propose que le projet de loi , soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
-- Monsieur le Président, j'ai le plaisir de prendre la parole au sujet du projet de loi , qui donne suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Tse. Cet important projet de loi assurera la validité constitutionnelle de l'article 184.4 du Code criminel.
Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui constitue la réponse du gouvernement à la décision rendue par la Cour suprême du Canada en avril 2012 dans l'affaire opposant Sa Majesté la reine et Yat Fung Albert Tse.
Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que, dans sa forme actuelle, l'article 184.4 du Code criminel est bon sur le plan conceptuel mais non valide sur le plan constitutionnel parce qu'il n'exige pas qu'un avis soit donné après coup aux personnes dont les communications privées ont fait l'objet d'une interception conformément à l'article 184.4.
Le tribunal a suspendu sa conclusion d'inconstitutionnalité jusqu'au 13 avril 2013 pour laisser au Parlement le temps de remédier à la lacune de la disposition, à défaut de quoi les agents de la paix ne pourront plus invoquer cet article du Code criminel pour justifier l'interception de communications privées. J'espère que les dispositions du projet de loi recevront l'appui général des parlementaires afin que nous puissions continuer d'utiliser cet instrument d'enquête essentiel.
Avant d'examiner les modifications proposées par le projet de loi, il serait utile, à mon avis, que les députés connaissent les faits entourant l'affaire R. c. Tse, car ceux-ci montrent concrètement l'importance de l'article 184.4 et font voir, en outre, à quel point il est crucial que les policiers continuent de disposer d'un pareil pouvoir, qui est essentiel dans les cas où chaque minute compte.
Dans l'affaire en question, il y a eu enlèvement de trois personnes, une nuit, en 2006. Lorsque la fille de l'une des présumées victimes d'enlèvement a commencé à recevoir des appels de son père lui indiquant qu'il avait été enlevé contre rançon, les policiers ont utilisé le pouvoir conféré par l'article 184.4 du Code criminel pour intercepter les communications sans autorisation judiciaire préalable. Aux yeux des policiers, il était évident que la vie des victimes était en danger et que l'écoute électronique était le meilleur moyen d'obtenir des informations cruciales sur la situation.
Comme des vies étaient en danger, les policiers ne pouvaient se permettre le luxe de s'acquitter de toutes les formalités habituelles, nécessaires à l'obtention d'une autorisation ordinaire d'écoute électronique préalable. Ils ne pouvaient pas non plus obtenir une autorisation de mise sous écoute électronique en cas d'urgence aux termes de l'article 188 du Code criminel en raison de l'imminence du danger. En vertu de l'article 188, qui prévoit un processus simplifié d'obtention d'une autorisation judiciaire temporaire pour intercepter des communications privées, il faut tout de même remplir un certain nombre de formalités. De plus, un agent de la paix et un juge de la Cour supérieure spécialement désignés doivent être disponibles.
Dans l'affaire Tse, les policiers ont jugé ne pas avoir le temps de suivre le processus ordinaire de demande d'écoute électronique ou le processus dit d'urgence pour obtenir l'autorisation d'intercepter des communications privées. Par conséquent, les policiers ont invoqué l'article 184.4 du Code criminel pour réaliser une interception des communications sans autorisation judiciaire.
Lorsque l'affaire fut portée devant les tribunaux, l'accusé a soutenu que l'article 184.4 était inconstitutionnel, car il n'offrait pas les garanties habituelles de protection de la vie privée prévues par une autorisation d'écoute électronique en règle émise par un juge, le mécanisme normalement utilisé par la police pour intercepter des communications privées.
La cour a conclu que dans cette affaire, le recours à l'écoute électronique sans autorisation judiciaire était justifiable, mais elle a également statué qu'il faudrait incorporer des mesures de protection supplémentaires à l'article 184.4 afin de veiller à ce que ce pouvoir extraordinaire soit utilisé à bonne fin.
Le tribunal de première instance était particulièrement préoccupé par le fait que les policiers ne sont aucunement tenus, premièrement, d'aviser les personnes dont les communications ont été interceptées et, deuxièmement, de faire rapport de leur recours à l'article 184.4 du Code criminel.
Par conséquent, le juge de première instance de la Colombie-Britannique a déclaré que l'article était inconstitutionnel, et il a consenti au Parlement un délai pour remédier aux lacunes constitutionnelles. Depuis ce temps, des tribunaux de première instance du Québec et de l'Ontario ont rendu des décisions semblables.
La Couronne a interjeté appel de la déclaration d’inconstitutionnalité dans l'arrêt R c. Tse à la Cour suprême du Canada qui, comme je l'ai mentionné plus tôt, a confirmé l'invalidité constitutionnelle de l'article 184.4, mais a suspendu l'effet de cette déclaration jusqu'au 13 avril 2013.
La Cour suprême a également donné certaines directives utiles relativement aux mesures de protection de la vie privée que le Parlement pourrait mettre en place afin d'améliorer ladite disposition.
Le projet de loi propose donc de modifier l'article 184.4 du Code criminel de manière à ce qu'il puisse continuer d'être appliqué dans des situations où des vies sont en danger, tout en offrant des mesures de protection appropriées.
Les députés doivent comprennent que l'article 184.4 n'existe pas en vase clos. Il s'inscrit dans un plus grand éventail de pouvoirs de mise sous écoute électronique prévus dans le Code criminel.
La partie VI du Code criminel a été créée il y a près de 40 ans, en 1974. Aux termes de cette partie intitulée « Atteintes à la vie privée », l'interception volontaire d'une communication privée constitue un acte criminel, sauf dans quelques cas d'exception. La partie VI contient de nombreuses dispositions protégeant la vie privée et prévoit des balises rigoureuses pour qu'on réponde aux besoins des enquêteurs dans le cadre du système de justice pénale tout en veillant à la protection de la vie privée des Canadiens.
Les dispositions contenues dans la partie VI du Code criminel ont évolué pour passer des deux types d'autorisation d'interception prévus à l'origine — soit les autorisations dans des circonstances ordinaires et les autorisations en situation d'urgence, établies respectivement aux articles 186 et 188 — au cinq dispositions actuellement inscrite dans le Code criminel.
Ces cinq différents types d'interception s'inscrivent dans un ensemble de pouvoirs accordés à la police. On parle de méthode d'enquête lorsque ces pouvoirs sont fortement encadrés par le système judiciaire en vue d'obtenir des preuves liées à un acte criminel, et de méthode préventive lorsque l'interception ne fait l'objet d'aucun encadrement par le système judiciaire et vise à prévenir un danger imminent. Ce dernier type d'interception est établi à l'article 184.4 du Code criminel.
L'article 184.4 du Code criminel, portant sur l'interception préventive, permet à un agent de la paix d'intercepter des communications privées sans autorisation judiciaire en cas de danger imminent. Ces dispositions visent à prévenir un acte illicite lorsque le policier a des motifs raisonnables de croire que cet acte causerait des dommages sérieux à une personne ou à un bien.
Il faut aussi que l'agent de la paix ait des motifs raisonnables de croire que la personne dont les communications doivent être interceptées est soit la personne qui prévoit commettre le délit susceptible de causer les dommages, soit la victime de cet acte ou la personne visée par cet acte.
De plus, il est important que l'agent de la paix écarte la possibilité d'obtenir un autre type d'autorisation d'écoute électronique aux termes de la partie VI.
L'article 184.4 vise à permettre à la police d'empêcher des dommages sérieux à une personne ou à un bien et, dans les cas les plus extrêmes, à sauver des vies. Dans les situations où les enjeux sont importants, comme les alertes à la bombe, il n'y a aucune minute à perdre, et la collecte de preuves est une préoccupation secondaire.
Cela ne signifie pas cependant que l'exercice de ce pouvoir ne fait pas l'objet d'une supervision judiciaire. Comme la Cour suprême l'a reconnu, même si cet article « permet la prise de mesures extrêmes dans des circonstances extrêmes », la police sait que sa capacité d’intercepter des communications privées sans autorisation judiciaire, dans des circonstances exceptionnelles, diminue au fil du temps.
La cour a également signalé que, lorsque les policiers ont déjà commencé à intercepter des communications privées en vertu de l’article 184.4, la célérité avec laquelle ils peuvent obtenir une autorisation judiciaire pour continuer à les intercepter joue un rôle dans l’appréciation de la constitutionnalité de cet article. Si les policiers ne demandent pas l’autorisation nécessaire lorsque les circonstances le permettent, ils risquent d’enfreindre la loi en continuant d’intercepter une communication en vertu de l’article 184.4. Par conséquent, même dans les cas où la situation autorise une interception en vertu de l’article 184.4, en raison d'un dommage ou d'un danger imminent, des mesures doivent être prises pour régulariser le processus et les policiers doivent commencer, le plus tôt possible, à préparer une demande d'autorisation judiciaire en vertu de l'article 188 si la situation est encore urgente, ou en suivant le processus régulier si elle ne l'est pas.
