IWFA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 30 janvier 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonsoir. Bienvenue à la cinquième réunion du Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones.
J'informe les membres du comité que Mme Michèle Audette, qui devait être notre première témoin, a été obligée de s'absenter pour une urgence familiale. Elle s'en excuse. Je crois pouvoir dire au nom de tous les membres du comité que nous pensons à elle et à sa famille. Je suis certaine qu'elle nous demandera de comparaître devant le comité à une date ultérieure.
Je remercie les témoins de leur présence. M. Hassel comparaîtra par vidéoconférence.
Je vous demande de vous en tenir à un exposé d'environ 10 minutes. Je vais vous avertir lorsque vous devrez y mettre fin. Par la suite, les députés vous poseront des questions. Le temps alloué pour les interventions des députés inclut à la fois les questions qu'ils posent et les réponses que vous leur donnez. Au premier tour, les députés disposent de sept minutes. Rappelez-vous que lorsque vous répondrez à leurs questions, ce sera compté dans les sept minutes. Les députés vous demanderont des précisions s'ils le souhaitent.
C'est Mme Rhoad, représentante de Human Rights Watch, qui a d'abord la parole.
Bonsoir. Je m’appelle Meghan Rhoad. Je suis chercheuse en droits des femmes à Human Rights Watch. Je suis accompagnée par Liesl Gerntholtz, directrice exécutive de la division des droits des femmes de Human Rights Watch. Notre collègue Samer Muscati est également présent aujourd’hui.
Nous souhaitons exprimer notre gratitude envers le comité pour nous avoir invités à témoigner sur ce sujet très important. Nous souhaiterions également souligner que nous nous trouvons sur un territoire traditionnel Algonquin.
Human Rights Watch est une organisation internationale qui recueille de l'information au sujet des violations des droits de la personne partout dans le monde et qui plaide en faveur des changements de politiques afin de veiller au respect de ces droits. Notre travail sur la question des violences faites aux femmes et aux filles autochtones au Canada a commencé quand Justice for Girls, une organisation de Vancouver défendant les droits des filles en Colombie-Britannique, a soumis un document d’information à Human Rights Watch en novembre 2011. Le document décrit des atteintes aux droits de la personne commises contre des adolescentes autochtones dans le Nord de la Colombie-Britannique et demande à Human Rights Watch d’enquêter à ce sujet.
Au cours de l’été 2012, Samer Muscati et moi-même avons commencé à mener cette enquête, avec l’aide de Justice for Girls et de Mavis Erickson et de Sharon McIvor, spécialistes et défenseures des femmes autochtones. Nous avons mené une enquête de terrain de cinq semaines dans le nord de la Colombie-Britannique pour étudier la façon dont la Gendarmerie royale du Canada traitait les femmes et les filles autochtones, en tant que victimes de crimes ou en tant que suspectes. Nous avons parcouru la route 16, souvent appelée la route des larmes, ou au moins 18, et probablement plus de 40 femmes et filles ont été portées disparues ou assassinées au cours des dernières décennies. De Prince George à Prince Rupert, ainsi que plus au sud, à Williams Lake, nous avons rencontré des communautés dévastées par les pertes, où l’absence de réponses dans de nombreuses affaires a exacerbé des décennies de tension avec la police.
Nous avons mené en tout 87 entretiens. Nous avons parlé avec des dirigeantes autochtones, des chefs tribaux, des conseillers pour les victimes de violence domestique, du personnel de refuges pour sans-abris, des travailleurs sociaux auprès des jeunes, des travailleurs auprès des tribunaux et, de façon informelle, avec des policiers encore en exercice ou à la retraite. Surtout, nous avons parlé directement avec 50 femmes et filles autochtones de leur expérience avec les policiers.
Sur la base de cette enquête et de notre analyse des informations sur les politiques fournies par la GRC, Human Rights Watch a publié un rapport intitulé Ceux qui nous emmènent: Abus policiers et lacunes dans la protection des femmes et filles autochtones dans le nord de la Colombie-Britannique, Canada qui vous a été fourni, je crois. Ce rapport, publié il y a presque un an, rend compte d’une relation profondément endommagée entre la GRC et les femmes et filles autochtones dans le nord de la Colombie-Britannique. Il montre non seulement à quel point les femmes et les filles autochtones sont mal protégées par la police, mais aussi à quel point certaines ont été victimes d'abus de pouvoir flagrant de la part de policiers.
D’après nos entretiens en Colombie-Britannique, les femmes qui demandent l'aide de la police pour des cas de violence conjugale ou d’agression sexuelle risquent de se faire culpabiliser pour l’agression, se font parfois reprocher leur consommation d’alcool ou de drogues et risquent d’être arrêtées pour des actes d’autodéfense. De même, malgré des politiques exigeant une enquête approfondie sur toute déclaration de personnes disparues, certains membres des familles et de prestataires de services ayant appelé la police pour faire ces déclarations ont expliqué que la police n’avait pas enquêté rapidement.
En outre, Human Rights Watch a établi l'existence de divers cas de mauvais traitements infligés par les policiers à l’encontre de femmes et de filles autochtones: des jeunes filles aspergées de gaz poivré et victimes d’une décharge de pistolet Taser; une jeune fille de 12 ans attaquée par un chien de police; une jeune fille de 17 ans ayant reçu plusieurs coups de poing de la part d’un policier qui avait été appelé à son secours; des femmes ayant subi des fouilles à nu par des policiers masculins; des femmes en détention ayant subi des agressions physiques et sexuelles.
Pour bon nombre de femmes et de filles autochtones avec lesquelles nous nous sommes entretenues, les sévices et les autres traitements indignes que leur a administrés la police ont fini par définir leur relation avec les forces chargées d’appliquer la loi. Par moment, les violences physiques étaient accompagnées de violences verbales à caractère raciste ou sexiste. Préoccupées par le harcèlement pratiqué par la police, certaines femmes, dont des responsables respectées de la communauté, limitent le temps qu’elles passent dans les lieux publics où elles risquent de rencontrer des policiers.
Les situations documentées au cours de nos recherches, par exemple une jeune fille dont les menottes étaient si serrées qu’elles avaient entaillé sa peau, des détenues sur qui on avait jeté de la nourriture dans leurs cellules, une détenue dont le besoin de soins médicaux n’avait pas été entendu, soulèvent un grave problème au sujet des méthodes utilisées au cours des interventions de police en lien avec les communautés autochtones de la Colombie-Britannique, et au sujet du manque de préoccupation de la police en ce qui concerne le bien-être et la dignité des femmes et des filles autochtones.
Nous ne prétendons pas que les informations que nous avons rassemblées prouvent l’existence d’un comportement mettant en jeu des violences systématiques: en fait, nous sommes conscients du service honorable rendu par de nombreux policiers qui déploient beaucoup d'efforts pour protéger les communautés vivant dans le Nord. Cependant, lorsque des incidents faisant intervenir des violences ont lieu dans le contexte d’une relation déjà tendue avec la police, ces derniers ont un impact particulièrement néfaste et négatif. Il en résulte que les femmes et les filles ont le sentiment de n’avoir nulle part où aller pour se sentir en sécurité
Il n’est dès lors pas surprenant que les femmes et les filles autochtones indiquent n’avoir que peu de confiance en la capacité des policiers qui sont responsables de mauvais traitements et de violences de leur offrir une protection lorsqu’elles font face à la violence au sein de la communauté en général.
Je cède maintenant la parole à ma collègue, Liesl Gerntholtz.
J'aimerais parler des recommandations que nous avons présentées dans le rapport. Nous exhortons le comité à les prendre en considération.
Premièrement, la responsabilité de la police est indispensable afin de garantir la sécurité des femmes et des filles autochtones, et pour que cette responsabilité ait un sens, il est nécessaire de mener des enquêtes civiles indépendantes lors de chaque accusation d’inconduites policières graves, dont les allégations de violences sexuelles.
Nos recherches ont montré que lorsque des violences policières avaient lieu, ou lorsque la police n’était pas parvenue à assurer une protection adéquate, les femmes, les filles et leurs familles n’avaient que peu de recours à leur disposition. La crainte des représailles après le dépôt d’une plainte est très forte dans le nord du pays, en particulier chez les femmes et les filles vivant dans des petites communautés, sans domicile fixe, ou ayant eu des contacts multiples avec le système pénal. Ces dernières avaient en effet la possibilité de déposer une plainte contre la GRC auprès de la Commission des plaintes du public (CPP), mais le processus était très long et l’enquête suite à la plainte risquait, comme c’était souvent le cas, d’incomber à la GRC elle-même, ou à des forces de police externes. Le principal rôle de la CPP était de surveiller la façon dont la GRC traitait la plainte, tandis que cette dernière décidait de la mesure corrective à prendre au bout du compte.
Bien que l’adoption, en juin 2013, de la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie Royale du Canada ait permis certaines réformes, dont le remplacement de la CPP par une nouvelle Commission civile d’examen et de traitement des plaintes, ou CCETP, dotée de capacités d’enquête accrues, nous avons le sentiment que cela ne va pas assez loin. La loi n’oblige pas le commissaire de la GRC à tenir compte des recommandations de la CCETP, et ne libère pas non plus la CCETP de son obligation de produire des rapports pour le ministre de la Sécurité publique, ce qui aurait pourtant fortement renforcé l’indépendance de cet organisme. En outre, bien que les incidents graves doivent être transférés à des organismes d’enquêtes provinciaux, lorsque ces derniers existent bel et bien, la loi n’exclut pas la possibilité que la GRC mène elle-même l’enquête.
Même dans une province comme la Colombie-Britannique, où un organisme civil d’enquête indépendant a été créé, ce système n’est pas en mesure de garantir que les accusations graves d’inconduite policière fassent systématiquement l’objet d’une enquête en bonne et due forme. Le Bureau d’enquête indépendant de la Colombie-Britannique, qui a commencé ses activités en septembre 2012, est chargé de mener des enquêtes criminelles portant sur les incidents en lien avec la police impliquant un décès ou des blessures graves. Cependant, la définition de l’expression « blessures graves » n’inclut pas les violences sexuelles. Par conséquent, il y a de fortes chances que même avec cette nouvelle loi fédérale, les accusations de violences sexuelles à l’encontre des policiers de la GRC en Colombie-Britannique soient examinées par des policiers faisant partie de la GRC ou d'autres services de police.
Deuxièmement, la gravité de la crise de violence contre les femmes autochtones exige une enquête nationale. Nous nous sommes réjouis de la création de ce comité et sommes impatients de voir les résultats de ce travail. En même temps, notre conviction qu’une enquête nationale indépendante est nécessaire pour répondre à cette violence n’a fait que se renforcer avec le temps. Il y a encore tellement de choses que nous ignorons quant à l’ampleur et aux dynamiques de la violence, ainsi que sur la réaction de la police à la violence. Des recherches récemment publiées indiquent que le nombre de femmes autochtones disparues et assassinées dans tout le Canada pourrait dépasser 800 personnes, mais les efforts de collecte de données complètes sont entravés par le fait qu’il n’existe pas actuellement de précédent pour la collecte standardisée de données ethniques par les forces de police au Canada.
Une enquête indépendante pourrait également inclure l’examen en profondeur de l’ensemble des facteurs économiques, sociaux et historiques complexes qui contribuent à cette violence. La nécessité de traiter le problème à ce niveau est douloureusement visible dans le Nord de la Colombie-Britannique, où des panneaux mettent en garde les femmes et les filles contre les dangers de l’autostop, mais où beaucoup d’entre elles ont peu de choix lorsqu’elles doivent consulter un médecin, se rendre à un tribunal, rendre visite à leur famille, ou bien répondre à d’autres besoins urgents. En dehors des lacunes manifestes en matière d’infrastructure, qui sont connues depuis des années, cette situation montre la nécessité d’une discussion plus large sur les dynamiques économiques et sociales qui exposent les femmes au danger.
Le désir d’aller de l’avant et de prendre des mesures immédiates est compréhensible, et il est vrai qu’un plan d’action national est nécessaire, mais l’action devrait s’appuyer sur des informations fournies par une enquête indépendante globale avec la pleine participation de toutes les personnes concernées, y compris les femmes et les filles autochtones elles-mêmes, des membres des familles des victimes, des représentants des communautés autochtones, des défenseurs des droits des femmes, ainsi que des représentants de la police et des services sociaux.
Une enquête nationale représenterait certes une initiative majeure, mais la sécurité des femmes et des filles autochtones du Canada est menacée, et ce, depuis bien trop longtemps.
Nous vous remercions à nouveau de nous avoir donné la possibilité de témoigner devant le comité.
Merci beaucoup pour cet exposé succinct, livré exactement dans le temps prévu.
Passons maintenant à M. Hassel, du Zebra Child Protection Centre.
Monsieur Hassel, vous disposez de 10 minutes.
Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité.
Je m'appelle Bob Hassel et je suis le directeur général du Zebra Child Protection Centre, à Edmonton. Je le suis depuis environ un mois. Je vous remercie beaucoup de me permettre de vous parler du centre et de la question très importante de la violence faite aux femmes autochtones.
J'ai pensé qu'il serait important de commencer par un court historique de notre centre d'appui aux enfants, un exposé de notre mission et un aperçu de ce que nous sommes. Avant l'ouverture de notre centre en 2002 — nous étions le premier du genre au Canada —, on traitait comme un adulte l'enfant qui dénonçait des sévices physiques ou sexuels. On l'amenait au poste, et, très souvent, il devait raconter de nombreuses fois la tragédie qu'il avait vécue avant que l'affaire n'ait de suites. Le processus, l'information, tout cela était éclaté. Il était très difficile, pour la justice, de monter un dossier.
Heureusement, cela a changé. Notre centre est éloigné du poste de police. Il est autonome. Chez nous, l'enfant peut se sentir en sécurité, protégé. Vous ne pouvez pas voir, probablement, le décor qui m'entoure, mais, partout dans la pièce, on trouve des couvertures, des peluches, etc., pour mettre nos enfants à l'aise, parfaitement à l'aise. Chez nous, il le faut.
Nous sommes aussi une équipe multidisciplinaire. Nous collaborons avec un collectif de professionnels au centre même. Pour la première intervention, nous faisons appel à la police d'Edmonton, aux services à l'enfance de l'Alberta, à des procureurs de la Couronne et à une équipe d'intervention auprès des enfants à risque, constituée de travailleurs sociaux et de policiers qui travaillent en collaboration. Des professionnels s'occupent de l'évaluation médicale et traumatologique, et nous avons des avocats bénévoles à notre disposition.
Durant l'enquête et les procédures judiciaires, notre programme fournit toute une gamme de services d'appui aux enfants et aux personnes non délinquantes qui en prennent soin. Nous établissons des plans personnalisés de soutien pour mettre en relation et en contact l'enfant et la famille avec les ressources salutaires de la communauté.
Nous reconnaissons aussi qu'aucun organisme ni aucune profession ne possède à elle seule les moyens de privilégier le mieux-être d'un enfant victime de sévices tout en conciliant aussi les besoins de la communauté. Un effort commun donnera les meilleurs résultats.
Trouver la vérité au travers des soupçons et des allégations de sévices est une tâche complexe, qui prend du temps. Pour concilier les besoins de l'enfant et ceux du système judiciaire, il faut un ensemble particulier de compétences et de connaissances ainsi que de la sensibilité. Nous avons la chance que notre approche fondée sur la collaboration ait mis en place un réseau qui appuie l'enfant durant l'enquête et, aussi, les organismes juridiques et les services de police qui mènent l'enquête.
Nous croyons sincèrement qu'il s'agit d'une pratique exemplaire, une pratique marquante. Le Canada compterait maintenant 26 centres d'appui aux enfants. Je sais que la police de Calgary, dans l'année qui vient de s'écouler, en a ouvert un, auquel elle s'est associée.
Des avocats bénévoles spécialistes de l'enfance font partie de notre équipe. Une quarantaine de bénévoles contribuent au fonctionnement du centre. Nous comptons 7 employés à temps plein, moi compris. Nous collaborons avec les services à l'enfance et à la famille de l'Alberta. Ils ont fourni 2 enquêteurs et 6 travailleurs sociaux. Avec la police, nous comptons sur l'appui de 12 enquêteurs et 6 agents, qui, comme j'ai dit, collaborent avec nos travailleurs sociaux, avec des surveillants rattachés — 1 sergent-chef et 2 sergents.
Tout juste cette semaine, j'ai appris que la GRC s'associera à notre centre, ce qui est fantastique, pour une période d'essai d'un an. Cela nous aidera à avoir accès au milieu rural et, espérons-le, à répandre nos programmes pour rejoindre les petits organismes et les petits centres.
Nous comptons sur le concours des procureurs de la Couronne de l'Alberta, du personnel médical et de spécialistes de la santé mentale et nous avons deux chiens qui facilitent la conduite des interrogatoires.
Il importe de noter que tous ces joueurs ont leur propre mission à remplir, mais nous collaborons en ayant comme objectif commun de faire du centre un endroit convenable pour l'enfant, où il peut raconter ce qu'il a subi. Notre journée commence par une réunion multidisciplinaire. Nous soutenons l'équipe, les familles et les soignants non délinquants, nous faisons aussi du counseling post-traumatique, et tous nos efforts visent à aider les victimes à s'en sortir. Ensuite, bien sûr, en collaborant avec le système judiciaire, nous pouvons, avec un peu de chance, faire en sorte de traiter les délinquants comme il se doit.
Il me reste peu de temps, mais voici des statistiques: en 2012, le centre a accueilli 669 clients, dont 21 % se sont dits Autochtones; en 2013, 861 clients, beaucoup plus, dont 14,5 % se sont dits Autochtones.
Je vous remercie de m'avoir autorisé à livrer cette déclaration préliminaire. Je sais que vous cherchez à obtenir de la prévention et de l'aide de première ligne. À ce sujet, j'ai des idées et des solutions que j'ai couchées sur papier. J'ai aussi parlé à des gens sur ce à quoi nous aspirons.
Pendant que j'en ai encore le temps, j'ajouterai que l'un de nos principaux objectifs, en matière de protection de l'enfance, de poursuites et de maintien de l'ordre, est de toujours envisager des ressources supplémentaires et de toujours vérifier si nous les utilisons efficacement.
Je suis tellement heureux du concours que la GRC a décidé d'accorder au centre, parce que je crois vraiment que nous servons mal nos régions rurales en ne leur offrant pas, comme à Calgary ou à Edmonton, le service axé sur la collaboration et une équipe multidisciplinaire. Nous franchirions un grand pas si nous pouvions l'offrir à nos partenaires des communautés. Je sais que cela commence. De petites régions ont créé des centres comme le nôtre, où le travail se fera dans un esprit multidisciplinaire. Je pense que les grands gagnants en seront les enfants avec qui nous travaillons.
Merci beaucoup pour le temps que vous m'avez accordé pour parler de notre centre et de nos réalisations.
Excellent. Merci, monsieur Hassel.
Passons maintenant aux questions.
Nous commençons par M. Saganash, qui dispose de sept minutes.
[Français]
Merci, madame la présidente.
Je veux d'abord remercier nos témoins de leurs présentations. Leur collaboration est toujours appréciée de ce comité, qui étudie une question particulièrement troublante non seulement pour les Autochtones, mais également pour l'ensemble des Canadiens.
Votre présentation est très appréciée, à tout le moins de ce côté-ci.
Je veux également saluer le travail magnifique qui a été fait par Human Rights Watch sur ces questions. J'ai lu à plusieurs reprises le rapport que vous avez produit. Je vous remercie également pour la version française que je viens de recevoir.
J'ai écouté attentivement votre présentation, qui a soulevé chez moi plusieurs questions. J'aimerais commencer par quelque chose qui, j'ose l'espérer, sera moins difficile. M. Hassel pourra certainement se joindre à la discussion.
Dans des présentations précédentes, on a parlé du Programme pour la prévention de la violence familiale, au palier fédéral. Connaissez-vous ce programme? Pouvez-vous citer des exemples de projets financés par ce programme qui pourraient représenter des modèles efficaces pour les communautés? Si vous connaissez des modèles efficaces qui ont été soumis grâce à ce programme, quelles en sont les principales caractéristiques?
Mes questions s'adressent aux trois témoins.
[Traduction]
Dans le cadre de notre analyse, nous avons effectivement examiné les mesures d'intervention de la GRC en cas de violence familiale. Nous n'avons pas étudié le niveau de services pour la prévention de cette violence dans le nord de la Colombie-Britannique.
Nous pouvons aussi ajouter que, pendant notre recherche, le problème de la pénurie de ressources dans les régions rurales est souvent revenu sur le tapis. Nous ne pouvons pas mentionner de modèle particulier de programme, puisque ce n'était pas vraiment l'objet de notre recherche.
Oui.
Nous aussi, au Centre Zebra, nous nous occupons surtout des sévices sexuels et physiques contre les enfants, mais non de violence familiale, bien que, grâce à mon emploi antérieur, je connaisse un peu certains des programmes nationaux de la GRC.
Je sais que la police d'Edmonton utilise un modèle, l'équipe d'intervention en cas de violence familiale. Sans vouloir parler pour elle, je la connais bien. Elle associe un travailleur social et un agent de police appuyés par des centres de soutien aux victimes. Elle ne s'occupe pas seulement de prévention, mais elle intervient aussi après les faits de violence familiale, pour rompre le cycle de sa répétition.
Je suis désolé de ne pas pouvoir en dire davantage, mais je sais qu'elle a obtenu un assez bon taux de réussite. Je serai certainement heureux de vous diriger vers des personnes à qui vous pourriez vous adresser, dans ce service, ou de vous les désigner.
[Français]
Ma question s'adresse aux représentantes de Human Rights Watch.
Vous venez de mentionner une recommandation qui faisait partie de votre rapport précédent, soit la nécessité de tenir une enquête nationale publique indépendante. C'est une recommandation à laquelle j'adhère entièrement. Je pense que tout l'univers est favorable à cette recommandation, sauf un certain groupe au Parlement.
Vous dites ceci dans votre présentation d'aujourd'hui:
[Traduction]
« Une enquête indépendante pourrait également inclure l'examen en profondeur de l'ensemble des facteurs économiques, sociaux et historiques complexes qui contribuent à cette violence. »
[Français]
J'aimerais que vous nous donniez plus de détails sur ce point.
Je viens d'une région nordique où le développement est arrivé assez récemment, soit au début des années 1970, et on a pu remarquer un phénomène certain: avec le développement est venue la violence, particulièrement envers les femmes.
J'aimerais que vous nous en parliez davantage, si vous le pouvez.
[Traduction]
Certainement.
Nous espérions cerner un thème récurrent dans nos entrevues tenues dans le Nord. Les fournisseurs de service ainsi que les femmes et les filles autochtones elles-mêmes ont soulevé le spectre du réseau de pensionnats au Canada et les effets intergénérationnels qu'il a eus. Il existe un lien avec le sans-abrisme, le suicide, l'alcoolisme, la dépression et le traumatisme psychique. Il faut envisager certains de ces facteurs de manière à fermer le moins de portes possible aux femmes et aux filles dans leur recherche d'un gagne-pain et, en général, leur quête de sécurité.
En outre, en ce qui concerne les questions économiques auxquelles ma collègue a fait allusion, dans le Nord où une partie si importante de la controverse a concerné la route et l'autostop, on a beaucoup fait de sensibilisation aux dangers, mais c'est peu efficace si on ne peut pas faire grand-chose pour les éviter.
Nous pensons qu'un examen approfondi de la cause, par exemple, du taux de décrochage supérieur chez les filles autochtones fait partie intégrante de la recherche d'une explication au taux démesuré de violence dont sont victimes les femmes et les filles autochtones.
Je suis désolée, mais je dois vous interrompre. Le temps de M. Saganash est écoulé. D'autres intervenants pourront peut-être creuser la question.
Monsieur Dechert.
Merci, madame la présidente.
Merci, mesdames et messieurs, d'être ici et de nous éclairer.
Je poserai d'abord quelques questions à Mme Rhoad, de Human Rights Watch.
Vous avez dit que, pour votre étude en Colombie-Britannique, vous avez interrogé 50 femmes et filles. Je suppose qu'elles faisaient partie des familles des victimes.
Très intéressant.
Parmi les diverses causes des disparitions de femmes que vous avez étudiées, quel a été, d'après vous, le rôle de la violence familiale?
C'est une excellente question.
Quand, dans nos entrevues, il était fait allusion à la violence familiale, une grande partie touchait les femmes qui avaient essayé, mais en vain, d'obtenir contre elle une intervention de la GRC, ce qui, d'après moi, les a généralement aliénées par rapport aux forces policières.
En ce qui concerne les disparitions dont nous avons entendu parler, il ne m'en revient aucune qui ait été directement reliée à la violence familiale.
Vous savez peut-être que notre comité a entendu les témoignages de nombreuses familles de victimes, à notre dernière séance, en décembre. Votre rapport, qui a été publié, je pense, la semaine dernière, « Rapport mondial 2014 », malheureusement, n'en parle pas. Je pense que vous n'étiez pas au courant, au moment de sa rédaction.
Un bon nombre de familles de ces victimes nous ont dit que les femmes disparues avaient été victimes de sévices infligés soit par un membre de la famille ou un conjoint, un compagnon. Certaines ont laissé entendre que, en fait, le meurtrier était le compagnon de la victime ou que, dans d'autres cas, les femmes s'étaient enfuies de leur communauté, pour échapper à la violence familiale.
