de l'itinérance, des problèmes de logement, de la pauvreté extrême, des répercussions des écoles résidentielles. Les Canadiens et Canadiennes se demandent peut-être en quoi c'est lié aux écoles, au manque de logement et à la pauvreté. Ce sont tous des déterminants de la santé, des facteurs qui rendent les femmes autochtones cinq fois plus susceptibles de mourir d'un crime violent. Dans bien des cas, le profil de ces femmes fait partie des exemples que je viens de vous donner.
Il est clair pour nous qu'il y a vraiment un problème systémique. La traite devient de plus en plus...
Madame la présidente, je sais que ce n'est pas notre rôle, mais dans mon coeur, comme militante, je crois qu'il serait intéressant de se pencher ultérieurement sur les liens qui existent entre les femmes autochtones, la traite et la prostitution, de même que sur les facteurs qui font que nos jeunes enfants et nos filles se retrouvent dans des situations où ils sont extrêmement vulnérables. Elles sont enlevées avant l'âge de 18 ans et tombent ensuite dans la prostitution. Ici, j'entends certains groupes me dire que ces personnes ont le droit de choisir ce qu'elles font de leur corps et de leur vie. Or il faut tenir compte du fait que ces jeunes personnes avaient peut-être été amenées dans un milieu malsain bien avant l'âge de 18 ans.
[Traduction]
Pour nous, la violence n'est clairement pas acceptable, et je suis certaine que toutes les personnes ici présentes sont d'accord. Nous nous concentrons sur des cas de violence très, très graves depuis de nombreuses années.
La violence touche les femmes autochtones, nos enfants, nos familles. Je vais vous raconter quelques histoires et événements survenus dans nos communautés un peu partout au Canada. Ce sont des histoires tristes, mais vraies.
À l'époque où Paul Bernardo a tué deux jeunes filles blanches, tous les Canadiens, même moi, connaissaient les noms des deux filles, Leslie Mahaffy et Kristen French. Tout le monde connaissait leurs noms. Mais nous devons nous rappeler, et nous nous en rappelons, que pendant la même période, de nombreuses filles autochtones étaient portées disparues, mais encore aujourd'hui, les Canadiens n'en connaissent pas les noms.
En 1996, des statistiques choquantes du gouvernement révèlent que les femmes autochtones entre 25 et 44 ans qui ont le statut d'indiennes en vertu de la Loi sur les Indiens, comme je l'ai déjà dit, sont cinq fois plus susceptibles que les autres femmes du même âge de mourir des suites d'un acte de violence. Ces chiffres viennent d'une organisation fédérale. Aujourd'hui, en 2013, les femmes autochtones sont toujours confrontées à cette réalité tous les jours.
En deux occasions séparées, en 1994, deux jeunes autochtones de 15 ans, Roxanna Thiara et Alishia Germaine, ont été trouvées assassinées à Prince George. Le corps d'une troisième jeune autochtone de 15 ans, Ramona Wilson, disparue la même année, a été trouvé à Smithers, dans le centre de la Colombie-Britannique, en avril 1995. Ce n'est qu'en 2002, après la disparition d'une femme non-autochtone de 26 ans, Nicola Hoar, pendant qu'elle faisait du stop le long de la route qui relie Prince George à Smithers, que tous les médias du Canada se sont intéressés à cette histoire. Le nom de cette jeune femme a été inscrit à la liste des meurtres irrésolus et des autres disparitions le long de ce qu'on a appelé l'Autoroute des pleurs. Mais qu'en est-il des autres jeunes filles autochtones?
Je vais vous raconter une dernière histoire aujourd'hui. En 1996, John Martin Crawford a été trouvé coupable du meurtre de trois femmes autochtones: Eva Taysup, Shelley Napope et Calinda Waterhen, à Saskatoon, en Saskatchewan. Warren Goulding, l'un des rares journalistes à couvrir le procès, a écrit ce qui suit: « Je n'ai pas l'impression que le public en général se soucie beaucoup de la disparition ou du meurtre de femmes autochtones. Tout cela fait partie de l'indifférence générale à l'égard de la vie des Autochtones. Ils ne semblent pas compter autant que les Blancs. » Je cite l'un de vos frères.
La disparité entre les recommandations formulées par les femmes autochtones lors d'événements comme le SNFA, le Sommet national des femmes autochtones, qui est un forum national conjoint tenu par l'APN et l'AFAC, entre autres, que j'ai déjà nommé dans mon exposé, et ce que le gouvernement fait de concret est en train de devenir vraiment trop grande. J'ai toutefois la forte impression — et nous en avons discuté — que nous pouvons, que nous devons veiller à ce que ces statistiques diminuent pour que nos soeurs ne soient plus portées disparues ni assassinées.
Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire, mais nous devons travailler ensemble. Nous devons travailler avec les familles. Nous devons travailler avec les organismes communautaires.
C'est ce que nous avons entendu quand nous en avons discuté. J'ai rencontré plusieurs ministre du gouvernement Harper, et je crois que nous sommes du même avis. Il est important pour nous d'agir. Nous devons mettre l'accent là-dessus. J'entends souvent vos collègues parler d'action. C'est la même chose pour nous. Nous avons un point commun ici. Nous devons mettre l'accent sur des mesures concrètes.
Pour agir, comme je l'ai dit, nous devons travailler ensemble. Nous avons besoin de financement, non seulement à l'Association des femmes autochtones du Canada, mais pour les AMPT les membres de l'AFAC, les organismes, les bénévoles, les femmes qui aiment leur région de tout leur coeur, pour d'autres communautés autochtones ou des Premières Nations, des organisations métisses et inuites. Ces acteurs ont tous besoin de financement et de ressources adéquates pour prévenir la violence.
Je vais conclure ma partie ici, parce que nous sommes une équipe et que son anglais est bien meilleur que le mien. Si le comité poursuit son travail, et je suis certaine qu'il va le faire d'après ce que vous avez dit en introduction, madame la présidente, mais que l'Association des femmes autochtones du Canada ne peut pas participer pleinement à ces travaux, nous ne pourrons pas endosser votre étude. Je suis certaine, toutefois, que nous allons trouver une façon officielle de le faire. Nous avons déjà eu une bonne discussion avec madame la présidente sur ce que nous pouvons faire, et notre position privilégiée de conseillères spéciales nous convient très bien. Le dialogue entre les réunions sera lui aussi important, pour que nous soyons le plus possible en lien pour échanger des renseignements.
J'ai beaucoup d'espoir, madame la présidente. J'ai eu une bonne rencontre avec vous, donc j'ai toujours espoir.
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Bonjour à tous. Je m'appelle Irene Goodwin. Je suis une Ojibway du Nord-Ouest de l'Ontario. J'habite à Ottawa depuis environ sept ans, et j'ai la chance de travailler avec l'AFAC depuis environ cinq ans. C'est pour moi un grand privilège et une expérience qui me permet d'en apprendre beaucoup.
C'est tout un honneur pour moi de faire partie de cette présentation au comité. Contrairement à notre présidente, je ne suis pas très à l'aise pour parler de façon spontanée, donc vous allez me voir lire mes notes. Je m'excuse si j'ai la tête baissée.
Bon nombre d'entre vous savent que nous avons publié divers travaux. C'est un fait bien connu. En 2010, l'AFAC a publié un document intitulé Ce que leurs histoires nous disent, qui informe le public sur 582 femmes et filles autochtones portées disparues ou assassinées, et je précise qu'il y a eu des cas dans chacune des provinces et chacun des territoires du Canada. L'AFAC continue d'ailleurs de suivre les occurrences de violence et souligne qu'elles ne semblent pas diminuer substantiellement.
Malheureusement, ces données sont difficiles à mettre à jour. L'AFAC n'a pas suffisamment de ressources pour maintenir ses bases de données en ce moment. La base de données de la GRC sur les personnes portées disparues vient tout juste d'entrer en fonction, et il y a encore des lacunes importantes dans la façon dont la GRC recueille l'information sur l'identité autochtone des victimes, ce qui en fait une piètre source d'information.
L'AFAC recueille des renseignements sur les nouveaux cas de femmes et de filles autochtones portées disparues ou assassinées depuis qu'elle a cessé d'alimenter sa base de données en 2010. En janvier 2012, par exemple, l'AFAC a recensé 56 nouvelles occurrences de femmes et de filles autochtones portées disparues ou assassinées entre avril 2010 et janvier 2012. Il y a 16 autres cas potentiels qui nécessiteraient une enquête plus approfondie sur les circonstances ou dans lesquelles l'identité autochtone de la victime n'a pas été établie.
En mars 2013, l'AFAC a mis à jour sa compilation de nouvelles occurrences et a constaté que le nombre de cas de femmes et de filles autochtones portées disparues ou assassinées était rendu à 86. Si l'on additionne ce chiffre aux 582 cas déjà recensés, le total est de 668, mais il faut mentionner clairement qu'il ne s'agit que des cas connus. Nous savons très bien que le chiffre réel est bien plus élevé. Il y a des limites à ce que nous pouvons faire pour recueillir des données en ce moment, donc le chiffre réel pourrait être trois ou même quatre fois plus élevé que celui dont nous disposons en ce moment.