C'est ce qui s'est produit dans l'affaire Tse. Vingt-quatre heures après avoir intercepté des communications privées en vertu de l’article 184.4 du Code criminel, les policiers ont obtenu l'autorisation judiciaire de poursuivre ces interceptions.
Étant donné la vaste gamme de pouvoirs d'écoute électronique et les paramètres suivis par la police dans les situations urgentes, j'espère que nous pouvons tous convenir qu'il est absolument nécessaire que la police soit en mesure de continuer à intercepter des communications sans autorisation judiciaire dans des circonstances exceptionnelles afin d'empêcher des dommages graves.
Or, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que cet outil essentiel ne pourra être retenu que s'il ne contrevient pas à la Constitution et que les dispositions de l'article 184.4 du Code criminel concernant la protection de la vie privée doivent donc être améliorées pour obliger les services de police à aviser, a posteriori, les personnes ayant fait l'objet d'une interception de communication par mise sur écoute. Ainsi, le projet de loi propose non seulement de remédier à cette lacune, mais également d'ajouter d'autres mesures de protection à l'article 184.4, conformément à notre objectif qui consiste à veiller à la sécurité des Canadiens tout en protégeant leur droit de s'attendre à un respect raisonnable de leur vie privée. Le projet de loi reflète cet équilibre fondamental.
Le projet de loi propose une modification qui exigerait que les personnes dont les communications personnelles sont interceptées en soient avisées une fois l'interception terminée. Comme pour les autres pouvoirs de mise sur écoute actuellement prévus au Code criminel, le projet de loi exigerait que la personne ayant fait l'objet d'une interception en vertu de l'article 184.4 en soit avisée dans les 90 jours suivant l'interception, à moins qu'une prolongation de ce délai ne soit accordée par un juge. Cet avis lui permettrait alors d'exercer des droits importants, notamment celui à un procès équitable.
L'ajout de l'obligation d'aviser la personne visée après coup remplit clairement les conditions énoncées dans la décision Tse pour que l'article 184.4 survive à une contestation constitutionnelle. Toutefois, le projet de loi va plus loin en proposant l'ajout d'une autre mesure afin de mieux protéger la vie privée des Canadiens.
À l'heure actuelle, l'article 195 du Code criminel exige la production d'un rapport annuel à l'intention du Parlement sur le degré d'utilisation de la surveillance électronique. La disposition énumère des éléments d'information précis devant être inclus dans les rapports annuels. En ajoutant l'article 184.4 du Code criminel à la liste des mises sur écoute devant être déclarées, le projet de loi obligerait le ainsi que les procureurs généraux des provinces à préparer chaque année un rapport sur l'utilisation de cet article précis, conformément aux exigences de déclaration déjà prévues à l'article 195 du Code criminel pour les autres formes de mise sur écoute.
Comme le décrit le projet de loi, le rapport indiquerait, par exemple, le nombre d'interceptions effectuées et d'avis donnés, les méthodes d'interception utilisées et le nombre de personnes arrêtées dont l’identité a été découverte par un policier par suite d’une interception.
Si le Parlement et le public en général savent de quelle manière on utilise ces pouvoirs et à quelle fréquence, il sera alors possible de mener un examen annuel de l'usage qui en est fait, permettant ainsi de vérifier que ces pouvoirs ne sont utilisés que dans les situations adéquates. Le Parlement pourrait alors, à son tour, faire les modifications qui se révéleraient nécessaires.
Une autre mesure à valeur de garde-fou proposée dans le projet de loi permettrait de n'appliquer le Code criminel que dans certains cas bien précis d'infractions. À l'heure actuelle, l'article 184.4 peut être appliqué à tout acte illégal. Certes, cet acte illégal doit être à l'origine de dommages importants causés à une personne ou à des biens, mais le concept même d'acte illégal pourrait être clarifié. C'est la raison pour laquelle le projet de loi propose de limiter l'application de l'article 184.4 aux infractions énumérées dans l'article 183 du Code criminel. C'est déjà ce que l'on fait dans la plupart des autres cas d'autorisations de mise sur écoute. La police pourrait alors déterminer facilement et avec certitude si elle peut utiliser cet outil dans les conditions auxquelles elle se trouve confrontée.
Finalement, le projet de loi propose de limiter l'utilisation de ce pouvoir à une catégorie de personnes seulement, c'est-à-dire aux agents de police. Actuellement, selon l'article 184.4, ce sont les agents de la paix qui détiennent ce pouvoir, mais l'expression « agent de la paix » telle que définie dans le Code criminel couvre une catégorie plus vaste de personnes compétentes, comme les gardes-pêche, les maires et les agents des douanes.
Dans l'arrêt R. c. Tse, la Cour suprême du Canada laisse entendre qu'il faut déterminer si l'article 184.4 a une portée excessive du fait que le pouvoir qu'il confère peut être exercé par des agents de la paix, et nous en avons tenu compte dans cette proposition de modification. La cour a refusé de trancher cette question en l'absence d'un dossier suffisant, mais cela ne veut pas dire qu'elle ne se posera pas de nouveau à l'avenir.
Non seulement cette mesure législative comblerait la lacune constitutionnelle de l'article 184.4 du Code criminel, mais elle renforcerait les protections associées à cette disposition, qui permet à la police d'intercepter des communications sans autorisation judiciaire si une personne ou un bien court un risque imminent et sérieux. Les modifications visent précisément à mieux protéger la vie privée et à améliorer la reddition de comptes ainsi que la transparence.
J'espère que le projet de loi sera adopté rapidement et que nous respecterons la date limite du 13 avril 2013 imposée par la Cour suprême du Canada. L'adoption de ce projet de loi garantirait que nous continuerons d'avoir les outils nécessaires nous permettant d'obtenir les renseignements nécessaires pour faire face à des situations exceptionnelles, comme des enlèvements, tout en respectant le droit à la vie privée des Canadiens.
Je presse tous les députés d'accorder leur appui inconditionnel à ce projet de loi.
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Monsieur le Président, je serais portée à dire au que, si on cherche à obtenir une faveur auprès des gens, on essaie d'être gentil avec eux.
En effet, cela va prendre toute une gymnastique intellectuelle pour s'assurer qu'un projet de loi aussi important que le projet de loi fasse l'objet d'une étude sérieuse. Je ne peux pas croire que le demande à 307 autres députés à la Chambre de simplement faire un acte de foi et d'accepter ce projet de loi les yeux fermés parce que l'obligation nous en a été faite par la Cour suprême.
De ce côté-ci de la Chambre, l'opposition officielle fera sérieusement son travail. Je peux annoncer au ministre que nous allons effectivement appuyer ce projet de loi, afin de l'envoyer rapidement au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Cependant, cela ne nous empêchera pas de faire notre travail en comité, comme nous le faisons toujours, ainsi que le ministre le sait. On ne le fait pas dans le but de faire de l'opposition systématique. J'ose espérer que je n'entendrai pas ces mots dans la bouche d'aucun conservateur pour les dix prochains jours, le temps que les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne étudient le projet de loi . Je suis très sérieuse. La Cour suprême du Canada a mentionné des délais. Ce n'est pas nous qui demandons une faveur ici, mais le gouvernement, s'il veut respecter ces délais.
Je ne peux pas croire que les brillants esprits juridiques travaillant au ministère de la Justice aient mis 11 mois à pondre le projet de loi . La réalité, c'est que les conservateurs ont fait une erreur de lanceur en partant. Ils ont déposé le projet de loi en pensant qu'ils réglaient tous les problèmes imaginables en matière d'écoute électronique. Je ne peux pas nécessairement blâmer le car ce n'était pas son dossier; c'était celui du .
Les conservateurs ont dû faire marche arrière et déposer ce projet de loi à quelques semaines d'avis. Les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne siégeront aujourd'hui, mais ils n'étudieront pas ce projet de loi. Ils siégeront mercredi, mais ne l'étudieront probablement pas non plus. Il restera peut-être deux journées. De ce côté-ci de la Chambre, nous promettons de le regarder attentivement et nous tenterons de le faire dans les délais impartis.