Je me demande si votre recherche vous a conduite à des constatations semblables. C'est plutôt bizarre que les familles des 12 victimes, les familles de partout au Canada que nous avons entendues, n'aient pas raconté une histoire différente de celle des familles à qui vous avez parlé en Colombie-Britannique.
Bien sûr, nous avons entendu parler de violence familiale, absolument. Le problème est souvent revenu sur le tapis pendant nos entrevues, mais, encore une fois, personne n'a dit que c'était le déclencheur d'une disparition.
Je pense que, en partie, cela pourrait s'expliquer par le fait de femmes qui sont parties du Nord pour aboutir à Vancouver et disparaître de cette ville. Bien sûr, les disparitions de l'affaire Pickton, c'est énorme en soi, etc. Elles pourraient se détacher plus nettement dans ce contexte. Mais encore une fois, je ne me souviens pas que cet ensemble particulier de faits se soit révélé de lui-même.
D'accord. Passons à une autre partie de votre témoignage.
Vous avez parlé de la réaction de la police aux disparitions signalées. On nous a dit que les polices autochtones ainsi que les polices provinciales, territoriales et la GRC avaient amélioré leurs opérations et leurs procédures relativement aux personnes disparues. La GRC est maintenant dotée d'un bureau national des personnes disparues et d'une base nationale de données sur ces personnes qui est accessible à tous les agents de police; on semble donc avoir pris des mesures, ces dernières années, du moins, pour corriger certains de ces problèmes.
En entendant le témoignage des familles des victimes, à la dernière séance, j'ai constaté que beaucoup d'entre elles avaient reçu peu d'information de la police ou du système judiciaire, notamment pendant l'enquête jusqu'au dépôt des accusations, le cas échéant, et pendant le procès. Elles avaient le sentiment frustrant d'avoir été, d'une manière ou d'une autre, tenues à l'écart de l'enquête et du procès.
Avez-vous entendu ce genre d'observations chez vos interlocuteurs de Colombie-Britannique?
Absolument. Je l'ai entendu un certain nombre de fois. Je pense qu'une partie de la tragédie provient du fait que si la police fait diligence dans son travail, il faudrait le reconnaître. L'amélioration des communications avec les familles est absolument indispensable si on veut qu'elles cessent de croire que la police ne fait rien.
Dans certains cas, cependant, des familles ont dit avoir appelé la police pour être tenues au courant, mais sans obtenir de réponse. Je pense que c'est tout à la fois un symptôme d'inaction et d'absence de communication sur ce qui se fait...
Je suis désolé de vous interrompre.
Cela correspond beaucoup à certains commentaires que nous avons entendus aussi, l'absence de communication.
Vous savez que le gouvernement fédéral envisage pour les victimes une déclaration des droits qui s'attaquerait à certains de ces problèmes. Est-ce que vous proposeriez qu'une telle déclaration comprenne le droit, pour les victimes, d'être tenues informées pendant l'enquête et pendant le procès? Est-ce que ça répondrait à certains des problèmes dont vous avez entendu parler en Colombie-Britannique?
Avez-vous entendu quoi que ce soit au sujet de la détermination de la peine?
Des témoins nous ont raconté que des meurtriers s'en tiraient avec une peine très légère, impunément, comme ils disaient. Avez-vous entendu de telles remarques en Colombie-Britannique? On nous a dit que les peines ridicules faisaient perdre confiance dans la justice.
Non, cela ne me vient pas immédiatement à l'esprit. C'est peut-être parce que nous nous intéressions vraiment à l'enquête et non à la poursuite. Bien sûr, j'ai entendu dire qu'on n'en revenait toujours pas de la peine à laquelle le juge Ramsay avait été condamné, dans le nord de la Colombie-Britannique. C'est tout ce qui me vient immédiatement à l'esprit.
Merci beaucoup.
Tout d'abord, je tiens à nouveau à remercier le comité de l'attention qu'il porte aux familles. Leur témoignage est très important, et je considère que les choses ont beaucoup changé depuis. Quelques-unes des familles qui ont comparu auparavant n'ont pas été en mesure de venir témoigner en décembre. Comme vous le savez, leur histoire n'est pas prise au sérieux, les enquêtes sont bâclées, on considère la disparition de ces jeunes femmes comme inévitable et on ne lance pas vraiment de recherches. Si je ne me trompe pas, un des beaux-pères que nous avons entendus en octobre dernier a dit qu'on ne lui avait même pas parlé. Qui a-t-on interrogé alors? On observe une dégradation du lien de confiance.
Ce que vous avez décrit comme étant vos recommandations... Comme le comité ne dispose plus de beaucoup de temps, nous aimerions que vous nous disiez ce que vous voudriez voir dans notre rapport.
Il va sans dire que la responsabilisation de la police fait partie de vos recommandations, mais il s'agit d'une mesure après le fait.
De toute évidence, le lien de confiance est rompu. Que recommanderiez-vous pour rétablir ce lien de confiance? Compte tenu de ce qui s'est produit, quelles mesures les communautés devraient-elles prendre à cet égard?
On nous a également dit que ce n'est pas pour rien que ces personnes se sont retrouvées sur l'autoroute des larmes. Peut-être voulaient-elles échapper à des situations de violence familiale? Nous avons même entendu dire que des jeunes filles fuyaient leur foyer d'accueil pour des raisons d'abus. On ne parle pas ici d'un rendez-vous chez le médecin. Avez-vous entendu quelque chose au sujet des foyers d'accueil?
De plus, nous aimerions que vous contribuiez à notre rapport en nous disant ce qui devrait y figurer et comment on pourrait rétablir le lien de confiance, car c'est en quelque sorte les grandes lignes de votre rapport.
Je vais faire quelques brèves remarques.
Tout d'abord, je tiens à féliciter le comité d'être à l'écoute des familles. C'est tellement important qu'elles puissent s'exprimer. Ce serait également formidable si le comité pouvait recueillir les témoignages des jeunes femmes et des jeunes filles qui ont été maltraitées par la police. Ce serait merveilleux.
En ce qui concerne les foyers d'accueil, très brièvement, oui, cette situation a été soulevée à plusieurs reprises, en partie à cause du lien entre les familles d'accueil et la situation du juge Ramsay, et le fait que certaines des jeunes filles ont subi des mauvais traitements alors qu'elles se trouvaient dans un foyer d'accueil. On nous a également signalé des disparitions, dont une en particulier où la première réaction de la police a été de dire: « Pourquoi est-ce que vous nous appelez? Cela ne nous regarde pas. » La police réagit ainsi parce qu'elle considère qu'il s'agit d'un enfant à haut risque. Toutefois, leur politique dit exactement le contraire, à savoir que si une personne présente un risque élevé, c'est une raison de plus de lancer une enquête rapidement et non pas de reléguer cette affaire au second plan. La police croit que ces jeunes filles vont revenir d'elles-mêmes.
Exactement. Toutefois, ce n'est pas le cas.
Très brièvement, pour ce qui est de rétablir le lien de confiance, j'estime que la responsabilisation est ce qui importe le plus, même si c'est après coup... Avec la création du Bureau des enquêtes indépendant en Colombie-Britannique, nous avions commencé à voir une lueur d'espoir dans les yeux des dirigeants des communautés. Ce serait intéressant de savoir ce qu'ils en pensent maintenant que le bureau est fonctionnel. Ce bureau inspire en quelque sorte la confiance, car si les choses tournent mal, les agents devront rendre des comptes.
Je recommanderais également de former davantage les agents sur l'histoire des Premières Nations. C'est un élément de la formation de la GRC, mais selon des fournisseurs de services qui ont pris part à la formation, ce qui était le plus efficace, c'est lorsqu'ils pouvaient dialoguer avec les agents. Étant donné que ces réunions étaient souvent volontaires, ils se demandaient si les agents qui y ont participé étaient réellement ceux qui en avaient besoin.
Notre rapport renferme bien d'autres recommandations, mais je continue de préconiser la mise sur pied d'une commission d'enquête nationale. Ce serait une occasion de rétablir le lien de confiance avec la police.
Le gouvernement a mis en place un plan d'action national relatif à la traite de personnes, mais vous réclamez tout de même une commission d'enquête nationale. Vous dites qu'un plan d'action national sur la violence faite aux femmes, en particulier les femmes autochtones portées disparues ou assassinées, ne peut être efficace si on n'a pas d'abord mené une enquête pour découvrir ce qui s'est réellement produit.
Effectivement, c'est ce que nous croyons. Lorsque le Canada a comparu devant le Conseil des droits de l'homme, au printemps dernier, plusieurs pays ont soulevé la nécessité de mettre en oeuvre un plan d'action national pour combattre la violence. Nous sommes d'avis que pour qu'un plan soit réellement efficace, il doit reposer sur un processus entièrement inclusif et participatif auquel prennent part tous les intervenants.
L'Australie a-t-elle procédé ainsi? Elle a mis sur pied un plan d'action national, mais a-t-elle d'abord mené une enquête publique?
L'Australie a mis en place divers processus visant à mieux comprendre la relation entre les Autochtones, en particulier les femmes et les jeunes filles, et les forces de l'ordre. Il y a eu plusieurs processus au cours de la dernière décennie. Quant à savoir s'ils ont été fructueux, c'est discutable. On croit qu'on a réussi à regagner un peu la confiance des gens. En Australie, ce n'était pas seulement la police qui était impliquée dans les abus.
La plupart des gens reconnaîtront que pour avoir un plan d'action national efficace, qui renferme des recommandations visant à régler les problèmes, il faut d'abord comprendre de quoi retournent exactement ces problèmes et comment la communauté les définit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons recommandé que divers intervenants, dont la GRC, participent au processus, afin que nous puissions comprendre comment ces problèmes sont perçus et ce que devrait cibler un plan national.
Merci, madame la présidente.
Merci à nos témoins d'être ici aujourd'hui.
En 2011, j'ai fait partie du Comité de la condition féminine ici sur la Colline. Nous avons entrepris une étude sur la violence faite aux femmes autochtones. Nous avons rédigé un rapport qui a été déposé au Parlement. Je ne sais pas si vous l'avez consulté.
Pendant ce processus, j'ai en quelque sorte fait ma petite enquête pour me renseigner sur le sujet. Quand j'ai commencé mes recherches, j'ai découvert que plus de 120 000 rapports avaient été rédigés sur la question.
Premièrement, est-ce que vous vous êtes servis de l'un de ces rapports pour vous renseigner? Je suis désolée de ne pas avoir eu la possibilité de lire votre rapport, mais est-ce que vous vous êtes inspirés de ces rapports? Que peut-on apprendre de plus lorsqu'on a déjà 120 000 rapports?
Vous avez dit vous être entretenus directement avec 50 femmes et jeunes filles autochtones, en particulier au sujet de leur expérience avec la police. Je ne me souviens plus du nombre exact, mais je dirais que nous avons convoqué plus de 100 témoins dans le cadre de notre étude. Nous avons aussi dépensé 120 000 $ pour aller à la rencontre des femmes autochtones partout au pays et discuter avec elles à leur domicile.
Je suis un peu perplexe devant un autre rapport, et c'est en partie à cause des propos d'une témoin qui a comparu le 9 décembre, Bernadette Smith, de Winnipeg, et je la cite:
Je voulais tout simplement vous remercier de nous avoir écoutés et de nous avoir invités. J'espère réellement que vous allez prendre note de tout ce que nous vous avons dit, de tout ce que nous avons partagé et que vous allez en faire quelque chose, mais pas un autre rapport. J'en ai assez des rapports. Je suis désolée. Les rapports se succèdent et finissent sur une étagère. Je veux des mesures tangibles. Je veux que quelque chose de concret finisse par sortir de ça et que vous mettiez réellement en place quelque chose pour que ces nombres n'augmentent pas.
Si nous avons 120 000 rapports, une autre enquête signifie 120 001 rapports.
Où cela nous mènera-t-il? Pourquoi ne passons-nous pas à l'action? Nous voulons changer les choses. Nous voulons enrayer la violence faite aux femmes autochtones et prendre des mesures concrètes qui aideront ces communautés à aller de l'avant.
En novembre dernier, une témoin nous a dit que la violence familiale avait toujours fait partie de leur vie, mais que dorénavant, ce n'était plus acceptable. Elle a parlé de ses oncles qui violaient leurs nièces. Alors je lui ai demandé: à quel moment cela était-il acceptable?
En quoi un autre rapport peut-il nous aider à remédier à cette terrible situation dans laquelle se trouvent ces femmes et ces enfants?
Beaucoup de gens se posent cette question, dont bon nombre en Colombie-Britannique, étant donné qu'ils viennent tout juste de financer la Commission d'enquête sur les femmes portées disparues. Ils se demandent ce qui pourrait ressortir de plus d'une commission d'enquête nationale.