Il se dégage de notre base de données, de nos recherches et de notre travail avec les familles pour comprendre l'histoire de la vie de femmes et de filles autochtones que celles qui vivent de la violence n'ont pas toutes le même profil professionnel, financier ou social. Notre travail permet de documenter le fait que bon nombre des victimes étaient des mères, qui ont laissé derrière elles des enfants en deuil et irréparablement meurtris par le traumatisme de la perte de leur mère. Nos efforts soutenus auprès de bénévoles nous portent à croire que rien ne se règle, qu'il y a continuellement de nouvelles occurrences. Nous entendons parler de nouveaux cas tous les jours.
Pour vous donner une idée de la structure de notre travail, nous adhérons aux cinq valeurs et principes qui suivent, qui sont les mêmes, en fait, que ceux du groupe de travail sur les affaires autochtones dont Michèle a fait mention.
Il y a premièrement les relations personnelles. Nous estimons important de bâtir des relations respectueuses entre toutes les parties. C'est essentiel si nous voulons trouver des solutions efficaces. Le respect sous-entend une volonté de connaître ce que chacun a à offrir, d'y accorder de la valeur, d'entretenir constamment des communications claires et cohérentes, d'inclure tout le monde dans le processus et de favoriser la reddition de comptes mutuelle. Je pense que c'est ce que Michèle a mentionné un peu plus tôt avec éloquence pour décrire le travail que nous pouvons faire avec ce comité.
Deuxièmement, il faut favoriser des solutions dont les communautés sont parties prenantes et dans lesquelles elles assument le leadership. Les communautés, peu importe comment elles se définissent, doivent contribuer à la recherche et à la mise en place de solutions. Les programmes et les services se fondent sur la connaissance et l'expérience vécues des femmes et des familles autochtones. Les relations de travail entre les représentants des gouvernements ainsi que les femmes et les familles autochtones, inuites et les métisses doivent jouer un rôle central dans l'élaboration et la mise en place de programmes et de services, il ne faut pas nous limiter aux fournisseurs des services et aux organisations. Nous estimons essentiel de mettre la communauté dans le coup pour tout ce que nous faisons, surtout lorsque nos interventions la touchent.
Troisièmement, il faut favoriser une relation engagée et responsable. Les dirigeants à tous les ordres de gouvernement (fédéral, provincial, territorial, municipal, autochtone, inuit ou métis) doivent faire de la lutte à la violence contre les filles et les femmes autochtones une priorité et y attribuer les ressources et l'énergie qu'il faut pour régler les problèmes. Tous les dirigeants doivent être tenus responsables. C'est un principe important.
Le quatrième principe est l'intégration, la collaboration et l'équité. Toutes les parties doivent travailler en collaboration et efficacement pour intégrer ces programmes et ces services à des réseaux globaux qui sont accessibles aux femmes, aux enfants, aux jeunes, aux adultes, aux aînés et aux hommes.
Le cinquième principe est très important: il faut tenir compte de la culture. Les programmes et les services doivent être conçus et offerts dans le respect de la culture, de manière à reconnaître l'importance de la tradition, des connaissances culturelles et de l'identité, et se fonder sur la résilience et les compétences des femmes, des jeunes et des hommes qui appartiennent aux communautés inuites, métisses ou autochtones.
À titre de consultant actif du comité, l'AFAC peut vous fournir directement de l'information pertinente à cet égard. Les politiques et les lois mises en place sans la participation autochtone ont échoué jusqu'ici et vont continuer d'échouer. Bon nombre de ces politiques ont encore des répercussions sur les femmes autochtones, ce qui crée beaucoup de difficultés socio-économiques qui peuvent compromettre leur sécurité et leur bien-être et accroître leur risque d'être victimes d'exploitation sexuelle, de la traite de personnes ou d'actes violents qui pourraient causer leur disparition ou leur mort. Il y a une différence entre le fait de répondre à des besoins immédiats et celui de répondre à des besoins futurs; il y a des mesures qui permettent de réagir à la violence commise, mais qui ne préviennent en rien la violence future. Il faut le savoir.
L'AFAC a préparé un graphique en prévision de cette étude. Je l'ai ici, donc je vais vous le remettre, madame la présidente. Il s'agit d'un graphique en couleur sur les femmes et les filles autochtones portées disparues ou assassinées.
Ce n'est pas un modèle de logique, et il ne met pas en lumière tous les aspects de la disparition et du meurtre de femmes et de filles autochtones. Il donne plutôt un aperçu des enjeux dans une optique de prévention et d'intervention. Chaque segment présente de multiples variables et des solutions potentielles.
Très brièvement, il se fonde sur la perspective à court, moyen et long terme de la question. Par exemple, on voit dans le volet prévention que le fait de répondre rapidement aux besoins personnels immédiats des femmes et des filles autochtones permet de fournir le soutien nécessaire aux familles.