Par contre, je demanderais au gouvernement d'avoir une ouverture d'esprit qu'il ne nous a absolument pas démontrée depuis notre arrivée à la Chambre, depuis l'élection de 2011.
Parfois, l'opposition officielle présente de très bonnes suggestions, qui éviteraient que le gouvernement ne fasse mauvaise figure et ne se retrouve encore une fois avec un dossier comme R. c. Tse. Dans cet arrêt, la Cour suprême a affirmé qu'il y avait un problème dans la loi. Le gouvernement peut bien dire tant qu'il veut, et avec raison aussi, que l'article 184.4 du Code criminel existait déjà, que cette disposition existe depuis 1993, soit avant son arrivée au pouvoir.
Il m'importe peu de savoir qui blâmer. Je veux simplement qu'on règle la question. La Cour suprême a été extrêmement claire. Elle a dit où le bât blessait et quels éléments étaient contraires à la Charte. Elle a accordé une année pour que cela se fasse, en mettant à part ses conclusions pour donner la chance au gouvernement de remplir ce vide juridique très important.
C'est souvent pourquoi je pose des questions au ministre ou à ses officiels pour savoir si on a sérieusement fait des études en profondeur avant de déposer certains projets de loi. Si on les regarde dans leurs grands lignes, ils ont peut-être de bonnes intentions, mais leur courte vue occasionne d'autres problèmes dans les faits, car ils sont conçus rapidement. Ce n'est peut-être pas demain, ni le mois prochain, ni dans les six prochains mois, mais un jour, cela reviendra hanter les conservateurs.
Lorsque j'étais avocate, j'essayais d'éviter tout problème futur en concevant toutes les difficultés qui pourraient survenir suite à l'élaboration d'un texte. Comme législateurs, nous devrions faire le même exercice.
Il ne faut pas penser, comme un collègue conservateur l'a déclaré au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, que les tribunaux seraient là pour les corriger, s'ils se trompaient. J'ai trouvé cela spécial venant de la bouche d'un député du gouvernement conservateur, qui n'a pas nécessairement le plus grand respect pour ce qu'on appelle le pouvoir judiciaire. Quand cela fait leur affaire, les conservateurs s'en remettent au pouvoir judiciaire en disant qu'il corrigera le tout et rétablira la situation.
À l'inverse, je ne veux pas envoyer les justiciables devant les tribunaux. Ce n'est pas parce que je ne fais pas confiance aux tribunaux, au contraire. Cependant, je sais que ça coûte un bras, que la situation n'est pas évidente et qu'il y a des problèmes d'accessibilité en matière de justice.
Dans ce contexte, si nous faisons bien notre travail à la Chambre, c'est-à-dire si nous élaborons des projets de loi conformes à notre Charte et à notre Constitution, nous réglerons une bonne partie des problèmes. Après ça, les tribunaux feront leur travail, selon les circonstances.
La Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire R c. Tse. J'encourage tous mes collègues à la Chambre à lire cette décision avant de se prononcer sur le projet de loi . Il n'est pas nécessaire de s'astreindre à lire les quelque 50 pages de la décision, que ce soit en français ou en anglais, mais à tout le moins d'en lire le résumé. Ce dernier explique bien en quoi consistait le problème lié à la section sur l'atteinte à la vie privée. Ça s'appelle comme ça, qu'on le croie ou non. Dans le Code criminel, la section concerne l'atteinte à la vie privée. Cependant, selon la Cour suprême du Canada, cette section se justifie dans le contexte bien spécifique de certaines infractions. D'ailleurs, l'article 183 du Code criminel explique bien dans quel contexte cette section s'applique.
Je souligne à mes collègues de la Chambre et à ceux qui nous écoute qu'on ne parle de petites infractions. On parle de choses sérieuses et extrêmement graves, par exemple, le sabotage, le terrorisme, le détournement, l'atteinte à la sécurité des aéronefs ou des aéroports, la possession d'explosifs, et j'en passe. Je pourrais en faire toute la nomenclature, mais il y a une bonne liste à l'article 183.
Cette section sur l'atteinte à la vie privée vise quand même des cas très particuliers qui doivent être considérés dans le contexte de la Charte canadienne des droits et libertés. On doit s'assurer qu'il s'agit effectivement d'atteintes à la vie privée. La plupart des articles prévoit certaines vérifications dans le cadre desquelles la Couronne et la police doivent obtenir certaines autorisations. C'est à cet égard que l'article 184.4 posait un problème, car il prévoyait de façon plus ou moins claire qu'on mette quelqu'un sur écoute. La personne concernée, à moins qu'on dépose un acte d'accusation contre elle, n'aurait jamais su qu'elle était sous écoute. Il y avait donc un problème à régler à ce sujet. La Cour suprême a donné des directives à suivre en pareil cas.
La Cour suprême a souvent plus de respect pour le gouvernement que celui-ci n'en a pour elle. Toutefois, elle laisse quand même au gouvernement le soin d'élaborer son projet de loi en lui fournissant des pistes de solutions très générales.
Certaines clauses peuvent encore porter à réflexion et alimenter le débat. Je ne suis pas certaine que la définition de « policier », incluse dans l'article 3 du projet de loi C-55, réponde à la question qu'aurait à se poser la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a refusé de se prononcer sur cette question particulière, parce que ça n'a pas fait l'objet de discussion devant elle. Bien respectueuse de son rôle, la Cour suprême a dit n'avoir pas suffisamment d'éléments au dossier pour transmettre des recommandations au gouvernement en ce qui a trait à la définition comme telle.
On étudiera ça au comité. Les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne pourront poser des questions aux représentants du ministère de la Justice et au ministre, à savoir comment la définition a été conçue et sur quoi ils se sont basés pour ce faire. Le projet de loi n'en fait pas vraiment état. On aura certainement de bonnes discussions à ce sujet.
J'attire aussi l'attention de mes collègues à la Chambre sur la disposition qui prévoit la possibilité de renouveler certaines autorisations de trois mois jusqu'à trois ans. Je ne parle plus de l'article 184.4.
Je répète qu'on est dans la section qui concerne l'atteinte à la vie privée. Est-ce raisonnable d'avoir des renouvellements qui peuvent atteindre trois ans? On devra discuter de ces choses.
Ces projets de loi ont parfois l'air simples à la lecture, mais ils ne sont pas aussi simples quand on va dans les détails.
Et comme le diable est dans les détails, je me dis qu'en tant que législateurs, on se doit à tout le moins de s'assurer que le travail est fait avec sérieux. Sinon, dans six mois ou un an, la Cour suprême du Canada rendra une décision qui montrera qu'on n'a pas fait notre travail. Elle analysera le travail qui a été fait afin de savoir quelle était l'intention du législateur. En effet, elle utilise parfois les débats de la Chambre ou du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
L'intention du législateur, c'est la nôtre. Il faut arrêter de penser qu'il s'agit d'une personne déconnectée qui existe sur les murs du Parlement. C'est nous, à la Chambre, les législateurs. Si la Cour suprême veut connaître l'intention du législateur, elle va regarder quelle était l'essence des débats.
Si l'essence des débats montre qu'il n'y en a pas eu parce que le gouvernement a attendu à minuit moins cinq pour faire avaler un projet de loi qui a des conséquences majeures en matière d'atteinte à la vie privée, car cela touche à l'atteinte à la vie privée, on se doit tous, en bons législateurs, de faire le travail nécessaire à cet égard.
Il n'y aura pas de blocage inutile, mais encore une fois, je répète à mes amis d'en face que ce sont eux qui ont besoin de faire adopter ce projet de loi rapidement. Ils n'ont même pas assez de temps pour présenter les motions de clôture qu'ils aiment tant déposer pour nous empêcher de débattre, parce que le temps de débattre ces choses-là, le projet de loi n'aura même pas eu le temps de se rendre en comité ni celui de revenir à la Chambre.
Les conservateurs ont besoin de l'opposition officielle pour les aider afin que ce projet de loi puisse être adopté. Au nom du caucus de l'opposition officielle, j'affirme que nous n'avons pas l'habitude d'empêcher quelque chose de se produire simplement par plaisir. On laisse ce genre d'attitude aux gens d'en face. Par contre, mes collègues et moi ne souffrirons pas d'entendre des discours voulant que le NPD soit en faveur des criminels. Si j'entends cela, je jure que je vais parler tellement longtemps au Comité permanent de la justice et des droits de la personne que la Cour suprême aura le temps de changer sept juges sur neuf avant que j'arrête.