Nous n'avons pas besoin d'une autre étude. Nous avons besoin de quelque chose qui va aboutir à des mesures concrètes. Dans le cas d'une enquête nationale indépendante, l'avantage, c'est qu'il n'y aurait aucune ingérence politique.
N'empêche que, pour qu'une enquête soit efficace, encore faut-il qu'elle inclut les familles des femmes autochtones et...
Êtes-vous en train de me dire que sur les 120 000 rapports...? Sachez que ces rapports n'ont pas été rédigés par le gouvernement; ce sont des études qui ont été entreprises par des organisations ou des personnes indépendantes ou bien des projets de recherche menés par des universités. Un autre rapport va-t-il réellement nous permettre de faire des progrès?
Dans votre rapport, vous avez dit: « Un grand nombre de cas se sont produits entre les années 1960 et 1990, mais 39 % d'entre eux ont eu lieu après 2000. » Cela signifie que 61 % des cas sont survenus avant l'année 2000. A-t-on déjà réclamé une enquête nationale auparavant, sachant que 61 % des cas se sont produits avant 2000?
Nous avons des tonnes de rapports sur les étagères et personne ne passe à l'action.
Je ne peux pas vous dire si on a fait une demande au moment où ces événements sont survenus. Je dois toutefois préciser que ces données ont été recueillies par l'Association des femmes autochtones du Canada, et que ses plus récentes données datent de 2010, lorsqu'on a mis fin à son financement. Il se peut très bien que d'autres cas se soient ajoutés depuis. Ils sont peut-être plus nombreux qu'on ne le pense, et l'écart entre ce qui s'est passé au cours...
Je ne conteste pas ces données et je ne dis pas qu'ils ne font pas partie de notre rapport, mais ce que je dis, c'est que ces données ne sont pas exhaustives. On a dû cesser la collecte des données en raison d'un manque de financement, et les forces policières de partout au Canada ne recueillent pas de données exhaustives sur l'appartenance ethnique des victimes; par conséquent, nous ignorons quel est l'écart entre les vies perdues entre 1960 et 2000 et à partir de 2000.
Je suis désolée, madame Bennett, mais vous n'avez pas la parole.
Il vous reste cinq secondes, alors continuez, je vous prie.
Merci, madame Brown.
Madame Mathyssen, vous disposez de cinq minutes.
Nous entamons maintenant une série de questions de cinq minutes. Les questions et réponses ne devront donc pas dépasser cinq minutes.
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens aussi à remercier les témoins pour leur exposé. C'est très apprécié.
D'entrée de jeu, je dois dire qu'il y a eu toutes sortes de recommandations, en fait, plus de 100 000 recommandations. Je siégeais au Comité de la condition féminine en 2010 lorsqu'il a parcouru le pays pour s'entretenir avec les femmes autochtones. Nous avons parlé avec elles de leur situation et nous avons essayé de trouver des solutions. D'ailleurs, à ce sujet, elles ont toutes dit qu'il était temps de passer à l'action.
Le rapport de 2011 n'avait rien de rassurant et, pourtant, aucune des mesures dont nous avons parlé n'a été prise jusqu'à maintenant. Qu'attendons-nous pour agir?
Nous envisageons notamment de mettre en oeuvre un plan d'action national qui nous permettrait d'investir dans des services de première ligne et des refuges dans les réserves. Dans le cadre de notre étude menée en 2010, les femmes nous disaient: « Nous sommes victimes d'abus. Nous sommes en danger et nous n'avons nulle part où aller. » Elles affirmaient qu'il y avait une pénurie de logements dans leur réserve et qu'aucun endroit n'était sécuritaire. Elles devaient donc parcourir des centaines de kilomètres, avec leurs enfants, pour se rendre dans une autre communauté où elles se sentaient en sécurité.
À cet égard, devrait-on avoir un plan d'action national qui nous permettrait de fournir ces services de première ligne et ces refuges dans les réserves, de façon à ce que les femmes et les jeunes filles victimes de violence puissent obtenir le soutien dont elles ont besoin au sein de leur communauté et avec des personnes qui les mettent en confiance? Est-ce une possibilité? Le comité devrait-il en faire la recommandation?
Effectivement, cela devrait faire partie des recommandations du comité.
J'aimerais réorienter la discussion sur le vrai sujet à l'étude. Notre étude ne portait pas sur le nombre de femmes portées disparues ou assassinées, ni sur le taux élevé de violence familiale qui touche les femmes et les jeunes filles autochtones. Nous ne nions pas que ce sont des problèmes extrêmement importants. Toutefois, nous nous sommes penchés sur le double échec de la GRC dans son intervention face à ces situations, d'une part le manquement à son devoir de soutenir et de protéger les femmes et les filles autochtones contre la violence familiale, les agressions sexuelles et toute autre forme de violence faite aux femmes, et d'autre part sa responsabilité dans un petit nombre de cas d'abus.
D'après ce que nous avons vu ailleurs dans le monde, les cas de violence familiale nécessitent une intervention exhaustive. Outre tout ce qui a déjà été mentionné, il faut que la police joue son rôle et qu'elle regagne la confiance des communautés, et surtout que les victimes sachent qu'elles peuvent se tourner vers elle pour obtenir du soutien.
Ce que ce rapport illustre clairement, c'est que les femmes et les jeunes filles que nous avons interrogées — qui sont des victimes, et non pas des familles de victimes; nous avons interrogé des victimes de violation des droits de la personne — ne savent pas, ou n'ont pas confiance, que si elles signalent un cas à la GRC, qu'une enquête sera menée, qu'elles seront prises au sérieux et qu'elles obtiendront toute la protection dont elles ont besoin de la part de la GRC.
Merci. En fait, c'est ce que nous avons aussi entendu lorsque nous avons ratissé le pays en 2010.
Vous avez réclamé la mise sur pied d'une commission d'enquête nationale. Nous sommes aussi préoccupés par la nécessité de mettre en oeuvre une campagne de sensibilisation et de prévention. Selon vous, cette enquête nationale aurait-elle pour effet de sensibiliser davantage les gens à la violence faite aux femmes et aux jeunes filles autochtones de sorte qu'on puisse y mettre fin?
Je crois qu'une campagne de sensibilisation à l'échelle nationale, menée conjointement avec une enquête ou plus tard avec un plan d'action, serait une très bonne chose. Comme nous l'avons dit auparavant, la seule chose sur laquelle je veux insister, c'est qu'il faut aller au-delà de la sensibilisation. Nous devons nous attaquer aux facteurs qui contribuent à rendre les femmes et les filles autochtones plus vulnérables à la violence. Nous ne pouvons pas nous contenter de leur dire de ne pas faire de l'auto-stop ou de ne pas se mettre dans des situations dangereuses, lorsque vraiment, elles n'ont pas le choix. Il faut donc également s'attaquer aux inégalités à l'échelle du système.
L'une des choses que nous avons déjà entendues, c'est que ces femmes savent ce dont elles ont besoin pour mettre fin à cette violence et nous avons l'obligation de veiller à ce qu'elles aient accès à ces ressources.
Très bien. Merci, madame Mathyssen.
Monsieur Strahl, vous avez la parole pour la dernière série de questions.
Merci, madame la présidente.
Nous avons entendu le témoignage de Shawn Atleo, le chef national de l'APN, un compatriote de la Colombie-Britannique. Lorsqu'il nous a rencontrés, il nous a dit, entre autres:
Je tiens à vous le dire très clairement ce soir. Les familles qui ont perdu un être cher — une mère, une soeur, une fille ou une amie — ne veulent pas davantage d'études qui retarderont la prise de mesures que nous savons nécessaires.
Il a poursuivi en disant:
Je crois que nous connaissons les solutions.
Je lui ai parlé — et je vais vous en parler aussi, car vous y avez fait allusion — des millions de dollars qui avaient été dépensés en Colombie-Britannique. On avait mis beaucoup d'espoir dans la Commission d'enquête sur les femmes disparues pour aider les femmes disparues du quartier centre-est. J'habite là-bas, et je peux vous dire que cela n'a pas du tout fonctionné. Qu'il s'agisse des organismes d'application de la loi, des familles des victimes ou de la communauté juridique, le projet n'a satisfait personne. On avait exigé ce projet et il a été créé. On a lancé le processus. Toutefois, au bout du compte, il n'a aidé personne.
Je sais que ce n'est pas exactement la même chose, mais dans le cas de l'expérience de la Colombie-Britannique, que s'est-il passé, à votre avis, et pourquoi une expérience à l'échelle nationale réussirait-elle mieux?
Je crois que ce qui n'a vraiment pas fonctionné dans le cas de la Colombie-Britannique et de sa Commission d'enquête sur les femmes disparues, ce sont les dispositions initiales régissant la participation de la société civile. Plusieurs groupes avaient obtenu la permission d'agir, mais ils n'étaient pas en mesure de le faire, car ils n'avaient pas les fonds nécessaires pour la représentation juridique. On s'est retrouvé avec une situation très déséquilibrée dans laquelle les policiers participants profitaient des services de nombreux représentants juridiques, alors que les intérêts autochtones étaient défendus par un seul représentant, et ceux du quartier centre-est par un seul représentant également. En fait, la représentante des intérêts autochtones a fini par démissionner, car elle avait trop de difficulté à présenter les enjeux importants de sa circonscription devant la commission.
À mon avis, si on créait une commission nationale d'enquête, il serait essentiel de tirer des leçons de l'exemple de la Colombie-Britannique et de veiller à ce que tous les intervenants ne soient pas seulement invités à la table des négociations, mais qu'ils y aient aussi accès afin de pouvoir vraiment participer aux discussions.
D'accord. Merci.
À la page 2 de votre témoignage, vous mentionnez que les femmes qui font appel à la police après des incidents de violence familiale ou des agressions sexuelles peuvent se retrouver dans une situation où on les tient responsables des mauvais traitements qu'elles viennent de subir, etc. Je présume que vous avez travaillé avec certaines collectivités non autochtones. Pouvez-vous établir une comparaison? Je présume qu'il y a d'autres femmes, des femmes non autochtones, qui vivent une expérience similaire. Je ne sais pas comment vous pouvez y arriver en racontant des histoires simples, mais avez-vous des preuves que cela est pire, ou similaire, en vous fondant sur d'autres facteurs? Pourriez-vous approfondir le sujet?
Certainement.
Oui, absolument, il y a une grande place à l'amélioration en ce qui concerne la violence familiale dans de nombreux contextes dans lesquels nous travaillons à l'échelle mondiale. Au cours d'entrevues que nous avons menées en Colombie-Britannique, certains fournisseurs de services nous ont dit qu'en général, ils n'étaient pas satisfaits de la façon dont la police agissait en cas de violence familiale, mais il y a...
Oui. Toutefois, en ce qui concerne les femmes et les filles autochtones, il y a un niveau supplémentaire de discrimination dans la façon dont elles sont traitées. La première question qu'on leur pose toujours, c'est « Avez-vous bu de l'alcool? » Le traitement des victimes autochtones différait, de certaines façons, du traitement accordé aux victimes de violence familiale, bien que ce dernier soit loin d'être parfait.
Voici ma dernière question. Vous avez parlé d'établir une relation de confiance. À votre avis, comment une enquête nationale, qui aurait sûrement de nombreux exemples — comme vous l'avez précisément dit — pourra-t-elle établir une relation de confiance entre les services de police — vous avez mentionné la GRC — et les communautés autochtones?
Un paradoxe étrange est apparu au cours de certaines des entrevues que nous avons menées: les femmes avaient très peur de nous parler, car elles craignaient de faire l'objet de représailles si elles se plaignaient. En même temps, une fois qu'elles avaient commencé à parler, il était clair qu'elles pensaient que cette situation était normale et que dans leur communauté, on jugeait qu'il était parfaitement acceptable qu'elles soient régulièrement brutalisées par la police.
Je crois qu'en lançant une enquête nationale qui engloberait cette question, on pourrait communiquer clairement que cette situation est inacceptable, et que nous ne permettrons pas qu'elle perdure. Il est extrêmement important de reconnaître les expériences vécues par les femmes et les filles autochtones par l'entremise d'une enquête nationale, car le caractère officiel de ce type de processus peut aider à y parvenir.
Merci, madame Rhoad.
C'est ce qui termine cette série de questions.
J'aimerais remercier nos témoins.
M. Romeo Saganash: Madame la présidente...
La vice-présidente (Mme Jean Crowder): Permettez-moi d'abord de faire les remerciements, Romeo, et je vous donnerai ensuite la parole.
Monsieur Hassel, j'aimerais vous remercier d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité. Je sais que c'est un peu plus difficile par vidéoconférence, mais je vous remercie de votre participation aujourd'hui.
Madame Rhoad et madame Gerntholtz, j'aimerais encore une fois vous remercier d'avoir comparu devant le comité.
Avant que je puisse suspendre les travaux pendant cinq minutes, M. Saganash invoque le Règlement.
Oui, merci, madame la présidente.
Au moins deux ou trois fois pendant l'intervention de Mme Brown, je l'ai entendue parler d'environ 120 000 rapports qui ont été produits. Au moins deux ou trois fois, elle a précisément mentionné 120 000 rapports. J'aimerais lui permettre de corriger le compte rendu. Cette information n'est manifestement pas exacte. Je sais qu'elle est contre l'idée de lancer une enquête nationale publique et indépendante, mais je crois qu'elle n'est pas obligée d'exagérer.
Monsieur Saganash, je dois vous interrompre. Il ne s'agit plus d'un rappel au Règlement.
Madame Brown, étant donné que vous avez mentionné 120 000 rapports, serait-il possible de fournir la source de cette information au comité, ou une liste des rapports?
Non, madame la présidente, je voulais seulement souligner qu'à mon avis, ce n'était pas un rappel au Règlement.
Je m'en étais rendu compte avant vous.
Encore une fois, j'aimerais remercier les témoins.
Je vais suspendre les travaux pendant cinq minutes afin de préparer l'arrivée des témoins suivants.
Nous reprenons les travaux.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins. Mme Pate comparaît au nom de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Mme O'Sullivan comparaît pour le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels.
Je suis certaine que vous l'avez déjà entendu, mais j'aimerais rappeler aux témoins de ne pas prendre plus de 10 minutes pour les exposés. Lorsque les députés poseront leurs questions, la première série de questions durera sept minutes et cela comprend les questions du député et vos réponses.
Madame Pate, vous avez la parole.
J'aimerais remercier le comité de nous avoir invitées à comparaître.
J'aimerais aussi tout d'abord reconnaître le territoire traditionnel sur lequel nous avons le privilège de nous trouver, c'est-à-dire le territoire algonquin non cédé. Au cours des 30 dernières années, chaque jour où j'ai eu le privilège et la responsabilité d'entrer dans les pénitenciers fédéraux et les prisons provinciales et territoriales, dans les locaux de détention de la police et dans les établissements pour délinquants juvéniles — et plus important encore, d'en sortir —, l'héritage colonial qui est la réalité de nos peuples autochtones m'est apparu évident.
Je commence de cette façon, car à notre avis, cette situation est intimement liée à la question des femmes autochtones disparues et assassinées. Elle est particulièrement liée au manque de droits dont les femmes, et surtout les femmes autochtones, ont fait l'expérience. L'émancipation des peuples autochtones s'est produite de mon vivant. C'est de mon vivant que les discussions sur la violence faite aux femmes ont été prises au sérieux. C'est au cours de ma vie professionnelle que nous nous sommes rendu compte des traitements racistes et misogynes infligés aux femmes autochtones par la police, par les pouvoirs correctionnels, et par la plupart des représentants de l'État. Je crois donc qu'il n'est pas surprenant que nous ayons toujours ces discussions aujourd'hui.
J'ai commencé à me pencher sur la question des femmes disparues et assassinées lorsque nos soeurs du quartier du centre-est ont soulevé le problème, surtout l'Aboriginal Women's Action Network et ensuite l'Association des femmes autochtones du Canada, et lorsque de nombreux autres groupes autochtones ont commencé à sonner l'alarme.
Au départ, je n'avais pas fait le lien, mais je l'ai fait rapidement: nous connaissions déjà plusieurs de ces femmes. Ce n'est pas une coïncidence si, dans nos prisons, et surtout dans les pénitenciers fédéraux, plus de 34 % des détenues sont des femmes autochtones, même si elles représentent pourtant, en tant que groupe, moins de 2 % de la population canadienne. Ce n'est donc pas parce qu'elles posent le plus grand risque pour la sécurité publique. Cette situation est étroitement liée à la marginalisation et à la victimisation qu'elles subissent, et elle est donc aussi liée à la façon dont nous criminalisons et institutionnalisons les personnes détenues en prison.
Cela nous est apparu très clairement lorsque certaines des premières victimes de Robert Pickton ont été identifiées: il s'agissait de femmes que je connaissais, car elles avaient été en prison.
On a beaucoup parlé du fait que ces femmes pouvaient avoir été victimes de violence dans les rues, ou de violence faite par l'État ou par des gens qu'elles connaissaient. Toutefois, on n'a pas beaucoup parlé du fait qu'elles avaient été victimes d'une forme de violence perpétrée par l'État qui se traduit par un manque de services de soutien pour les survivants des pensionnats, comme l'a indiqué notre Association des femmes autochtones et la Commission de vérité et de réconciliation dans le cadre du projet Arrest the Legacy, et les efforts de l'Association des femmes autochtones dans les rapports de Soeurs d'esprit. On a également négligé de faire le lien avec le fait qu'on a ensuite abandonné des personnes aux services sociaux et aux systèmes de protection de l'enfance, dont le fonctionnement se fonde également sur des croyances assez racistes, notamment des croyances qui n'appuient pas nécessairement les femmes.
C'est cet héritage, en partie, qui contribue au fait qu'il y a plus d'enfants autochtones aux soins de l'État maintenant qu'il y en avait même au temps des pensionnats. Cela contribue à la violence faite aux femmes dans les rues et à la marchandisation des femmes et des filles.
À ce point, nous pouvons faire plusieurs choses.
Nous appuyons le projet d'une commission d'enquête, mais pas parce que nous voulons un autre rapport. Dans le domaine dans lequel je travaille, nous voyons des tonnes de rapports. Je ne dirais pas nécessairement que ces rapports sont mauvais. Mais l'une des choses que fait une commission indépendante d'enquête, un peu comme l'ont toujours fait toutes les commissions d'enquête indépendantes, c'est attirer l'attention de la population canadienne sur ce qui se passe et expliquer très clairement que cette situation ne devrait pas se produire et favoriser une façon non partisane de régler ces problèmes.
Une commission d'enquête ne doit pas seulement se résumer à un rapport. Elle peut aussi mener à la prise de mesures concrètes. Je crois qu'une commission d'enquête indépendante et bien approvisionnée en ressources, en combinaison avec plusieurs recommandations importantes à l'égard de la responsabilité de la police, des tribunaux et des services correctionnels, est aussi essentielle.
Nous devons examiner — et le gouvernement devra le faire au cours de l'année à venir — l'ensemble de la question concernant le rôle de la violence misogyne qui met les femmes dans une position où elles sont de plus en plus traitées comme des marchandises. La réalité, c'est que les femmes, et surtout les femmes autochtones, sont traitées comme des objets sexuels depuis de nombreuses années. Nous avons abordé la question comme si elle n'était pas distincte, même si nous savons qu'un grand nombre de femmes, dans le contexte de l'élimination virtuelle des normes nationales visant les services sociaux, l'aide sociale et les soins de santé dont nous avons besoin, ont été forcées de vivre dans les rues ou de se retrouver dans nos prisons ou ont été assassinées.
Dans un contexte où personne ne peut survivre avec seulement l'aide sociale dans une province ou un territoire, lorsque notre pays compte beaucoup trop de réserves qui n'ont même pas l'eau potable, dans un contexte où un trop grand nombre de réserves n'ont pas de logements décents, d'écoles ou de soutiens sociaux adéquats pour les enfants, les femmes et tous les membres de la communauté, il n'est pas surprenant qu'un nombre toujours plus grand de personnes soient plus à risque de fuir ces situations ou d'être obligées de les fuir.
Je suis d'accord: ces endroits ont besoin de ressources adéquates. Ce sont des mesures qui pourraient être mises en oeuvre par l'entremise de normes nationales. Je crois que c'est la responsabilité de tous les députés du Parlement, et leur obligation légale et fiduciaire, de veiller à ce que ce type de normes existe.
En résumé, je suis d'accord: les familles souhaitent la prise de mesures concrètes. Des familles que je connais, des femmes que je connais, veulent qu'on passe à l'action.
Je vais donner un exemple d'une mesure très concrète à laquelle nous participons en ce moment et qui est liée à la question. Lorsque j'étais en Nouvelle-Écosse, en novembre dernier, et que je travaillais en collaboration avec un groupe de travail de la Fondation des femmes sur les femmes et les filles victimes d'exploitation sexuelle et de trafic, l'une des choses dont nous nous sommes rendu compte, c'est qu'un grand nombre de communautés autochtones de la Région atlantique craignent les nouvelles activités de construction navale qui débutent dans la région de Halifax. Les aînés et les femmes de la communauté sont déjà en train de signaler qu'ils savent que cela va « inviter » — ce mot a été utilisé par d'autres — ou probablement attirer une demande pour des services sexuels fournis par de nombreuses jeunes femmes.
J'aimerais vous recommander le travail effectué par l'Association des femmes autochtones dans ce domaine. Les recherches que l'Association a récemment menées démontrent que la plupart des jeunes femmes autochtones qui se retrouvent dans la rue pour y être exploitées sexuellement ont souvent, au début, de 7 à 12 ans. Les familles et les communautés du Canada atlantique d'où viennent ces femmes craignent énormément que la demande pour ce type de marchandisation sexuelle de leurs femmes et de leurs filles augmente dans les années à venir.
Nous ne faisons pas seulement appel au secteur privé, par exemple, la famille Irving et son entreprise de construction navale qui s'installera là-bas, mais aussi aux ressources des gouvernements fédéral, provincial et municipal, afin de veiller à ce que les femmes et les filles aient accès à d'autres possibilités et n'aient plus à faire face à la marginalisation, à la victimisation et à la criminalisation et à l'institutionnalisation qui en découlent, car cela devient de plus en plus leur lot, surtout lorsqu'il s'agit de femmes et de filles autochtones.
Nous aimerions porter à votre attention la nécessité d'avoir des services de première ligne dans les réserves, des logements adéquats, des revenus suffisants et garantis, et des services sociaux adéquats. Il faut aussi que la violence, sous toutes ses formes, soit prise très au sérieux, notamment la violence sexuelle, non seulement dans les familles, non seulement dans les foyers, mais aussi dans le contexte de la marchandisation croissante des femmes et des filles.
Merci beaucoup, et j'ai hâte de répondre à vos questions.
Bonsoir, madame la présidente et membres du comité. Je vous remercie de m'avoir invitée ici aujourd'hui pour discuter de l'importante question de la violence envers les femmes autochtones au Canada.
Je tiens à reconnaître les terres traditionnelles de la Nation algonquine où se tient la présente réunion.
J'aimerais d'abord vous donner un aperçu du mandat de notre bureau. Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels a été créé en 2007 pour donner une voix aux victimes au niveau fédéral. Pour ce faire, nous recevons et examinons les plaintes des victimes; nous fournissons des renseignements et des références aux victimes d'actes criminels en vue de promouvoir et de faciliter pour elles l'accès aux programmes et services fédéraux; nous soutenons les principes fondamentaux de justice pour les victimes d'actes criminels; nous faisons mieux connaître au personnel de la justice pénale et aux décideurs les besoins et les préoccupations des victimes; et nous cernons les problèmes systématiques et nouveaux qui influent négativement sur les victimes d'actes criminels.
Le bureau aide les victimes de manière individuelle et collective. Nous aidons les victimes de manière individuelle en leur parlant au quotidien, en répondant à leurs questions et en traitant leurs plaintes. Nous les aidons de manière collective en étudiant des questions importantes et en faisant des recommandations au gouvernement du Canada sur la façon d'améliorer ses lois, ses orientations et ses programmes afin de mieux soutenir les victimes d'actes criminels.
J'ai été invitée ici aujourd'hui pour discuter d'une question très importante, soit la violence envers les femmes autochtones au Canada. Comme vous le savez tous, les femmes autochtones sont beaucoup plus souvent victimes de violence que le reste de la population. Un nombre alarmant de femmes sont victimes de violence et, à mon avis, le Canada doit agir rapidement et de façon déterminante.
Aujourd'hui, j'aimerais vous faire part de certains aspects particuliers de cette question que notre bureau a examinés et des recommandations que nous avons récemment présentées au Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et à la Commission interaméricaine des droits de l'homme lors de leurs récentes visites au Canada.
En premier lieu, j'aimerais discuter de la possibilité de mettre sur pied une commission d'enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada et d'élaborer simultanément ou par la suite un plan d'action connexe. J'appuie l'idée de créer cette commission et d'élaborer un plan d'action.