Faisons tous le travail pour lequel nous avons été envoyés ici et assurons-nous de le faire sérieusement, pour dire aux gens qu'il y a un chapitre dans le Code criminel sur l'atteinte à la vie privée. Dans la décision R. c. Tse, on s'est assuré d'avoir tous les bons garde-fous pour dire que c'est acceptable dans une société libre et démocratique, compte tenu du sérieux des infractions visées par l'article 183.
Ce sont quelques petits points qu'on devra étudier en comité sérieusement, mais avec de bonnes questions et de bonnes réponses, et non pas en jouant à de petits jeux de cachette et en se faisant croire que tout a été longuement réfléchi. On doit chercher les solutions.
On arrivera probablement à adopter le projet de loi dans les délais impartis par la Cour suprême, mais je répète que le gouvernement a attendu à la dernière minute. C'est honteux de jouer avec des dossiers aussi sérieux que celui-là. Cela dit, je n'en tiens pas rigueur au , puisque c'était une erreur d'aiguillage. Les conservateurs ont commencé dans la mauvaise direction avec le projet de loi , et il leur a fallu du temps pour l'admettre et pour retirer ce projet de loi.
C'est comme apprendre qu'une mauvaise émission de télé a été retirée de la grille horaire. Finalement, on a appris que le projet de loi avait été retiré de la grille horaire. Tant mieux. Il a été remplacé très partiellement par le projet de loi . Je ne voudrais pas que les gens qui nous écoutent pensent que le projet de loi est un calque du projet de loi . Ce n'est absolument pas le cas. Il fait ce qui devait être fait, c'est-à-dire modifier une section bien précise du Code criminel, soit l'article 183 et les suivants, pour s'assurer de répondre aux interrogations et aux diktats de la Cour suprême du Canada.
Certains de mes collègues parleront fort probablement des différentes dispositions, mais je veux mentionner l'article 184.4, qui est modifié par l'article 3.
C'est probablement l'article le plus central de la décision dans la cause R. c. Tse, parce que c'est ce à quoi réfère directement la décision de la Cour suprême.
J'attire aussi l'attention de mes collègues sur un aspect qui me fatigue un peu, soit l'article qui porte sur le report des autorisations d'écoute. Il s'agit de l'article 5 du projet de loi, qui traite des autorisations et de la reconduction d'une durée maximale de trois ans. En fait, on le voit à l'article 6 du projet de loi, plus particulièrement à la modification que l'on veut apporter à l'article 196.1, où l'on parle du délai initial de 90 jours ou de la période de la prolongation obtenue en vertu des paragraphes x, y, z, jusqu'à une durée maximale de trois ans.
Ce sont des choses qu'on devra étudier dans ce contexte-là, parce qu'elles ont quand même des portées assez sérieuses. On devra aussi s'attarder à la définition de « policier ». Sur cette base, c'est toujours un peu plus inquiétant, parce que la Cour suprême l'a bien dit:
Faute d’un dossier suffisant, la question de savoir si l’art. 184.4 a une portée excessive du fait que le pouvoir qu’il confère peut être exercé par des agents de la paix autres que les policiers n’est pas tranchée.
La cour prend toujours soin de ne répondre qu'aux questions qui lui sont posées. Comme il n'y avait pas eu de question sur la notion précisant qui a le droit de faire de l'écoute — et dans ce cas-ci, c'était les agents de la paix — la Cour suprême du Canada a dit qu'elle ne se prononcerait pas sur quelque chose dont elle n'est pas saisie, ce qui est tout en son honneur. Au fond, elle n'est pas là pour donner des avis juridiques, sauf quand le gouvernement, peu importe le gouvernement en place, manque de courage politique et décide de passer par la Cour suprême pour se faire dire ce qu'il a le droit de faire que ce soit en matière de Sénat, de mariage civil de conjoints de même sexe ou même encore du droit à la sécession du Québec, par exemple. Ce sont les exemples qui me viennent à l'esprit.
C'est souvent la stratégie qui est utilisée par les gouvernements qui ne veulent pas se mouiller politiquement. Ils espèrent que la Cour suprême du Canada va tendre sa grande baguette magique et régler tous les problèmes politiques du pays, ce qui n'est pas souvent le cas, parce qu'elle est quand même très respectueuse du pouvoir politique, c'est-à-dire de notre pouvoir de faire les lois. C'est exactement ce que la Cour suprême a fait dans ce dossier.
La façon dont la nouvelle définition de « policier » est écrite me semble un peu bizarre; elle ne semble pas rédigée dans le langage habituel. On nous dit:
« policier » S’entend d’un officier ou d’un agent de police ou de toute autre personne chargée du maintien de la paix publique.
Étant avocate, je dois dire que l'expression « de toute autre personne » est vague, et c'est le genre d'expression que je n'aime jamais voir dans des articles du Code criminel portant sur l'atteinte à la vie privée. S'agit-il d'un agent de sécurité? Tellement de questions me viennent à l'esprit.
Ce que je veux montrer à mes collègues, c'est qu'un projet de loi tellement bénin et, aux dires du ministre, pas si compliqué peut être plus compliqué qu'on le pense. C'est notre travail de le souligner, surtout que cela fait suite à une demande de la Cour suprême du Canada de retourner faire nos devoirs. À mon avis, si on ne veut pas que la Cour suprême du Canada nous accorde, pour la seconde fois, un « F » pour « faillir », on devrait du moins y accorder le temps nécessaire pour ce faire.
Je suis prête à répondre aux questions.
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Monsieur le Président, le projet de loi , dont nous débattons aujourd'hui, doit être analysé dans le contexte du projet de loi , le projet de loi sur la surveillance d'Internet, présenté en février 2012. Ce dernier a été un échec monumental, principalement parce que le gouvernement a omis de faire ses devoirs en ne s'assurant pas que la mesure résisterait à une contestation fondée sur la Charte. Le gouvernement est aussi resté sourd aux avertissements des fournisseurs de services de télécommunications relativement à l'impossibilité d'appliquer certaines des dispositions clés de la mesure. Il n'a pas non plus su prendre le pouls des Canadiens relativement à un tel projet de loi avant de le déposer.
Par ailleurs, le début du débat à la Chambre sur le projet de loi a été marqué par l'incurie du , qui s'est illustré par sa réaction excessivement partisane chaque fois que quelqu'un émettait des réserves sur les éléments controversés et probablement anticonstitutionnels de la mesure. Le ministre a ainsi jeté de l'huile sur le feu et, de facto, mis un terme au dialogue public, étouffant toute possibilité de remédier aux lacunes au moyen d'amendements apportés à l'étape de l'étude en comité — si tant est qu'il eut été possible de réchapper la mesure, ce dont beaucoup doutaient. Autrement dit, le ministre a fait dérailler le projet de loi avec ses discours creux. On peut se demander s'il y a lieu de rattacher la faille béante de cette mesure, c'est-à-dire sa violation des principes de la Charte, à la rumeur selon laquelle le gouvernement ne s'assurerait plus qu'un projet de loi est conforme à la Charte avant de le présenter au Parlement.
La décision du gouvernement de retirer le projet de loi soulève toute une série de questions.
Première question: avions-nous besoin du projet de loi C-30? Deuxième question: si cette mesure était vraiment nécessaire à la sécurité publique, pourquoi le gouvernement, qui est majoritaire, l'a-t-il retirée? Comme nous l'avons vu avec les projets de loi budgétaires, le gouvernement conservateur qui se dit majoritaire et stable peut faire et fait ce qu'il veut étant donné sa majorité. Soulignons que, pour le gouvernement, le mot « majorité » signifie ne jamais avoir à faire de compromis.
Troisième question: au vu de sa décision de retirer le projet de loi C-30, on se demande si le gouvernement a le courage de ses convictions, qu'elles soient fondées ou non.
La quatrième question est liée à la première. Est-ce que l'article 184.4 actuel du Code criminel donne aux organismes d'application de la loi les moyens nécessaires pour mener des enquêtes et arrêter ceux qui cherchent à exploiter des enfants sur Internet? En retirant le projet de loi C-30, le gouvernement semble répondre « oui » à cette question. Je reparlerai plus en détail de l'article 184.4 dans un instant.