Les recherches montrent que la simple appartenance à un groupe autochtone au Canada augmente considérablement le risque de victimisation violente. Dans le cadre d'une étude où tous les autres facteurs demeuraient constants, le risque d'être victime d'un crime avec violence était environ trois plus élevé chez les Autochtones. Les statistiques disponibles donnent une image plus complète de la vie des femmes autochtones, celles-ci étant particulièrement vulnérables à la victimisation violente, en particulier la violence conjugale ou sexuelle. Selon l'Enquête sociale générale de 2009 menée par Statistique Canada, les femmes autochtones sont près de trois fois plus à risque d'être victimes d'actes criminels violents que les femmes non autochtones. De plus, 79 % des femmes autochtones ayant répondu à l'enquête ont déclaré avoir été la victime d'un homme, et d'autres études démontrent qu'en moyenne, entre le quart et la moitié des femmes autochtones ont été victimes d'agressions sexuelles alors qu'elles étaient enfants, comparativement à un taux moyen de 20 à 25 % au sein de la population non autochtone.
Toutefois, bien que ces statistiques soient alarmantes, elles sont incomplètes. Malheureusement, au Canada, il y a un manque de données fiables sur la véritable ampleur de la violence envers les femmes autochtones. Les données contenues dans l'Enquête sociale générale -- je vous en ai déjà fourni quelques-unes -- se limitent à certains crimes violents, soit les agressions sexuelles et physiques et le vol qualifié. L'Enquête sociale générale ne rend pas compte des homicides. Habituellement, l'Enquête sur les homicides contribuerait à combler ces lacunes, mais on ne fait qu'y recueillir les renseignements sociodémographiques lorsqu'ils sont connus. Par conséquent, dans environ la moitié des cas, les policiers indiquent que l'identité autochtone de la victime est inconnue.
Globalement, nos pratiques de collectes de données actuelles ne nous permettent pas d'avoir un portrait clair et complet de l'étendue du problème. Comme les membres le savent sûrement, l'initiative Soeurs d'esprit de l'Association des femmes autochtones du Canada a permis de réaliser des progrès dans ce domaine. Cette initiative, élaborée et dirigée par des femmes autochtones, a permis de faire des recherches sur les taux de violence anormalement élevés chez les femmes et les filles autochtones au Canada et de faire connaître cette réalité.
Dans le cadre de l'initiative Soeurs d'esprit, des recherches continues ont été effectuées et ont permis de recueillir des données statistiques sur la violence envers les femmes autochtones. Selon les recherches, en mars 2010, il y avait plus de 582 cas de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées au Canada, et bon nombre n'avaient pas été officiellement signalés à des organismes d'application de la loi. Ces données démontrent l'extrême vulnérabilité des femmes et des filles autochtones à la violence et une réticence à signaler la victimisation à la police.
Au-delà des statistiques, il y a les raisons qui les expliquent et ces raisons sont essentielles, selon moi, pour réellement comprendre le problème et s'y attaquer efficacement. Nous devons examiner plus attentivement les facteurs liés à l'augmentation du taux de victimisation. Où les systèmes ont-ils échoué? Quelles sont les causes profondes et quels sont le soutien et les ressources supplémentaires nécessaires pour s'y attaquer? Nous ne pouvons pas répondre de façon détaillée à ces questions pour le moment. Ces éléments, jumelés au manque de données exhaustives à notre disposition, font ressortir la nécessité de mieux comprendre les causes de cette vulnérabilité, ainsi que l'importance capitale d'élaborer des stratégies éclairées en matière de prévention et d'intervention appropriées.
Ces stratégies éclairées devraient être élaborées en collaboration avec la collectivité autochtone. Pour être efficace, toute enquête, tout plan ou toute stratégie doit s'en remettre au leadership, aux connaissances et à l'expertise que seules les collectivités autochtones canadiennes peuvent fournir.
Malgré la tenue récente d'une commission d'enquête provinciale en Colombie-Britannique, cette commission portait sur les femmes disparues ou assassinées dans la province. Elle ne portait pas précisément sur les femmes et les filles autochtones et n'examinait pas non plus les multiples facteurs qui ont mené à une grande violence envers elles.
Manifestement, le problème des femmes autochtones disparues ou assassinées n'est pas propre à la Colombie-Britannique; c'est un problème national. Une commission d'enquête nationale permettrait aux femmes et aux collectivités autochtones de se faire entendre et respecter et d'être considérées dans le cadre de processus et de structures conçus pour répondre à leurs besoins. De cette façon, les stratégies de prévention et de réaction à cette crise pourraient être spécialement adaptées aux besoins des femmes autochtones et s'appuyer sur une compréhension des conditions sociales et économiques qui ont contribué à leur vulnérabilité.
Le gouvernement du Canada a un rôle de leadership de premier plan à jouer dans la prévention et la réaction à la crise relative aux femmes et aux filles autochtones disparues ou assassinées. Par conséquent, j'estime que la mise sur pied d'une commission d'enquête nationale et inclusive sur les femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada, assortie de l'engagement correspondant de mettre en oeuvre les recommandations de la commission, constituerait une prochaine étape appropriée et nécessaire.
En plus de la mise sur pied d'une commission d'enquête, la création d'un fichier des personnes disparues et des restes non identifiés est importante pour la question des femmes autochtones disparues et assassinées. Pour l'heure, les restes non identifiés relèvent de la compétence des bureaux des coronaires provinciaux et territoriaux. Cela signifie que les comparaisons d'ADN ne sont une option qu'aux niveaux provincial et territorial respectifs, ce qui empêche les comparaisons et les correspondances d'ADN de restes non identifiés dans l'ensemble des provinces et des territoires. Dans un contexte où les déplacements transfrontaliers et même la traite transfrontalière sont de plus en plus fréquents, cela pourrait nuire sérieusement aux autorités qui tentent de résoudre ou de faire progresser des dossiers d'enquête. Un fichier des personnes disparues permettrait de comparer les profils d'ADN de personnes disparues à des restes non identifiés. Cela se traduirait par un renforcement de la capacité d'enquête des organismes d'application de la loi qui disposeraient d'un outil permettant de procéder à ce travail important de comparaison non seulement dans une province, mais partout au Canada.
Le Comité de coordination des hauts fonctionnaires a manifesté son appui à l'égard d'un tel fichier. Le comité, dont la mise sur pied a été autorisée par les ministres fédéraux-provinciaux-territoriaux de la justice, a procédé à un examen des questions liées au nombre élevé de femmes disparues ou assassinées au Canada. En janvier 2012, le comité a publié son rapport et ses recommandations. Il recommandait, entre autres, aux « administrations publiques d'appuyer l'étude plus approfondie de la faisabilité et de l'unité d'un fichier de personnes disparues [...] ». La population canadienne, les organismes d'application de la loi, les groupes de victimes, les parlementaires et différents ordres de gouvernement ont également manifesté un appui considérable à l'égard d'un fichier national des personnes disparues.
Faute de temps, je ne vous donnerai pas de précisions à ce sujet, mais je serai ravie de vous en parler davantage à l'étape des questions. Comme vous pouvez l'imaginer, avec un appui aussi solide de groupes aussi diversifiés, il est difficile pour les familles et les proches des personnes disparues de comprendre les délais liés à l'élaboration de ce fichier important.
J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec des victimes et des groupes de victimes. Ils ont dit espérer sincèrement qu'on accorde à l'élaboration d'un fichier des personnes disparues et des restes non identifiés la priorité qu'elle mérite afin de soulager la souffrance de bon nombre de familles de personnes disparues qui ne savent pas ce qui est arrivé à leur être cher.
Pour cette raison, mon bureau a recommandé à maintes reprises au ministre de la Sécurité publique d'accorder une priorité élevée à ce fichier et de résoudre de toute urgence les questions de compétence. À ce jour, en réponse aux recommandations du bureau, le gouvernement du Canada continue d'invoquer des préoccupations juridiques, des préoccupations liées à la protection des renseignements personnels et des préoccupations liées à la compétence comme étant les principaux obstacles à la mise en oeuvre d'un fichier des personnes disparues. Nous sommes conscients que les coûts associés à un tel projet peuvent inquiéter.
Finalement, j'aimerais parler brièvement du devoir que nous avons tous de nous assurer que les programmes, services, politiques et mesures législatives en place pour les victimes d'actes criminels sont sensibles et adaptés aux besoins des victimes autochtones.
J'ai eu l'occasion, récemment, de réaliser une série de vidéos de victimes et de défenseurs des droits des victimes dans lesquelles ils faisaient connaître leurs points de vue et leurs expériences afin d'accroître la sensibilisation aux questions relatives aux victimes. Dans le cadre de ce projet, nous avons le privilège d'entendre la Dre Dawn Harvard, présidente intérimaire de l'Association des femmes autochtones du Canada, parler des besoins et des expériences des victimes autochtones.
La Dre Harvard a entre autres raconté l'histoire d'une victime autochtone âgée qui, après avoir demandé de l'aide et fait des efforts considérables pour rédiger une déclaration de la victime, s'est fait dire que la déclaration n'était pas sur le bon formulaire et qu'elle devait retourner chez elle et recommencer. Selon la Dre Harvard, les faibles niveaux de littératie au sein des petites collectivités et le fait que les services gouvernementaux exigent que les victimes aient un accès à Internet ou qu'elles remplissent des formulaires complexes peuvent créer des problèmes d'accessibilité importants pour les victimes autochtones.
Bien que la majorité des services aux victimes au Canada soit fournie par les provinces, je crois qu'il est utile de mentionner l'importance de tenir compte de ces besoins lorsqu'il est question des services et des programmes que nous offrons au niveau fédéral.
Pour conclure, j'aimerais remercier le comité pour son examen des questions susmentionnées et pour ces travaux liés à cette question importante.
Comme je l'ai mentionné, j'appuie la mise sur pied d'une commission d'enquête nationale sur la question des femmes autochtones disparues ou assassinées, ainsi que la création d'un fichier des personnes disparues et des restes non identifiés. J'encourage également le comité, dans ses travaux, à insister sur la nécessité pour le gouvernement fédéral de fournir des services et des programmes accessibles et appropriés aux victimes autochtones d'actes criminels.
Je vous remercie de votre temps et je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
Merci, madame O'Sullivan.
Nous allons maintenant amorcer notre première ronde de questions. Les intervenants disposeront de sept minutes chacun.
Madame Ashton, vous avez la parole pour sept minutes.
Merci, madame Pate et madame O'Sullivan, d'avoir accepté de venir témoigner dans le cadre de cette étude très importante.
Madame O'Sullivan, je vais d'abord m'adresser à vous.
En avril 2013, votre bureau a organisé un forum sur l'importance d'offrir des services adaptés à la culture. Les participants au forum ont souligné, notamment, qu'il est « particulièrement nécessaire de fournir des services adaptés sur le plan culturel aux Autochtones ». Votre bureau a-t-il amorcé une initiative en appui à une programmation adaptée sur le plan culturel pour les victimes, notamment, bien entendu, les Autochtones? Si oui, pourriez-vous nous en parler? Peut-être travaillez-vous actuellement à ce dossier. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Tel que je l'ai souligné en ma capacité d'ombudsman fédéral, ce sont les provinces et les territoires qui sont responsables de la majorité des services directs offerts aux victimes d'actes criminels au Canada.
On entend beaucoup parler des besoins immédiats des victimes de crime, comme... Je vais me permettre ce commentaire, puisque c'est un dossier qui a beaucoup fait jaser. J'ai eu la chance d'être sur place pour entendre les témoins précédents. Bon nombre des besoins des victimes d'actes criminels, dont le besoin d'être respecté, concernent le traitement qui leur est réservé dans le système de justice pénale.
Lorsqu'on parle des besoins, on parle, bien entendu, d'un ensemble. Évidemment, la prévention joue un rôle très important, puisque, si elle fonctionne, les autres étapes disparaissent. Si elle ne fonctionne pas, il faut alors se tourner vers l'intervention précoce. Ensuite, lorsque, malheureusement, un crime est commis, on doit passer par le système juridique, l'après-conviction et l'après-libération. Comme vous le verrez, bon nombre de victimes — j'ai également eu le privilège de lire les transcriptions — auront des besoins pour le reste de leur vie.
Nous avons examiné les services directs, et la plupart sont offerts. J'ai eu le privilège de m'entretenir avec de nombreuses victimes un peu partout au pays, y compris dans le cadre du forum. Une des choses que le forum a fait ressortir et que nous croyons importante, je crois également l'avoir soulignée dans mon exposé, c'est qu'il faut solliciter la participation des collectivités autochtones dans l'élaboration du forum et des thèmes abordés.
Comme je l'ai mentionné, nous avons publié, sur notre site Web, huit vidéos percutantes dans lesquelles des victimes parlent de ces besoins.
Il existe de nombreux programmes et services différents, ainsi que bon nombre d'exemples au pays. Toutefois, je dirais que la plupart sont offerts par les provinces et territoires.