Une autre question me vient à l'esprit. Compte tenu de l'intérêt nouveau du gouvernement pour le coût des services policiers, je me demande si le gouvernement conservateur consacre suffisamment d'argent aux ressources mises à la disposition de la police pour lutter contre la cybercriminalité. Au fond, le noeud du problème, c'est peut-être le financement des services policiers. Du fait qu'il ne parle pas avec les provinces de bonifier et de regarnir le fonds de recrutement de policiers, le gouvernement ne sape-t-il pas la capacité actuelle de la police de combattre la cybercriminalité? Le gouvernement est-il en train d'abandonner les collectivités, les rendant du coup plus vulnérables? Par exemple, le fonds pour le recrutement de policiers a été utilisé au Québec pour renforcer la division de la cybercriminalité du Service de police de Montréal. Que se passera-t-il lorsqu'il n'y aura plus de fonds fédéraux? La GRC consacre-t-elle assez d'argent à la cybercriminalité ou les contraintes budgétaires qui lui sont imposées par le gouvernement conservateur nuisent-elles à ses activités fort utiles de patrouille du cyberespace, sans compter la lutte contre les crimes économiques, domaine de plus en plus complexe?
Ce sont là les questions difficiles que le gouvernement doit se poser en toute honnêteté. Il y va de la sécurité de nos collectivités et de nos familles.
Le projet de loi , que les libéraux appuient, est la réponse du gouvernement à la décision rendue par la Cour suprême en avril dernier dans l'affaire Regina c. Tse. La Cour suprême a rendu sa décision sur la constitutionnalité de l'article 184.4 du Code criminel peu de temps après que le gouvernement ait présenté à la Chambre le controversé projet de loi . Autrement dit, au moment où le projet de loi C-30 a été présenté, la Cour suprême délibérait sur certains éléments qui étaient au coeur de ce projet de loi. Cela soulève la question suivante: pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas attendu que la Cour suprême rende sa décision avant de se précipiter pour présenter le projet de loi C-30? Le gouvernement aurait pu tirer avantage de la sagesse de la Cour dans la rédaction finale du projet de loi. En outre, étant donné que, en avril 2012, la Cour suprême a donné 12 mois au gouvernement pour résoudre les problèmes qui rendent inconstitutionnel l'article 184.4, pourquoi le gouvernement a-t-il attendu à la toute dernière minute, à savoir il y a deux semaines, pour régler cette question?
Comme on l'a déjà dit, l'affaire Tse a permis d'évaluer la constitutionnalité de l'article 184.4 sous sa forme actuelle. L'article 184 du Code criminel traite de l'écoute électronique dans les situations d'urgence.
L'article 184.4 porte sur l'interception, sans l'obtention préalable de l'autorisation normalement requise, de communications privées, y compris les communications informatiques, dans des circonstances pressantes. Cela s'applique dans les situations où l'interception immédiate est nécessaire pour empêcher que des dommages sérieux ne soient causés à une personne ou à un bien et où l'autorisation ne pourrait pas être obtenue assez rapidement pour empêcher un dommage imminent. Autrement dit, il s'agit des situations où chaque minute compte.
Dans l'affaire Tse, en Colombie-Britannique, les forces policières ont invoqué l'article 184.4 pour intercepter sans autorisation des communications privées, lorsque la fille d'une présumée victime d'enlèvement a commencé à recevoir des appels de son père, qui disait que ses ravisseurs voulaient une rançon. La Cour suprême a été saisie d'un appel interjeté par la Couronne au sujet d'une conclusion du juge de première instance, en vertu de laquelle l'article 184.4, sous sa forme actuelle, viole la Charte.
On a demandé à la Cour suprême de statuer si le libellé actuel de l'article 184.4 contrevenait au droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, conformément à l'article 8 de la Charte, qui traite du droit à la protection de la vie privée. Le cas échéant, la Cour suprême devait déterminer si la constitutionnalité de cet article était préservée par l'article 1 de la Charte, qui limite un droit garanti par la Charte si cette limite constitue une mesure raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Dans la décision historique qu'elle a rendue auparavant dans l'affaire Hunter c. Southam Inc., la Cour suprême a déterminé qu'une fouille sans mandat est présumée abusive. En d'autres mots, la norme de présomption de constitutionnalité qui s’applique aux fouilles, perquisitions et saisies en droit criminel est l’autorisation judiciaire préalable — il faut donc obtenir un mandat.
Dans l'affaire R. c. Duarte, la Cour suprême a affirmé:
[...] le principe général que la surveillance électronique d'un particulier par un organe de l'État constitue une fouille, une perquisition ou une saisie abusive au sens de l'art. 8 de la Charte.
Cependant, comme les juges l'ont indiqué dans la décision rendue dans l'affaire Tse:
La situation d’urgence entre en ligne de compte pour déterminer le caractère raisonnable de la fouille ou de la loi qui l’autorise et peut justifier l’absence d’autorisation judiciaire préalable.
Par conséquent, en théorie, il semble que le législateur puisse, dans une disposition législative, accorder un pouvoir restreint d’écoute électronique en cas d’urgence pour prévenir des dommages sérieux, s’il est impossible d’obtenir une autorisation judiciaire avec toute la diligence raisonnable.
Ainsi, l'article 184.4 est fondé sur le principe reconnu suivant, tel qu'énoncé par la Cour:
[...] les intérêts des particuliers au respect de leur vie privée doivent parfois être relégués temporairement au second rang pour le bien public — en l’occurrence, pour la protection de vies et de biens contre des dommages sérieux et imminents.
Je vais citer de nouveau la décision rendue dans l'affaire Tse:
L’article 184.4 établit un certain nombre de conditions. Correctement interprétées, ces conditions visent à faire en sorte que le pouvoir d’intercepter des communications privées sans autorisation judiciaire ne puisse être exercé qu’en cas d’urgence pour éviter des dommages sérieux. Dans cette mesure, cet article établit un juste équilibre entre les droits garantis à un particulier par l’art. 8 de la Charte et l’intérêt de la société à prévenir des dommages sérieux.
Ce raisonnement est conforme à l'observation que le juge Lamer a faite dans l'affaire Godoy. Ainsi, « la dignité, l'intégrité et l'autonomie » sont des valeurs sous-tendant le droit à la vie privée; par conséquent, l'intérêt de la personne qui demande de l'aide aux policiers « ressortit davantage à la dignité, à l'intégrité et à l'autonomie que celui de la personne qui cherche à refuser l'entrée aux agents de police dépêchés sur les lieux pour répondre à un appel à l'aide ».
La principale conclusion des juges dans l'affaire Tse est que l'article 184.4 est inconstitutionnel, car il n'y est pas question de l'obligation d'aviser la personne ciblée que ses communications ont fait l'objet d'une interception. Cela diffère nettement des autorisations judiciaires obtenues conformément aux articles 186 et 188, qui prévoient que la personne ciblée doit être avisée dans un délai de 90 jours qu’elle a fait l’objet d’une interception.
Bien que la Cour ait refusé de se prononcer sur la nécessité de resserrer la définition du terme « agent de la paix » aux termes de l'article 184.4, faisant valoir l'absence de preuve suffisante pour trancher la question, elle a toutefois exprimé des réserves « sur la multitude de personnes qui, par le jeu de la définition large du terme “agent de la paix”, sont habilitées à employer les mesures extraordinaires prévues à l’art. 184.4 ».
À l'heure actuelle, le terme « agent de la paix » s'étend aux maires, aux huissiers et aux gardiens de prison.
Les libéraux appuieront quand même l'initiative du gouvernement contenue dans le projet de loi , qui vise à restreindre la catégorie de personnes pouvant procéder à des interceptions aux termes de l'article 184.4, afin qu'elle ne comprenne que des policiers, c'est-à-dire des officiers ou des agents de police ou toute autre personne chargée du maintien de la paix publique. Nous souhaitons toutefois savoir si ce groupe restreint comprendrait les agents de sécurité privés, auxquels les municipalités en région font appel de plus en plus afin, par exemple, de compenser la diminution de la présence policière causée par les réaffectations d'effectifs ou les compressions budgétaires dans les services de police.
De même, bien que la Cour ne considère pas comme un impératif constitutionnel l'obligation de faire rapport au Parlement sur le recours à l'article 184.4, nous voyons d'un bon oeil l'exigence prévue à cet effet dans le projet de loi , parce que, bien sûr, cette exigence constitue une protection importante permettant de trouver un juste milieu entre, d'une part, les intérêts de l'État à prévenir les préjudices et à poursuivre les criminels et, d'autre part, l'obligation de protéger les droits garantis par l'article 8 de la Charte.
Enfin, nous ne comprenons pas très bien pourquoi le projet de loi limite les interceptions en vertu de l'article 184.4 à la liste, certes large, des infractions énumérées à l'article 183 du Code criminel. Il est vrai que le juge Davies, juge de première instance dans l'affaire Tse, était d'avis que l'article 184.4 ne devrait s'appliquer qu'aux infractions listées à l'article 183. La Cour Suprême a toutefois exprimé son désaccord dans le processus d'appel:
Il peut arriver que l’interception d’une communication soit justifiée au titre de l’article 184.4 dans le cas d’actes illicites qui ne figurent pas à l’article 183. Nous préférons la conclusion, tirée par le juge Dambrot dans Riley [...] que l’exigence d’un acte illicite a une portée à tout le moins suffisamment limitée pour être constitutionnellement valide, du fait qu’il doit s’agir d’un acte illicite qui causerait des dommages sérieux à une personne ou un bien [...] L’énumération des actes illicites susceptibles de causer des dommages aussi sérieux ne renforcerait pas réellement la protection de la vie privée. La liste des infractions que l’on trouve à l’article 183 est très large en soi; le législateur a néanmoins décidé de cibler les actes illicites qui causeraient des dommages sérieux. Nous ne voyons aucune raison de modifier ce choix.
[...] la norme des dommages sérieux restreint de façon concrète et importante l’effet juridique de l’article 184.4 et figure dans la jurisprudence de notre Cour dans des contextes variés [...]
[...] cette norme est aussi compatible avec la pratique policière relative à l’article 184.4.
Il semble qu'en présentant le projet de loi , le gouvernement admet que les services de police sont déjà autorisés par la loi à intercepter notamment des communications liées à la cybercriminalité visant des enfants ou liées au terrorisme. Nous nous interrogeons donc sur les motifs ayant poussé le gouvernement à présenter le projet de loi , pour ensuite le retirer.
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Monsieur le Président, je partagerai mon temps de parole avec l'excellente, élégante, travaillante et débrouillarde députée d'. Elle prendra la deuxième partie du temps accordé pour le discours. On aura donc l'occasion de l'entendre.
Je me lève après la députée de qui a fait une excellente prestation sur cette question.
Effectivement, on va appuyer ce projet de loi en deuxième lecture. Toutefois, on trouve incroyable que le gouvernement dépose un projet de loi maintenant, même s'il savait depuis un an qu'il fallait faire des changements.
Les conservateurs n'ont rien fait pendant un an. Ils ont déposé le projet de loi qui a été visiblement rejeté par le grand public. Le gouvernement a même essayé de dénoncer les gens qui s'objectaient à ce projet de loi mal fait. Il a réagi, mais finalement la pression du grand public canadien l'a heureusement obligé à le retirer.
Les conservateurs ont maintenant déposé le projet de loi , à 19 jours de l'échéance fixée dans la décision de la Cour suprême, soit le 13 avril 2013.
On a 19 jours en tout pour le débat à l'étape de la deuxième lecture, ainsi que pour en faire l'examen en comité. On a 19 jours pour entendre les témoins de partout et pour en faire l'étude article par article, afin d'éviter des problèmes et que la Cour suprême soit encore obligée de composer avec un autre projet de loi bâclé de ce gouvernement. On a 19 jours pour revenir en troisième lecture, pour considérer les amendements proposés par des députés et pour avoir une dernière discussion et un dernier vote. C'est tout à fait ridicule, quand on sait depuis un an que le gouvernement avait des devoirs à faire.
Encore une fois, le gouvernement n'a pas fait son travail. Ce n'est pas la première fois. De notre côté, c'est le problème qu'on constate.
Comme la députée de l'a si bien dit, on a des projets de loi bâclés, broche à foin, qui n'ont aucun sens et qui sont mal faits.
Quand le travail n'est pas effectué à la Chambre, quand les témoins n'ont pas le temps de venir partager leur expertise et quand les députés n'ont pas le temps de faire l'étude article par article et d'adapter le projet de loi en fonction de ce que les témoins leur disent, quel est le résultat?
Comme le gouvernement le fait systématiquement, il propose une motion de clôture et on adopte le projet de loi, même s'il est mal fait et broche à foin. Les contribuables du Canada sont alors obligés de payer les juges pour vérifier le bien-fondé de ce projet de loi.
Quand le gouvernement ne fait pas son travail et manque de respect envers les députés de l'opposition, c'est tout le Canada qui en faire les frais. La Cour suprême est maintenant obligée d'examiner plusieurs projets de loi des conservateurs qui ont été bâclés, mal faits et sont broche à foin. On vient d'entendre aujourd'hui la présentation d'un autre projet de loi conservateur bâclé.
Les conservateurs persistent dans cette attitude du « tout m'est dû ». Ils pensent pouvoir déposer à la Chambre n'importe quel projet de loi, et que ce n'est pas grave s'il est mal fait. Le résultat est que ça prend beaucoup plus de temps et d'argent des contribuables pour réparer les projets de loi bâclés des conservateurs que ça en aurait pris si ces derniers avaient fait preuve de discipline au départ et bien fait leur travail et leurs devoirs. Je pense que les Canadiens sont tannés de ça.
C'est une des nombreuses raisons pour lesquelles de plus en plus de Canadiens disent avoir hâte à 2015. Ils pourront renverser ce gouvernement et mettre en place un gouvernement qui déposera des projets de loi bien écrits, écoutera les témoins et adaptera les projets de loi.
En démocratie, ça prend du temps pour entendre les points de vue qui viennent de partout dans ce pays de diversité et pour peaufiner les projets de loi.
Avec son attitude irresponsable, le gouvernement enlève ce temps-là. Même si on peut coopérer parce que l'échéance est dans 19 jours, la réalité est que si le gouvernement n'est pas coopératif et qu'il essaie d'imposer son point de vue, on se retrouvera encore une fois avec un projet de loi conservateur susceptible d'être contesté en justice.
En réalité, si le gouvernement ne coopère pas et essaie d'imposer son point de vue, nous nous retrouverons encore une fois avec un projet de loi conservateur qui sera contesté devant les tribunaux, comme nous l'avons entendu ce matin et comme nous le voyons depuis des mois. Ce n'est pas ce que les Canadiens veulent. Ils veulent qu'ici, au Parlement, nous prenions le temps de bien faire les choses.
[Traduction]
Nous avons 19 jours à consacrer à ce projet de loi, 19 jours pour franchir chacune des étapes et entendre tous les témoins, 19 jours pour abattre cet énorme travail. La situation aurait pu être évitée si le gouvernement avait simplement fait son travail il y a un an. Quand la Cour suprême a rendu son jugement, il aurait pu agir de façon responsable et se mettre au travail. Il a choisi de ne pas le faire.
Encore une fois, les conservateurs s'attendent à ce que le NPD corrige les erreurs qu'ils ont commises. Tant de Canadiens attendent impatiemment le jour où nous n'aurons plus à corriger les erreurs des conservateurs, où nous aurons un gouvernement néo-démocrate disposé à présenter des projets de loi qui répondent aux critères juridiques et qui bénéficient de l'appui de la population.
J'aimerais maintenant parler du programme de justice en général. Le projet de loi en fait partie. Il illustre le bien triste bilan des conservateurs en matière de justice. Nous avions d'excellents programmes de prévention du crime au Canada. Ces programmes sont de bons investissements pour les Canadiens. Chaque dollar que nous investissons dans la prévention du crime nous permet d'économiser 6 $ en services policiers, en frais juridiques et en frais d'incarcération. Chaque dollar investi dans la prévention du crime rapporte 6 $. Mais surtout, quand on investit dans la prévention, on réduit le nombre de victimes, parce qu'on empêche la perpétration des crimes. C'est là le fondement de l'approche néo-démocrate en matière de justice.
Qu'est-ce qu'ont fait les conservateurs? Ils ont vidé les programmes de prévention du crime de leur substance. Ils les ont anéantis. Dans ma région du pays et ailleurs, les conservateurs ont coupé le financement qui permettait aux programmes de prévention du crime d'atteindre leurs objectifs, réduisant ainsi le nombre de victimes, et nous permettant d'économiser 6 $ en services policiers, en frais judiciaires et en frais d'incarcération pour chaque dollar investi.
Les conservateurs ont pris énormément de mesures néfastes pour le Canada. Notre ancien chef, Jack Layton, avait pris l'engagement d'embaucher plus d'agents de première ligne, engagement que les conservateurs ont eux aussi pris avant les dernières élections. Qu'est-ce qu'ont fait les conservateurs? Rien. Ils ont échoué sur ce front.