Cependant, nous utilisons notre voix pour faire connaître ces besoins. Il a beaucoup été question autour de cette table du besoin d'informer. Je dois admettre que le besoin d'informer les victimes, et que l'information soit adaptée sur le plan culturel... Je vais utiliser un des exemples qu'a donnés la Dre Dawn Harvard. J'ai eu le privilège de m'entretenir avec des victimes métisses, inuites et des Premières Nations. En reconnaissant la culture... Je vais vous donner un exemple simple.
J'ai eu le privilège de me rendre à Iqaluit et de visiter un refuge pour femmes où j'ai rencontré différentes personnes. Certains des travailleurs de l'aide aux victimes qui travaillent au refuge ont parlé de leur culture et du fait que, lorsqu'ils vont devant les tribunaux pour dire « C'est cette personne qui a fait cela », on leur répond « peut-être ». Ce fut, pour moi, une expérience enrichissante. Afin de bien comprendre, j'ai eu le privilège d'entendre des grands-mères expliquer qu'il existe deux dialectes inuktituts et que l'on parle de nombreuses langues différentes à Iqaluit. Elles ont expliqué, également, que certains des mots que l'on utilise régulièrement dans le système de justice pénale n'existent pas dans leur langue.
Ce ne sont là que quelques exemples de ce que les gens m'ont partagé. Nous avons créé un cadre national pour l'information, le dialogue et le partage. Nous voulons nous assurer d'inclure les Autochtones dans nos travaux et nos recommandations. Mais, je le répète, la majorité de ces services directs sont sous la responsabilité des provinces et des territoires.
Merci.
Madame Pate, vous avez parlé de votre expérience considérable dans ce secteur. De nombreux témoins sont venus nous dire que les organisations n'ont pas la capacité de défendre les Autochtones et les femmes et qu'elles doivent composer avec de sévères compressions. D'ailleurs, certaines organisations n'existent plus.
Pourriez-vous nous expliquer le lien qui existe entre ce problème et le fait que certains ne peuvent se faire entendre, tant sur la façon de régler le problème que sur le plan de la prévention et des solutions?
C'est en partie la raison pour laquelle j'ai mentionné que cela peut être utile dans le contexte d'une enquête, car bien des groupes qui existent depuis longtemps, dont celui que j'ai mentionné, l'Aboriginal Women's Action Network, n'ont pas de ressources. La plupart des groupes qui travaillent à la promotion de l'égalité dans ce pays, en particulier les groupes de femmes, ont vu leurs efforts être littéralement réduits à néant à ce chapitre.
Nous collaborons depuis au moins trois décennies avec l'Association des femmes autochtones du Canada. Ses ressources, comme les nôtres, sont déjà utilisées au maximum. Ce qui est encore plus frappant — cela ne concerne pas directement cette question, mais c'est étroitement lié —, c'est que 91 % des femmes autochtones qui purgent une peine de ressort fédéral ont des antécédents de violence physique et sexuelle. Ce n'est pas par hasard qu'elles se retrouvent dans le système; c'est parce qu'elles n'ont pas de ressources à leur disposition.
Et ce n'est pas non plus un hasard si on ne les croit pas. Dans l'affaire Jamie Gladue, par exemple, à l'enquête préliminaire, tous les témoins autochtones se sont d'abord fait demander quelle marque de bière ils buvaient.
Les présomptions et les comportements racistes sont réels, surtout à l'égard des femmes dans cette situation. L'une des raisons pour lesquelles je connaissais les femmes dont les restes ont été trouvés à la ferme Pickton, c'est que les gens ne croyaient pas au départ qu'elles avaient réellement disparu. Vous avez aussi entendu les histoires dont a parlé Meghan dans son exposé, tout à l'heure. C'est là un thème récurrent.
Ces exemples ne portaient pas seulement sur les cas les plus récents ici dans le Sud, mais aussi dans le Nord. Sue a parlé de nombreuses femmes que je connais, dont les dossiers ont été rejetés, notamment des femmes ayant été victimes de prédateurs maintenant reconnus. On a présumé que parce qu'elles consommaient de l'alcool, ou parce qu'elles étaient dans la rue, elles étaient des proies faciles, et qu'il était normal qu'elles se fassent attaquer.
L'État a d'innombrables ressources à sa disposition pour se déresponsabiliser et défendre les actes indéfendables. Même si cela ne porte pas directement sur ce point, je pense que l'on peut établir un lien entre le fait que chaque fois que nous tentons de soulever une question à ce sujet, nous nous heurtons à une armée d'avocats au ministère de la Justice.
À titre d'exemple, nous venons d'examiner l'enquête sur le décès d'Ashley Smith. Nous sommes sur le point de nous pencher sur celle d'une femme qui a aussi été victime d'exploitation sexuelle et a disparu pendant un certain temps. Quand elle a été retrouvée par sa famille — parce qu'elle était en prison —, elle avait déjà vécu dans des conditions dangereuses. Elle est décédée il y a un an, et nous sommes sur le point de nous pencher sur cette enquête.
Une demande d'accès à l'information présentée par un membre des médias nous a permis d'apprendre que le gouvernement a dépensé 5 millions de dollars pour l'enquête sur le décès d'Ashley Smith effectuée par le Service correctionnel du Canada.
Je pense que les ressources pour défendre les actes indéfendables sont illimitées. Si nous voulons vraiment des mesures proactives, nous devons consacrer des ressources à des initiatives qui empêcheront les gens de devenir des victimes, qui les aideront quand cela leur arrivera, et qui les empêcheront aussi d'être criminalisés, surtout les Autochtones, car ils sont plus à risque d'être... Le seul système qui ne peut leur dire non, c'est le système judiciaire et correctionnel actuel.
Je vous remercie toutes les deux d'être ici et de nous faire profiter de votre expertise.
Je suis toujours fière du travail que notre gouvernement accomplit pour les femmes et les filles du Canada en matière de lutte contre la violence. Plus tôt cette semaine, le ministre de la Justice et la ministre de la Condition féminine ont annoncé une aide gouvernementale pour un projet de la Fondation filles d'action que l'on appelle Construire des ponts pour les jeunes femmes. C'est un projet de partenariat national, financé par le ministère de la Justice, qui vise à lutter contre la violence conjugale et à offrir un meilleur accès à la justice aux jeunes femmes marginalisées. Il s'agit d'une initiative pancanadienne visant à améliorer l'accès à la justice pour les jeunes femmes et jeunes filles marginalisées qui sont victimes de violence conjugale.
Madame O'Sullivan, je sais que vous avez beaucoup travaillé à ce dossier. À votre avis, comment cette initiative pourrait-elle avoir un effet positif sur les jeunes filles autochtones qui pourraient être victimes d'un crime?
Le gouvernement a pris diverses initiatives, et je l'en félicite, mais je pense que nous sommes ici aujourd'hui simplement pour examiner...
Sur le plan national, une enquête nous permettrait de comprendre l'ampleur du problème. Comme je l'ai dit dans mon exposé, les données sont insuffisantes. Une enquête nous permettrait de déterminer les causes sous-jacentes afin de nous y attaquer et d'en faire une priorité. Nous pouvons aussi faire en sorte que les recommandations formulées dans les plans d'action reflètent leur vécu et leurs connaissances et en tiennent compte.
Pour répondre à votre question, je dirais que d'après ce que j'ai vu partout au pays, toutes les collectivités sont différentes. Elles ont des ressources différentes, des capacités différentes et des problèmes différents. Nous parlons souvent des problèmes des collectivités du Nord. Je crois qu'il y a environ 53 collectivités accessibles uniquement par voie aérienne. Pour certaines victimes, le système de justice pénale doit se rendre sur place, et lorsque ces gens repartent, les victimes n'ont plus de ressources.
Vous me demandez comment cela pourrait profiter... Il y a de nombreuses collectivités dans notre pays, et on y prend de formidables initiatives, mais il nous faut examiner la situation dans son ensemble afin d'avoir des assises solides sur lesquelles bâtir pour l'avenir.
Il y a l'exemple que vous avez donné, mais aussi bien d'autres exemples dans ce pays. Encore une fois, je sais qu'il y a beaucoup d'initiatives que je pourrais examiner et qui pourraient être financées. Je pense que nous devons veiller à ce que les voix des familles et des victimes soient entendues dans cette initiative fondamentale afin d'être en mesure d'établir des priorités.
Merci.
Vous avez aussi indiqué que récemment, afin d'accroître la sensibilisation aux problèmes des victimes, vous avez eu l'occasion de faire une série de vidéos dans lesquelles des victimes et des défenseurs des droits des victimes faisaient connaître leurs points de vue et leurs expériences. Les représentantes de Human Rights Watch Canada en ont aussi parlé brièvement tout à l'heure. Au sujet de la sensibilisation, j'aimerais vous demander en quoi cela pourrait aider, selon vous. Quelles initiatives de sensibilisation souhaiteriez-vous voir?
Il y a l'enquête, qui permet aux Canadiens de savoir précisément quels sont les problèmes et les priorités, mais il y a aussi... Il y a environ une semaine et demie, j'ai eu le privilège d'assister à un symposium sur la confiance dans le système de justice pénale canadien. On y parlait de l'importance de la sensibilisation et on disait que la façon dont nous traitons et appuyons les gens au sein du système de justice pénale est directement liée à leur confiance en ce système.
Nous avons entendu beaucoup de personnes aujourd'hui. La sensibilisation est un élément, mais la manière dont nous traiterons les victimes... Elles se manifesteront si elles sont certaines que l'organisme auquel elles s'adressent les écoutera, qu'elles seront crues, appuyées et informées, et que leur opinion sera prise en compte, qu'elle est importante. C'est quelque chose qui se construit. C'est une relation que les collectivités construisent. Il nous faudra continuer de fournir beaucoup d'efforts pour nous assurer que les victimes obtiennent vraiment le soutien dont elles ont besoin.
Dans l'ensemble de la population, nous savons que la majorité des victimes d'agression sexuelle ne signalent pas ce qu'elles ont subi, et ce, pour diverses raisons. Plus nous pourrons bâtir des collectivités saines et sûres, dans lesquelles les victimes auront le sentiment d'être informées, soutenues, reconnues, importantes et protégées... Car il est important qu'elles sachent qu'elles seront en sécurité lorsqu'elles dévoileront cette information.
Estimez-vous que beaucoup de personnes dans les collectivités autochtones ne sont pas au courant de leurs droits ou de la façon dont elles peuvent obtenir de l'aide?
Le système de justice pénale est complexe.
D'abord, lorsqu'une victime veut dénoncer un crime, elle apprendra d'une autre personne de sa collectivité ce qui arrive lorsqu'on le fait... C'est pourquoi je reviens à la façon dont les gens sont traités et dont ils déterminent s'ils doivent agir. C'est un élément crucial.
Vous avez mis le doigt sur quelque chose de très important, car pour qu'une personne connaisse ses droits, elle doit en être informée; autrement, elle ne pourra pas les exercer.
Oui.
Il va sans dire que la langue, la réalité culturelle, le degré de victimisation, les vulnérabilités que nous avons vues dans les études... Nous essayons d'examiner certains des éléments essentiels qu'une enquête nous permettrait d'utiliser. Nous connaissons — et je pense que Kim en a parlé avec beaucoup d'éloquence — quelques-unes des difficultés auxquelles les victimes sont confrontées, en particulier les femmes autochtones. Il y a beaucoup d'aspects à cela; par exemple, on entend parfois des remarques comme « Avez-vous consommé de l'alcool? ». Il y a bien des personnes, bien des victimes qui ont des problèmes parallèles. Nous en sommes tous bien conscients. Cela va de pair avec la victimisation, dans bien des cas.
Quand les victimes se manifestent, il faut que nous puissions faire en sorte qu'elles soient crues et que le système puisse les soutenir, mais il faut aussi savoir — j'ai utilisé un bref exemple du Nord au sujet de la compréhension —, que la signification des choses diffère selon la langue. Comme je l'ai dit, lorsqu'on ne connaît pas le système de justice pénale, il fait très peur. Il est très complexe. Si les victimes ont la possibilité d'être informées, soutenues et défendues...
À votre avis, les services aux victimes devraient-ils être adaptés à certaines communautés culturelles? Ou croyez-vous qu'une victime est une victime, peu importe sa communauté d'origine?
Bien. J'ai une question à poser à Mme Pate.
Madame Pate, il est possible de faire échec à la violence faite aux femmes et aux filles autochtones à toutes les étapes du système de justice. J'aimerais simplement savoir quelles mesures nous devrions prendre, selon vous, pour améliorer de manière tangible la réponse du système et la relation entre les professionnels de la justice, dont les policiers, et les Autochtones.
Je ne veux pas me répéter, mais il est important de souligner que la raison pour laquelle Human Rights Watch a choisi d'intituler le rapport Ceux qui nous emmènent, pour revenir sur ce que Sue a dit, c'est que les Autochtones donnaient ce nom aux policiers. Cela indique qu'on ne s'adresserait pas aux policiers si l'on considérait qu'ils emmènent les gens. Il y a là certains problèmes fondamentaux.