Pire encore, les conservateurs — il faut dire les choses comme elles sont — manquent totalement de respect pour les policiers et les pompiers de ce pays dans le dossier du fonds d'indemnisation des agents de la sécurité publique. Les députés se souviennent sans doute que les conservateurs, avant d'être élus, se sont prononcés, il y a six ans, en faveur du fonds d'indemnisation et qu'ils se sont engagés à le créer pour que les familles des policiers et des pompiers tués dans l'exercice de leurs fonctions ne soient pas laissées pour compte.
J'ai parlé depuis à des familles qui ont perdu leur maison, à des jeunes qui ont dû quitter l'université, à des conjoints qui ont dû trouver le moyen de préserver l'unité de leur famille, tout cela parce que les conservateurs n'ont pas respecté la promesse qu'ils ont faite aux policiers et aux pompiers du Canada. Depuis six longues années, les pompiers et les policiers viennent sur la Colline du Parlement, mais les conservateurs n'ont que du mépris pour eux. C'est lamentable.
Lorsqu'un gouvernement néo-démocrate sera élu en 2015, les policiers et les pompiers seront respectés et un fonds d'indemnisation pour les agents de la sécurité publique sera instauré. Les familles de nos policiers et de nos pompiers ne seront plus jamais livrées à elles-mêmes à cause de l'irrespect et de l'indifférence du gouvernement fédéral.
Nous, au NPD, agissons différemment dans les dossiers de ce genre. En fait, nous estimons qu'il faut faire preuve de respect lorsqu'on présente des projets de loi à la Chambre. Il faudrait entendre ce que les témoins ont à dire afin d'améliorer la mesure législative et de faire en sorte qu'elle ne donne pas lieu à des contestations judiciaires à cause des erreurs que le gouvernement a faites.
Notre façon d'aborder le dossier de la justice serait plus réfléchie et professionnelle. Comme bien d'autres Canadiens, nous avons très hâte à 2015.
:
Monsieur le Président, je tiens à souligner le chahut de la part des députés d'en face, qui parlent de dorloter les voyous, entre autres balivernes. Je trouve plutôt décourageant d'entendre ce genre de propos tenus par les chahuteurs d'en face, qui n'ont manifestement pas lu ce projet de loi et ne savent pas vraiment de quoi il est question. Nous sommes saisis d'une question importante. Il s'agit d'une décision de la Cour suprême du Canada, qui a demandé au Parlement de modifier le Code criminel du Canada.
Analysons le projet de loi sous l'angle juridique. Commençons par l'étudier à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier l'article 8, qui dit que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Cet article, quoique laconique, est lourd de sens.
Les tribunaux ont statué qu'une perquisition sans mandat est déraisonnable. Habituellement, c'est en présentant la demande de perquisition à un juge qu'on détermine si elle est raisonnable. Il faut faire appel à une personne neutre et impartiale, comme un juge, qui peut déterminer si une perquisition est raisonnable. Cependant, dans le cadre de l'affaire Hunter c. Southam, les tribunaux, en particulier le juge Dickson, ont établi ce qui suit:
[I]l n’est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d’insister sur l’autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d’avis de conclure qu’une telle autorisation, lorsqu’elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d’une fouille, d’une perquisition et d’une saisie.
Cependant, il a été établi dans un grand nombre de décisions que l'on pouvait passer outre l'autorisation judiciaire s'il y a un risque de dommages sérieux et immédiats ou en cas d'urgence. L'utilisation des mots « dommages sérieux et immédiats » n'est pas anodine. Par exemple, lorsqu'une personne compose le 911, la police a le droit d'entrer dans une maison sans mandat. Pourquoi? Il a été estimé que le devoir de la police de protéger la vie des gens justifie qu'on entre de force dans une maison pour établir si la personne est en sécurité. L'article 184 du Code criminel prévoit que les violations de la vie privée sont contraires à la loi, mais nous affirmons aussi qu'il est possible de contrevenir ou de passer outre à cette règle grâce à une autorisation judiciaire. Or, l'autorisation judiciaire n'est pas nécessaire s'il y a un risque de dommages sérieux et immédiats. Voilà le raisonnement
Le projet de loi vise à modifier les dispositions sur l'écoute électronique de l'article 184.4 du Code criminel. Pourquoi? Le gouvernement souhaite ainsi faire en sorte que le Code criminel respecte l'arrêt Tse, dans lequel la Cour suprême du Canada a invalidé les dispositions du Code criminel portant sur l'écoute électronique parce qu'elles violaient l'article 8 de la Charte, que j'ai décrit et qui protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
Il convient de souligner que la Cour suprême nous a donné jusqu'au 13 avril 2013 pour corriger la situation et que nous sommes ici, en février 2013, en train de débattre du projet de loi.
Continuons l'analyse. Avant que nous puissions nous pencher sur le projet de loi , soit la proposition du gouvernement, il faut examiner de plus près ce que la Cour suprême a dit au sujet de l'article 184.4. Pour établir si la proposition du gouvernement réglerait vraiment les problèmes soulevés ou si cette mesure législative ferait de nouveau l'objet d'une contestation constitutionnelle, il faut comprendre pourquoi cet article pose problème et pourquoi il a été invalidé.
Voici un extrait de la décision de la Cour suprême:
[E]n théorie, il semble que le législateur puisse, dans une disposition législative, accorder un pouvoir restreint d’écoute électronique en cas d’urgence pour prévenir des dommages sérieux, s’il est impossible d’obtenir une autorisation judiciaire avec toute la diligence raisonnable.
Cet extrait est dense, mais prenons le temps de le décortiquer.
En 1993, l'année où l'article 184.4 a été adopté par le Parlement, des témoins ont fait valoir au comité que ce genre de pouvoir d'urgence est nécessaire, notamment lors de prises d'otage, de menaces d'attentat à la bombe et d'affrontements armés. Ce sont des situations très graves. D'autres témoins ont expliqué que ce pouvoir n'est nécessaire que pendant une très courte période durant laquelle on parviendrait peut-être à contrecarrer la menace et d'éviter que des dommages ne soient causés.
Je reviendrai plus tard sur le terme « agent de la paix » utilisé dans le libellé de l'article 184.4.
Un agent de la paix n'a le droit d'intercepter une communication privée sans autorisation judiciaire que s'il a des motifs raisonnables de croire que l'urgence de la situation est telle qu'une autorisation ne peut, avec toute la diligence raisonnable, être obtenue sous le régime de la partie. Il y a donc quatre concepts clés.
Que s'est-il passé? La Cour suprême du Canada a conclu que l'article 184.4 ne respecte pas les normes de responsabilité parce qu'il ne prévoit aucune mesure de reddition de compte. Si on y pense, l'interception de communications privées n'a rien avoir avec un appel d'urgence au service 9-1-1.
J'aimerais citer un passage important de la décision.
La Cour suprême du Canada a cité le juge Davies qui, je crois, a rédigé la décision de la cour d'appel:
L’interception de communications privées en cas d’urgence se distingue des situations comme les prises en chasse, l’entrée dans une résidence en réponse à un appel au service 9-1-1 ou les fouilles ou perquisitions accessoires à une arrestation dans les cas où la sécurité publique est menacée. Dans ces situations, la personne qui est visée par une fouille ou une perquisition connaît immédiatement les circonstances et les conséquences de l’action policière. Par contre, la personne dont les communications privées sont interceptées n’a aucun moyen de détecter, de connaître ni de découvrir cette atteinte à sa vie privée à moins que l’État ne décide de fonder une poursuite ultérieure sur le résultat de ses activités intentionnellement secrètes.
Autrement dit, ce serait dévoilé en cour. Or, dans le cas qui nous préoccupe, les communications privées d'une personne pourraient être interceptées sans qu'elle n'en sache jamais rien. Il y a donc absence de reddition de comptes.
La Cour suprême a également cité l'intervenante de la Criminal Lawyers Association. À mon avis, cet extrait est fort intéressant:
[...] l’avis n’est ni dénué de pertinence pour la protection des droits garantis par l’article 8, ni une mesure de protection « faible » de ces droits simplement parce qu’il intervient après l’atteinte à la vie privée. L’obligation d’aviser l’intéressé après coup braque rétrospectivement sur l’intrusion autorisée par la loi un éclairage important sur le plan constitutionnel. Le droit à la vie privée s’entend non pas seulement de la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, mais également de la capacité de les déceler, de les contester et d’obtenir une véritable réparation. La communication de l’avis sert l’ensemble de ces intérêts. En cas d’écoute électronique menée secrètement sans mandat, l’avis à la personne qui en a fait l’objet constitue pratiquement sa seule protection externe.