Merci beaucoup.
D'abord, vous avez encore toutes les deux demandé une commission d'enquête nationale, et bien que le secrétaire parlementaire ait cité les propos de Shawn Atleo, il est important que nous soulignions à nouveau que l'APN a également demandé une commission nationale d'enquête publique, tout comme l'AFAC, tous les premiers ministres, etc. Vous n'êtes donc pas les seules.
La raison pour laquelle ce comité est si important, ce que nous entendons dans l'ensemble du pays, c'est que les gens semblent se soucier des droits des victimes, mais si les victimes sont autochtones, alors soudainement, ils les tiennent responsables. Cela comprend celles qui ne sont pas avec nous; ce sont leurs familles, maintenant, qui sont les victimes de cette perte.
Quand nous avons créé ce comité, il y a un an, le taux de résolution des meurtres au Canada étaient d'environ 84 %. Si la victime était autochtone, il chutait à 50 %. Ce qui consterne les Canadiens, c'est de savoir que cela pourrait être différent. Nous avons entendu dire que l'enquête ou le suivi n'était pas de la même qualité parce que la victime, la personne assassinée ou disparue... On considérait que c'était inévitable, car la personne travaillait dans la rue ou avait des problèmes de toxicomanie; on n'a donc pas effectué le suivi approprié.
Selon votre expérience, comment pourrions-nous expliquer l'écart dans la résolution de ces crimes? Si nous ne les résolvons pas, nous ne pouvons pas les prévenir, les familles ne peuvent faire leur deuil et perdent confiance dans le système, et ainsi de suite.
Pouvez-vous nous expliquer comment cela peut être à ce point différent pour les victimes autochtones?
Je n'ai pas les pourcentages que vous me demandez, mais je dirai ceci. Toutes les victimes auxquelles j'ai parlé dans ce pays ont dit: « Je ne veux pas que d'autres vivent ce que j'ai vécu ou ce que ma famille a vécu. » Elles ont besoin de savoir que leur perte ou leur souffrance entraîneront des changements. Voilà pourquoi il est si important d'avoir un forum, comme une enquête, qui nous permettra d'examiner ces questions et d'écouter ces familles pour que tous les Canadiens aient un rôle à jouer à cet égard.
Nous devons aller de l'avant et nous devons être capables de changer les choses, mais cela doit passer par l'écoute, la prise en compte de ces témoignages et l'inclusion. Ainsi, lorsque nous étudions ces solutions, ces personnes participent et c'est d'elles que nous entendons parler.
Pour répondre à votre question, si nous voulons que le taux de résolution augmente, il faudra que les gens signalent les incidents et aient confiance aux systèmes; ils doivent être inclus dans ces solutions et ils doivent participer à l'élaboration de ces plans.
J'ai eu le privilège d'assister à la conférence d'Edmonton organisée par l'APN et l'Association des femmes autochtones. Il a été très inspirant d'écouter les témoignages présentés. Le plan d'action national et les mesures qu'il devrait englober ont fait l'objet de discussions. Nous avons tous lu ce qui a été proposé. Nous avons des occasions de poursuivre sur cette voie.
Je ne peux répondre à votre question sur l'écart des taux de résolution et les cas qui y sont liés, parce que je n'ai pas ces renseignements, mais je peux vous dire que ce qui doit se produire dans ce pays, c'est que nous devons nous assurer de mettre en place un solide plan d'action dans lequel les Autochtones font partie intégrante des solutions.
Je pense que l'écart découle principalement de l'inégalité. Si vous êtes désavantagé au départ, vous êtes désavantagé à la fin, même si la loi devrait s'appliquer de façon égale.
En ce qui concerne le désavantage sur le plan économique, le désavantage sur le plan sexuel et le fait que la violence faite aux femmes et aux filles n'est pas un enjeu que l'on prend au sérieux, qu'il s'agisse de violence personnelle ou non, malgré les efforts de divers intervenants et de divers gouvernements, le seul moment où l'on s'intéresse au problème, c'est lorsque l'on tente de « responsabiliser » — si je peux utiliser ce terme — les victimes; elles doivent apprendre à éviter de devenir des victimes.
Si nous adoptions cette approche dans n'importe quel autre domaine, elle ne serait jamais acceptée. Nous ne l'adopterions pas pour les crimes contre la propriété, notamment. Pendant mes cours, lorsque je m'adresse aux étudiants en droit, je leur dis que si on abordait la question de la violence contre les femmes et en particulier la violence à l'égard des femmes autochtones de la même façon que nous abordons les crimes contre la propriété, les gens seraient révoltés. Nous verrions un changement radical, parce que cela toucherait des gens qui ont plus de pouvoir, en ce sens qu'ils ont plus de ressources et plus d'influence pour exercer un réel changement.
Plus une personne est marginalisée et plus elle est désavantagée, moins il est probable que l'on réponde à ses besoins, et l'État n'accordera pas d'importance au fait qu'elle est une victime. C'est là l'héritage d'une femme ou d'une fille qui signale un incident, dans une collectivité où l'on n'a jamais pris ces questions au sérieux et où l'intervention de la police a toujours été nuisible plutôt qu'utile.
La réalité, c'est qu'il faut faire connaître ce fait davantage. Il existe une présomption selon laquelle tous sont égaux et ont droit à l'application et la protection égales de la loi, mais je peux vous dire, pour avoir travaillé 30 ans dans ce milieu, que c'est loin d'être vrai. Si c'était vrai, les prisons ne seraient pas remplies d'Autochtones. Les prisons ne seraient pas pleines de pauvres. Les femmes ne représenteraient pas la population carcérale qui connaît la plus forte croissance dans un contexte où nous savons que ce ne sont pas elles qui présentent la menace la plus importante.
Oui. En collaboration avec l'Association des femmes autochtones du Canada, nous avons mené une étude sur l'hyper-responsabilisation des femmes et des filles autochtones.
On impose aux victimes la responsabilité de se soustraire elles-mêmes d'une situation de victimisation, de marginalisation et d'oppression.
Merci, madame la présidente.
Merci aux témoins d'être venus témoigner aujourd'hui.
Depuis notre dernière rencontre, la cour a rendu une décision très importante, à laquelle Mme Pate a fait allusion. Je ne suis pas sûre que nous devrions nécessairement éviter d'en discuter, d'y réfléchir et de formuler des recommandations à ce chapitre.
Je constate que vous faites partie de la Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution, qui compte sept groupes. Pourriez-vous nous présenter le point de vue de votre organisme sur la prostitution et les femmes autochtones? On entend des gens dire que c'est sans conséquence, mais j'aimerais avoir votre point de vue tandis que nous nous apprêtons à composer avec cette décision au cours de la prochaine année.
J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
En 2008, notre organisme a changé de position à ce sujet, passant de la décriminalisation globale à notre position actuelle, soit la décriminalisation des femmes et des filles, en toutes circonstances, et le maintien de la mise en accusation pour la traite des femmes et des filles.
Nous avons adopté cette position en partie parce que... J'ai travaillé à certaines de ces initiatives. Nous avions proposé la décriminalisation à une époque où il a été décidé de ne pas aller dans cette voie, à une époque où la loi s'appliquait aux femmes de façon disproportionnée. Les femmes étaient accusées, poursuivies et emprisonnées pour avoir vendu leur corps, mais la loi ne s'appliquait pas nécessairement aux hommes qui achetaient leurs services.
Je sais qu'il y a des hommes qui vendent et ils tendent à le faire plus longtemps que les femmes, et il y a aussi des femmes qui achètent. Mais en grande majorité, ce sont...
Lorsque la loi a soi-disant été rendue neutre du point de vue des sexes, cela a entraîné la création, pour les hommes, d'écoles pour clients et de programmes de déjudiciarisation, mais les femmes étaient toujours emprisonnées.
Nous avons aussi vu, pendant cette période, la réduction du filet de sécurité sociale, l'élimination du programme d'aide canadien dont j'ai parlé. Nous avons observé une augmentation de la marginalisation des femmes et un accroissement de l'inégalité envers les femmes sur les plans économique, social et juridique.
Notre position ne porte pas seulement sur la prostitution; nous soutenons aussi qu'il faut un revenu de subsistance garanti. Nous avons besoin de services sociaux adéquats. Nous avons besoin d'initiatives en matière de logement. Nous avons besoin d'initiatives et de soutien en matière d'éducation. Nous avons besoin d'initiatives liées à la santé et en particulier des initiatives en santé mentale. Voilà ce qu'il faut pour éviter que les femmes ne se retrouvent dans des situations où elles risquent davantage d'être obligées de vendre leur corps pour assurer leur subsistance et celle de leurs enfants.
Lorsqu'elles n'ont pas ces options ou lorsqu'elles les choisissent, elles ne devraient jamais être criminalisées.
Nous savons que dans les collectivités où il y a eu une décriminalisation, on constate une marchandisation accrue, et une augmentation de la demande pour la marchandisation des femmes. Dans un contexte où l'on observe une marchandisation sexuelle accrue des femmes et des filles malgré l'égalité juridique — entre guillemets —, ces femmes et ces filles sont de plus en plus susceptibles de se retrouver dans de telles situations. À titre d'exemple, dans certaines collectivités, la traite des personnes vise à répondre à la demande dans les endroits où ces services font l'objet d'une décriminalisation complète. Ces inégalités persistent et sont exacerbées, en fait, par l'idée que les femmes devraient toujours être prêtes à satisfaire les hommes sexuellement.
Le modèle nordique est l'un des exemples. Il existe certainement...
L'idée d'une initiative canadienne est l'une des questions que nous étudions. Le modèle nordique comporte beaucoup plus de services sociaux et de mesures de soutien que ce que nous avons au Canada actuellement. Dans un premier temps, il faudrait améliorer les diverses mesures d'aide qui sont nécessaires.
En fait, cela se rapporte quelque peu à un autre point que vous avez soulevé. Je comprends que certains aînés peuvent être préoccupés par l'industrie de la construction navale et de l'incidence qu'elle pourrait avoir, par exemple, mais il est à espérer qu'elle représentera une occasion formidable pour le XXIe siècle.
J'ai été infirmière et j'ai travaillé dans plusieurs collectivités autochtones. On y a démarré des programmes de charpenterie et d'apprentissage en électricité. Certains des diplômés qui ont le mieux réussi étaient des gens qui venaient d'un milieu très difficile, des femmes qui ont ensuite obtenu un emploi bien rémunéré. J'espère qu'au lieu d'être une source de préoccupation — et je souligne encore une fois que je comprends l'inquiétude souvent créée par l'expérience passée —, la formation en emploi et certains programmes représenteront, comme vous l'avez indiqué, des occasions formidables pour les femmes des collectivités autochtones avoisinantes.
Nous sommes d'accord sur ce point, et c'est pourquoi nous tentons d'intervenir là-bas, parce que ce serait beaucoup plus productif. C'est ce que nous favorisons. Toutefois, nous savons trop bien ce qui s'est produit à Fort St. John, en particulier. Nous connaissons l'ampleur de la demande qu'a engendrée la présence d'une importante main-d'oeuvre mâle, du nombre de femmes demandées pour satisfaire aux besoins sexuels de ces hommes. À vrai dire, nous ne voulons pas que cela se répète à Halifax ou dans n'importe quelle autre collectivité.
Je conviens qu'avoir une formation de ce genre serait une bien meilleure approche. Encore une fois, étant donné que les femmes ne sont pas nécessairement traitées en toute égalité dans ce pays — car les hommes sont habituellement privilégiés pour ces postes —, j'appuierais toutes les initiatives visant à privilégier et aider les femmes à profiter d'occasions dans ces domaines.
C'était intéressant. J'ai parlé de cette étude précise à une jeune Autochtone. Elle continue malheureusement à faire de l'autostop. Avant de monter à bord d'un véhicule, elle a l'habitude de prendre une photo et de la publier sur Twitter. J'ai trouvé l'idée intéressante. Ce n'est pas l'idéal. Elle la partage avec d'autres jeunes filles qui font de l'autostop, mais au moins, elle prend des précautions. J'ai pensé utiliser ces 30 secondes pour raconter cette anecdote.
Merci, madame McLeod.
Madame Pate, madame O'Sullivan, je vous remercie d'être venues.
Avant que les membres du comité ne se précipitent hors de la salle, j'aurais une information à transmettre. Je vous rappelle que jeudi prochain, la première heure sera consacrée aux témoins. Pendant la deuxième heure, nous donnerons aux analystes certaines instructions relatives à la rédaction. Je vous rappelle de vous préparer en conséquence.
Je tiens à remercier le comité de m'avoir permis de remplacer Mme Ambler.
La séance est levée.
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