On voit donc que ce n'est pas du tout comme pour un appel 911, et qu'il faut aviser l'intéressé. Comme on le fait remarquer, un avis après-coup reste un avis. Il faut prévoir une disposition sur la reddition de comptes. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs conclu que le Parlement n'avait pas prévu de mesures de protection adéquates en matière de reddition de comptes dans le cas d'écoute électronique injustifiée, et elle a aussi expliqué pourquoi on ne pouvait invoquer l'article 1 de la Charte pour justifier la violation de celle-ci.
Le Parlement a reçu le mandat de rédiger un article conforme à la Constitution. Qu'a fait le gouvernement pour tenter de prévoir les dispositions voulues en matière de reddition de comptes?
Il a présenté une nouvelle disposition qui prévoit que le fera rapport de l'autorisation au Parlement.
Comme n'importe quel étudiant en droit, j'ai suivi des cours de droit pénal, mais je suis loin d'être experte en la matière. Toutefois, j'ai l'impression qu'il pourrait s'agir d'une manière créative de respecter l'obligation de rendre des comptes.
Je ne peux penser à aucune autre disposition relative à l'obligation de rendre des comptes qui prévoie comme solution de présenter les renseignements voulus au Parlement sous forme de rapports annuels. Cela ressemble en quelque sorte à une disposition de caducité, quand un projet de loi fait l'objet d'un débat, puis est présenté de nouveau à la Chambre, cette fois considérablement différent de sa version précédente. Si nous faisions rapport de cette manière, nous serions obligés d'ajouter beaucoup de détails à l'article 195 du Code criminel.
Il s'agit d'une solution intéressante et potentiellement très créative, et je me demande comment cela fonctionnerait. Ma première réaction est de penser que cela pourrait fort bien marcher, puis je me rappelle où je me trouve. Je suis à la Chambre des communes, pendant la 41e législature, sous un gouvernement conservateur qui refuse d'accepter quelque amendement que ce soit aux projets de loi, qui impose la clôture ou des motions d'attribution de temps pour limiter le débat et qui dissimule d'importantes mesures et modifications législatives dans des projets de loi omnibus.
J'aimerais que le projet de loi soit renvoyé au comité, non seulement pour déterminer s'il s'agit d'une solution créative et intéressante au problème, mais aussi pour voir si elle pourrait fonctionner dans le contexte d'un gouvernement qui affiche tant de mépris à l'égard de la surveillance parlementaire.
Je ne peux pas dire que j'ai la réponse à ces questions à l'heure actuelle, mais, à mon avis, les Canadiens ont de bonnes raisons de s'inquiéter du projet de loi, parce que le bilan du gouvernement n'est pas très encourageant sur le plan de la protection de la vie privée.
J'ai très hâte d'entendre les témoins qui se présenteront devant le comité.
Merci, monsieur le Président.
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Monsieur le Président, je suis honoré d'intervenir. Je partagerai mon temps avec ma collègue, la députée de .
J'ai bien aimé l'exposé de la députée d', dont la circonscription est adjacente à la mienne. Je sais que la députée et ses électeurs aiment bien être voisins de la merveilleuse circonscription de Dartmouth—Cole Harbour.
Nous avons obtenu de l'information fort pertinente sur la décision de la Cour suprême qui a mené au projet de loi . Je ne suis pas en mesure de me lancer dans une analyse juridique aussi pointue que l'a fait ma collègue. Toutefois, pour ce qui est de la procédure législative, les députés doivent comprendre quelles sont leurs responsabilités et veiller à s'en acquitter de sorte qu'aucune mesure législative présentée à la Chambre ne quitte celle-ci avant d'avoir été examinée sous tous les angles et se présente sous la meilleure forme possible.
Il s'agit des lois de notre pays, des lois qui touchent tous nos concitoyens et qui existeront encore des années après notre passage à la Chambre. Nous devons donc être méticuleux afin d'éviter, entre autres choses, qu'une nouvelle mesure législative ne soit immédiatement invalidée par la Cour suprême parce que nous ne nous sommes pas acquittés de notre tâche comme il se doit.
Les députés doivent être conscients que ce projet de loi fait suite à une décision rendue par la Cour suprême du Canada, et que le gouvernement n'a prévu que 19 jours de séance pour son examen à la Chambre. C'est absurde. Comment le gouvernement peut-il penser que les députés pourront traiter en seulement 19 jours de séance une mesure législative d'une telle ampleur, extrêmement détaillée et précise, et qui est étroitement liée au respect de la vie privée et à la juridiction de la Cour suprême du Canada? Cela signifie que le Comité de la justice ne disposera que de deux jours environ pour examiner cette mesure importante.
Il faut se rappeler que le gouvernement actuel n'a pas un bilan très reluisant en matière de respect de la vie privée, et qu'il a tendance à pousser la Chambre à adopter des projets de loi à toute vitesse.
Certaines dispositions des lois adoptées par ce gouvernement en matière de justice ont déjà été invalidées ou sérieusement remises en question par des tribunaux canadiens. Nous savons ce qui est arrivé au projet de loi qui devait régler cette question, le projet de loi , déposé à la Chambre il y a environ un an. Le ministre l'a rendu tellement partisan, odieux et répugnant que les Canadiens de partout au pays ont été outrés de voir comment le gouvernement et le ministre traitaient cette question délicate et importante aux yeux de tous les Canadiens.
Ils se sont exprimés d'une seule voix. Ils ont dit qu'il était tout simplement inacceptable que le gouvernement du Canada gère une question très importante d'une façon aussi partisane et irresponsable. En prenant connaissance des détails du projet de loi, on s'est rendu compte que le gouvernement n'avait pas fait ce qu'il avait dit qu'il ferait. Le projet de loi comportait tellement de lacunes que le ministre et le gouvernement ont tenté de le reléguer aux oubliettes. Ils ont prétendu qu'ils ne l'avaient jamais présenté et qu'ils ne savaient pas de quoi il était question lorsque les gens discutaient du lamentable projet de loi .
Je me souviens — et je pense qu'un grand nombre de députés de ce côté-ci de la Chambre et de Canadiens s'en souviennent aussi — de la deuxième tentative du gouvernement pour faire en sorte que le projet de loi atteigne bel et bien son objectif. Le gouvernement nous dit de ne pas nous en faire, qu'il a fait le nécessaire, qu'il a donné suite à la décision de la Cour suprême du Canada, qu'il a été très précis et qu'il a fait en sorte que le projet de loi ne porte que sur l'article 184.4 du Code criminel. Les députés n'ont donc pas à s'inquiéter, et il est inutile qu'ils passent beaucoup de temps à débattre du projet de loi.
La porte-parole du NPD en la matière, qui a fait un discours éloquent et instructif au commencement du débat, a affirmé que le gouvernement affichait souvent une attitude arrogante en présentant ses projets de loi. Les conservateurs semblent savoir mieux que quiconque ce qu'il convient de faire et ne tiennent pas compte des opinions des députés de l'opposition et des gens qu'ils représentent. Ils ont réponse à toutes les questions. Quand ils présentent un projet de loi qui, selon eux, mérite d'être adopté, ils s'attendent à ce que nous l'appuyions sans poser de questions. Ce n'est toutefois pas pour cette raison que les électeurs nous ont envoyés ici.
Le gouvernement nous oblige à la vigilance, car il ne fait pas son travail. Les députés de ce côté-ci de la Chambre le répètent souvent. Ils se demandent pourquoi le gouvernement ne vérifie pas le contenu des projets de loi comme il se doit. Évidemment, les exigences de la Cour suprême sont telles que nous ne pouvons pas déterminer avec certitude si un projet de loi sera acceptable aux yeux de la cour. Le gouvernement prend sans doute le temps de procéder à un examen et à une analyse de la proportionnalité pour que la Cour suprême du Canada juge les projets de loi acceptables. Mais il ne nous a rien répondu à ce sujet ni donné aucune assurance.
Depuis mai 2011, un grand nombre des projets de loi présentés à la Chambre par les ministériels comportent des lacunes fondamentales, et les détails laissent à désirer. On dirait que, lorsqu'il élabore un projet de loi, le gouvernement se soucie davantage du titre et de considérations politiques que du fond, des détails et des effets que les modifications législatives auront sur les Canadiens. En gros, le gouvernement se moque des députés.
Nous amorçons l'étude de ce projet de loi et nous espérons qu'il se conforme bien à la décision de la Cour suprême, comme le prétend le gouvernement. Le Comité de la justice se penchera sur le projet de loi. Espérons que nous aurons l'occasion de l'examiner pour en faire la meilleure mesure législative qui soit.